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UU6, tas A 3
COLLECTION
C O MP L FT £
DESŒUVRES
DM
M. BE CRÉBILLÛN , VILS*.
TOME TROISIEME,
ûaâptsasmmm
^hme UJU
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« • • ^
A
COLLECTION
COMPLETE
DES ŒUVRES
M. DE CRÉBILLON , FILS.
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TOME TROISIEME.
^ LONDRES.
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M* PCC. LXXYII< *
• «
12JUL1958- ^^
R ^
^.
5ï*
A MONSIEUR
D E
CRÉBÏLLON,
D E
FRANÇOISE.
JVi ONS JÊEir Rjt
Jjs devrais attendre fims doute, pour vpifà
rendre un hommage pubiiç , fue je pujfe vous
offrir un ouvrage pats digne de vous, mais je
me flatta m^ vous voudrez Bien > dans ce que
je fais aujourd'hui y ne regarder que mon j^e/ej
Attaché à vous par les liens les plus étroits du
fang , nous fommes , fi je l^ofe dire , plus
unis encore par Inimitié la plusfincere y & ta
plus tendre^ Eh! pourquoi ne k dirois-je pas f
Iss per^f ne. veulent-^ijs donc que du rejpeâ ?'
'Leur dpnn&rtrifmém^tout ce qu'on leur doit ? «
& OM kuf dm^0itHlpas être tien doux de voisf;^
ÎY ÉPITRE DÉDICATOIRE.
lAreconnoiffance augmenter & affermir , dans
le cœur de leurs enfants , cefentiment d* amour
que la nature y a déjà gravé? Pour moi ,
qui me fuis toujours vu l'unique objet de votre
tendreffe & de vos inquiétudes ; vous , mon
ami 3 mon confolateur y mon appui , je ne crains
poifit que vous voyie[ rien qui puijfè blefftr. le
rejpeâ que j'ai pour vous , dans les titres que
je vous donne & que vous aye[ fi juftement
acquis. Ce ferait même mériter que vous ne les
€ujpe[pas pris-avec moi , que de vous en priver .
Et fi jamais le publie honore mes foibles talents
d'un peu d'ejiime y fi la poflérité , en parlons
de vous ,.peut fe fouvenir que j'ai exifiéy je
ne devrai cette gloire qu'au foin généreux que
vous ave[ pris de me former , & au defir que
j^ai toujours eu que vous pujfie^ un jour,
m' avouer fans regret*
Je fuis , avec le plus profond refpeS ,
MONSIEUR,
Voitt très-humBle St trés^
•béiflknt ferviteur &. fiU ^
P R È F A CE.
J-/ES préfaces, pour k plus grande partie ,
ne (èmblent faites que pour en impofer au
leéteur. Je méprifè trop cet ufàge pour le
fuivre. L'unique deflèin que j'aie dans celle*
ci , eft d'annoncer le but de ces mémoires ^
foit qu'on doive les regarder comme un ou-,
vrage purement d'imagination , ou que les
aventures qu'ils contiennent , (oient réelles^
L'homme qui écrit ne peut avoir que
deux objets , l'utile & l'amufant. Peu d'au*
teurs font parvenus à les réunir. Celui qui
inftruit , ou dédaigne d'amufcr , ou n'en 4
pas le talent y Se celui qui amufè n'a pa$
aflèz de force pour inftruire : ce qui fait né-
ceflairement que l'un eft toujours feç , ÔC
que l'autre eft toujours frivole.
Le roman , fî méprifë des perfbnnes fèn*
féts y & fouvent avec juftice , feroit peut^
être celui de tous les genres qu'on pourroti
Tendre le plus utile , $' i étoit bien manié ^
jG^ au Uçu de Iç icxP{>ui de iituatign? liïét.
vîlj P R JE FA CE.
brcufês & forcées , de héros dont les carac-
tères & les aventures font toujours hors du
vraMcmblable , on le rendoit ^ comme la
comédie y le tableau de la vie humaine , &
qu'on y cenfurât les vices 8c les ridicules..
Le leéteur n'y trouveroit^ plus , à la vé-
rité , ces événements extraordinaires & tra-
fiques , qui enlèvent imagination & dé-
chirent le cœur ; plus de héros qui ne paflat
les mers que pour y être , à point nommé ,,
cris des Turcs y plus d'aventures dans le fer-
lail , de fukane fouftraite à la vigilance des
eunuques , par quelque tour d'adreflè fur-.^
prenant ; plus de morts imprévues > & in-
finiment moins de fouterrains ; le feit pré-
paré avec art , feroit rendu avec naturel. Oit
pe pécheroit plus contre les convenances &
h- raifon. Le fentiment ne feroit point outré ^
î'honïme enfin verroit l'homme tel qu'il eft j.
pn Téblouîroit moins ,^ mais on l'ioftruiroit
davantage.
J*avDue que beaucoup dé lefteurs , quî
ne imn point touchés des chofcs Amples ^^
fi'approuveroient point qu'on dépouillât le
xoman des puérilités faftueufês qui le leuc
rendent cher y xnais ce ne lèrpit point à mçe
jèns une ràtiibn de ne le point réformer*,
jghaque &eck> ch^^ue am&ée tàèu^c^ ^çtt^
PRÉFACE. IX
un nouveau goût. Nous voyons les auteurs
qui n'écrivent que pour la mode j viâimes
de leur lâche complaiiànce , tomber en même
temps qu'elle dans un étemel oubliXe vrai (èul
iîibiifte toujours ; & fi la cabale iê déclare
contre lui , fi elle l'a quelqudbis obfcurci ,
die n'eft jamais parvenue à le détruire. Tout
auteur xecenu par la créante baflfè de ne pas
plaire ai&z à (on fiecle » pauè rarement aux
ûecles à venir.
Il eft vnû que ces rcmians > qui ont pour
but de peindre les hommes tels qu'ils (ont ^
font fujets , outre leur trop grande fimpli-
dté , à des inconvénients. U eft des ledeurs
fins qui ne li(ènt jamais que pour £ûre des
applications , n'eftiment un livre qu'autant
qu'ils croient y trouver de quoi déshonorer
quctlqu'un^ & y mènent par*tout leur ma-
lignité & leur fiel. Ne feroit-ce pas que ces
gens fi déliés , à la pénétration defquels rien
n'échappe , de quelque voile qu'on ait pré-,
tendu le couvrir , (è rendent dans le fond
aâèz de juftice pour craindre qu'on ne leur
attribuât le ridioile qu'ils ont apperçu > s'ils
ne fe hâtoient de le jeter fur les autres. De là
vient cependant que quelquefois un auteur
eft accula de s*être déchaîné contre des per-
^;)nnes q^u'il reipeâe ou q.u'il' ne comK»€
X PRÉFACE.
point , & qu'il paflè pour dangereux , quand
il n'y a que fes ledteurs qui le fbient.
Quoi qu'il en puifïè être , je ne connoîs
rien qui doive , ni qui puifle empêcher un
auteur de puifer fts caraéleres & fes por-
traits dans le fèin de la nature. Les applica-^
rions n'ont qu'un temps ; ou l^on fe lafïè
. d'en faire , ou elles font iî futiles qu'elles tom-
bent d'elles-mêmes. D'ailleurs où ne trouve-
t-on point matière à ces ingénieux rapports?
La fiaion la plus déréglée , & le traité de
morale le plus ûge , fouventlles foumiflènc
également , & je ne connois jufqu'ici que
les livres qui traitent des foienccs abflraites
qui en foient exempts.
Que l'on peigne des petits-maîtres & des
prudes , ce ne feront ni meflîeurs tels , nî
mefdames telles , que l'on n'aura jamais vus ,
auxquels on aura penfe y mais il me paroîc
tout lîmple que fî les uns font petits-maîtres,
& que les autres foient prudes , il y ait ,
dans ces ponraits , des chofès qui tiennent
à eux : il eft fur qu'ils feroient manques , s'ils
ne reflembloient à perfonne ; mais il ne doit
pas s'enfuivre , de la fureur qu'on a de fe
leconnoîtré mutuellement , qu'on puifïè être ,
avec toute forte d'impunité , vicieux ou ri-
dicule. On eft même d'ordinaire il peu cer-
TRÉrACE. xj
taîn des perfbnnages qu'on a démafqués 5 que
fi , dans un quartier de Paris , vous entendez
s'écrier : Ah î qu'on reconnoît bien là la
marquifè ! vous entendez dire dans un autre :
je ne croyois pas qu'on pût fi-bien attaquer
la comtefïè ! & il arrivera qu'à la cour on
aura deviné unetroifieme perfbnne , qui ne
fera pas plus réelle que les deux premières.
Je me fuis étendu fur cet article , parce
que ce .livre n'étant que l'hifloire de la vie
privée , des travers & des retours d'un homme
de condition , on fera peut-être d'autant plus
tenté d'attribuer à des pcrfbnncs aujourd'hui
vivantes 3 les portraits qui y font répandus
& les aventures qu'il contient 5 qu'on le
pourra avec plus de facilité , que nos mœurs
y font dépeintes -, que Paris étant le lieu où
le pafïc la fcene , on ne fera point forcé de
voyager dans des régions imaginaires , &
que rien n'y eft déguif^ fous des noms &
des ufàges barbares. A l'égard des peintures
avantageufès qu'on y pourra trouver , je n'ai
rien à dire : une femme vertueufè , un
homme fenfe 3 il fetnble que ce fbient des
êtres de raifbn qui ne reffemblent jamais à
perfbnne.
On verra dans ces mémoires un homme
tel qu'ils font prefque tous dans une extrême
Pi . T R Ê FA e R
feuneile, iimple d'abord & (an$ art^ ic ne.
connoiâant pas encore le monde où il eâ;
obligé de vivre. La première & la féconde,
partie roulent fur cette ignorance ScÇat Ç^
premières amours; Ceft dans les fuivantosy
im homme plein de huiles idées , & pétri
de ridicules, & qui y eu; moins entraîné^
cnoore par lui-même > que. par des perfbnn^
5ntérefï^es à lui corrompe le cœur àtelprit»
Ou le verra enfin dans les dernières rendu à.
toi-même , devoir toutes iès vertus à une*
femnie eftimable 5. voilà quel eft l'objet àt%
égarements dcl'efprit & du coeur. Il s'en
feut beaucoup qu'on ait précei^du ^montrer-
rhomme dans cous les déibrdres où |e |>Ip^
gent les paiSons :. l'amour i(èal préfid^ ici:;^
ou. fi ^ de -temps' «n temps :> qtiel^^fftire^
teotif s'y joint 3 c'éft prefque tôujoiif siui yijb
b détermine, . ^ -:
■>
r
- » » ' .
u$
i
LES
EGAREMENS
DU C (S. U R
ET DE L' ESPRIT
V
MÉMOIRES
D E
Mr. de MEILCOUR.
premiere partie.
; J ' E K T R A I dans le monde à dix-rept ans ,'
&avec tous les avaniages qui peuvent y faire
remarquer. Mon père m'avoit laifle un grand
nom, dont il avoit lui-même augmenté
Tome III, A
i Œuvres
Téckt ; & j*attendois de ma mère des bîens
confidérables. Reftée veuve dans un âge
où il n'étoic pas d'engagements qu^èlle ne
pût former , belle , jeune & riche , fà ten-
drefic pour moi ne lui fit envifàger d'autre
}>laifîr que celui de m'élever , & de me tenir
ieu de tout ce que j'avois perdu en perdant
mon pcre.
Ce projet a je croîs, (croît entré dans l'eC-
prit de peu de femmes, & beaucoup moins
encore Tatiroîent ponûuellenjent exécuté.
Mais , madame Meilcour , qui , à ce que
l'on m'a dit , n'avoit point été coquette dans
iâ'jeimeflè , & que je n'ai pas vugalante fîir
ion retour, trouva moîns de dimcultés que
toute autre perfbnne de ion rang n'auroit
feit.
Choie aiH^z rare ï on me donna une édu«
cation modeile : j'étois naturellement porté
à m^eilimer ce que je valois ^ & il eft ordî*
naîre, lorfque l'on penieainii, de s'eftimer
plus qu'on ne vaut. Si ma mère ne parvint
pas à m'ôter l'orgueil , «lie nr'obligea du
moins à le contraindre : par la fuite, je n'en
gi pas été moins fat ; mais, ians les précau-
tions qu'elle prit contre mois )e l'aurois été
plutôt , & fans reilburce.
L'idée du plaiiir fut , à mon entrée dans
le monde , lar ièule qui m'occupa. La paix ,
«qui régnoit alors , me laiilbit dans un loiiir
dwgereux« Le peu d'occupation, que fe fonc
communément les cens de mon rang & de
mon âge^ le faux air^ la liberté^ l%xe%plej|
^B CltEBIt^OH-^ VILS* I
tout m'entraînok vers les plaiiirs : j'avois les
paffions impétueufès 3 ou , poux parler plus
jufte y i'avois l'imaginatioii ardente & facile
à fe laifler frapper.
Au milieu du tumulte & de Téclat qui
m'cnvironnoient ians celle, je fends que
tout manquoit à mon cœur : )e dedrois une
félicité dont )e n'avois pas une idée bien dif^
.Xm6kt ^ je fus quelque temf^ fans compren-
dre la forte de volupté qui m'étoit néccf-
(àire. Je voulois m'étourdir en vain fiir l'en-
nui intérieur dont je me fèntois accablé ; le
commerce des femmes pouvoit fêul le dif&-
per. Sans connoître encore toute la violence
du poichant qui me portoit vers elles , je
les cherchois avec foin : je ne pus les voir
long-temps , & ignorer qu'elles feules pou-
voient mç (aire ce bonheur , ces cioucçs
erreurs de l'ame , qu'aucun amufèment ne
jn'offroit 5 & l'âge augmentant cette difpo-
(ition à la tendrefle, & me rendant leurs
agréments, plus fèn/ibles, je ne ibngeai pli^s
2u- à me faire une pafGon , telle qu'elle put
tre. •
La chofè n'étoit pas fans difficulté : je
n'étois attaché à aucun objet , & il n'y en
avoir pas un qui ne me frappât : je craignols
dechoifir> ôc je n'étois pas même bien libce
de le. faire* Les fe^timents, que l'une m'inC-
piroic, éroiei^ détruits le moment d'après
, par ceux qu^une autre Ëufoit naître.
- On s'attache fbuveint moins à la fcmm';.
^quitoVlidbe le plus^ qu'à celle qu'on çim
Ai
* .'
îf . ' ' ' (ffi tj'V R ES
•le i^lus facilement toucher -, j'étoîs <kns ce
•cas* autant que pcrfonne : ]t voulois aimer ,
mais je »'aimoîs point : celle , de qui j'atteiv-
doîs Iç moin$ de rigueurs , ctoit la feule donc
•je me crufle véritablement épris j mais ,
comme il m'arrivoit quelquefois d'être, darrs
un même jour, favorablement regardé de
plus d'une , je me trouvois le fbir dans un
[ embarras extrême , lorfîjue je voulois choi-
si lîr : ce choix étoit-il déterminé , coniment
V l'annoncer à l'objet qui m'avoit fixé ?
!^ J'avois fi peu d'expérience des femmes,
I qu'une déclaration d'amour me ièmbloit
e une oSenCe pour celle à qui elle s'adrelïbit.
l Je craignois d'ailleurs qu'on ne m'écoutàt
£as , & je regardoîs l'aflSront d'être re-
uté , comme un des plus cruels qu'un
liomrae pût recevoir : à ces confidérations
le jdignoit une timidité que rien ne pouvoit
vaincre , & qui , quand on auroit voulu
xn'aider 5 ne m'auroit laiffé profiter d'aucune
occa/îon, quelque marquée qu'elle eût été :
j'aurois &nà doute pouffé , en pareil cas ,
inon refpç6fc au point où il devient un ou-
trage pou? tes ^mmes, ôç un ridicule pour
nous.
t II eft aifé de juger , par ce détail , que je
1 n'avois pas pris d'elles unç idée bien jufte :
de la façon dont alors elles penibient, il y
avoir plus à craindre auprès d'elles à ne leur
pas dire qu'on les aimoit, qu'à leur montrer
toute l'impreflîon qu'elks croient devoir
iàire i Se l'amour^ jadis il ref^âueux » f)
W 4.'JW
DKCRiBILLON,rilS. fi
fincere, fi délicat, étoit devenu- fi téméraire
& fi aifé, qu'il ne pouvoir paroître redou-
table qu'à quelqu'un auflî peu inftruit que
moi.
Ce qu'alors les deux (excs nommoient
amour , étoit une fone de commerce, oà
l'on s'engageoit , fouvent même fans goût ,
où la commodité étoit toujours préférée à
la fympathie , l'intérêt au plaifir , & le vice
au lèntiment.
On dilbit trois fois à une femme qu'elle
étoit jolie ; car il n'en falloit pas plus : dès
Ja première , aflurément elle vous croyoit ,
Vous remercioit à la féconde , & aflez çom- .
munément vous en récompenfoit à la troi-
fîeme^
Uarrivoit même quelquefois qu'un homme
n'avoit pas befbin de parler , & ce qui , dans
un fiecle auffî fage que le nôtre , furprendra
peut-être plus , fouvent on n'attenaoit pas
qu'il répondît.
Un homme, pour plaire, n'avoir pas be-
foin d'écre amoureux : dans des cas preffês .
on le difpenfoit même d'être aîmablp,
La première vue décidoit une ^flaire :
n>ais , en même temps , il étoit rare que le
lendemain la vît fubfifter ; encore ^ en Ce
quittant avec cette promptimde , ne préve- .
noit-on pas toujours le dégoût.
Pour rendre la fociété plus douce , on
étoit convenu d'en retrancher les façons : on
ne la trouva pas encore aflez aifée > on en
fupprima les bienféatices.
ê ŒÙVIIBS
Si nous en croyons d'anciens mémoires ,
les fcmmcs étoiènt autrefois phis flattées
d'infpirer le refpedk que le denr ) & peut-
être y gagnoient-elles. A la vérité, on leur
Inrloit d'amour moins promptement y rnais^
celui qu'elles fkiibicnt naître , n'en étoit que
plus fadsfaifant, & que plus durable.
Alors y elles s'imaginoient qu'elles ne de-
▼oient ' jamais fe rendre ; & en effet elles^
réfiftoient. Celles de mon temps penfoient-
d'abord qu'il n'étoit pas poffible qu'elles le
défendiflent ; & fuccomboîent , par ce pré-
jugé, dans rinftant même qu'on les atta-
quoit.
Il ne feut cependant pas inférer ^ de ce
^ue je viens de dire , qu'elles oflfrillènt tou-
tes la même fecîlité. J'en ai vu qui , après
Quinze {ours de ibins rendus, étoient en-
core indécifes , & dont le mois tout entier
rfachevoit pas la défeite. Je conviens que
ce font des exemples rares , & qui fembleiit '
ni devoir pas tirer à confèquence pour le,
réfte j même , fî je ne me trompe, les fem-
mes f^veres , à ce point là , paflbiem pour
écre un peu prudes.
' Les mœurs ont depuis ce témps-Ià fi pro-
digieufement changé , que je ne feroîs pas
furpris qu'on traitât de hible aujourd'hui ce
que je viens de dire fur cet article* Nous ^
croyons difficilement , que des vices & des '
vertus qui ne font plus fous nos yeux , aient
jamais exifté : il eft cependant réel que jie
n'exagère pas* •
Loin que je fuflfe la façon dont l'amouf
fe menoit dans le monde , je croyoîs, mdU
gré ce que je voyois tous les jotirs, qu'il
falloit un mérite fupérieur pour plaire aux
femmes ; & ^ quelque bonne opinion que
i'eufïè en fecret de moi-même, je ne me
trouvois jamais digne d'en être aimé: je fuis
même certain , que quand je les aurois mieux
connues y je n'en aurois pas été moins timi-
de. Les leçons & les exemples font peu de
chofè pour un jeune homme ; & ce n'eft
jamais qu'à (es dépens qu'il s'inftruit.
Qiiel parti me reftoit-il donc à prendre î
Il n'étoit pas queftion de confulter madame
de Meilcour fur mes incertitudes, &, parmi
ïes jeunes gens que je voyois, iPu^y en avoic
pas un qui eût plus d'expérience que moi ,
ou qui du moins eût acquis celle qui auroic
pfSL me fervir. Je fus fix mois dans cet em-
ferras , & j'y fercis fans doute refté plus
long-temps , fi une des dames , qui m'avoit
le plus vivcmem frappé, n'eût bien voulu
fe charger de mon éducation.
La marquifê de Lur/ày (c'étoit fbn nom)
me voyoit prefîjue tous les jours , ou chez
elle ou chez ma mère , avec qui elle était
extrêmement liée. Elle me connoiflbit depuis
long-temps. Le foin qu'elle prenoit de me
dire des choïès obligeantes uir mon efprit
& fur ma figure, fa familiarité avec moi ,
& l'habkudc de la voir , m'avoicntjlonné.
beaucoup d'amitié pour elle, & une forte
d'aifânce où je ne me trouvois avec perionfie:
^ A 4
t <E ir V X B s
de fon fexe. De ce premier femiment , tvê
d'un aflez long commerce , j'en vins infènfi-
blement à Ibuhaiter de lui plaire; & comme
elle étoit de toutes les femmes celle que je
Voyois le plus , elle fut auffi celle qui me
toucha le plus continuement. Ce n'étoit pas
que je cruflc trouver plus de facilité à être
aimé d'elle que d'une autre. Loin de me
flatter d'une fi douce idée , le peu d'efpoir
d'y ré,uflîr m'avoît fait fbuvent porter *mes
vœux ailleurs ; mais , après deux jours d'in-
Sdclité, je revenois à elle, plus tendre &
|3^1us timide que jamais.
Malgré mon attention à lui cacher ce
qu'elle m'infpîroit , elle m'avoit pénétré f
mon refpeA pour elle , & qui fèmbloit
s'accroître de jour en jour ; mon embarras
en lui parlant , embarras différent de celui
qu'elle m'avoit vu dans mon enfance ; des
regards" même plus marqués que je ne \à
croyois 5 mon foin toujours prefïànt de lui
plaire ; mes fréquentes vifites v & plus que
tout , peut-être , l'envie qu'elle avoit elle«
même de m'engager , lui firent penfer que
je l'aimois en fecret : mais, dans la fituation
où elle étoit alors , il ne lui convenoit pas
de brufquer mon cœur , & de s'engager fans|
précaution dans une af&ire qui pouvoit êtxc
équivoque.
Coquette jadis , même un peu galante , »
une aventure d'éclat , & qui avoit terni fa
réputation , l'avoit dégoûtée des plaifirs
bruyants du grand monde. Auffi fenfible >
y
l
DEClléBTLLOH,FILS. y
mais plus prudence , elle avoir compris enfin ^
2 ne les femmes fè perdent moins par leurs
libleflès y que par le peu de ménagement
u'elles ont pour elles-mêmes ) Se que , pour
ère ignorés , les tranfpcm d'un amant n'en
ibnt y ni moins réels , m moins doux. Mal^
gré Tair prude qu'elle avoir pris , on s'obfti*
noit toujours à k ibupçonner; & j'éroia
peut-être le feul à qui elle en eût impofë.
Venu dans le mônœ long-temps après les
difcours qu'elle avoir fait tenir au public »
il n'étoit pas (urprenanc qu'il n'en eût rien
paile jufqu'à moi. Je doute même y quand
on auroit alors voulu me donner mauvaitè
opinion d'elle , qu'il eût été pofEble de me
k faire prendre : elle favoit combien j'étois
éloigné de k croire capable d'une foibleflè ^
& s'en croyoit obligée à. plus de circonipec->.
tion , & à ne céder , s'il le falloir , qu'avec
toute la décence que je devois attendre d'elle.
Sa figure & fon 4ge TaidcHent encore dans
ce projet. Elle étoit belle » mais d'une beauté -
majeftueufê y qui même ^ fans le ferieuX'.
qu'elle aâèâoit y pouvoit aifèment fe faire»
xefpeâer.Mife (ans coquetterie , eUe ne né^»
gU^oit pasT^mement. En diiànt qu'elle ne
cherchoit pas à pkire , elle fe mertoit tou<» i
jours en état de toucher; 6c réparoit avec
ibin ce que près de quarante, ans » qu'elle^
avoit» loi avoient enlevé d'agréniems : ellei.
en avoir même ped perdu ; & fi Ton en eY-«»
cepte cette fraîchei^r xpn difparott avec kf
preodere îeuiiefrc^:38c quç âmyent lés kmsDi^
te , 4E xt t % t $
flétri(îent avant le temps en voulant la rendse
fias brillante , madame de Luriày n'avoîc
lien à regjrttter. Elle étoit grande & biea
hàtt } de , dans fà nonchalance afièâée , pea
de femmes avoient autant de grâces qu'elle»
Sa phyfionomie & fes yeux étoient fêvere^
forcement , & lorPru'elle ne (ongeoit pas à
' s'obfèrver , on y vtrf oit briller tenjouemenc
& la tendreflè.
Elle avoit refpiit vif, mais &ns étourderie ^
prudent , même diflimulé. Elle parlait bien ^> ^
Se parloir aifëment > avec beaucoup de fi*
nefle dans les penfëes , elle n'étoit pas pré-^
cieufe. EUe avoit étudié avec (bin fon iexe
& le notre , & connoifloit tous les reflbns^
qui les font agir. Patiente dans Ses vengeances^ «
comme dans fes plaifirs , elle (avoit les at«
fendre du temps , lorfque le moment ne les
}ui foufliiUbit p^s. Aurefte, quoique prude ^
elle étoit douce dans la (bciété. Son fyftéme
n'étoit: point y qu'on ne dut pas avoir des
ibibleflfes , mais que le fèntiment icul pou^*
Yoit les fendue pardonnables ^ ibrte de diC*
cours rdt>attti , que tientient uns celle les trois
quarts des femmes > & qui ne rend que plus,
jnépri&bles celles qui les déshanorent pac
leur conduite.
Dans quelques converfàttons que nous*
a^ohs euescnlèmble fur Tamour^ eUe sfétoit
iftftruice de mon caiaébre j 6c des laifbns
qui pDUvoîent me fiite redouter l'aveu ^m\^
mipcmam^ pouc m'acquésir» 6ti.
même me fixer , de me diflîmaler le flvt»
long'temps qu'il lui ferait pofllîble (on amour,
pour moi ; que plus J'écois accoutumé à la
refpedker , plus je (crois frappé d'une dé-
marche pràripitée de (à part. Elle (àvoit d'aile
leurs, qu'avec quelque ameurqueles hommes
poursuivent la victoire , ils aiment toujours,
à l'acheter ; & que les femmes y qui croienc
ne pouvoir (è rendre aflèz promptement ,•
fè repentent fbuvent de s'être trop tôt laiflK
vaincre.
J'ignoroîs, entre beaucoup d'autres choies,'
J[ue le (entiment ne fut dans le monde qu'un
ujet de conver(àtion , & j'entendois les
femmes en parler avec un air (i vrai , cUei
en (tiifbient ces diftinâbions fi délicates y
méprifbîent avec tant de hauteur celles qui
s'en écanoicnt , que je ne pouvois m'imagi-'
ner , qu'en le connoilïànt lî-bien , elles cà
fiflènt fi peu d'ufage.
Madame de Lurfay iur-tôut» qui, i
force de tâcher d'oublier (es fatales aven«*
turcs, croyoit en avoir détruit nar-tout le
fouvenh", en avouant qu'à vue de pays elle
fe croyoit capable d'aimer , fàifbit de (on
cœur une conquête fi difficile , vouloit tant
de qualités dans Tobjet qui pourroitla rendre
fen(ible, parloit d'une façon d'aifner fi fia-
guliere , que je* frémiflbis toutes les (bis qu'il
me revenoit dans l'idée de m'attacher à elle;
Cette dame fi délicate , contente cepeni»
dant de la façon dont je pen(bîs fiir (ba
compte , jugea qu'il étoittcmps de me dooncf
A 6
nt Œuvrer
de l'efp»erance , & de me faire penièr , mâvsi'
par les agaceries les plus décentes y que j^'écois
le mortel fortuné que ion cœur avoir choUî»
Des propos obligeants , que jufqu'alors elle
m'âvoit tenus , elle patfa à des difcours plus
particuliers , éc plus marqués. Elle me re-
gardoit tendrement , & m'exhortoit 3 lorfque
nous étions feuls , à me contraindre moins
avec elle. Par cette conduite , elle avoit réuffi
à me donner beaucoup d'amour, & en
avoit tant pris elle-même, qu'alors fans,
doute elle auroit voulu m'avpir inipiré moins
de refpeâ:.
Sa fituation étoit devenue par (es foins :
aufll embarraflànte que )a mienne. Il s'agîT-
ibit de me mettre au defTus de la défiance
qu'elle m'avoit donnée de moi-même, &
de la trop bonne opinion qu'elle m'avoit fait
prendre d'elle ; deux chofès extrêmement
difficiles , & qu'il falloit ménager avec toute
Ja finefic pofnble. Elle ne voyoit point d'ap-
parencte que j'ofàfle lui déclarer que je l'ai-
mois ; & loin qu'elle dût prendre fur elle
de fê découvrir , elle étoit forcée de paroître
jcce voir avec fiJvérité l'aveu que je lui fbrois ^
£ encore elle étoit aflèz heureufê poux
jn'amencr iu(ques-Ià.
Avec un homme expérimenté , un mot
dont le fèns même peut fè détourner, ua
regard , un gefle , moins encore , le met aa
Élit , s'il veut être aimé ; & , fuppofë qu'il
iè (bit arrangé différemment de ce qu'oa
jfbuhaiteioit > on n'a hafàidé que des 4io£bi
DE CreBTIIOK, Fit J.' If
£ équivoques , & de H peu de conféquence ^
qu elles fe défavouent fur le champ.
Loin que i'of&ilTe cane de commodité à
madame de Lurfày , elle avoir éprouvé plus,
d'une fois 9 que ma ftupidicé fèmbloic aug-»
menter par tout ce qu'elle faifbic pour me
dediller les yeux \ Se elle ne croyoic pas pou-^
voir m'en dire plus fans courir rifque de
m'ef&ayer » & même de me perdre. Nous
ibupirionscous deux en fecret > & , quoique
d'accord » nous n'en étions pas plus heureux»
Il y avoic au moins deux mois que nous
étions dansce ridicule état, lorfque madame
de Lurfây, impatientée de fbn tourment »
& de la vénération profonde que j'avois
pour elle , réfblut de te délivrer de l'un , en
me guérifïânt de l'autre.
Une converfation adroitement maniée
amené fbuvent les chofçs qu'on a le plus de
peine à dire i le défordre qui y règne , aide
à s'expliquer \ en parlant , on change d'objet ^
Se tant de fois , qu'à la fin celui qui occupe»
s'y trouve naturellement placé. Dans le monde
fîir-tout on fc plaît a pirïcr d'amour , parce
^ue ce fîijet , déy\ intéreflant de lui-même »
c trouve (buvenr lié avec la. médifànce , &
qu'il en fait prefque toujours le fonds.
^ J'étois fur les matières de fèntiment d'ime
extrême avidité ; & , foit pour m'inftruire ,
(bit pour avoir le plaifîr de parler de la ii-.
tuation de mon cœur , je ne me trouvois
{uere encompgnie, que je ne iiflè tombes
e di(coui:s fur iamour » Se fur Tes e&t$ %
?<
14 Œuvres.
cette cliQ)ofîtion écoîc favorable à madamcf
deLurfày , & elle réfblut enfin de s*en (èrvîr.
Un jour qu'il y avoit beaucoup de monde
chez madame de Meilcour , Se qu'elle 8c
moi avions rcfufë de jouer, nous nous trou*
vâmes allîs Tun auprès de l'autre : cette es-
pèce de tête-à-tête me fit fiiflbnner , quoique
ibuvenr je le fouhaitafle. Lorfque j'étois éloi-
gné d'elle , je ne voyois plus d'obftacles qui
s'oppofàflènt au deflein que je formois de
lui déclarer ma paffion ; & je n'étois jamais
à portée de le foire , que je ne tremblaflè de
l'idée que j'en avois eue. Quoique je ne fiiflc
pas ièul avec elle , je n'en (iis pas jJus ralKiré ;
Pendroit du fàlon que nous occupions ,,étoit
défèrt , tout le monde étoit occupé , point
de tiers par confëquent à portée de me Co*
courir. Ces cruelles confidérations achevèrent
de me jeter du trouble dans l'efprit. Je fus
un quart- d'heure auprès de madame de
Lurfay , (ans lui rien dire : elle imifoit ma,
tacitumité ; & , quelque defir qu'elle eût de
me parler , elle ne iàvoit comment rompre
le filence.
Cependantune comédie qu'on jouoitalors^
Se avec fuccès , lui en fournit l'occafion. Elle
me demandai! je l'avois vue : je lui répondis
4u'oui. L'intrigue /dit-elle , ne m'en paroît
pas neuve ; mais ^ j'en aime aflèz.les defâils :
elle cfl noblement écrite , & les (èntîments
y font bien développés. N'en penfèz-vous
pas comme moi ? Je ne me pique pas d'être
«onnoifreur^ répO])dis-)é } en généndj elfe
X)S CuluJZZOViy vus. If
m'a plu s mais j'aurois peine à bien parier de
Ses beautés & de {es défauts. Sans avoir du
théâtre une connoii&nce parfaite , on peut ,
reprit-elle , décider (ur certaines parties *> le
fèntiment , par exemple » en eft une fur la-
quelle on ne fe trompe point ; ce n'eft pas-
refprit qui le juge , c'eft le cœur , & les
choies intérefTantes remuent également les
Î^ens bornés , & ceux qui orit le plus de'
umieres. J'ai trouvé dans cette pièce des en-
droits touchés avec art : il y a fur-tout une
déclaration d'amour qui , à mon fens , eft:
extrêmement délicate j Se c'eft un des mor-
ceaux que j*en eftime le plus. Il m*a frappé*
comme vous , répondis-)e ^ 8c Yen fais d'au*
tant plus de gré à Tauteur » que )e crois cette
fltuatiôn difficile à bien manier. Ce ne fêroit
pas par-là que je Teflimerois, reprit -elle :*
dire qu'on aime eft une chofè qu'on fait tous
les jours, & fort aifément^ &c fi cette fî-*
tuatîon a de qum pkire , c'eft moins par fou'
propre fonds , que par la façon neuve dont
elle eft traitée. Je ne fèrois pas entiérèn^pnc
de votre avis , Madame , répondis^je \ ôc jç
ne crois pis qu'il (bit facile de dire qu'on
mme. Je fuis perfiiadée, dit-elle, que cet
aveu coûte à une femme : mille laifons, que
l'amour ne peut abiblument détruire, doî*
vent le lui rendre pénible ^ car , vous n'ima-
ginez pas fans doute , qu'un homnie rifqu6
quelque chofc à le^fcire. Pardcwinez-moi ^
Madame , lui dis-je : c'étoit précifément c#
^ue ]e petiiôis. Je ne (frouve rien de j^v^t;
lé (B U V R E s
humiliant pour un homme , que de dite
qu'il aime. Ceft dommage , aflurémcnt ,
reprit-elle , que cette idée {bit ridicule ; par
ia nouveauté , peut-être elle feroit fortune.
Quoii il eft humiliant pour un homme de
dire qu'il aime ! Oui , làns doute , dis-je ,
quand il n'eft pas fur d'être aimé. Et com-
ment , reprit-elle ^ voulez-vous qu'il fâche,
s'il eft aimé ? L'aveu qu'il fait de fà tçn-»
drefle y peut fèul autoriièr une femme à y
répondre. Penfez-vous, dans quelque dé-
ibrdrç qu'elle fentît fon cœur, qu'il lui con-
vînt de parler la première , de s'expofer par
cette démarche à fè rendre moins chère à
vos yeux , & à être l'objet d'un refus ? Bien
peu de femmes, répondis-je , auroient à
craindre ce que vous dites. Toutes, reprit-
elle , auroient à le craindre , iî elles fè met-
toient dans le cas de vous devancer 5 & vous
céderiez de fèntir du goût pour celle qui
vous en auroit infpiré le plus , dans l'inftant
qu'elle vousofïriroit une conquête aif^e. Cela
n'eft pas raifbnnable , dis-je 5 & l'on doit ,
à ce qu'il me fèmble , plus de reconnoifi
iàhce à quelqu'un qui vous épargne des tour-
ments..... Sans doute , interrompit- elle ^
inais , vous penfèz mal pour votre intérêt 9
& pour le nôtre. Vous-même , qui vous
técriez aâùellement contre l'injuftice des
hommes , vous agiriez comme eux fi une*
femme prévenoit vos fonpirs. Ah ! que je lui)
en fèrois obligé, in'écriai-je , & que le pUifir;
4'ètxc provenu augmeaterQit mon amour |
BsCRiBirzoH^FiLS. 17
rour que ce plaifii fbit vif pour vous , il faut ^
dit-elle j que vous vous ibyez fait une ter-
rible idée d'une déclaration d'amour. Mais ,
qu y voyez-vous donc de fi eflGrayant ? la
crainte de n'être point écouté > Cela ne peut
pas arriver 5 la honte d'être forcé de dire
qu'on aime ? elle n'eft pas raifonnable. Eh !
comptez- vous pour rien 5 Madame , reprit-
je, l'embarras de le dire , fur-tout pour moi
qui fèns que je dirois mal > Les déclarations
les plus élégantes ne font pas toujours , ré-
pondit-elle , les mieux reçues. On s'amufc
de l'eiprit d'un amant , mais ce n'eft pas lui
qui perfuade : fon trouble , la difficulté qu'il
trouve à s'exprimer, le défordre de fes dif^
cours î voilà ce qui le rend àcraindre. Mais,
Madame, lui demandai-je, cette preuve,
Qui en efièt me paroît inconteftable , per-»
luade-t-cUe toujours ? Non., répondit-elle:
ce défordre dont ie vous parlois , vient quel- ■
quefois de ce qu'un homme eft plus ftupidc
qu'amoureux ; & pour lors on ne lui en tient
pas compte : d'ailleurs , les hommes font t
affez artificieux , pour feindre du trouble &
de la paflion , pendant qu'ils font à peine
animés par le def ir ; & fouvent on ne les en \
croit pas. H peut arrivei auflî , que celui à
qui vous infpirez de l'amour , n'eft point
celui pour qui vous en voudriez prendre ,
& tout ce qu'il vous dit , ne vous touche .
pas. Vous voyez donc , Madame, lui répon-
dis-je , que je n'ai pas tort d'imaginer que :,
ce refus eft cruel : & je ne fais fi je lïe pré-
lî (£ Û V R Ê s
(éreroîs point mon incertitude à une ex|^^
cation qui m'apprendroit qu'on ne me trouve
pas aimable. Vous êtes le fèul qui ctouvie^
cela fi incommode , reprit-elle i 6c , pour
yous-mème , vous ne raifbnnez pas jufte , il
çft plus avantageux , même plus raiibnna'*
ble , de parler , que de s'obftuier à ie taire.
Vous rifquez de perdre , par le fîlence , le»
plaiiîr de vous (avoir aimé ; & fi Ton ne peut
vous répondre comme vous le voudriez,;
vous vous guériflèz d'une paflîon inutile qui
ne fera jamais que votre malheur. Mais ,.
ajouta-t-elle , je remarque que depuis long-»
temps vous me parlez fiir ce fiijet : & , fi
je ne me trompe , une déclaration ne vous-
paroît embarraflànte » que parce que vous
en avez une à faire.
' Madame de Lurfày > en fàifant cette obli^
géante réflexion y me regarda fixement , &
a un air fi animé , qu'il acheva de me dé«
contenances
Votre filence & votre embarras , conti-* •
imar-t-elle , m'apprennent que j'ai deviné
jufte; mais, je ne prétend? me (èrvir du
iècret que je vous ai fiupris , que pour vous
tirer d'erreur , & vous être utile > fi je le
puis. Je veqx d'abord que vous me difieat
<^uel eft votre choix \ jeune , &c fans expé* -
rience , comme vous êtes , peut-être l'avez- '
vous fait trop légèrement. 5'il n'eft pas digne >
de vous , je vous plains , m^s ce n'eft pas ;
encore afièz: mes confèils peuvent vous aider
àdétruise unepaflion, ou pour mieux dire.
J
z»B Crebiilok, iits. if
une fàncaiiie qui > (don ce que Je vois , n'a
poinc encore été nourrie par l'e(pérance ^ &
dont par confëquertt je vous montrercHS le
xidicule plus ailemenc : fi , au coiitiaixe ,
votre choix eft tel que l'honneur ni la
ïsàùm ne pui£[ènt en murmurer 3 loin d'ar-»-
radier de votre coeur Tobjet que vous 7
avez placé , je pourrai vous apprendre à lui
plaire , &: moi-même vous avertir de vos
progrès.
Cette proportion de madame de Luriay
me iurprit : quoique (es façons n'eufifent rieti'
de fëvere , que même fes yeux me parlai^-
fènt le langage le plus doux , je ne me (êntis-
pas^la force de lui répondre. Mes re^ds*
crroient fur die fànsofèr s'y fixer: jecraî-*
gnois qu'elle s'apperçût de mon trouble , Se'
je ne rompis le filence que par un jfbupir que
je tâchai vainement de lui dérober.
Mais , que vous êtes jeune ! me dit-elle
avec un air de bonté : je ne puis plus douter
que vous n'aimiez ; vot^e filence ajoute en«
core à votre tourment. Que iâvez-vous >*
Peut-être êtes -vous plus aimé que vous
n'aimez vous-même : ne fèroit-ce donc rien '
pour vous 5 que le plaifir de vous l'entendre
dire ? En un mot, Meilcour , fe le veux ;
mon amitié pour vous m'oblige dç prendre
ce ton , dites- moi qui vous aimez. Âhl
Madame , réppndis-je en tremldant , je iê«
rcris bientôt puui de l'avoir dit.
Dans la limation préfènte , ce difcourf
n'étoit point équivoque \ auffi madame 4e
ie (B U V K e 9
Lurlày l'entendit-elle : mais , ce n'ëtoiç pas
encore afTez ^ & elle feignit de ne m'avoir
pas compris.
Que prétendez-vous ditt ? reprit-elle en
radouciflànt (a voix : voiis feriez Dientotpuni
de ravoir dit ? Croyez-vous que je fulïe in-
difcrette î Non > réblîquai-je , ce ne feroit
pas ce que je craindrois ; mais > Madame ,
u c^étoit une perlbnne telle que vous que
î'aimaflè^ à quoi me fèrviroit-il de le lui %.
dire ? A rien peut-être , répondit-elle en rou-
giflànt. Je n'ai donc pas de tort > repris-je ,
de m'opiniâtrer au iilence. Peut-être ^uili
réudiriez-vous : une perfonne démon carac^
tere peut , continua-t-elle ^ devenir lènfible ,
& même plus qu'une autre. Non , vous ne
xn'aimejriez pas , m'écriai- je. Nous nous
éloignons , dit-elle : & je ne vois pas pour-
quoi il eft queftion de moi dans tout ceci.
Vous éludez ce que je demande avec plus
d'adreflè que je ne vous en croyois ; mais »
pour fuivre ce propos, puifqu'enfin il eft-
jeté, que vous.importcroit que je ne vous
aimaflfe pas? On ne doit iouhaiter d'infpirer
de Tamour qu'à quelqu'un pour qui l'on en
a pris: & je ne vous fbupçonne point du
tout d'être avec moi dans ce cas -là; du
moins , je ne le voudrois pas. Je voudrois
bien auili , Madame , répondis-je , que cek
ne fut pas; & je ièns , à la peur étrange que
vous en avez , combien vous me rendriez •
snalheureux. Non , ce n'eft pas que j'en aie
pçur ; craindre dé vous voir amoureux >
DECRBBttLOK^FÏtS. II
feroit avouer à demi que vous pourriez me
rendre (ènfible : l'amant que l'on redouce le
plus , eft toujours celui que Ton eft le plus
près d'aimer ; & )e fèrois bien âchée que
vous me cruffiez fi craintive avec vous. Ce
n'eft pas non plus ce dont je me flatte > ré^
pondis-je: mais enfin , fi je vous aimoir,
que fericz-vous donc ? Je ne crois pas , re-
prit-elle , que fiir une fiippofition vous ayez
attendu une réponfè pofitive. O&rois-jedonc,
Madame , vous dire que je ne fiippolc rien ?
A cette déclaration fi prédfe de Tétat de
mon cœur , madame de Lur&y fbupira ^
rougit 5 tourna languifiamment les yeux fiir
moi , les y fixa quelque temps, les baiflkfiir
fon éventail , & (e tut.
Pendant ce filence , mon cœur étoit agité
de mille mouvements. Ueffort que j'avois
iàic fiir moi , m'avoit prefque accablé , 8c
la crainte de ne pas recevoir une réponfe fiir
vorable m'empêchoit de la preflcr. Cepen^
dant , j'avois parlé y & je ne voulois pas en
perdre le fruit.
N'avez- vous plus rien à me confèiller ^
Madame , lut dis- je à demi mort de peur }
ne me direz-vous pas ce que je dois attendre
de mon choix ? Sevez-vous afiez cruelle ,
après toutes les bontés que vous m'avez
marquées , pour me réfuter votre fecoui?s
dans la chofe la plus importante de ma vie^
Si vous ne me demaiidez qu'un confeil ,
réparrit-eUe> je puis vous le donner ; mats
iî ce que vous venez 4c me dw 9 ^^ vrai ,
tX (B TT V R E s
]>eut-ètre ne vous (àtisfera-^-il pas. Doutes-*
Vous , repris-îe , de ma fincéricé > Pour vous-
même 9 répondit-elle , je le voudrois ; plus
vos (èntîments feront vrais, plus ils Vous
rendront malheureux. Car enfin , Meilcour ;
vous devez (èntir que je ne puis pas y répon-
dre* Vous êtes jeune , & ce qui , pour beau-
coup d^autres femmes » ne fèroic en vous
qu'une qualité de plus , fera pour moi une
raifon perpétueUe , quand vous m'inrpireriez
le goût le plus vif , de n'y céder jamais. Oa
vous ne m'aimeriez pas aiîez ^ ou vous m'ai-
^neriez trop \ l'un & l'autre fèroient égaler
ment fimeftes pour moi. —
Dans la première de ces fîtuatiqns , j'auiois
à efluyer vos bizaneries , vos caprices , vos
hauteurs, vos infidélités , tous les tourments
enfin qu'un amour malheureux traîne à fâ
fuite j & dans l'autre , je vous verrois vous
livrer trop à votre ardeur , 6c fans ménage-
niient , fans conduite , me perdre par votre
iOmour même. Une paffion efl toujours un
malheur pour une femme : mais pour moi ^
^ fèroit un ridicule , & je ne me confble-
jrois jamais de me l'être attiré. Penfez-vous ,
Madame , répondis-je , que je ne priflè pas
tous les foins Je vous entends, interrom-
pit-elle. Je fais que vous allez me promettre
:toate Iacirconfpe£bion poffîble : je luis même
.certaine que vous vous en croyez capable ;
mais , moins vous êtes accoutumé à aimer ,
moins vous aimeriez d'une façon convena^
tble : jamais vous ne (auriez contraindre > n|
VOS yeux , ni vos difcours j ou par votre con-
trainte xnèmc trop avant pouflee , & jamais
ménagée avec art , vous feriez connoître tout
ceique vous voudriczcacher. Aînfi , Meilcour,
ce que je vous confeiUe , c'cft de ne plus
penler à moi. Je fcns avec douleur que vous
allez me haïr : mais je me flatte que ce ne
fera pas long-temps , & qu'un jour vous me
(aurez gré de ma franchile. Ne voulez-vous
pas refter mon ami ? ajouta-t-^Ue , en me
Cendant la main. Âhl Madame , lui dis-je»
vous me défèipérez : jamais on n'a aimé avec
plus d'ardeur ; il n'eft rien que je ne fiflè
pour vous plaire ^ point d'épreuves auxquelles
je ne me ibumiîïe. Vous ne prévoyez tant
de malheurs , que parce que vous ne m'aimez
pas. Mais non , dit-cUe , n'iallez pas croire
cela s je vous dirai plus , car vous me trou^
verez toujours (incere : vous moins jeune ,
ou moi moins, raifbnnable , je fèns que je
vous aimerois beaucoup ^ msds je dis beau^
coup: auTefte, ne m'en demandez pas da^
vantage. Dans l'état tranquille oà je fuis , je
ne fais ce qu'eft mon coeur y le temps feut
peut en décider , & peut-être après tout qu'il
ne décidera rien. Madame de Lurfay , après
ces paroles , me quitta brufquement ; oc Cç
rapprochant de la compagnie , m'ôta l'efpé-
rance de continuer l'entretien. J'avois fi peu
d'ufàge du monde , que je crus l'avdîr ft^
chée véritablement. Je ne favois pas qu'une
femme fuit rarement uneconverfàtion ahiou-
ycufc avec quelqu'un qu'elle veut engager g
24 Œuvres
& que celle , qui a le plus d'envie de Ccreth*
dît y montre du moins dans le premier en-
tretien quelque forte de yertu. On ne pou-
voir pas réfifter plus mollement qu'elle venoit
de faire ; cependant , je crus que je ne la vain-
crois jamais : je me repentis de lui avoir
parlé , je lui voulus mal de m'y avoir en-
gagé ., je la haïs quelques inftants. Je formai
même le projet de ne lui plus parler de mon
amour » & d'agir avçc elle u froidement »
. qu'elle ne pût plus me foujpçonner d'en avoir.
Pendant que je me failois ces dé&gréables
idées 9 madame de Lur fay (è félidtoit d'avoir
aflèz pris fur elle pour me diflimuler corn"*
bien elle étoit contente : une joie douce écU^
toit dans iès yeux ; tout , à quelqu'un plus
inftruit que moi , lui auroit appris cc^bien
il étoit aimé s mais tous les regards. tendres
au'elle m'adrefibit y (es fouris , me paroifibient
e nouvelles infulrés , & rne confirmoienc
de plus en plus dans ma dernière réfolution.
J'étois toujours refté à la même place ; elle
revint n^'y chercher , & m'excija à parler
fur différents fujets. L'air fombre avec fequçl
je lui répondois , 8c Iç foin que je prenons
d'éviter &s yeux , furent pour elle une aflu-
rance de plus que je ne l'avoir pas trompée ;
. mais quelque chofo qu^elle en pût croire ,
. elle vouloir ét4>lirfonempke y $c tourmenter
mon cœur y ayani: de le rendre heureux.
Toute la foirée fè pafla de fà part avec les
mêmes atjtentions pour moi : elle fombloit
«voir oubUé ce que je ]iui aygi^ die i & cet
air
O E C K i 5 r L L O N , F I L 9. If
air détaché qu'elle affeâoit , me plongeoir
encore dans uii plus violent chagrin. En me
quittant , elle me railla fur ma triftefle ; Se ,
Quoiqu'elle le fit fans aigreur i je m'offcniài
lérieuiement.
Le commencement de cette aventure plaî-
(bit autant à madame de Luriây , qu'il me
cau(bit de peine. En s'attachant à un homme
de mon âge, elle décidoit le fien : miis ce
n'étoit rien pour elle, (ans doute, qu'un
ridicule de plus î & ce ne lui étoit pas peu
de chofè , qu'un amant qui fur-tout n'a voit
encore appancnu à perfonne. Elle n'étoit pas
vieille encore , mais elle fentoit qu'elle alloit
vieillir 4 & pour des femmes dans cette fi-
tuation , il n'eft point de conquêtes à mé-
prifer.
Eh ! quoi de plus flatteur pour elles que
la tendrefle d'un jeune homme , dont les
xranfports leur rendent leurs premiers plai-
iîrs , & juftifient l'eftime qu'elles font encore
de leurs chaimes ? Qui croit que la perlônnc
qui reçoit fes vœux , étoft en effet la /eule
qui pût ne les pas méprifcr , qui ajoute la
reconnoiflance à la paffion , tremble au
moindre caprice , & ne voit pas les défaut»
les plus choquants de figure , & du carac-
Xer" , foit parce qu'il eft privé, de la reifource
de lacomp.uaifbn , (bit parce que (on amour-
propre perdroit à moins eftimcr (a conquête.
Avec un homme déjà formé , une femme,
telle qu cUe pui(ïè être , a toujours moins de
jrelfources : il a plus de delirs que de pa(fion ,
i5 œ U V K E s
plus de coquetterie que de foitiment , plus
de fiiiçHè que de naturel , trop d'expérience
pour être crédule , trop d'occafions de diffî-
pation & d'iiTConftance pour être unique-
ment & vivement attaché : il fait , en un
mot , Tamour avec plus de décence , mais
il aime moins.
Qiielques défauts que madame de Lurfày
trouvât dans la façon d^aimer d'un jeune
homme , il stn falloir beaucoup qu'elle fiic
auflî efîrayée qu'elle me Tavoit dit. Quand
«n eâèt les inconvénients qu'elle craignoic
auroient été réels, file ne m'en auroit pas
moins aimé y ôc Ci j'avois eu afièz d'adrefle
pour lui faire craindre mon changement , il
ïi'eft pas douteux que (on refpcâ: excelTîf
pour les bienféanccs n'eût cédé, à la crainte
qu'elle auroit eue de me perdre.
Ce n'efl pis , du moins j'ai eu lieu de le
croire, qu'elle voulût retarder long -temps
l'aveu de ù. foibleflè ; huit jours pour cet
article feulement fuffifoient à là vertu , d'au-
tant plus qu'elle étoit perfiiadée que mon
peu d'expérience ne me laifleroit profiter de
lès bontés que quand elle le jugeroit à propos,
famour qu'elle avoir pour moi , l'engagec^t
à ce manège ; elle vouloir , s'il étoit pollî-
ble y que ma tendreflè pour elle ne fût pas
une affaire de peu de jours , & moins aimé ,
î'aurois trouvé moins de réliflance. Son cœur
étoit alors tendre & délicat. : félon ce que
4ans la fuite j'en ai appris , il ne l'avoir pas
toujours été 5 & , faios être- priiè pour mai
DECRÉBItiON, FTLS. Ij
d «ne ardeur bien fincere , il ne me pnroî-
rroit pas furprenant qu'elle eût changé de
fyftême.
Une femme , quand elle cft jeune , eft
plus iènjGble au plaitîr d'in(pirer des paffions ^
qu'à celui d'en prendre : ce qu'elle appelle
lendrefle , n'eft le plus fou vent qu'un goûc
vif, qui la détermine plus promptcmcnt que
lamour niême , l'amule pendant quelque
temps , & s'éteint fans qu'elle le fente où
îe regrette : le mérite de s'attacher un amant >
pour toujours , ne vaut pas à (es yeux celui
d'en enchaîner pluHeurs : plutôt fufpenduç
que fixée , toujours livrée au caprice , elle
ionge moins à l'objet qui la poflede , qu'à
celui qu'elle voudroit qui h pofledât \ .elle
attend toujours le plaifir , Se n'en donne ja-
mais i elle fe donne un amant, moins parce
qu'elle fe trouve aimable , que pour prouv^.r
qu'elle Teft ; fouvent elle ne connoît pns
triieux celui qu'elle quitte , que celui qui li :î
fuccede ; peut-être II elle avoir pu le garder
plus long-temps, l'auroit-elleaimé; maiseft-
ce ià faute (i elle cft infidelle ? Une jolie
femme dépend bien moins d'elle-même ;
que des circonftances ; & par malheur il s'en
-trouve tant , de {i peu prévues , de li preC-
fantes > qu'il n'y a point à s'étonner fî ,
après pluueurs aventures, elle n'a connu nî
l'amour , ni fon cœur.
Eft-ellc parvenue à cet âge où fo cfcirmes
commencent à décroître , où les hoitimes
indifférents poux elle lui annoncent paj; lev^c
B 1
1% CE U V R E ^ .
froideur que bientôt ils ne la verront qu'avec
dégoût , elle fonge à prévenir li (blitude qui
Tattend. Sûre autrefois qu*en changeant
d'amants , elle ne changeoit qu? de plaifirs ;
trop heureufe alors de confèrver le feul qu'elle
poflede \ Ge que lui a coûté (à conquête , la
lui rend précieufc. Gonflante par la perte
qu'elle feroit à ne l'être pas , (on cœur peu à
peu s'accoutume au (èntiment. Forcée par la
bienféance d'éviter tout ce qui aidoit à la
dilTîper , & à la corrompre , elle a befbin ,
pour ne pas tomber dans la langueur de (è
livrer toute entière à l'amour , qui , n'étant
dans fa vie paflTéc qu'une occupation mo-
mentanée & confondue avec mille autres ,
devient alors (on unique reflburce : elle s'y
attache avec foreur ; & ce qu'on croit la
dernière fiuitailîe d'une femme , cft bien fou-
vent fa première palTîon.
Telles étoient les difpofîtiôns de madame
de Lurfày , lor (qu'elle forma le deflcin de
m'attacher à elle. Depuis fon veuvage & fa
réforme , le public qui , pour n'être pas
toujours bien inftruit, n'en parle pas moins ^
lui avoit donné des amants que peut-être
elle n*avoit pis eu : ma conquête flattoic
fon orgueil; &il luip^rutraifonnable, puif-
que (a fàgelle ne k fmvôît de rien , de fè
dédommager , par le phifîr , de lamauvaiie
opinion qu'on avoir, d'elle.
Tout ce que j'avôîs fait dans cette journée
me foumiflbit des (ujets de réflexion ix>ur
ma nuit > je l'employai prefque toute entière^
DÉCrÉBILLONjFTLS, 19
tantôt à rêver aux moyens de rendre madame
de Lurfày fènfible , tantôt à m'encounger
a ne plus pen(èr à elle : (ans doute , elle fè
fit des idées plus gaîçs. Elle compcoit me
voir tendre, (bumis, emprefle, cherchera
vaincre fà rigueur , il ccoit naturel qu'elle
sy attendît 5 mais elle avoit à faire à quel-
qu'un qui ne connoilïbit pas les ufàges.
J'allai cependant- chez elle le lendemain ,
mais tard , & à Theure où je (àvois qu'elle
n'y feroit pas , ou que j'y trouverois ocau-
coup de monde. Elle avoit apparemment
compte plutôt fur ma préfence , & elle mtf
reçut d'un air froid & piqué : loin que j'en,
pénétraflè la caufè > je l'attribuai à ion in-^
différence pour moi. *
J'avois changé de couleur en la voyant;^
mais toujours réfblu à lui cacher Tctat de^
mon cœur , je me remis aflez fîicilement ,
& pris un air moins embarrafle : j'eus même
affez de pouvoir fur moi , pour lui parler
fans ce trouble qui agite près de ce qu on
aime ; mais quelque froideur que je tâchafle
d'afïèiter , elle n'en fut pas long-temps la
dupe ; & pour s'éclaircir , elle n'eut befbin
que de me regarder fixement. Je ne pus (up-
porter (es yeux ; ce feul regard lui développa
tout mon cœur. Elle me propofà de jouer ,
& pendant qu'on arrangeoit les cartes : yous
êtes , me dit-elle en louriant , un amant
fingulier , & fi vous voulez que je juge de
votre amour par vos emprelfements , vous
ne prétendez pas fans doute que j'en prenne
f O (E U V R E s
Donne opinion. L*unique de tous mes vixttxi
repris- je , ftroit que vous cruffiez que je vous
aime ; & ce n'cft pas vous en donner une
mauvaifè preuve , de m'of&ir à vos yeux le
plus tard qu'il m*eft poflîble» Cette politique
cft fingaliere , reprit-elle j & fi quelquefois
VOUS' péchez un peu par le jugement , on
peut dire que l'imagination vous en dédom«-
mage*' Mais qu'avez- vous donc ? Pourquoi
cet air froid aont vous m^'accablez ? Savez-
vous bien que votre tacimmité me fait peur ?
Mais , à propos , m'aimez -vous toujours
bien ? Je cjrois que non. Ce pauvre Meilcour l
N'allez pas au moins changer pour moi :
vous me mettriez au défèipoir^ Je peniè ^ k
lamine que vous me faites, que vousn'en
crtjyez rien : nous devrions cependant être
aflez joliment enfemblc. En cft^ce aflèz ,
Madame , répondis - je 5 & devriez - vous
atjoutèi > à la façon dont vous recevez lûès
foins 3 des diicours qui me tuent ? Oui , rè-
prit-elle, en me regardant le plus tendre-
fnent du monde, oui, Meilcour, vous avez
iiîCon de vous plaindre ; je ne vous traite
pas bien ; mais , ce refte de fierté doit-il .vou5
déplaire ? Ne voyez -vous pas combien il
m'en coûte pour le prendre î Ah ! fi je m'en
croyois , combien ne vous dirois-je pas que
je vous aiiiie 1 Que je fiiis fâchée de n^avoir
pàs fil plutôt que vous vouliez qu'on vous
prévînt 1 Au hafàrd de tout ce qui auroit pu
en arriver , vous ne m'auriez point parlé le
premier j vous n'auriez fait que me répondre.
. r»«CRiBÎLI.0K,fTt5. ^l'
J'ai , depuis , (enti toutç l'adrcfle de
madame de Luriày, & le plaifir gue lui
donnoit mon ignorance : tous ces diurours ^
qu'elle n'auroit pu tenir à un autre , lans
qu'ils euflent tiré pour elle à une extrême
confequénce ; ces aveux qu'elle failbit de fcs
vrais fentiments , loin de les comprendre »
me jetterent dans le plus cruel embarras. Je
ne lui répondis rien , & fur qu'elle me faî-»
(bit la plus (ànglante des railleries , je ne m'en
déterminai que plus à rompre d'aufli cruelles
chaînes. En vérité , continua-t-elle , en voyant
mon air fombre , fi vous refufez plus long-
temps de me croire , je ne vous réponds pas
que ]c ne vous dorure demain un rendez-
vous : n'eu feriez-vous pas bien embarraflc ?
Au nom de vous-même , Madame , lui di$^
je , épargnez-moi : l'état où vous me mettez ,
eft affreux,.. • Je ne vous dirai donc plus que
je vous aime , interrompit -.elle: vous me
privez-là cependant d'un grand plaifir.
Je me tins trop heureux que le monde
qui étoir dans l'appartement , l'empêchâr de
pouflèr plus loin cette converiatioil. Nous
nous mîmes au jeu.
Pendant toute la partie^ madame de
' Lurfay , plus fèjifible qu'elle ne le croyoit
fans doute , emportée par fon amour ^ m'en
donna toutes les marques les plus fortes. Il
fèmbloit que fa prudence l'abandonnât , qu'il
n'y eût plus rien pour elle que le plaifir de
m'aimer & de me le dire , & qu'elle prévît
combien , pour m'attacher à elle , l'avcûs
B4
j;i CE u V K E S
befbîn d*étre rafluré : mais tout ce qu'elle
fàifbit, n^étoitrien poyrmoi, & elle nepou-
voit pas eEcore fe réfbudre à m'avouer fé-
rîeukment qu'elle répondoic à mes defirs.
Peu (ure même dans fes démarches ', c'étoit
un inêlange perpétuel de tendreflè & de fe-
vérité. Elle paroiflbit ne céder, que pour
Vopiniâtrt r à combattre.Sielle croyoit m*avoir
«îifpofé par fts difcours à quelque forte d*eC.
pérarxe , attentive à me la faire perdre , elle
reprenoit fur le chanip cet air qui m'avoir
fsLX trembler tant dé fois, & m'ôtoit par-là
jufqu'à la trifte reflburce de l'incertitude.
Toute la ibirée (e pafla dans ce manège,
& comme fon dernier caprice ne me fut pas
làvorable , je me retirai chez moi , perfuadé
que j'érois haï, & préparé à me chercher un
autre engagement. J'employai presque toute
la nuit à repafler dans^mon efprit les femmes
auxquelles je pouvois m'attacher : ce foin me
fut inutile , & je trouvai , après la plusexaâre
recherche , qu'aucune ne me plaifoit autant
que madame de Lurfày. Moins j'avoisd'ufage
de l'amour , plus je m'en croyois pénétré y
& je me regardois comme deftiné au rigou-
reux tourment d'aimer fans efpoir déplaire ,
ni de pouvoir jamais changer. A force de me
perfuader que j'étois l'homme du monde le
plus amoureux , je fentois tous les mouve-
ments d'une paflîon , avec autant de vio-
lence , que Cl en effet jeleséprouvois. Toutes
les réfolutions que j avois fermées de ne plus
voir madame de Lurfay , s'étoient évanouies >
j
©^ C R BB I LLON , PI t s. 55
& avôient fait place au retour le plus vif. De
quoi puîs-je me plaindre , dilbis-jc à moi-
même ? Ses rigueurs ont-elles droit de me
iîirprendre ? M'étois-je attendu à me trouver
aimé , Se n'eft-ce point à mes Ibins à me
procurer cet avantage ? Quel bonheur pour
moi , fi je puis un jour la rendre (èniible !
Plus elle m'oppofè d'obftacles , plus ma
gloire fera grande. Un cœur , du prix dont
eft le fien , peut-il trop s'achetet ? Je finis
par cette idée, & je la trouvai le lendemain.
H fèmbloit qu'elle fe fut accrue par les illu-
fions de la nuit.
J'allai chez madame de Lurfây le plutôt
qu"*!! me fut polTîble l'après - diner , & dé-
terminé à lui jurer que je l'adorois , & à
me fbumettre à ce qu'il lui plairoit d'ordon-"
ner de mon fon. Malheureufemcnt pour
elle y je ne la trouvai pas : mon chagrin fut
extrême j & , ne fâchant que devenir , j'allai ,
en attendant l'heure de Popéra , faire quel-
ques vifites , où je portai tout reiinui qui
m^accabloir.
J'étois de fi mauvaise humeur en arrivant
a l'opéra , où d'ailleurs je trouvai allez peu
de monde , que , pour n'être pas diftrait de
la rêverie dans laquelle j*étois plongé, je me
fis ouvrir une loge , plutôt que de me mettte
dens les balcons çù je n'auroispâsété tran-
quille. J'attendois (ans impatience & (ans
defirs que le fpeftade commençât. Tout
entier à madame de Lurfày , je ne m'occu-
pois que du chagrin d'être privé de fa yré-
54 (E ir V K I s
lerice 5 lorsqu'une loge s^ouyrit à côté de ht
mienne. Curieux de voir les perfbnnes qui
Talloient occuper , j'y portai mes regards >
& Tobjet qui s'y offrit les fixa. Qu'on Ce
figure tout ce que la beauté la plus régulière
a de plus noble , tout ce que les grâces ont
de plus fêduifànt 5 en un mot > tout ce que
la jeunelTè peut répandre de fraîcheur 6c
d'éclat , à peine pourra-t-on fè" (aire une idée
de la perionne que Je voudrois dépeinâre.
Je ne làis quel mouvement fîngulier & fubit
m'agita à cette vue ; frappé de tant de beau-
tés, je demeurai comme anéanti. Ma fîir-
prife allôit jufques au tranfport. Je lentit
dans mon cœurundefordre qui (è répandît
fur tous mes (èns : loin qu'il fc calmât , il
xedoubloit par l'examen (ecret que je faifbis
de fès charmes. Elle étoit mi(c fimplemcnt ,,
mais avec noblefle. Elle n'avoit pas en effet
befbin de parure^ en étoit-il de fî brillante
qu'elle ne l'eût embellie ? Sa phyfionomie
étoit douce & réfervée 5 le (èntim^ent & l'elprit
paroifibient briller dans fès yeux. Cette per-
lonne me parut extrêmement jeune 5 & je
crus , à la fiirprife des (peiStateurs , qu'elle
ne paroiflbit en public que de ce jour-là r
j'en eus involontairement un mouvement de
Jbie , & j'aurois fbuhaité qu'elle n'eût jamais
été connue que de moi. Deux dames , miles
<îu plus grand air, étoient avec elle 5 nou-
velle (urpriic pour moi de ne lespasconnoître >
mais elle m'arrêta peu. Uniquement occupé
de ma belle incoiinue 3, je ne cefibis. de hn
regarder , que quand par hafard elle jetoic
fes yeux fur quelqu'un. Les miens (e por-
toient auffi-tôt fur l'objet qu^elle avoir paru
vouloir chercher : fi elle s'y arrêtoit un peu
de temps, &que ce fut un jeune homme ^
je croyois qu'un amant feul pouvoit la rendre
fî attentive. Sans pénétrer le motif qui me
failbit agir , je conduifbis , j'interpretois fes
regards ; je cherchois à lire dans (ts moindres
mouvements. Tant d'opiniâtreté à ne la pas
perdre de vue , me fit enfin remarquer d'elle ;
elle me regarda à (on tour ; je la fixois fans
le {avoir ; & , dans le charme qui m'entraî-
noit malgré moi-même , je ne fiis ce que
mes yeux lui dirent , mais elle détourna les
fiens en rougiffîmt un peu. Qiielque tranf-
porté que je fufle, je craignois de lui pa-
roître trop hardi , & , (ans croire encore qut:
j'cufle formé le deffcin de lui pUire , j'aimai
mieux me contraindre que de lui donner
mauyaife opinion de moi. Il y avoir une
heure au moins que je l'admirois, lorfqu'un
de mes amfffenrra dans ma loge. Les idées
qui m'occupoicnt , m'éroient déjà lî chères >
que ce fur avec douleur que je ientis qu'elles
alloient être diftraites ; & je doute que j'eitflè
répondu à mon ami , fi ma belle inconnue
n'eût fait d'abord le fujet de la couverCition.
Il ignoroit comme moi qui elîe éroit : nous
formâmes enfèmble plufieurs conjeélures ,
dont aucune ne nous éckircir, Céccrit ua
de ces étourdis brillants , f imiiîers avec in-
ibknce , il vantoit fi haut les charmes de
B 6
ij(J (E IT V R E s
inconnue , & la regardoit avec fi peu cîc
ménagement & tant de fatuité, que j'en
rougis pour lui , & pour moi. Sans avoir
démêlé mes fentiments , fans imaginer que
j*eufle de l'amour , je ne voulois pas dé-
plaire ; je craignis que le dégoût , que Tin-
connue pourroit prendre de ce jeune homme ,
ne me fît aulTî tort dans (on efprit; & qu'en
ane voyant lié avec lui , elle ne me crût les
mêmes ridicules. Je Teftimois déjà unt ,
que je ne pouvois , fans une peine extrême ,
imaginer quelle pouvoir penfcr de moi,
comme de lui *, & je m'efforçai de mettre
entre nous deux la converfation iur des
chofes où l'inconnue ne fut pas intéreffée.
J a vois naturellement Tefprit badin , & poné
à manier agréablement ces petits riens qui
font briller dans le monde. L'envie que j'avois
qîie mon inconnue uc perdît rien de tout ce
qui pourroit me faire valoir , me donna plus
d'élégance dans mes expreffions ; je n^en eus
peut-être pas plus d'eiprit. Je reiriarquai ,
cependant , qu'elle étoit plus gHichée à ce
que je difbis , qu'elle ne Tétoit au fpedlacle s
Quelquefois même , je la vis fourire.
L'opéra étoit près de finir , lorfque le
marquis de Germeuil , jeune homme d'une
figure extrêmement aimable & fon eftimé ,
vint dans la loge de mon inconnue. Nous
étions amis , mais je ne fais quel mouvement
à (à vue s'éleva dans mon ame. L'inconnue
le reçut avec cette politefle libre , que l'on a
pour les gens que Ton connoît beaucoup^
© E C R É B T 1 1. O W , r 1 1 5. f7
& à qui Ton veut marquer de reftîmc.
Nous nous iaiuâmes fans nous parier ; & ,
quelque dcfir que j'euflè de connoître cet
objet qui prenoit déjà tant fur mon cœur ,
periuadé que Germeuil pourroit fatisfàire ma
curiofité là-deflus , j'aimai mieux remporter
ce defir , quelque tourmentant qu'il fût pour
moi , que de m'en ouvrir à un homme qui
caufbit déjà toute ma jalouiie. Mon inconnue
lui parloir , & , quoiqu'ils ne s'cntretinflent
que de l'opéra , il me fèmbla qu'il lui par-
loit avec tendrefle , & qu'elle lui répondoit
de même. Je crus même avoir furpris encre
eux des regards ^ j'en reflèntis une peine
mortelle : elk me parbiflbit fi digne d'être
aimée , que je ne pouvois penfer que Ger-
meuil, ni qui que ce fut au monde , pût
la voir avec indifférence ; & lui-même me
iêmbloit fi redoutable , que je ne pouvois
me flatter qu'il l'eut attaquée fans fuccès.
Le peu d'attention qu'elle fit à moi , après
l'arvoir vu, me confirma dans Tidée où j'étois
qu'ils S^aimoient5 &, ne pouvant fupporter
davantage le tourment qu'elle me caufbit ,
je foriis brufquement. Malgré mon dépit ,
je n'allai pas loin j le defir de la revoir , &
l'efpérance de m'éclaircir par moi-même de
fon rang , me retinrent fur l'efcalier. Un
inftant après , ellepaffi.Germeuillui donnoit
Il main : je les fuivis ; un carrofïe fans armes
(è préfènta 5 Germeuil y monta avec elle :
je vis des domefliqucjS fans livrée ,^ & rien
de tout cet équipage ne m'inftraiilt de ce
4
jS Œ Û V K E S
que îe voulois favoir. Il feUoît donc atteir-
drç du Hafard le bonheur de la revoir encore.
La feule chofè qui me confblât, c'étoîc
qu^une beauté fî parfaite ne pourroit être
lông-temp ignorée. J'aurois pu , à la vérité ,
en allant voir Germeuil le lendemain , me
tirer de cette inquiétude 5 mais auflî com-
ment lui expofer le fujet d'upe curiofité fî
forte > quels motifs lui en donner ? Malgré
tous les^ déguifements que j'aurois pu em-
ployer , ne devois-je pas craindre qu'il n'en
découvrît la fource? Et s'il étoit vrai , comnie
je le foupçonnois , qu'il aimât l'inconnue y
pourquoi l'avertir de fe précautionner contre
mes fentiments? Plein de trouble , je retour-
nai chez moi , d'autant- plus perfuadé que
j'étois vivement amoureux , que cette paf-
fion naifïbit dans mon cœur par un de ces
coups de furprife qui caratSbérifent dans les
romans les grandes aventures.
Loin de combattre ce premier mouve-
ment , ce fut une raifon de plus pour m'y
kifler entraîner, que de commencer par
quelque chofe d'extraordinaire.
Au milieu de ce défcTrdre, que je me
plaifbis à augmenter , madame de Lur&y-
me revint dans Tefprit y mais défagréable-
ment , & comme un obict dont le fouvenir
inême m'embarraflbit. Ce n'étojt pas que je
ne lui trouvafTe encore dès charmes : mais je
lès mettois dans mon imagii^itîon fort aa
deflous de ceux de mon inconnue ] & j6
réfolus plus que jamais de lie lui plus parler
DîCrÉBÏIIONjFIIS. ^f
de mon amour, & de me livrer tout entier
au nouveau goût qui me dominoît. Je (uîs
trop heureux , me difois-je , qu'elle ne m'ait
pas aimé ; que ferois-je à préfent de fa tcn-
dreflè ? Il auroit donc fallu la tromper , en-
tendre (es reproches, la voir tçaverfèr ma
paiGon : mais, d'un autre côté, reprenois-
je , fuis-je aimé de l'objet qui va mç rendre
infidèle ? je ne le connoispas; peut-être ne
le verrai-je plus. Germeuil eft amoureux ,
& fi moi-même je fuis forcé de le trouver
aimable, que ne doit-elle pas fentir pour
lui'? Eft-il fait pour m'être (acrifîé ? Ces ré-
flexions me ramenoient à madame de Lur-
(ay : une affaire commencée , la liberté de
la voir, un refte de goût que j'avois pour
elle , & l'efpérance de réumr , étoient au-
tant de 'taiions pour ne h point quitter j.
mais , ces raifbns étoient foibles contre ma
nouvelle paffion. Je craignois , en arrivant
chez ma mère , d*y trouver madame jie
Lurfay : je redourois fa vue, autant que dans:
le jour même je l'avois fouhaitée. La joie-
que j'eus de ne k point voir , ne fut pas
longue y elle arriva un inftant après moi. Sa
préïence me troubla. Quelque pré\'enu que*
je fufïè alors contre elle , quelque réfolutio»
que j'eufïè prife de ne la plus aimer, je (êntis
qu'elle avoit encore plus de droits fur mon
cœur que je ne le croyois moi-même. Mon
inconnue m'occupoît d^une façon plus flat-
teuie ; je la trouvois plus belle : ce qu'elles
m'infj^iioiem toutes deux 3 écoiem dineieut ^
In
40 œ U V R E s
mais , enfin , j'étois partagé ; & fi maclame
de Lurjfày l'eût voulu, dans ce moment
même elle auroît remporté la viâ:oire. Je
ne fais ce qui lui avoir donné de l'humeur ;
mais elle reçut , avec une hauteur ridicule ,
un compLment fort fimpleque je lui fis.
Dans la difpofition où j'étois , elle me cho-
qua plus qu'elle n'auroit fiiit dans un autre
temps ; & , qui pis eft, contre l'intention de
madame de Luriay fans doute, ne me donna
point à rêver. Son caprice dura toute la foi-
rée , & s'augmenta peut-être par le peu de
foins que je lui rendis. Nous nous f?parâ-
mes également mécontents l'un de l'autre.
Je ne la cherchai , ni ne la vis le lendemain :
j'^tois piqué de (es façons de la veille, & fà
préfcnce me fut d'autant moins- néceflaîre ,
que j'avois dans le cœur un fujet de diftrac-
tion. Toute ma journée fe pafla à chercher
mon inconnue, (peftacles, promenades, je
viûtzi tout , & je ne trouvai en aucun lieu ,
ni elle , ni Germeuil , à qui je voulois enfin
demander qui elle étoit. Je continuai cette
inutile recherche deux jours de fuite j mon
inconnue ne m'en occupoit que plus. Je me
j< traçois fans cefle fes charmes avec une vo-
lupté que je n'avois encore jamais éprouvée.
Je ne doutois pas qu'elle ne fut d'une naif-
lance qui ne feroit point honte à la mienne i
&, pour former cette idée, je m'enrappor-
tois moins à fà beauté , qu'à cet air de no-
^€^ & d'éducation qui diflingue toujours
les femmes d'un certain ràng^ même dans
l>EC»iBIlION,TriS, 41
îcurs travers. Mais^ aimer fans lavoir qui,
me ièmbloît un fiipplice infupportable.
D'ailleurs , quel retour efj)ércr de mes fcn-
timents, fi je ne me mettois pas à portée
d'en mftruire celle qui les avoir fait naître ?
Je ne voyois point de difficulté à la voir,
& à lui parler , quand une fois je la connoî-
trois. J'étois d^un rang qui m'ouvroît une
entrée par-tout j & fî l'inconnue étoit telle
que mes voeux ne pufïcnt Thonorer, j'étois
fur du moins qu'ils ne pouvoient jamais lui
&ife honte. Cette penfée me donnoit de
Taudace ^ & m'afFermifïbit dans mon amour j
îl eût peut-être été plus prudent de le com-
battre , mais il m'étoit plus doux de le
flatter.
Il y avoît trois jours que je n'avoîs vu
niadame de Lurfay : j'avois fupponé cène
abfènce aifément j non que quelquefois je
ne defîrafle de la voir , mais c'étoit un deur-
paflTagçrqui s'éteignoit prefque dans l'inftant
même qu'il naifibit. Ge n'étoit pas un fènti-
ment d'amour, dont je ne fuilè point maî-
tre ; & comme depuis mon inconnue , je la
voyois fans phifîr, je la perdois aullî fans
'^gret. J'avois cependant pour elle ce goût
^^e l'on nomme amour , que les hommes
fpnt valoir pour tel, & que les femmes-
prennent fur le même pied. Je-n aurois pas
^té fâché de la trouver lenfible ; mais je ne
voulois plus que ce retour , qu elle auroit
pour moi , tînt de la palEon , ni qu'il en
exigeât. Sa conquête , à laqudle U y a voit
41 ffî U V R Ë 5
fi peu de temps ^ j'attachois mon bonKetlf 5
ne me paroiflbit plus digne de me fixer.
J'aurois voulu d'elle enfin ce commerce
commode qu'on lie avec une coquette, a;flez
vif pour amufer quelques jours , & qui fè
rompt auflî facilement qu'il s'eft formé.
Cétoit ce que je ne croyois point devoir
attendre de madame de Lurfày , qui, plato-
nicienne dans fes raifonnements , répétbit
fans ccfle, que les fèns n'entroienc jamais
pour rien en amour , lorfqu'il s'emparoit
d'une perfbnne bien née : que les défordres
dans lefquels tomboienc tous les jours ceux
qui étoient atteints de cette paflîon , étoiehr
moins caufés par elle , que par le dérègle-
ment de leur cœur ; qu'elle pouvoit être une
foiblefTe , mais que dans une ame verrueufè
eilc ne devenoit jamais un vice. Elle avouoic
cependant qu'il y avoit pour la femme, la
plus ferme fur fes principes , d'aflèz dange-
reufes occaiions -, mais, que lî elle fe trou-
voit obligée d'y céder, il falloir que ce fut
api^ès des combats (î violents ôc iî longs ,
S 'elle put toujours , en fbngeant à ia dé-
ce , avoir de quoi fe la moins reprocher.
Madame de Lurlày pouvoit avoir raifbn :
mais les platoniciennes ne font pas conf<^*
quentes ; & j'ai remarqué que les femmes
les plus aifées à vaincre font celles qui s^en-
gagent avec la folle cfpérance de n'être ja-
mais féduîtes, fbit, parce qu'en effet elles
font auflî foibles que les autres , foit parce
que, n'ayant pas auez prévu le danger, elles
le trouvent Qu:ïs fecours contre lui quand il
arrive.
J'étois trop jeune pour fehtir combien ce
lyftême était abfurde, & pour fàvoir com-
bien il ctoit peu fuivi par celles mêmes qui
le foutenoient avec le plus d'ardeur'; & ne.
connoiflàiît pas la ditference qu'il y a entre
ttne femme verrueufè & une prude , il n'ctoit
point étomiant que je n'attendiflè pas de ma-
dame de Lurfay plus de facilité qu'elle ne fe
difbit capable d'en avoir.
Encore attaché à elle par le defir , tout
ïcmpli que j'étois d'une nouvelle paffion ,
ou 3 pour mieux dire , amoureux pour la
première fois, le peu d'efpoir de réuflîr au-
près de mon inconnue m'cmpêchoit de fon-
ger à perdre totalement madame de Lur(ày.
Je cherchois en moi-même comment je
pourrois acquérir l'une , & me conferver
l'autre ; cette vertu rigide de la dernière me
défefpéroit : & , ne croyant pas , après avoir
beaucoup rêvé , pouvoir l'amener jamais au
but que je me propofbis, je me fixai enfin à
1 objet qui me plaifoitle plus.
• Il y avoit , comme je l^ai dit , trois jours
que jen'avois vu madame de Ltufay, & que
je m'étois afïcz peu ennuyé de fon abfèixre*
Elle avoit toiuours efpéré qu'elle me rever-
lôit ; mais, mre enfin que je l'évitois, elle
commença à craindre de me perdre , & fè
détermina à me foire effuyer moins de ri-
gueurs. Sur le peu que je lui avois dit^
elle avoit cru ma palfîon décidée : cepen-.
àmt , îe n'en parlois plus ; quel pirtî pfên*
dre î Le plus décent éto^t d'attendre qde
Tamour^ qui ne peut long-temps Ce con-
traindre , fur -tout dans un cceur auflîî
neuf que l'étoit le mien , me forçât encore
à rompre le filence ; ce n'étoit pas le plus
lut. Il ne lui vint pas dans l'efprit que f eufle
renoncé à elle : elle penfa (èulement, que
certain de n'être jamais aimé , je combittoià
un amour qui me rendoit malheureux. Quoi-
que cette difpolition ne lui parut pas défà-
vantageufe , il pouvoît cependant être dan-
gereux de m'y laiflTer plus long-temps. On
pouvoit m'otfrir ailleurs un dédommagement
que le dépit me feroit peut-être accepter j
mais comment me ^ire comprendre (on
amour , fans bleflcr cette décence à laquelle
elle étoit fi fcrupuleufement attachée ? Elle
avoit éprouvé que les difcours équivoques
ne prenoient pas fur moi , & elle ne pouvoit
fe réfoudre , après l'idée qu'elle m'avoit
donnée d'elle , à me parler d'une façon qui
ne me lailïât plus aucun doute. Indéterminée'
fur ce qu'elle avoir à faire , elle vint chez
madame de Meilcour. Je n'étois pas encore
rentré; & quand, à mon arrivée, on me
dit qu'elle y étoit , il s'en fallut peu que je
ne m'en retournafle : cependant la réflexion
me fit fentir que ce procédé feroit trop dé-
fbbligeant pour madame de Lurfay,& qu'elle
pourroit d'ailleurs attribuer ma fuite , & la
crainte que je marquerois de la voir , à un
fciitiment dont je ne voulois plus qu'elle me
DE Ckébilxon, fils. 4f
iôupçonnât. J'entrai donc. Je la trouvai qui ,
au milieu de beaucoup de monde, paroiflbit
rêver profondément : je la fàluai fans froi-
deur, & (ans embirras. J'avois cependant
dans les yeux une impreflîon de chagrin qui
provenoit de ce que j'avois encore ce jour là
cherché inutilement mon inconnue. Je fus
quelque temps auprès de madame de Lurfay,
lans lui dire rien que dçs choies générales ôc
rebattues. Elle me demanda où j'avois été ,
me fit , d'un air froid, mille qucftions diffé-
rentes , & tant qu'elle fè trouva en cercle ,
elle ne parut avoir ni deflein , ni empreflc-
^ent die m'ençretenir. Cette foule qui Tob-
fédoit > enfin fc diflîpa j mais , gênée encore
par la préfènce de madame de Meilcour, &
de quelques perfqnnes qui étoient reftécs ,
& ne pouvant réfifter davantage à l'envie
d'avoir avec moi une converfation particu--
liere. A propos, Monfieur, me dit - elle ,
d'un air fort férieux , j'ai à vous parler, fui-
vez-moi : elle paâà à ces mots dans une autre
chambre.
Ce procédé qui , avec un autre que moi,
auroit paru ifrégulier , ne concluoit rien en-
tre nous deux j ocelle s'en feroit permis
l>eaucoup davantage, que) de la façon dont
elle étoit avec moi , on n'en auroit tiré au-
cune indu6lion contre elle. Je la fuivis, fort
cmbarraflë de ce qu elle pouvoir avoir à me
dire , & plus encore de ce que je lui répon-
drois. Elle me regardpit avec des yeux lève-
fç$i enfin, aprèç m'avoir long -temps fix4 ;
i
46 Œuvres
vous trouverez peut-être fingulîer. Mon-
fieur, me dit-elle, que je vous demande
une explication. A moi. Madame ! m'écriai-
je: oui, Monfieur, répliqua-t-felle, à vous-
même. Depuis quelques jours, vous avez
avec moi des procédés peu convenables.
Poux vous trouver innocent, j'ai eu la com-
plaifance de me chercher des crimes ; je ne
m'en découvre pas : apprenez-moi ce que
vous avez à me reprocher ; juftifi«&-vous ,
s'il eft poifible', fur le peu d'égards que vous
avez pour moi. Madame, lui dis-je, vous
me furprenez, je croyois ne vous avoir ja-
mais manqué : & je lerois au défefpoir que
vous eufliez à m'impttter rien qui pût blefler
ie refpeâ que j'ai toujours eu pour vous ,
& l'amitié que vous m'avez permis de vous
vouer. Voilà de grands termes , reprit-elle :
fi je n'exigeois de vous que des mots j'aurois
lieu d'être contente ; mais , vous n'êtes pas
de bonne foi, & depuis quatre jours vous
êtes changé pour moi plus que vous ne dites.
Vous faites mieux de désavouer vos procé-
dés , que d'entreprendre de les juftiner : je
veux cependant que vous m'éclairciflîez fur
ce que je vous demanda. Eft-ce un caprice
qui vous fait renoncer à mon amitié ? Croyez-
vous avoir fiijet de vous plaindre de moi ?
Vous voyçz que je n'abufe pas de la diftancc
que l'âge met entre nous deux ; mais , \tout
jeune que vous êtes , je vous ai cm de la Qy-
îidité, & je traite avec vous , moins comme
f e le devrôis avec un jeune homme , que
• DE CRÉBftLON, FILS. 47
comme avec un ami fur lequel j'ai cru de-
voir compter 5 Se que je voudrois confervcr.
Je {buhaite que vous fentiez le prix de cette
confiance. Apprenez-moi, enfin, de quelle
façon je dois me coiiduire avec vous j & fur-
tout dites -moi pourquoi depuis quelques
jours vous me fiiyez , ou pourquoi , quand
nous^îous trouvons enfèmble, vous femblez
ne me voir qu'à regret ? Comment voulez-
vous. Madame, repris-je, que je conviemic
de torts que je ne me connois pas ? Si j'ai
pam vous éviter , vous {avez de refte quelle
en eft la raifbn. Si, quand je vous ai vue ,
j'ai moins ofë qu'auparavant vous parler fur
le ton que j'avois pris avec vous , c'eft qu'il
m'a fèmblé que vous ne m'entendiez pas
avec plaifir. Sans doute , reprit-elle ; mais ,
en oubliant ce nouveau ton que vous voyiez
qui ne me plaifoit pas , pourquoi n'avoir pas
repris le premier fur lequel je vous ai toujours
répondu ? Vous m'avez fâchée, il eft vrai , &
plus pour vous-même que pour moi , quand
je vous ai vu vous mettre dans le cas de me
dire des chofes qui ne devroicnt que me
déplaire. Je vous en ai même voulu mal.
Je vois à préfent , Madame , interrompis*
je, pourquoi je me fuis attiré votre colère ^
mais je ne me fèrois jamais imaginé que vous
m euffiez fait un crime fi grave de ce que je
vous ai dit. Il ne doit pas vous être nouveaa
de paroître belle : je ne crois pas être le pre-
mier fur qui vous ayez feit une vive imprcC-
fipn 5 ôç vous auriez; dû me pardonacr le«
4? Œ u V R i: f
jifcours que je vous ai tenus , pour l'hâta-
tude où vous devez être de les entendre.
Eh ! non , Monileur , reprit- elle : ce n'eft plus
de vos difcours que je me plains. Il m*a iuflS
d'y répondre , comme par toutes fones de
jraifbns je le devois ; & il n'a tenu qu'à vous
de remarquer que depuis j'en ai ri même
avec vous, il m'importoit peu que vous me
diifîez que vous m'aimiez » & le danger
n'étoit pas fi prelïànt pour mon cœur que
je dufle en cette occafion m'armer d'une
grande févérlté. U k peut que, (ans avoir
un deflèin déterminé de me plaire, (ans que
moi-même je vous plufle , yous ayez voulu
me Elire croire que vous m'aimiez. Souvent
pn le dit à une femme , parce que (ans cela
on jie (auroit que lui dire, qu'on eft bien
laile d'eflayer (on cœur , que l'on croit flatter
/on orgueil , ou que l'on veut (bi-même s'ac-*
coutumer à ce langage, eflayer à quel point
& comment l'on peut plaire. En cela, vous
n'avez fuivi que l'u(àge5 ufàge ridicule, fi
vous voulez, mais enfin qui eft établi. Ce
n'cft donc pas dans ce que vous m'avez dit ,
que j'ai pu trouver des rai(bns pour më plain^p *
dre de vous. Quand en effet vous m'aime-
jiez , vous ne m'en paroîtriez pas plus cou-
pable ; mais pourquoi, depuis cette conver-
sation , vos façons ont-elles changé ? Etiez-
vous en droit , parce que vous aviez dit que
VQUS pa'aimiez , d'exiger que je vous aimaflè;
ou croyez - vous que quand vous m'auriez
infplié la plus violente paillon ^ mon cœur ,
ardent
DB C&^BIX*iaif> FILS. 4f
V^nt à fe livrer.au caprice du vôtre ? eue
du y des le premier inftant , vous payer de
tous iès tranfjx)rts ? Pouviez -vous attendre
que je m'embarquafle aveuglément dans
Taf&ire la plus fcrieulè de ma vie ? Mais ,
non : vous parlez j & je dois me rendre.
Trop heureufè encore , que vous m'adreC»
fiez vos (bupirs :.vous croyez que , brûlant
d'impatience d'être vaincue , je n'attendois
que 1 aveu de votre paillon pour vous faire
celui de la mienne : & fur quoi donc vous
êtes -vous flatté d'un triomphé fî facile l
Quelle de mes adions a pu tous le faire
préfumer ? Mais , vous ne m'avez même
jamais aimée. Vous m'auriez efHmée davan-
âge. Yous ne m'auriez pas cru capable d'un
caprice honteux ; & s'il avoit été vrai que
Pamour vous eût entraîné vers ihoi, vous
n'auriez pas évité ma vue : tout malheureux
que je vous aurois rendu j elle vous auroic
été néceflaire. Vous n'aunez jaftiais eu fut
vous lé pouvoir de vous déterminçr % une
abfènce que je ne vous prefcrivois pas. Je
vous revois enfin", à peine daignez- vous me
regarder. Ah , Meilcôur ! eft-ce àinfî qu'oit
s^ttaque un cœur ? Eft-ce ainfî qu'on peut fc
feire aimer ? Vous ave:;^ , me direz-vous ,
trop peu d'ufàge pour vous conduire bien
dans un fèndment fi nouveau pour votre
ame : ce fèroit encore une bien mauvaifè
cxcufe. L'amour a-t-il dortc befbin At ma-^
tjege > ' Ah ! croyez qii'il agir toujours en nous
malgré nous-mêmes , qut c'eft lui qui nous
Tome m. C
â
conduit, 8c que nous ne- le. menons pas. On
fait des Eiutes , je le yeux j maii du^ mcinr
ce font des fautes qu!un fcntiaaent trop viP
feit commettre, & qtii foi!ivcntti'en,perfiiar.
dent que mîeuxu Si )e.,vous avbîs été chère ,
^fous n^auriez été capable que de celles-là ;,
& îc nWois ms à me plaindre aujourihni
du peu d égards que. tous avez pour mou
Me voilà donc eiïnn^. Madame ^ lui xUs-je,'
éclaîrci de mefr toïfs. En vétiré, vous êtes
biep injufte. Après la &çpn dont vous m*^
vez traûé, fcroit-ce à vous à vous plaindre î
Eh bien , reprit^elle d'un ton. plus doux ,
voyons l6quel:de nousdeux a It plus.de tort :
je ne demande qu'an éclàîrdfl^mènt ; 4e con-
nus même à vous pjardoonér : j'ouWie dès
^et' înftant que vous m^avez dit que vous,
Ài'âîméz.,., Ah 3 Madame ! lui dîs-je em-
porté par le mômcait , qu'en pardonnant
même vous êtes cruelle ! V!ous croyez me
^ire une grâce. 5, & vous achevez de m*ac-
ikbîef! Vous oijjSUèrez,, dites-vous, que je
vous aime.: faites-le moi donc oublier auflî 5
duc ne favez-vous,.CQntinuai-je, enme jet-
tant> (es genoux, l*état horrible où vous ré-
duifejç mon cœur..., Jufte ciel ! s*écria-t-ellc,
eh reculant, à mes gçwux ! Levez- vous:
411e voudrieai-vQttS quç l'on penftt, fi \?on
ypHsyfurpxenWi Qjie je vojis'jure, repar-
tiV je , tojw Tamourr Sç: fe rçfpcâ:* qjie vous
içimrez, Eth ! pcnfça-vous , rcpntreflft en
n^'oblîgeant.de mf .fcyer, qyej'èn foflepïus.
fâtîsla^l Voilà' dont lès cffëlsdc ceïtc çix^
tOnipeétionqae vous m'avez promit? Mal^
enfin , que me demandez-vous ? Que voua,
croyiez que je vous aime^ lépondîs-je , que
vous me permettiez de vous le dire , & d^eC.
pérer qu un jour je vous y verrai plus (enfi-
pie. Vous m'aimez donc beaucoup, répartit-
die ; ôc c'c& bien ardemment que vous ibu^
haitez du retour ? Je ne puis que vous répéter
ce que je vous ai déjà dit^ Mon cœur eft en^'
core tranquille , & ]e crains d'en voir trou«
bicr le repos: cependant Mais non, jç
uai plus rien à vous dire : je vous défends
même de me deviner.
Madame de Luriay^ eh fini(îant ces paro**
les, m'échappa. Elle me jeta, en me quit-
tant j, le regard le plus tendre. Croyant, avoir
affèz &ic pour k bienféance , elle étoit ians
doute déterminée à tout Êdrê pojur l'amour.
Il n'y avoir affurément riai de. fi' clair que ce
qu'elle venoit de^nc dire \ &c elle, m'avoit
traité en homme , de la pénétration duquel
on niàttend plus rien. Qu^elque peu. que
mon ignorance me kifîlt ^evmer, je compris
^qu'elle étoit moins éloignée de me répondre
que la première fois que je lui ayoiis parlé;
^^is , elle ne s'étoit pas encore eipliquéç au
point qu'il ne me reftàt aucun doute: Se
d'ailleurs , je n'avois plus aifez d'amour pour
elle , pour méditer profondément fur ce qui
pouvoit ifte âattec. dans k. fin de fes diC-
Emportée dans cette converfatîon par la
tâbwêmencet,. & par une fituation ni^uve pou;
C X
yi^ d£ tr V R » s
xnoî, elle m'avoit étonné, (ans m'en toucher
davantage.
Je ne doute pas que iî madame de Lurfày
tut Tu la nouvelle ardeur, qui m'occupoit,
die ne ïè fôt moins ménagée, & que par là
même elle ne m'eut féduit. Retenu d'abord
par le ftritîment du pîaîfir , il m'auroit d'au-
tant plus attaché que je TaurQis moins connu.
Tout paîx)ît -paflîon à qui n*ct\ a point éprou-
vé. Celle qui fembloit' écarter madame de
Lurfày n'étoit point dans mon cœur encore
àiïèi formée ,. pour réfifter à fes empfejfïè*-
jnents ; & j'aurois làns doute préféré un
amufèment tranquille, au Coin pénible d'inC-
jpirer de Tamour à un objet qui, d'abord au
moins ne m'auroit offert que des peines.
Loin que madame de Lurlày pût îmagî-
.ner qu'il lui fut fi important de me paroître
auffi fènfible qu'elle l'étoit en effet , elle ne
fut pas plutôt raflurée fur mon cœur , qu'elle
leprit , à peu de chofc près, fbn ancien fyf^
tême. Elle voujoit bien que je crufle que je
pourroîs un jour triompher d'elle, & non
pas que j'en çxxfTc déjà triomphé.
' J*etots rentré avec elle dans le (àlon , pêû:
Jamoureux j mais croyant l'être. Revenu du
premier mouvement , ma timidité m'avoit
repris : j'étois incertain de ce que je devois
fcire ; &, quelque ouvertement qu'elle fe fvtt
'déclarée, je ne vofois encore dans -fes dif-
t^ours rien qui m'affurât (à conque tei Son
Vilagfe étoit redevenit auftcté [ & quoique ce
demies de fèvériré ât -plus, pour- k& auaes
.-que pOLii iftoi , il me rendit tx>uce ma <:rainte.
. Je n'olbis apprqcher décile ni la regarder.
. Tant de réferve de ma part n'entroit pas
dans le plan qu'elle s'étoit formé : elle m'eiv
couragea par. les diicours les plus obligeants
à lui marquer plus de conBasce ; elle me 6c
même entendre, pendant toute la fbirée,
que deux perfonnes qui s^aiment , peuvent
s'expliquer difficilement ce qu elles lentent,
au milieu du tumulte d'une grande compa-
gnie. C'étoit me dire aflèz que je devois lui
demander un rendez - vous. Elle, attendit
long-temps que je le fiïTe ; mais voyant enfin
que cela ne m'entroit pas dans refprit , elle
eut lagcnérofité de le prendre fur elle.
Avez- vous demain quelque affaire, me
-demanda-t-elle d'un air nonchalant? Je ne
m'en prévois pas , répondis- je. Eh bien , re-
prit-elle , vous verrai-je ? je ne (brtirai pas de
chez moi j je compte même voir peu de
inonde : venez amufer ma ^litude , auflî-
bien ai- je quelque chofe à vous dire. J'en-
tends , repris-je ; vous voulez achever de me
gronder. On ne fe ifbuvient pas toujours avçc
vous de ce qu'on deyroit faire, répartit-elle f
& je ne craindrois que d'avoir trop d'induU
gence : viendrez-vous ? Je le lui promis. Eri
lui donnant la main pour la remener à ibii
carroflè , je crus (èntir qu'elle me la ferroic 5
fans fàvoir les conféquences que cette aâion
fâitraînoit avec madame de Luriay , je Urlm
rendis : elle m'en remercia, en redoublant
d'une feçon exprefltxve : pour ne pas maa-i
C 3
5
^ tE tr ▼ *L E s
quer à la p^refle )e continuai fîir îe t&n
qu'elle a voit pris : elle me quitta en (bupi-
tant, & très-perfuadiée que nous commen—
cions enfin à nous entendre ^.(^uoiqu'au fond,
il n'y eût qu'elle qui fe coxhpnt.
Je ne feus pas plutôt miittée, que ce-
lendeE- vous, auquel d*afcord je n^ois point
fait d'attention , me revînt dans refprit. Un.
lendez-vous! Malgré mon peu d'expérience,,
cela me paroiflôit grave» Elle devoit; avoir
eu de monde chez clk : en pareil cas, c'eft
ire honnêtement qu'on n'en aura point. Elfe
m'avoît ferré la main : je ne favoîs pas toute
k force de cette aékion ; mais , il me fèm-
bloit cependant, que c'eft une marque d'ami--
tié, qui, d'un fexe à l'autre , porte une ex-
preffîon iSngulîere , & qui ne Vàccorde que;
dans des fîtuations marquées. Mais, cette
vertueufc madame de Lurlày , qui venoit de
me défendre feulement de la deviner, au-
Toit-elle voulu r . . .,. I^on, cela n'étoit pas
poflîble.
Quelque chofè qu'il en put arriver, je ré-^
folus de m'y trouver, J'imaginois que je ne
|ouvois qu'en être content , & madame de-^
lurfiiy étoît aflcz belle pour me le feirç
ÉCtendre avec impatience.
Au milieu des idées flatteufès que je me-
IbniEiois fiir ce rendez-vous : ah ! m'écriai-jc> ^
$xfétoi(: mon inconnue qui me l'eur donne ;.
mis. non j reprenois - je , efle eft trop fàgc
pourenticcofaef à quelqu'un, à moins ce-
pcaâaàt que ce ne Hic à Germeuil. Mais ^ oà
-iônt-ils tous detix, me demtandoîs^jerfc
comment le peut-il que^ depuis que je Us
-cheri^he^ l'un & rauixe iûe>fbienc échapWs ?
Ne devrois-je^point renoîicer à une poùifiiite
fi inuciloîuCqu'à ce îoa£^Poùfquoi près peut-
être de me voir aimé, vais -je m^eupor
d'une idée qui ne peut que me tendre mal-
heui?eu3C3 d'un objet que je h'ai vu qu'un
ihftant^ & que je ne revercai Ëins doute que
cfloUr le trouver pofledé; pai^ un autre } N'im-
-p€Krte> fâchons gui dl cette inconnue , pour
.uapi-^même > poUr me guérir d'une pauîon
qui piîcnd déjà trop fur mai coeur; péné-
trons. Vil eft poffibfe> les fecrèts du fien:
Ititenogebns Germeuil*» & , s'il eft aimé^
c^ccupons-nous moins à troubler fès pkini^,
'^ki'à jouir tranquillement dés nôti!es. La con-
ver/àtionqueje venoîs d'avoir avec madame
^e Luriày y me Êiitbit réfléchir (ur mon in«
-connue avec ^lus de froideur qu^auparavant.
-^t. rendez -vous m'occupât l'îmaginatiOtt<
. J'^svOis toujours envié ks gensia({ezlieureUQt
:tk3ar'ônavoir; & jeme €x;ouvois'iiTe]^éb«
iole'drétre à mon %e dans leméme cas, '3c
-iùr-^out av^cune pérfônne telle que madame
kie^Lurj&y , qu^'il s^en &lloit peu que la nou-
-veauté de la chofe, & les idées que j^m^én
làifbis, ne ixie tinâènc liea du plus violent
amour.
Qudqoe virement qu'elles^m^ôccuf^flent,
|e n'en iréfôlus pas^ môîhs Û'âUer voîï Géi-
meuil le lendemain i Se je m'endormis en
lfemfil|»t ^s^4e&s Àvimd^. de tur&y > 9c
C4
y6 œ u V n ï f
je ne fais quel fentimenc plus délicat à mon
inconnue.
Le premier foin que je retrouvai 1 mon
réveil, fut celui d'aller chez Germeuil : je
m'étois arrangé fur ce que j'avois à lui dire,
• & m'étoîs préparé à le tromper autant que
fî , fur une queflion auflî fîmple que celle
• que j'avoïs à lui faire , il eût dû deviner le
trouble fècret de mon cœur. Je croyôis ne
pouvoir jamais me déguifèr afïez bien à fès
yeuxj & , par une fottife ordinaire aux jeu-
iièis gens, j'imaginois, qu'en me regardant
feulement, les perfonnes les plus in<fifFéren-.
• tes fur ma fîtuation , l'auroient pénétrée. A
.plus forte raifon, je me défîois de Germeuil,
que je croyois amoureux pour le moins air»
tant que moi. Je me fis conduire chez lui
• avec emprefïement , & mon chagrin fut ex-
trême quand on me dit que depuis quelques
]ours il étoit à la campagne. Mon imagina^
£on déjà bleffée s'offenu de ce départ , dc
;in'y fît voir les plus cruelles chofès. Depuis
iquelqucs jours ils avoient difparu l'un &
Jf autre j je ne doutai pas qu'il ne fut parti
avec elle. Mon amour & ma jaloufîe fc ré-
veillèrent. Je fèntis par mon infortune quel
devoit être fon bonheur ; & , fur qu'il étoit
aimé d'elle, je n'en fus que moins di^ofé à
m'en guérir. ,
Nous étions alors dans le printemps.;
8c, en fortant de chez Germeuil, j'allai aux
Thuilleries. Je me refïbuvins en chemin du
rendez-vous que m'avait donné madame de
prit pour
j— i-v-^x .V luuLciur. LA leuie image de rin,
connue m occupoit fortement ; je la traitois
de perhde comme fi elle m'eut en effet '
donne des droits fur fon cœur, & qu'elle
ks eut violes Je foupirois d'amour & de
fureur : il n étoit point de projets extrava-
gants que je ne formate pour l'enlever à
Germeuili jamais enfin je ne m'étois trouvé
dans un état fi violent
Quoique je ne duflTe pascraindre, à llieunî
^u 11 etoit, de rencontrer beaucoup de mon-.
i .^nt "^''"'^^"' '?^^™^ ^« Thuâcries que
mi^^J? T P? ' ^ ^"^^°0" ^e mon efe
me^fit chercher les aUées que je ûvois £e
doutet ' ^ r î?'y abandonnai à^
douleur & à ma jaloufie. Deux voix de ktn^
mes que j'entendis alTez près de moi fi?r
poidirent mi inftant la rêverie dans laquX
je 1 etois, il me reftoit peu de curiofite' ooup
wr'e£"fe-4"'= ^"^ ^^ -^ -ï
lancoiie, elle m etoit chère * 8r ie n-^;^.,^;
tout ce qui. pouvoit y fo^ diSHl'
defcendois pour aller l'entretsair aiUe^rs
lorfqu une exclamation, queficuneTcel
deux femmes . m'oblio«i ^^a^^
Li nalJ/To^» «lODugca dfr-me retourner;
La paUflade, qui etoit entre nous , me dérol ^
b«t kur vue, & cet dbftacle me détermin*
# vott ^m ce pottvw écçe. J'écami la àm<
58 CE u V R m S'
mille te ptus doucement que \t pus ySCtngL
furprife & ma joie furent fans ég^es,, en re-
connoii&nt mon inconnue*.
tJïi& émotion, plus forte encore que celle
où elle m'ayoit mis la première fois que je
Tavoia vue » s'empara de mes fens. Ma dou^
leur , fufpeiïdue d'abord à Tafpea d'un objet
il diannant, fit place enfin à la douceur ex-
trême de la revoÎLi J'oublîaldans ce moment, ^
le plus-cherde ma vie, que j<? croyois qu'dle
aimoir ua autre que mot ^ je m'oubliai moi--
même. Tranfporté, confondu > je peniaî
mille fols m'alter jeteri iès pieds , Se lui jii^rerr
que je I^okms. Ce mouvement fii imp6-^
tsxcux Ct calma, mais ne s^éteigrûtp^ Elle:
parbii: a£z haut^ & te deiir^ de oeoouvnc.
quelque: chc^. de ies/ fendments dans un
cnGreden dont elle croyoit n'avcnr. pas de
(témoin y me rendit plus tranquille.. Se me-
fit réfb^re à me cacher^ à fidre le mioîns de
fe^uit qu^il me fetoît poiKMe. Ejie était ayec
une des dames que t'àvcis Yues ayec elle k
|îCMjém« En me pénétrant dxL plaiiîr/d'être fii
Srés d'une perfbnne pour qui je fentoîs tant:
'amouf > je ne me conibbîs poinr^ de ne.
f!()uyoir pas ^entretenir: fôn yiiàœ n'étcrit
]ia$ tourné abfblument dé monxoté > mai^
Ï^en découvrais, allez pous.ne pas perdre toua^
^ichacmes. JLa ficuadon où elle etoit, Ilem-^
féchoit de me yoir> Se m'en GiùâtpLt^
moins tegretteEce me |V pe«loî&,
Jelfaveuerai^dilbàrtlxKûnniie, ^neââi;
jjpeintixifbfilidfi au ]^^
BE CRBBILIÔK) FILS. 1^^
Î^è ne hais pas même qu'on me4iiè que je li .
ùis ) inais ce plaifîr m'ocrape moins que
Vous ne penfèiS : je lé txouvc auffi friv<de qu'il !
Teft en c&t ; &> fi vous me connoimez
inieux y vous croiriez que le danger n'en eft^
pas grand pour moi. Je né prétendois pas i
: vous dire , répartit la dame , qu'il y eût tant \
à craindre pour vous, mais (eulement qu*3
faut s'y livrer le moins qu'on peut. Je penft
tout le contraire , reprit l'inconnue : fl (kixi
d'abord s'y livrer beaucoup ; on en eft plus
iur de s'en dégoûter. Vous tenez là le dlîf-
cours d'une coquette, reprit la dame ; St
Cependant vous ne l'êtes pas. S'il y à mêiiie , . [
dans le cours de votre vie y quelque cho(è 1 i
fedoutèr poui vous , cfclk d'avoir te côeuir
ttc^ (ènfiblc 6c trop attaché. Je n'en fais fiett
caicore, repartit l'iriçonnùe : de tous ceux
qui y jufqù% préferit , m ont dit qtte VëtbÔ
helie , & m'ont paru le féntîr , aucun ne m'a
touchée. Qùoîqvie îeune , ^e conriois totte te
lianger d'un engagcmerir: d'ailleurs , "je vous
àvo'uerâi que ce que j'entends dire des hom*
îRts, mé tiéiit en garde cônitfe eux ^ parirti
éôus ceux que je v6is , je rfen àî pas axmvé
un feul y fi vous en excepté le marqtiîs y qt^
lut digne de me plaire, je né rencontre ^ai^
tout que dès ridicules , qui y pOMt èttt briK
làiîts i^ ne m'en déiplaifènt pas moins. Je ne
pixh
\ma» fox, reprit Hàme; ^^f ai
C6
^o ' CE tr V H E^
penfer, que, malgré Jb peu de cas que vous
Faites des nommes , d y en a un qui a txouvé
face. devant vos ye^x : ce n'eu: pourtant pas
rnairquis. Il y a quelques jours , repartie
Tinconnue, que je vous vois cette idée 5^
mais ; comment , & fur quoi avez- vous pu
la former ? Je ne fuis à Paris que depuis fort
peu de temps : je ne vous ai pas quittée , &
vous connpiflez tous ceux que je vois. Ap-*
prenez- moi enfin quel eft 1 objet qui m'a
infpiré une ardeur fi vivel Je fuis lincercj»
yous le favez ; & fi votre remarque eft jufte'^
j'en conviendrai avec vous. Eh bien, répon-
dit la dame , vous fbuvient-îl de votre incon-
nu ? de votre att;entiQn à le regarder ? du foia
que vous prîtes de me le feire remarquer l
A)oute3t à cek l'opinioix avantageufe que;
vous ave? conçue de fon efprit, fixr queU
ques mots, jolis à b véi;ité , mais cependant;
afièz frivoles pour ne devoir rien déterminer
là deiïus : préoccupation que l'amour fait;
naître ou qui y mené. Voulez- vous d'autres;
preuves moins équivoquçs^encorc> quoiquç
|>eut-êtrc elles vous fbient ihconnuesAvous-^
même ? Vous fbuvicnt.-il de la précipitatiori
avec laquelle vous demandâtes qui ii étoit >
& que mi ieul vous fit naître cette çuriofîtQ
jdaus un lieu où du moins eUe pôuvoit êtrq
partagée >, du plaifix que vous eutes.> quaiidj
vous apprîtes Ion nom & fbn rang ? Com-^
bien vous en pgrUtes le foir i Rappellcz-i^
vous la rêverie où vous avez été plongé^
pendit noiiire féjoux ^ h cam^ague^i^ xoi
V
diftraftions , yos foupirs , échappés même
lans caufè apparente. Que puis-Je penfer en-
core de cette langueur douce & tendre, qiû
paroîi: dans vos yeux , & qui s'eft emparée
de toute? vos avions ; de inquiétude & de
la rougeur que vous cauiènt aéfcuellement
xncs remarques ? Si ce ne font pas pour vous
des {ymptômes d'amour , c'eft ainfî du moins
qu'il commence dans les autres» En ce cas ,
répondit l'inconnue, je puis donc croire que
je ne refïèmble à perfonne. Je ne me défen-
drai fur rien de tout ce que vous venez de
jne dire ; & vous conviendrez cependant ,
que vous avez mal appliqué vos remarques^
Il eft vrai , >'ai demandé qui étoit cet incon--
nu : ôtez de cette curiofité l'empreflèment
que vous avez cru voir, je me flatte que voua
n'y trouverez rien que de naturel. L'opiniâ-
treté fatigante avec laquelle il me regardoit^
la produifit , & en même temps mon atten*
tion à le regarder mioi-même. Je vous dirai
plus : fa figure me parut noWe , & (on main-
tien décent : deux chofès, que ce jour là je
ne trouvai, qu'à lui> & qui vous frappèrent
comme moi. Ce qu'il dit, & dont je me fuis
fbuvenue , vous parut auflî plailànt & bien
tourné., Je ne dois pas même oubKer que
vous m'en rappellâtes des traits que je n'a vois
pas bien retenus : étoit-ce l'amour qui leî^
rendoit préfènts à votre mémoire ^ Si je par-
lai de hii, VOU3 fàve?. que ma mère en fut
piufè. J^ai été, dites- vous, rêveufè- & dif^
xms: à fe campagne, fai fguçiré, i'aiwdç:
X
gri 4E tr V R 1 5
U lâh^etir : il me femble que tous ces mou**
Vèiiïents ne prouvent que Tennui que làcam^
^nfe ih'inlpire, & qui peut être i^rmis à
Une jeune perfbnnequi ,■ au (brdr du couvent
'«« ^Ue ^eft déplu j a pa(fê un an dans une
ierre dà eUe a eu peu d'amufèments 5 qui ,
^our airifi dire, voit Paris i)our là première
îbiis , & n'ieft pas contente qu'on Tarrache à
des j^aifirs nouveaux pour elle. Eh bien,
îiladaiiie, que devient à préfent cet amour
dont vous éészfi fôre ? (Dépendant, je fuis
fincere. Se je vous avouera natuïeflement
que cet inconnu, qui n'm à p^ été ïong^
temps un pour moi , sll ne rn'a point tou-
tJïée , du môinsuc m'a pas déplu. Quand fort
idée s*o&e à mon fouvehir , c'éft toujouri
â'tme façon avantageai pour lui -y mais,
c'eft fans qu'eBè m'intérefle : & fi l'amour
cohiéfte cfâns ce que vous m'avez peint , je .
feis bien-loin d'tn relfentîr; L'amour , dani
im coeur vertueux , fe malque long-temps ,
^partit la û^snt : (z première impreffibn fe
Êit même Cûxîs qu'on s'en apperçoive ; il ne
farcît d'abord qu\m goôt nmple, & qu'on
|ieut fè jttftîfier aifément. Ce goût s'accroit-
û y nous trouvons -des raifbns pour excuièt
fès ptogrès. Quand enfin nous 6n connoif^-
iÊm^ié défordre, ou il n'eftplus temps de It
fednabattre , ou nous ne fe voulons pas. Notre
àiûè, déjà àttacbéc à une fi douce erreur,,
ciaint de s'en voir privée ; loin de fonger è
fe'déttuire ,,noù?aidonsn6ii!s^êraes à l'auj
«b ièncimem m'âgifl^ gas ifièz 4e lui-mém^.^
î^ous^chcKhons fàlis ce^ àimicenir k ctouk
ble de noci« cmi^ , & à le nouf rif des chi*-
msass ck. notM iâtiâftiiiadelï. Si ^elqtiefok
lacaifbti. V6«ct¥i0U$ ^Éaicer^ ce n'eft qu'une
iomt\, <écemGe <ians lé âaâixie mlblit, qui a'à
fssaSEbz^ttté pour nous m fituver • £n£oii<*
SÎfi&md» notte SaiïAéScy elle, ndas tf tannife, *
«lie fe ibrtifie4âHis>neiKhCitur pa« lese$>rts
même qiiie noiât (sA&ms^OM^ Vén attacher »
«ifeyéiMEin£toiiC^leS{)&fl^ ou e?i<ieyient '
leptineipe. Pour non» étô^^rdiir.dâvamages.
w%is:a;yoite h. y^té ^ cvoiit que nous ne
cédieti0ti& îamaîs]» qùek plaifiîd'*af mer peut
^e couif^uts iftncxxswr; En vafe-, nous avons
l^tenapfe contre nous^ iî-M- nous gaiancit
fW^dte no»re cfeÉUe. Noixs aflons if égarements
wi égiif^n^nts', fins les prévoir ni les fenrir;
«Otts j^iâbhs Véitueufes encoie , &hs être
préfènis^» pour aîn& dire » au &tal momei^:
de iMïQtie ^âice s & i^ms nous retrouvons^
GOupàlites Énis &voii^^ non^^fèulément com^
flftefit* âûûsi'ài^ens été , mais fbuvent encore:
ftvam âlaroir penfë que nous puiflîbns pamk
iStee.^ luffië cfidl ! s'écria ^inconnue, quel'
if^^cait! qu^il me cauiê d'horreur ! Nlma^
Snee pLS-y sé^sutit la dame y que )ç Paie fsSc
an^i^fen» ; 'à ne convient pas à votte iitua^^
^imi' {M(éÊ»te ï-mâis > il me paiott important
Îueyous âchiez coficjiâen le cœureftfo^eV.
t que vous apftemcz par là qu^ ne pci^t
ftpre trop^ eit garde^contEe lui. J'en conviciA
411(66; ywsx Ueémcy àix î'im»nnwi, &
#4 (B U ▼ A i S
d'autant plus , que je crois que l'amàht tt
plus eftimable ne vaut pas le moindre des
loins qu'ij nouscoûte. Cette façon de pcnfer,
répartit la dame , eft un peu trop générale :
mais je ne fuis pas fâchée de vous la voir:
& , fi peu d'hommes font tendres & atta-
chés i fi peu (ont capables d'une vraie paffion,
nous (bmmes fi fouvent & fi indignement
viftimes de notrç. crédulité & de leur mau-
vaife foi, qu'il y auroit, je crois ^ encore
trop de danger à n'en excepter qu'un. Vou^
plus, que toute autre , vous dcvezcroire pour
votre intérêt , qu'aucun homme n'cft oigne
de vous toucher : faite pour être immolée ,
peut-être à celui de tous que ^fous choifirct
le moins, n'ajoutez pas au fupplice , déjà
trop cruel de ne vivre que pour lui, le fup-^
plice épouvantable de vouloir vivre pour uo
autre. Si votre cœur n'eft pas content , em-
pêchez du moins qu'il ne (bit déchiré.
Elles fe levèrent alors. Dans le mouvement
qu'elles firent, mon inconnue fe tourna de
mon côté ; mais elle di(parut fi prompte^
ment , qu'à peine jouis- je un inlVant de (à
vue. Malgré le trouble où (c^ dilcours. m'a*
voient plongé , je n'oubliai pas de la fuivre ;
mais, ne voulant pas qu'elle pût me foup-
içonner de l'avoir écoutée , je pris pour la
joindre une autre route quQ celle que je lui
vis choifir. ,
. Tout ce que je venois d*entendre me jetoit
idans une inquiétude mortelle, quoiqu'il (em^
bût ^'appren4rç ^uç Ççoueuîl n'ém jpoii^
ȣ GreBIXLO W, ?I L s. 6f
aîmé. Je me trouvois dcbarrafle de la crainte
que le rival le plus dangereux que je pwfïe
avoir, ne l'eût touchée ; mais> iî ce n'étoic
pas Germeuil , quel étoit donc celui qu'elle
lionoroit d'un fouvenir fi tendre ! Quelque-^
fois , je me flattois que c'étoit moi : je me
rappelloîs que je l'ayois regardée avec cette
opiniâtreté dont elle fc plaignoit ; mille cho-i
its. ièmbloient me convenir. Le defir d'être
cet inconnu , plutôt encore- que ma vanité ,
me fàifoit adopter le portrait flatteur qu'elle
en avoit fait. La joie que me donnoit cette
idée 3 étoit détruite fizr le champ par une
autre qui pouvoir être aufll vraie. Je Tavois
regardée avec attention : j'avois fans doute
{>iru pénétré de Ces charmes j mais , étois-je
e feul qui eût été tranfporté à (a vue ? Tou«
les fpeâiateurs ne m'avoient-ils point paru
dans le ^ême délire ? Je ne l'avois vue qu'à
Topera i &: dans la converfation où je vcnois
de furprendre fes fecrers, il n'avoit été queC-
tion , ni du jour, ni du lieu où cet inconnu
Tavoit frappée r ce qui pouvoit iè rapporter
à moi, pouvoit aufli fe rapporter à quelque
autre. .D'ailleurs, cet inconnu, félon fè$
difcours, n'en étoit plus un pour elle ; il
Moit donc qu'elle l'eût revu > Pourquoi
n'auroit-ce pas été Germeuil? Savois-je de-
puis quand Se comment il la cbnnoiflbit }
Hélas l mediibis-je, que m'importe l'objet
de {à paffion , puiique je ne le fuis point 3
Qi^d ce ne fera pas Germeml , ien fèrai-je
moins malheureux \ Pendant ces doulouïWj
i^ <Ê TT T H * *
fês iréflcxîoiîs, dont la iafteflê me défefpi^
toit y j'âvoîs marché a(ïez vite pour me trou-,
▼er, malgré le tour que farois feît, atfez
'près d'elle : fa vue me donna autant de joie ,
-que fi feuflè trouvé, dansle {Jaifîr de lavoir,
•quelque {ujer d'efpérer.
Elfe fé promenoir ncmchalamment dans b
-grande allée, du côté delà pièce d'eau qdî
*a termine* J^admiraî quelque temps la no-
ileflê de ù, «aille, & cette grâce infinie qui
•régnoit dans -toutes fês àâiôns : quelquieîs;
îftranifports , que , éaixïs cette fituation , ellb
ïné caufâti )c n'en voyois pas aflèz; mais,
îtimide comme je l'étoîs -, je trenàblois de mè
fiéftnttr à fes yeux ; je defirois, je redoiitoîs
scet inftant qui alloit me tiés^ rendre : il mé
Curprit dans cette confiifion d'idées» Mon
iSmotion redoubla. Je profitai de Tefpace qut
étoit encore encre nous deux , pour la regap*
îîfer avec toute la tendrefïe qu'elle in'inlpî''
TÔit à mefiire qu'dle s'^vahçôît vers moi.
Je fentois mon trouble «'augmenter , & m*
timidité renaître. Un tremblement unîverfeî
Ê[tû s'empara de moi, me kiilk à peine k
force de marcher. Je perdis toute cénte-
liance : j'àvois remarqué que ^ lorfque nom
nous étions trouvés à quelques pas l'un de
l'autre , elle avoir détoiumé fès regards de
Aèffixs moi ; que, les y portant encorfe, &
trouvant toujours les miens fixés fur elle,
elle avoit recommencé les mêmes mouve-
Éiehts : je les avois attribués àl'embàrras où
A^ trop :gtande hardie£& rav<HC mîTe^ &
feut-écte à quelqtie fèndmeiic d'âVérfion 8c
ic d^out. Loin de me laiTinper contre une
idée il cruelle. Se de me flatter que ma vife
lui faifcÂt une plus, douce impreflîôn , elk
me âappa au 'pcônt, qu^n pa(!ànt auprès
d'elle , je lildai la regarder <x>mme j'avois
'tait jx£wcs4i^ Je parus même porter mes
yeux ailleurs,. Je m^appetçus avec doule^ir,,
^e cette précaution étoit inudie ^moii iti*
-connue aie îmfavoit pas feulement^emarqué^
Ce dédain me iurprit & m'affiUgba. La vanité^
me fit croire que je ne le méritois pas, Dès-
3oi^^'avats:&is doute dans fe cœur le germe
^e ce que f ai été depuis. Je crus m*êti1e
■orompëj &, ne pouvant penfer mal long-
temps (fc moi-niêine, je m'imiaginai que là
aaodcftie feule tavoit contrainte à ce qu'elle
tenoît de faire.
Biles is:fca£choient toutes deux fi fentemenr
que -je me flattai que^ fans marquer aucune
afFeiftation , je pourrois ks rejoindre encore^
Je continuai donc ma route , non fans me
letoumer fbuvenr, autant pour m'inftruire
du chemin que prdndroit mon ineonnue>.
que pour tâcher de k Surprendre dans le^
même loin. Le mien en partie me réufl%:
lïfâl ; & je pus feulement reconnoîtrequ'elle
fc ^fpotoit à prendre le chemin de k porté
du Pont-Royal.. Je revins bmfquement fut
nies pas j & , en> coupant par- diffëtcntes
•Bées, je mY trouvai prcfque dans Knltânt
|u*ëlie y arrivoit : je lui fis place refoeéfcueuf
*ment, & ^ttc gol«e(fe itfatâm de fe pw.
6i CE tr V it K S
une révérence, qu'elle me fit féckement;
&les yeux baifles. Je me rappellai alors tou-
tes les occadcms que j'avois lues dans tes
romans de parler à fa maîtrefle», & je fos
furpris qu'il n'y en eût pas une' dont je puflTc
faire ufage. Je Souhaitai mille fois qu elle (k
un faux pas , qu'elle Ce donnât même une
entorfè : je ne voyois plus que ce moyen
pour engager la converfàtion ; mais il me
manqua encore , & je la vis monter en car-
roITe , fans qu'il lui arrivât d'accident dont
je pulïè tirer avantage.
Par malheur, je n'avoîs à cette porte, m
mon équipage,. ni mes gens. Privé de la
relTource de la feire fuivre, je penfâi l'en-
treprendre moi-même ; mais , quand ce que
j'étois , & la façon diftinguée dont j'étois
mis, ne me l'auroient pas défendu, je n'au-
rois pu me flatter de le faire long-temps. Je
me repentis mille fois de n'être pas defcenda
à cette porte : j'aurois pris des mefures trop
juftes pour ne pas apprendre enfin qui étoit
cette inconnue j mais il n'étoit plus temps ,
& je m'en fis autant <le reproches que li
j'eufle dû deviner , & qu'elle étoit aux Thuil-
leries, & la porte par laquelle elle y étoit entrée.
Je retournai chez moi , plus amoureuse
que jamais , piqué de l'indiœrence de mon
inconnue , rempli de ce que je lui ayois en-
tendu dire , & déteftant , fans le connoître ,
celui pour qui elle fèmbloit s'être déclarée ,
puifque je ne pouvois plus me flatter que ce
fôt moi. Pour combler mon ennui» il me
tcftbît le rendez-vous que m'avoit donné '
Tindulgentc madame de Lur&y. Loin qu'a-
lors il m'occupât agréablement l'imagination,
il n'y avoir rien que je n'euffè fait pour m'en
difpenfer. Je venois d'éprouver, en voyant
mon inconnue , que je n'aimois qu'elle , &
que je n'avois pour madame de Lur&y ,
que les lentiments paflàgers qu'on a dans le
monde pour tout ce qu"*on y appelle jolie
femme ; & qu'elle m'auroit peut-être infpiré
moins que perfcMine, f^ns le foin qu'elle pre- .
noit de me les faire naître.
Ce que je venois d'entendre dire à mon
inconnue m'a voit plus agité que guéri. Sa
vue , l^amour même que je lui luppofois
pour un autre ," avoicnr réveillé ma pafïîôn ;
4ç, quelques chagtins que j'en dùfle prévoir,
j'imaginois plus de plajnr à être malheureux
par mon inconnue , qu'heureux auprès de
madame de Lurfay. Quirai-je faire à ce
rendez- vous , me difois-je ? Pourquoi me le
donner ? Je ne le demandois pas : j'irai m'eft- '
tendre dire qu'on ne veut point m'aimer ,
qu'on a le cœur trop délicat. Ah î plût à
' Këu qu'on ne m'y prep^ric que cesJifcoars !
Maiis noiî : on éroit hier dans de plu5 douces
dîfpofîtïons ; la verm & l'amour peuvent
combattre encore ; mais je ferai aflez mal-
heureux pour ne pas voir triompher la pre-
?«ere. Je.|list«ité quelque îtcmps de nçr
point ^Her chez madame: de Lniïay^ & dé
hii ; écrire ^ que des^ afl&ires inlpdrtanttts -qui
^'ctoient -lurvemies», m'cmp^hoient de la
^
'Voir. Apràs^ ^-y ttoiiv:(n» dçs difSccdléé;^':
c^m qu'à (brcG( dene tkn réibudre^. iepsÛM
chez moi, & feul, la plus grande partie de
la joumëe : otifin , ]t me déterminai à. voit
tBadame de Luriày > mai^cefut^fî tard^ <m|s<
ne in'accendant plas, ^le avoic pris le fiâti/
<le recevoir les viCvx» qui lui vie^droîent ; *
«n efièc, l'y ttoavai giand monde. £Uc me^
reçut avec froideur.,. & (ans prefque- lever •
iès yeux de dei^s. uni métier mr lequel: ^e
iaitoit de: la. tapi0êriei De mon: côté*, les.
politefïès ne furent' pas vives ;. & ,. voyant
^'elle ne ma difoit moCiy . j -allai m'amufer
A, xeg^dc^ ÎQuor ; île n'y zvok afluréinem
rien: de mom honnôteL que: mon . procédé -:
apiS me' paruG-illaiâchac vivement ;. mai»
il, m\îniportQit = peu qu^ette s'en ofïcnât -,
fuenifya qu^ijc-ne 'la: iniflc. pointa portée dé.
«ne Ic; dire. Son : intention, cqpendanc n'étoît
point He gliider là.delTus le: ulencc : l'initilte
«ioitrtropviMe. L'avoir, fiwt attendre, arriver
bimàerncM &m m'exoifèrv ^àns paroître
cfoirc:<^:i'tîi enfle befoin:, n'a^^roir pas feu-
i^mem renurqué qu'dk en étoît. piquée,
éjcoit-'il dêsccrimes dontjeneiufle coupable ?
^: endorc étoient^ce : tous crimes de fcntî*
ment. Elle attendit quelque^ temps que je
revinflè à elle ; maïs voyant qu'il n'en étoîc»
pasqueftion, elle fe levai. Se, après queU
ques tours qu'elle fit dans d'appartement ,
die vînt enfin.de mon côtéw Elle s'étoit mite
oc Jour, là de façon à arrêter mes regards SC
mon.cœur 9 IcLdéskabiUé.le plus noble Se le
ptofigftlam ôrnoit iès charmes; unecoëâfaxo
négligée 5 pea deroage, coat qoncribaoit ài
kû donner un air plus tendre r enfin , elle
étok dans cette paxore où les femmes éblooiCt
&nt moins les yeux , mais où elles {arpren«<
nent plus les ièns. Il falloit , poifou'elle l'avoîD
priie dans une occafion qu'elle legaidoic
comme fort' importante^ que , par la pro«4
pre expérience ^ elle eh connût tout le prix«
Sous prétexte de regarder le jeu , elle s'ap-%
procha de moi : je ne l'avois pas encore bie»
confidérée ; je fus , maigre mes préjugés^
<ï)ntre dle> lurpris de ia beauté. Je ne lai»
quoi de fi touchant & de £ doux biilloitÀ
dans fès yeu^; fès^ grâces > animées, mr le»
dcfir, & peut-être par la certitude de mo
plaire, avoient quelque chofe de fi vif i que
j'en &is ému« Je ne pus la regarder ùnsmxo
(oitc de complai{ance,,qaeie n'avois jamais
«ue pour eues aulC ne l'avoLs -je jamais
'Vue comme je la voyok alors. Ce n'étoit plus
cette phyfionomie lëwse & compofée , avec
Wielle elle m'avoic ef&àyé tant de fofsp
e^ctoit une femme lènfible, qui coniêntoic
à le patoître , qui voulait toucha. Nos yeui^
^ rencontrèrent' : la langueur , que je trou««
^ dans lés fiens ,. ficpauer jufque dans moti
copur le mouvraient que (es charmes avxnemr
&t naîts-e 3 & d«nt le «rouble (èmbloît s'ac^
<5roîtEe à chaque inftant, Qjidqttes foupirs-y
qu'elle afeiStoit de ne pouifer qu>à demi^'
achevèrent d& me- x:onêsfndre^ $c4iia^^
Ti . Œ tf V R H s
oangereux momenc , elle profita de tout
L'amour que j'avois pour mon inconnue.
. Madame de Lur iay avoit trop d'expérience
pour fe méprendre à Ton ouvrage, & n'en
pas profiter ; & elle ne s'apperçut pas plutôt
de Timpreffion qu'elle faifoit fur moi, qu'en
me regardant avec plus de tendrefle qu'elle
ne m'en avoit encore exprimée, elle retourna
à fà place. Sans réfléchir fur ce que je fkiibis,
ians même que je puflè) former une idée
diftin6);e, je lafuivis, elles'étoit remifeàia
tapiflèrie, & fèmbloit en être fi occupée,
que quand je m'affis vis-à-vis elle, elle ne
leva pas les yeux fur moi. J'attendis quelque
temps qu'elle me parlât j mais , voyant enfin
qu'elle ne vouloit pas rompre le filence : ce
travail vous occupe prodigieufèment. Ma-
dame, lui dis-je. Elle reconnut, au tonde
ma voix , combien j'étois ému , & , làns
me répondre , elle me regarda en deflbus :
regard qui n'eftpas le plus mal adroit dont
une femme puifle ïe iervir , & qui en effet,
eft décifif dans les occafions délicates^ Vous
n'êtes donc pas fordc aujourd'hui , continuai-
je. Eh! mon Dieu non, reprit elle d'un aii
fin, il me femble même qup je l'avois dit.
Comment (è peut-il donc , repartis-je , que
je l'aie oublié > La cbofè ne vaut pas, réponoit-
elle , que vous vous en fafliez des reproches,
& elle eft par elle-n^ême fi mdifférente, que
j'avois oublié auflî, que vous 'm'aviez pro-
misdeYenir, Tancquevousnememanquerez
pas
DECuéBIlLOll, FILf. 7)
pis plus eflêncieUemenc > vous me trou--
vcrêz touîours difpofée à vous pardonner ;
car, nous nous lèrions peut-être trouvés
feuls-, que nous ferions -nous dit? Savez-
vous bien qu'un têce-à-tête eft quelquefois
encore plus embarrafïant que fcahdakux ? Je
ne iàis , repris-je , mais . pour moi j je le
fouhaitois avec tant d'ardeur. . . . ^h ! finiC-
fon^ cette caquetterie , interrompit-elle : ou
né me pariez plus (ur ce ton , ou (byej du
flioins aaccora avec vous-même. Ne fentez-
vous pas que, de la chofe du monde la plus
^mple , vous en ^tes actuellement la plus
ridicule. Comment pouvez - vous vous
inu^er que îe croie ce que vous me dites»
Si vous aviez delîré de me voir , qui vous
en empêchoit ? Moi-même , repris-je , qui
crains de m'engager avec vous. Voyez , ce-
f>endant comme îe réuflîs, continuai-je, en
ui prenant la noiain qu'elle avoit (bus ion
métier. Eh bien, me dit-elle, (ans la retirer^
& en fburiant, que voulez-vous? Que vous
me diiiez que vous m'aimez. Mais, quand
îe vous l'aurai dit , reprit-elle , j'en (èrai plus
malheureuse , & je vous en verrai moins
amoureux. Je ne veux vous rien dire : devî-
nez-moi , fi vous pouvez , ajoute-t-elle en
me regardant fixement. VoOs me l'avez dé-
fendu, repris-je. Ah! s'écria-t-elle, je n^e
croyois pas vous en avoir tant dit y mais , auflîî
nç vous en dirai-je pas davantage. Je voulus
alors la prefTer de parler; elle s'obftina au
ûlcnce : nous fumes quelque temps fans nous
.Tyme lil. D
74 Œuvres
rien dire ; mais nous ne ceflions pas de nous
regarder, & je retenois toujours fa main.
Que je fuis bonne, & que vous êtçs fou !
dit-elle eniin : le beau peribnnage que nous
jouons ici tous deux 1 Ecoutez , ajoutisL-t-elIe
• d'un air de réflexion, je croîs vous avoir dit
que j'étois finccre , & je fuis bien aife de
vous en donner des preuves. Naturellement
je fuis peu fiifceptible; &, pour me fauver
des égarements de la jeuncflTe , je n'ai pas^eu
beibin de réfléchir. Il me paroîtroit d'un ex-
trême ridicule de donner aujourd'hui dans
tm tra\ners qui, par mille ralfbns que vous
ne ftntez pas , pourroit m'être moins par-
donné qtie jamais : cependant , j'ai du goût
pour vous, ic ne dis plus qu'un mot. Raflïi-
rez-moi contre tout ce que j'ai à craindre de
votre âge & de votre peu d'expérience ; que
votre conduite m'autorifc à prendre de k
confiance en vous, vous ferez content de
mon cccur. Cet aveu , que je vou^ fais, me
coûte; il eft , fi vous voulez m'en croire, le
premier de cette nature que j'aie fait de ma
vie. Je p(mvôis, je devois même vous le
làire attendre plus long-temps , mais je hais
l'artifice, & p.rionne au monde n'en efl
moins capable que moi>. Soyez fidèle & pru«
deilt , je vous épargne des peines en vous
apprenant moi-même un fècret que de long-
temps vous n'auriez pénàré, méritez qu'un
jour je vous en difc davantage, Ahl Ma-
dame, m'écriai- je.... Je ne veux pas dcrc-
inerciments, inicrrompit-ellc, ils ne fèroient
BB CîliBILLt>K, FTIS. yj
i préfent qu'unp impradence; Se c'eft iîit-
tout ce que je veux que vous évitiei. Ce
foir, peut-être, nous pourrons nous parler.
Non, Madame, répondis-|e, je ne vous
quitte pas que vous ne m'ayez dit que vous
m'aimez. Pour me preller de vous faire cet
aveu dans la (ituation oà nom (ômmes ac-
tuellement, il éaut, repartit elle, que vous
en connoiffiez bien peu le prix ! Rutes ce que
je délire , & ne pouJSbns pas plus avant une
converfatîon fur laquelle peut-être on ne
médite déjà c|ue rrc|) ici.
Je fis, non (ans jjeine , ce qu'elle vouloir.
Mon bonkeur m'avoit enivré^ &, loin de
retourner au jeu , j'allai rêver aux plaiûr s que
me promcttoit une fi belle conquête. J'étois
placé de façon que je pouvois voir m*? dame
de Lurfay : mes yeux étoient Etns cdî*e at-
tachés fur elle \ &c toujours auffi eUe me
lançoit des regards qu*elle çhargeok de tett-
drefle Se de voli^é. Je voyois enfin cette
fieire beauté, qui , ainH qu'elle me le difoic
elle-même, rfavpit jamais été fcniîble, lou-
pircr pour moi, me le dite! j'étois le Ctul
qu'elle eût aimél Je triomphois delà vertu
de Platon même. Je dis de Platon ; car > fans
m'y connoître parfaitement , je ne kiflois
pas de voir , que fi dans la fuite on me par-
loit encore de Ton fyftême, du moijis on le
mîtîgerok; & le mitiger, c'eft Tanéantir,
Cependant, il reftoît encore à madame de
Lurfay bien des reflburces contre mol, (î elle
rut voulu s'en fervir^ Ce caraftere de féyté*
D X
*f6 (B U V R E s
rite qu'elle s'étoit donnée, & qui,- tout faux
qu'il étoit en lui-même , Parrêtoit fur fe
propres defirs , la honte de céder trop promp-
tement, fur-tout avec quelqu'un, qui, ne
devinant jamais rien, lui laillèiroit tout le
déiagrément des démarches i' la crainte que
fe ne fulTè indifcret, & que mon amour dé-
couvert ne la chargeât d'un ridicule d'autant
plus grand, qu'elle avoir affiché plus d'éloi-
gnement pour ces fortes de fbibledès; fa
coquetterie même, qui lui faifoit trouver
plus de plaifir à s'amufêr de mon ardeur,
qu a la fàtisfàire , & qui avoit vraifèmbla-
blement caufé fès inégalités, plus encore,
que tout le refte.
Car, que l'on vienne à (urprendre le
cœur d'une femme vertueufe, quand une
fois elle eft convenue qu'elle l'a donné, il
ne refte plus rien à combattre. La vérité de
fon caraàere ne peut s'accommoder de ce
manège dont fè fervent les coquettes, ni de
ces dehors afïèétés qui rendent les pmdes
d'un accès fî difficile. Vraie dans la réfîfbnçe
qu'elle a oppofée aux defirs * elle ne Teft
pas moins dans la façon de (e rendre. Elle
foccombe, parce qu'elle ne peut plus com-
battre. Les conquêtes les plus méprifàblcs
font quelquefois celles qui coûtent le plus
de foin ; & Thypocrifie montre fouvent plus
» de fcrupules que la-vertu même. .
, Quoique madame de Lurfày me parut
enfin s'être arrangée for les fîens , je ne laîf-
foispaS dç craindre un de ces retours aux-
I>fiCR£BII.LON,7ILS. 77
quels elle étoit fu jette •, & j'aurois bien voulu
rie lui pas donner le temps de Li réflexion.
J'imagiiicis qu'une perfonne auffi févere
devoit être en proie à de terribles remords.
Plus mon triomphe me paroiflbit brillant,-
plus je redoutois qu'il ne fut rraverfë. Soumet-
tre un cœur inacceflîble , pouvois-je jouir
jamais d'une plus grande gloire ? Cette idée
aciflbit plus Fur mon cœur , que tous les
cnarmes de madame de Lurfays & j'ai com-
pris depuis, par l'impreffion qu'elle me
feifoit alors, qu'il eft bien plus importante
pour les femmes de flatter notre vanité, que
de toucher notre cœur.
Plus , cependant , Je réfléchiiflbis fur ce
que madame de Lurfay m'avoit dit , plus
j*y trouvois de quoi me convaincre qu'elle
vouloir me rendre heureux. Elle me rejoi-
gnit bientôt i &, dans la converfation qui
devint générale , elle glifla mille chofes fuies
& paffionnées ; elle y déploya tous les agré-
ments de fon efprit, & toute la fendreflc de ion
cœur. J'admirois en fecrct combien l'amour
embellit les femmes, & je ne pou vois pas
bien comprendre le changement extrême que
je trouvois dans toute k perfonne de madame
de Lurfày : tranfports à demi-étouffés , &
par-là peut-être plus flatteurs : regards dé--
robes, fbupirs que moi fèul j'entendois: il
n y avoit rien qu'elle ne me donnât , ou rien
qu'elle ne voulût me laifl'èr prévoir. Pendant
le fouper, où je fus à côté d'elle, elle ne di--
^ûînua rien de fes emprcflements : &, mal->
f9 <E u V » ï $
gré toutes les perfonncs qtti nous obfïJoienr^
ctte trouva le moyen de me fkirc fcntîr qu'elle
éloit fkns cefle occupée de moi. La fituation
où je mt trou vois, avoit augmenté mon
cmbarias naturel.
Je ne répcmdôîs à tout ce qu'elle me dî-
fbk, que pat un fburire niais, ou par des
difcours mal arrangés, qui ne valoient pas
mieux 5 & ne difoiem pas davantage. J au-
rois fait cent fois pis , que je n'en aurois pas
perdu i^us auprès d'elle. Ma rêverie, mes
diftraâions, & ma ftupidité , rfétoient pour
cfle que des peuves plus încontcftables que
yétois fortement épris j & je ne voyois jamais
Jpius de tendrefle dans fes yeux, que quand
jd luj avôls répondu quek[ue choîè de bien
dbiimle. EBe n*êfir pas la feule que f aie vue.
àsim ce cas là. Les femmes adorent fouvent;
en nous nos plus grands ridicules, quand
cBes peuvent fe flatter que c'eft notre amour
pour eBcs qui nous les donne.
Quelque paffion que je me fèntî{& pour
Madame de Lurfiy , dans quelque défbrdre
que m'eut plongé tout ce qui venoit de fc
paflèr,. mon inconnue m'étoit plus d^une
fois revenue dans l'efprit* Mais , loin de me
lar (lèr occuperde fon iouvenir , je cherchoîs à
Tanéantir dans mon cœur; ilme^fembloit,
pour peu que je Ty laifïàfîe fubiîfter , qu'il
prenoit trop d*empîre (ur moi. Je me repro-
choîs, comme uiie perfidie , tout ce que je
fâKois pour madame de Lurfay ; & , pour
voufoîr continuer à lui plaire, j'avois befbin
DECRéBILLONjFlLS. 79
d'oublier à quel point j'aimoîs mon inconnue.
Je^cherchois à me diftraire die (on idée par
celle des plaifirs qui m attendoient. J'eufle
mieux aimé , à la vérité , que tout ce que je
defirois de madame de Lurfay^ m'eût été
donné par elle ; mais , je ne m'en fentcris pas
moins dilpoie à profiter des bontés de la.
première.
Le (buper finît. Meilcour, médit madame
de Lurfày > pendant que tout le monde fo
fevoit , vous voyez que tious ne pouvons
nous entretenir ce (bir ; & je vous avouerai
qu'au fond , je n'en fuis pas fâchée ; vous
m'auriez peut-être donné lieu de me plaindre
de vous. Moi, Madame ! répondis-je, dou-^
tericz-vous de mon refoedt? Mais oui, re-
prit-elle ; je n'ai pa» uir cela trop bonno
opinion de vous : ce n'eft pas que je ne
foflè bien vousimpofer; mais afnrèstout, je
crois qu'il vaut mieux que vous veniez
demain.
' Je fburis^à ces mots 5 il me paroiflbit pkî-
&nt que pour éviter que je lui manquafle
de refpeâ , elle me redonnât un rendez- vous.
Je vous entends , eoncinua-t-elle, vous peu-
fos bien que nous ne ferons pas £euls. Je fus
fi interdit de me voir déchu de toutes me$
cfpéranccs, que je penfo lui répondre.
Comme vous vouifrez : mais , Madaiiie ,. lui
dis-je , après m'être un peu remis , pourquoi
ne voulez- vous pas que nous nous entrete-
nions ce loir? Parce que, répondit-elle, il y
2 trop de monde ici^ ôc que la bieckTéaiQM
\
80 Œ Iff V K E s
feroit choquée, fi l'on vous y voyoit reftcr.
Mais aufli, c'eft votre feute. Il n'a tenu qu'à
vous de n'avoir pas à vous plaindre d'une
compagnie fi nombreulè. Vous me défefpé-
le». Madame, r^K>ndis-)e, d'autant plus
qu'il ne fe préfente rien à mon e(prit qui
puiflè me tirer d'un état auffi défagréabie.
Je ne fais pas, repartit-elle , ce qui vous fiut
defirér à ce p<Mnt-là une choie auffi indifté-
rente par elle-même ; mais puifqu'elle vôu»
pnroît fi eflèntieUe, examinez ce que nous
Il eft naturel qu'en pareil cas le plusexpé-
rlmenté fe charge de la conduite des affaires»
& elle crut pouvoir , fans trop prendre fui
elle me fournir l'expédient qui devoir tous
deux nous tirer d'embarras ; mais elk devoir,
pour fon honneur, paroître étourdie de &
fimation, auffi rêva-t-eUe long-temps icUe
me propofa même , les uns après les autres,
vin« moyens qu'eUe condamnoit fur e
champ. & finit pair me dire, comme que -
qu'un qui a épuifé toutes fes vues, quelle
ne voyoit rien de plus court , m de plus lur ,
que ne ne pas rcfter avec eUe Je combat-
tis fon dernier avis , mais foiblenaent. Je
n'en favois pas affez pour npusurer d'un état
fi pénible , & je trouvai qu elle ayoït raiton.
Elfe ne s'attendoit pas à une decifion ù pré-
dfe , & ae prit dans l'inftant fon parti. ^
Il n'eft pas douteux, dit-elle, queienaie
raifon; cela eft fenfible. En efftt, je ne vois
rien, mai* rien du tout, qui pmfTe fcrvir à
I>ECRiBILtOK,VItS. Sr
notre îdée^ Ce n'eft pas que dans le fond on
^ût imaginer, fi vous reftiez ici, qu'il y a
quelque chofede particulier entre nous deux»
Kien n'eft fi fimplej mais, le monde eft
méchant , vous êtes jeune. On ne voudroic
jamais penler ce qui en eft î & d'une chofe ^
qui n'eft aflurément , ni cherchée , ni pré-
vue , & qui n'auroit pas même befbin d'être
cachée , on en feroit une afl&ire, un rendez-
yous déterminé. Pourtant cela cft cruel 5 car
il eft certain que je m'expofèrois , mais de la
façon du inonde la plus jfunefte. Ce (àcrifice,
que je vous ferois , feroit peu pour vous , ôc
y y perdrais tout. Je vois que ce contre-temps
vous afflige, & je m'afflige auflî moi de
difiruter fi long-temps cette, matière avec
vous. Il y a mille femmes aflurément , à qui
ceci ne cauferoit pas le moindre embarras^
^ais , î'ai fi peu d'ufage de ces fortes de
chofes , que vous ne devez pas paroîuc fur-
pris du trouble où celle-ci me met. Si ce-
pendant l'on pouvoit fe xafTurer par la pu-
reté de fès intentions, je n'aurois, à coup
fur, rien du tout à me reproch rj car., je
vous le répète, rien n'efl fi fimple que nous
foyons feuls. Je ne doute pas que vous n em-
ployiez ces moments à me dire que vous
m'aimez j mais vous m'en diriez autinr de-
vant tout le monde: &, puifque je-repus
là-defTus vous impo/er filence , il me f emble
qu'il vaut mieux 4|a'ii n'y ait que moi qui
Vous entende, Mais;^ ajouta-t-elle , toutes
CCS réflexions ne font pas des expédients^
D 3
H Œ Tf V H I 5
Atcz-voos quelqu'un de vos gens Ici? Oui»
fépondis-îe : voudriez-vous que je les ren—
voyaflè? Eh, mon dieu non! reprit -ellc^
ce n*eft pas de cela qu'il eft quefticm ; gar-
dez-vous en bien : naais pour quelle
heure avez-vous d^nandé votre équipage i
Pour imnuit? Oui, repris-je. Tant pis, re-
partît-elle, e'eft rheure à laqueUe on fbrtira
de chez moi. Si je ne le (aifois revenir qu'à....
deux heures, par exemple, •întetrompit-
eUe : puifquc vous penficz cek, pourquoi ne
0ie te pas dire ? Cet expédient levé toutes le»
difficultés , & je vous lais gré de l'avoir ima-
giné. En c&t , le prétexte d^attendre vos.
gens eflr fuflSfànt pour lefter ^ & , Tuppcfè-
que quelqu'un vous oârît de vous remener >
vous (auriez vous en difpenfèr apparemment l
Je ne répondis à jsiadamexle Luriay , qu'en
lui ferrant la main ^vec paffion, & je ibitis
pour donner mes ordres , riant en moi--
même de ce qu'elle me feÛèit honneur du:
itratagenae qui aKuroit notre entretien ^ pen-r
tiant qu'elle auroit pu à (i jufte ritre s'en
«ttribuer f invention*
' Je trouvai en rentrant , que tout te monde
^-^s'étoit mis au îmi , & que madame de Luriàf
a plaignoit de k migraine : tout imbécille
que f étois , je ne lailui pas de comprendre
qu'efie ne feignoît cette indifpofirion , que
pour être i4uK>t en liberté de me parler i 8c
je ne concevoîs pas^ coMfment on pouvoît
€(HS)mettre l'incivilàé dçl'ne point abandon-
Éfit^ ieu^ & deoe b paslaïuèi jqmi de os:;
-lèpos dont die fcmWoit avoir l)efbîn. Mal-
Îiré toutes les réflexions que )e feifois là-defl
us, fitmonlmparience, on acheva les par-
ties commencées. Je me fentois une ardeur
ihquiette , qui me tourmentoit. Je regardois
triftemeni: madame de Lurfày, comme pour
liH demander raifon du chagrin qu'on nous
caufoit : & elle, par les plus tendres fburis,
me feifbît entendre qu'elle partageoit tnoi^
inquiétude.
Ce moment fi ardemment fbuhaité vînt
enfin ; on fè leva , on fe difpofa à partir : jç
fbrtis avec tout le mondé, & je feignis d erre
étonné de ne trouver perfonne à moi dans
l'antichambre. Ce que madame de Lurlày
avoir prévu, i?e manqua pas de m'arriver»
On me propofa de me remener : je ttmer-.
ciai, mais avec un air décontenancé, L'oi?
me prelTbît d'îaccepter., mon embarras aug-
mentoit j &c je crois que , faute de favoir
que répondre, je me (erois laifle reconduire
h madame de Lurfay, fertile en expédients,,
& dontTefprit ne fè trouWoir pas^auflSaifè-
ment que le mien , ne fut venue à mon fe-
cours. Ne voyez-vous pas, dit-elle en CàvL-»
riant , à ceux qui me tourmentoient le pluf
polimcxit du monde , que vous le gênerie? j,
& qu'il ne veut pas apparemment que l'oa
fâche où i! veut aller : il a fans doute quel*^
que rendez-vous. Mais , vos gens né peu-
Vent pas tarder à venir, continua- t-elle en f$
torirnant vers mcnj &; q^ique j'aie lïiî tniî
oe tête affieux , Je veux bîpii vous pciuïet
$4 (E tj y ît « «
de les attendre ici. Ce difcours fut tenu d'un
air fi naturel , qu il étoit impoffible de n*y
être point trompé. Je la remerciai en bé-
gayant. On attribua mon trouble à la plaî-
lanterîe qu'elle m'avoît faite i &, après
jiv'avoir raillé bien ou mal fur nu bonne
fortune prétendue , enfin on nous laifla en-
lêmble.
Je ne me vis pas plutôt feul avec elle ,
que je fus faifi de la plus horrible peur que
j'aie eue de ma vie. Je ne faurois exprimer
la révolution qui fe fit dans tous mes fèns.
Je tremblois , j'étois interdit. Je n'ofois re-
garder madame de Lurfay : elle s'apperçut
aifèment de mon embarras , & me dit , maïs
d'un ton le plus doux , de m'aflèoir aupi^
d'elle fur un fopha où elle s'étôit mifè : elle
y étoit à demi couchée j fa tête étoit appuyée,
lur des couffins , & elle s'amufbit noncha-
lamment j ' & d'un air diftrait , à faire des
liceuds. De temps çn temps , elle Jetoit les
yeux fiir moi d'une façon languiflante , &
je ne manquois pas dans Tinftant de baiflèr
le^edhieutement les miens. Je crois qu'elle
-voulut attendre , par méchanceté , que je
Tompifle le filence : enfin , je m'y déterminai.
Vous faites doiic des nœuds. Madame, lui
demaaidé-je d'une voix tremblante. A cette
intéreflanre & fpirimelle queftion , madame
de Lurfay me regarda avec étonnement. Quel-
que idée qu'elle (è fut faite de ma timidité ^
éc du peu d'ufàge que j'avois du monde 3 U
iiui parut incoaceyaole que je ne troavaflè que
1» E C R I fi T 1 1 ô 17, V I £ f. Sf
gela à lui dire. Elle ne voulut pas cependant
achever de me décourager ; & , (ans y ré*
pondre , je fuis, me dit-elle , fâchée , quand
Yy fbnge , que vous foyez refté ici : & je ne
iais à préfenc Ci ce ftracagême que nous avons
d^bord trouvé fi heureux , fera l'eâèc que
nous avons imaginé. Je n'y vois point d'in-
convénients , répondîs-je. Pour moi , repartit-
elle , je n'en vois qu'un j mais il eft terrible.
Vous m'avez trop parlé tantôt , & je crains
qu'on n'ait deviné ce que vous me difiez.
Je voudrois qu'en pubuc vous fiidîez plus
drconfpeâ:. Mais , Madame , repartis-le , il
eft impoilîble qu'on m'ait entendu. Ce ne
&roit pas une raifbn , répondit-elle : on com-
mence toujours par médire , fàuf après à
examiner fi l'on a eu de quoi le faire. Je me
fbuviens que nous nous lommes emxetemis
long -temps fur une matière qui ne vous
Liiflbit point un air indifférent. Quand on dit
à quelqu'un qu'on l'aime , on cherche à le
lui periuader , & le difcours ne partît-il pas
du cœur , il anime toujours les yeux. Moi l
qui vous cxaminois , par exemple , il me "
lembloit que vous aviez plus de rcu , plus de
tendreflè que vous ne croyiez peut-être vous-
même : c'étoit fans que vous le vouluflîez»
même (ans que la cho(e nous touchât afièz
pour qu'elle altérât votre phylîonomie j ce-
pendant je la trouvois changée. Jecrainsqa'uq
jour vous ne foyez trompeur > & ie plains
d'avance celles à qui vous voudrez plaire^
.Vous avez un air vrai 3 votre expreflion eft
t6 (S V y K n 9
paflionitée , cHc peint !e fenriment aV€?c tf fftf
împétuofité qui cntraîhc , & te vous avoue-
rai. • . Mai$ non , aJouta-t-eUc , en a'inter-
rompant , & avec un air confus , il ne me
ferviioit de rien de vous dire ce que je penfe.
Parlez , Madame , lui cfis-je tendrement 5
rendez-moi , s'il Ce peut , digne de vous plaire.
De me plaire, leprit-elle. Ahî Meilcour^
c'çft ce que je ne veux pas ; & , fappofè que
vous en ayiez eu le deffèin , n'y penkz plus ,
jè vous en conjure : quelques raifons que j'aie
de fuir l'amour, quelque peu même qu'iî
femble être feitpour moi , peut-être m'y ren-
driez-vous fenhole. Ciel ! ajouca-t-elle trifte-
ment , (crois- je réfervée à ce malheur , & ne
Faurois- je évité jusqu'ici , que pour tomber
plus cruellement ?
Ces paroles de madame dt Luriây , & le
ton dont elle les prononçcrit , me jetèrent dans
un attendriflèment où je ne m'étois jamais
trouvé , & qui me pénétra au point que je ne
pus d'abord lui répondre. Pendant le fîtence
mutuel où nous reftâmes guelque temps ,
elle paroifloit plongée dans k rêverie la plus,
accablajite r elle me jetoitdes regards conftis ^
tevoit les yeux au ciel , hs laiflbir retomber
«endrement fur moi , fèmbloit les en arracher
avec peine ; elle (bupiroit avec violence , &
ûc défordre avoir quelque chofe de fi naturel
& de fi touchant; elle étoit fi hdlt dans en
èta t j. elle me pénétïoit de tant de refpeft , que
guand je n^urois pas eu déjàfe defir de lui
^aire ^ elle me rauroic furemcnt. Bât nâat^
DB CRlÉkTlLôîr, Fil s. t^
' Eh ! pourquoi , lui dis -je d'une voix
étouffée y feroit-ce an malheur pour vous ?
Pouvez-vous me le demander , reprit-elle >
Croyez-vous que je m*aveugle fur le peu de
rapport qu'il y a entre nous ? A préfcnt que
TOUS n;ie dites que vous m'aimez , vous ête»
peut-être fincere ; mais combien de temps le
lèricz-vous , & combien ne me puniriez-vous
pas df avoir été trop crédule ! Je vous amu-
fèrois : vous me fixeriez. Trop jeune pour
vous attacher long-temps , vous vous en pren-
driez à moi des caprices de votre âge. Moin»
}e vous foumirois de prétextes d'inconftance>
plus je vous deviendrois indifférente. Dans
les foins que je prendrois de vous ramener^
Vous verriez moins une amante Cenfihlc ^
qu'une perfonne infupportable : vous îrier
même jufqu'à vous reprocher lamour que
vous auriez eu pour moi -, & fi je rie me
voyois pas indignement facrifiée , fi vousn'inf-
truifiez pas le public de ma foiHefle , je le
dcvrois moins I votre probité qu'au ridicu'e
dont vous croiriez vous couvrir en avouant
que vous m'auriez aimée,
Madame de Lurfày auroit fans doute parlé
plus long-temps fur ce ton tragique 5 mais
elle m'en vit fa abattu , fi près d'en verfêr
des larmes , fi déconcerté de la façon donc
elle avoit traité ce (ujet, qu'elle crut nécef^
(aire , pour me remettre l'efprlt, de me par-^
1er atec moins de majefté.
Au refle, ajoiita-t-elle doucement, ce n'eft
fos que ie vous croie capable d'aucun de»
S8 -'(B Tj V K E s
mauvais procédés que je viens de vous dé-
peindre ; non , afTurément : mais , je vous le
répète , je crains votre âge plus encore que ^
le mien ; d'ailleurs , vous ne voudriez pas ai-^
mer à ma fantaifie. Non , Madame ^ lui dis-
je , je ne me conduirai jamais que par vos vo-
lontés. Je ne fais pas , reprit-elle en fburiant ,
ù je dois vous en croire. On imagine quel-
quefois que c'eft une preuve d'amour , que
de perdre le refpeâ: ; & c'eft la pl,us mau-
yaife façon de penfèr qu'il y ait au monde :
)c ne dis pas qu'on ne doive naturellement
attendre une récompenfe de fès foins *, quel-
que répugnance que fente une femme à
s'engager trop avant , quand elle efl une fois
perfuadée, elle lailîè peu de chofè à com-
battre. Quand fêrai-je donc allez heureux
pour vous peffuader. Madame , lui deman-
d»t^? Qiiand ? répondit-elle en riant ; mais
vous voyez que je le fuis à demi. Je vous
kifT^ dire que vous m'aimez > & je vous
dis prefaue que -je vous aime. Vous voyez
ueue eu ma confiance ; je n'ai pas craint
e refier feule avec vous, je vous ai même
aidé à y parvenir. Cela fait, à ce qu'il me
fèmble , des preuves de tendrefïeafïez fortes »
& , fi VOU5 les voyiez telles qu'elles font , je
crois que ^'ous ne vous plaindriez pas. Il eft
vrai , Madame , repris-je , d'un air embar-
rafle,mais^. Mais,Meilcour, interrompit-elle,
Avez- vous bien que ma démarche de ce foiir
cfl très-hafàrdée , & qu'il faut que je penfê
^ufS'bien de vous que je le iais pour m'y
i:
être détenninée > Hafârdéeî repHs-je. Oui,
dit-elle , & je le répète , très-hafardée. Au
fond ^ il Ton {àvoit que vous êtes ici de
mon confèntement , que j'en ai lié volon-
tairement la partie avec vous ; en un mot ,
que ce n'eft pas un coup imprévu , que ne
feroit-on pas en droit d'en dire ? Voyez pour-
tant le tort qu'on auroit j car perfbnne ne
peut être aflurément plus refpedtueux que
vous ; Se voilà , ce qu'on ne croit pas , le
moyen de tout obtenir. Meilcour , ajoutâ-
t-elle , preflamment , que vous voulez
vous faire aimer ! que cet air d'embarras &
d'ingénuité , qui me découvre toute la can-
deur de votre ame , eft flatteur pour moi I
Ces paroles me fêmbloient alors trop obli-
geantes pour n'en devoir pas remercier
madame de Lur&y j & dans le transport
qu'elles me fàifbient , je pris fur moi au point
que j'ofai me jeter à (es genoux. Ah ciel !
m'écriai- je , quoi vous m'aimerez , vous me
le direz ! Oui, Meilcour , reprit-elle en fou-
rîanr , & en me tendant la main : oui , je
vous le dirai , & le plus tendrement du monde ;
{èrez-vous content ? Je ne lui répondis qu'eh
ferrant avec ardeur la main que je lui avois
faide. ^
Cette aûion téméraire fit rougir madame
de Lurlaj, & parut la troubler ; elle fou-
pira; je foupîrois auflS. Nous fumes quelque
temps fans nous parler. Je cellbis un inftant
de baifer fa main , pour h regarder. Je
trouvois dans fès yeux une expreffion donc
$0 ® xr V K H S
yétoîs iâifi (ans la bien connoître , îk ctoîcrtC
h vifs , fi touchants ! j'y lifois tant d'amour !
Sue , fiii qu'elle me pardonncroit mon au-
acc , î'ofai encore lui baifêr la main. Eh
bien, mcdîc-elle, enfin ne voulez-vous donc
pas vous lever ? quelles font donc ces folies >
Levea-vous , je le veux. Ah , Madame !
m'écriai-je , aurois-je le malheur de vous
avoir déplu ? Eh ! vous fais-je des rcçtochcs ,
répondit -elle languiflàmment ? Noj», vous
ne me déplaifez pas ; mais , reprenez votre
place 5 ou , pour mieux dire , partez , je
viens d'entendre votre carrofle , & je ne
veux pas qu'on vous attende. Demain , fi
vous voulez , on vous verra ; fi je fors , ce
ne fera que tard. Adieu , ajduta-t-eUe , en
riant de ce que je retenois éternellement &
main ; je veux abfolumcnt que vous paniez.
Vous œvenez d'une témérité qui m'effraie ^
de je ne voudrois point du tour qu'cBe
continuât. Je cherchois à me juflifier. Je
ne voulois point me rendre aux ordres de
liiadame de LurCiy. En me preflant de la
quitter y . elle n'avoir point l'air d^une femme
q^ui veut être obéie : je lui foutins qu*eMe
n^avoit point entendu rentrer mon carrofTe»
Mais, quand cela feroit, me dit-elle», il ne
me plaît pas que vous, refiiez ici davantage^
Ne nous fommes-naus pas tout dit? Il me
femble que non x tepris-je en foupirant i &
£ je garde quelquefois le filence auprès de
Vous , c*eft bien moins parce que je n'ai rien
'à vous dire , que par la difficulté que p
DE Ck E B I IIO K^ FIX5. ^t
trouve à vous exprimer tout ce que je pcnfe.
Voilà , me dit-elle , en fe remettant Cux le
fbpha y une timidité dont je veux vous cor-
riger : il faut toujours la diftinguer du refl
peâ: , l'un eft convenable , & l'autre eft ri-
dicule. Par exemple., nous fommes feuls ,
vous me dites que vous m'aimez , je vous
réponds que je vous aime , rien ne nou5
gêne : plus la liberté que je fcmble donner
à vos defirs , eft grande , plus vous êtes
cftimable de ne point chercher à en abufcr»
Vous êtes peut-être le feul au monde que
je connoifle capable de ce procédé. Au/ïi la
répugnance , que je me fuis toujours fènrie
pour ce que je fais aujourd'hui^ cefle-t-elle.
Je puis me flatter enfin d'avoir trouvé un
cœur dans les principes du mien. Cette re-
tenue ^ dont je vous loue , vient du refpeâ: j
car , ti vous n*éticz pas timide , j'en auroig
allez fait pour que vous ne le fuflSez plus*
Vous ne me répondez rien? C'cft que je
lens y Madame , repris -je , que vous avea
railon , & que je voudrais que vous euffiea
tort.
U n'eft pas hors de propos de faire remar-
quer 3 que quand elfe s'étoit remife (iir le
lopha, je m'étois rejeté à fês pieds j qu'alors ,
dfc m'a voit laifle appuyer les coudes fur fès
genoux î que d'une main elle badinoit avec
mes cheveux , & qu'elle permettoit que je
lui ferraiïe ou baifaflc l'autre , car cette im-.
ponante faveur étoit à mon choix.
Ah! fi i*étois furc, s'écria- 1- elle , que
$1 OE u V K Ë s
vous ne fîiffiez pas inconfbmt , ou indifcret ^
àjouta-t-elle , en baiflant la voix ! ^
Loin de répondre comme je l'aurois dû ,
fc fèntisfipeu la force de cette exclamation ,
je connoiiïoisfi peu le prix de ce que madame
de Lurfày faifoit pour moi, que je m'arAufàî
à lui jurer une fiaélité éternelle. Le feu que
je voyois dans (es yeux , & qui auroit été
pour tout autre un coup de lumière y fbn
tjouble , Taltération de Ùl voix , (es (bupirs
doux & fréquents , tout ajoutoit à roccalion
&: rien ne me la fit comprendre. Je crus
même qu'elle ne (è Kvroit tant à moi , que
parce qu'elle étoit (ure de mon refpedb /&
qu'un moment d audace ne me feroit jamais
pardonné j qVelle étoit une de ces femmes
avec lefquelles il faut tout attendre , & pour
qui le moment n'efl redoutable que quand
aies le veulent : je me fis , enfin , tant &
de fi fortes illufions , qu'elles prévalurent
fiir mes defirs > & fur Tenvie que la délicate
madame de Lur(àyavoit de m'ooliger. Moins
die avoir à fe reprocher de ne s'être pas aflea^
Êàt entendre , plus elle de voit être indignée
cpntremoi. Je la vis tomber dans une (om-
bre rêverie , & je Taurôis tourmentée juf^
qu'au jour de mes proteftations d'amour ,
& fur-tout de refpeft •, fi , ennuyée enfin
de la fituation ridicule où je la mettois, elle
ne m'eût réitéré , Se très-fortement , qu'il
étoit temps que je me « retirafle : elle jugea
en perfonne (en fée , qu'il ne lui reftoit plus
rien dans cet inftant à c(pérer de flioi. QilcU
DECRÉBîLtOÎ{,FIL$. 9J
que répugnance que je montrafle pour lui
obéir', je ne pus rien gagner fur elle , &
nous nous féparâtnes ; elle étonnée fans douté
qu'on pût poufler aullî loin la ftupidité \ Sc
moi perfuadé qu'il me faudroit au moins fix
rendez-vous , avant que de favoir encore à
quoi m'en tenir. Il me Icmbla même , qu'en
me quittant , elle m'a voit regardé avec froi-
deur ; & je crus qu'elle n'étoît caufée que
par les licences où je m'étois laiflTé emponcr
avec elle. ^
Je ne me vis pas plutôt rendu à moi-
même 5 que , ma contufion fe diflîpant , je
jugeai de ce qui venoit de fc pafler, difïerem-
*ment que je n'avoi$ iàit dans le temps de
l'aftion même. Plus je me rappcllois les dit-
cours & les façons de madame de Lurfay ,
plus j'y trouvois de quoi douter que mon
refpe£k eût été (i-bien placé que je J'avois
cru , & que fi le fécond rendez -vous fe
paflbit comme le premier , elle eût la com-
plaifànce dé m'en accorder un troifieme ,
toute dame à fèntiment qu'elle étoit. Je
n'imaginois pas , à la vérité , qu'en la pref-
(ànt cmvantage , j'eufle remporté la vitftoire ,
mais que du moins je me la ferois préparée.
Mais auflî , c'étoit ù, faute, Savois-je inoi',
que toute femme qui, en pareille occafion,
parle de (a vertu , s'en pare moins pour vous
ôter l'efpoir du triomphe , que pour vous
le faire paroître plus grand? A quoi bon
toutes ces finefles de madame de Lurfay ? Il
dcvoit être décidé que je les prendrais pour
S 4 Œ V T K fi s
onnes , fuflTent-elles cent fois plus gro^He-
tes ; Se il n'eft avantageux aux femmes de
s'en {èrvir , qu'avec ceux à qui elles n'en
împofent point. Ma vertu ! votre refpcd 1
mots bien choifis pour un tête-à-tête ! (ùr-
tout, quand on ne s'apperçoit pas à quel
point ils y font déplacés > & qu'on ne £dt
point que jamais la vertu n'a donné de ren-
dez-vous. Au milieu^du chagrin où me plon-
geoir le peu de réuflite de celui-ci , & la
fermeté que ]e me propofois d'avoir dans
ks autres , mon inconnue revint m'occuper :
mais les idées de plaiiir que madame de
Lurfay m'avoit oâèrtes ; les chaînes même
dont je venois de me lier avec elle ; l'im-
poflibilité que je prévoyois à me (aire aimer
de cette inconnue ; impoflibilité dont , pour
me juftifier à moi-même mes inégalités , je
m'effrayois encore plus dans ce moment ; &
l'indifférence que ce jour là même elle m'avoit
témoignée , me la rendirent moins chère. Je
fèntois que , (îir d'être aimé d'dle , j'auroi»
aifément facrifié madame de Lurfay , mais
que je ne le pouvoisplus qu'au prix de cette
cenituds. Je nepouvois mediflîmuler , qu'en
me voyant , elle avoit détourné les yeux ;
qu'elle avoit eu même cet air dédaigneux que
l'on prend à l'arped d'un objet qui choque :
Se , après un examen réitéré de mes char-
mes , de prc^ondes réflexions fur ce que
î'avois lieu d'en attendre , & le fâcheux cSct
que cependanr ils avoient produit , je conclus
qu'il falloit ^ {x, comme cela me paroiâbii:
HE CaEBILLOK^ Fllf. 5/
vlfîble , mon inconnue ne m'aimoit pas , que
Germeuil Teût prévenue contre moi , ou
qu elle eût une antipathie fccrette pour les
jolies figures. J'aurois peut-être préfumé de
la mienne un peu moins dans un autre temps $
mais, madame de Luriây , éprifè pour moi
de l'ardeur la plus vive , me donnoit de
rtftime pour ma perfbnne. Je ne pouvois
peniêr qu'une femme auîfi peu fufceiptible
me trouvât dangereux , fi en effet je ne létoîs
cas ; & que Von fit une G violente impref-
iîon , (ans avoir un extrême mérite. Malgré
le peu de goût que je fiippofois à Tinconnuc
pour moi , je fcntois qu'eue m'intérefïbit en-
core : mais j'attribuoîs le trouble dont mon
cœur étoit tourmenté , à un refte d'împref-
fion trop vive d'abord , pour être fi promp-
tcment effacée •, & je le combattois de tout
ce que les charmes de madame de Luriay »
& l'idée de mon bonheur prochain , avoient
de jdus puiflànt & de plus doux.
Je me diipoibis le lendemain à aller chez
elle , & j'étois auprès de madame de Meil-
cour, lorfqu'on lui annonça le comte de
Verfàc : elle me jparut fichée de cette vifitc ;
. il étoit en effet Phomme du monde qu'elle
aimoit le moins, 6c que pour moi eUe crai-
gnoit le plus ; auflî venoit-il très-xarement
chez elle. La même raifbn , qui Faifbit qu'il
neconvenoicpasà ma mère , f^foit ai même
temps qu eUe ne pouvoit lui convenir. Elle
ni'avoit mêrne défendu de le voir. Ne nous
trouvant point tous deux dans les mêmes
t
^6 CE V K B s
maifbns , 6c moi allant peu à la cour o&
Ver(àc étoit prcfquc toujours , nous nous
connoiiCons fort peu,
Verfac, de qui f aurai beaucoup à parler
dans la fuite de ces mémoires , joignoit , à la
lus haute naiffance, l'efprit le plus agréa-
le , & la figure la plus fëduifànte. Adoré
de toutes les fèmmies, qu'il trompoit & dé-
chiroit fans ceflè ; vain, impérieux y étourdi,
le plus audacieux petit-maitre qu'on eût ja*
mais vu ; & plus cher peut-être à leurs yeux
par ces mêmes défauts , quelque contraires
qu'ik leur fbient : quoi qu'il en puiffè être,
elles l'avoient mis à la mode , dès l'inflanc
3u'il étoit entré dans le monde ^ & il étoic
epuis dix ans en pofleffîon de vaincre les
plus infènfîbles , de fixer les plus coqueaes,
& de déplacer les amants les plus accrédités ;
ou s'il lui étoit arrivé de ne pas réuffîr^ il
avoit toujours fîi tourner les cnofès fi bien à
(on avantage, que la dame n'en pafibit pas
moins pour lui avoir appartenu. Il s'étoit hit
un jargon extraordinaire qui , tout apprêté
qu'il étoit, avoit cependant l'air naturel,
Plaifànt de £ing-froid , & toujours agréable ,
(bit par le fond des chofès, foit par la tour-
nure neuve dont ils les décoroit , il donnait
un charme nouveau à ce qu'il rendoit d'après
les autres , & perfbnnc ne redifôit comme
lui ce dont il étoit l'inventeur. Il avoit com-
pofe les grâces de fà perfbnne comme celles
de fon elprit , & fàvoit fè donner de ces agré-
ments fînguliers qu'on ne peut j ni attraper,
oi
MÎ définir. Il y avoit cependant peu de
gens qui ne voulufTent Timiter 5 .&, pariiu^
ceux4à, aucun qui n'en devînt plus défa-
gréatlc : il.fèmtloit que Cette heur^ulè im-*
pertinence fût un don de la nature, & qu elle *
r\ avoit pu faire qu'à lui. Perfoune ne pou-
voit lui reflèmbler i & moi-même, qui aï',
depuis marché fî avantagcuièment fur Ces
traces, & qui parvins enfin à mettre la cour
& Paris entre nous deux , je me fuis vu long-
temps au nombre de ces copies gauches &
contraintes qui , Êins pofTéder aucune de (es
grâces , ne faifbient que défigurer fes défauts,
& les ajouter aux leurs. Vêtu fuperbement ,
il Tétoit toujours avec goût & avec noblcflè ,
& il avoit Tair (èigneur , même lorfqu'il l'af-
feftoit le plus.
Verfac , tel qu'il étoît , m^avoît toujours
plu beaucoup. Je ne le voyois jamais fans
1 étudier, & (ans cherclier à me rendre pro-
Eres ces airs faftueux que j'admirois tant eir
li. Madame de Meilcour , qui , fiiliple &
fijis art , trouvoit ridicule toUt ce qui n'étoit
pas naturel , avoit reconnu le goût que j'avois
peut Verfac , & en avoit frémi. Par cette
raifon , plus encore que par l'éloignemént
qu'elle avoit pour les gens du cafaftere de*
Verfac , elle ae le fouf&ôit * qu'impatîefn-
Pient; mais, les égards qu'on fe doit dans'
le monde , &qui , entre peïfbiiiies d'un fanç^
oiftingué , . sk)biervent avec une extrênie
çxafttiude, robieepiènt de fe cohtraindre^^
[ ,11 entra avec"tocas\ fit à'm^adame de
^î (B tr r n Ht
Afeilcour une révérence diftraîte, ^ moi una
moins ménagée encore, parla un peu 4c
chofès indifférences, & fè mit après à médire
de tant de monde, que ma mère ne pue
s'empêcher de lui demander ce que lui avoît
fcil toute la terre , pour la déchirer perpé-
tuellement } Eh ! parbleu. Madame, répon-
dit-il , que ne me demandez-vous plutôt ce
que f ai kit à toute U terre , pour en être
perpétuellement déchiré ? On m'accable ,
cpntinua-t-il , on me vexe ^ que c'eft uno
chofe étrange , on m'excedc de calomnies ,
on me trouve des ridicules comme fi l'on
n'en avoir pas , & que moi je ne dufle point
Jes voir ! Mais, à propos, y a-t-il long-temps
aue vous n'avez vu la bonne comteflè l Ma-
ame de Meilcour répondit qu'oui. Mais
c'eft qu'on ne la voit plus , reprit-il : j'en fiiis
dans une douleur amere , dans la plus terri-
ble affliâîon ! Se feroit-elle jetée dans la dé-
votion ? répartit ma mère. Vraifemblable-
ment , reprit-il , elle en viendra là ; elle eft
pénétrée de la plus augufte douleur ; elle
vient de perdre le petit marquis, qui lui a
(ait la plus condamnable infidélité que de
inémoire d'homme on ait imaginée. Comme
(te nVft pas U première fois qu'elle eft quit-
tée ,, on pourroit croire qu'elle fè confbleroit
de celle-ci comme des autres , car l'habitude
au malheur le fait moins vif, fans un acci-
dent qui rend çèt abandon-ci extraordinaire.
Et c'eft > demanda iiiadairie de Meilcour. -
Cfftf lepartit-il^ niais coînment le croirie««
^^fMis 9 de la perfbnne de la cour la plus pré-
voyante , la mieux rangée ? C'eft , qu'elle
n'avoit que celui-là. Pour rétablir fa repu-
cation, elle s'étoit fait une affaire de fentiment ;
mais , fl n'y a pas de femmes que ceci n'en
dégoûte : & ce qu'il y a de pis , c'efl que
ï'infîdele a voulu fe réicrver le plaifîr noir ,
]>arbare, de n'avoir pas de fuccelïèur, &
iqu'il la peint fî-bicn de façon à glacer les
plus intrépides , que depuis huit jours qu'elle
cft fi fatalement délaiflee , il ne s'cft pas pré*
fente à elle la plus mince confbiation» Vous
conviendrez que Cela efl douloureux , mais
au plus douloureux ! Jenexrois pas, répon-
dit ma mère , un mot de toute cette aven- .
turc. Comment ! dit Verfac , c'eft un fait
public. Pourriez-vous me foupçonner de le
prêter à la comtefTe, qui eft une des femmes
du moiide pour qui fai la plus grande con-
fidération, & que je tiens en eftime particu-
lière ? Ce que je vous dis eft auflî prouvé,
^u'il l'efl , qu'elle , & la divine Lurfày ,
ont mis du blanc toute leur vie. Je penfaî
frémir en entendant Verfac parler fî injurleu-
fèment d'une jperfbnne pour qui j'avois le
plus grand refpeft, Se à qui je croyoîs le
devoir. Autre genre de calomnie, répondit
madame de Meilcour, jamais madame de
Lurfay n*a mis de blanc. Oui , reprit -û^
comn^ ^^ tïz jamais eu d'amants. Des
amant& l madame dé Lurfày ! pcn&i-je m'é-»
crier. Ne diroit-on pas, pourluivit Verfac ,
;qu'on iiô h conooit point ? Ne fait-on pas
Ë £
qu*il y a cinquante ans au moins qu'elle aïe
cœur fort tendre } Cela n'étoit-îl pas décidé
avant même qu'elle époufit cet infortuné
Liirfày, qui, par parenthefe, étoît bien le
plus fot marquis di France 3 Ignore- 1- on
qu'il la furprit un jour avec D../. le lende-
main avec un autre, & deux jours après
avec un troificme j Se qu'enfin , ennuyé de
toutes ces (urprifès qui ne finifibient pas, il
mourut , pour ne pas avoir le déplaifir de
retomber dans cet inconvénient ? N'a-t-on
pas vu commencer cette haute pruderie dans
laquelle elle eft aujourd'hui ? Cela empêche-
tr-il que tels & tels ( il en nomma cinq ou
(îx) ne lui doivent leur éducation; que moi,
qui vous parle, je ne lui aie refufé la mienne ;
& que peut-être elle ne poftulc a6tuelleme»c
celle de moniteur , ajouta-t-il en me mon-
trant: ? Cette apoftrophe me fit rougir au
pDÎnt, que, pour peu qu'il m'eût regardé,
il fè feroit furement mis au fait de l'intérêt
que je preix)i3 à fes difcours.
- Penfe-t-elle, continua - t-il , avec fbn
Waton , qu'elle n'entend , ni ne fuit , nous
en impofer fur les rendez^vous bbfcurs qu'elle
donne , & que nous fbyohs là-c^effiis auffi
dupes que les jeunes gens qui ne connoif-
fint, ni la nature, ni le nombre de lès
aventures , croient adorer en elle la plus
rèfpedtablç des déeflcs , &.foumettrc un
^œur qu'avant eux perfbnne n''avpit furpris!
' Ce portrait fi vrài-de àqila fitUârbn âifllîpa
^Ûérement le doute où favoiiétc }u%ueH
là fur les difcours de .Verfàc. Je reconnus ,
en rougiflant , combien j'avois été trompé :
& {ans imaginer encore comment je pour-
rois punir madame de Lurfày , de Teftimc
qu'elle m^'avoit donnée pour elle , je réfolus
fermement de le faire. Si je m'étois rendu
juAice 5 j'aurois iènti que je ne devois qu'à
moi-même le piège dans lequel j'étois tombé ;
que le manège de madame de Lurfay étoit
celui de toutes les femmes ; & qu'en un
mot , il y avoit moins de fauflfeté dans fon
procédé , que de fbttife dans le mien. Mais
cette réflexion étoit , ou trop mortifiante >
ou trop au deflus de moi , pour que je la
fifle. Comment i me difois-je à moi-même ,
m'aflurer que jamais elle n'a aimé que moi !
abulèr auiiî indignement de ma crédulité !
Pendant que je m'occupois fi défagréable-
ment , madame de Meilcour , en niant que
tout ce que Verfàc attribuoit à madame de
Lurfay , fut vrai , lui demanda, pourquoi ,
paroifîànt de fes amis, il fedéchaînoit contre
elle à ce point-là? C'efl, répondit - il ^ par
l'elprit de juftice ; c'eft que je ne fàurois
fupporter ces femmes hypocrites qui , plon-
gées dans les dérèglements qu'elles blâment
dans les autres, parlent fans cefïè de leur
vertu y 6c veulent en illipofèr au public
J'eflime cent fois plus une femtîïe galante >
qui l'efl de bonne foi j je lui trouve un vice
de moins : d'ailleurs , puifqu'il faut tout
vous dire , cette Lurfay vient de me jouer
le tour le plus fanglant , de me faire la plus
E î
tel (B tr V it s s y 8cc^
«bomînaUe tiacailene qtie f on puî£&
çiner. Vous cotuioiflèz nudame dc.^ Gsia
fait le plus joli fuiet à former. Je m'éona
préfènté , on m'avoit reçu , i'ctois écouté
convenablement > enfin je perfuadois : n'eft-
clle pas venu mettre aes fcmpules> des
craintes dans te (prit de cette jeune per*
ibnne, lui dire qu'elle fe perdoit; de me
voir ; que j'étois inconftant , indifcret? En-
fin y elle lui a fait mie fi étrange peur de
snoi , que nous en avons été brouillés trois
jours , 6c que je n^aî naon rappel que de c^
matin. Penlèz->vou$ de bonne foi que cela
iè pardonne }
Verfàc, après quelques autres propos j.
qui tous m'animpient de plus en plus contre
madame de Lurfày , foirit. Madame de
Meilcour , qui , fans deviner la iortie dtin-.
térêt que j Y pouvcris prendre , avoir remar-.
que que ce que favois entendu m'avoit fait
imprcflion , chercl^ à me diiluadeç^ mais
elle ne gagna rien fur moi > de je courus
chez madame de Lurfày , dans l'intentionr
de me venger , par ce que le mépris a dci
' plus outrageant; , du ridicule refpeâ; qu'elkt
m^avoit forcé dfavoîr pour elle.
fin Je la premiers furtie^.
L ES
N.
EGAREMENS
I
DU CŒUR
[ET DE L'ESPRIT
o XJ
MÉMOIRES
. DE
Mr. de MEILCOUR.
I*
**Mai
SECONDE PARTIS.
J
"etois fbrti de chez moi , réiblude ne rien
épargner à madame de Luriày , du mépris
qu'à mcm fèns elle méritoic. Je ne voulois
4^ xné^ie m'en tenir à une explication pat*
E 4
;ïQ4\ Œ V y ïl B S
'ticulîcre 3 qui ne Tauroît mortifiée que podi
:1e moment , Se je croyoîs ne pouvoir me
^ bien venger décile , qu'en lui fàij&nt une de
ces fcencs éclatantes qui perdent une femme
à jamais.
Extrêmement touché de la beauté d'un
projet qui puniroit une hypocrite^ & me
lèroit débuter (kns le monde d'une façon
brillante , je ne laiflois pas de fentir que je
Texécuterois difficilement ; je n'é tois pas d'ail-
leurs aflez^ mal né pour qu'il me reftât long-
temps dans l'eiprit. Je confidérai encore que
pour faire réuflîr une auffi cruelle imperti-
nence 5 il me falloir un mérite fopérieur ^ oa
dii' moins une , réputation établie comme
celle de V^riac.
J'en revins donc à prendre avec moi d'au*-
très arrangements plus faciles , &. en mêm^
tempa plus, flatteurs. Je réfolus de né. îïçit
^temoignei à madame de turfay'du rcflen-
riment que j'avois çontr'elle , de profiter de
fà tendrefïè pour moij & de lui marquer
aprè&> pai l'inconftance la plus prompte , &
fât tont<è que les hommes à bonne fortune
ont imaginé de plus mauvais en procédés ,
touirle mépris qu'elle- m'infpiroit. Cette feé-
léraîe Wl?e 'me parut la plus agréable & la
pte'tufèT'&ie-mYftxai.' J'entrai chez elfe,
comblé de joie d'avoir pu trouver une fi
^belle vengeance > & déterminé à k remplir
îà J'iftfknt même*
Je comptois , & avec quelque, raifôn^ ce
'lHie femUe y que madame de Luriày fèrc^l
feule y mais , foit que ma façon de me com-
porter dans les rendex-vous lui eûtplu , fbîc
qu'elle eût voulu me les faire dehrer, elle
avoit décidé que je fèrois en proie à tous les
importuns que mon deftin poùrroit amener
chez elle ce jour-là. Ce ne fat pas fans une
extrême furprifc que je vis dans la cour le
carroflè de Vcrfac. Je dvois fi peu m'atten-
dre à cet événement , que je ne pus d'abord
me perfiiader ce que je voyois ; la chofe ce-
pendant étoit réeUe. En entrant dans Tap-
partement j je découvris M. le Comte qui ,
plutôt étendu dans un grand fauteuil qu u
n'y étoit affis , étaloit fâftueufement devant
madame de Lurfay (a magnificence & fes
grâces , & lui parloir du ton le plus infolcnt
& de l'air le plus familier.
Pour mieux en impofcr à Verfàc ,, eHe
me reçut avec une extrême froideur : mais
je dus mi'appercevoir , au fouris malin que
ma préfcnce lui arracha , qu'il pénétroit le
lînotif de ma vifite. Je m'aflis avec cet air
décontenancé qui me quittoir rarement , Se
^'alors Ùl vue augmcntoit ; pour lui, il iè
dérangea peu , & continuant ion difcours :
. Vous avez raiion, Marquife, dit-il; de
l'amoitr , il n'y en a plus , & je ne fais après
tout s'il en faut tant regretter la perte. Une
grande piffion efl fans doute quelque chofe
de fort rcfpedtable > mais à quoi cela mené-
t-il? qu'à s'ennuyer, long -temps l'un avec
Fautre. Je tiens qu'il ne faut jamais gêner le
icoeju; Je n'ai ,.moi qui vous parie , jam^s
â
f o( Œ V V K & f;
l^t de bcfôîn de changer, que Ibrfquc Jç'
vois qu-on prend des mefuies pour me re^
tenir, Ohl je le. çeoîs, r^ondit, madame de
IfUriay ; mais quel parti, prendrie^-vous , ft
vous voyiez qu'on voulût vo^3 êcrç inôdelle ?
Jten chan^rpis beaucoup i^us vite. Ceft:
aflurcment, rcprio-ellç , u» aimable coeur:
que le votre ! Éhl Madame , r^poi;idit-il ,,
Je n^ai là-delUis rien de fingulicr-; comme
saoi. (pus les hommes iK cJberçhem que le-
plaiurs fixez-le toujours auprès du mciae
objet , nousy ferpns fixés auffî. Voyez- vous ^.
Marquife , il n'y a pçritbnne qui voulût s'en-
Igager, m^i^^e ^veç l'objet le plus charmant,
s'il étpit queftipn de lui être étemellement:
attaché. l»oin de fe le proppfer l'im à l'autre,,
c'eft une idée qu^'on écar^ le plus qu'on,
peut [du moins quand on eft fàge ; ] on fe
dit b^eh qu'on s'aimera toujoufs , mais il eft;
tant d'exemples du- contraire , que cela n'ef-
fraie pas^ ce n'eft qu'ua propos galant qui.
fi^'a qiie force de madrigal « & qui eft compté
pour rien quand on veut fe donner le- plaiilr:
ce l'incpnffance. Une cho(è qui me furprcn-
dra toujours^ réptiqua-t-relle > c'eft qu'avec
ces fentiments que vous dHEmulez fort peu»,
vos perpétuelles trahifbas^> l'îndëi:ence avec
laquelle vous conduifèz Se roxnpez une iiK
trigue y il y ait des femmes aftezinfènf^es^
pour vous trouver aimable* Ëh bien ! dit
froidement Yer^c 3^ ce nefèr^t pasdecda
que je fèrois furpris, moi ; mais ]c le fèrois.
Jkeaucpup il elles, w. mm gmmat . pas psjt
/
hÈ CiiiBilLôH, if II s. 107
dés défauts que nous n'avons prefmie tou-
jours que par égard pour elles : nous lommes
inconftants y dites-vous \ (ont-elles fidéUes ?
Vous prétendez que nous rompons indéceni'-
aient 9 c eft ce dont jp ne me luis pas encore
àpperçu ; il me ièmble que Ton (èouitte
auilî décemment qu'on s'eft pris ; (î les chofêft
font du truit , ce n'eft pas toujours notre
faute. Ce fera celle des femmes apparem*
inent, reprit madame de Lurfay. Sans doute ^
Madame , répondit -il \ s'il y a quelques
femmes qui fouhaitent que les foiblefles de
leur cœur foient à jamais ignorées , combien
n'en eft-iï pas qui n'aiment que pour qu'on
fe lâche' i & qui prennent foin elles-mêmes
d'cninftruife le public? Maïs, reprit-elle v
Aaadame de *^ qui vous aimoît u tendrc-
tncat y &' ouï defiroit avec tant d'ardeur
qu'on n'tti mt rien , fût-ce elle quife perdit i
Lequel de vous deux eh parla le plus ? Nî
«lie , ni moi , reprit-if , & tous deux en^
femblej elle craignoit l'éclat , &jem'étois
prêté fort fcnfëmentaux raifbns qu'elle avoit
de le craind[re 5 mais voulez- vous que je
"^ous difè ? il eft des yeux qu'on ne trompe
$as 5 le public vit , malgré nous , que nous^
^ous aimions -, aufli indifcret que nouy
l'étions peu > il jugea à propos de parler de
je qu'il avoit vu j j'eus beau vouloir fàuver
«s bienféànces , me facrifier , oh me cru t
jmoureux , parce qu'ai effet je l'étois ; éc
JJ en arrive ainfi des engagements qu'en dil-
«ûiulc Iç xniçu^, Je croii toujours quevouj
E i
î
%o% (R V T % H Sr
vous trompez , réplîqua-trtjllc yYdx des exem^
plescomre ce que vous avaiicez. Idée feufle L
reprit. Veriac t un? £emmç croit fbuvenr
qu'on ignore ce quelle feit., parce qu'on a.
$i politiclïe de nç. pas^^iriarquei: devant elle
ju'on a pénétf é fes fçntiments \^ mais Dieu,
^ait cpmpien de. prppos. fc tiennent fur ces
petits comme^rces tendre^ > fi fcrupuleufcr
jfnent voiléS;, &.fi-paréiitement connus; je
ne me pique pas d'être plus fin qu'un autre ^^
& cependant rier^ ne m'échappe. Eh.oui ! dit
madamfe de Lurfay , d'un ton moqueur , je
le croirois bien l Eh, mon Dieu ! Marquile^^^
jéppudit-il , fi vous fevicz tout ce que jc:
vois ,. vous penferiez mieux de ma pénétra*
tion. Par exemple ,^f'étois ,. it n'y a pas long-.
,temps y avec une. de. ces femmes raiA>nna^
blés 5 de-ces femmes adroites., dont les pen^
chants font enfevelis fous, l'air le plus, ré-
iervé , qui femblent avoir fiibftimé aux dé—
jéglements de leur jeunefle, de la iàgefïè
& delà vertu y vous concevez., ajouta-tril >,
qu'il y a de ccsfemmesJà,. eh bien 1. j'étok
ieul ayec une prude de cette eipece ; l'amanC:
arriva; on le rjeçut froidement^ àrpcinc.vou--
lut«on le traiter comme connoiflànce \ notais,
pourtant fes yeux parlèrent , malgré qu'on
en eut; la voix s'adoucit: le petit nomme >.
fort neuf encore >. fut embarralTé de là fituar-
tion ; ôCÇfwi, à q»irieu.n'cchapga> jcfortis:;
le plutôt que îe gos j^. ppua: jtaUcç dire, à tou^
Je monde. . .^
JE<n achevant CCS faroks^ qpxxoc tètexeior:
» B C RE B T X I o fr ; tits^ îey
lêsîïs le dernier embarras »- & qui , malgré
k grande préfence d'efprit de madame de
Lurfày , ne laiflbient pas aufli de l'inquiéter ,,
:ilie leva en eflfèc & voulut fortir. Ah , Comteî
-s^écria madame' de Lur&y ,. quelle cruauté l
Quoi Yous-partez:! il y a mille ans que je ne
. Youi ai vu y vous refterez. Ah ! pour à pré-
Scpx je ne puis , dit Yerlàc ; vous, ne îàur-
riez imaginer tout ce que jfài à £rirc v cela
nt iè comprend pas , k tête m en tourne ;.
lîiais fi vous reftez chez vous ce ibir , & que
vous. vouliez de moi, fut-ce au préjudice de
toute la terre , je fuis à vous. Madame de
Luriây y confentit avec autant de joie que H
-^c ne l'eût pas détefté > & il fbrtit..
Yoilà bien , me dit-elle > dè^ que nous
fumes feuls, le jEat le plus. dangereux,. Tef--
prit le plus mal tourné , & l'efpcce la plus
iicommode qu'il y ait à la cour 1 Pourquoi ,.
. fi vous le connoiffèz fur ce ton-là , rcpris-je,
le voyez-vous? Ah l pourquoi, répondit-
cjle ? G'eft que fi Ton ne voyoit que des. gens.
. qu'on cftime ^ on ne verroit perîbnne y. que
moins, ceux dû caraâterc de Verfac Cuit ai-
mables dans k fbciété. , plus itfautles y mé-
nager. Quelque amitié que vous kur mar-
quiez? ,. ils vous déchirent; mais (i vous. rom-
piez brufquemeat avec eux , ils vous déchi-
- «croient bien davantage. Geluircin^a bonne
. ©pinion que de lui ^, calomnie toute la terre
iàns pudeur & lâns ménagement. Vingt £bm-
mes, plus étourdies ^ plus.décriifcs> plus
^ iixéprilable& cûcoie qu'il ne teft pciit-êtcc>
\
\
tt^ <B tr ▼ « « f
l'ont mis feules à k mode. II parte un )2fg6Éi
qui éblouit : il à fu joindre au itivole du pe-^
rit*maître , le ton décifîf du pédant : il ne fê
connoît à rien ^ & juge de iSout ^ mais il perce*
rni gnnd nom. A &rce 4^ dire ||u'â a de-
l'cfprit , il a oerfua,dé qu'il en avoit : &, mé*-
chanceté le mit craindre ; & parce que tout-
k monde l'abhorre , tout le monde le voie-
Quelque vivacité que madame de Lurfày
employât à me peindre Vcrfac fi défkvanta-
geufèment , elle ne me perluada pas <{vlc ce'
portrait pût lui rcffcmblcr. Verfac étoit pouif
moi le premier des hommes; Se je n'attribuai'
qu'au dépit de l'avoir manqué tout le maf
qu'elle m'en difbit , Se la hame qu'elle mai^
quoit pour lui.
Je croyois en iendr redoubler mbn méprisa
pour elle ; cependant nous étions faûs^ elle^
étojt belle > & je la favois fenfible. Elle nef
m'infpîroit plus ni paflion ni rcfpeâ: : je nc-
la craignois plus ; mais je ne l'en defimi que-
davantage. Je me redis, pour m'aiiiflier ,,
«out ce que Ver(àc m'avoit appris; je me re-
mis devant les yeux tout ce qu'elle avoit fait
pour moi; Se plus^ je rouginbis du periôn-r
nage que j'avois fait auprès d'elle , moins jfc
pouvois lui pardonner le ridicule que je fli'ë-r
tois donné pour moi-même. En achevant lé-
panégyrique de Verfac , elle fe mit à me re-
garder d'un air fi particulier ; elle avoit quel-
que chofè de fi tendre dans les yeui^ ,. que,
quand je n'aurois pas^ brûlé du défir de me
venger^ je cigds qu'elle n'y auxoiriîço perdu.
/
»s Cii]îtttt>w, rïiy. lit
J'oubliai bientôt combien peu (à'conquâr
^toit flatteufe V fétois trop jeune pour m'oc-
cupet long-temps de cette idée \ à l*âge que
fa vois aloiSy le préjugé ne tient pas contre
Foccaâon ; & d'ailleurs , pour ce que je ibu-
haitois d'elle 2. il importoit a£Cez peu que je
Ifcftimafïc^
Je mfapproGhaî d'eBe fans lui rien diïc ^
& lui {)ai(ai k main 3,. mais d'un air â lui don-
ner d'abocd les plus gmndes efpéranecs. Eb
bien !' me demandà-t-elle en fouriant ^ ferez-
vous aujourd'hui plus fàge que vous n'étîesc;^
hier? Je k crois,, lui réponcËs-je d'un to»
ferme > les moments que vous voulez bien;
m'accorder» font trop précieux pour rfèn pas>
feire ufige ^. & je féns que vous ne devez pas*,
être contente de celui que j'en ai fait jufqu^ài
préfenc Que fignifie donc ce difcours , dit-
elle en affeâSant dfc là furprife ? Que je pré—
isendi, repris^ je, que vous m'aimiez, guer
vous me k diiîez,, que vous me le prouviez*-
enfin;
Jeprononçaf ces paroles avec une intrépî^
dite dont la veille elle ne m'âuroit pasfoup*-
çonné , & qui lui pamt fî peu dans mon ca-*
jsidtere , qu'elle ne fongea feulement ps à
s'en choquer». Elle ne me répondît que par-
un fouris méprifantv qui me fit f^ntir le peut
êtit cas qu'elle Êtifoit de mes prétentions , it
combien elle mecioyoit incapable dé les fou-
tenir 5 on fe pique à môins^ Je devins tout
çt'un coup fî familier, que madame de Lur-
i&2 en fi^ étQUi:die ^ & au point que je xCtMff^
4X1 . Œ tr V K K s
d'abord à combattre qu'une aflez fbibic re-
fiftance. Elles'appcrçut, avec étonnement,
qu'elle ne m'impofait plus; & peut-être, &
f avois aidé au moment , ne l'auroit-elle pas
recule : mais au milieu de ces emportement^,
. que l'amour feul peut autoiifcr > j'étois fi fur
de vaincre , j'apportois f\ peu de tendreflc ,
qu'elle fut forcée d'en pàroîtte mécontente^
Cette feçon trop déterminée me nuifit ; fc$
yeux s'armèrent d'un courroux véritable ,
mais rien ne me contenoit'^ & perfuadé qu'in-
térieurement elle fouhaitoit d'être vaincue,
en demandant pardon , je continuoisd'offea-
fer. Cependant je ne pus rien obtenir , foit-
que madame de Lurfày ne voulût pas m'ac-
corder un triomphe que. je ne re;idois paS'
aflcz décent pour elle yioit qup le peu d'u^e^
que i'avois des fem^mes, ne. me rendit pas
âulïl dangereux qu'il auroit fellu l'être.
Honteux d'une entreprilc qui m*àvoic fi
^ mal réufE , je laiflài M^e-de Lurfày , fort cm-
bartafle de ce que je prévoyois qu'ellç alloît:
me dire ; je crois qu'elle étoit en peine aufli
de la façon dont aie devoit agir dans une
circonftancefî délicate. Me montrer, trop d'in-
dulgence y, que n'en penferois-je pas ? Affec-
ter trop de colère , je pouv<»s en être décou-
ragé 5 8c il étoit à craindre que pour les fui-
tes, celanetirâtàconféquence.EHedemeuKi
quelque tempsxêveufe & fans parler ^ je l'imi-
tois.. Un homme , un peu au fait du monde»
auroit dit-, fur ce qui venoic de fe.paflèR,.
^miUe. icHes chofes.qui aident une femme Q^
- pareil cas ; mais je n'en iàvois aucune , & il fal-
lait que M^«'de Lurfay tirât tout de fon propre
r fonds , ou qu'elle fe réfolut à ne me parler ja-
mais. Elle prit enfin fbn parti , ce fut de me
témoigner, avec tendrefïe & dignité, qu'elle
trouyoit mes procédés extrêmement ridicu-
les. Je m*excuiai for Tamour ; elle me ibu-
tint qu*il ne conduit pas à perdre le refpeâ?;
très-refpeétueufement je raflurai du contraire :
elle poufla la difpute là deflus, A force de
diflerter , nous perdîmes le fond de la quef-
tion , & je la terminai en lui baifant la mani
qu'elle me tendit, en m'afliirant pourtant
qu'elle prendroit à l'avenir des précautions
. contre moi.
Cette menace m'efïrayoit peu ; jufque dans
^ fsL colère même j'avois vu l'excès de Gi fiici-
lité : ma vengeance n'étôit que différée ? &
. afièz mal-à-propos je ne crus pas dçvoir trop
. en preflèr les inftants. Nous étions retombés
dans le filence ; madame de Lurfay , qui
s'étoit conduite , for mon premier emporte-
ment, en perionne Ccnfée , étoit en droit
- d'en efpérer un Cccond , & fèmbloit s'y atten-
- dre. Elle ne fàvoit qui m'avoit fourni les lu-
mières qui l'avoient étonnée *, & en jfe flat-
tant , peut-être , que je ne les devois qu'à
l'amour, elle dut lans doute être furprife de
les trouver auflî bornées. Elle crut, toutes
réflexions faites , qu'il fèroit convenable de
m^'aider des fîennes y 8c reprenant la conver-
-iation que nous venions de finir , elle me dè-
.xuuda ^ mais îlvcc une douceur extrême ^
1 14 fï O ▼ » B 1
pourquoi j'avois pafTé de beaucoup de te^
peâ:, même d'un re{peâ trop timide ^ ï
une familiarité défbbligeante* Car en&i ^
ajouta-t-^elle , je conçois qu'il y a des femmes
auprès defquelles Thomme, du monde le
moins aimable n'a befbin que de leurs pro*
près defirs , & pour qui tout eft moment dC
danger : qu'on leur manque y je n'en fuis
point étonnée. i mais j'ofe dire que je ne fuis
point dans ce ca$-là : )e dois me croire , par
ma fùçon de penfer 8c de vivre , à l'abri de
certaines entreprifès > cependant vous voyes
ce qui m'arrive.
Outré d'une auflî impudente hypoctiiîe ,
( car je ne voulus jamais Croire que Verfâc
eût pu me tromper ) d'abord je ne répondis
rien : je ne pouvois marquer à miadame de
Lurfay tout le mépris qu'elle m'infpiroit, &
lui répéter les difcours fur lefquels il étoit
fondé , fans l'obliger de me rendre toute k
bonne opinion que j'avois eue d'elle > & je
me mcttois par là , peut-être y dans l'impoffi-
bilité d'en triompher jamais.
Vous ne répondez rien , reprît-elle , craî-
^ez-vous de vous excufcr trop , ou ne dai-
gneriez-vous pas le feire ? Je ne fàvois que
lui dire ^ & je rejetai tout encore une fois
fur l*amour que j'avois pour elle ^ & fur les
bontés qu'elle m'avoit témoignées^ A l'égard
de l'amour, reprit-elle , je vous ai , je penfè,
déjà répondu que ce n'etoit pas une excufê
légitime : pour les bontés dont yovLS tac pat*
lezj je conviens que j'en ai pour vous s xoak
r
1>K CniimiXLeK^ »IL5. iij
* tl en eft de plus d'une efpece j, fie je cioi»
[ue les miennes ne vous mettent en droit
rien. Quand je me ferois même oubliée
tu point que vous le iîippûfèz, un amant
délicat 3 ou ne s'en feroit pas fervi, ou n'en
auroit pas abufë comme vous venez de le
iàire. Elle ajouta à cela mille chofès finement
peniiees ^ & me fit enfin entrevoir de quelle
néceflité étoient les gradations. Ce mot > &
Kdée qu*il renfermoit , m'étoient totaleinent
inconnus > je pris la liberté de k dire à ma^
dame de Lur^y 3 qui > en fouriant de ma
fimplicité > voulut bien prendre k peine de
m'inftruire : je metrois chaque précepte tn
pratique à mefîire qu'^elle me le donnoit ; 6c
récude importante des gradations auroit pu
nous mener fort loin , fi nous n'euffions en-
tendu dans l'antichambre ^ un bruit qui nous
força de Tinterrrompre.
Un laquais vint annoncer madame Se ma*
• demoilEèlIe de Théville 5 je connoiflbis par-
faitement ce nom. Madimc de Théville 6c
ma mère étoient a Aèz proches parentes , mais
aâèz mal enfèmble depuis long-temps ; & ma*
dame de Théville ayant depuis demeuré pref^
que toupurs en province , je ne l'avois ja-
mais vue. Elles entrèrent, 6c mx furprifè ht
&ns égale quand je trouvai dans mademoi-
fcUe de ThéviUe cette inconnue que f ado-
ïois jj & à qui je croyois tant d*averfion pour
moi. Je ne pourrois exprimer que foiblement
le défordre que cette vue me caufà , com-
• U^ d'amour > de txanfports & de craintes
1X6 Œ V Y R 8 5 •
•lie renouvella dans mon cdeur. Madame (Je
Lurlày raccabloit de carefles, & je jugeai,
par le ton qu'elle prit avec madame de Thé-
ville , qu il y avoit entr'elles une intime ami-
tié j cek me furprenoit d'autant plus , que
non-feulepient je ne l'avois jamais vue chez
madame^ de Lurfày , mais encore que je ne
lui en avois jamais entendu parler. Elle fit des
reproches à fon amie de ce qu'elle avoit été
long-temps (ans la voir. Vous devez croire,
répondit madame de Théville , qu'il faut que
des affaires très-iipportantes m'en aient em-
pêchée y je ne fuis reftée à Paris que peu de
temps , pendant lequel je vous ai vue y obli-
gée d'aller à la campagne , je n'en fuis reve-
nue que depuis deux jours , & j'y aurois
même été plus long-temps, fi elle avoit moini
ennuyé Hortenfe.
Q^ue ne devins- je pas quand j'appris , pat
les difccurs de madame de Thévi le, que le
fèul lieu où je n'euffe pas cherché mon in-
connue 5 étoit celui oii je l'aurois rencontrée,
*.&. qu'en fuyant opiniâtrement madame de
- Lurfay , j'aurois perdu toutes les occafions
- de m'approcher d'Hortenfè ! En feifant ces
triftes réflexions , je ne cefTois pas de la re-
garder, & d'achever de me perdre auprès
d'elle. Madame.de Lurfay me préfentt,
- en me nommant, à madame de Théville,
qui me parla obligeamment , quoique d'un
air fort férieux , qu'elle prit peiut-être à pro-
pos du froid qui étoit entr'elle & ma mère.
Si je ne parus pas lui plaire beaucoiip^i .bUc
ne, fît. pas fur moi non plus une imprelTîon
fort agréable, C'étoit une femme aflèz belle
eacore , mais dont la phyfionomie étoit haute
& n^'annonçoit pas beauGoup de douceur dans
le- caraftere* Elle étoit , difoit-on yJon ver-
tueufe 5 & d'autant plus refpedfcable , qu'elle
étoit fans fàfte , qu'elle l'avoir toujours étç ,
& ne croyoit pas pour cela qu'il lui fut per-
mis de médire de perfonne ? mais peu faite
pour le monde , & le méprifànt , elle ne fbn-
geoit ms aflez à plaire ; on croît forcé de la-
refpeder , on l'admiroit , mais on ne l'aimoit
pas.
Pour mademoiielle de Théville , elle me
regarda , à ce que je crus , avec une extrê-
me froideur , & répondit à peine au compli-
ment que je lui fis. Il eft vrai que j^ai penfé
depuis 5 qu'il n'étoit pas impoffiblc qu'elle
iï*y eût rien compris -, le trouble de mes feng
avoir paffé jufqu'à mon efprit , de la coniu-
fion de mes idées m'empêchoit d'en expri-
mer bien aucune. L'air froid d'Hortenfe me "
piqua plus que celui de la mère. Rêveuiè^
& comme èmbarrafleë de n^apréftnce , elle
ne -jetoit fiir moi que des XQgnâ^ triftes ou
diftraits. Sa mère & madame de LurCiy qui
fe parloient , nous laiflbient en liberté d'en
feire autant \ mais fe fentois trop vivement le
plaifir d'être auprès d'elle , pour pouvoir lui
parlcr.d)'autrc ohofè que de i!non anapur ,^5c
rien dans cet inftant n'en poiivoit autorî&t^
l!aveû. D'àiûéurs, ce qui.s'étgit* pafle aux
T\ïilerieîiettcr elle ôc moii l'ij*dil^à<?e ayçc
t iS CE tf ▼ K s f
laquelle eDe avoitpam me revoir ; cette pi](fibit
décrète donc par (es propres difcours fe la (bup*
•çonnois , tout contribaoit à me gêner auprès
«d'elle. Je cherchois Tainemenc à commeiKcr
la convor&tion ; la i^bmbre rêverie dans la-
ijueUe je la voyois pLongéc auj;mentoit ma
timidité. Quoi ! me diibis><je , j'ai pu penlèr
ique c'étoit moi qui Vavois frappée îfai oCé
croire que cet inconnu Ci dangereux pour Ton
cœur , n'éioit autre chofè que moi l Quelle
erreur! Avec quelle indifférence , quel odieux
mépris ne fuis-je pas reçu d'efie ! Ah ! cet
inconnu > quel qu'il ibit > n'ignc»:e plus (bit
bonheur ;. u dit quil aime , il s'entend dire
qu'il eft aimé y leurs cœurs , unis par les plus
cendres plaifits , les goûtent fans contrainte »
i8c moi je nourris dzns la douleur une fa-
nefte paffion privée à jamais de la douceur
de VclfétzncQ. Par quelle cruelle bizarrerie
Éiuf-il que ce moment oi elle m'infpire le
plus YÎdient amour » ïoit celui où naiflè (a
liaineî
Ces afireufes idées m^accabloient , & ne
me guériflbient pas \ |e m'en ladSois péné-
trer >ioriqu'onânnonçamadamedeSénanges;
cou; entier à ma trifteflè ^ à peine la remar-
3uai-je quand elle entra s il n'en fut pas
'elle aiim ; elle me faifit d'abord > & (es
Jreux s'étoient promenés fiir toute ma per-
bnne, avant que j'euflè (eulemenc entrevu
la fienne»
Verfac que je quitte , dit-elle à madame
de Lur&y , vient de nï'apprendre qtie voui
reftîez chez vous ce foir ; c'cft un temps
dont je veux profiter; vous le voulez bien,
n'eft-il pas vrai ? Ne vous a-t-il pas dit , lui
demanda M^«, deLur&y , que je vous fkiloii
bien des reproches de ce que je ne vous vois
jamais > Ceft un étourdi , reprit-elle , il ne
m'a rien dit Je votre part ; mais , dites-moî
donc 3 reine , ce que vous devenez , qu'il
n'eft plus poffible de vous trouver nulle
paît?
Pendant ces compliments aufli faux que
^des y madame de Sénanges me regardoit
avec complaifance ; elle embrafla madame
de Théviilc , qu'eUe étoit , difbit-elle , char-
mée de revoir , & qu'elle gronda de s'être
enterrée fi long-temps dans la province ; elle
loua les charmes d'Hortenfe , mais en femme
qu'ils ne {àtisfeifoient pas : Téloçe fiit court
& fcc , & feit avec un air diftrait & oj;gueiU
leux. Elle ne me dit rien fur ma figure ,
mais elle la regardoit fans ce({e > & je crois
que fî elle avoit cru honnête de m'en faire
compliment , il auroit été plus fîncere & plus
étendu que celui qu'elle fit à mademoilcUe
de Théville. En me priant , elle ne me per-
doit pas de vue ; & rexpreflion qu'elle met-
toit dans (es regards étoit fî marquée , que ,
tout ignorant que j'étoîs encore , il ne mo
fut pas pofïîble de m'y tromper.
Madame de Sénanges , à qui , comme on
le verra dans la fuite ^ j'ai eu le malheur de
devoir mon éducation , étoit une de ces
feoames philofophcs , pour qui le public n'a
!*• <E V V R B S
îarmais rien été ; toujours au deflbus de tout v
plus encore dans le monde par leurs vices
que par leur rang j qui n'cftimeiit le nom
qu'elles portent que parce qu'il fèmWe leur
permettre les Caprices les plus fous & les
fantai(îes les. plus ba(ïès ; s'excufant toujours
fur un premier, moment , dont elles n ont
jamais fenti la puiflance , & qu'elles veulent
trouver par-tout ; fans caraârere comme fans
pafïîons ; foibles ùsis être feiifîbles ; cédant
fans cefle à Tidée d'un plaifîr qui les fuit
toujours y telles , en un mot , qu on ne peut
jamais ni les excufer ni les plaindre.
Madame de Sénanges avoir été jolie , mais
fcs traits étoient effacés j fès yeux languiffants
& abattus n a voient plus tii feu ni brillant»
Le fard quîachevoit de flétrir les trifles reftes
de fa beauté , fa parure outrée , fôn maindea
immodefle , ne la rendoient que moins fùp-
portable. C'étoit enfin une femn^e à qui,
de toutes fes anciennes grâces , il ne refèoit
plus que cette indécence que la jeuneflfe &
les agréments font pardonner , quoiqu'elle
déshonore l'un & l'autre ; mais qui , dans
un âge plus avancé , ne préfènte plus aux
yeux qu'un tableau de corruption , qu'on ne
peut regarder fans horreur,
A l'égard de Tefprit , elle en aToit 5 j'en-
tends de celui qu'on trouve fî communé-
inent dans le monde ; ce n'étoit rien que
ce qu'elle difoit ; mais elle ne s'épargnoit rien ,
jnédifbit toujours : & ne penfant jamais
lii<ia> ne caignoit jamais de dire ce qu'elle
penfoit*
D c CrnsBiLioif^ fin. tir
peiifbît. Elle avoit de ces tournures de cour
bizarre ^ négligées &: nouvelles ^ ou renou-
vcllées ; elle les aidoit d'un ton nonchalant
& traîné ; pareflè afïèftée qu'on prend quel-
quefois pour du naturel , & qiii n'eft , à
mon fèns, qu'une façon d'ennuyer plus len-
tement : malgré fes rares talents pour le fri-
vole , elle en fonoit quelquefois , diflertoic
opiniâtrement ; & , fans jufteflè & ians con-
noîflànce , ne laifïbit pas de juger : pétrie
au refte de fentiment & de probité , & tou-
jours étonnée à lexccs des dérèglements de
fon (iecle , fur le/quels elle gémifloit volon-»
tiers.
La refpeâable Sénanges , telle que je vienç
de. la dépeindre , fat frappée à ma vue. Ce
moment qui décidoit chez elle les grandes
paflions ; ce moment malheureux dont elle
ne pouvoit jamais fe fauver, parce que^^
comme elle le difoit elle-même , il étoit im-»
pofïîble d'y réfifter, l'entraîna & me la fou-,
mit. Ce n'eft pas , elle me l'a avoué depuis ^
S[ue j*eufle bien précifëment tout ce qu'il
àlloît pour lui plaire , j'étois trop uni dans
mes façons , je n'avois ni tons extrava-
gants, ni manières ridicules ; je paroiflbis
ignorer ce que je valois ; mais en fentant
tout ce qui me manquoit , elle fut flattée de
la gloire de me le faire acquérir , elle fe miç
enfin en tête de me former : terme à là
mode , qui couvre bien des idées qu'il feroîc
difficile de rendre.
Pour moi , quand ]t l'eus bien examinée^
Tmc m. F
â ne me vint pas dans Teiprit que ce feroïc
elle qui me formeroit ; & malgré fes mines
obligeantes , je ne vis d'abord en elle qu'une
Coquette délabrée , dont Timpudence me
gênoit* J'àvois encore ces principes de pu-
deur , ce goût pour la modeftie , que Ton
appelle dans le monde (bttife & mauvaîfè
honte*, parce que s'ils y étoient encore des
vertus ou <ks agréments, trop de per-
sonnes auroient à rougir de ne les point
pofl^der.
Je ne (âis fî madame de Sénanges s'ap-
perçut que ces regards avides qu elle jetoit
lur moi ^ m'embarrafibient , mais elle ne s'en
contraignit pas davantage* Pour que je con-
jfiuflè bien tout le prix de ma conquête ,
elle m'étala toute (a nonchalance ôc toutes
ics grâces, & joignit, pourm'achever, tous
les Tidicules de fa perfonne à ceux de la
Converfation. Je me reprochai enfin de don-
ner tant d'attention à quelqu'un qui Ce dé-
finiflbit au premier coup-d'œil ; & quelque
froideur que je trouvaflè dans mademoitelle
de Théville, je cherchai {a vue comme Iç
contre-poifon i celle de madame de Sénanges.
Elle Técoutoit , & je crus remarquer à ia
rougeur & à (on air dédaigneux , qu'elle en
jugeoit comme moi : cela ne me lurprit pas.
Je réfléchiflbis avec étonnement fur la dis-
tance prodigieufe qui é toit entr'elle 6c madame
de Sénanges ; fur ces grâces (î touchantes >
ce maintien fi noble , réfèrvé fans contrainte ,
& ^ui feul l^auroîc iàit ref]^eAer } Cux cet
BB CAiBItlOH^ VUS. 1A|'
eiprit jufte & précis > fage dans renjouement ^
libre dans le férieux , placé par -tout. Je
voyois de l'autre côté ce que ia nature U
plus perverie , & Tan le plus condamnable ,
peuvent of&ir de plus bas Ôc de plus cor-
rompu.
Madame de Sénanges qui , pour ie prouver
(on mérite y penibit plutôt au nombre de
(es amants qu'au temps qu'ib avoient voulu
demeurer dans fès chaînes > étoit très-per-
(uadée que fès charmes agiilbient fur moi
comme u lui convenoit , & qu'elle ne s'en
retoumeroit pas (ans une déclaration en bonne
forme.
Cette idée la rendoit d'une gaieté décejf^
table y lorfque Veriâc y que ion fracas an-<
nonçoit de loin , entra fuivi du marquis de
Pranzi , homme à la mode , élevé & cop^e
éternelle de Yerfac. Madame de Lurlàf
rougit en le voyant , & le reçut d'un air
cmbarrafl?. Verfac, qui avoir prévu cette
réception , ne fît pas fèmblant d'appercevoîr
le trouble où la préfence de Pranzi jetoic
madame de Lurfay ; il ne remarqua d'abord
que madame de Sénanges > & af&âiant un
air étonné : elle ici , s'écria-t-il y en regardant
madame deLurfay ; elle ici ! mais eft-ce que
te me fcrois trompé ? Que voulez-vous donc
dire , demanda-t-elle ? Ah ! rien , répondit
Verfàc , en baifïant un peu la voix ; c'eft
feulement que j'ai cru que quand on avoic
quelqu'un à qui l'on' prenoit intérêt , on
tfimagînoit pas de le lailTer voix à madamo
F X
^114 Œ r V K B s
de Sénangcs. Je ne la crois redoutable ici
pour perfbnne , répliqua-t-elle. Eh oui, rc-
prit-il y c'eft ce qui feit que je me fuis trompé.
Il auroit fans doute poufle vivement
madame de Lurfày qu'il tf aimoit pas , fi
mademoifelle de Théville , qu'alors il envi-
fagea , ne lui eût donné d'autres idées ; il
demeura un inftant comme ébloui. Surpris
de ce qu'une beauté fi rare avoit été fi long-
temps cachée pour lui , il la regardoit avec
un air d'étonnement & d'admiration ; il (àlua
madame de ThéviUe & elle , avec un rcfpeâ:
qui ne lui étoit pas ordinaire ; & après les
premières politeues : quel ange ! quelle divi-
nité eftdoncdefccridue chez vous , Madamç,
demaiida-t>il tout bas à madame de Lur^y I
quels yeux ! que de noblcfle i eue de grâces !
& comment avons-nous pu jufques à préfait
ignorer ce que Paris a vu de plus beau & de
Ïlus parfait ? Madame de Lurfay lui dit tout
as qui elle étoit j admirez-la , fi vous vou-
lez, ajouta-t-elle; mais je ne vous confeillc
pas de l*aimer : Eh! pourquoi, s'il vous
plaît , répliqua-t-il > C'eft que vous pourriez
n'y pas réuffîr. Ah ! parbleu , reprit-il , c'eft
ce que je fiiis curieux de voir : & puis , re-
prenant haut la confervatioH : Madame , lui
dit-il , je me flatte que vous ne trouverez
?as mauvais que je vous aie amené M. de
ranzi , c'eft une ancienne connoiflance pour
vous , un vieil ami ; l'on revoit ces gens-là
avec plaifir , n'eft-il pas vrai ? Quana on a ,
pour ainii dire ^ vu naître les $enSy qu\)A
»E Cr É BI L LOI*, yiZÈ. ïiy
les a mis dans le monde , on a beaa les
perdre de vue , on s'intéreflè à eux , on eft
toujours charmé de les retrouver. Il me feit
honneur ^ répondit madame de Lurfày d'un
air contraint. Eh bien ! reprit Verfàc , vous
n'imagineriez pas la peine que j*ai eue à le
déterminer î il ne vouloir pas venir, parce
que 5 dit-il , il y a quelques années qu'il ne
vous a rendu fes re(pe6ts : mauvais Icrupu-
les , car quand on s'eft une fois bien connu ,
Ton fe met au deflus de ces frivoles bien-
fëances.
L'air ricaneur & maliade Veriàc , & l'em-
barras de madame de Lurfay , me furprirent
d'abord , moi qui n'étois au fait de rien.
J'ignorois qu'il y avoit dix ans que le public
avoit donné Pranzi à madame de Lurfay ,
& qu'il y avoit apparence qu'elle l'avoit pris.
JEUe auroit eu railon de fe défendre d'avoir
janms pu faire un pareil choix j & fi l'on
peut juger le cœur d'une femme fur les ob-
jets de tes paflîons, rien n'étoit plus capable
d'avilir madame de Luriay , & de la rendre
à jamais méprifable que ion goût pour M. de
Pranzi.
C'étoit un homme qui , noble à peine ^
avoit fur (à naiflance cette fatuité inmppor-
table même dans les perfbnnes du plus haut
rang , & qui fatiguoit fans celle de la généa-
logie la moins longue aue l'on connût à U
cour. Il faifbit avec ceU lemblant de fe croire,
brave ; ce n'étoit pas cependant ce fur quoi
U étoit le plus incommode : quelques arai'»
lifé A V ▼ R £ 8
its qui lui avoient xml tourné ^ l'avoient
corrigé de parler de (on courage à tout le
snonde. Né* fans efpoir , comme (ans agré*
ments, fans figure > fans biens 3 le caprice
àts ftîxnmes 6c la proteâîon de Verfac en
avoient fkit un homme à bonnes fortunes ^
quoiquil joignît à Tes autres défauts le vice
kas de dépouiller celles à qui il infpiroit du
goût. Sot^ préfômptueuX) impudent^auffi
mCapabk de bien penfer , que de rougir àà
penfer mal j s'il n'avoit pas été un fat ( ce qui
cfl bcaucoujp à la vérité ) , on n'auroît ja-
mais fu ce qui pouvoir lui donner le djx>it
de plaire.
Quand madame de Lurfây n'auroit pas
cherché à enfevelir fcs foibleflès, auroit-elle
ÎUj fans horreur, fè fbuvenir que M. de
ranzi lui avoir été cher ? Ce n'étoit peut-'
être pas ce motif qui lui faifbit fupporter fî
impatiemment ùt préfence ; mais la méchan-
ceté que Verfac lui fàifbit , les difcours qu'il
lui avoir ténus l'après - dînée , & les fujets
qu'elle kii avoit domié de fè plaindre d'elle ,
la faifbient frémir pour le refle de k journée*
Elle ne pouvoir pas douter qu'il n'eût pénétré
ion amour pour moi y Se qu'il ne nit tout
occupé du foin d'en inflruire le public > 8c
de la perdre peut-être dans mon efprit. Ver-*
ùc étoit un de ces hommes à qui l'on ne
peut pas plus impofèr fîlence oue leur con-
fier un fêcret. Qu'elle yobfèrvat ou non fur
ia conduite avec moi , elle fenroit qu'il n'en
iibroic ni plus troàipé ni plus fàec, Cett»
r>E X^Ki3XLXoif y Tris, it^
cruelle fkuation la plongeoit dans un chagrin'
que Ton remarquait vifiWcmerit ; & le diP-
cours de Verfàç fur elle & fur Pranzi, Tavott
jetée dans la dernière confufion. Je l'en vis
rougir fans y répondre , & je conclus fur le
champ de fbn fîlence, & de fbn air humilié^
que Pranzi étoit infailliblement un de mes
prédécefïeurs.
Verfàc ne s'apperçut pas plutôt du fucccs
des toups qu'il portoit à madame de Lurfky ,
Îju'il réfolut de les redoubler ; & continuant
on difcours : devineriez-vous bien , Mada-
me , dit-il à madame de Lurfày , d'où j'aî
tiré Pranzi aujourd'hui ? où cet infortuné
alloit pafler fà fbirée ? Eh paix ! interrompit
Pranzi; madame connoît, ajouta-t-il d'urt
air railleur , mon rcfpeâ:, & , fî j'ofe le dire ,
mon tendre attachement pour elle. Je me
fbuvicns de fes bontés, & je naurois point
réfîfté à Verfac, fi j'avois pu croire qu'elle
me les eut confèrvées. Difcours poli, dit
Verfac , & qui ne détruit rien de ce que je
voulois dire : en honneur , il alloit foupct
tête-i-tête avec la vieille madame de * * \
Ah , mon Dieu ! s'écria madame de Sénai>-
ges , efl-il vrai , Pranzi > quelle horreur t
madame de ^^** ! Mais cela a cent ans l II eft
vrai , Madame , reprit Verfàc ; mais cela ne
lui kk rien 5 peut-être même la troùve^t-il
trop jeune 5 quoi qu'il en fbit , ce que je lai»
.& quelques autres aufïî , c'eft que vers cin-
quante ans on ne lui déplaît pas.
Pendant cette impertinents converfktioti 2
F4
kit IB tr Y n^ B »
Vcrfâc ne ceflbit de regarder madcmcrifcllc
de Théville ; mais avec une attention fî par-
ticulière, que je ne pus m'empêcher d'en
irémir. L'idée que je m'étois feite de ce grand
Jiomme autoriibit mes craintes. Je croyois
qu'il n'y avoit ni vertu , ni engagement qui
pût tenir contre lui , & il le croyoit lui-mê-
me ; il ne douta donc pas un moment^ mal«
gré le pronoftic de madame de Lurfay , qu'il
ne réduisît promptement mademoilèlle de
Théville ; mais elle en avoit entendu dire
tant de mal que , fans compter fur fà vertu ,
il la trouva prévenue contre lui. Il s'apper-
çut bientôt qu'elle étoitinfènnble aux agace*
ries des yeux , & qu'elle n'avoit pas été éton-
née de ià figure : cela le furprit. Vainqueur
né des femmes , honoré de tant de triom-
phes , & dans fon genre le premier des con-
quérante , il ne pouvoit pas croire qu'il pût
manquer un coeur ; mais quand ce cceur ,
qu'il vouloit attaquer, n'eût pas alors été
rempli de la paffion la plus viye, il étoit
vertueux : chofè que Veriac avoit trouvée fi
.rarement, qu'à peine pou voit-il imaginer
qu'elle exiftât.
L'indifférence de mademoifelle de The-
:ville ne le découragea cependant pas ; il (k-
voit qu'elle étoit fille : titre gênant , qui oblige
celles qui le portent à mieux diflimuler leurs
^ant Ùl mère 5 & cette mère , doiK l'air école
Hvefe & rérervé , devoit lui impofer & h
contraindre. Ces réflexions, que vraiièm-
bkblemenc il fit, le calmèrent : il compta ,
comme madame de Scnanges avoit fait»
qu'il ne foniroit pas fans avoir, à peu de
chofè près , arrangé cette afl&ire à iâ iatisfac-
tion ; encore rougifïbit-il en lui-même , du
répit ^u'iï fe voyoit forcé d'accorder. Pour
tâcher de (avoir plutôt encore à qui s'en te-
nir , il étala (es charmes : il avoit la jambe
belle , il la fit valoir ; il rit le plus fbuvenc
qu'il put , pour montrer Ces dents ; il prit
enfin les contenances les plus décifives, celles
qui montrent le mieux la taille, & en déve-
loppent le plus les grâces.
Alarmé des defleins d*un homme à quî
l'on croyoit qu'il étoit ridicule de réfifter ;
& commençant- à avoir mauvaifc opiniotr
des fenimes aufE fortement que je l'avois
eue bonne, j'examinois mademoifelle de
Théville. Elle regardoit Verfac avec une
froideur finguliere & une forte de mépris
qui ne laiflèrent pas de me raflurer. Pour
M. de Pranzi , qui s'avifà auflî de lui donner
des marques d'attention, elle rie daigna feo-
Icment pas témoigner qu'elle s'apperçût de
iàpréfcnce.
A peine Ver&c s'écoit aflîs , que madame
de Sénanges , toujours ne fâchant que dire »'
& n^en parlant que plus , le mît à Tinterro-
ger. PeutrOn fàvoir, lui demanda -t- elle,
d'où vient Verfac ? A quek divins amufc-
aeiics il ^voic dcftiné ti^ journée } Quelle,
F S
'i)o QE V T m s t
heureu/e belle a tout au)ourd'hul foSêdê
ce héros ? Vous demandez tant de choies ,
teprit-il, que )e doute que je vous iatis&fle
fur aucune. Il devient aifcret , s'éaia fpirî-
tueUement madame de Sénanges y mais,
Madame , ne vouloir pas nous dire ce qu*â
a fait aujourd'hui , cela eft admiraUe ! pour
moi j'en fuis confondue au pofCble. Dires-
nous donc , petit Comte , nous vous garde-^*
tons le fècret. Voilà , dit madame de Luriay»
une belle façon de l'encourager i Laiflez-là
3;arlcr, Comte , & fbyez fur que tout Paris
aura demain ce, que vous aurez conté ce
loir.
En vérité ! s'écria Verfàc , vous padez de
fila difcrétion comme fî elle devoit vous être
indiâërente à toutes deux ; vous fàvez cepeiv»
dant qu'il y a des chofès dont je n'ai jamais
parlé , & l'on pourroit^ avec un peu de po*
£teflê ^ me remercier. ••••... Eh ! de quoi >
répondit l'intrépide madame de Sénanges»
Pourfuivez , Madame , reprit . Verfàc avec
lin ris moqueur, ce cpurâge-li vous ùcA
Jkicn.
Madame de Sénanges, toute étourdie
qu'elle étoit , connolflbit Verfàc ; & n'o&nt;
pas le défier fur iTindifcrédon , elle lui de-
manda oiSi il en étoit avec une femme qu'eUe
3ui nomma. Moi , dit-il , je ne la connois
yas. Beau myftere , reprit-elle , pendant que
(put Paris fait que vou^ en êtes paffîonné*»
ment amoureux 1 Rien n^eft plus faux > ré-
|lQ»dit-ii^ & Psuois» ^ui ùk tout^ ne iài^
BE CliiBtLL€fl , XII 9. l)t
]poartanc pas cela fi-bicn que moi. Le vrai
de l'aventure eft que cette femme , qu'à
peine je connois de vue , s'eft cocffee de l'idée
que je l'aimerois un jour , & , qu'en atten-
dant que cela arrive^ elle dit à tout le monde
que nous fbmmes bien enfèmble. Ceae im-
pertinence a même pris de façon que , pour
peu que cela continue , îe ferai prier cette
femme , mais très-fërieulcment , de ne me
plus donner de ridicules* Mais il me (èmble^
dit madame de Lurfay , que c'eft fur elle ^
& non pas fur vous que tombe le ridicule.
Mon Dieu ! Madame , dit-il , on voit bien
que vous ne fentez pas toutes les confôquen-
ces qu'un difcours pareil entraîne. Mais elle
eft jolie, reprit madame de Sénanges. Oui,
«lie eft jolie , dit Pranzi , cela eft vrai ; mais
cela eft obfcur , c'eft une femme de fortune,
cela n'a point de naiftànce, elle ne convient
pas à un homme d'un certain nom , & il
faut fur-tout ^n$ le monde garder les con-
venances. L'homme de la cour le plus dé-
{œuvré , le plus obéré même, fcroit encore
blâmé, 8c à jufte titre, de élire un Dareil
choix. J'aime Pranzi, dit Verfàc en raillant,
il a des façons de penfer tout-à-fait nobles.
En cfki ces femmes-là ne font bonnes qu'à
ruiner, & loç(que, corpme lui, par exem-
ple , ce n'eft pas cette idée qui détermine ,
il ne faut pas permettre qu'elles fe fefTenc
une réputation à nos dépens. Afrurémênt ,
reprit madame de Lurfiy , elles ont g wa
ton, & vous m'ouvrez le» yeux. Parbléi l
ï 6
IJl oc tt t K K f \ r r
sTécna Verfac avec un air de dépit , c*eft un«
chofe fmgulicre, oui, que la pcrfécutîoii
de ces petites efpeces j encore avec elles n'eft-
on pas Gxr du fecret j comme ce n'eft que par
vanité quelles, vous recherchent , vous en
êtes à peine aux pour-parlers , que votre
affiire eft àuflî publique que fi vous aviez
de quoi vous en faire honneur. Je fuis fur^
prifc , reprit madame de Lur&y , que vqus,
qui n'avez jamais fu rien taire, vous vous
Î plaigniez d'une indifcrétion que vous auriez
i on ne l'avoit pas. Vous (avez le contraire,
Marquifc , répondit-il j vous m*avez connu
certaine affidre dont je ne difbis rien, & fur
laquelle j'aurois bien voulu que vous n'eut
fiez point parlé plus que moi. Réellement
vous m'aviez déjà (ait tant de tracafièries ,
ue vous auriez fort bien pu vous di^nlèr
!e me faire celle-là.
Verfac , qui n'étoit venu chez madame de
Lurfay que pour fê donner le plaifir de la
mortifier, n'auroit pas manqué une occafiou
où elle s'enferroit cl'elle-même, fi l'on ne fut
venu dire qu'on avoit fervi. Réiblu de ia
pourfiiivre , il commença par avertir en fe-
cret madame de Sénanges, de qui il avoit
pénétré les intentions, que madame de Lur-
iky Êdfbit tout ce qui étoit convenable pour
que nous fuffions bien enfèmble ; il ne dou-
toit pas de Tufàge qu elle feroît de cet avis,
& qu'au moins elle en redoubleioit (es aga-
ceries. Ce ne fut pas tout , il pria Pranzi de
vouloir bien traiter Emiliéremejot avec elle»
I
** \
ft: de faire tout ce qui fcroit poffible honnê--
tement , pour que je ne pufle pas doutcï
qu^elle l'avoit autrefois bien traité. .
Nous nous mîmes à table 5 je fis vaine-*
ment ce que je pus pour être auprès de ma-»
demoifèile de Théviile , ou pour éviter du
moins madame de Sénanges , rien de tout
cela ne me fut poflîble. Madame de Sénan-
ges, dont la réfolution étoit prifè, me mit
d'autorité cntr'elle & Verfàc , qui de fbn
côté ne put parvenir à s'approcher de made-
moifèlle de Théviile , que (k mère & ma-
dame de Lurfay gardoient fbigneuiement
contre lui.
L'efprit qu'on emploie ordinairement dans
le monde eft borné , quoiqu'on en dife î &
ce ton charmant, qu'on appelle le ton de
la bonne compagnie, n'eft le plus fbuvcnt
que le ton de l'ignorance, du précieux &
de rafïèdtation. Ce fut le ton de notre fbu-
per ; madame de Sénanges Se M. de Pranzi
parlant toujours, & laiflànt rarement à la
raifbn de quelques-uns d'entre nous , & à
l'enjouement de Verfàc , le temps de paroi-
tre & de briller.
Tout occupée qu'étoit madame de Sénai>
ges de fon efprit , elle me faifbit des agacer
ries fans ménagement j fbit que ce fut fà cou-
tume de ne fe contraindre jamais davantage^
ou qu^elle le fit k deflèin de tourmenter mar
dame de Lurlay, à qui je m'appcrçevois
qu'elles ne plaifbicnt pas, d'amant moin^
jgue* j'avois eu e&t la fatuité de xjx'Y f ^^ec
î
ij4 Œ tr r R 1! s
un peu. Ce n'étoit pas que je ne fiiflc extrft*.
mement prévenu contre madame de Sénan^
es ; mais j'étois comme tous les hommes
Ju monde j qu'une conquête de plus, quel-
que mépriiabie qu'elle puiilè être 3 ne laifle
pas de flâner : d'ailleurs 3 î'imaginôis par là
me venger de mademoifelle de Théville ,
que j'aflcdtois de regarder avec autant d'în-
oiâerence que j^avois cru lui en remarquer
pour moi.
Pendant que ]t me livroîs aux ridicule^
propos de madame de Sénanges 3 mademoi*
lèlle de Théville tomba dans une rêverie
profonde. De teinps en temps elle me regar*
coit, & quelquefois avec une forte de mér
pris que je ninterprétois pas en bien y 8c dont
de moment en moment je lui voulois plu$
de mal ; la feule chofè qui pût m'«i confb-
1er, étoit le peu de cas qu'elle s'obflinoit
toujours à faire de Verfkc , qu'un accident fî
extraordinaire mettoit prefque hors de lui.
Madame de Lur^ , tourmentée par la ja-
loufie que lui caufoit madame de Sénanges,
& par les propos indécents , équivoques &
femiliers que lui tenoit M. de Pranzi, étoit,
malgré fon attention fur elle-même , d'une
triftefiè mortelle.Laperte de monccrur qu'elle
craignoit de faire , vi réputation cruellement
compromifè , & entre les mains de deux
-étourdis , qu'elle voyoit conjurés contr'elle »
qu'elle étoit forcée de ménager : pouyoit*â
^e pour elle de fîniation plus afîSrufê ?
- Jamais la converâdon m tounmt yen J^
miâiGmcCy que craignant d'en devenir l'obM-
jet y elle ne fit fbn poilible pour la déranger ;
mais k choie étoit difficile avec Verfac i iî
malheur de ne pas plaire à mademoifeUe de
Thëvillc lui donna de Thumcur , & toutes
Us femmes en ibuf&irenc.
Avez-vous oui parler y demanda-t^il y de
la conduite de madame de *^^ , & en con-
cevez-vous une plus finguliere ? avoir pris à
ion âge , après avoir été dévore deux fois ,
le petit de *^^ ! Cela eft plaiCint, dit ma-*
dame de Sénanges , & en même temps ttès^
ridicule , très-abfurde ; car enfin y après s'être
retirée du monde avec tant d'éclat > il y fàU
loit du moins rentrer par une aveature plus
férieufc. Qui que ce fût qu'elle prît, dit ma-*
dame de Tiiéville , )e ne vois pas qu'au fond
elle en eût été moins blâmable. Oh ! par-
donnez-moi , Madame , répondit Verlàc ;
fur ces fortes de chofes y le choix ne laiffe
pas d'être important. L'on efl quelquefois
moins blâmée d'un magiflrat que d'im co-
lonel , & pour une prude , par exemple ^
Vun eft plus convenable que l'autre j car &
cinquante ans prendre un jeune hohune ^
c'eft ajouter au ridicule de la paflion celui
de l'objet. Cefl qu'il y a 3 reprit madame
de Sénanges y des femmes qui ne fàvent ce
que c'eft que- fè refpeâer. .Oui , répondit
Yeriac d'un ton ironique , & en la regar«^
dant, cela eft vrai, il y en a 5 & en venté
les femmes..,. Oh ! point de thefes générai
f^, imerrompit-elle, eUie» iopx tgu^ows e^ "
4^ CE tî r.» nt \
droit de d^pl^dre. Et moi je foutîens le coH^
traire, reprit-il, ce font celles qui ne doivent
îtfBiais ficher. Quoi ! répliqua-^t-cUe , fi votis
dites , par exemple , que toutes les femme*
ibnt faciles à vaincre, fi vous imputez à
toutes les dérèglements dont quelques-unes
feulement font capables , vous croyez que
tQutes ne doivent pas s'en ofFenfêr ? Sans
dpute, reprit-il, je le crois 5 plus encore,
c'eft qu'il n'y a précifëment que celles qui
font dans le cas de fe rendre promptement ,
qui n'aiment pas à l'entendre dire , & qui
s'en plaignent/ Je penfè comme vous, dit
madame de ThévUle ; une jfemme raifbn-
nable ne doit point s'attribuer ce qui n'eft
dit que pour.celle qui ne l'eft pas ; & pourvu
que je ne me rende pas , moi , il m'cft fort
îndiflBrent qu'on dife qu'aucune femme ne
lait réfifter. Mais comptez-vous pour rien ,
Madame , dit madame de Lurfay , l'opinion
que de pareils difi:our$ peuvent donner de
nous ? En oui ! ajouta madame de Sénanges,
& que, fur un auilî faux principe, un
homme, en nous regardant feulement,
croie que nous fommes fiibjuguées. Hélas!
Madame , dit Verfac , c'eft qu'il en eft mal-
heureufement tant d'excmtplés , qu'il y a plus
de fottife à ne le pas penfer , que de fatuité
à le croire. Eh 1 -que vous importe qu'on
vous croie fubjuguée , lorfque vous ne l'êtes
pas, répondit madame de Théville s que fait
à votre vertu l'opinion d'un fat ; croyez-moi i
Madame ^ pour peu qu^un homme vivcidaoi
^X CKl^BTiroK , fît S. 10
le monde , il Gut bientôt que les femmes ne
font ni toutes vicieufes , ni toutes vertueu-
ses, & Tcxpérience lui apprend aifément
quelles font les exceptipns qu'il doit faire.
Quand cela feroit vrai. Madame, lui dît
madame de Lurfay, cela nous expofê-t-ii
moins aux fottes idées d'un jeune homme
qui , en attendant l'ufâge du monde & Tex-
périence , commence toujours par mal pen-
(tï de nous \ & qui quelquefois , reprit
Verfac , avec Texpérience & Tufàge, ne
trouve pas de quoi changer d'avis. En vé-
rité , Monfîeur , dit madame de Sénanges ,
vous parlez comme quelqu'un qui n'auroit
jamais vu que mauvaîfe compagnie^ Avant
que de vous répondre la deflus, je voudrois
bien , Madame , lui dit-il , que vous me
diflîez ce que c'eft que mauvaije compagnie ?
Eh mais l répondit-elle , ce font des femmes
d'une certaine façon. Vous conviendrez aifé-
ment 5 reprit-il , qtie votre définition n'cft
pas jufte, puifqu'en me fèrvant du même
terme , je puis rendre l'idée contraire , &
vous, dire que des femmes d'une certaine
fiiçon, font des femmes de bonne compagnie ;
mais expliquons votre idée : par femme de
bonne compagnie , qu'entendez- vous î font-ce
les femmes venueufbs , ces femmes qui n'ont
januis eu la moindre foibiefle à fè reprocher 3
Sans doute ! reprit-elle. Sans doute ! s'écria
Verfac ; quoi! vous mettez au même rang
une femme notée par des aventures infâmes,
$c celle qui rfaura eu qu'une foiblelTe, quc^
t)S (E tJ V R E f
par (k façoii de penfcr , elle aura rendu reC*
peâable ! Ah ! Madame , je fuis moins cruel :
ce ne font pas ces femmes-là que fappelle-
roîs mauvaife compagnie ; & fi vous les trou-
vez telles, je conviendrai avec vous que je
ne vois pas Bonne compagnie , puifqvie , de
toutes les femmes que je vois , je n'en con-
nois pas une qui n'ait été (ènfible , ou qui
. ne le foit encore. Quand cela ne {croit pas,
Moi^fieur, vous iie le croiriez point , reprit
madame de Lurfày, & vous penfez fi mal
de nous.... Il eft vrai , Madanie, inteirom-
pit-il , il eft des femmes dont je penfe on ne
peut pas plus mal , dont je regarde le ma-
nège avec mépris , & auxquelles enfin je ne
connois nulle forte de vertu y qui n'ont pas
des Foiblefles , mais des vices ; toujours les
Îjremieres à crier fur ce que l'on dit de leur
exe, parce qu'elles ont toujours à couvrir
leur intérêt particulier de l'intérêt général.
Pour celles-là , fans doutç , le moindre trait
eft cruel : elles perdent tant à être connues ,
Se dans le fond de leur cœur le fàvent fi-
Irien , qu'elles ne peuvent fupporter rien de
ce qui les démafque ou les définit. .Aînfi
quaiid je dirai ; les femmes fi rendent promp^
tement , à peine attendent -elles qu^on tes en
prie ; fi je fais un portrait défavantageux de
quelques-unes , il me fera permis de croire
^e celles qui s'élèvent contre, penfènt qu'il
)k\Xi reflemble. Sans doute , Monfieur , die
madame de Thévillc j & la colère fur ces
ilom& 4e chofes, prouve feulement qii'oit
y
»E CnéBILLON^ FILS. Y^f
peniè mal de foi-même. Eh bien ! Madame,
dit Vcriàc en s'adreflant à madame de Sé-
nanges , qui me faifbit des mines , conce-
vez-vous à préfent pourquoi tant de femmes
font fâchées , & pourquoi madame de Thé-
ville ne l'eft point ? Tout ce que je conçois j
répondit-elle, c'eft qu^il vous fied moins
qu'à un autre de prier mal des femmes, &
que le plus grand de leurs ridicules eft de
vous traiter comme elles font. Ceft peut-
être à cauie de cela , reprit-il en riant , que
l'en ai fi mauvaife opinion. Ce qui m'outre
de fureur, dit -elle, c'eft que ce ton de
méprifer les femmes devient à la mode , &
qu'il n'y a pas jufqu'aux auteurs qui ne l'aient
pris. Il me tomba entre les mains, il y a
quelque temps , une brochure détefbble oà
nous étions traitées à faire horreur : auffi ne
l'achevai-je pas : en vérité , dit madame de
L urfay, ces mauvais petits livres-là devroient
bien être défendus. Pourquoi donc. Ma-
dame, répliqua Verfac ? les femmes font ce
qu'il leur pïaiît 5 l'auteur en écrit ce. qu'A
veut ; il en dit du mal , elles en difent de
fon livre , elles ne fe corrigent pas , ni lui
non plus peut-être ; jufqu ici je les trouve
quitte à quitte.
En activant ces paroles , on leva la table |
Ver&c commençant à douter de la réudîte
de (es projets , madame de Sénanges occu-
|ée à poufler les Cens , & madame de Lur*
y defefpérée des façons mal-honnêtes db
M. 4e Pianzi, qui la prelToit alTez haut da
î
14© CE ty y n E «
ïui rendre des bontés qui, di(bît-îl, liii Je-
venoient plus néceflàires que jamais^ Quel-
que chagrin que de pareils discours lui eau*
wflèntj il n'^aloit pas celui de m^avoir vu
répondre à madame de Sénanges , fur qui ,
malgré la contrainte qu elle s'impofbit , cUc
jetoit de temps en temps des yeux d'indigna-
tion & de mépris. Elle Tavoit entendu me
parler {èntiment pendant tout le (buper y Se
le plaindre de tout ce qu'il y ayoit de mieux
en France allant chez elle , je n'avois pas en-
core fongé à m'y j&ire préfènter. Elle la con-
noiffoit trop pour ne pas (avoir que les com-
pliments les plus limplcs avoieiit tou)ouxs
chez elle un objet marqué : on m'avoit trop
interrogé fur l'état de mon cœur, pour que
cette curiofîté ne fut qu'indifférente. Ma-
dame de Sénanges étoit vive, ne ménageoit
rien quand il s'agiflbit d'une conquête nou-
velle , cherchoit moins à toucher qu'à plai-
re , & dilpenfoit volontiers de l'amour & de
l'eftime , pourvu c[u*elle inlpirât des defîrs»
Madame de Luriay n'ignoroit pas à quel
point nous en fbmmes fuureptibles ; & mê-
. me , en me fuppofant extrêmement amou-
reux , elle ne doutoit pas que je ne me li-
vrafïe pour le moment , du moins , à une
femme qui fauroit malgré moi-même me le
faire trouver, & m'y ramener plus d'une
fois. La froideur que j'avois marquée pour
elle depuis mon manque de reipeâ, le peu
de {bin que j'avois pris de lui plaire, la com-
pkiiànce que j'avois eue pour madame de
SSCRElIttOK^FILS. 141
Scnanges , tout lui faifbit craindre que je ne
fuflc près de changer. Impatiente de con-
noître mes fentiments , elle n'ofbit cepen-
dant s^en inftruire. Au milieu de tant de
monde , & qui lui étoit fi fiifpeâ: , le moyerl
d'arranger un rendez-vous? D'ailleurs, com-
ment, après ce qui s'étoit pafle entre nous ,
me le jpropofer (ans me donner d'elle les plus
af&euies idées ? Heureufement pour moi >
la décence l'emporta. Madame de Sénangès
qui en étoit un peu moins fufceptible , &
qui avoit vu que je ne m'aidois prefque pas ,
que les regards les plus marqués ne m'iilf-
truifbient point , & qu'aux prières preflantes
qu'elle m'avoit faites de la voir, je n'avois
répondu que par des révérences, qui ne dé-
cidoient pas ton état , ne fa voit plus com-
ment me faire comprendre ce qu'elle çxpri-
moit fî-bien. Il ne lui reftoit plus, pour me
mettre au fait , qu'un mot ; mais toute irré-
guliere qu'elle étoit , elle n'ofk pas le pro-
noncer , (bit parce qu'elle ignoroit que je ne
Ten preflai point , ou ce qui eft auffî vrai-
fèmblable , parce qu'elle ignoroit que j'avois
befoin de l'explication la plus claire.
Nous avions épuifé à fouper ce qu'il y
avoit de plus nouveau en médifànce : (ans
cette refïburce , on (butîent difficilement U
converfation ; & devant Verfac & madame
de Sénangès la raifon ne pouvoir point pa-
roître long-temps. Bientôt nous ne fumes
plus que dire. Madame de Lurfay , que M.
de Pranzi continuoit à impatienter , propofa
a
141 CB V V It I S
de^jouer ; nous y confèntîmes. Se moi fur-tout
ui efpérois que le jeu me meccrok auprès
le mademoifelle de Théville. Le fort ne me
jfèrvit cependant pas aurtî-bîen que je le de-
firois. Madame de Lurfay , qui connoifïbît
toute la mauvaife volonté de Vcriàc, & qui
vouloit (è donner en fpe<Stacle devant lui le
moins qu'il lui feroit pofGble , me mit avec
madame de Théville > contre madame de
Sénanges & contre lui, & fit une reprife
d'hombre avec Hortcnfe & M. de Pranzî.
Dans le chagrin que j'en eus , je penfài rom-
pre la partie que je venois d'accepter. Pour
m'en dédommager du moins, je me plaçai
d« façon que j'avois mademoiîèlle de Thé-
ville en face : pénétré du plaifîr de la regar-^
der , je ne fus pas un inftant cèrque je fàiiois.
Occupé d'elle lans relâche, je ne m'attachois
qu'à (es mouvements. Nous nous furpre-
nions quelquefois à nous regarder ; il fem-
bloit que nous euflîons le même intérêt à
démêler ce qui (è paflbit dans nos coeurs,
La triftcflè où je la voyois plongée , m'en
caufoit à moi-même , & les reflexions qu'elle
me faifbit faire , me donnèrent des diftrac-
tions fi fréquentes , que Verfàc , qui crat
qu'elles avoient madame de Lurfay pour
principe , ne put s'empêcher d'en rire , Se
de les feire remarquer à madame de Sénan-
ges, qui en hauflfa les épaules de pitié , fans
cependant en rien diminuer des efpérances
qu'elle avoir fondées fur ma perfonnc.
Le jeu ne nous intéreflbit pas allez pouC
f>E CRÉBTLtOir, yitS. X4f
nous tenir dans le filence. Verne & madame
de Sénanges donnoient de temps en temps
carrière à leur humeur médifante ; ce qui ,
joint à mon peu d'application , impatientoit
madame de Théville qui aimoit le jeu ,
comme une femme qui n'aime point autre
choie. Verfàc chantoit entre fès dents des
couplets nouveaux & fort méchants. Ma*
dame de Sénanges , que la calomnie amu-
ibit , (bus quelque forme qu'elle fè préfèn-
tât , les demanda à Verfac , qui répondit
qu'il ne les avoit pas , & qu'il étoit aflèz
malheureux pour ne les favoir que par (îrag-»
ments. Je les ai. Madame, lui dis-je, &
fur le champ je les lui offris. Elle s'opiniâcra
poliment à les refiifcr , & me pria feulement
de vouloir bien les lui faire copier. Je lui
promis de les lui envoyer le lendemain ma-
tin. Les envoyer ! dit Verfac , d'un air d'éton-
nement , vous n'y pcnfêz pas l Ne voyez-
vous pas bien, ajouta-t-il tout bas, qu'on
ne vous les auroit point demandés fi Ton
n'avoit pas cru que vous les porteriez vous-
même ? Cefl la règle. N'efl-il pas vrai , de-
manda-t-il à madame de Sénanges, on porta
foi-même ces fones de bagateUes ? Cela eft
plus poli , répondit-elle en fouriant ; mais
je ne veux pourtant pas le gêner. Je fentis
bien que par cette démarche , madame de
Sénanges vouloit me faire entrer en com-
merce avec elle ; mais ne pouvant l'éviter
ians une impoliteffe impardonnable , je pris
le parti de me foumcttrc à la déciiion de
Ï44 (B tr V n K f
Verlac , & de dire à madame de S^nange$
que îe lui porterois le lendemain les vers
qu*elle founaitoit, puifqu*elle vouloit bien
me le permettre. Elle parut contente de
Taflurance que je lui en donnois; & Ver(àc,
qui mettoit û-bien les af&ires en train pour
tourmenter madame de Lurfiiy , en fut, je
crois , encore plus charmé que madame de
Sénanges.
Nos parties finirent peu de temps après >
à l'extrême fatisfedtion de madame de Lur-
fliy quia pour tâcher de détourner Verfàc,
s'étoit (acrifiée, non -feulement en jouant
avec un homme qu'elle déteftoit, miais en-
core en me laidànt expofé aux empreflèments
d'une femme qui devenoit ouvertement Gl
rivale.
Cependant le temps de^ibrtir de chez
madame de Lurfay approchoit. J'allois per-
dre mademoifcUc de Théville 5 & près de
la quitter , je fèntis combien je denroîs de
la revoir. Ce bien , alors Tunique de ma vie »
je ne voulois plus , s'il (è pouvoir , attendre
que le hafard m'en fît jouir. Sans Téloigne-
ment qui étoit entre madame de Théville
& ma mère , il m'auroit paru facile de me
procurer un accès chez elle j mais retenu par
cette conlîdération , & craignant que niadame
de Théville ne reçût pas convenablement
pour moi la prière que je lui fçroîs de mè
permettre de la voir , je n'ofois la hafàrder.
Je m'étois approché de mademoiièlle de
ThéviUe i & prenant pour texte de h
converiàtlonj
\
»K Crebiiioï», riLt. t4i
eonyerfàtion,lareprifequ'ellevenoitdcfeire,
'! a^nandai comment le jeu l'avoit trai-
tée? Aflezmal, me répondit-elle froidement.
Je n y ait pas été , repris-je , plus heureux
que vous. A la façon dont vousjouycz . ré-
pliqua-t-eUe , il auroit été difficile que vous
euffiez fixe la fortune; & fi je ne me trompe.
je vous ai entendu reprocher vos diftradions.
vous u avez pas été j)lus attentive , lui dit
alors madame de Lurfay , & je ne crois pas
quevous ayez^té un moment à votre jer.
^clt repondit- elle , en rougiflànt, que
r°£?bfe m'ennuie. Je ne fais , dit madame
ae rhevUle, mais je lui trouve depuis quel-
que temps un fond de triftere qui m'alannc.
& que rien ne peut diflîper. Elle aime ttoi
fa fohtude , dit madame de Lurfay , & je
veux que demain nous prenions enfembfc
des ttiefutes pourla diftraire. Les plaiiîrsde
ma confine m'intértlfent auffi , dis-fc à demi-
bas à madUme de ThéviUe; s'il me vS
quelques idées , voudrez-vous me penncttnî
d aller vous en fkire paît chez vous > Je «e
vous crois pas excellent pour le confe3 , tel
pond,t-ae en riant 5 mais il n'impc^^
Monficur vous me forez plaifir. En œ cas
me dit madame de Lurfa/, mais d'S. S«
tort bas , fi vous voulez vous rendre ici de,
*ez Madame J acceptai avecttanfport cete
Propohtion , fi chaimé dcl'efpéranaede vo r
le lendemain ce que j'adorois , que je ne fis
•MCi;ne réflevion , ni fiir fc lieu d» rendcz-
ï4< (E r V a E $
vous , ni fur le véritable objet qu'il poav(»t
avoir.
Pendant que je me félicîtois de m*êtrc
procuré un bpnheur qui m'étoit f i néceflaire >
Tcrfàc , tout indilpofé qu'il étoit contre
inademoifelle de Théville , lui parloir fur la
inélancolic , & fur les moyens de la détruire.
Quoiqu'il traitât aflèz fagement cette matière
avec elle , il ne put en obtenir que des ré-
ponfes froides , Se qui ijiarquoient pofitivp-
nient le peu de cas qu'elle fàïîbit de lui. Trop
vain pour- témoigner tout le dépit qu'il en
^eflentoit , il fut cependant aifez lenfiblepour
ii'y paroître pas indifférent ^ & je le voyois
rougir malgré lui du peu d'attention que
l^on marquoit pour fes >charmes. Cette con-
quête étoit en effet trop flatteufè pour en
perdre l'efpérancc fans i;egrec.
. Plaire à une femme ordinaire > la voir
pafler des bras d'un autre dans les iiens,
c'étoit un triomphe auquel il étoit accoutumé >
& qu'il partageoit avec trop de gens , pour
que ià vanité en fi^t contente. Dans ce grand
jnpmbre de femm.e$ , qui toutes briguoient le
bonheur de fixer un moment; ics. Regards ,
j)èut-être n'en avoit-il pas trouvé une qui
put flatter fon orgueil ; femmes perdues ae-
puîs long-temps de réputation y-& qui vou-
loient finir par lui ; femmes infcnfées donc
im homme à laxnode, qwclqu'ilfoit, mérite
les hommages ,, & qui fe cendeint, à fes agrc-
xnents moin& encore qu'au: plaiiir d'entendre
dire quelque tejnps. qu!eJIcs lui appanien*
:^ s C A É 1 1 1 £ ir 3 r T I r. f4|r
lient ; plus couchées de s'être procuré une
aventure qui les déshonore à jamais , que des
plaifîrs d'un commerce feoret qui né feroi|p
point parler d'elles ; voilà ce qu'il trou voie
tous les jours. Objet de la fantaide de toutes
les femmes , ne régnant (ur le cœur d'au-*
cunc , & lui-même indiffèrent pour toutes ^
il cédoit à leurs defirs (ans les aimer , vivok
avec elles fans goût , & les quitte^ fans les
connoître plus que quand il les avoit prifès ^
pour fè donner à d^autrcs qu'il ne connoî^
troît ni n'eftimeroit davantage.
Ce n'étoit pas que de quelques attraîta
que mademoifelle de Théville fut pourvue ^
elle pût infpirer de l'amour à Vcrfàc j U
n'étoit point iàit pour connoître ces mou-*
vements tendres qui font le bonheur d'uit
coeur fènfible : msûs celui de mademoifelle
de Théville étoitaufïî neuf que fes charmes^
& {ans chercher à le rendre heureux , il au-
roîc voulu fè le fbumettre. Comme on nci
hû avoir jamais réfiflé que par coquetterie ^
il vouloir^ une fois du moins, s'amuferdif
fpeâacle d'une jcmie perfbnne vaincue fans
le {avoir , étonnée de fès premiers foupîrs ^
toute entière à l'amour quand elle croit 1»
combattre encore ; qui ne refpire , ne penfè ^
n'agit que pour fbn amant , Sç pour qui rien
n'eft plaifîr , peine & devoir que tout ce q}$i
tient à (a pafiion.
La conquête de mademoifelle de ThévillQ
n*auroît , uns doute , toute brittance qu'elle
c|:oit y facisËût que l'orgueil de VerCic qui ^
p.
T48 (E V T K fi s
quoiqu'il n'aimât rien , imagînoît pourtanc
du plaiifir à être tendrement aimé ; plaiTir
qu'il n'ëtoit pas aflèz dupe pour chercher
chez les femmes qu'il honoroit de (es feveurs.
Il avoir compté mr les bontés de madcmoi-
(cUc de Théville , & ne pouvoir concevoir
ce qui lui procuroit un délagrément qu'il
li'avoit jamais éprouvé.
Las dit personnage qu'il jouoit ^ il fè dé-
termina à prendre congé de madame de
Lurfky. Il étoit tard , & nous en fîmes tous
autant. Je ne doute pas qu'elle ne fbuhaitat
ue je reftafle \ mais il n'étoit pas queftion
'Imaginer des expédients devant Verfac,
aui joîgiioit alors à fà finefle naturelle , le
e(ir de lui donner des travers. Madame de
Sénnnges me fupplia , en me quittant , de
ibnger aux couplets que je lui avois promis;
Ce Verfac , qui lui donnoitla main , la pria
ironiquement de n'être pas inquiète fur une
âf&ire dont il fàifbit la henné. M. de Pnuizt
donnoit la main à nudame de Théville > Sc
}e ne voyoisque moi pour conduire Honenfe.
Je lui présentai la main ; mais fc n'eus pas
£*tot touché la fienne , que je fèncis toat
mon corps trembler ; mon émotion devine
6 violente , qu'à peine pouvois-je me (bu-
tenir. Je n^ofai ni lui paner » ni la regarder ,
ic nous arrivâmes tous deux à (on cartoffc,
en gardant le plus profond filence. Veriàc
l'y attendoit pour lui i&ire la plus firoide ré«
vérençe qu'if put imaginer : ce qu'il fit , je
cioi$a pour lui xaarquer combien il àM
I
mécontent de fa conduite, ou pour lui proU*
ver de rindifférencc. Madame de Sénangcs
m'accabla encore de (es cruelles agaceries ,
comme mademoifelle de Théville de fà froî^
deur ; elles partirent , & je me hâtai d'auiant
plus de les iuivre , que je craignois qu'il ne
prit un remords à madame de Lur{ày.
Je paflè fur les (èntiments qui m'occupe^
rent cette nuit-là. Il n'y a pas d'homme fur
la terre alïcE malheureux pour n'avoir ja*
mais aimé » 8c aucun qui ne (bit par confé-»
Quent en état de Ce les peindre. Si la vanité
leule avoit pu (àtisfàire mcMi coeur , il auroit
uns doute été moins agité. Madame de Se-»
nanges y toute occupée du foin de me plaire ;
madame de Luriày y de qui je n'avois plus
de délais à craindre , me mettoient dans une
fituation brillante ; la première (ur-tout , qui »
fi elle ne s'attiroit plus par (es charmes l'at-^
tention publique, fè la con(èrvoit toujours
par de nouvelles aventures^ Peu fiatté de me
voir en même temps l'objet des vœux d'une
prude & d'une femme galante , le cœur qui
ièmblok fe refufer à mes defirs , étoit le kul
qui pût remplir le mien. Témoin de la trit-
teflè d'Hortenfc , & de Gi froideur pour moi ,
à quoi pouvois-je mieux les attribuer qu'à
une pamon fecrete ? Les premiers (bupçons
que j'avois portés fur Germeuil , (è réveillè-
rent dans mon efprit ; à force de m'y arrê-
ter , ils s'accrurent. Je crus avoir vu mille
choies qui d'abord m'avoient moins ftappé ^
G j
X
^J# CE tJ V K. É s
ic qui toutes me çonvainquoient de leut ar-
deur mutuelle.
Je fus incertain le lendemain fi je dirois
à madame de Meilcour que î'avois vu ma*
dame de ThéviUe« Je craignoû que Tanti-
pathie qui les dédmifibit ^ ne la portât à me
défendre de la voir. J'étois fi fur en ce cas de
jkii défbbéir , que f aurois voulu ne m'y pas
cxpofèr. Il pouvolt être plus dangereux dé
lui dérober mes démarches , eUe n'auroit pu
les ignorer long-temps , & le myftere que
je lui en ferois^ ne ierviroit peut-être qu'à
les lui faire obfèrver avec plus de foin. Je
crus donc que le pani le plus fàge , non-fèu-
lement pour mon amour , mais encore pour
rendre à madame de Meilcour ce que je loi
devois , étoit de ne lui rien cacher. J'entrai
chez elle , èc en lui racontant , comme une
chofè indifférente > ce que j'avois fait la veille,
je lui dis que )^vois vu madame de Théville.
Ce nom , que j'ofbis à peine lui prononcer,
ne lui caufa pas le mouvement que je crai-
^ois \ elle me répondit froidement qu'elle
ne croyoit pas que madame de Théville fut
à Paris. Madame de Lurfay , qui fait que vous
n e l'aiipez pas , repris- je , a craint , fans doute ,
de vous en prier. Ce n'étoit rien de fâcheux
àm'apprendre que fbn retour, répliqua-t-ellej
l'éloignement qrf nous avons l'une pour l'au-
tre ne nous rend pas ennemies. Vous nedefap-
prouverez donc pas , lui dis-je , que je la voie.
Au contraire ^ répondit- eUe> elle a. trop
©> CtiiBîtt'à^y fils. 't^V
de venus pour que fon commetce ne vous
toit pas innniment utile. Mais , ajouta-t-ellô ,
on m'a dit que fa fille étoit belle ; l'avez-
vous vue ? Comment la trouvez- vous !
Je fils fi embarrafle de cette qùeftion , toute
fimple qu'elle étoit , que je pcn&i lui répon-
dre que je n'en {avois rien. Je ne me remis
de mon trouble que pour m'en préparer uh
autre. Obligé de dire ce que je penfois dfe
'mademoifèUe de Thévillc , l'amour me diâta
foii éloge*
Si je l'ai vue ! Se comment je la trouve ,
m*écriai-jc ! Ah ! Madame , vous en feriek
enchantée. Sa figure ^ (on maintien , fon et
Îjrit , tout plaît en elle , tout y attache. Ce
ont les plus beaux yeux ! les plus tendres i
les plus touchants i fi vous l'aviez feulement
vu fourîre. . . !
Vous la louez vivement , interrompît-elle ^
& vous aimeriez mieux , à ce que je croîs ,
vivre avec elle , que moi avec fa mère. Je
ne nl'apperçus que dans cet înflant que j'eii
àvois trop dit. Madame , lui répondis-je aveè
une émotion qu'en vain je voulois contrain-
dre , je vous l'ai peinte telle que je l'ai Vue ,
Se peut-être encore moins bien qu'elle n'eft ;
je vous avouerai cependant que je ne me (îiis
pas trouvé de difpofition à la haïr. Je ne (ba-
naite pas , dît-elle , que vous la haïffiez j mais
ïe voudrois que fcs charmes vous fiflènt moinî
d'impreffion qu'ils ne me paroiflent vous ert
feire. Eh ! que vous importcroit , Madame,
quand je i'aimerois y répondis-je , avec ViÙ
G4
Ifl - Œ XJ V H 1 s
ioupir qui m'échajppa malgré tnoi ? Eh ! fi
vous ne l'aimiez, cJéyà , répllqua-t-elle , (es
Icntiments vous occuperoient-us2 Quoil Ma-
dame , repris-je , pourrie:^--vous penfer qu'en
un moment que je l'ai vue , elle eut pu m'inC-
pirer de l'amour > Elle cft belle ; & vous êtes
jeune , répondit ma mère ; à votre âge , les
coups de foudre font à craindre , & moins
on a d'expérience , plus on s'engage fecilc-
ment. Mais, Madame, lui demandai-je^
iêroit-ce un fi grand mal que je Taimaflè ?
Oui , répondit-elle froidement , c*en feroit
un y puiique cette paflion ne vous rendroit
jas heureux. Peut-être , répondis-je , mes
craintes fur fbn indifférence pour moi fbnt-
/clles fans fondement ? Je ferois bien fâchée
que cela fut , dit-elle 5 & fà fènfibilité pour
vous ne vous rendroit que plus à plaindre.
Je fuis bien aifè de vous apprendre que j'ai
des vues fur vous , & qù'efles n'ont pas ina-
demoifelle de Théville poyr objet 5 elle n'eft
pas faite pour occuper votre caprice , & je
ne vous confèille pas , encore un coup , de
lui rendre des foins bien furieux. Je me flatte ,
ajouta-t-elle , que je puis encore vous parler
là dcffus , & que vous n'avez pas afïèz engagé
votre cœiur pour vous faire une peine des' avis
que je vous donne. Madame , repris-je ( en
prenant tout fur moi pour ne lui pas montrer
ma douleur ) , je ne vous ai parlé de made-
moifeUe de Théville que par la néceflîté oà
vous m'avez mis de répondre à vos queftions.
Je l'ai trouvée belle ^ il ef); vrai 3 mais on ne
DE C^i^tltOlfi WÎZX ï/5
devient pas , du moins je le crois , amoureux
fie tout ce qu'on admire. Je tai vue fans émo-i-
tion , & je la reverrai fans péril pour mon
coeur. Vous êtes cependant , Madame , ajou-"
tai-je y maîtrefle d'erdonner de mes démar-
ches , & je renonce à la voir jamais , fi vous
croyez que je le doive.
Mon air tranquille en iînpofà à madame
de Meîlcour^ qui d'ailleurs m'aimoit trop
jpour qu'il me fut difficile de la tromper. Non ,
mon fais, répondit-elle, voyez-k, quel que
(bit le but clu commerce que vous vouliez
lier avec elle y qu'il ait Tamour pour objets
qu'il n'en ait point du tout , dans aucun de
ces cas je ne dois ni ne veux vous contrain-
dre. Mes ordres , fi vous l'aimez , ne détrui-
ront pas votre paflSon j & fî vous ne l'aimez
point , je ne fuis pas afièz ridicule pour vous
en faire naître le dcfir en vous interdifant fà
vue. Cette converfàtion tourmentoit trop mon
cœur pour chercher à la continuer , & je pris
congé de ma, mère pour aller cliez madame
de Lurfay , qui devoit me conduire chez
Hortenfe*
Je réfléchiffois fur tout ce qui s'oppofbic
à mon amour, & moins je lui voyois d'ef-
pérance d'êcrc heureux , plus je le fentois !
s'affermir dans mon cœur. Un rival à qui je
ne croyois plus rien à defirer i une mère qui ,
fur un fîmple (bupçon , venoit de fè décla-
rer contre moi i une femme dont j'allois blef^
fer la paffion ou la vanité , choie également
dangereufc> rien oe m'arrêta. J'entrai chez •
G;
ï f 4 . (E u V 1^ E s
madame de Lurfày , rempli d'Hortenfe, &
peu dilpofë à me (bu venir de ce qui s'étoit
pafle la veille avec la première , que , depuis
mes fbupçons fur M. de Pranzi , je mcpri-
ibis plus que jamais.
, Malgré toutes les menaces qu'elle m'ayoir
faites de prendre des précautions contre moi,
je la trouvai Icule ; elle me reçut comme on
reçoit quelqu'un avec qui l'on croit avoir tout
terminé, avec tendrefle & familiarité. Ma
froideur, car je ne me prêtai à rien, rcm-
barraiïa : des révérences, du refpeék , un air
morne ; quel prix , & de ce qu'elle avoit fait
pour moi , & des bontés qu'elle me prépa-
roit encore ! Comment accorder auflî peu
d^amour & d'empreflèmcnt avec les tranf-
ports que je lui avois montrés. Elle fe croyoit
^n droit de s'en plaindre, & ne Tofoit ce-
pendant pas faire. Elle me regardoit avec
4es yeux étomiés , & cherchoit vainement
4ans les miens l*ardeur que )e femblois
l^ji avoir promijfè. Interdit & plus contraint
que jamais , j'étoisauprès d'elle, moins com-
me un amant qui eft encore à ^vorifcr , que
c^mime un qui le lafle de l'être. Je ne lui avois
dit en entrant, que des choies communes:
jargon d'ufàge, prblcrit entre deux pcrfon-
nés qui s'aiment. Outrée d'un procédé fi
peu convenable , ne l'ayant pas mérité de ma
part,, elle (e rappelle madame de Sénanges,,
& ne douta point qu'une indîflféraice fi fii-
bite ne fut caufëe par un nouveau goài qui
Htt décoboic à &l \fisdB^^ Ceae idée> q^
î
» Ë C R E *B 1 1 i. Ô ÎT , F ï î i. ï$f
h'étoît pas fans fondement , la pénétxa de
douleur : elle voyoit une femme fans mœurs^
fans jeuneflc , fans beauté , lui enlever eu
ùh jour le fruit de trois mois de ibing: &^
dansqueltemps encore, & après quellesefpé-
rances ! lorfqu'elle pouvoît le croire fîire de
mon coeur ; qu'elle avoir vaincu fès fcrupules ,
& qu'enfin j avois furmonté mes préjugés.
. Je m^pperçus aifément , quoiqu'elle gar-
dât le fîlence , de Ion mécontentement &
de fa douleur ; mais je ne (àvois que lui dire.
L'idée d'Hortenfè & lesdifcours de ma mère
me rempliflbient tout entier, &melaiflbienc
Jeu de pitié pour les maux que je fàiibia
ouffrir à madame de Lurfay. Ennuyé ce-*
pendant d'être fi long-temps fèul ^vec clle>
je pris mon parti. Madame , lui demandai-
je , ne devions-nous pas aller chez madame .
de Théville ? Oui , Monfieur , répondit-elle
fechement , je vous attendois ; je commen-
çois même à croire que vous aviez oublié
que je devois vous y conduire. Je n*ai pas „
repris- Je , d'aulïî ridicules diftraélions. Vous
avez cependant, répohdit-efle , un ai&z beau
fujet d'en avoir , & je crois qu'il n'y a que
madame de Sénanges que vous ne puîmea
plus oublier. »
Cène madame de Sénanges , qti'ofi m'ac-
cufoit de ne pouvoir plus oublier , exiftoit
pourtant fi peu dans ma mémoire , que je ne
me fbuvinsque dans cet inftant;> de la vîfitc
Qu'elle ïn'avoit engagé à lui faire,., ta jaloufîc
e ma(^e de Luriky ne xue déplut poinF>
G 6
t$6 Œ r T R B f
îl m'împoîtoît qu'elle ne découvrît pas quel
ëtok le véritable objet de ma paffion , & je
vis avec joie madame de Scntoges devenue
celui de fes craintes. Le plaifîr de la voir (c
tromper, me fit fourire malgré moi. L'in-
différence avec laquelle je recevois l'efpece de
reproche qu elle me faifbit , la jpiqua fenfi-
blement : vous avez aflorément rait un beau
choix , continua-t-elle , voyant que je ne lui
répondois rien , vous ne pouvieas^ pas: débuter
anieux ; cela eft refpeârable & doit vous faire
honneur. Je ne (àis , Madame , répondis-jc
froidement , de quoi vous me parlez. Vous
ne (avez l interrompit-elle d'un air railleur ;
cela eft fingulier. J'aurois cru , quoique votre
défaut ne fbit pas de deviner aifément , que
vous ne, vous tromperiez pas à ce que je
veux vous dire , &: vous ne^vous y trompez^
pas non plus. Mais fi vous aviez réfolu d'être
difcret aujourd'hui , il falloit hier vous y
Jjréparer mieux , & ne pas découvrir à tout
e monde l'important fecret^e votre cœur.
Après tout , » madame de Sénanges n'exige
pas tant de myftere, ù. vanité veut un
triomphe public , & vous la fervirez bien
mal fi vous lui gardez le fecret. Vous me
mettez mieux avec madame de Sénanges que
je fbuhaite d'y être , Madame , répondis-
Je , & je doute auffi qu elle m'honore d'un
fentiment particulier. Vous en doutez, leprit-
clle 5 , j'aime votre modeftie ; vous n'en pa-
roiilîez pas hier fi rempli , & vous lui ré-
|K)ndî(es cçxxune quelqu'un qui avoir pénétré
DE CnéBILLOM, f IIS. 157
lès intentions. & qui ne s'éloignoit pas de
s'y conformer. Je ne fais^ répUquaî-je , quelles
font fur mon compte lès intentions ; mais
j'ai cru pouvoir répondre à fes polittflès ,
fans que ce fut pour vous matière à rcpro-
chc$. A regard des reproches , reprit-elle
vivement , je ne me crois point en droit de
vous en feire ; l'amour ici pourroit (eul les
autorifèr ; mais Tamitié peut donner des avis j
& fi vous imaginer davantage , vous m'en-
tendez mal 'y au furplul^ vous me permettrez
de vous dire que la politeffè n'exige point
qu'on fefle des mines à quelqu'un. En vé-
rité ! Madame , m'écriai-je , j'ignore ce quç
c'eft qu'une mine , & vous le j(àvez bien.
Madame de Sénanges a eu fans doute des
attentions pour moi j mais je n'y ai dû re-
marquer rien de ce defir de me plaire que.
vous lui attribuez : fî en effet il exifte , c'eft'
un fècret qu'elle s'eftréfervé & qui n'a point
pa(ïe jufques à moi. J'ai répondu à ce qu'elle
m'a dit , mais elle ne m'a parlé que de chofes
générales , dont , quand je l'aurois voulu ,
je' n'aurois pu , (ans être un fat _, à ce qu'it
me femble , tirer de confèquence particu-
Eere. Vous favez vous-même que nous ne
nous fbmmes pas parlé en fècret. Sans fe
mrler en fectct, interrompit -elle , il y a
mm des chofes fur lefquelles on peut s'ar-
ranger ; & vous ne vous en êtes pas moins
donné un rendez-vous. J'ai promis fimple-
ment , répliquai-je , de lui porcer des coa-
ï$î CK tf V k B s
Jplets qu'elle avoît envie d'avoir , 8f je ne
crois pas qu*en aucun fens cela pùiffe s*ap-
J)eller un rendez-vous. S'il né l'eft pas , re-
prit-elle brufquement , il le deviendra 5 maii
he pouviez-vous pas lui laiflèr chercher ce»
Vers ? étoit-il néceflaire de vous vanter de
les avoir ? Je n'ai fait pour elle * r^pondis-je ,
que ce que j'aurois fait pour tout autre; &;
fans M. de Veriac, qui m'a engagé à les lui
porter chez elle malj^ moi , je ferois quitte
aujourd'hui de cettevifite , qui me procuré
une querelle de votre part. Une querelle >
dit-elle en haufïant les épaules l cette expret
fion me paroît finguliere. Eh ! non , Monfieur ,
îfe ne vous faits point de quéreÛe j je vous
Fai dit , je vous le répète , ayez donc la bonté
de m'en croire : je mets fort peu de vivacité
dans ce que je vous dis. En effet , que m'im-
porte i moi que vous aimiez madame de
Sénangcs ? n'êtes- vous pas le maître de vous
donner tous les ridicules qu'il vous plaira ?
Des ridicules l repris- je; & à propos de quoîî
A propos de madame de Sénanges feulement,
répondît-elle; on partage toujours le déshon-
neur des peiibnnes à qui l'on s*attachie; un
inauvais choix marque un mauvais fond ,
& prendre du goût pour uhefismme coriimè
madame de Sénanges, c'eft avouer publTquc-
ment qu'on ne vaut paç mieux qu'elle ; c'ett
ie dégrader pour toute la vie. Oui , Monfieur >
ne vous y trompez pas , une fàntaifiè palïè ^
niais la hoacé en eft éternëlk , ^uahd iVbiçf:'
&B CRiBlttÔK, FIL s. t/^
en a été méprifable. Nous fortirohs à prëlènt
quand vous voudrez , ajouta-t-dle en fè
levant , je n'ai plus rien à vous dire.
Je lui donnai la main 5 elle mârchbit fané
me regarder , & je m'apperçus qu*eUc avoir
fur le vifàge des marques du plus tendre dé-
pit. En effet , quoi de plus mortifiant pour
tUe , que ce qui venoit de fe paflèr entre
nous deux ! pouvois-fe me défendre avec
J)lute de froideur, & d'une façon plus inful-
tante ? efl-ce ainfî qu'un amant fc juflifie t
Elle avoit trop d'elprit , trop d'ufage , îk en
même temps trop d'amour pour ne pas ièn-
tir vivement ce qu'il y avoit d'afïreux pour
elle dans mon procédé. Jamais elle ne m'a-
voit mieux montré ûi tendrefïè , & jamais
îe n'y avois auffi mal répondu. J'avois connu
qu'elle me fàîfbit des reproches y nous étions
lîîuls > & je n'étois pas tombé à (es genoux ;
]c li'avois pas feit de ce moment le plus heu-
l'eux des miens -, je la liifïbis Ibrtir enfin :
îgnoroîs-je donc le prix d'une querelle }
• Je ne ùds fi elle fit ces réflexions , mais
die monta en carroflè d'un air qui m'aflura
qu'elle étoit infiniment niécontentc. Se qUe
xien de gracieux ne lui rempliflbit l'eiprir»
Je me plaçai auprès d'elle avec autant d'aflîi-
rance que fî elle eût eu tous les fujets du:
xhonde de fe louer de moi. Je vis pourtant
Ken qu'elle étoit fâchée ; mais loin de lut
ftire là defïus la moindre politefïe, îe ne?
m'occupai que de Inon objet. J'avois réfola'
às k&ttc Imii à laxéumotx de oàadajoxe dm*
y^
i6o 1R V y TEL JS S
Thé vUle & de ma mère î Se (ans examina ^
ce moment étoit favorable , je ne voulus point
Erdre Tociiafion de lui en parler. Ma mere>
i dis- je , {ait que madame de Théville ed
à Paris , que je Tai vue chez vous. Madame,
& que vous voulez bien m'y préfenter au-
jourd'hui. Elle ne me répondit rien. Ma-
dame, continuai -je 9 intime amie d'elles
deux comme vous Têtes, \c fuis furprisque
vous n'ayez pas encore pu gagner fur elles
de & revoir , & d'autant plus que madame
de Meilcour ne me paroît pas s'en écarter.
Je ne crois pas, répondit-elle, fans me re-
garder, que madame de Théville refîiflt
de fc prêter à ce que je lui propofèrois là
dcflus ; j'en ai même eu Tîdée plus d'une
fois , & je me flatterois d'autant plus aif^-
ment d'y réuflSr , que je fais qu'elles s'efK-
ment mutuellement. Je puis répondre pour
ma mère, repris-je , qu'elle ne fe fènt auouie
averfion pour madame de Théville > & je
ne puis concevoir ce qui les éloigne l'une de.
l'autre. Des goûts difôrents forment afièz
ibuvent cet éloignement , répondit-elle ; nous
vivons ordinairement plus avec les gens qui ,
nous plaîfènt , qu'avec ceux que nous efti-
mons. Madame de Théville, avec beaucoup
de vertus , n'efl point douce s l'inflexibilité '
de fbn cara<âere fè retrouve par-tout dans
la fbciété ; il faut la connoître extrêmement '
pour Taimer, parce que les qualités de fbn
ame ne fe développent pas d'abord , &
qu'elles foiit cachées fous une dureté ap^-^^
l>is CriSbtixok, vus. iffi
tente qui révolte aflèz , pour qu'on ne cher-
che pas fi Ton peut en être dédommagé»
Madame de Meilcour, douce, prévenante.
Jolie , née avec autant de vertus, mais avec
es dehors *plus agréables , n'a pu s'accom-
moder de l'air impérieux de fa confine , ôc
uns fe haïr, elles ont depuis long -temps
ceflc de fe voir. Je fens ce que vous me
dites, repris>)e , & je conçois que (ans le
long {efour de madame de Théville en pro-
vince, cette antipathie auroit moins duré;
Mais , répondit-elle, on ne peut pas appelles
cela de l'antipithie. Ce qui les éloigne l'une
de l'autre , eft fans doute moins fort & plus
fecile à détruire. Olerois-je , Madame , lui
dis-je , vous prier d employer vos (oins pour
les rapprochei; ? cela me paroît d'autant plus
convenable , qu'étant de vos anjies , elles
peuvent (è rencontrer chez vous > & s'y voir
peut-être avec chagrin. Quand cela (eroit ,
répliqua -t-elle, elles ont du monde & de
l'eiprit , & ne fè livreroient pas avec indé-
cence à leurs mouvements , quelque vio-
lents qu'ils puflènt être. C'eft au contraire
chez moi que je veux qu'elles iè voient. Les
préparer avec éclat à un raccommodement,
ce {croît peut-être les y faire renoncer, &
il me fiimt de les connoitre toutes deux
pour ne pas craindre de faire une fauflè,
démarche, en les mettant à portéç de fç
revoir.
Comme elle finifïbit ces paroles, nous
4rrivâmes chez madame de Théville* Le,
léi <E tj V it fi «
]>laiiir de penfèrque fallois revoir Hoftenfe*,
xnc donna cette émotion que je fcrttois au-
près d'elle, & j'en négligeai plus encore
madame de Lur&y , que mes rigueurs mal
placées avoient jet^ dans un abattement in-
concevable. Je l'avois entendu foupirer dans
le carrodè ; chaque mot qu'elle m'avoit dit,
elle l^avoit prononcé d'une voix tremblante,
& comme étouffée par la colère ou par la
douleur ; toutes chofes dont elle avoit bieil
voulu que je m'apperçufle , que je vis en
tfftty mais fans paroître y prendre plus dô
pan que fi je ne les euflc pas daufêes. L'état
où je la mettbîs flatroît cependant ma vanité;
c'étoit un (peétaele nouveau pour moi , mais
oui m'amuibit (ans m'attendxir, & qui cef-
ioii même de me paroître agréable , quand
Je me fbuvenois qu'elle l'avoit donné à M. de
Pranzi ; (ans compter encore ceux que je ne
connoiflbis pas, & que je croyois innom-
brables ; car la mauvaife opinion que j'avois
d'elle étoit (ans bornes. Nous entrâmes en-
fèmblè chez madame de Théville ; Hortcnfè
étoit feule avec elle. Malgré fa grande pa-
itire , je lui trouvai l'air abattu ; mais cette
langueur ajoutoit encore à (es charmes. Elle
tcnoit un livre qu'elle quitta en nous voyant.
Madame de Théville me reçût auflî-bîcA
que je poùvoîs le defirer ; mais je ne trouvai
dans Hortenfe , ni plus de gaieté , ni moins
de contrainte avec moi que je ne lui en avois
vu la veille. C'était une cho(c a(ïez fîmple ,
^'ellc fut réfervée avec quelqu'un qu'efic
DE CrbBILLON, fils. iffj
-•onnoilJbît auffi peu que moi ; & fi je ne
l'avoîs point aimée , je n'en aurois point pris
d'alarmes y mais dans l'état où je me trou*
. vois , tout étoit pour moi matière à foupçon ;
tout augmentoit mon inquiétude. Je voulois
qu'elle me tînt compte d'un amour qu'elle
n'avoit pas dû pénétrer : il me fembloit
qu'elle ne pouvoit pas fe tromper ^ux mou-*
ycments qu'elle me làiibit éprouver ; que
mon embarras & mes regards lui difbient
^Jîez combien elle m'avoit rendu fcnfible ;
& qu'enfin j'aurois été entendu y li j'avois
dû être aimé.
La converfàtion ne fut pas long-temps
générale entre nous , & j'eus bientôt le
temps d'entretenir mademoifèlle de Thé-»
ville ; le livre qu'elle avoit quitté étoit encore
auprès d'elle. Nous avons, lui dis-je, inter-
rompu votre ledure , & nous devons d'au-
tant plus nous le reprocher , qu'il me femble
qu'eue vous intéreffbit. C'étoit , répondit-
elle, rhiftoire d'un amant malheureux. Il
n'cft pas aimé fans doute , repris-je ; il l'eft,
répondit-elle. Comment peut-il donc être à
plaindre, lui dis-je? Penfèz-vous donc, me
demanda -^ t - elle , qu'il fuflSfe d'être aimé
pour être heureux , & qu'une paffidn mu-
tuelle rie fbit pas le comble du malheur ,
lorfque tout s'oppofc à fà félicité ? Je crois ,
i?épondis-je , qu'on Ibuffîfe des tourments
afèeux , mais que la certitude d'être aimé ,
aide à les ibutenir. Que de maux un regard
de ce qu'on aime ne fait - il pas oubËer l
i
%
1^4 % t; T K Ë S
ouelles douces efpérances ne (âit-ilpa^mitfte
dans le coeur ! de combien de plai(urs n'eft-il
pas la fource ! Mais confidérez donc> repri^•
elle» quel eft Técac de deux ammts dont
tout contrarie les defîrs } Ils {buf&ent fans
doute > répondis-ie , mais ils s'aiment : ces
obftacles qu'on leur oppofê , ne font qu'aog*
menter dans leur cœur un fèntiment qui
leur eft déjà ii cher ; & n'eft*ce pas travailler
pour eux que de leur donner les moyens
d'accroître leur paillon ? Se voient -ils un
moment, que ce moment a de charmes i
Peuvent-ils Ct parler, avec quel plailîr ne
fe rendent-ils pas compte de leurs plus ie-
crêtes penfées ! Sont-ils gênés par des jaloux,
ou des (urveillants , ils {à vent encore le dire
u'ik s'aiment, (è le prouver même, mettre
e l'amour dans les actions qui paroiflcnc
les plus indifférentes, ou dans les difcours
qui (èmblent le moins animés. Ce que vous
dites peut être vrai , répondit-eUe i mais
pour un moment tel que celui dont vous
parlez, que de jours d'inquiétude & de
douleur ! (buvent encore la crainte de l'infi-
délité fe joint aux tourments de l'abiènce.
Le moyen qu'on ie croie (urt d'un amaitt
qu'on ne voit pas ? ne peut-il pas fc lalïèr ,
chercher d'abord des diftradiphs, & finir
par un. autre attachement qui ne lui laiflc
pas même le fouvenir du premier } Le mal-
heur de perdre ce qu'on aime , ne dépend
pas toujours d'une paflîon contrainte , & je
crois, repris-je , que des amants qui jouiflènc.
î
t
Dfl Crbbîllok, fus, l6f
Cîl lîbné du plaifir d'aimer , peuvent plus
aifemenç encore (è porter à l'inconftance. Je
fuis toujours (urprife , répondlt-elle, quand
îe (bnge combien il eft difficile de conièrver
un amant , que l'on puifle jamais être tentée
d'en prendre. Nous pourrions dire la même
choie d'une maîtrefle , lùî dis-je , Se je n'ima^
ine pas que le coeur des femmes fe (ixe plus
icilement que le notre. J'aurois , reprit-elle
en Conmniy de quoi vous prouver le con-
traire ; mais je vous laiilè volontiers cette
idée ; je ne trouve pas que nous y perdions
aflez pour la combattre. Je ne penie pas de
même> lui réj)ondis-je, & (i je pouvois
vous ôter la vôtre , je me croirois le plus
heureux des hommes. Cela Teroit difficile >
répondit -elle en rougiflant. Ah ! je ne le
{ais que trop , m'écriai-je , & c^eft un bon«
h^ur dont je ne me flatte pas. Celui de me
Bdxc changer d'opinion , reprit-elle avec un
extrême embarras, (croit fi peu pour vous ,
2ue je ne fais pourquoi vous le fouhaitez ; je
lis fbrt attachée à la mienne, & je doute
que l'on puifle jamais la détruire. Vous ne
la garderez cependant pas toujours , lui dis«
je. Cette prédiâiion , reprit - elle en riant ,
jie me fait pas trembler. Je fiiis plus opiniâ-
tre que vous ne croyez, & fi fure d'auleurs
que le bonheur de ma vie dépend de ce
que je penfè là deffiis , que rien au monde
ne peut me faire changer. Avec autant de
jraifon de craindre , que vous en pouvca
iivoir vous-même a je ne me icm pas« xé^
Kîg 'Œuvres
pondîs-je , autant de fermeté qu^ vous , ôt-
Yen aurois, s^il le pouvoît davantage, qu'un
feul de vos regards fuffiroit pour m'en priver
à jamais.
Emporté par ma paflîon , raUoîs ^s
<loute la dccouyiir toute entière à mademoî-
felle de Théville, fi madame de Lurfay,
qui venoit de finir une lettre que madame
de Théville lui avoit donné à lire , ne £è
fût pas rapprochée de nous. Privé de la dou-
ceur de dire à Hortenfè combien je l'aimoîs ,
j'avoîs du moins celle de croire qu'elle Tavoic
pu deviner , & que le peu que je lui avois
montré de mes lèntiments ne lui avoit pas
déplu. Nous avions été tous deux émus en
nous parlant ; mais je n'avois pas trouvé de
colère dans fes yeux ; & quoiqu'elle ne m'eût
répondu rien dont je pufTe tirer avantage ,
je n'avois pas non plus lic;u de penfer qu'elle
eût pour moi cette averfion dont jufque-là
jç l'avois foupçonnée. Il me femble , lui dit
madame de Lurfay, que vous vous querel-
liez ? Pas tout à feit y répondît-elle en riant ;
mais pourtant nous n'étions pas d'accord :
c'eft votre faute, lui dis-je, & je vous ai
offert le moven déterminer la difpute. De
quoi s'agit-il donc , demanda madame de-
Lurfày ? De prefque rien , Madame , reprit-
die. M, de Meilcour vouloir me faire pren-
dre une opinion que je lui promettois de
n'avoir jamais. Si c'efl une des fiennes qu'il*
veut vous donner , /e ne trouve pas que vous^
ayez tort de ne vouloir pas la prendre y di|
î>E Crébilloic, Fit s. I(?7
madame de Lurfay d'un ton aigre, car il
n'en a que de fingulieres, qui ne peuvent
aller qu'à lui , & qu'il ne conferve qu'avec
plus de plaifir. Quelque entêté que vous
puiflîez me croire , Madame , lui répondis-
je , je cédois à ma cou fine , & elle peut vous
dire que c'étoit fans regret & de bonne foi. -
Ce n^eft pas, reprit Hortenfe, ce dont je
fuisperfuadée. Et vous avez raifon, ajouta
madame de Lur&y ; car avec Tair fimple que
vous lui voyez , il ne laiflè pas d'avoir de la
faufleté.
Je m'apperçus aifément que madame do
Lurfày vouloir fe ièrvir de cette occafiou
pour me faire une querelle particulière ; mais
quelque fènfible qu'il me fîk d'être accufS
de faulTeté devant Hortcnfc , j'aimai mieux
ne pas. lui répondre que de lui donner le
I}lailir d'une explication ; fur d'ailleurs que
îî je pouvois accoutumer Hortenfe à m'en-,
tendre , je la perfuaderois bientôt de ma
(L^cérité. Mon filence acheva de piquer ma-,
dame de Lur&y ; un regard qu'elle lança
fur moi y m'avertit .de fa riireiir j mais je ne
ra'occupois plus de ce qu'elle pouvoir penfcr.»
Rempli ddsî commencements de ma paflîon ,.
iç ne fbngeois qu'à ce qui pouvoit la faire
réuflîr. Auflî prompt à me flatter du fuccès
que je l'avois été à en défefpérer , je n'ofbia'
plus^ douter quHortenfè ne devînt fenwUe.
Cîy.c .dis-je i à peine doutois-je qu'elle ;iie 1«
fut pas déjà. J'oubliois dans les douces, illu»*
(ions dont je riçpaiifoisL mon amour ^ & cetçft
f éS <E tr V R K s
antipathie dont j'avoîs cru ne pouvoir jamatf
^triompher , & ce rival qui la veille jnême
m'avoît caufé les plus grandes alarmes ; à
peine enfin avois- je parlé, qu'il me (èmbloîc
qu'elle m'avoit répondu. Je la regardois ,
&-il paroifïbit qu'elle ne fiiyoit pas mes re-
gards. Cette trifteflè, que tant de fois en
moi-même je lui avois reprochée , que j'avois
attribuée à l'ablènce de quelqu'un qu'elle
aimoit , n'étolt plus à mes yeux que cette
voluptueufe mélancolie où fe plonge un
cœur tout occupé de fon objet , celle enfitt
que je fentois depuis que je l'avoîs vue.
Ces charmantes idées ne me féduifirenc
pas long^temps ; on annonça Germeuil. Je
frémis en le voyant entrer ; & l'étonnement'
que parut lui cauier ma préfènce » augmenta
la jaloufie que me donnoic la (îerme. L'air
familier qu'il prit, l'extrême amitié que
madame de Thé ville lui marqua, la joie qui
fc répandit fur le vifàge d'Hortenie, tout
xévcilla mes (bupçons, tout me déchira le
cœur. Ciel ! me dis- je avec (ureur, j'ai pu
croire que Je (èrois aimé : j'ai pu oublier que
Gem^euil {eul pouvoir lui plaire ! Comment ^
avec cette certitude qu'ils m'ont donnée de
leur amoiur , s'eft-il efïacé de ma mémoire ?
Plus je m'étôis flatté , plus le coup que
fixe ponoit Germeuil étoit af&eux. Je me
ièntois, en le regardât, des tranfports de
sage que j'avois une peine extrême à con^
Haindre y je n'en eus pis moins à le ^luer i
;mm je ae pus prendie a^ fur zo m , pour
répondlQ
répondre convenablement aux cKofès ooli-»
geanteis qu'il me dit. Il alla a^ec empreflc-
ment auprès de mademoifcllé de Théville ,
6c l'aborda avec-cette politefle animée qu'on
a pour les femmes à quî Ton veut plaire.
Une douce fatisfkftîon éclatoît dans les yeux ;
je crus même y lire de ramotu: , mais un
amour paifible , & tel qu'il eft quand on l'a
rendu cenain du retour. Il lui dit mille cho-
fes fines & galantes , qui me firent frémir
pour ce qu'il pouvoir lui dire quand ils
étoient fans témoins ; c'étoit des exprcflîons
tendres & vives , qu'il me Icmbloit qu'on
ne devoit trouver que pour ce qu'on aime
éperdument, & que je n'imaginois moi-
même que pour Hortenfe. Il lui lançoit de
ces regards que j'auroîs defirés d'elles de
fon côté , elle lui fourioit , l'écoutoit avec
complaifânce , (e prelïoit de lui répondre ,
& ne daîgnoit pas contraindre le plaifir que
lui donnoit fà vue. Un (peftacle auffi cruel
pour moi acheva de me percer le cœur.
Cent fois je me dîs que je n'aimois plus ma-i
demoifèUe de Théville, & je foitois aug-*
menter mon amour à chaque prôteftatioit
d'indifférence que je lui faiiois. Chaque jfbi^
que je voyois (es beaux yeux, pleins de dou-i
ceur & de feu , «'arrêter fur Germeuil , que;
fes lèvres charmantes s'entr'ouvroient poui;
lui fburire , enivré de plaifir , en frémiflànc
je m'y lai(ïbis entraîner ; à peine pouvoîs-jp
mç /buvenir qu'un autre régnoit fur ce cœu^
j^ùr qui fauroisiout iâcrifié^ 9C que je fié^
Tbme IIL H
17Ô ŒS XJ T R E s
devois qu'à mon rival la facisfaâion de U
voir fi belle. Je me trouvoîs cependant trop
à plaindre , quand ces mouvemçnts fè ralcn-
ciubient y pour que mon malheur ne me
pénétrât pas de rage , & ce fentiment dou-
loureux me faifbit jetçr fiir eux , de temps
en temps ^ les regards les. plus fbmbres. Er-
rant dans la chambre où nous étions, plein
de mon défèfpoir & de nion amour , je ne
pouvois ni m'approcher d'eux , ni prendre
part à leur converiation. Germeuilm'adreflà
lia parole plu3 d'aide fois: je ne lui répondois
qu'à peine , & toujours fi peu de choie ,
qu'il prit enfin le parti de ne me plus rien
4dire.- On auroit cru , à voir la. conduite de
mademoifèlle de Théville , qu'elle n'avoir
deviné mes fèntiments que pour avoir fois
^eflc la barbarç joie de les mortifier. De mo-
ment en moment elle parloit bas à Germeuil»
le.panchpit familièrement vers lui; & cts
çhofes, qui, toutes fimples qu'elles ùmien
cjles-mêmes , ne me le paroifloient pas alors,
achevoient de me défefpérer.
. Tant: de mouvements différents , Se que
jç n'éfpis pas dans l'habitude d'éprouver,
XTi'âccabIere.nt : la triflefle où je me plongeois ,
devint fi forte , que je ne pus plus la diffi-
niuler. Madame de Xur/ay , qui s'appcrçuc
de l'altération de mes yeux , & de la pâleur
fubite qui. fè. répandit furmon vifage , tne
démaiidafi je me trouvoismal. A cette.quef-
tipn , madempifellè de.Théville s'avwça ver*.
«ai précipitsunmem ,. 4iia$ k temps que jô
fi C R i B 1 t L O !f , # I t f. ITtr
répoîîdoià à madame de Lumy , qu'en cfec
je ne me trou vois pas bien , & m'oârit d'une-
eau dont elle me vanta la vertu. Ah ! Ma-
demoilèlle , lui dis-je en fbupirant , je crains,
qu'elle ne me foit inutile , & ce dont je me
plains n'eft pas ce que vous penfèz. Elle ne ,
me répondit rien 5 je crus feulement remar-*
quer qu'elle étoit touchée de mon état. Cette
idée y & Ion empreflement à voler vers moi ^
me caufcrent un inftanc de plaiiîr. Je la re-
gardai fixement ^ mais mon attention la gè-*
nant iàns doute , elle baiflà les yeux en rou-
giflant, & me quitta: Je retombai. dans ma,
première douleur : j'eus du dépit de- lui avoii;
parlé 5 je craignis d'en avoir trop dit , ot|
que mes yeux , qui fè portoient fur elle trop
tendrement y ne lui èuHènt donné le ièns dô
mes paroles.
Madame de Luriay , qui ne connoiflbit
pas les intérêts fecrets de mon coeur , & qui
s'occupoit uniquement des torts que j'avoit
avec elle , prit pour l'ennui d'être éloigné de
madame de Sénanges , le chagrin que je lui
marquois. Cette paffîon , qui lui paroiflbiç
auflî prompte que ridicule , ne laifloit pa^
de l'inquiéter extrêmement. Elle jugeoit pm
{on progrès de (a vivacité , & cette affaire ^
à ce qui lui fembloit , fe poufïbit trop rapi-y
dément des deux, côtés , pour qu'elle y putî
apporter des obftacles. Elle ne doutoit pa&
que je ne revifle le foir même madam.e d^
Sénanges , & que je tie fuffè à jamais perdu
poujTçlle. Sur-çoutdleçraignoit Verikc, qui
171 QE U V R 1 s
le ferolt un point d'honneur de conduire une
incrigue dans laquelle il m'avoît embarqué >
moins par amitié pour madame de Sénanges
& pour moi , que dans le deflèin de lui en-
lever mon cœur. Le mal étoit certain » Se
k remède difficile à trouver ; elle avoir perdu
par (a lenteur le droit d'acquérir de l'empire
fur moi, &necroyoît pas pouvoir me re-
tenir , en me &i(ant efpérer des faveurs que
je ne fbllicitois plus. Incertaine de la façon
dont je prendrois le ton fur lequel elle me
parleroit , elle n'o(bit en hafàrder aucun ;
celui de l'amour ne féduit qu'autant qu'il eft
employé fur quelqu'un qui^time > & devient
ridicule pr-tout où il n'attendnt pas. Elle
jugea cependant que ce (èroit le iêul qui put
me ramener , puiique les airs ironiques Se
méprifànts n'avoient point paru feulement
me donner à penfèr.
Elle vint donc s'afleoir auprès de moi.
Madame de Théville y qui écrivoit , lui laidbit
le loifîr de me parler. Elle me regarda quel-
que temps y ôc me voyant toujours plongé
dans la rêverie la plus profonde : y fongez-r
vous y me dit-elle ton bas ? que voulez- vous
qu'on penfe ici de la mine que vous faites }
Ce qu'on voudra. Madame, répondis-jej^
d'un ton chagrin. Il (èmble à voir , reprit-
elle doucement , que vous y ibyez malgré
vous; quelque choie vous a-t-il déplu ? mais
non , ajouca-t-elle en (ôupîrant , j'ai ton de
vous interroger fur ce que je ne £iis que trop
\>ka > nu préxènce feule vous afflige > 9c V'm^
N
terêt que )e prends à vous, commence à
vous devenir infupponable ; vous ne répon-
dez rien ; voudricz-vous donc que je lecniflc?
Vous vous impatientez aifement , répliquai-
Je 3 & je crains que la querelle que vous me
faites à préfênt , ne foit pas mieux fondée
^uc celle ûue vous m'avez faite tantôt. Mais
quand il kroît vrai que toutes deux fuflent
injuftes , devriez- vous , répondit-elle , vous
en oflènfêr? Peut-être fais-je mal de vous le
dire ? Mais , Meilcour, (i jamais vous aviez
penfè à ce que vous m'avez répété tant de
fois , loin de vous plaindre de moi , vous
me remercierez fans jioute. Eh! quel eft
donc mon crime ? Je vous ai dit que je vous
fbupiçonnois , non d'aimer madame de Se-
nanges , vous penfcz trop bien, pour être ca-
pable d'un goût au(E peu (ait pour un hon-
nête homme ; mais de vous être livré trop
étourdiment à des agaceries dont vous ne
fèntez pas la confëquence. Je fais mieux que
vous-même ce qu'une femme de cette eC-
pece peut prendre (ur vous; cène (èroit point
le (ènciment qui vous conduiroit auprès d'elle ;
mais en la méprifànt » vous lui céderiez. Qui
pourroit vous répondre que ce même capri-
ce , dont d'abord vous auriez eu honte en
le (atisfeifknt , -ne devînt pas pour vous une
I>affion violente ? Mais heureufement les objets
es plus méprifablcs font pre(que toujours
ceux qui les infpîrent ; on fe repofè uir le
peu de goût que d'abord on prend pour eux ,
on n'inugine pas qu'ils puiflènt jamais être
H I
1^4 Œ V y X E »
.à ciaînJrc; mais (ans qu'on s'enapJ)erçoîvir,
rimagination s'échauffe , la tête fè frappe , on
lie trouve amoureux de ce qu'on croyoit dé-
•tefter , & le cœur panage enfin le défbrdre
de l'cfprit. C^e me reflcra-t-il donc , je ne
■dis pas des tentiments que , fî je vous en
crois , je vous ai infpirés ; mais de l'amitié
.^ue j'ai toujours eue pour vous , (î jcne puis
▼DUS donner des confèils fans vous révolter?
'Quand il fcroit vrai que y plus fenfible en
♦effet que je n'ai voulu vous le paroître , je
-craigniffe en fècret de vous perdre , qu'enfiu
je fuUe jaloufè , feroit-ce pour vous une raifbn
de me haïr ? Mais jene vous hais cas , Madame^
i:épondis-je. Vous ne me haïfîez pas , répli-
^-qua-t-elle : ah ! la plus cruelle indifference
•pourroît-elle s'exprimer avec plus de fix)ideur \
vous ne me haïfîez point; vous me le dites,
& vous ne rougiffez point de me le dire }
<îue voulez -vous que je vous réponde,
Madame , lui dis-je ? rien de ma part ne
vous fàtisfiiit ; tout vous irrite , tout eft aime
à vos yeux. Je vois chez vous une femme
que je ne cherchois pas , pour qui je n'ai
4rien marqué ; vgus trouvez cependant que
•je l'aime. Je fuis rêveur ici , parce que je me j
ocns un mal de tête af&eux , c'efl l'ennui aue
'VOUS me caufez qui me tourmente. Si char
cune de mes adtions vous fait faire de pa-
Teils commentaires , nous ferons ^ à ce que
•je prévois , fouvent mal enfèmble. Non ,
Monfîeur , répondit-elle , indignée de mes
diicours a vous pjtévoyez mal \ jene fuis pas
D 1 Ciif Btrx'oîr-, vizt. î7j
ûflez bien payée de mts foins pour daignfer
les prendre davantage. Je connois votte
cœur , & l'eftime ce qu'il vaut , peut-être
(èrez-vous quelque jour fâché d'avoir perdu
le mien.
En achevant ces paroles y elle Ce leva brtfC.
quement , & moi , impatienté de fcs repro-
ches & de la préfence de Germeuil , & ne
pouvant plus foutenir l'un & l'autre , je pfis^
congé de madame de Théville , qui fit , mais
vainement , tous fes efforts pour me retenir.
J'étois trop piqué des procédés d'Hôrtenfc
pour vouloir lui paroître content d'elle ^ &
je lui témoignai tn la quittant une extrême
froideur , que de fon coté elle me rendit fans
ménagement.
J'avois ordonné , maljgré nudame de
Lurfay , que mon carro(Te fuivît le fîen , Se
y y montai , défefpéré d'avoir laiffé Hortcnfè
avec mon rival , & fur k point de rentrer
•chez elle ; ce que j'aurois fait làns doute ^ û
j'avois imaginé quelque chofe qui eut pu.
juftifier cette démarche. Livré à moi-même,
& l^efprit dans la fîtuation du monde la
moins tranquille , je ne fus d'abord de quel
côté tourner mes pas. On me demanda detfx
fois inutilement où je voulois aller. Je crai-i
gnois la folitude & ne me fentois pas en étftc
de voir du monde. Enfin irréfblu encore fift:
ce qiie je voulois faire , je dis , à tout ha-
fard y 8c pour gagner du temps , qu^on me
menât chez madame de Sénanges. Moli
<iellein cependant n'étoic point du tout dek
H4
ïji ' ^ tt V V H K s
!roir. Il étoit déjà aflèz afd pour qae je paffe
çfpérer de ne la pas trouver > & je comptcns ,
en me fàifant écrire ^ & laiflànt les couplets
afi'elle m'avoic demandés y être débanaiTé
'elle pour long -temps. J'arrivai; mais je
n'étois pas lait ce )our-Ia pour être heureux.
Kiadame de Sénanges étoit chez elle. Son
carroflè que je vis dans la cour , me fit con-
noître qu'elle étoit près de (brtir , & qu'keu-
xeufèment ma vifite ne (èroit pas longue. Je
montai fort inquiet du tête-à-tête que fallois
avoir avec elle : je ne (avois pas encore Tart
d^ les rendre courts quand ib ennuient , Se
de les remplir quand ils doivent amufer.
L'idée que j'allois voir une femime qui étoit
prévenue de goût pour moi , me donna ce-
pendant plus d'audace qu'à mon ordinaire.
J'aurois en ef&t été le fèul homme à qui
xhadame de Sénanges eût pu infpirer de la
crainte ; fi ce n'eft pourtant qu'on eût celfc
de lui plaire un peu plus qu'on n'auroit youiu,
ce qui auroit été très -pardonnable. Je ne
connoiflbis pas aflèz le péril où je m'cxpo-
Ibis , ppur le craindre beaucoup ; je iàvois
bien que naturellement elle étoit fort tendre,
mais j'avois trop peu d'expérience pour porter
là-defliis mes idées bien loin. J'entrai : quoi-
3uek journée fût déjà fortavancée , madame
e Sénanges étoit encore à fa toilette; ; cela
n'étoît pas bien furjprenant : plus les agré-
mtnts diminuent chez les femmes > plus elles
doivent employer de temps à tâcncr d'en
ré^rer la perte i 6c madame de Sénanges
B B C 11 i B 1 1 £ a À , y 1 1 f« 177
avok. beaucoup à réparer. Elle me parûc
comme la veille à peu près » (1 ce n'eft qu'aa
grand îour )e lui trouvai quelques âiinées de
plus , éc quelques beautés de moins. Comme
elle pen(bit auffi bien d'elle , que cour le
monde en penfoit mal , elle ne s'apperçuc
LS de l'impreflîon défavantageufè qu'elle
lifcât (ur moi ; elle croyoit d'ailleurs m'avoît
conquis le foir précédent , & le flatcoit que
ma vifîtc n'avoît pour objet que de régler
entre nous certains préliminaires qui , avec
la difpontion qu'elle app jrcoit à finir , dé-
voient vraifèmblablement être peu difputés.
Elle fit un cri de joie en me voyant : ah !
c'eft vous , me dit-elle femiliércment } vous
êtes charmant d'être régulier. Je craignois
qu'on ne vous retînt ; jen'olbis presque plus
vous efpérer ; je vous attendois pourtant. Je
fuis au délcfpoir , Madame , lui dis-je , d'être
venu fi tard} mais des afEûres indirpenfâbles
m'ont arrêté plus long-temps que je n'aurois
voulu. Etes affaires! vous> imerrompit-cUe î
à votre âge y en connoît-on d'autres que celles
de cœur ? En feroit-ce par hafârd une dé
cette efjpece qui vous aiuroit retenu ? Non ^
Êvous jure , Midaiïie ^ répliquai- je } on
fie mon cœur aflez tranquille. Vous me
furprenez , reprit-elle , & ce n'eft pa$ ce quô^
)aurois imiginé. Miis le croyez- vous hii
pour cet abandon-là > Madame 5 demanda-^
t-elle, I une femme qui étoit chez elle^ 6^
que ju(qae-I& j'avols à peine remarquée:
ce qu'il dit ne vous Àonne-t-U pas comln»'
lyS <E tr V it T 5
moi ? L*aatre ne répondit que par un geffc
d'approbation. Mais vous n'êtes pas (încere ,
continua madame de Sénanges , ou Ton ne
vous dit pas tout ce qu'on penfè de vous.
Ah ! Madame , repartis-je : en ! qu'en pour-
loit-on penfer qui me fut fi fevorable 2 Je
n'aime point , répondit -elle , les gens qui
penlcnt trop bien d'eux - mêmes. Mais , en
vérité , il y a une juftice qu'il faut fe rendre»
Quand on eft fait d'une certaine façon , il
me fèmble qu'il efl ridicule de l'ignorer à un
certain point , & vous êtes au mieux. N'eft-
îl pas vrai , Madame } mais c'efl qu'on voit
fort peu de figures comme la fienne. On en
admire toute la journée qui n'en approchent
pas. Je vois les femmes s'entêter lans qu'elles
jfachent pourquoi , mettre à la mode de petits
liens qui ne font point faits feulement pour
iêtre regardés : ne diriez-vous pas que c'eft
quelquefois le règne des atomes ? Avec le
plus beau vifàge du monde ^ il efl fait mcF-
veilleufèment : ie l'ai dit , & cela eft vrai ,
lLJouta-t-elle affirmativement , cm n'eft pas
iniewx.
Pendant qu'elle me louoît avec cette mauf^
fade indécence , fes regards aufH peu me-
lurés que fes difcours , m'afTuroient qu'elle
^toit pénétrée <le ce qu'elle me difoit. Elle
arjegardoit , ^c ne dirai pas avec tendreffè >
/ce n'étpit pas là l'estpreflion de fès yeux>
mai^^pii j)ourroit peindre ce qu'ils étoicnt t
lEnnuyé de mon panégyrique , ic plus encore
4q ceilç qui k mToit i voilà > Madame ^iuL
\
DE Cre BI ttôW, #f t^. ij<^
dîs-je 3 les chanfons que vous me demaii^
dates hier. Ah 1 oui , je vous en remercie :
elles font charmantes. Puis me tirant à part j
favez-vous bien , me dit-elle , que fi madame
de Mongennes n*étoit pas ici , je vous groii-
derois fort férieufèment'd'étre venu fi tard ;
& que le plaifirquej'aiàvous voir ne m'em-
pêche pas de (èntir que fi vous l'aviez voulu ,
je vous aurois vu plutôt ? Mais , pour m'en
dédommager , je veux que vous veniez avec
Tîous deux aux Tuileries. Cette propofition
•ne m'agréant pas , je fis ce que je pus pouV
m^en défendre ; mais elle m'enprefla rant>
que je fus- obligé de lui céder. Eh defocn-
dant, je lui donnai le bras ; elle s*àppuyâ fo-
miliérement deflùs , me fourit & me donn^
^nfin toutes les marques dattertcion & de
"bonté que le temps & le lieu lui permettoienr.
Plus embarràfle que flatté de ce qu'elle faifoifc
pour moi ^ chaque moment augmentoit l'aver-
îîôn qu'elle m'aVoit infpirée. Quelque pré-
venu que je fuflè contre madanie de Luriày ,
je ne laiflois pas de fentir toute la diftance
qu'il y avoît de l'une à l'autre. Si madame
de Lurfa»y n'avoit pas toutes les vertus de
fon (exe , elle en avoit du moins ; fès foi-
blefles étoient cachées fous des dehors im-
pofants : elle penfoit & s'exprimoit avec
noblefle \ & rien ne dédommageoit en
madame de Sénanges des vices de fon cœur.
Faite pour le mépris \ il fèmbloit qu'elle
craignît qu'on ne vît pas afièz tôt combien
on lui en devoit : fes idces étoient puériles^
H 6
iSé Œ V V % t î , êcd
& Tes di/cours rebutants. Jamais elfe n'av<2^t
tu ma&uer (es vues , 8c l'on ne fauroit dire
ce qu'elle jpaioidbit dans leK cas où prelque
foutes les hmmes de (on efpece ont Tart de
ne paflferque pour galantes. Quelquefois ce-
pendant elle prencnrdes tons de dignité j ma»
qui la rendoient (î ridicule : elle loutenoit û
mal l'air d'une perfbnne re(peûable ; que
l'on ne voyoit jamais mieux a quel point la
vertu lui étoit étrangère , que quand elle fèi-
gnoit de la connoître. L'air fériejux avec lo-
quet ie recevois /es attentions > ne lui donna
pas d'inquiétude -» & ma triftefle ne lui pa^
xoi^nt caufèe que par l'incertitude où je
pouyois être encore de lui plaire , elle ne
^'en crut que plus obligée i me remettse
Vtfpnt fut des craintes qui ne lui fèmbloienc
pas ncîcie à propos. A tout ce qu'elle em-^
ploya pour me raiTurer ^ je dus croire qu'elle
ne jugeoit pas ma peur médbcre 3 Sc\cdt(^
cendis aux Tuileries avec die , comblé de
&&^yeui&> & accaUé d'eumi*
JKn dt tm ftcoaJk JPamit^
't ♦ ^ :S 't €» #
LES
EGAREMENS
DU c m UR
ET DE ÙESPRIT
o u
»
MÉMOIRES
Mr- DEMEÎLCOUR.
TROISIEME PARTIE.
Ji^'uEURB du cours étok paflee quand
nous entrâmes dans les Thuileries \ le jardia
étoit rempli de moiide. Madame de Sénan<%
ges ^ui ne m'y menoic que pouc me mon^
tît <B. V V n t 9
trer , en fut charmée , 6c réfolut de Ce coftî-
poner fî bien , qu'on ne4)ût pas douter que
je ne lui appaninfTe. Je n'étois pas en état de
m'oppofer à fes projets ; & quoique fâché
de lui plaire, je ne favois ni comment rece-
voir les foins qu'elle matquoit pour moi, ni
le moyen de m'y dérober. Ce que j'avois vu
chez mademoifelle de Thé ville * liî'àvoîr
rempli le cœur d'une criftefle, que les objets '
les plus agréables n'auroient pas diflîpé , &
que les deux feiAîneà avec qui je me trou-
vdis , aùgmèntoieht à chaque inftafif.
Madame de Mongennes , fur-tout me
déplaifbit ; elle avoit une de ces figures qui ,
fans avoir rien de décidé , forment cepen-
dant un tout défàgré^^le, & auxquelles le
defir immodéré de plaire , ajoute de nou-
ii«ellcs dilgraces. Avec beaucoup ttop d'em-
tonpoint , & une taille qiti n'avoit ja^nais
été faite pour être aifée , elle cherchoit les
airs légers. A force de vouloir fe faire un
maintien libre, elle étoit parvenue à une
inïpu^ÇncQ fi TiétKitniïiLép Ce fiigwoble/qo'il
étbît impoltîtle , a moins que de' péiiièr
comme elle , de n'en être pas révolté. Jeune^
elle n'avoit aucun des charmes de la jeunefTe',
& parôifloît fi fatiguée & fi flétrie, qu'elle
en faifbit compaffîon. Telle qu^elle étoîtcé-
pendant, elle plajfbit, & fès vices lui te-
noient Heu d'agrémehts ^ins un ffetîe où ,
Jx)ur être de mode , une femme ne pou voie
trop marquer jufques où elle portait l'extraA
Tagance & le dérégfemeiit.
Loin qu'elle me touchât , le Cet orgueil
que îe lifbis dans fes yeux , & lès grâces for-
cées, m'indignoîent contre elle. Je ne lui
faifbis pas iiijuftice dans le fond , mais je
doute que (ans fes airs dédaigneux , j'en
euflè d'abord auflî mal penfé. Témoin de
tout ce que madame de Sénanges m'avoit
dît de tendre , elle h'avoit pas (èmblé m'en
eftîmer davantage. Cette inattention me dé-
plut , & me la fit examiner moi-même avec
une févérité qui ne lui pardonna rien, & me
la montra, même un peu plus mal qu'elle
n'étoit. J'ignorois qu'on n'en étoit pas moins
bien avec elle pour paroître ne la pas feduire
au premier coup-d'œil , & que fouvent elle
afïèéloit cette méprifànte indifférence , unit*
quement pour qu'on fut tenté d'en triom*
pher : car , ainfi que je le lui ai depuis en-
tendu dire , une facilité continuelle & une
vertu qui ne relâche jamais rien de fa févé^
rite , font deux chofès également à craindre
pour une femme. Ce fut apparemment pour
Ce conformer à cette fage maxime , qu'elle
ne commença à m'être favorable -qu'usé
heure environ après m'avoir vu» *
Tant que nous fiimes dans un endroit ovê
les fpe6bteurs lui manquoient, elle ne dai-^
gna pas m'adreflèr la parc4c > mais en approw
chant de. la grande allée, je vis changer &
phyfionomie. Ses f^ons devinrent vives;
elle me barla fans cefic , & avec une làmi-.
liarité déplacée, & que, fans de grande
âeflèîns^^' on n'a iainaais à la première vue^-
tÎ4 Œ V r % z s
jPeu couché d'uii chaneement donc Yignùroîs •
Tobjcc, & quî> quanoje Tauroîs deviné, ne
m'en auroit pas incéreflc davancage . Je con-
tinuois avec elle fur le con que d'abord elle
icmbloîc m'avoir marqué. Madame de Sé-
nangcs ne s'apptrçuc pas plucoc des nouvelles
idées de maanme de Mongennes , qu'elle en
conçue des alarmes ; elle îugea , & je crois
avec raiibn , que fi elle ne vouloit pas me
5>laire , elle vouloir du moins qu'cm pur peti-
cr qu'elle me plaifbir. L'infulce écoît b
même pour madame de Sénanges, qui peut*
être aufli éroit moins flartée de ma conquê-
te, que du bruit qu'elle pourroit faire. Les
cnrreprîfes de madame de Mongennes allant -
direâemcnt contre (es incentions, elle prie
avec elle un air fifrieux & Icc. L'autre y ré-
pondit un peu plus féchemenc encore; 3c
j'eus la gloire, en commençant ma carrière ^
dt défunir deux femmes auxquelles je ne
penfbis pas.
Sans comprendre alors ce qui canfôit entre
elles le (rend que )'y remarquas depuis un
inftant , leurs regards me firent )uger qu'elles»
iè tenoient pour brouillées. Elles s'exami-*
noient nmmeDement avec un œil railleur Sc
critique ; & apès quelques moments d'une
extrême attention, madame de Sénanges dit
ï madame de Mongennes, qu'elle iê coef^
foit trop en arrière pour fbn viiage. Ceb /è
peut , Madame , répondit l'autre > le Som
de ma parure ne m'occupe pas aâez pciux
£tvoir jamais comme je fuis, £n venté l
B S C R SBXLLON, YlXS. l8f
Madame , répliqua madame de Sénanges ,
c'eft qae cela ne vous fied pas du tout , &
je ne (ais comment j'ai îuuiues ici négligé
de vous le dire. Pranzi même^ qui, comme
vous favez , vous trouve aimable , le remar-
quoit auffî la dernière (bis. M. de Pranzi »
répondit-elle , peut (aire des remarques fur
ma perfbnne , mais je ne lui conièillerois pas
de me les confier. Mais pourquoi donc ?
Madame > reprit madame de Sénanges. Qpi
voulez- vous, fi ce n'cft pas notre ami , qui
nous difè ces fortes de chofcs ? Ce n'eft point
que vous ne foyez fort bien , mais c'eft que
fort peu de perfonnes pourroient foutenir
cette coefGire là ^ c'eft vouloir de gaieté de
cœur gâter fa figure , que de ne pas conful-
ter quelquefois comme elle doit être, ou
plutôt , ajouta-t-cUe avec un ris malin , c'cft
vouloir faire penfèr qu'on la croit faite pour
aller avec tout, & cela ne (èroit pas une
prétention modeftc. Eh ! mon Dieu l Mada-
me , répondit-elle, qui eft-ce qui n'en a pas
des prétentions, qui ne fè croit point tou-
jours jeune, toujours aimable. Se qui ne Ce
coëtk pas à cinquante ans comme je le (àis i
vingt-deux }
Ce difoours tomboit (î vifiblement (ur
madame de Sénanges , qu'elle en rougit de
colère, mais la di(cu(Iion là deflus lui pou«
voit être fi défavantageufe , qu'elle crut à
propos de n'y pa$ entrer : ce n'étoit d'ail-
leurs , ni le lieu , ni le temps de fc livrer k
de petits intixêts % aulfi ne s'occupa-t-ell$
i%6 (E tr t X É i
que de l'objet qui fèul alors la remuolt vi-
vement. Ils agi(îbit de prouver que je n'étoîs
pas à madame de Mongennes, & tout le refte
ne lui paroifibit rien.
Nous ne nous étions pas plutôt montrés
dans la grande allée, que tous les regards
s'étoient réunis fur nous. Les deux dames
avec qui je me promenois, n'étoient pas
aflurément un objet nouveau pour le public,
mais j'en devenois un digne de fbn attention
& de fa curiofîté. On les coimoiflbit trop
pour croire que je fuflè là pour aucune d'el-
les, & le foin que toutes deux prenoient de
me plaire , empêchoit qu'on ne pût bien fa-
voir à laquelle j'appancnois. Madame de
Sénanges, que cette irréfolutîon impatîen-
toit , n'épargnoit rien pour fiiire décider là
chofe en fà faveur : chaque fois que (à rivale
'vouloit me regarder , un coup d'éventail
donné à propos , interceptoit le regard & le
rendoit inutile : elle ajoutoit à cela toutes lés
minauderies qui lui avoient autrefois réuflî ,
me parloit bas, a voit des airs fi tendres, fi
languifiants , fi abandonnés , qu'à cette in-
décence fi fiipérieurement employée , il fiit
împoflîble au public de ne pas croire ce que
elle vouloit qu'il crût. Cette viâoiré lui fut
d'autant plus douce, qu'elle avoit entendu
louer extrêmemciîi ma figure ; cependant ce
n'étoit encore rien pour elle de triompher
de madame de Mongennes, fi je ne me prê-
tois pas mieux aux grâces dont elle me com-
bloit. Inattentif & rêveur, à peine daignois*-
D 1 C m I B î X i t> lï , ri I. i. 187
Je répondre aux interrogations fréquentes
dont elle ne ceffoit de me fotiguer, Verfâc
l'avoît fi pofitivement aflurée qu'elle m'avoic
vivement touché , qu elle ne concevoit pas
ce qui m'empêchoit'de k lui dire* Elle fen-
toîc que, {ans s'expoièr aux railleries de ma-
dame de Mongennes, elle ne pouvoit point
paroître douter de mon amour ; cependailc
elle defiroit de me faire parler. Elle fe fbu-
vînc en ce moment que Verfac lui avoir dit
que madame de Lurfay avoit des vues fur
moi , & qu'il lui avoit femblé que je ne
^m'éloignois pas d'y répondre. Elle imagina
que , ians fè compromettre , il lui feroit aifé
d^éclaircir Ces doutes , & me demanda, d*\in
air négligent , s'il y avoit lông-^emps que je
connoiflois madame de Lurfay. Je lui répon-
dis que depuis fort long-temps elle étoit amie
de ma mère.
Je la croyois pour vous plus nouvelle con-
noillànce , dit-elle ; on m'avoit même aflii-.
rée qu'elle avoit eu l'envie du monde la plus^
forte de vous plaire. A moi ! Madame ,
m'écriai-je, je vous jure qu'elle n'y a jamais
penfé. Peut-être 5 répondit-elle , n'avez- vous
pas voulu le voir , n'eft-il pas vrai ? Cela vous
aura échappé ? Peut-être- aulfi l'avez -vous,
aimée : il eft un âge où tout plaît , c'eft un
malheuf. On prend quelqu'un fans favoir
pourquoi , parce qu'il le veut , parce qu'on
cft trop jeune auftî pour (avoir dire qu'on
ne le veut pas, qu'on eft preffé d'avoir une
aÔkire , &c que la plus promptement décidée
iSS Œ û V it i s
paroit toujours la meilleure. On eft tantfd^
reux quelque temps ^ les yeux s'ouvirent à k
fiT^y on voit ce qu'on a pris> on s'ennuie de
Tavoir , on en rougit , l'on quitte ; & voilà
comme vous aurez eu madame de Lurfày.
Elle a > je crois , répondis -je , beaucoup
d'amitié pour moi \ mais...« Eh ! oui , inter^
rompit-eue, vous allez-étredifcret, & ce ne
fera que par vanité. le ne crois pas ^ dit alors
madame de Mongennes , que ce (bit là (à
rai(bn. Il fèroit trop d'injuftice à madame
de Lurfày s'il penfbit d'elle aufli mal , & je
la trouve aflez aimable pour, n'être pas (ur-
prife qu'elle eût pu lui plaire. Vous le trou^
vez , Madame , repric-elle , d'un ton de pi-
tié , c'eft un goût qui vous eft particulier :
elle a peut -être plu jadis s mais perfbnne
d'aujourd'hui n'étoit de ce témps-là. Il n'cft
pounant pas (î éloigné que vous ne puifliez
.vous enfbuvenir, répliqua madame de Mon-
.gennes ; moi qui vous parle , je l'ai vu ce
temps. Eh bien 1 Madame , répondit-elle ,
vous ne voulez pas apparemment qu'on vous
croie jeune.
Comme elles en étoîent là , 8c qu'une ai-
greur polie fe mettoit dans leurs difirours ,
nous apperçumes Vcrfàc. Madame de Sé-
nanges l'appella » il vint à nous ; mais fans
cet air libre que j'admirois en lui , 8c que
t'e cherchois vainement à prendre. Il fèm-
>loit que la vue de madame de Mongennes
le gênât , & qu'elle eût fur lui cette fupé-
jrlorité qu'il avoit fur toutes lesautrès femmes»
Ah i venez > Comte , lui dit madame de
Sénanges , j*ai befbin de vous contre ma-
dame, oui me (butient depuis deux heures
des cho(es inouïes. Je le croirois bien , ré-
pondit-ii féricufèment , avec un efprit fiipé-
ricur , U n'y a rien de bizarre & même d'ab*-
iîxrde , qu'on ne puiflc (buteriir avec fuccès:
eh bien ! quel étoit Tobjet de la difpute ?
Vous connoiflfèz madame de Lur(ay , lui de-
manda-t-elle ? Exceflîvcment , Madame ^
répondît-il; c*eft afliirément une perfbnne
refpeékable y Se dont tout le monde connoîc
les agréments & la vertu. Madame ibutient»
jcprit-ellc , qu'on peut encore aimer madame
de Lur(ay avec décence. J'y trouverois pour
moi, dit-il, plus de générofité & de gran-
deur d'ame, C'eft ce que je dis, répartit-
elle, & qu'on ne peut s^attacher à quefqu^uil
de rage de madame de Lurfay , (ans fe faire
un tort confidérable. Cela eft exactement
vrai , répnrtit-il , mais du premier vrai. Il y
a mille belles actions comme celles-là qu'on
ne (auroit fmc fans (è compromettre. Se qui
ne prennent jamais en bien dans le monde.^
£h ! que dites-vous, dit madame de Mon-
gennes ? On excufè tous les jours des goûts
extraordinaires : plus ils font bizarres , plus
on s'en ^t honneur. Se vous voudriez.......
Oui , Madame , interrompit-il , non-feule-
ment on les tolère , f^i fait pis , on les ap-
prouve , & vous n'ignorez pas que j'en ai
des preuves ; mais le public n'cft pas toujours
xoo <K tr y it X f
aulTî complaifant que je Taî trouve : il cft des
goûts qu'il s'obftine à profcrirc.
Il feroit , comme vous le dites , peu coin-
riaifânt , reprit-elle , & j'ajoute qu'il fèroic
fort injufte lî Ton ne pouvoit aimer madame
de Lur&y fans qu'il y trouvât à redire : je
conviens qu'elle n'eft plus de la première
jeuneflej mais combien ne voit-on pas de
femmes beaucoup moins jeunes qu'elle ,
infpyrer encore des (èntiments , ou du moins
chercher à les faire naître ? Cela n'eft pas
douteux , dit Verfàc , mais aufli ne le foufl&e-
t-on pas tranquillement. Ah ! pour cela, dit
madame de Sénanges , on en voit fort peu :
il eft un âge où l'on (ait qu'il faut fe rendre
juftice. Oui, reprit Verfac , mais il me 1cm-
ble qu'il n'arrive pour perfbnne , & que com-
munément on meurt de vieillefïè en l'atten-
dant encore. Moi, par exemple, je coiinoîs
des femmes. qui ont vieilli beaucoup, extrê-
memenc, qui par conféquent (ont devenues
laides, & ne s'en doutent (èulement pas,
& qui croient de la meilleure foi du monde
ayoir encore tous les charmes de leur jeu-
nefle , parce qu'elles en ont confèrvé foi-
gneufement tous les travers. Ah 1 que c'eft
bien madame de Lurfày , s'écria-t-elle , des
travers qu'on prend pour des charmes ! il elt
inconcevable combien celajeft frappant ! cela
eft d'un lumineux particulier l & combien
4e gens cela ne peint-il pas ? Pour moi , j'y
^pconnois mille perfbnnes. Pas encore toutesr
celles à qui cela reilèmble , die madame de
Mongennes , & vous l'attribuez à beaucoup
d'autres pour qui il n'eft point fait : car en
vérité , Madame de Lurfày n'eft ni vieille ni
ridicule. Je ne conçois rien à votre entête-*
ment , Madame , répliqua madame de Se-
naiiges ; il me pique : laifFons-là fes ridicules ,
ils font prouvés ; mais enfin quel âge a-t-el!c
donc ? Eh bien ! Madame , dit Verfàc , elle
n'a véritablement que quarante ans : mais je
foutiens qu'elle en a plus , parce que je ne
l'aime pas aflez pour permettre qu'elle n'ait
que Con âge.: Aflurément-vous vous trom-i
pez y répliqua- 1 -elle aigrement \ quarante
ans l il eft impofïîble qu'elle n'ait que cela.
Je me fbuviens..... Madame , interrompit-
il y en pouflant cela jufques à la calomnie ,
elle en a quai:ante-cinq , mais je ne {àurofs
aller plus loin. Au.refte , youdriez-vous bien
me dire à propos de quoi cette obligeante
diflertation fur madame de Lurfay ?
Vous le voyez bien , dit-elle , ce ne peut
être qu'à propos de l'amour qu'elle avoîc
înfpiré , l'on ne iait comment , à M. de
Meilcour. Ahl Madame, répondit-il d'un
air myftérieux 5 pour peu qu'on eftime' les.
gens , on ne dit point ces chofes-là tout haut »
on ne dcvroit pas même les penfer y mais la
foiblefle humaine ne permet pas une Ci grande
perfedion. Je ne connois perfonne qu'un fait
pareil , s'il étoit avéré , ne perdît à jaipais
dans le monde. M. de Meilcour a fans doute
pour mad. de Luriày de . l'eftime , du reC,
jed;, de la vénéiatipn même;, fivqus voulez j,
191 (E V V K E S
mais ii ieroît trop dangereux pour lui qu'on
le (bupçonnât feulement du refte. Vous le
défendez mieux que lui-même , reprit-cUc i
vous voyez qu'il s'en laiflè accufèr fans ré-
pondre , & que ce propos l'embarraflè. Peut-
être aulTî , dit-il , ne fait-il que Tennuycr ,
& j'en ferpis peu furpris. A l'égard de fon
embarras , je ne vois pas ce que vus en
pouvez conclure. Etre embarrau^ de l'accu-
îàtion » n'eft pas être convaincu du crime. Il
t(k bien vrai que madame de Lurfày a pour
lui d'aflez tendres fèntiments ; mais qui ,
dans le monde ^ efl: à l'abri de ces accidents-
là ? Répond:K>n de toutes les padions qu'on
infpire , & pourvu qu'on les méprife , qu'on
les rende bien infortunées , quand il n'eft
pas de la dignité de s'y prêter , que refte-Cril
au public à dire ? Je fuis , pour moi , très*
certain que M. de Meilcour a (ait de même y
Se qu'il n'a pas là-deflus la moindre com-
plaîiànce à fe reprocher. Tant pis fî cela eft
vrai, dit madame de Mongennes; je ne vois
pas qu'il puiflle mieux (aire , ou du moins ,
je vois qu'il pourroit faire beaucoup plus
mal.
Malgré l'extrême & malheureu{e<lé(ërence
que i'ai pour tout ce que vous penfez^Madame^
répondit Verfac , je ne faurois être de votre
jlvis. Pour vous , Madame , continua-t-il >
e 1 parlant à madame de Sénanges » je fuis
f ^pris que vous ^oycz aflez mal inftruîte de
f 1 choix 5 pour avoir encore madame de
Lurfày à lui reprocher. Moi I lui dk-cUe » ja
fuis 9
©1 Ck* ÏTttOK, lit 9. tfi
{âis j je vous ]ure , dans la bonne foî ; il né
m-a point encore fait de confidences, Qu'im-- -
porte. Madame , vous à qui i*ai vu deviner
tant de chofès plus obfcures que ne l'eft le
fecret de fon cûeur, ne pourrie» -vous pas
vous ièrvir encore de votre pénétration 5 par
ipitié , Madame , devinez-nous. Non , dit-
èlie , cela ne (èroit pas convenable ^ quand il
m'aura confié fcs tourments , je verrai ce
qu'il fera à propos de lui répondre* Allons »
Monfieur , me dit Verfàc , confie* , vous'
êtes trop heureux: mais , ajouta-t-il, en me
voyant interdit , ces fortes de confidences fè
f<^t rarement devant témoins* Enfin > de-
manda-t-elle , qu'eft-ce donc que ce fecret l
Je ne l'imagine pas^ J'en fuis fâché , Madame ,
répondit-il ; car Ci vous ne paroiflèz pas avoir
deviné quelque chofe , on n'aura rien du tout
à vous dire. Vous concevez bien. Madame,
dit alors madame de Mongennes , que ce
fecret fi merveilleux ne peut vous échiapper;;
Et cependant, reprit-elle, on me le cache
encore.
Je craii5 voir à pré(ent , dit Vcrfàc , que
nous ne Tifquons plus rien à vous l'appren-
dre; Mais où ibupez-vous. auÎQurd'hui ? Au
fauxbouig? Oui, répondic-cUc, mais ce n'eft
pas chez moi : ' nous allons toutes deux chpa&
la j maréchale de ^^* , vous devriez bien y
venir. Je ne (auroîs , dit-il , il y à auffi un
fauxbourg où îe (bupe , mais ce n'eft pas le
vôtre. Quelque tendre eng^ement vous y
jKQcnt tàps doute? Tendre , reprit-il, non,.
tpme Uf. 1
Bft'CetoùîoUrs la petite de^*^^^ ? Il (êroïc
fteu difficile > xep^rut-il > -que ce iiit toiMOusi
elle, îe ne l'ai jamais eue. Ah ! quelle^folie^
s'écria madone de Mot^eimes » dénier une
afiaire aufli piiblique 5 & dont tomt le monde
iè.tue de parler depuib deux >mois ! Je vpû^
«drois l>îen, JMad^xnc , 4ui dit-il , que voui
lufliez quelquefois perfuadée que îe neprends
pas .tqujouss > ni toutes les fenmies j ni tous
les ttavexs qu'on wc donne. Ëft-ce« dk
madame de Sénanges > une ^^ieille aS^iie f
Non> dit-il, f en ai (iniune ce matin. Pquj^
xoit-on (avoir qui vous attadie à présent?
Qiii i l^a plus nouvelle .? :Qui ., la plus Qon^
:vdle.
Vous l'ignorez! -reprît-il > Il eft fingolier
jOue vous ne lâchiez pas quijc'eft s on^. tuera
d'en pader , vous l'apprendrez de refte z
l'imaginois pourtant que le fait étoit déjà
public. Cela s'eft commencé très -vive-
ment à r<:ipéra , continué ailleurs > & , cda
s'aéhftve aujourd'hui dans mz petite maifixx.
Elle eft éhamante! ajouta -t-fl^ ma petite
maifbn, ]e prétends au premier jour vpus y
donner une ^tei Cela eft galant au poffible ^
dit madame de Mongennes ; eft-ce#v« ^Oiid^
Madame , interrompit- il y c'cft toujours la
même. Ehhien ! acceptez-vous ma jpropofii*
' don? {Jne fSte dans une petite maifon ! dît
madame de -Sénai^es > vous n'y penfèz pas|
â^oilà de ces parties qui ne (ont pas décentes «
fc qu'on a raiibn de blâmer.
' ^3uis ijud cQQte ! xeprijt Va(àc i &^^wxi j
^
D« CltlBTlltlîf, VUS. TJf
3 /croie vraiqu'on les bkmàc , (èïoit-il jufte
tle s'en contramdre) Cachez-vous^ le public
vous devine^ t^ il moins 5 Quelques égards
que vous vouliez avoir pour lui , il eft fur
"qu'ilparle ; & d'ailleurs , je ne connôis , moi ,
rien de plus décent ^ju'une petite maifon ,
rien qui Vous ei^fè moins à ces difcours
Qu'il lemblç que vi>us craigniez. Je commence
même à crôûre qtie l'amour des bienféances ^
plus encore^ue la néceflîté , les a miles à la
mode.
N'eft-cc pas dans (me petite maîfonqu'on
foupe fans fcandale tête-à-tête ^ Et peut-on.^
uns cette reffource , former aujourd'hui un
engagement : N'en fait-elle pas même un des
premiers attides ? Une femme qui fe ref^
5e<île , c'efl-à-dite , qui , avec le cœur ten-
re, oa l'elprit libertin, veut cadher fa
foibleffe , ou fcis fottifes , peut-elle en îm*
pofèr fans le fècours d'une petite maifôn>
£h ! quoi de plus pur, de moins interrompu »
de plus ignoré, que les plaifits qu'on y goûte }
Tous deux fbuftraits à une pompe embar«
taflàntc, arrachés de ces appartements fbmp^
tueux çù l'amour querelle , ou languit fans
ceflîe 5 c'efl dans une petite maifon qu'on le
léveiÛe , ou qu'on le Retrouve : c'eft fous
ïon hun>ble toit que l'on fènt renaître ces
diefirs étouffés dans le monde par la dif!ipa«
tion y SCi qu'on les Tatisfait fans les perdre.
^ Ah ! Comte , dit madame de Sénanges en
^îant , s'il étoit vrai qu'uAe petite maifon eût
ce^te demiece vertu^ qui voudroît en habiter
l t
196 CE U T H K 5
une grande ? Je ne vous dirai pas bien po-
fitivemcnt qu'on ne les y perde pas , reprit
Ver(àc , mais il eft fur qu'on les y amufê
davantage, Oeft toujours y gagner, répon-
dit-elle , mais eh attendant qu'on accepte la
fête que vous propoicz , vous feriez bien de
ipuper tous deux chez moi à mon retour de
Verfàilles y qui fera dans fort peu de jours ;
]ç vous le manderai , Verfac : A moi î
s'écria-t-il , vous connoidèz mesdiftraâions ,
j'oublierai peut-être de le faire avertir : écri-
vez-lui , cela fera plus fur & plus honnête ,
& il voudra bien m'inflruire du jour que
vous aurez choifî. Je le veux bien , dit-elle ,
c'efl un billet fans conf^quence. Oh ! vous
êtes infbutenable auffî avec vos ménagements
fUr les biepféances ;. je ne vois pertonne les
pouflèr auflî loin que vous 5 vous en devien-
drez ridicule à la fin ^ repiit-il. Il efl bon
de s'obferver j mais une trop grande exac-
titude efl gênante , ie pieurs de peur que
vous ne deveniez prucic. Non^répondit-eÛe,
pour prude y je n^ crois pas que je la de-
vienne y cela n^eft pas de mon caraâere ;
mais je vous avouerai que je hais l'indécence.
Etre indécente y tfï unechofè qui me révolte,
6ç due je ne pardonne pas. On ne fauioit
pipnler autrement quaml on e(k auflî bien née
que vous Têtes , répondit-il d'un air férieux î
inais raffurez- vous lur ce billet, tous les joursoa
en écrit depareils. Viendrez-vous , Monfîeur ,
me demanda-t-elk ? Je defîrç afTurément de
le poi^voir , Madan^e , f éppndis-je î mais je
f
DE CR'i'BÏ LI6K, FIIS^ 197
ne fais fî je ne vais pas à la campagne avec
ma mère , avant votre retour. Non , Monfieur,
me dit Verfàc , non , vous nuirez pas à \x
campagne 9 ou vous en reviendrez : ce rféft
pas dans une ikùation auffî charmante que
la vôtre , qu^on s'embarque dans de fembla-
Wes panies.
Quelque chofè qtte pût dire Vcrfic, moti
air mécontent lui prouvoit qu'il ne me pcr-
fuadoit pas , & je m'apperçus que madame
de Sénanges s'alarmoit de Tobftacle que j'ap-
portois à ce louper. Vcr{àc ^ qui avoir réfolii
de m'enlever à madame de Lurlay, m'en-
agca fi pofitivement , qu'il me fat impoffi-i
le de longer davantage à me défendre » ic
je promis , très-décidé à manquer 4 une pa»
rôle que je donnois auffi forcément.
Je revois avec un extrême chagrin à la
violence qu'on me faifoit , & je me confira-
mois plus que jamais dans l'idée que madame ,
de Sénanges , malgré Tes difcours contre l'in-«
décence , n'étoit que ce qu'au premier coup-
d'œil elle m'a voit paru ; elle ne s'en flatta pas
moins. , que je ne m'occupois que de mon
bonheur prochain.
Que je fiiis (ktisfaite de votre comptai-^'
fance! me .dit- elle tendrement, vous êtcs^
charmant ! cela eft vrai , vous êtes charmant l
Mais , dites-moi donc , que vous ferez bicit
aile de me revoir. Oui , Madame , répondis-
je froidement. Je ne lais continua-t-elle , fi.
, je devrois vous dire que je penferai à vottt
2fftç jdaifir : je crains, que vousne voo&ia***
l3
ipt (B tr ▼ m B »
téîè(Eci que médiocrement à ce que fe pour^
rois vous apprendre là-defTus. Pourquoi,
Madame , répondis- je } Ah ! pourquoi , re-
prit-ellie } Voilà ce que je ne <K>is pas encore
yous apprendre. Cependant v mais qad
ùfàge Ibrez-vous de ce que je vous^rai l
Excédé d'impatience & d'ennui , f aUoiîr,
je ctoisc» ta prier de votloif bien ne me rien
confier., lorfqu'au détour de l'allée, je vis
madame de Lurfày , Hortenlc , & fe mère,
qui yenoient vers nous, tedéfbrdre oà cette
vue inopinée me plongea fut extrême* Sans
croire que je fuflè aimé.d'Hortenfe, j'étais dé-
^(s^Jiéy. <|Vl'api:è$.l*aypir quittée fi brufquen
mçnt , elle nîe retrouvât, avec mackme dfe
Sénânges. Quoique la crainte de déplaire à
imadame de Lurfày ne m'occupât plus , (â
préfence ne laiflbit pas de m'cmbarraflèr. Le
xeproche de faufleté qu'elle m'avoit (ait de-
vant Hoijei>& , & la dernière quenelle que
nous avions eue cnfemble, m'avoient aigri
contr'elle au, dernier point , & na'éloigncMent
4'un raccommodement dont je cxaignois les.
iuites ; mais je redoutois Tes di(c6urs. Sans,
découvrir l'ûitérét qui la feroit parler fur mes^
liaifbns avec madame dé Sénanges > fâchant
Qiéme à cet égard y fè couvrir du mafque le
plus noUe > elle pouvoit faire pen&r à Hor«^
fenfè qu'elles n'étoient pas iimocentes y ôcd
die n'avoit pas à me détruire dans fbn^cœur ,.
<Qcmtribuer du moins à m'en fermer l'accès
pom toujours. Je m'e&rçois vainen^ent de
cachcriaonttpublcî U étok peiut dam cpuies
mes aâlions & dans in;es yeux : je n-ofbîs les
fever fur Hbrtenfe ,: Se ne pouvoîs pas en.
même temps le^ porter ailleurs y un charme
fècrec âc invincible les ariécoit fur elle malgré
moi.
Madame de Larfay me pamt pénétrée de
douleur ; mais accoummée à prendre fxxt
elle ^ fan vifàge changeoit à melùre qu'elle
apprpchôic de nous ^ & elle répondit en (bu^
lâant » & de l'air du mondé le plus libre &
h plus ouvert , â la révérence décontenancée
que )e leur fis. Pour Hortenfe , que j'exami^
nois avec foin , eQe ne marqua en me voyant i-
ni trouble 5 ni plaifir. J'entendois cependant
de tous cotés fe lécrierfur (es charmes,^
î'en (èntois augmenter mon amour 6c w»
douleur. Nous pafOimes iàns nous parler.
Voilà donc , dit madame de Mongchnes ,'
en regardant madame de Lurfay , cetie
femme qu'ônnepourroit plus aimer que par
généroiité } Il feroit fingulier afiurémetic
qu'avec autant d'agréments, eUenepûtpas
Êire une paflioti. Hélas! oui. Madame »
répondit madame de Sénangés y elle a pré«
diement ce malheur-là, & votre étonne*.
: ment ne le fera pasceflèr. Eh bien ! Monfieur ^
ajouta-t-elte en s'adireflànt à inoi , rien ne>
pourra-t-il vous tirer de votre rêverie i Éft-
ce madame de LurËiy qui la caufè<? Je vous
ai déjà dit. Madame, interrompis-je , qu'elle
ne prend rien (urmon cœur ; une autre idée
que la ficnne l'occupe trop vivement pour
qu'il puilTe être partagé } & dut cette pauioa-
I 4
ftoo Œ V V A s f
caufèr tons les tourments de ma vie> îc (ens
avec plaifir qu'elle n^en peutjamais être e£-
&cée.
L'amour dont î'étois pénétré , me don-
n<nt une exprefEon de fentiment à iaqueUe
madame de Sénanges fe méprit. . Je vis fès
yeux s'animer. Vous , malheureux ! me dît-
elle > eh ! pourquoi le feriez- vous l Devez-
vous feulement imaginer que vous poiflîea
Fétre ; & fàit^n. quelque chofè qui doive
vous le (aire craindre } fbyez confiant , mais
<|ue ce ne fbit que pour être toujours heu-
reux ! Je reconnus fa méprifè 3 & la lui
Jkiâai. U m'importoit afTez peu Qu'elle me
crût amoureux d'elle > de }'étois fur qu'eUe
ne pourroit pas le croire long-temps.
Verfâc^ quis'amufbitàcontredire madame
4e Mcttigennes , repaflà dans cet inftant de
Botre côté. N'eft-il rien arrivé d'extraordi-
naire à madame de Mongennes » qui ait bou-^
kverfë fês idées , demânda-t-il ? Elle veut
que madame de Lurfày foit belle i & n'ima-
gine feulement pas que mademoifèlle de
Théville puiflè l'être. Mais fur la dernière
partie de ce qu'elle penfe y je ferois aflèz de
ipn avis^ répondit madame.de Sénanges^
mademoifello de Théville a pluis d'éclat que
de beauté , i^us d'air que de taille » c'eft en
lout une :perfbnne à paflèr fort vite. Pour
^oi y qui m'y connois > dit Verfàc ^ }e ne lui
tf ouve qu'un défaut , c'efl d'avoir l'air trop
xiiodefle : elle s'en défera dans le monde vrai-
fçmblablemem > 8c plût au ckl que îe fuflè
i> B C n i B 1 1 £ oir ^ fin. tCt
le premier à l'en corriçer l Donnez-lui , |t
vous pouvez au(E> Tair {piritùel , dit madame
de Mongennes; dé&ites-Ia de ces grands
yeux inanimés , dont il paroic qu'elle ne iàic
que feire } jetez^y de rintention & du feu >
ce CersL un d'autant plus bel ouvrage , que
(urement il n'çft pas facile. Si vous Te trou-«
viez plus aifë , rîpartit-il , il le (èroic bien
moins ^ & la façon dont vous parlez d'eUe ,
m'allure qu'elle n'a rien à acquérir.
Indigne de la baflè jaloufie qui régnoic
dans les diicours de ces deux femmes , &
du peu de cas qu'elles Êifoient de la beauté
de.mademoifellc de Théville, je ne pus. me
contenir.^ En cfiet ,. dis-je à Vleriàc 5 elle eft
trop belle pour qu'on ne veuille pas lui trou-
ver des défauts; il cft plus fîir de louer
madame de Lurlày , elle peut enlever moin»
de conquêtes.
L'air méprifant avec lequel je parfois , ne
•devoit.pa^ plasrç .à madame de Mongennes;
^mais je lui aurois dit des chbfes plus défi>-
^bJiigeaiktes qu'eibnC' ^'en feroit pai offenfeec
;(és <k0èais iur^moi étoienc moins détruits
que dÂCm^lés^ & quoiqu'elle naâfeââjt plus
cette grande vivacité qui avoit alarmé madama
dcrSénanges , & que le dcfir -qu'elle avoit de
.tB^'^n^gçt,:fut j^jériçmremçnt modéré , il
jà<'e%^tolt r.p^:^ians le ' fond moins ardeur.
.Eflç jdgppi^^iWXifeçewfi^oides qucj'avD.'t
poiijr. npdamp 4ç -Sénanges , que je ne Tav-
.mois point > & trop fbae pour n'être pas
txceibvemcui; y me ;^ eUe ne doucdc poi&i;
.m>^
g
im ' IK V V it 8 t
AM jenelm oéda0e aofli-tot qa'cHe k touh
amc Je ÎQgeck <le fès efpëxances pat fcs
aacndpiiSs fie de ceitains negaids donc je
cxusmençoîs i comprendre la vdeiu^ quoi-
ijn'ils ne m'en orouvaf&nc pas plit$ fenuble^
Depuis qiie î'avois rencontré mademoifeUe
ic Tnéville , i^vois fènti redoubler l*enniil
ue m'infpiroic madame de. Sénanges i^ mail
L crainte de lui feire pen(èr que f étcâs im*
patient de retrouver, madame de JùuxQlj »
m'avoit retenu aupi^s d'elle. Heuxieufèmënc^
ma conuainte ne fut pas longue , Oc elle
forcit peu d'inftants après , en me pmntdt
longer à elle, &en m'a0ùrant qu'elle n'ou**
blieroit pas de m'écriie à fbn retour de Ver-^
failles. IJe me fëparai d'elle Se de Ver{àc>,
féfolu de chercher l'un avec autant de fbin^
^ue je me promettois d'en mettre à' éxitec:
l!autre*
Je ne fus bas plutôr libre > que îe cherchât
mademoiiêlle de Thévillè« Quelque choier
-^pie je fouÊiâè de ia froideur , jéiottffiois^
encore plus de (on abfeaces U fèmblaît>.
quand }e ne la. voyois pas , que ma jaloufie
me tourmentât plus violemment $ j'imagînok
qu'elle penfoit uns diftraâion à Germeuil ^
ic que ion coeur jouiflbiti^op tranqùiUemenr
d'une idée que fe Hiitcroyois b doiete : j'ef-^
pérbis que du moires ma piéfènoe l^etfof^
^cheroii; de.s'en oiJtmpef autant <^ jk !è aïK
-gnoiS) enfin, & fausr totts €^ moti6^ p:
voulois la revoir > du£&i-)e enorare' eus l£^
;;dumii de foii amour j^ttt ffiOA nsd^
BS CulBIilOll, f I£f. M)
Enfin ]e ta retrouvai. Elles venoienc de
filon c^. Madame de Lurfày rougit à ma
vue y mais peu inquiet de fès mouvements,
ce fut dans les yeux d'Hortenfe que je cher.»
chai ma deftinée. H me parut qu^elle me
voyoit arriver comme quelqu'un à qui Ton'
prend peu d'intérêt. J'eus lieu de oenler qu'il
lui étoit égal que je fuflè auprès de madame
de Sénanges , ou auprès d'elle ; Se les noù-^
Telles preuves que je recevois de fon indiflfë-»
rence , achevèrent de me percer le cœur.
Madame de Lurfay ^ pendant le temps
^e j*«nployois à examiner Hortenfc , nxe
rtgardoit fixement , Se d'un air railleur^
dont enfin je nr'âpperçus , & qui redoubla
faverfion que je cdmmençois à (cntir pour
die. Je favois tout ce qu'elle avoît à me dire ,
Se les idées qu'elle s'etoit faites fut madame
àé Sèianges. Ce qui s'étoit paifè entr'elle ôc
moi , étoit encore trop fècret pour que ce
Itii fôt une raifon de fè contraindre. Elle
ppuvdit i fans (e fàcrifier , parler Hbreiiient
du nouvel amour dont elle me croyoit oc-^
cupé, & fêtais prelque certain qu'elle l'avoir
^t : fî nous avions été fèub , j'aurois été
moins embarraf!e d'une explication , où j'au^
KMS pu lui montrer qu'il ne meïeftôit pour
elle pas plus* d'eflime que d'amoilr ;- mais la
préfence de madame de Théville & d'Hor-
tenfe y Im donnoit fur moi un avatitagè que ,
&tis renoncer à toutes bienf^ces^je ne
lUi pouvois ôter.
Éx Hcnl MoDÛcm 2 2ne demanda-c^ell<»
16
\
i©4 CE u v^ m B ♦
d'un ton radlleur, ce. mal de tête & vîdbnc
n'a pas » ce me femble , été. de langue durée }
En. effet 9 répondis-je > la promenade la dif-
iipé. Seroit-ce feulement à la promenade
qu'il faudroit , répliqua-t-cUe , attribuer une
guérifbn (i prompte î & madame de Sénan*
ges y fera- 1- elle comptée pour tien ? Je
D'avois pas encore imaginé > répondis-^îe^
que ce nit elle que j'en dufîe re^lef der. Inir
truit par vos bontés de tout ce q^e je lui
dois i )e n'oublierai pas de lui en marquer,
ma reconnoif!ance. Elle vous eç. donnera
ians doute des fujets plus importants , ré*<
pondit-elle ^ & je la crois perlbnne à nc^pas
Borner fès bienfaits à fi peu de ckôfè* Eâc
eft fort noble , madame de Sénanges j mais
comment étes-vous refté ici fans eue 2 Appa-
semment, repartis-je avec une aigreur qui
^mmençoit à me lurmonter^ qu'il ne m'a
pas été poflible de la fulvre : mais la certi'»
^de de la revoir bientôt adoucit extrême*
ment le regret que f ai de (on abfènce.^
Madame de Lucfày ne me répcMidit que
^r on regard d'indignauon qui redoubla ht
snienne. Se (ans rien dire y nous nous expri-
mâmes avec forcé toute la colère que nou$.
seflcntions. Elle ne s'en tint pas aux regards y.
4c croyant a>c monifier d'avilir Biadame de
Sénanges > elle em^^ya tout (on efprit à
Joindre avec les traits les plus marqués ^ iès-
yices &; iès ridicules. Elle ne pouvoitpas eii,
Denfèr plus mal que moi-même^'mais loiit i
«cl'çaM&i médire à fon gré^ je me c(us
9 E C RE 1 1 1 1 a K^ ^ ï ^ f» ^^f ^
oblige de la défendre, ôC']c le fis avec tant
d'ardeur, & fi peu de ménagement , qu'il
ne fut plus poffible à madame de Lurfày de ^
douter de la nouvelle paffîon, dont aupa-^
ravant elle ne &ifbit que me (bupçonner*
Aveuglé par ma colère , Je ne crus pas que \
Ce fut aflèz que je parure eftimer madame \
de Sénanges, &)'en parlai comme fi }e l'eufle |
trouvée jeune > joUe ôc fpirituelle y Se avec ^
cet enchantement où nous met un objet qui
commence à nous plaire. |
Je m'apperçus , à la douleur de madame
de Lurfay , que je venois de la convaincre
qu'elle m'avoit perdu , & je goûtai pendanr
quelques inftants le plaifir de la vengeance»
Ce fut trop tard que je ientis ce qu'il m'alloic
coûter. Occupé du defir de la tourmenter ^■
j'avois oublié qu'Hortenfe m'écoutoit, Sc
que je ne pouvois perfuader^ Tune de moi»
amour pour madame de Sénanges, (ans don-
ner à l'autre la même idée. Cette réflexion
que je fis enfin , m'accabla. Avant une (l
cruelle étourderie que celle que je venois de
faire > je n'avois à combattre que la froideur
d'Hortchfe ; mais comment lui ofèr parler
de ma tcndrcflc V après avoir avoué que ma-^
dame de Sénanges avoit &it fiir moi la plut '
vive des impreflîons ? Devois-je lui confier
les raifbns qui m'avoidit porté à louer avec
opiniâtreté, une femme fi digne de mépris »
Pouyois-je moi-même', iahs mériter le fien ,.
me juftifier. aux dépens de madame de Lur^
ia; j & Quctièsth fcçrec de i^ucceurlMoit
»#4 CE ir T it « f
i qui l'honneur impofbit fi i^vésementta tor:
de ne lé laifler même jamais pénécœr^
Plus )ç mevoyois condamné à garder le.
filence , . moins fefpérois - pouvbir fbrtir de
rrn^>aria(&rite fîtuation où je m'étois .mis ;.;
quelque peur d'intérêt .(^'Hortènfè eoc parvti
farenore à mes difcours^ je ne~£iis. quelle-
idéc^ que je crouvois &ns fondement, mais
qui ne ai!en occupoit pas moins , tanimait
mes efpérances. Piefque certain que je fèroiS'
un jour obligé deioe juftifier auprès d^ellr»,
je pséfiaxois déjà tout ce qui pouToit détruire
dans fini efprit une prévention quelle aumît:
prifèavecd^aucant plus de fuifice, qiie j'avais^
travaillé moi-^méme à la lui doniaer* Sa. .tri£-
tcSe augmentait encore mon trouble 6c mon-
mquiétude*. Un état auffi Singulier que le
fieny ne pouvoit guère être atoibue qui
«ne paflion fècrete. & malheuieufé ; maïs
s'il étoit vrai , comme ce jour même je Vsirm
<mi>qu'ette aimât Germ^oil, qudlè pouvom
Itte la cauiç de û mélancoHe ? Quand je les
avois quittés y aucun nuage ne paroif!bitde*
iroir s'élever ^ntr'eux; ù>n abience avoît-eUe-
pu faire naître un iî violent chagrin ? 0»
s^attrifte quand on prd pour long-^tentps ce
qur'on aime : ne fkit-en que le 'quitter pour
quelques inftants^ on penfe à lui, l'on s'en
occupe , cette rêverie eft plus tendre que
dbuloureuie ; Germeuil n'étoit dcmc pasrolv
)et de (es peines dans le fond ; je ne pouvoîs
le croire mon rival , que parce qu'il eft a£l^
BatureL que quand on caoainc un mf^
B^B G]tfB;t£tOir,rf£S; mf
i^Eat femme y ce fbit l'ami qu'elle paroîtai*
mer le plus cendcement, 8c qui nous caufe.
le plus d'inquiétude.
Le moyen le i^us iimple dé me délivrett
des miennes >. écoiit iàns.^ doute de m'éxpU--
^uer avec Hoicenfè 5 , êc: je le fetitois bien ^;
.nais convenir que cette explication m'étoic
»écel&ire> n'étoitpas me la rendre plus fa-
cile. Je n'encrevoyois rien qui pur me con<»
duire âxement à l'écUirciffêment que je Covl*
baitois, & m'aider à découvnr ii Geimeuil
étoit cet inconnu q\ie je fàvois aimé, ou^ft
|e n'avois^p^s.àcipaindce quelqu'aurre que
Ittî.
' Abibxbé dans cette confufîbnd1dées& de*
&ntiments, les parcourant toute^^^ les épf ou^^
Yant tous, iàns n^'arréter fur aucun, je mar^
chois auprès^ d'Honenfè dans un état peu;:
diffë]$nt du fien. J<s Toulois interrompre far
léverîe, & îç ne tSDuvdis^ien à lui dire. G0^
lut au(E vainement que }c cherctiai à fixer
^ yeux fiii^moi, ficnous arrivâmes à la^
porte fans qu'il luifôt rie& échappé de ^ cour
ce qui pouvoir m'inftruire ou me fàtisfaire,.
Madame de Lurfay ^ , depuis le pané^
gyrique. qu'elfe m'avoit entendu faire de ma«^
dame de Sénanges 3 ne m'avoit point parlé,,
niffès^ avok vu paru madame de .Théviile^
& Horten& ^r Q^ demanda > mais avec une
douceur excr^ine > fi je voulois qu'elle me
lemenâl chez txoi , ou quelle me cond«ûsîr
4iezelie. Le chagrm que ce jour même elle
^'a^tttaufêx^ l^àatoii m'a^cmisJ^o]^^
"i^S (B tr r X B 5 : ^
niâtre froideur d'Hortenfè, m'élpignoîent
ëgalemenc dé ce qu'elle me propofok , &
Je lui répondis féchement que je ne pouvois
faire ni Tun ni l'autre. Il me parut qu'elle
ëtoit conftemée de ma réponie, & de la
profonde &' férieufè révérence dont je l'avois
accompagnée > cependant elle iniifta. Je lui
£>utins avec moins de ménagement encore »
.que des raifbns invincibles s'oppoibient à ce
qu'elle defiroit. Se nous nous (eparâmes
enfin tous deux y triftes Se mécontents l'ua
de l'autre.
Je rentrai chez moi l'elprit & le cœur trop
tourmentés pour vouloir y voir perlonnc y
)e paflài toute, la nuit à faire fur xhpn aven-
ture les plus cruelles & les plus inutiles ré-
flexions.
On coimoît aflèz les (bnges des amants >
leur$ incenitudes » leurs différentes réfolu-
cions 9 pour concevoir tous les mouvements
dont k Sis ftgitë tour-à^tour .^ & ji'ai trop
parlé de mon peu d'expérience ; on voit trpp
par ce récit combien, je lui devois d'idées
lauflEès , pour avoir beioin de m'arrêter fat
çt fttjet plus longrtemps.
Je ne fàvois çxkoïc à quel projet je devois
m'arrêtcr, lorfqu'on entra chez moi. Je reçus
^î.même :tenips, ce biUet de U part 4ct m*r
dame de I^riwiay. ^ (. : .\ ..
. ' \
k I . '• • ' r» . • - - t ■ '
• • . . i ^ . , . # ,
: SI J€ m cmfiihms. que voir^ cœur ^ je m
prendroispas la peine de vous écrire^ mon fi*
knce fans doute m'^forgaeroit de nqwum
»B Cll£3II t ON^ FI LS. ZO9
afronts ; flux tendre que je ne fuis vaine , fe
ne crains pas de m*y expofer encore. Je vais
aujourd'hui à la campagne pour deux jours ,
vous ne mériierie^pas que je vous en avertijfe ,
beaucoup moins que je vous priajfe de m'y acm
eompagner , cependant je fais l'un & l'autre»
Tant d'indulgence de ma part , ne vous rendra
peut-être que plus ingrat ; mais il me fera doux
de vous confondre par mes bontés, fi je ne puis
vous y rendre fenfiile. Je fuis d'ailleurs CU'*
rieufe de f avoir fi vous trouve^ â madame de
Sénanges autant de charmes que vous lui en
trouviez hier. Je veux bien encore m' inquiéter
de ce que vous penfi[ fur ce fujet. Songe[ que
je puis ne le pas vouloir long-temps. Ad^eu, je
vous attends à quatte heures.
Ce bîllct ne m'ôta rien de ma colère con-
tre madame de Lurfay , avec qui je ne vou->
lois point d'explication -, ainfî^ fans réfléchit
fur cette partie de campagne Ci fubitement
formée , ôc dont la veille je n'avois pas en-
tendu parler , je lui écrivis avec U dernière
froideur , qu'il m*étoit impofHble de (aire
ce qu'elle deiiroit i 6c que j'avoîs pris la veille
des engagements que je ne pouvois rompre,.
Dans la utuation où nous étions enfèmble ^
cette réponfe étoit impertinente ; mais plus
je le fcntis , plus je fus content de la lui avoir .
faite, jf'étoîs déterminé à rompre avec elle.
Cétoit , de tous mes projets > le (èul qui me
(ut refté conftamment dans l'efprit , 6ç]ent
pouvois me blâmer d'un refus qui> Teloa.
V,
%10 tt tr ▼ K s 9-
toutes lès apparences ^ afiuroit fit avançait
notre rupture..
I^ haine que )e reâentois alors pour m2A
dame de Luriày» ne me l^voît pas (èule
cliâée. Jfavois craint, encore moins d'ennui
pourmoi 3. i êtse auprès d'elle , que de cfaa*
grin à être éloigné df Hortenfe , que )e ne
youloîs pas quitter, dans dès.circonflânces
où il m'étoit important.de lui dire que jç
Kaimois ,. ou de.veillerdu moins fiir mes ri-
Taux* Je paâai à\m'occuper de Rm iàécy
tous ksmoments o»*iLne m'écoit pas encore
permis de la voir; & il étoir à peine. cin({:
heures >, que ft volai chez elle»
J'arrivai bientôt ,, on ouvrir. Entre quel-
ques équipages que )è vis dans^la coui, ]c
reconnus celui de madame de Lur&y, Âne
m'en fallut pas davantage pour me £ûre con*
noître là faute que j'avois faite , ôc l'impor»
fibilité de ht réparer me défefpéra. Je ne i»u-
Vois plus douter qu'Ftortcnfe ne fut de cette
C'e que î'avois.refuf^^ La hauteur avec
:11e fàvois: écrit a madame de Lurfày
que |e ne pouvoîs en^tre> .ne mt permettoit
pas de fbnger à là renouer avec elle > & ne
là difpenfblc que trop de. Vouloir, bien mfett>
prier encore;* * ^
Plein de fureur contre moi-même, j'en»
tiai ,. mais décontenancé & tremUant. Ma-
dame de Lur&y^ pâtit à ma vue , âr il me
parut qu'elle lui caufbît autant de colère que
d'étonnement. Quoique je méritaflè toute
fr haitie 2 jé ne lài^ pas de m'o&nicr au^
»i Cnf Biiiaitvrrt 5^ lit
tant de ce qu'elle m'en marquok , que (i elle
m'eut &it injustice» Je ne m'arrêtai pas long-
temps à cette idée. Mortenfe qui parloit à.
Germeu3>. l'air, familier que je lui tcouvois.
avec lui^ la furpriiê qu'elle marqua en me
voyant, & (a rougeui: fiibiite , étoicnt pour
moi des objets qui anéantiffoient tous les
autres da^^s monrefprit. Se me dônnoicnr
fculs à rêver.
Vous venez fans, doute avec nous 3, Mon*
fîeur^ me demanda madame de Théville h
Uon, Madame, lépondit vivement madame
dé Lur(ây i jp lin avoisjprié, mais il a des^
engagements qu'il ne- faurott romjpre 5 je
Crois que vous lesu devinezi , Quelle £:^e t
s'écria Germeuil , je vous jure. Madame ,1
qu'il n'a rien à faire. Je fais le contraire po-
(xtivement ^reprit-elle d'un air fec; mais l'heure
heus preflTè > & îl^^ voudroà^-,. Qns^ dbute j^.
d'autant moins retarder. notre départ,, que
luremenrnous retardons fes plaifirs. Adieu »
Monfieur^ me dic*elle en fouifiant , je ferai
f^ut-étre plQ$ heureuiê une auQ;e f<ns,. ou;
vous ferez moins occupé.
En achevant ces paroles , eDè me préfehtaii
h main- d'un ^r auflS libœ que s'il n'eût été
queftion de rien entre nous.: & mourant de
rage ,Je fos obligé de. la conduire jufqu'à fonr.
carrofle.
Il feroit cependant fîngulîer , me d&-ellè
tout bwis ,, en defeendant , que vous foffiee
lâché de la réponfè que vous m'avez- feke j;
loais nott^ y^M^, ne. la^ez qu^ffenfcr ^ iit
111 Œ u y R £ s
j^aurois tort de vous croire capable âc tepen*
tir. Ah ! de grâce , Madame , répbndis-je ,
ce({bns de pareils difcours , le temps en eft
palTé pour vous & pour moi. Je connois ,
reprit-elle, votre obligeante façon de ré-
pondre , mais je veux bien ne m'y p^ arrê-
ter , vous m'avez accoutumée à être indul-
gente. Que je fâche feulement fi , comme
vous ne penfez pas long-temps à h même .
chofe , il ne vous auroit pas pris un remords ?
Ne craignez pas de me l'avouer, feroit-îl
vrai que vous vouluffiez venir ? C'cfl , Ma-?
dame, repartis-)e, une queftion à laquelle
j'ai répondu ce matin. Il fuffit, reprit-elle,
& je vous fupplie de vouloir bien oubliée
que )'ai ofé vous la faire deux fois.
Elle me fit alors une de ces révérences
choquantes, que je favois ù bien lui faire
quelquefois. Je voulois en vain déguifer
mon chagrin. Voir Gcrmeuil auprès d'Hor-
tenfè , Se penfer que , dans la folitude de la
campagne, il trouveroit mille moments pour
lui dire les chofes les plus tendres , étoit un
fupplice que je ne pou vois fupporter, fur-»
tout quand je me fouvenois qu'il avoit dé^
pendu de moi de me l'épargner. Je me ré-\
pentis, en les voyant près de partir, de cette
^uflfè honte à laquelle je venois de fàçriâet
l'intérêt le plus vffde mon cœur. Je tenoi^
encore la main de madame de Lur(ày, &
je crus qu'il ne me feroit pas di£Gcile d'obte*
nir d'elle, une chofè qu'elle m'avoit para
4eftrer vivement. Je pris enfin afTez fui ma
ht CreBILLON, fils. 21}
(bttc vanité pour eflayer de me faire parler
encore de cette partie , que je ne voyois faite
Çins moi, qu'avec la plus vive douleur. St
vous m'aviez averti plutôt , Madame , dis-jc
à madame de Lur{ày , vous ne m'auriez pas
trouve engagé. Oh ! je le croîs, répondit-elle
iâns me regarder. Si vous le vouliez même ,
continuai-je.... Non, afTurément, interrom-
pit-elle, je ne veux rien. Je ne mérite pas le
moindre des (acrifices que vous voudriez me
faire , & n'en accepterai aucun. Vous penfiez
diflferemmcnt tout à l'heure , repris-je , &
j ai cru pouvoir..,. Eh bien l interrompit-elle
encore , je penibis fort mal , & je m'en fuis
corrigée. A ces mots, elle me quitta, & me
laiflà d'autant plus piqué que je croyois
m'être compromis, en la priant d'une chofe
qu'un moment auparavant j'avois refufë
d'elle , & que j'avois vainement abaiffê mon
orgueil.
Quelque intérêt que j'euflè à né point
quitter Hortenfè , j'imaginai qu'il fklloit le
faire céder à ce que je croyois me devoir à '-
moi-même, & que mon amour .m'avoit >
même engagé trop loin ; aind ne pouvant
me pardonner d'avoir donné à madame de
Lurlày lieu de penfer qu'elle me mortifioit ,
je les laiflai panir , défefpéré qu'Horteniè ,
qui n'avoit feulement pas daigné me parler^
n'eût pas été témoin de mes dernières dé-
marches auprès de madame de Lurfay , 6c
qu'elle pût attribuer mes refus à mon amour
pour ntiadame de Sénanges, Ilsétoient déjà
M4 <E tr lr n ï 1
loin , ^e ^e n'écois pas encore fbrtl du tttm»
l>le où cette iituâtion m'avoit plongé» Revenu
^fin à^moi'inêniev^ je ^retournai chez moi »
tnédker piolbndéziaent fur des minuties ,
'pcnfer feux for tout ce ig[ui m'airivoit. Se
^'affliger îoiqu'au retour aHortenfè.
Quoique je fkflè qu'elle devoit èae deùt
^ours à la campagne » j'envoyai le lehdemaift
(avoir fi elle n'étoit pas revenue. Tourmenté
ipar mon impatience & ima jalûufie ^ le ]om
^'aprèsfy md moi-même > & ne k croavanc
|»s, je fus cenff^is tenté dédier la loindre)
mais plus vain encore que je n'étois anu>u-
veux ,1a crainte de feâe croire à miadame de
Luriay que je ne pouvais fupporter ibnab*
lènce» Tempotta^ 6c malgré mes terreurs «
me fit refter.
. J'étois à peine rentré qu^on m'annonça
Veriac. Quelqae occupé que \e futfe de tnoa
amour > la fbUtude \ laquelle je m'étoi^ con-
damné ^ m'ennuyoit, & je ms charmé de le
Yevoit. 5e viens &voir, me dit-â» ce que
vous feites deptiis detii joujrs. Il n'y a pas
d'endroit dans Paris que je n'aie parcoura
uns vous y rencontrer, je luis, répondis^je,
de la plus mauvai^ humeur du monde. Les
amaiits heureux ont-ils du chagrin, me de-
manda-t-il ? je ne fuis pas f^çhé de vous voit
iènfible à l'ablèh^e dé madame de Séiianges>
mais vous devez être fî (ux d'être aîmé.....^
Ah ! Ciel<, m'écriai-^je. Cette exclamation
tragique me confond ^ interrompit-il à Ton
tour, eft«<e qu'on ne vOus auroit pas encore
^Aerhî^Non, alHirément» répondis- je, 2 n'y
a que deusx jours qu'cUe-eft partie, & vou»
(avez qu'eUeivdoitm'écrirequ'àtonxctour
ici. Cela eft vrai, répartit-il , mais je n'-cii
fuis jpas moins fuxpris que vous n's^ez en-
core entendu parler de .rien. Avant-^hier on
vous demanda la^permiiSon de vous écrire ,
r& dans toutesies règles, vous auriez déjàdà
^recevoir -quelques billcis. Ccft ^une jèmme
rchacmance :que madame de Sénanges l Oit
n'a jamais avec elle, ni lottes réflexions,. ni
lenteurs aiflèâtées à craindre. £n on in(bint »
ion eiprit a tout apperçu, ion coeur a tout
(ènti. <2ç ne ïèroit pas, rçpris-je, c&qui me
3a (èroit akaer davantage. Un peu d'indéci-
iîon y quand il Vagît du choix d'un amant »
iied , je crois , mieux 1 une ièmme que
•cette précipitation dont vous ïàvcz fi ixMi
^ré à madame de Sénanges. Autrefois , dit**
il, on penfbit comme vous , mais les temps
ibnt changés, l^ous parlerons là dellus plus
^ loifir 'y revenons à madame de Sénanges,
Après les eïpérances que vous lui avez don«
tiées^ & les foins que vous lui avez Tendus»
votre indifférence m'étonne. Moi 1 m'éçriai«*
je , je hii ai donné des efpérances } Mais (an»
doute , répondit-il froiaernem , quand un
liomme de votre âge va chez une iemme
comme madame de Sénanges , paroît en pu-
blic avec cfle, & laiflè étwlir un commerce
de Içtores , il faut bien qu'il ait iès raiibns»
Communément on ne fak point ces chofès-
& fans idée Elle doûccroireque vous l'adorez^
tid (B u T H IS ^
Ce qu'elle croit m'importe peu , repiîs-
)e , je fàorai la détromper. Cela ne fera pas
honnête , reuartit'-il , & vous la mettez en
droit de (è plaindre de vos procédés.
Il me (èmble , répondis-je , que je fuis
plus en droit de me plaindre des fîens. A
propos de quoi jpeut-elle croire que îe lui
dois mon cœur } Votre coeur ! dit-il ; jargon
de roman. Sur quoi fuppofez-vous qu'elle
TOUS le demande ? Elle cft incapable d'une
pféteiKion (î ridicule. Que demandc-t-ellc
donc ? répondis-je. Une forte de commerce
intime, reprit-il, une amitié vive quireflcm-
ble à l'amour par les plaifirs , fans en avoir
les fottes délicateflcs. C'eft, en un mot,di
goût qu'elle a pour vous, & ce n'eft que du
goût que vous lui devez. Je crois , répliquai-
je , que" je le lui devrai long-temps. Peut-
être , dit-il , la raifon vous éclairera fur une
répugnance- fi mal fondée ; madame de Sé-
nanges ne vous infpire rien ^ préfcnt i mais
vous ne pouvez pas empêcher qu'inceflam-
ment elle ne vous paroifle plus aimable. Ce
fera maîgré vous, mais cek fera, ou vous
renoncerez à toutes fortes de bieiuéances &
d'ufàges.
Jq fuis, quoi que vous en difiez, répon-
dis-je , très-certain que cela ne fauroit être.
On penfera de moi ce qu'on voudra , il eft
décidé que je n'en veux point. Je le vois avec
une extrême idoukur , reprit-il, il ne nous
refte fculefnent qu'à examiner fi vous av»
laifon de n'en pas voidoir. Mais , vous, lui
demandai-jc ,
<lemandai-je, la prendriez-vous ? Si j'étois ,
dit- il , aflez infortuné pour qu'elle le voulût,
je ne vois pas que je puflè faire autrement ,
& par mille raifbns cependant je pourroîs
m'en difpenfèr. Eh i pourquoi pourrois-jc
m'en difpenfèr moins que vous ?
Vous êtes trop jeune , me répondit-îl ,'
pour ne pas avoir madame de Sénanges.
Pour vous , c'eft un devoir ; fi je la prenois ,
moi, ce ne feroit que parpolitelle. Vousavez
aftuellement befbin d'une femme qui vous
mette dans le monde , & c'eft moi qui y met
toutes celles qui veulent y être célèbres. Cela
feul doit faire la différence de votre choix 6C
du mien.
Permettez-moi une queftion , lui dîs-je >
ne fbyez mênae pas furpris fi dans le cours
de cettevconverCition , je vous en fais quel-
ques-unes. Vous me dites des chofes qui me
font trop nouvelles , pour que je les làififlc
d'abord comme vous le voudriez. Vous
devez d'ailleurs vous attendre à me trouver
incrédule, auffi fbuvent que vous m'étou-
nerez.
Comme je n*aî d'autre but que celui' de
vous inftruire , je me ferai toujours un vrat
plaifir d'éclaircir vos doutes , repartit-il , &:
de vous montrer le monde tel que vous de-
vez le voir. Mais pour nous livrer plus librc^
ment à des objets qui , par leur étendue Se
leur variété pourront nous mener loin , je
voudrois que nous allaflîons chercher qutl-
«t^e promenade foUtairc , où nous pulïîoii*.
n'être pas interrompus , & je croîs que
Tétoile pourroit .convenir à notre deflèin.
J'approuvai fort idée , & nous partîm©.
Nous ne nous entretînmes en chemin que
de chofès indifférentes, & ce ne fut qu'en
arrivant à l'étoile que nous commençâmes
une converlation , qui n*a que trop influé
fur les aâions de ma vie.
Vous avez piqué ma curiofîté, lui dis-je ,
voudriez-vous la (atisfàire ? N'en doutez pas,
répondit-il, je forai charmé de vous inftmire.
Il y a des chofos qu'on ne peut ignorer long-
temps fans une forte de honte , parce qu'elles
renferment la foience du monde , & que fins
elle , les avantages que nous avons reçus de
la nature , loin de nous tirer de l'obfourité ,
tournent fouvent contre nous. Je fais que
cette foience n'efl, à proprement parler,
auuii amas de minuties, & que beaucoup
e fes principes bleffont l'honneur & la rai-
fon j mais en la méprifànt , il faut l'appren-
dre , & s'y attacher plus ou'à des connoif-
iànces moins frivoles , puiuiu'à notre houte,
îl efl moins dangereux de manquer par le
cœur que par les manières.
Vous rêvez déjà , continua-t-il. Ce n'cft
pas , repartis- je , que je ne vous prête une
extrême attention , mais ce ton fcrieux me
paroît fi peu fait pour vous , que je ne puis
revenir de la furprife qu'il me caufo. Je vous
trouve philofophe, vous.,.. ! Ceffoz de vous
en étonner , interrompit - il ; mon amitié
jpour vou§ ne m'a pas permis de vous txota*
1>E CrebilloKj Vît 3, iiy
pcr long-temps , & le befbin que vous avea
d^êtrc inftruit , m'a contraint de vous mon-
trer que je fais penfer & réfléchir. Je -me
flatte au refte , que vous fàurez me gardet
le fècret le plus inviolable fur ce que je vous dis,
& fur ce que je vais vous dire. Quoi i luî
dis-jc en riant , vous pourriez être fiché que
je diflè , Verjûc fait penfer ? Sans doute ,
réplîqua-t-il fon ufrîeufement , & vous lau-
Ycz bientôt pourquoi il m'eft important que
vous ne le dilîez pas. Revenons à vous.
Je me fuis apperçu avec furprifc en mille
occalîons , que le monde vous étoit abfblu-
ment inconnu. Quoique vous fbyez fort
jeune , vous êtes d'un rang à n'avoir pas
dû confcrver jufques à préfènt, les préjugés
que je vous trouve. Je ne puis fur-tout m'éton-
ner aflcz que vous comioilTîez fi peu les fem-
mes. Les réflexions que j'ai faites fur elles ,
pourront vous être utile. Ce n'cft pas cepen-
dant que je me flatte que vous puillîez mar-
cher iurement d'après mes fèuls préceptes ?
mais du moins ils affaibliront en vous des
idées qui retarderoîent long-temps vos lu-
mières , ou vous empêcheroient peut-être à
jamais d'en acquérir.
Quelque néceflaire que vous (bit la con-
noifïance des femmes , elle n'efl: cependant
pas la feule à bquelle vous deviez vous borner.
Celle des ufàges , des goûts , & des erreurs
de votre fiecle , doit partager vos foins , ayec
cette différence , qu'il vous fera facile de
vous former des femmes l'idée que vous c%
' K 1
J.10 Œ U T K E f
devez avoir , & qu'après l'étude la plus opi-
niâtre , vous ne connoîtrez peut-être jamais
le refte parfaitement,
. C'eft une erreur de croire que l'on puiflè
conlerver dans le monde cette innocence de
moeurs , que l'on a communément quand
on y entre , & que l'on y puific être toujours
vcnueux , & toujours naturel, {ans rifquer
(a réputation ou (à fortune. Le cœur , &
l'efprit font forcés de s'y gâttr , tout y eft
mode & afïèdation. Les verms , les agré-
ments & les talents y font purement ar-
bitraires , & l'on n'y peut réullîr qu'en fe
défigurant fans ceflè. Voilà des principes que
vous ne devez jamais perdre de vue § mais
ce n'eft pas aflèz de (avoir que pour réuflîr
îl faut être ridicule , il faut étudier avec foin
le ton du monde où notre rang nous a placés ,
les ridicules qui conviennent le plus à notre
état , ceux , en un mot, qui font en crédit;
& cène étude exige plus de finefle 8c d'at-
tention qu'on ne peut l'imaginer.
Qu'entendez-vous , lui dcmandais-je , par
des ridicules en crédit ? J'entends, reprit-il ,
ceux qui , dépendant du caprice y font fu jets
à varier , n'ont comme toutes les modes ,
qu'un certain temps pour plaire , & qui pen-
dant qu'ils font en règne , effacent tous les
autres. C'eft dans le temps de leur vogue
qu'il faut les faifir y fouvent il y a aufC peu
de fruit à les prendre , lorfou'on commence
à s'en dégoûter , que de rifque à les garder,
lorfqu'ils Cqvx abiQlumcnt profcrits. Maig
Kk
Dï CaebillôK, îltS, lit
qaand on fait , lui dis-je , que ce qui recne
cft un ridicule , comment peut-on le rélôu*
dre à le prendre ?
Bien peu de gens , rëpondit-îl , font aflêz
en état de réfléchir , pour favoîr ce qui en
cft ; & ceux qui penfent , (è livrent fouvent ,
même par réflexion , aux erreurs qu'intérieu-
rement ils condamnent le plus. Vous dirai-je
davantage ? Ç'eft prefque toujours à ceux
d'entre nous qui raifonnent le plus profon-
dément, que Ton doit ces opinions abfuides
qui foilt nonte à Tefprit , & ce maintien
af&âé qui gâte & contraint la figure. Moi ,
par exemple , qui fuis l'inventeur de prefque
tous les travers qui réuflîficnt, ou qui du
moins lespcrfeftionne , penfez-vous que je
les choififlc , les entretienne , & les varie ,
uniquement par caprice , & fans que la con-
noiflànce que f ai du monde , règle & con-
duifè mes idées là-defluè ? Sans (avoir , ré-
pondîs-je , toutes les raifons qui peuvent vous
déterminer , je conçois que vous n'imaginez
des ridicules que parce que vous les croyez
des moyens de plaire dans la fociété.
Oui , je le crois , répliqua-t-il : la façon
dont j'ai pris dans le monde eft , je penfè ,
une aflèz bonne preuve que je ne me trompe
pas , & que ce n'eft qu'en fuivant mes tra-
ces, qu'on peut parvenir à une auffi grande
réputation. Ne ioyez point , au refte , arrêté
par le nom que je donne aux chofès qui font;
en poffeflion de fëduire : tant qu'un ridicule
plaît 9 il eft grâce , agrément , efprit , Se cof
K 5
kii (B V V n z s
lî'eft que quand , pour l'avoir ufé , on s*cn
laflè y qu'on lui donne le nom qu'en effet ii
mérite.
Mais , lui dis-je > à quoi s'apperçoit-on
3u'un ridicule commence à vieillir ? Au peu
c cas que les femmes en font , répliqua-
t-il. CVft, je crois, une étude, bien pénible,
que celle que vous me prefcrivez , répondis-
je. Non , reprit-il , l'on ^ut réduire Tart de
plaire aujourd'hui à quelques préceptes aflèz
peu étendus , & dont la pratique ne fbuf&c
aucunes difficultés. Je fîippbfe d'abord, &
' avec allez de raifbn ,, ce me fèmble , qu'un
homme de notre rang , & de votre âge , ne
doit avoir pour objet que de rendre (on nom
célèbre. Le moyen le plus fîmple, & en
même temps le plus agréable pour y parve-
nir , eft de paroître n'avoir dans tout ce qu'on
fait que les femmes en vue , de croire qu'il
n'y a d'agréments que ce qui les fëduit, &
que le genre d'efprit gui leur plaît , quel
qu'il fbit , eft en effet le Icul qui doive plaire.
Ce n'eft qu'en paroillànt fbumis à tout ce
qu'elles veulent , qu'on parvient à les domi-
ner. Je puis aifément vous faire convenir de
cette vérité j mais avant que de vous parler
des femmes , j'ai quelques confeils à vous
donner fur le chemin que vous devez pren-
dre pour plaire dans le monde. Confeils
fondés , au rcfte , fur ma propre expérience.
Il faut d'abord fe perfuader , qu'en fuivanc
les principes connus , on n'eft janaais qu'un
hommt ordinaire ^ que l'on ne paroit neuf
DE CRlÊBlLtOKjFltS. 11^*
/qu*en s'en écartant : que les hommes n'ad-
mirent que ce qui les frappe ; & que la fin-
guiarité feule produit cet effet fur eux. Otk
ne peut donc être tropfingulier, c'efl-à-dire ,
qu'on ne peut trop a&fter de ne reflèmbler
à perfbnne y fbit p^r les idées , fbit par les
laçons. Un travers que l'on poflède fèul fait
plus d'honneur , qu'un mérite que l'on par-
tage avec quelqu'un.
Ce n'efl pas tout ; vous devez apprendre
à déguifcr fî parfaitement votre caraétere ,
que ce foit en vain qu'on s'étudie à le dé-
mêler. Il faut encore que vous joigniez à
l'art de tromper les autres ^ celui de les pé-
nétrer y que vous cherchiez toujours fous ce
qu'ils veulent vous paroître , ce qu'ils font
en effet. C'eft auflî un grand défaut pour le
monde , que de vouloir ramener tout à fbn
propre caraûere. Ne paroiffèz point ofïènfé
des vices que l'on vous montre , & ne vous
vantez jamais d'avoir découvert ceux que
l'on croit vous avoir dérobés. Il vaut fbuvenc
mieux donner mauvaifè opinicMi de fbn ef^
prit , que de montrer tout ce qu'on en a ;
cacher fous un air inappliqué & étourdi , le
penchant qui vous porte à la réflexion., ôc
làcrifier votre vanité à vos intérêts. Nous n«
nous déguifbns jamais avec plus de foin que
devant ceux à qui nous croyons l'cfprit d'exa-«
men. Leurs lumières nous gênent. En nous
moquant de leur raifbn , nous voulons ce-
pendant leur montrer qu'Us n'en ont pas plus
que nous. Sans nous corriger ^ ils nous for»
K4
ii4 CE Û T m s I
cent à diflîmuler ce que nous ibmmes , &
nos travers font perdus pour eux. Si nous
étudionsles hommes , que ce /bit moins pour
prétendre à les inftruire y que pour parvenir
à les bien connoître. Renonçons à la gloire
de leur donner des leçons. Paroifibns quel-
quefois leurs imitateurs y pour être plus iu*
rement leurs juges ; aidons -les par notre
exemple, par nos éloges mêmes , à fe déve-
lopper devant nous , & que notre e{prit ne
nous {èrve qu'à nous plier à toutes les opi-
nions. Ce n'eft qu^en paroiflâni fe livrer toi-
même à Timpertinence , qu'il n'échappe rien
de celle d'autrui.
Vous me femblez vous contredire , in-
terrompis -je > ce dernier précepte détruit
l'autre 5 fî ]e deviens imitateur, je ccfic
d'être fiiigulier.
Non , reprit -il 5 cette (buplcfle d^elprit que
je vous confeille , n'exclut pas la fingularitc
que je vous ai recommandée! L'une ne vous
eft pas moins néceflaire que l'autre y fans la
Eremiere , vous ne frapperiez perfpnne } fans
t féconde , vous déplairiez à tout le monde ,
ou du moins , vous perdriez Iç fruit de
toutes les obfervationsque vous feriez. D'ail-
leurs , on n'efl jamais moins à portée de de-
venir ce que vous êtes , que lorfque vous
paroiflez être tout, & un génie Tupérieur fait
embellir ce que les autres hii foumiffcnt, &
le rendre neuf à leurs yeux mêmes.
Une chofè encpre extrêmement néceflaire,
c'en de ne s'occuper jamais que du foin de
Dt CuiBlLtôH, fil S. lif
fc faire valoir. On vous aura dit ^ peut-être
même aurez-vous lu , que celui de faire Ta*-
loir les autres , eft plus convenable ; mais il
me femble qu'on peut s'en repofcr fur eux ;
& pour moi , je n'ai encore vu perfonnc ,
quelque modeftie qu'il affeûât , qui ne trou-
vât toujours en fort peu de temps le fecret
de m'apprendre à quel point il s'eftimoit , &
combien je devois l'eftimer moi-même.
De toutes les vertus , celle qui , dans lé
monde , m'a toujours paru réuflîr le moins
à celui qui la pratique , c'eft la modeftie»
Ne fbyons pas intérieurement prévenus de
notre mérite j je le veux : mais paroiflbns
l'être : qu'une certaine confiance foit peinte
dans nos yeux , dans nos tons , dans nos
geftes 5 & jufques dans les égards que nous
avons pour les autres. Sur-tout , parlons tou-f.
jours y & en bien de nous-mêmes : ne crai-
gnons point de dire & de répéter , que nous
avons un mérite fupérieur. Il y a mille gens
à qui l'on n'en croît , que parce qu'ils ne
ceflent pas de dire qu'ils en ont. Ne vou*
arrêtez point à l'air de froideur & de dégoûc
avec lequel on vous écoutera , au reproche
même qu'on vous fera de ne vous perdre
jamais de vue. Tout homme qui vous oH^me
de trop parler de vous , ne le fait que parce"
aue vous ne lui lailïèz pas toujours le temp^
e parler de lui : plus modefte , vous feriez
martyr de (a vanité. Je ne fais d'ailleurs, fî
quelqu'un qui entretient les autres de ce qu'il^
croit valoir , eft plus blâmablç que celui qui ,*'
K5
^li lE 9 V K I f
en fc taî/ànt fiir lui-même , penfe qu*il fâît
«n fàcrîfice à la fociété , & s'il n'y a pas bien
de l'orgueil à fè croire obligé d'être modefte.
Quoi qu'il en foit , il eft plus fur de fubju-
guer les autres , que de leur immoler fans
cefle les intérêts cfe notre amour-propre. Le
trop grand defir de leur plaire, fuppofc le
befoin qu'on en a. Us ne (ont jamais plus
portés à nous juger avec fêvérité que lorf-
qu'ils nous voient chercher fervilement à
nous les rendre favorables. C'efk avouer que
nous croyons qu'un homme nous eft fupc-
rieur , que d'être timide devant lui. Cette
crainte de lui déplaire, même en le âattant>
ne nous le gagne pas. L'hommage que nous
lui rendons, l'enhardit à nous trouver des
défauts, fur Icfquels, fans nos ménagements
-pour lui, il n'auroit peut-être jamais of^
porter fes yeux : il cfl vrai qu*ii veut bien s'y
prêter, mais la bonté avec laquelle il les
cxcufe , eft une injure pour nous , que plus
de confiance en nous-mêmes nous auroit
épargnée. Cet orgueilleux qui poufle la fcd-
lité jufqu'à vouloir bien nous raflurer, qui
en blâmant nos vices , nous èftime afièz peu
|)Our ne plus nous difCmuler les fiens, fè fè-
x-^it cru trop heureux d'obtenir de nous l'in-
dulgence qu'il nous accorde, fî nous n'avions
|»as cru avoir befbin de la (ienne.
Ce n'eft pas là le fèul inconvénient o4
nous jette la timidité : je ne prétends pas
vous parler ici de celle qui ne vient que da
jpeu d'ufage que l'on a du monde ^ & qui ne
B E C R E É I I I 6 ir , f I t s. 217
gène l'efprit & la figure , que pour peu d^iiiC.
tants j mais de cette timidité, qui naiflànt,
ou du peu de connoiflànce que nous avons
de nos avantages, ou du trop de cas que
nous fàifbns de ceux des autres, nous jette
dans le découragement , nous rend fon in-
férieurs à nous-mêmes , & nous donne pour
maîtres , ou nous rend égaux du moins des
gens que la nature a placés au defibus de
nous.
Vous ne {auriez donc trop prcfumer de
vos forces , ni affoiblir afTez celles des autres.
Gardez -vous (ur-tout de vous faire du
monde une trop haute idée : n'imaginez pas
que pour y briller , il faille être doué d'un
mérite fupéricur : fi vous le croyez encore ,
examinez-moi , voyez, ( car je vais me don-
ner pour exemple, & cela m'arrivera encore
quelquefois) voyez ce que je deviens qu^d
je veux plaire : que d'affeéfcations, de grâces'
forcées , d'idées frivoles l dans quels travers,
enfin ne donnai-je pas ?
Pcnlez-vous que je me (bis condamné
fuis réflexion au tourment de me dégui(èr
f ms cefïè ? Entré de bonne heure " dans le
monde , j'en faifis aifément le faux. J'y vis '
les qualités (blides pro(crites , ou du moins
ridiculifées ; & les femmes, (euls juges de
notre mérite , ne nous en trouver qu'autant
que nous nous formions fur leurs idées. Sur
que je ne pourrois, (ans me perdre, vouloir
réfifter au torrent , je le fuivis. Je {acrifiaî
tout au frivole 3 je devins étourdi , pomf
r
1
?<
tit Œ tr V n t I
paroître plus brillant ; enfin, je me cr^ffe*
vices dont j'avois befbin pour plaire : une
conduite fi ménagée me réufïît.
Je fiiis né fi différent de ce que je parois ,
que ce ne fut pas (ans une peine extrême ,
ue je parvins à me gâter Teiprit, Je rougif-
bis quelquefois de mon impertinence : je ne
médiibis qu'avec timidité. J'étois fat, à la
vérité, mais faiis grâces, (ans brillant, tel
3ue beaucoup d'autres , & bien loin encore
e cette fupériorité, qu'en ce genre, depuis,
je me fuis acquife.
Il eft fans doute aifé d'être fat , puîlcfue
quelqu'un qui craint de le devenir, a befoin
ce veiller fans cefïe fur lui-même , & que
cependant il n'y a perfonne qui n'ait fa forte
de fatuité , mais il n'efl pas fi facile d acqué-
rir celle qu'il me falloit : cette fatuité auda-
cicufe & finguliere qui , n'ayant point de
piodele , foit feule digne d'en fervir*
Car quels que foient les avantages de k
fatuité, il ne faut pas croire qu'elle feule
réuflîfïè, & qu'un homme qui efl fat de
bonne foi , & fans principics, aille auffi loin
que celui qui fait raifonner fur fa fetuité , .
éc qui occupé du foin de féduire, & en
poufïànt l'impertinence auffi loin qu'elle
peut aller, ne s'enivre point dans fès fîic-
ces , & n'oublie point ce qu'il doit pen-
fer de lui-même. Un fat dont l'efprit efl
borné , & qui fç croît vçritablement tout le
mérite qu'il fe dit, ne va jam^^isau grand.
Xqu$ ne fauriez imaginer combien il ùiat
»E CREBIttON^FîLS. Xl^
hvair d'efprit pour fe procurer un fuccès
brillant & durable , dans un genre où vous
avez tant de rivaux à combattre , & où le
caprice d'une feule femme fuffic fouvent
pour fiire un nom à l'homme du monde le
moins fait pour être connu. Combien de
pénétration ne faut-il pas avoir , pour (aifir
le cara£kere d'une femmç que vous voule»
attaquer , ou ( ce qui eft infiniment plus
flatteur , & ne kifle pas d'arriver quelque-
fois ) que vous voulez réduire à vous parler
la première ! de quelle juftçflè ne faut-il pas
être doué , pour ne pas fe tromper à la forte
de ridicule que vous devez expofèr à Cts
yeux » pour la rendre plus promptement
{enfîble ! de quelle finefle n'avez-vous pas
befpin pour conduire tout à la fois plufieurs
intrigues , que pour votre honneur vous ne
devez pas cacher au public, & qu'il faut
cependant que vous dér(S(biez à chacune des
femmes avecvqui vous êtes lié l Croyez-vous
qu'il ne faille pas avoir dans l'efprit bien de
la variété , bien de l'étendue , pour être tou-,
jours , •& fans contrainte , du caractère que
l^inftant où vous vous trouvez, exige de vous j .
tendre avec la délicate ; fcnfuel avec la vo-
luptueufe \ galant avec la coquette. Etre pat
fionné fans fentiment , pleurer fans être
attendri, tourmenter (ans être jaloux : voilà
tQus les rôles que vous devez jouer y voilà ce.
que .vous devez être. Sans comptçr qncore
que vous ne pouvez avoir trop d'uj&ge du
HM^nde^ pour. voir une femme teÇe qu'elle >
ti^O ŒUVRES
cft, jnalgré le foin extrême qu'elle apporte
à fèdéguifer, & ne croire pas plus à la Aude
vertu que fouvent elle oppofe , qu'à l'envie
qu'elle témoigne de vousgarder, lorfqu'ellc
s'eft rendue.
Ce détail eft étonnant , lui dis-je , il m'ef-
firaie, je fens que je ne pourrai jamais en
porter le poids. J'avoue , reprit-il , qu'il n'eft
{>as fait pour tout le monde , mais j'ai meil-
eurc opinion de vous que vous-même , &
je ne doute pas que je ne vous voie bientôt
panager avec moi l'attention publique. Mais
continuons.
Je vous ai dit que vou$ ne pouviez point
trop parler de vous : à ce précepte j'en ajoute
un que je ne crois pas mqiiis néceflàire ; c'eft
qu'en général , vous ne pouvez aflèz vous
emparer de la convcrfàtion. L'eflentiel dans
le moftde.n'eft pas d'attendre pour parler que
J'imagination foumiflè desjdées. Pour briUer
toujours on n'a qu'à le vouloir.
L'arrangement, du plutôt l'abus des mots^
tient lieu de penftes. J'ai vu beaucoup de
gens ftériles, qui ne pcnfoient, ni ne raifon*
noient jamais , à qui la juftefle & les grâces
font interdites, mais qui parlent avec un air
de capacité , des chotes mêmes qu'ils con-
noiflcnt le moins , joignent la volubilité à
l'imprudence, & mentent auflî fouvent qu'ils
j-acontent , l'emporter fur des gens de beau-
coup d'efprit, & qui modeftes, naturels Se
vrais, méprifoient également le menfonge
êc le jargon. Souvenez-vous donc que h ma»
DE Cr EBILLOK 9 VILS. IJt'
tdeftie anéantit les grâces & les talents ; qu*eti
fbngeant à ce que Ton a à dire , on perd le
temps de parler , & que pour perfuader il
fcut étourîr.
Je me fbuvîens , lui dis - je , d'avoir vu
quelquefois de ces gens que vous venez de
me dépeindre ; mais loin qu'ils pluflent , it
me femble qu'on les accabloit de tout le mé-
pris qu'on leur doit, & qu'on les trouvoic
auflî infupportables qu'ils le font.
Dites, répondit-il, qu'on blâmoît leurs
travers, qu'on en rioit mêiAe 5 mais que mal-
gré cela , ils né pluflent pas , l'cxpâîence y
eft totalement contraire. Voilà l'avantage
des ridicules , c'eft de (eduire & d'entraîner
les personnes mêmes qui les blâmeat le plus.
De tous ceux qui rçgnent aujourd'hui , le
fracas eft celui qui en impole plus générale-
ment, & (ur-tout aux femmes. Elles ne re-
gardent jamais comme vraies paffions que
celles qui commencent par les enlever à elles-
mêmes. Ces attachements que l'habitude de
fc voir forme quelquefois , ne leur paroiflènt
prefque toujours que des afl&ires de conve-
nance, dont elles ne croient devoir s'occuper
que médiocrement. L'impreffîon qu'on ne
leur fait qu'avec lenteur , n'agit jamais fut
elles avec vivacité. Il faut , pour qu'elles ai-
ment vivemient , qu'elles ne (àchent pas ce
qui les a déterminées à la tendrcflc. On leur
a dit qu'une paflîon , pour être forte , devoir
commencer par un trouble extrême , & il y
« trop long-temps qu'elles le croient ^ pour
iji CE tr V R E «
pouvoir imaginer qu^ellcs reviennent Ja*
Xïiais de cette idée. Rien n'eft ,plus propre
à faire naître dans leur ame ce trouble en-
chanteur y que cette ivreflc de vous-mênie ,
qui vous faifànt tout hafarder, anime les
grâces de votre perfonne , ou en couvre, les ^
défauts. Une femme admire , s'étonne , s'en-
chante , & parce qu'elle iè refufe à la ré-
flexion , croit que ce font vos charmes qui
ne lui en laiflcnt pas le temps. Si par halard
elle Congé à la rélîftance qu'elle pourroit
vous faire , ce n'eft que pour mieux fè per-
fuader qu'elle feroît inutile , & qu'on n'en
doit point employer contré quelque choie
d'auflî jfbrt, d'auflî imprévu, d'auffi ex-,
uaordînaire, enfin, qu'un coup de lympa-
thîe. Prétexte aflèz bien imaginé dans le fond ^
pour fe rendre promptçment , fans donner
mauvaifè opinion d'elles ; puiCju'il n'y z
point d'homme qui ne (bit plus flatté d'inf-
pirer tout d'un coup un amour violent , que
de le faire naître par degrés.
Quels que fbicnt , lui dis- je , les avanta-
ges que l'on peut retirer d'une iinpudence
lans bornes , je doute que je puifle jamais
adopter un fyftême qui m'obligeroit à' cacher
les vertus que je puis avoir, pour me parer
des vices que je n'aurois pas. Ce que vous
venez de dire , eft parfaitement beau quanr
à la morale , reprit-il ; mais le monde & elle,
ne s'accordent pas toujours, & vous éprou-
nerez que le plus fbuvent, on ne réuflît dans
J'un >.qu'aux dépens de l'^utrç. Il vaux mieux
tncorc un coup , prendre les erreurs de fbn
fïecle , ou du moins s^ plier, que d y mon-
trer des vertus qui y paroîtroient étrangères,
ou ne feroient pas du bon ton.
Du bon ton l repris - je. Vous ne Ùlvcz
peut-être pas encore ce que c*eft ? repartit-il,
tfun air railleur. Je vous avouerai , lui dis-
je , qu'on m'a fouvent ennuyé de ce terme ,
& d'autant plus , qu*on n'a pas encore pu
me le définir. Ce ton de la bonne compa-
gnie, fi célèbre, en quoi confifte-t-il ? Les
gens qui le veulent par-tout, & le trouvent
à fi peu de perfonnes , & dans fi peu de
chofes , l'ont-ils eux-mêmes ? Qu'cft-ce enfin
que ce ton ?
Cette queftion m'embarraflfe , répondit-il.
C'eft un terme , une façon de parler dont
tout le monde fe (èrt , & que pcrfbnne ne
comprend. Ce que nous appelions le ton de
la bonne compagnie, nous, c'eft le nôtre,
& nous fommes bien déterminés à ne le trou-
ver qu'à ceux qui penfciit , parlent & agiflent
comme nous. Pour moi , en attendant qu'on
le définifle mieux , je le fais confifter dans
la nobleflê .& laifànce des ridicules , & je
vais , en vous difànt tout ce qu'il faut pour
avoir le ton de la bonne compagnie, vous
mettre en état de juger fi ma définition effr
jufte.
Une négligence dans le maintien , qui ,
chez les femmes , aille Jufques à l'indécence ,
& paflè chez nous , ce qu'on appelle aifànce
3c liberté. Tons ôc manières afleâées , foit
1^4 Iffi TT V H E s
daiis la vivacité , fbit dans la langueur. L'et
prît frivole & méchant , un difcours entor-
tillé , voilà ce qui , ou je me trompe fort ,
compoie aujourd'hui le ton de la bonne com-
pagnie ; nuis ces idées (ont trop générales
pour vous, étendons-les.
Quelqu'un qui veut avoir le ton de la bonne
compagnie , doit éviter de dire foUveht des
choies penfèes : quelque naturellement qu'il
les exprime , quelque peu de vanité qu'il en
rire , on y trouve une afïc<Skation marquée
de parler autrement que tout le monde , &
Ton dit d'un homme qui a le malheur de
tomber dans cet inconvénient , non qu'il a
de refprit , mais qu'il s'en croit.
Comme c'eft à la médifance uniquement
que fe rapporte aujourd'hui l'efprit du mon-
de , on s'eft appliqué à lui donner un tour
particulier , & c'eft plus à la feçon de mé-
dire qu'à toute autre chofè , que Ton recon-
noît ceux qui pofledent le bon ton. Elle ne
làuroit être ni trop cruelle , ni trop précieufe.
En général , & même lorfqu'on fonge le moins
à railler , ou qu'on en a le moins de fujet ,
on ne peut avoir l'air trop ricaneur , ni le ton
trop malin. Rien n'embarraflè les autres da-
vantage y ni ne donne une plus haute opinion
de votre enjouement & dç votre efprit. Que
votre fourire fbit méprifant , qu'une fàdc
cauflicité règne dans tous vos propos. Avec
de pareils fecours , quelque peu de mérite
qu'on ait d'ailleurs , on fe diflingue , parce
qu'on fe &it craindre , & que , dans le taon-»
de y un fot qui fe tourne vers la méchanceté ,
eft plus refpeâié qu'un homme d'efprit , qui y
trop (upérieur à ces vils objets pour dcfcen-
dre jufqu'à eux , rit en fecret des travers de
{on fiecle , & les méprifè aflcz pour ne pas
même les blâmer tout haut.
La noble négligence qu'on veut dans les
manières, quelque recommandable qu'elle
fbît , eft peu de chofe fans celle de Tefprit.
Les gens du bon ton laiflent au vulgaire , &
le foin de penfèr, & la crainte de penfer
faux. Perfuadés , d'ailleurs , que plus l'efprit
eft cultivé , moyis il conferve de naturel , ils
fe font volontairement bornés à q uelques idées
frivoles , fur lefquellcs ils voltigent fans ceflè ;
ou fî , par hafard , ils fàvent quelque chofè ,
c'eft d'une façon fî fupcrficielle , ils en font
eux-mêmes fi peu de cas, qu'il feroit impoflî-
ble de leur donner des ridicules là deflus.
Comme rien n'eft plus ignoble à une femme
que d être vertueufe , rien n'eft plus indé-
cent à un homme du bon ton , que de paflèr
pour fàvant. L'extrême ignorance à laquelle
î'ufage femble le condamner , eft cependant
d'autant plus finguliere , qu'il eft en même
temps établi qu'U ne doit héfiter fur aucune
décifion.
En effet, repris-)e , cela ne laifle pas d être
embarraflant. Moins que vous ne croyez ,
répondit-il. Une profonde ignorance avec
beaucoup de modeftie , feroit à la vérité fort
incommode ; mais avec une extrême préfomp-
tion ^ je puis vous affurer qu'elle n'a rie^ de;
î}6 • (Su V K » f
gênant. D'aîlleurs , devant qui parlez-vons
ordinairement , pour être fi inquiet (ur ce que
vous dites ? Sll eft du. ton de la bonne com-
pagnie de décider toujours , il n'en eft point
de juftifier jamais fa décifion , & la Donne
opinion que l'on a de foi- même. Ignorer
tout 5 & croire n'ignorer rien. Ne rien voir ,
quelque cho/e que ce puiflc être , qu'on ne
méprifc ou ne loue à l'excès. Se croire éga-
lement capable du fërieux & de la plaifànte-
rie -, ne craindre jamais d'être ridicule , &
l'être fans cefle j mettre de la fineflè dans Ces
tours , & du puéril dans ies idées 5 , pronon-
cer des abfurdités ^ les foutenir, les recom-
mencer : voilà le bon ton de l'extrêmement
bonnQ compagnie.
Une chofe m'embarrafle , înterrompis-je.
Comment des perfonnes qui n'ont rien ap-
pris 3 ou fe font crues dans l'obligation de
tout publier, peuvent-elles fo parler fans
celTe ? Il faut néceflairement avoir l'efprit
bien fécond pour foutenir , fans les reflburces
que fourniflent les diverfès connoifïànces ,
une converfation perpétuelle. Car enfin , jç
vois que dans le monde on ne tarit pas.
C'eft qu'on n'y a pas de fonds à épuifèr,
répliqua-t-il. Vous avez remarqué qu'on ne
tariffoit point dans le monde , ne vous feriez-
vous pas appcrçu auflî qu'on s'y parle tou-
jours fans fe rien dire ; que quelques
mots favoris , quelques tours précieux , quel-
ques exclamations , de fades fouris , de pe-
tits airs fins , y tiennent lieu de tout } Mai»
©R CnÉBILtoH, Fit S. Hf^
on y difïèrte lans celle ! repris-je/ Eh bien !
oui y répôndit-il , on y diflèrte fans raifbn-
ner , & voilà ce qui fait le fublime du bon
ton. Eft-ce que Ton peut , (ans s'apçéfàntir ,
luivre une idée ? On peut la propoler, mais
a-t-on jamais le temps de rétablir? N'eft-cc
pas même bleflèr la bienfëance que d'y fon-»
ger? Oui. La converlation ^ pour être vive ,
né i&uroit être aflèz peu fuivie. Il feut que
quelqu'un qui parle guerre , (e laifle inter-»
rompre par une femme qui veut parler {en-
timent. Que celle-ci , au milieu de toutes '
Içs idées que lui fait naître un fujet fî noble ,
& qu'elle pofïède fî-bien , fè taife pour écou-
ter un couplet galamment obfcene : que celui,
ou celle qui le chante , cède au grand regrec
de tout le monde' , k place à un fragment
de morale , qu'on fc hâte d'interrompre ,
pour ne rien perdre d'une hifloire médifànte ,
^ui, quoiqu'écoutée avec un extrême plai-
îr , bien ou mal contée , efl coupée par des
réflexions ufécs ou fauflès, fur la mufîque
ou la poéfîe , qui difparoiflènt peu à peu , 6C
font luivîes par des idées politiques fur le
gouvernement ; que le récit de quelques
coups finguliers arrivés au jeu,, abrègent
dans le temps qu'on y conipte le moins , &
qu'enfin un petit-maître , après avoir long-
temps rêvé , traverfc le cercle , dérange tout ,
{)our aller dire à une femme qui eft loin de
ui y qu'elle n'a pas afïèz de rouge, ou qu'il
U trouve belle comme un ange.
?.
ii% CE u V n É f
Voilà un portrait bien bizarre, lui dîs-jc.
Il n'en cft pas mçins reflemblant, répliqua-
t-il. Au refte, il peut vous prouver qu'il n'y
a perfbnne qui ne puîflc trouver dans la va-
nité , ou dans la ftérilité d'autrui , de quoi
(cntir moins le peu qu'il vaut, & fe (aire,
en dépit de la nature mênie , une Ibrte de
mérite qui le met au niveau de tout le mon-
de. Mais, vous, lui demandai- je, avez-
vous le ton de la bonne compagnie? Afluré-
ment, reprit-il, je le méprife, mais je l'aï
pris. Vous avez dû vous appercevoir que je
n'ofe parler devant perfbnne comme je viens
de le faire avec vous -, & quand je vous ai
prié de me carder, fur tout ce que je vous
dirois , un fecret inviolable , c'efl qu'il m'cft
d'une extrême confequence qu'on ne fachc
pas ce que je fuis , & à quel point je me dé-
guife. Je vous confeille, encore un coup,
de m'imiter. Sans cette condefcendànce ,
vous n'acquerrez que la réputation d'un ef^
prit dur, & peu fait pour la fbciété. Plus
vous refuferez de vous prêter aux travers,
plus on s'emprefïèra à vous en donner. Je ne
fuis pas le fèul qui ai ienti, que pour ne point
paffer pour ridicule, il faut le devenir, ou
le paroître du moins. Le bon ton a moins
d'admirateurs qu'on ne croît , & quelques-
uns de ceux qui fèmblent s'y livrer le plus ,
ne laiflent pas d'être perfuadés avec moi , que
pour avoir le ton de la vraiment bonne com-
pagnie, il faut avoir l'ciprit orné fans pédan-
DC CKÉBiLtOif, FUI. 1^^
terîe, & de l'élégance iàns af^dkacion , être
enjoué fans baflèflè, & libre fans indé«'
cence.
A préfcnt , ajouta-t-il , nous pourrions en
venir aux femmes ; mais la converfarion que
nous venons d'avoir enfèmblc, a été d'une
longueur fi énorme , qu'avec plus d'ordre ,
& des idées plus approfondies , elle pourroic
prefque paflcr pour un traité de morale.
Remettons-en le refte à un autre jour. Si
vous avez autant d'envie d'apprendre que
j'en ai de vous inftruire , nous (aurons aire-,
ment nous retrouver.
Au moins , lui dis-je , répondez à la
queftion que je voulois vous faire. Pourquoi
avons-nous befbin qu'une femme nous
mette dans le monde? Quelque fîmple que
cette queftion vous paroifle , elle tient à taiit
de chofcs , que je ne faurois y répondre làns
m'engager dans des détails immenfes, repli-
qiia-t-il ; je me fiiis plu à l'étude des femmes,
je crois à préfent les comioître ; je vous en
parlerois trop long-temps. Eh bien ! lui dis-je,
effleurons la matière, quelque autre jour
nous l'approfondirons. Non, reprit -il, il
m'en coûteroit tout autant , & vous ne feriez
pas bien inflruit. C'efl un fujct qu'il faeit
traiter de fuite , & qui mérite une attention
particulière.
Pour moi, lui dis- je, il me femble, que
ce n'eft pas travailler pour Ces plailîrs , que
de chercher tant à connoître les femmes.
Cette étude, quand on ne la perd pas de
14» (H 17 V H I $
vue , occupe l'efprit dans les tetnps mêmes
où le fendment feul devroit agir. D'ailleurs,
je crois qu'il vaut mieux compter trop fur
ce qu'on aime, que de l'examiner avec tant
de févérité. Vous fuppofez apparemment,
r^pliqua-t-il , que ce que l'on aime doit per-
dre à l'examen. Je connois fi peu les femmes,
répondis-je , qu'il fèroit peu convenable de
me décider fur ce que j'en dois penfcr ; mais
je crois en même temps qu'il y en a , dont je
puis, en attendant que vous m'inftruifiez,
penièr auflî mal que je voudrai. Ne me lait
fcz-vous point , par exemple, le champ libre
fur madame de Sénanges? Oh! oui, répon-
dit-il , mais vous ferez un jour bien honteux
du mal que vous m'en aurez dit , & bien
plus encore , quelque temps après , des é\o^
gcs que vous m'en aurez faits. Je prévois
tout ce qui arrivera du dégoût que vous
avez conçu pour elle , quoique fon injufte*
ment. Vous rendrez, malgré vous , jufticc
à les charmes , & qui fait fi ce n'efl point
par amour-propre que vous diflîmulez ac*
tuellemeht l'imprefuon qu'elle vous a faite?
Qui fait enfin , fi dans le temps que vous
paroiflèz fi content de fbn abfencc , &
du filence qu'elle garde avec vous, vous ne
ibupirez pasajprès fon retour, ou ne mburez
pas de douleur de fa négligence ? Si cela eft
ainfi , repris-je , il feut avouer que les tour-
ments de l'amour font bien aifcs à fbu-
tenir , car on ne peut pas être moins occupé
4ç quelque chofe, que je ne le fuis de ma--
dame
DE CRilTLtON, fit S. I4T
dame de Sénanges. Je vous avouerai cepen-
dant que je fuis furpris qu'entre deux fem-
mes, qui me paroiirent d'un é^zl mérite ,
vous ne cherchiez pas à me déterminer pour
la plus jeune , & après tout , la plus aima-
ble. Madame de Mongennes. ... Je ne m'y
oppoie aflurémentpas, interrompit-il, mai$
je ne puis en honneur vous conieiller de la
prendre ; & fans entrer dans les raifbns que
j'ai pour cela , Se qui à prélent nous mene-
roient trop loin ; je vous dirai Amplement,
que madame de Sénanges vous convient
mieux que madame de Mongennes : celle-cr
compteroit pour rien , même en vous ayant,
le bonheur de vous plaire ; l'autre ne croiroit
jamais pouvoir aflèz s'en faire honneur, & à
rage où vous êtes , c'cft à la plus reconnoif-
fante , & non à la plus aimable , que vous
devez donner la préférence.
Nous remontâmes alors en carrofle, 8c
nous employâmes le temps que nous avions
encore à être enfemble, lui, à tacher de
me convaincre du bcfbin que j'avois de
prendre madame de Sénanges , & moi à
lui perfuader que cela pe pourroit jamais-
ccre.
Je ne fus pas plutôt rentré, que (ans faire
beaucoup de réflexions à tout ce que Ver-
ûc m'avoit dit , je repris mon jçmploi or-
dinaire. Rêver à Hortenfe , m'affliger de
(on dépan , & foupirer après fon retour ,
étoient alors les feules choies dont je puflè.
i^'occuper,
Jkmc m. L
14^ Œ U V K E s
Ce jour ; fi vivement defiré , vint enfin.
J'allai chez Hortenfc , & j'appris qu'elle &
madame de Thévillc étoient revenues &
ibrties. Je crus > je ne fais pourquoi , qu'elles
ne pouvoient être que chez madame de
Lurfày , & j'y volai. Un intérêt trop vîf m'y
conduifbit , pour qu'il pût être balancé par la
crainte de la revoir , & d'ailleurs ma colère
s'étoit afïbiblie , & par le temps , & par les
réflexions que , malgré moi-même y j'avois
faites fur mon injuftice.
Il y avoit beaucoup de monde chez
madame de Lurfay , mais je n'y trouvai pas
Hortenfc. L'efpérance de l'y voir arriver , &
la certitude qu'au milieu d'un cercle fi nom-
breux , madame de Lur&y ne trouveroit pas
un moment pour nie parler, modérèrent
mon chagrin , & me firent reftcr. Elle jouoit
quand j'arrivai , & (ans paroître ni troublée,
ni émue de ma préfencc , elle ne prit avec
jnoi que les façons que je lui avois vues ,
lor(qu'il n'étoit encore queftion de rien entre
nous deux.
Après^ les premières poUtefTes qu'elle me
fit dans toutes les règles, fans embarras Se
fans affeétation, elle fc rendit à (on jeu.
J'étois auprès d'elle , & quelquefois elle me
parloit fiir les coups finguliers qui lui arri-
voient , mais d'un air détaché : elle avoit tant
de gaieté dans les yeux , je lui trouvois l'ef-
prit fi libre , que je ne pus pas douter qu'elle
ne m'eût oublié.
Les raifons ^ue j'avois de ipuhaîter fou
z> E C K É B r L X. o lir 3 ' T I s. i4§
indifférence me firent recevoir avec une ex-
trême joie, tout ce qui pouvoir me la prouver*
Tout déterminé que j'étoîs à rompre avec
elle , je ne ^vois pas comment lui dire que
je ne Taimois plus. Le refpeft qu'elle m'avoit
înfpîré , étôit en moi comme ces t>rëj«gc$
d'enfance , contre lelquels on fe révolte long-
temps , avant que de pouvoir les détruire.
Quelque chofe que j'en pcnfafle dans ce
moment , Teftime que f avois eu pour elle ^
me tyrannifoit encore , & me forçoit à lui
déguifcr mes fèntiments. Je redoutoîs fur-
tiut une explication qui ne pouvoit m'étrc
jamais que defàvancageufe , puisqu'il nV
avoir eu dans (es procédés , rien qui |nk jul-
tifier mon changement , & que j'avois à me
reprocher tous les miens. Le parti que je luî
voyois prendre , étoit donc le (èuf qui pût
me convenir; il nous faifbit rompre (ans
éclat , fans altercation , fahs lenteurs , Bc nous
délivroit , l'un & l'autre , de ces converfa-
tions fuïwftes qui brouillent (bu vent les amants
qui fc quittent , plus encore que leurs torts
mêmes.
Au milieu de tant de fujets de joîe , je
ne fais quel mouvement s'éleva dans mcii
cœur. Charmé qu'elle m'eût quitté , je ne
çoncevois pasqu'elle l'eût pu faire auffîprom p-
tement. Je craignis , à ce qu'il mè kmbla ,
que (a froideur ïie fûtaffeCfcée , & que je ne
la dufle qu'à la contrainte , que le monde qui
étoit chez elle , lui impofoit. Sans connoîcte
.beaucoupl'amour , j'imaginoisqu :lne s'éte JK
L %
144 ' m Jj y X t s
pas tout d^un coup : qu'on peut y dans un
violent accès de jalouhe , former le projet
de ne plus aimer , mais qu'on ne l'exécute
pas; que fbuvent on fc aéguife fès fènti-
mènes , qu'on veut même les cacher à l'objet
qui les fait naître : mais que cette diflunula-
tion coûte trop pour durer long-temps , &
qu'on ne fort fouvent de cette feinte tran-
quillité , que . pour éclater avec moins de
ménagement. De ce raifonnement , je con-
cluois que madame de. Lurfay pouvoir bien
n être pasauffî libre qu'elle me le paroiflbit ,
& que j'étois peut-être afïèac malheureux
pour en être plus aimé que jamais.
Pour m'en éclaircir , je l'étudiois avec
foin , & plus par Tcxamen que j'en faifois >
je trouvois de quoi m'aflixrçr que fon chan-
gement étoit réel , plus je fcntois diminuer
la joie que d'abord il m'avoit caufcc. Sans
pénétrer la caufe du trouble qui fc répandoic
dans mon ame , je m'y plongea tout entier :
je devins rêveur ; Se me croyant toujoun
charmé d'avoir perdu madame de Lur(ày ,
je ceflai cependant de lui {avoir fi bon gré
de ion inconftance.
Je me demandai enfin , quelle étoît k
force d'intérêt qui m'attachoit aux mouve-
ments d'une femme que je n'aimois plus ,
& que je n'avois même jamais aimée. En
effet , que m'importoit-il qu'elle m'eût ôtc
fon cœui , & que pouvois-je avoir à crain-
dre 3 que le malheur d'en être encore aimé ?
Ce qiiP je me difoi$ là-deffus étoiç feufé |
Se à force de me le redire , je crus avoir
triomphé de ma vanité. Ce n'étoit pas fans
deflcin que madame de Lurfay cherchoit à
la mortifier ^ & ce ne fut pas non plus fans
fucccs.
Sa partie finir : elle me propo(k de jouer
avec elle ; je l'acceptai* Mon oifivcté m'en-
nuyoit , & je me nattai que l'occupation du
jeu m'cnlcveroit à des idées qui commen-
çoient à m'être importunes. Je jouai donc ,
mais avec une diftra6kion extrême , & n'ofant
prefque jamais regarder madame de LurJay ,
dont l'air alfuré & tranquille ne fc démen-
toit pas , & qui Ce livroit avec intrépidiçé aux
remarquesqu'elle voyoit que je failbis lur elle.
Jufques-là , je pouvois croire fimplemcnt
que je n'écois plus aimé , & elle ne m'avoit
pas encore donné lieu de penfèr qu'elle en
aimât un autre.
Le marquis de ^"^^ qui jouoît avec nous ,
& qu'elle avoit ramené de la campagne , lui
parut apparemment propre à me donner de
l'inquiétude ,- elle commença à lui fourire ,
à le regarder fixement , & à lui faire enfin
de ces agaceries qui , quoique peu fortes
en elle -mêmes 5 répétées, deviennent dé-
cifives.
Sans (èxompromettre au point de lui don-
ner des efpérances , & de s'attirer imc dé-
claration dont elle aurolt été embarraflee,
elle en fit allez pour me faire croire que ,
non contente de rompre avec moi , elle cher^
L î
M^ (ft ir y R B s
choit I fe confiner de ma peite , Se qoc
ç'éxxHi aiTurément un coipmcncemcntd'avcn-
mrc. Je nç la regardois jamais que je ne
trouvaâè C^$ yeux attachés fui: le xnarquis y
8c elle ne s'appercevoit pas plutôt de l'atten-
tion avec laquelle je Y^xaniifiois , qu'elle ne
ks ramenât précipitaïqiis^nt iur fès cartes »
comme (i c'eût été à moi fur-tout qu'eUe eût
voulu cacher Tes fentiments.
Ce imncgc à la fin m'impatienta : ce n'ëtoi(
Î|a$ qu'il intéreflât xnon cœur i mais il m^
èmbloir que je jouois-là un rôle défàgréa-
ble , & qu'au moins elle auroit dû me
l'épargner. Je me fèntois pour elle un mé-
pris ! Elle m'infpiroit une indignation qu'à
peine je poi^voîs diflîmuler !
Ver lac ne m'a pas trompé , me difbis-je ,
& je ne fais pas comment on ne donne que
le nom de coquette à une femme de cette
cfpece. Jamais on n'a agi avec moins de mé-
nagement. Qu'elle ait ccffô de m'aimer , cela
efl fimple , fbn changement m'oblige , &
a Dieu ne fJaifè que je veuille le lui repro-
dier l Mais que rien ne larrête , & qu'avec
plus d'indécence qu'elle n'en peut trouver à
madaçie de Sénanges , que fans m'avoir dit
du moins qu elle vouloir rompre avec moi»
iàns que ma prçfence la contraigne , fàns^
être (urq même que je ne l'aime plus , elle
fe livre avec tant de fureur à un nouveau
goût , c'efl , \ç l'avoue , ce que je n'aurois
lamdis ofé^ inpginer. Mais elle ne m'ai fa&
DECRiBIItOK^riIS. 147
aimé , reprenois- je , je n*ai été , comme
Pranzi , & mille autres , que l'objet de Con
caprice. L'homme qui lui plaît aujourd'hui >
lui fera incomiu demain, & j'aurai bîentgc
le plaifir de lui voir un fuccefleur.
Pendant que je m'cntretcnois d'une façon
fi peu flatteufc pour elle , je ne fbngeols
point à m'obfcrver, & mon air froid &
brufijuc ne lui permettoit pas d'îgnprcr Cft
qui le paflbit dans mon cœur. Il m'éçhap-
Ïjoit des mouvements d'impatience qu'eîl^î
kvoît bien qu'ordinaircflient le jeu ne mi;
donnoit pas ^ & que je ne pouvoîs pas même
alors rejeter fur lui. Je regardois ma montre
à chaque inftant , & comme fi ce n'eût pa^
été î^ilez d'ellcjpour m'apprendre l'h/^urê qiu'il
étoit , je conmltois encore celles des autre$.
Madame de Lurfày m'interrogea deux fois >
{ans pouvoir tirer de moi rien qui réponde
à ce qu'elle m'avolt demandé. J'étois de^
.venu ftupide , & ce qu'il y a de plus ^ngijr
lier , c'eft que tout ceU fç pafloit dans n>ojpi
cœur pour une femnjei qui lem^omefnt d'gur-
paravant j'aurpis dit avec joie , rompons , n/c
nous foycms plus rien l'un à l'autre ; donc Iç
changement m'étoit néçeflfiirç , Se dont U
feule idée m'étoit importune ; Se qu'enfin çç
cœur , que fon inconftance déchiroit , étoic
tout entier à une autre.
Quelle bizarrerie ! & nous o(bns répro-p
cher aux femmes leur vanité ! Nous , qui
fbmmes fans celle le jouet de la nôtre , qu'elle
fait pafTer à fon gré de la haine à l'amour ,
L4
24^ Œuvres
& de Pamour à la haine , & qui nous fak
fâcrifier la maitrçile la plus tendrement ai-
mée , & la plus digne de Têtre ^ à la femme
du monde que nous aimons le moins ^ &
que (buvent nous mëpriibnS le jplus.
Telle étoit à peu près ma ntuatîon. Je
cédois infènfiblement à madame de Lurfày
Jans le favoîr. Pétois outré qu'elle eût pu
iî-tôt fbngtr à uit autre engagement, & ce
qui, fi j'avois fu penfer , auroit dû me dé-
tacher d'elle pour toujours , éto't ce qui la
rendoit pour mon caur plus redoutable que
jamais.
Je ne pouvoîs cependant pas dire que ce
qu'elle m'infpiroît , fût de Tamour : j'étois
entraîné par des mouvements que je ne con-
noîflbis point , & que je tf aurois pas pu me
définir ; ilsétoient violents fans être tendres,
aucun defir ne s'y mêfoit , & j'étois piqué ,
iàns être amoureux. Qu'elle eût paru knfiblc
uninftant , que je l'eulfe revu jaloufc, cm-^
portée ; qu'elle eût fait des efforts pour me
ramener ^ le charme fc fèroit difïîpé : ma
vanité, contente de l'humiliation où je l'au-
roîs vue , mon cœur n'auroit plus retrouvé
en elle qu'un objet indifférent , & peut-êtrft
méprifé.
Ce fut ce qui n'arriva pas. Madame de
Lurfày favoit combien il feroit dangereux
Eour elle de me détromper : elle n'avoir pas
efoin de m'étudier pour démêlée ce qui fe
pafibit dans mon ame. J aurpis été le premier
lur qui fon flratagême , tout ufé qu'il étoit ,
iSiaroît été fans puiflance ; mais pour qu*îl fît
tout ce qa elle en attendoit , il faUoit le
poufïcr jufques où il pouvoit aller. Je n^étois
encore qu ébranlé , & elle me vouloit
vaincu.
La partie où elle m'avoit engagé , ne fut
pas fi-tôt finie , que dans mon premier mou-
vement de dépit , je m'approcnai pour pren-
dre congé d'eue ; mais d'un air fi contraint,
qu'elle fèntit bien qu'elle n'auroit pas dé
'peine à me faire refter.
Où voulez- vous aller ? me dit-elle gaie-
ment. Quelle folie ! Il eft fi tard ! J'ai compté
far vous. Vous me défbbligcrez de ne pas
demeurer ici. Je vous défbbligerois bien plus
d'y refter, répondis-je d'un ton ému, & je
ne pars que pour ne vous pas déplaire. C'eft,
reprit-elle, (ans me contraindre en aucune
feçon , que je cherche à vous retenir. J'aî
toujours beaucoup de plaifir à vous voir. Je
ne conçois pas fur quoi vous pouvez jamais
vous croire de trop che» moi. On eft accou-
tumé à vous y voir vivre avec une extrême
liberté, & l'on doit être furpris, je dois
1-être toute la première, de vous voir aujour-
d'hui faire des façons depuis fi long- temps
bannies d'entre nous. Je les crois à préfènt ,
Madame, répartis-je, plus néceflàires que
jamais.
Quelle idée ! répondit-elle en haufîànt les
épaules ; que vous êtes déraîfbnnable ! Ah ^
que je le fuis peu j Madame , répliquai- je ,
afo fS V T R 1 s
& qnc vous (avez bien.... Enfin, (Intenom^
pic-cUe en le levant comme fi elle eût craint
d'entrer dans le moindre détail ) vous êtes le
maître , je ne prétends pas vous gêner. ReA
te2 , vous me ferez plaiEr. Panez , fi ce que
je vous propofe ne vous en fait pas.
Je crus voir, à (on air froid, qii'ellff avoir,
dans le fond envie que je partifle , & qu'elle
dcftinoit , (ans doute , Taprès-fouper au mar-
quis. Je me fis un pkifir lècret de les gêner
par ma préfênce, & de me donner d'aîQcurs
la douce fittlsf :âion de voir madame de
Lurfay fe dégrader de plus en plus à mes
yeux , & iuftintr tout le mépris que je croyois.
avoir pour elle.
Peu de temps après on fêrvît. Sans y pcn*
fer , à ce que je croyois , & uniquement par
habitude, je voulus me mettre auprès de
madame de Lurlày. EUe s'en apperçut ; Se
loin de paroîtrc m'en fàvoir gré , elle arran-
gea les choies de façon que ce fiit le marquis
eue je regardois toujours comme mon CxxcceC*
leur, qui fê mit à la place où je defirois d'être..
Quoique cette préférence qu'elle lui donnoic
fax moi , eût été habilement conduite, elle ne
lu'échappa pas , & j'en reflèntis un dépit
extrême. Si elle m'avoit offert cette place , ik
eil confiant que je ne l'aurois pas prifè : mais
jjp ne pus , fans colère , la voir remplir par
un autre.
Bientôt le fbuper s'anima. Madame dit
luxûy, qui, ajr es avoir mortifié ma vanité >
youloit me plaire , n'épargna rien pour y
réullîr. Cette féduifante coquetterie, plus
puîilante fur nous que la beauté même , ces
airs agaçants que nous méprisons quelque^
fois , & auxquels nous cédons toujours ^ les
(oiiris les plus cendres , les regards les plus
vifs , tout fut & inutilement emplcryé. Per-
fuadé que le fèul defir d'engager mon rival »
lui donnoit tous ces charmes , je me révoltai
contre eux. Son enjouement me parut con-r
traint , (on efprit apprêté , Se les grâces donc
cHe venoit de s'embellir, me (èmblercnt peu
faites pour Ion âge. Je regardois tout avec
des yeux jaloux» Mon cœur étoit troublé
par la colère, mais tranquille du coté de
Tamour. Du moins tout entier à la haine qu^
m'infpiroit madame de Lurfay , n'eus- je pas^
lieu de me douter que je k trouvois belle.
Nous marqucHis trop nos defiis^, ils agif-
fent trop fcnfiolement {îir nous , pour qu'ils
puiflent échapper à la femme même la moin»
habile. Madame de Lur&y, quin'éroitpoinc
dans le cas de pouvoir fe méprendre à mes
mouvements , connut > à la froideur de mesi
regard, qu'elle ne fâiîbit pas fur moi une
aulïî vive imprellîon qu'elle l'auroir defiré..
Il eft à croire qu'elle craignit de m'avoit trop
laiffê penfèr qu'elle; ne fbngeoit plus â moi ^
puisque fans quitter absolument Con pfemfôr
projet , elle commença à me regarder avec
moins de tiédeur que je ne lui en ivois vi»
)ufques-làr
Elle ca failbit trop peu pour me nrer d(0
L 6
iji œ ir y « ir r
l'état où elle m*avoit mis , & elle fît cepen-
dant bien de n'en pas rifquer davantage^
Quand elle m'auroit fëduit alors au point oùr
elle le vouloit, que pouvoit pour elle une
feduébion momentanée que mes réflexions
auroient détruite , ou qui fe fcroit diffipée
d'elle-même , avant qu'elle pût la {aifîr , 6c
qui peut-être , pour avoir été précipitée ,
m'auioit ufé l'imagination inutilement, &
moins difpofé à être fenfible , quand il lui
importerolt le plus que je le fufle >
Elle étoit aflez fage pour feire ces réflexions
&.fans doute elle les fit» Le fouper continua ,
iàns qu'elle parût avoir pour moi , plus que
ces foins d'ufage dans la (bciété , & que les
femmes ont pour les hommes qui leur font
le plus, indifférents , quand elles vivent avec
eux. Ses difcours furent auflî mefurés que
fcs regards, & elle le conduiiit avec tant
d'adrefle , qu'après m'avoir d'abord donné
lieu de croire qu'elle avoir férieufèmenr
rompu avec moi , & qu'elle (bngeoit même
à s'engager avec un autre, je dus, en fortant
de table , çfpércr feulement qu'il ne (èroft
pas impoffible de la faire relïbuvenir qu'elle
m'avoit aimé , fc de la retrouver plus tendre
qu'elle ne i'avoit jamais été pour moi.
Quoique vain comme je Tétois, il fut na-
turel que je longeafle à la rengager , & que
les defirs duflent être la fuite de mes mouve-
ments 5 ce ne fut pas ce qui m'occupa. J'étois
piqué de n'être point regretté de madame*
âe Lurfày^ & je ne la regrettois prs. Peade
D s C R E B I I t O K , Fin. i;|
temps même après le fouper , ayant prefquc
perdu de vue l'objet qui m'avoit -déterminé
à refter chez elle, je fus prêt à fuivre quel-
^lues perfbnnes qui en fortoient.
Qu'elle refte , me dis-je , avec cet heureux
amant qui me fuccede. Qu'ils paflent enfèm-
ble la plus charmante des nuits. Que m'im-
portent leurs plaifirs , pour vouloir les trou-
bler? Je n'aime pas, pourquoi ièrois-je
jaloux ?
En conféquencc de ce raifbmiement , je
me levois , lorfque le marquis , à qui je fup-
po(bis une (î grande impatience de fe trouver
(èul avec madame de Lurfày , lui dit qu'il
alloit prendre congé d'elle. Ce diicours me
furprit. Je crus qu'elle feroit des efforts pour
le retenir ; mais après lui avoir repréienté
froidement, qu'il pourroit la quitter plus
tard , elle le lailïa partir , (ans prendre feule-
ment avec lui , jour pour le revoir.
Une fî grande indifférence , après ce qui
s'étoit paflé , ne me parut pas naturelle. Loin
d'imçginer qu^ils ne penfbient pas l'un à l'au-
tre, & que mes ibupçons étoient mal- fondés,
je crus au contraire , comme ils s'étoient long-
temps parlé bas, & que pendant cette con-
verfation , elle avoit eu un air myflérieux &
cmbarrafle , que leurs arrangements étoient
pris , que cette prompte retraite du marquis
n'étoit que fîmulée, & qu'à peine le peu de
monde qui étoit encore chez madame de
Lurfay y l'auroir quittée , qu'il y reparca-
troitu
1^4 Œuvres
Cette idée n'étoît rien moins que roma-
neique , & je pouvois Tavoir , /ans blefTer
la yraifemblance & nos ufàges. Je penfài
aum , qu'il y auroit autant de fineflè à trou^
bler madame de Lurfay dans (on rendez-
vous , qu'il y en avoit eu à le deviner. Je me
fis une ]oie maligne de refter (i long-temps
chez elle, que le marquis s'en impatientât,
& pût même penièr que, fans avoir été heu-
reux , ou fans l'être encore , je ne pouvois
pas avoir le droit d'être imponun , au point
où je me promettois de le lui paroître.
A tant de raifons , il s'en joignit une à
laquelle je ne fos pas infenfible, & qui , pluy
que toutes les auti^s , me porta à defirer une
converfation particulière avec madame c'e
Lurfày. J'étois perfuadé qu'elle m'avoit
trompé 5 & que je ne devois jamais lui par-
donner la fauflèté d'avoir voulu me paroître
re/peftable. Il me fembloit, que ne voulanr
plus la revoir fur le pied où nous avions été
cnfèmble , il y alloit de ma gloire à lui ap-
prendre combien j'étois inftruit. Se à lui
ôter le plaifîr de croire que je confcrvois
pour elle toute l'eftime qu'elle fe flattoit de
m'avoir infpirée j que je ne pouvois pas ,
pour exécuter ce projet, {aifîr un meilleur
temps que celui , où malgré cette rigide
vertu , dont par trois mois de foins , je
n'a vois pas pu triompher, elle donnoic des
rendez-vous à quelqu'un qui , peut-être ,
fi'avoit eu ni le temps, ni le de(ir de lui en
demander. Je me Éiifois en^n ui> tableaa fi
T> s Cn éEriX.OHy FILS. Xff
touchant de la confufion où je ne doutoi»
pas qu'elle ne tombât , & de Tlippatience oik
je la mettroîs , qu il me fut impoiSble de
m'en rcfufer \e ipcftacle.
Occupé de ces agréables idées , i'attendoi$^
le moment où je jpoiirrois les voir remplies ;.
il vint œfin. Je fis femblant de fortir avec
fous les autrçs , i8c )e dis adieu à madame de
Luriay d'un air (î naturel, qu'elle m'en pa*
rut choquée. Je reftai quelque temps dan»
l'antichambre à parler bas à un de mes gens ^
à qui je n'avois rien de particulier à dire *, Sc
tous les équipages ionis , je rentrai.
Je trouvai madame de Lurfay fur un ca-*
napé où elle revoit. De quelque courage que
je me fuffè armé, je ne me vis pas plutôt
fèul avec elle , que je fus fâché de m'y être
renfermé , & que j'euflc bien voulu n'avoir
pas iniagmé quç j'avois tant de chofes à lui
dire. Toutefois, la néccffité de me tirer
fieureufcment d'une aventure où je m'étois.
embarqué moi-même , le dépit que (a vue
m'infpiroit , & le plaifir de la mortifier, mfe
fendirent ma fermeté.
Quoi ! c'eft vous , me dit-elle avec éton-»-
nement, Ofèrois-je vous demander pourquoi
vous revenez ? Que voulezr-vous qu'on penfa
de vous voir refter ici? Je crois. Madame ^
ripondis-]e d'un air railleur, que ce n'eft
pas de ce qu'on en peut penfer que vous êtes
inquiète, & qu'un foin plus important vous;
lourmetite. Xc n'ai jamais répondu à ce qua
iç^ WL V V li ï s
je n'entendoîs pas, répliqua-t-elle , m de-
mandé ce que je ne me fbuciois pas d'ap-
prendre j ainfi , Qms vous interroger fur le
lens de ce que vous venez de me dire , je
vous prierai (împlement de vouloir bien ne
pas refter chez moi à l'heure qu'il eft. Je
lais , repris-je , combien je vous obligerois
de partir , mais il n'eft qu'une heure , & je
voudrois bien que vous, me permiflîez d'en
paflèr encore quelques-unes auprès de vous.
La propofition eft fans doute fort honnête ,
répondit-elle en contrefaifànr le ton poli dont
je lui parlois , & je fuis fincérement fâchée de
ne pouvoir pas l'accepter. Vous le pouvez ,
Madame , repris-je , & j'ai peut-être aflez
de chofès à vous dire pour vous faire paflèr
(ans ennui , le temps que je vous fuppHe de
vouloir bien m'accorder.
Quand je vqudrois bien n'en pas douter ,
repartit-elle, les inftants que vous prenez
pour ceki n'en feroient pas mieux choifis;
& d'ailleurs , vous pouvez avoir beaucoup
de chofes à me dire , fans qu'elles aient de
quoi me plaire ; car, entre nous, & fans
vouloir vous rien reprocher , je ne vols pas
que jufques ici vous m'ayez amufëe beau-
coup. Vous ferez ce foir plus contente de
xnoî , Madame , répondis- je , & la certitude
que j'en ai , m'a fait halàrder une demande
que je ne fuis pas furpris que vous trouviez
indifcrete. Je n'ignore aucune des raifons
qui vous la font paroître telle. Je ùjs qiie
BS ÇREBIX.XOK3 fIXS. 157
je remplis des moments que vous aviez des-
tinés à des plaifirs plus doux que celui de
m'entendrç , & que , fans compter l'impa-
tience que je vous caufè , vous avez à par-
tager celle de quelqu'un qui , peut-être , en
gémiflànt de Tobilacle que j'apporte à (es
plaifirs , ne vous croit pas abfolument inno^'
cente du chagrin que je lui fais.
Voilà fans contredit, s'ccria-t-elle , une
belle phrafc ! Elle eft d'une élégance , d'un
obfcurité ôc d'une longueur admirables ! Il
faut, pour fe rendre intolligible , furieufe-
nienr travailler d'eiprit. Si vous me le per-
mettez , lui dis-je , je ferai plus clair. Oh !
je vous le permets, reprit-elle vivement,
j'oie même vous en prier. Je ne fêtai pas
fâchée de connoître toutes les petites idées
qui vous occupent : elles doivent être rares.
Mais, pardonnez- moi, Madanie, ces idées
que vous croyez rares , font allez générale-
ment répandues. Le préambule m'excède ,
Monfîeur , reprit-elle brufquement , venons
au fait. Venons-y donc , répondis- je , en rou^
giflant de colère.
Vous avez cru long-temps. Madame >
continuai-je , que vous pourriez m'en im-
pofer toujours , & que , fur la belle, réfif^
tance qu'Û vous a plu de me faire , j'eflime-
rois votre conquête afïcz, pour croire que
j'aurois été le fèul qui l'eût faite , & pour
vous en tenir compte fîxr ce piod-là. Vous
l'avez cru , & vous aviez raifbn. . . Afleyez-
±$9 (S u y R E s
vous , Monfieur , înterrompît-elle tranquil-
lement , ce début m'annonce quelque cfiofe
de long , & je ferai charmée que vous (oyez
à votre aifè.
Je m'afEs vîs-à-vîs d'elle , & quoiqu'un
Su déconcerté par (on air ironique , je pour-
Lvis ainfî :
Je vous difbis , Madame , que vous aviez
raiibn de croire que je me troùverois infini-
ment heureux de vous plaire. Ma jeuncflè , &
le peu d'ufàge que j'avois du monde , vous
répondoient de ma crédulité , & (î j'avois
été plus inftruit , vous auriez dû compter
moins fur elle. Vous n'avez pas eu befbin de
beaucoup d'artifice ; vous pouviez même en
employer moins que vous n'avez fait, &
c'étoît penfer de moi trop avantageuiement^
que de croire qu'il fallût , pour me troniper ,
tout le manège dont vous vous êtes fervi.
Oui , Madame , je l'avouerai , je vous ref^
pcAois trop aveuglément pour ofer douter
un infiant que vous ne fuflïez telle que vous
vouliez me le paroître , que vous n'eufCez
toujours vécu loin de l'amour , que ce ne
fût en vain qu'on avoir attaqué votre cœur ,
& que je. ne fîifïè le premier qui eût pu le
rendre Icnfible.
Vous l'avez cru , înterrompît-elle ; mais il
me fèmble que penfant avantageufement de
moi, vous n'aviez pas mauvaifè opinion de
vous-même. Ce n'étoit afTurément pas vous
fiftioier peu > que de vous croire fait pour
DE CuilILLOK^ FILS. Iff
ieduire une femme qui y ju(ques à vous y avok
fi bien réfifté. Eh bien ! enfuite d'une idée
auili modefle^ que pen(âces-vous !
Ne me la reprochez pas , Madame , rc-
pris-je avec émotion , vous y gagniez plus
que moi. Si je ne vous avois regardée que
comme une femme ordinaire y îe vous aurois
peut-être moins aimée, & j'oie douter que
vous euflîez été (atisfàite de ne m'avoir infpiré
qu'un goût fbible y peu digne de vos char-
mes , ic qu'il n'auroit pas été décent à vous
de récompenfèr.
Mon extrême timidité y & les peines que
j'eus à vous parler de mon amour ; durent
vous apprendre que j'avois peu d'efpérance
de vous plaire , & vous prouver tout le ref-
peu que vous m'aviez fait naître.
A votre âge , dit-elle , qu'on refpe£te ou
non une femme, on eft de même auprès
d'elle, & je ne vois pas à propos de quoi
vous voudriez que je. vous tinfle compte d'un
mouvement de crainte que je dcvois plus à
votre imbécillité, qu'au refpeâ: que vous
aviez pour moi.
Quelle qu'en fut la caufe , reprîs-je , moi>
trouble ne vous en étoit pas moins agréa-^
ble-, & vous deviez être flattée de me voir
des craintes , que peut-être vous ne deviez
pas m'infpirer.
Mais non , répllqua-t-elle , le plaidr qu'elles
m'ont donné , a été médiocre. Les chofcs ri-
dicules^ n'amufènt pas long-temps. Pourfui-
vez^ £h bien l vous ne deviez pas m'eftimer.
i6o (S ir V R X s
autant que vous avez, feit , & vous vous et»
repentez , n*eft-il pas vrai ? Après.
On m'a détrompé , Madame y j'ai appris
combien mes craintes étoient déplacées , &
je ne me confblerois jamais du ridicule qu'elles
m'ont donné , fi le plaifir de me les voir , ne
vous en avoit pas coûté d'autre.
Oui , repartit-elle , avec un extrême (âiig-
froid , je ne difconviens pas qu'elles ne m'aient
fait jouer plus d'une fois un aflcz mauvais
perfonnage ; mais c'étoit précifément par
cette railon qu'elles ne pouvoient pas m'a-
mufer.
Je ne le? auroîs pas aujourd'hui, reprîs-
je , d'un ton menaçant.
• Ce (eroit peut-être un peu tard que vou»
voudriez vous en défaire, répliqua-t-elle >
Se vous ferez tout auflî bien de les garder.
Mais, dites-moi, j'ai donc eu le cœur ex-
trêmement tendre. Vous (avez (ans doute
toutes mes aventures , oourrois-je efpérer
de vous , la complaifance de me Içs raconter >
Je craindrois d'abufer de votre patience,
répondis-je, fort embarrafïé des imperti-
nences que je lui difois , & du peu de cas
qu'elle leàibloit en faire.
Ce n'eft là qu'un mot , repartit - elle , &
un mot âuifî mauvais qu'il eft impoli ; mais
je vous le pardonne. Vous ignorez avec les
femmes jufqu'à la façon dont on doit leur
parler. Ce que vous venez de me dire , par
exemple , n'eft mal que par votre faute.
Mieux die , il aurait été plailànt» Paifcms»
i>E Crébillon, fils. l6l
Sans vouloir , rcpris-je , outré de fureur,
entrer dans un détail qui feroit fort inutile ,
je puis vous dire lîmpfement, qu'on m'en a
allez appris pour me feire fentir votre fauflèté
avec moi, & me faire regretter toute ma
vie d'en avoir été la dupe.
A votre tour ne me reprochez pas cela ,
répondit-elle en riant. Ce n'eft pas de ma
finefle qae vous avez été la dupe, c'eft de
votre peu d'expérience. Pourquoi voulez-
vous m'imputer vos bévues? Devois-je vous
apprendre à quel point vous me plaifiez , &
vous dire , moment à moment, rimpreflion
que vous faifiez fur moi? Ce Coin y de ma
part, eût fans doute été fort obligeant;
mais m'auriez-vôus pardonné de le prendre }
N'étoit-ce pas à vous à connoître , & ùâCix
mes mouvements? Eft-ce ma faute enfin,
s'ils vous ont tous échappé? & quelqu'un
avant vous, s*cft-il jamais avifé de faire des
reproches aufli ridicules que ceux que vous
me faites > Eft-ce ici du moins qu'ils finif-
fènt?
Il né me refte plus , répliquai- je, confondu
de fa faconde me répondre, qu'à vous féli-
citer ibus le prétexte que vous avez pris pour
rompj:e avec moi: (ur le fecret avec lequel
vous avez formé cette partie de canjpagne ,
dont vous ne m'avez averti que lorfqu'il ne
me reftoît pas le temps de m'arranger pour
vous y fuivre , & ennn fur l'amour prompt
c[ue vous avez pris pour le marquis j que je
i6i Œ tr V K E s
retiens caché dans un recoin de votre cabi-
net, 8c qui y (ans doute, attend avec impa-
tience que vous vouliez bien me congédier.
Je crois en effet, ajoutai-je, que j'ai retardé
les inftants de (on bonheur , aflez pour ne
devoir plus y mettre d'obftacle , & je vais...
Non, Monfieur, interrompit-elle, je vous
ai (î patiemment écouté , que je dois croire
que vous voudrez bien m'accorder la même
grâce. J'en demande pardon au marquis,
mais dût-il s'impatienter d'une converfation
fi peu faite pour lui , je ne faurois me refufer
le plaifir de vous répondre. Ce n'eft pas pour
vous que je le veux faire. Ma réputation ne
dépend ni de vous , ni des gens qui prennent
à tâche de la noircir. On ne peut , à votre
âge, juger (ainement de rien. Se moins en-
core des femmes que de toute autre chofe.
Vous n'êtes fait, ni pour être écouté, ni
pour être cru , & vous pouvez , (ans tirer à
conféquence, penfcr auflî mal de moi , que
vous pcnfèz bien de vous-même. Ce n'eft
pas fur vos difcours que le public me jugera i
ainfî ma juftification n'eft pas ce qui m'inté-
refle , c'eft le plaifir de vous confondre , de
dévoiler votre mauvaife foi , vqs i^prices,
& de vous faire enfin rougir de vous-même.
Je vais , continùa-t-elle , commencer par
vous parler de moi r vous ne pourrez pas
croire que ce (bit par amour-propre. Je (uis
forcée de rappeller des faits qui m'avilifïent,
^ vous m'avez mife dans le cas de ne pou-
voir jeter les yeux fur moi-même , (ans me
DECREBIXI.ON,rXIS. 2 6}
méprifer des erreurs dans lefquelles vous
m'avez fait tomber.
Vous me connoiflèz depuis long-temps.
Liée à votre merc par l*amitié la plus ten-
dre , je vous ai aimé avant que je (iifle fi
vous méritiez de l^'être , avant que vous (uf-
fiez vous-même ce que c'eft que d'être aimé,
& fans que je pulle imaginer que le goût que
j avois pour vous , pût me conduire où j'ofe
enfin avouer que je fuis.
Eh ! quelle apparence en effet que je dufle
craindre de vous trop aimer? Quand j'auiois
pu prévoir quç vous penfcricz à moi , de-
vois-je imaginer que vous me rendriez fen-
fible, & qu'un événement fi peu vraifem-
blable , dût un jour être compté parmi ceux
de ma vie. Je ne l'ai pas cru, & vous ne
pouvez pas me le reprocher. Toute autre que
moi ne vous auroit pas craint davantage , &
à ne confidérer que votre âge & le mien ,
(je laifle à part ma façon de penfèr) ma
fëcurité étoit bien naturelle.
Ce fut donc non-feulement fans craindre
pour moi-même > mais encore fans faire la
moindre réflexion fur vous , que je vous vis
chercher à me plaire. Vos foins plus mar-
qués, vos vifites plus fréquentes & plus
longues, & le plaifir qu'il fembloit que
vous nriflîez à me voir , ne me parurent que
les effets de notre ancienne amitié. Vous en-
triez dans le monde, vous commenciez à
vous former, & il étojt tout fimple que vous
me cherchailiez avec plus d'ardeur que vous
t^4 ŒE u ▼ R E f
ne Tavicz fait dans votre enfmcc. Ce que-
vous me difiez fur l'amour, l'acharnement
avec lequel vous m'en parliez , & la difficulté
que je trouvois à vous faire porter votre et
prit fur d'autres matières, ne furent à mes
yeux que les fuites de la curiofîté d'un
jeune homme qui cherche à s'éclairv^r fur
un fcntiment qui conimence^à troubler fbn
cœur , pu fur des idées ' qui occupent fbn
imaginition. Vos regards ne m'inftruifîrcnt
pas mieux, & je defirqîs fi peu de vous
plaire , que je ne pus jamais penfcr que
je vous plaifbis. Votre •* embarras enfin
ftie fît naître l'envie ^c fàvoir ce qui vous
agitoit, & croyant n'être que confidente,
je me trouvai incéréflec pour moi-même dans
vos fccrets. Vous devez vous fbuvenir que
je n'oubliai rien pour vous enlever à une
fantaifîe qui me paroifibit déjdacée , &c dont
j'ctois fâchée d'être l'objet. Mon amitié pour
vous., votre ieuneffe , une forte de pitié
m'empêchèrent dt vous impofer ïîlënce aufli
durement que j aurots dû le faire. Je crus
d'ailleurs pouvoir rii'amufer de la façon dont
un coeur qui en left à fa première paffion , la
fent, &: k conduit. Cet amu&xnent, qai
id'abord ne fut pas pl^s dangereux que je ne
i'avoiscru, le devint enfin. Je v;pus peidois
favec plus de regret, vous atcendpis avec im-
Jpatience, & votre vue me faifbit fentir des
mouvements, qu'avant que vous m'eufiîez
parlé , je ne connoifibis pas. Je reconnus
alors la nécefEté de vous fuir,. mais je ne le
pouvoij
DE CK1ÉBÏH.OW, FUS, YSj
.pouvoir plus. Un je ne lais kjucI <liàxnic ,
^rop foible da^s Ùl naUIance pour que je
-cruflfe avoir be^in de le co^mbattre, m'ac-
tachoit à, vos difcour^.. Je me les /(^pécois
^uand vous, les aviez finh. Je m'arracfaoîs
avec peine , & tpujourstjfpp tard , ag. jJaifir
de vous entendre/ Cet affreux intervalle de
votre âgé au mien > & qui m'avoit d'abord
il fènfîblemewt frappéç , difpirut à mes «j-
£ards. Chaque jour que npu^ pallions à nous
:Voir ^ cae femHoit vous dmn^x des années^
jou iiiQter dc% miewes^ tJ^iyipux.feul powv*
;Voît m'aveu^r k ce point i ic aroire que
nous pouvîoas être laits l'un pour i'outte^
^oit une ^^reuve tfop {urc du inien^ 4>our
pouvoir k inéconnoître. Loi« dç chercher à
pxç le diflîmuier cncicire.; je ne oraiguk pas
jde m'eKumiher ,-■ Ô5 quoique ce que k tjraor-
j^ai pour vous dans mon oomr » m'isray &c,
je ne me crus pas (ans teâburce. Comme je
ne fbuhaicois pas d'étce v^Mncue , k tie vou--
lois pas voir qixe je l'tétoii déjà. Convaincu^:;
ibnfin dei'evcrême eendt^âeque Vousm^avier
inrpirée, jc.dtcrEftuû d^tnoins à .retarder
ma chute, 6c \ m'épargqer la imtccâc Iç
danger de U triste - foîblcïfe.. :Votre\peu
d'expétsencé m'udoic dans mon ]^er^ &
je îow^is du ^[rUifir de vous votramoureuit,
d'ausant pbsipmTibkmdnti^qu^ jecniignoîs
4iioin8 de me toir^ Aè^^^jQ^ cbupame*
-! Ilrh^eft donc pas exCfaoïrdûtairq/iMoiificur,
jijouia - 1 - elle > que je nb vaos^aic!ptts die
^ue }ç vous aimoiï^x la2iiqtte^je.:ne toâ3
2g< Œf ir V R E S
aimois pas encore. Il ne Tefl: point di^
vantage , qu'après que mes fenriments
pour vous m'ont été connus, j*aie fait ce
que j'ai pu pour vous les cacher. C'étoit à
vous à tâcher de les découvrir , & fi je puis
vous le dire, c'eft à vous , & non à moi ,
qu'il a plu défaire une Belle réfifiance.
Mais , Madame , répondis-je en bégayant»
j|e n'ai pas , à ce qu'il me fèmble , eu toit
de vous le dire, vous convenez vous-même
que vous m'avez réfifté , & vous concevez
4>ien que..;.. Vous héfitez! interrompit-
elle, achever. Que voulez-vous que je vous
difè. Madame, répliquai-je , plus décon-
certé que jamais , Vexpreflion dont je me
fuis ièrvi a pu vous choquer, je fiiis fâché
certainement qu'elle Vous ait déplu \ |e . . . •
mais, ajoutai-je, voyant que je ne (àvois
ce que je lui dilois, il efl tard, & vous vou-
lez bien que je prenne congé de vous. Non»
Monfieur , répondit-elle \ je ne le veux pas.
Ce que j'ai à vous dire encore, ne peut fè
remettre y &c les articles qui me reftent à
traiter avec vous , (ont les plus importants
pour moi. •
Je me remis fur mm fiege, fort étonné
de ce que c'étoit moi qui étois conj(bndu«
Mon^emi)arras augmenta encore quand elle
4n'ordonna ( fans^nifim apparente à ce que
)e crus) de m'atl^^riur un fauteuil qui tou-
choit à ^oïi canapè-^sccr^ui me mettoit beau*
coupplijs prcs.cfelle qu<Mene n'étois d'abord,
J'obéi^tèhjcreinblaiit j ùm ofèrl^ regarder j
SE CRÉBILLOlf, FILS. l6j
8c avec une forte d'émotion tendre , que
le récit qu*elle venolt de me faire ,_m'avoic
involontairement donnée. Iheft donc vrai ,
continua-t-ellc , que je vous ai aimé. Je
pourrois n'en pas convenir , puifque je ne
vous Tai jamais dit affirmativement 5 mais
après ce qui s*eft pafft entre nous , ce détour
(eroit auflî inutile que déplacé , & il vau-
droit mieux pour moi que je vous cuflè dît
mille fois que je vous aime , que de vous
l'avoir une feule fois prouvé comme j'ai fait»
J'avoue même que je pourrois avoir à me
reprocher , que je vous dois plus qu'à ma
raifbn , le bonheur de n'avoir pas entière-
ment fuccombé , & que fî vous aviez pu
connoître toute ma fpiblefle , je fèrois au-
jourd'hui , de toutes les femmes , la plus à
plaindre. Ce n'eft pas que je m'cflime da-
vantage de vous avoir échappé; mais dans
l'état oà font les chofès , ce m'eft une forte
de confblation de ne vous avoir pas touc
fàcrifié.
Elle appuyoit avec tant de plaifir fur cette
confolation > & je me trouvai dans l'inflanc
fî ridicule de la lui avoir bifide , qu'il s'en
Mut peu que je ne formaffe le dcflèin de
lui enlever un avanuge dont eUe paroifibît
fi vainc. Je levai les veux fur elle un moment,
& je la trouvai fi belle ! elle étoit dans une
attitude fi négligée , fî touchante , &: toute^
^ois fî modcfle I ks yeux qu'elle laiffa ten-
drement tomber fur moi , m'affuroîent cn^
coîè de tant d'amour , qu'il fe glilè dans
M i
i6S CE u V R c s
mes Cens y je ne fais quel trouble , qui me
diipofam mieux à l'écouter , me retiîdic ce-
pendant plus diftraît.
Vous m'accufcz , ajouta «réelle , en me
fixant toujours , d'avoir voulu vous parcatre
îrefpedlable , & vous m'en feites un crime.
Qu'aurois-jc fkît , que je n'euflc dû faire ?
Si pour vous donner bonne opinion de moi ,
î'avois eu des vices à déguiier , des aven-
tures malheureufes à couvrir , & qu'enfin je
?i*eufle pu , fans rifqucr de vous perdre , me
montrer à vos yeux , telle que j'aurois été ,
penfèî-vous que j*euflè été blâmable de cher-
cher à vous en impofèr } d'ailleurs , quand
îl auroit été vrai que , par des éclats indé-
cents , jVufïè déshonoré ma jcunefïe , auroit-
îl été impeflible que jefu(Iè»revenue à mai-
même } vousnelç favez pas encore , Monfieur,
mais vous apprendrez quelque jour y qu'il ne
faut pas toujours juger les femmes fur leurs
premières démarches , que teUe a paru avoir
l'ame corrompue , qui n'avoit qu'une ima-
gination déréglée' , ott une fo^ilefie de ca-
raébere y qui ne lui a poiiic pemûs de ré^
iifler au torrent & au xhaovais exemple >
que s'il efl prcfque impoffible de fc corri-
ger des vices du cœur , on revient des er-
l"eur$ de l'efprit , & que la femme qui a
été la plus galante , peut devenir , par- fc$
feules réflexions , ou la femme la :|d«s ver-
nicufc, ou la maîtrefïèlaplus'folelle.
Vous dites encore que j'ai voulu vous
feire penfcr , qu'avant que mon cœur 6U
BE CRiBIXLOH^ FILS, xéf
à VOUS , il n*avoit été à perfoimé. S'il eft
vrai que c'ait été mon intention , je fuis coUr-
pable d'une étrange feufleté : Non , Mon«
fieur , j'ai aimé , & avec toute la violence pof^
iible. Si je n'avois pas connu l'amour , vous
me l'auriez vu redouter moins. Peut-être >
prendrcz-vous , de l'aveu que je vous fais ^
une nouvelle raifon de me méprifen II feu*-
droit (ans doute , pour mériter votre. eftimcw
que je n'euffe jamais été déterminée k
l'ainour que par vous. Je ne l'ai pas moinii
defiré , que vous auriez pu le deurer you*-
même , & quand j'ai commencé à vous aimer^
j'ai eu un extrême regret de ce que mon
cœur n'étoit pas auffi neuf que le vôtre , dC
de- ne pouvoir pas vous en of&ir les pré*-"
roices.
Ce difcours étoit fi tendre ! il me pcîgnoît
fi-bjcn k violence & la vérité de fa paffion I
il étoit foutenu par un (on de voix fi flatteur ^
que je ne pus l'entendre fans me lèntir vive*-
ment ému , & fims me repentir de feire le
malheur d'une femme qui , par fa beauté du
moins , ne méritoit pas une fi cruelle defti*
née. Cette idée, fur laquelle j'appuyai^
in'arracha un foupir. Madame de Lurfày
Tattendoit depuis trop long-ccmps pour qu'il
lui échappât. Elle fe mt pour un infiant , mm
regardant toujours. Elle efpéroit fans doute
que ce foupir me conduiroit plus loin j mais
voyant que je m'obftinois encore à garder
le filence , elle pourfuivit ainfi.
Vous pouvez à préfenr donner une libr«
M j
kyo Œ V X K s
carrière à vos idées 5 j'ai aimé, je l'avoue,
& c'en eft aflèz pour que vous ne puiffiez
^s douter que je ne me pare d'une pafliofi
^ue pour vous dérober mes fantaines, &
qu'il n'y a rien d'odieux dont je n'aie été
capable. J'ai connu , en faifànt cet aveu ,
tout le danger où il m'expofbit , mais je n'ai
-pas cru devoir vous cacher une choie que
je vous aurois dite , fi vous me l'aviez de-
xxiandée , & que par toutes fortes de raifbns,
je dois moins me reprocher , que l'amour
Sue j'ai pris pour vous , qui , avec tous les
éfàuts attachés à votre âgé , n'en avez ni k
candeur , ni la fincérité. Je doute , lui dis-
je , piqué de ce reproche , ( mais déjà per-
-luadé cependant que Verfac m'avoit trompé,
& trop occupé des charmes que madame de
Lurfty ofFroit à mes yeux , pour ne pas vou-
loir lui paroître innocent) que je vous, aie
donné lieu de croire que je ne fuis pas fin-
cere. Je puis avoir des torts avec vous ; je
les fens même : mais ils ne font pas de l'ct
pc:e de ceux dont vous vous plaignez , &
fi vous avez quelque chofè à me reprocher,
c'eft d'avoir été trop crédule.
Eh! l'auriez -vous été, fi vous in'aviez
aîitée , répondit-elle vivement ? Ne m'auriez-
vous pas , au contraire , défendue contre
les calomnies dont on vouloît me noircir
auprès de vous? Pouviez -vous, &ns vous
dégrader vous-même, y ajouter foi? La
façon dont je vis , & dont depuis fi long*
temps vous êtes témoin , ne devoit-elle pas
BECKiBii.i.oK,-Fri.s. 171
du moins les balancer dans votre efprit?
J'avoue que quand une femme de mon âge
s^oublie aflèz pour aimer un homme du vôtre ,
elle s'expofè à faire penfèr (m'elle a moins
cédé à l'amour , quàrhabituae^ au dérègle-
ment y & que c'eft toujours , pour celle même
qui s'eft le mieux conduite » une fbibleflè
?u'on lui reproche d'autant plus, qu'on
attendoit moins 'd^Ue , & que Iç peu de
convenance qui s'y trouve , k rend plus ri-
dicule. Vous ne deviez point me (bupçonner
d'être dans ce cas » & plus je me (àcriBois ,
plus^pour vous je m'écartois de mes princi-
pes , plus vous me deviez de reconnoiflance
Se d'amour. Un autre que vous auroit fènti
que fà tendreflè feule pouvoit m'étourdir fur
1^ faute irréparable que la mienne me fàifbic
commettre ^ & qu'en l'aimant , je le char«
geois du repos & du bonheur de ma vie ;
mais , ajouta-t-elle , en tournant vers moi
des yeux qui fe rempliflbient de larmes , cette
&çon de penfèr n'étoit pas faite pour vous.
Avant même que vous fuflîez fur d'être
aimé y vous m'avez fait efluyer des caprices ,
dont vous ne daigniez feulement pas vous
cxcufer , & qu'il fèmbloit que vous fuffîez
fâché que je vous pardonnafle. Je vous ai
vu dans le même temps , manquer à me
rendre les devoirs même les plus fîmples ,
paflèr volontairement plufieurs jours fans me
voir , ne me parler de votre amour qu'avec
toute la froideur qui pouvoit m'empêçher de
M4
iça : ® V T n ï $
loi éiio laromÛe , Se oigir enfat a^ec mci ,
ZBOtiis. comme ztcc aM iemmie à' qui vous
\oiikiez pkire y que comme avec mtt que
vous aiuiea voala qoittcf. Si quelquefois
"wws paxoiiliçi plus animé , îe ne crouvois
pets dans vas tianCfcaî» ce qoi aorokpu me
les fàice panagçr , & tous ne paYoiffieK ja*
mais vo^s -livrer moîias au istmtntuAy que
lorfqne vcHis YDu^laiâBesi lefifa» em{>Ofter à
vos defirs. Tous cm défauts ne m'échap-
poient poÎRCv niais en mre pioHgeanc dans
une doukuf monelk , ils n'atréfcxîenc pas
mon penchant pour vous. Je vous croyois
peu ^mé' au^ ufàges; du monde , Se ne
vouloir point vous vdîjp ûùopabie^ J^efpéroit
€fiê l'h^^icode d'âimet , vous^ ôtéroît cetcî
mddièqae fetiiôttvois dansvosÊkçcms^ que
vous recctrie* avce plaifir tes -avis d'une
femme qui vous aimoit , Se qpe )t pourrais^
ânân vous lendretelque jedeiirois que vour'
Ah r Madame-, n^'écriai-je, pénéxré de (»
hrmes , tranrporté hors de moi^mêjÈne , fc-
ïcAs-)é aifez malheureux pour ne vous plus
voir vous intéreflèr à moi } Ncm I ccmtinuai-
jt y en lui baifanc ta main avec ardeur , vou^
me rendrez vos bontés , j*crr ferai digne....
Ndn 5 Meikour , interrompît-elle , je ne dois
plus efpércr de vous retrouver auflî tendre
que je le voudrois. Les tfanfports que je vous
vois, ne peuvent plus ni me flatter, ni me
âduire. Plus jeune > & pai confluent j^us
DE C R É S I L I Ô N , Fils. 27 J
étourdie, je prendrois peut-être vos defirs
pour de Tàmour. Ils^ m'auroient émue , ôc
vous feriez juftifîé \ mais vous avez déjà
éprouvé dans une occaCion , où )e pouvois
céder fins avoir rien à itie reprocher , puis-
que je pouvois me croire aimée , que je ne
veux me rendre qu'au fèntimcnt. Ce qu'alors
je n'ai pas fait , je dois le faire moins que ja-
mais. Quand il feroit vrai que je me fuffè
trompée en vous croyant amoureux de ma-
dame de Sénanges , la feçon dont vous
m'avez parlé fur elle , me prouve que rien
ne peut , ni vous retenir , ni vous ra-,
mener.
Mais, eft-il poflîble, lui dis -je tendre-
ment, que* vos craintes iiir madame de Se-
nangee aient été réelles? Avez-vous pu croire >
que quand èiéme elle eût voulu m'engager,
j'-eufle daigné répondre k fe» foins ? Oui ^
reprit-elle, .madame de Sénanges auroit en-'
core moins eu de quoi vous plaire, vous
m'auriez aimée mille fois plus que vous ne
feifiez, que vous ne l'en auriez pas moins
prife. Peut-être ne l'auriez-vous pas gardée :
mais du rfioins elle vous auroit féduit. Se
c'étoit tout ce qu'elle pouvoit vouloir. S'il
étoit vrai qu'elle vous fût fi indifterente >
pourquoi avez- vous cherché à la revoir , &
pourquoi , le jour même que je vous ai àiè
que je ne voulois pas que vous véculîi^it
avec elle , vous ai-je retrouvés enjfèmblc aux
Tuileries ? (^elle raifôn , fi vous m'avie*
aimée > pouvoit vous empêcher de venir 4^
M s
%j4. Œ tr y R E s
la campagne avec moi ? Cène partie , dîtes*
vous , s'eft formée (ècretement. Le myftere
en étoic bien (îsnple, & vous fèul en étiez
robjçt. Je voulois vous enlever à madame de
Sénanges > & je n'en trouvai que ce moyen,.
Au lieu de pénétrer le motif de cette panie »
ou de vouloir du moins paroîtreravoirfàit^
vous imaginez que je ne l'ai formée que pour
y voir plus commodément le marquis. Je
n'ai qu'un mot à vous répondre là deflus»
Si j'avois eu du goût pour lui y après ce qui
s'étoit paffë entre vous & moi , vous étiez,
de tous les hommes du monde, celui que
J^aurois le moins voulu pour fpeâateur.
J'abrège vos torts, comme vous voyez; &
ne peie pas fur eux. Ce n'eft pas que )e fuflè
embarrafTée de me les rappeiler tous ^ mais
le reproche Tuppoiè de l'amour j & vous
ièntez bien qu'il ne m'eft pas poÂîble d'en
vouloir conferver pour vous.
Ah ! Madame, m'écriai-je, plein d'un
trouble qui ne me lai(ïbit pas la liberté de
xéfléchir , vous ne m'avez point aimé. Vous
verriez moins tranquillement mon dékC-
poir, vous y feriez fènfible , (î votre ten-
CTtnt pour moi avoir été aufli forte que vous
me le dites.
Mais, Meilcour, reprit-elle, fèroît-ii poC-
£ble que je puflè encore me flatter de vous
^e cnere ? Dois-jc même le fouhaiter i ch-'û
èien vrai que vous fbyez fâché de me perdre î
Vous qui n'avez rien épargné pour tâcher de
me déplaire^ ôc qui n'avez cru pouvoir voui
DE Crzb IHeK, TîtS. Ijf
îuftifier qu'en me cherchant des crimes, &
qui ne doutez pas que le marquis ne iôit
afièz bien avec moi , pour que je ne l'aie
pas fait cacher dans mon cabinet.
. Pouvez-vous en parler encore, m*écriai-
je , & ne vous croyez-vous pas a(Iez juftiiiée
dans mon efprit ? Oui , reprit-elle en foupi-
riant, ^e, vois bien que je le luis aujourd'hui ,
mais je ne fèrois pas furprilè de ne l'être plus
demain.
Eh ! quoi , lui dis-je, ne ceflerez-vous pas
de m'oppofer d'aufïî vaincs terreurs ? Ah l
Meilcour , s'écria-t-elle d'un ton plusattendri^
l'intérêt dont il s'agit ici entre nous , eft trop
grand pour moi pour devoir être traité (i lé-
gèrement. Se je fuis perdue , fi. je ne Cuis
pas heureufè. Non y repris- je , en la prelïànt
dans mes bras , ma tendreflè ne vous laiflera
rien à defirer.
Mais , Meilcour , répondit-elle , en pa-
roiflànt rêver , ne pouvez-vous pas être con-
teiu de mon amitié ? Songez-vous que je ne
vous préférerai personne , & , qu'à peu de
choies près , j'aurai pour vous l'amour le
plus tendre } Croyez-moi , ajouta-t-elle , en
xie regardant avec des yeux que la pailion la
plus vive animoit , c'eft l'unique parti qui
nous refte, & ce que je vous refufe, ne
vaut pas ce que je vous of&e. Non, lui dis-
)e, en me jetant à fes genoux, & plus en-
flammé encore par faréfiftance , non , vous^
me rendrez tout ce que j'ai perdu. Ah i
«uel y s'écriar-t-elle ^ ca loupirant ^ voulez^
/
%y6 Œ 1/ V R Ë S
VOUS feîrc le malheur de ma vie , & n'avez-
vous pas déjà affez de preuves de ma ten-»
dreflc ? Levez-vous , ajouta-t-elle d'une voix
prefque éteinte , vous ne voyez que trop que
je vous aime. Puiffiez-vous un jour me prou-
ver que vous m'aimez.
En achevant ces paroles , elle baifTa les-
yeux , comme fi elle eût été honteufe de
m'en avoir tant dit^ Malgré le tour férieux
que notre cônverfation avoit pris fur la fin ,
je me fouvenois parfaitement du ridicule quç
madame de Lurlay avoit jeté fur mes craintes.
Je la preflai^tendrcment de me regarder. Je
l'obtins ; nous nous fixâmes. Je lui trouvai
dans les yeux cette impreffion de volupté
que je lui avois vue le jour qu'eRem'appre-
noit par quelles progreffions on arrive aux
pkifirs , & combien l'amour les fubdivife.
Plus hardi , & cependant encore trop timide ,-
feflàyois en tremblant , jufques où pouvoir
aller fon indulgence. Il fembloit que mes
tranfports augmentaient encore fescnarmes ,
& lui donnàÔent des grâces plus touchantes»
Ses regards , fes foupits , fon filcnce , tout
m'apprit , -quoiqu'un peu tard , à quel point
j'Aois aimé. J'étois trop jeune pour ne pas
ctoire aimer moi-même. L'ouvrage de mes
fens me parut celui de mon cœur. Je m'aban^
donnai à toute l-ivreflè de ce dangereux mo^
ment , & je me rendis enfin âuffi <*du|>able'
içue je pouvois l'être.
Jç- l'avouerai ; naon crime me jAit • &
noaniiluiioti fut longue^ foit 4ue le^malelic^
DE CRiBIILÔK, FILS. 277
de mon âge rentretînt , ou que madame de
Lurfay feule le prolongeât. Loin de m*oc-
cuper de mon infidélité , je ne (bngeois qu'à,
jouir de ma viftoîre j ce que je croyois qu'elle
m avoit coûté , me la rendoit encore plus
précicufe 5 de quoique \e ne triomphaflè ,
dans le fond, que des obftaclesqaejem'étois
oppofés , je n'en imaginai pas moins , que
la réfiftance de madame de Lurfay avoit été
extrême. Je n'en fus pas plutôt pofïcfleur ,
<5[U0 je fèntis renaître toute mon eftimè pour
elle , & que je portai l'aveuglement au point
d'oublier tous les amants que Ver(ac lui
avoit donnés , & celui dont elle venoit éilt^
même de convenir avec moi. L'unique chofe
qu'alors je fbuhaitaffe pour l'avenir , étoic
qu'elle ne ce(ïàt pas de m'aimer 5 fes charmes^
flattoient mes fèns,.& (on amour , qui me
paroiflbit prodigieux, fè communiquoit à-
mon ame , & y répandoit le trouble le plus^
flatteur.
Je fêntois enfin diminuer mon erreur,
mais trop peu pour me Kvrer au repentir. Je
me ferois cependant peu à peu livré aux ré-*
flexions , fî madame de Lurfay avoit bien
voulu ne pas m'intcrrompre ; mais malheu-
leufement pour ma raifon , elle s'apperçu*
due je revois , êc m'en montra une fbrtô
d'inquiétude qu'il n'auroit pas été honnête
de lui laiflèr , & qu'en effet elle ne méritoic
|>as d'avoir. Jèk raflurai donc. Jamais amante
n'a été mdais vaine & plus timide. Plus je
h louois fur fès charmes ^ plus je m'en oc^
%yt (E V V K K s
cupois, moins elle ofoit j diibit-elle , (è flâner
de leur pouvoir fur moi. Je paroifibis^tranC-
porté, peut-être ]t n'aimois pas* Etûitelle
forcée de com^enir que je l'aimois , elle n'en
étoit pas. plus tranquille. Après s'être aban^
donnée aux craintes 3 elle revenoit auxtranf*
Eorts y l'enjouement le plus tendre » & le
adinage le plus féduifànt ; enfin tout ce que
l'amour a de charmant quand il ne fè con*
traint plus , fc fuccédoit làns cefle , & .m'en-
ttetenoit dans. une agitation qui me rendoit
peu propre à des réflexions bien férieuiès.
Quelque enchanté que je fuffe , mes yeux
$*ouvrirent enfin. Sans connoître ce qui me
manquoit y je (êntis du vuide dans mon ame.
Mon imagination feule étoit émite y & pour
ne pas tomber dans la langueur , j'avois be-
ibiri de l'exciter. J'étois encore emprc fle ,
mais moins ardent. J'admirois toujours , &c
^'étois plus touché. Ce fut en vain que je
voulus me rendre mes premiers tranfporcs.
Je ne me livrois plus à madame de Luriay
que d'un air contraint , & je me reprochois
)u(qués aux moindres defirs que u beauté
m'arrachoit encore.
Hortenfe , cette Hortenfe que j'adorois ,
quoique je l'euflè (î pai^itement oubliée ,
revint régner fur mon cœur. La vivacité des
ièntimcnts que je retroùvois pour elle , me
rendoit encore moins concevable ce quis'étoit
pafTé. N'efl-ce pas dans la feule e/pérance de
k voir que je fuis venu chez madame de
Lurfày , me difbis-je i Et pendant leur ab-
deCkébilxoiYjTils. 179
iênce , n'eft-ce pas elle feule que j'ai regrettées
Par quel enchantement me trouvai- je engagé
avec une femme qu'aujourd'hui même je dé-
teftois ?
Ma (ituation devoit en effet m'étonner,
d'autant plus que j'avois été vain & jaloux
fans le favoir , Se que je ne m'étois point
apperçu de l'empire que ces deux mouve-
ments avoient pris fur moi. Il étoit 3 au refte y
extrêmement (impie que madamcde Lurfay ,
gui joignoit à beaucoup de beauté , une ex-
trême connoiffance du coeur , m'eût conduit
imperceptiblement où j'en étois venu avec
elle. Ce que j'en puis croire aujourd'hui ,
c'eft que fi j'avois eu plus d'expérience , elle
ne m'en auroit que plus promptement fe-
duit: ce qu on appelle l'ufàge du monde, ne
nous rendant plus éclairés , que parce qu'il
nous a plus corrompus.
Il m'auroit donc fait fentîr vivement com*
bien il eft honteux d'être fidèle. Je n'aurois
pas , à la vérité , été faifî par le fentiment,
il m'auroit paru ridicule dans madame de
Lurfay , ôc pour me vaincre , il auroit fallu
2u'elle eut été aufli méprifàble qu'elle avoit
vite de me le paroître. Loin même quel'idée
d'Hortcn/è eût été bannie un moment de
ma mémoire , j'aurois trouvé du plaifir à
m'en occuper. Âû milieu même du trouble
>oà madume de Lurfay m'auroit plongé,
î'aurois gémi de l'ufîïge qui ne nous permet
pas de réfîfler à une femme à qui nous plai-
tons y j'aurois fauve mon coeur du défordre
xio (E u. y H E s
de mes Cens , & par ces diftinâions délicft'^
tes 9 que Ton pourroit appeller le quiécifniQ
de ramour, \c me fèxois livré à tous les
charmes de roccafion , uns pouvoir courir
le rifque d'être infidèle.
Cette commode métaphyiique m'écoic in->
connue , & ce fut avec un extrême regret »
que je vis à quel point ]e m'étois trompé.
Les emprefTements de madame de Luriày
augmentèrent pendant quelque temps (on
chagrin ; mais (bit gueiem'ennuyafl'ede me
trouver coupable , loit que je craignifle d*cC-
fuyer des reproches auxquels je n'aurois fxi
que répondre , où que dansTivrcfle où j'ëtoîs
encore , le fentiment n'agît que foiblcmenc
fur moi , je me j-évoltai contre une idée qui
me deycnoltimportune. Dérobé aux pUilirs
par les remords , arraché aux remords par
les plaifirs , je ne pouvois pas être (uruni
moment de moi-inêinc. Je Tavouerai même
à ma honte , qudqucfois je me juftifiois moii
procédé , & je rie concevois pcrint com-«
ment j'avois pu manquer à Hortenfe t pui£^
qu'ellc'ne m'aimoit pas , que je ne lui avots
lien promis , & que je ne pouvois pas
cfpérer de lui devoir jamais autant de re-»
Connoiflance q^ue j'en devois à madame do
Lurfay.
Je perfuado^ zffcz facilement à rnon tC*
prit, que ceiaifonnemcnt étoit jufte; mais
je ne pouvois pas de même , tromper :Bion
cœur. Accablé des reproches fecféts qu^l me
£ûibit , ôc ne pouvant en triompher , i'ç^yai
DECreBILLOKjFILS. 281
de m'en diftraire , & de perdre dans de nou-
veaux égarements , un fouvenir importun
qui m'occupolt malgré moi. Ce fut en vain
que ie le tentai , & chaque inftant me ren-
doit plus criminel , fans que je m'en trou-
Yâfle plus tranquille.
Quelques heures s'étoîent écoulées dans
ces contradictions , & le jour commençoic
à paroître, qu'il s'en falloit beaucoup que je
fuflè d accord avec moi-même. Grâces aux
bienféances que madame de Lurfày obfèr-
voit fevérement , elle me renvoya enfin , &
je la quittai , en lui promettant , malgré mes
remords, de la voir le lendemain de bonne
heure, très-détermiiié , de plus, à lui tenir
parole*
Fin de la dtrnierc Partie & du Tome IIL\
Y
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