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Full text of "Collection complete des œuvres de M. de Crébillon, fils"

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UU6, tas A 3 



COLLECTION 



C O MP L FT £ 



DESŒUVRES 

DM 

M. BE CRÉBILLÛN , VILS*. 




TOME TROISIEME, 

ûaâptsasmmm 




^hme UJU 






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« • • ^ 



A 



COLLECTION 

COMPLETE 

DES ŒUVRES 

M. DE CRÉBILLON , FILS. 



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• .^ * 



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TOME TROISIEME. 







^ LONDRES. 

t 

M* PCC. LXXYII< * 



• « 



12JUL1958- ^^ 







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^. 



5ï* 




A MONSIEUR 

D E 

CRÉBÏLLON, 

D E 
FRANÇOISE. 

JVi ONS JÊEir Rjt 

Jjs devrais attendre fims doute, pour vpifà 

rendre un hommage pubiiç , fue je pujfe vous 

offrir un ouvrage pats digne de vous, mais je 

me flatta m^ vous voudrez Bien > dans ce que 

je fais aujourd'hui y ne regarder que mon j^e/ej 

Attaché à vous par les liens les plus étroits du 

fang , nous fommes , fi je l^ofe dire , plus 

unis encore par Inimitié la plusfincere y & ta 

plus tendre^ Eh! pourquoi ne k dirois-je pas f 

Iss per^f ne. veulent-^ijs donc que du rejpeâ ?' 

'Leur dpnn&rtrifmém^tout ce qu'on leur doit ? « 

& OM kuf dm^0itHlpas être tien doux de voisf;^ 



ÎY ÉPITRE DÉDICATOIRE. 

lAreconnoiffance augmenter & affermir , dans 
le cœur de leurs enfants , cefentiment d* amour 
que la nature y a déjà gravé? Pour moi , 
qui me fuis toujours vu l'unique objet de votre 
tendreffe & de vos inquiétudes ; vous , mon 
ami 3 mon confolateur y mon appui , je ne crains 
poifit que vous voyie[ rien qui puijfè blefftr. le 
rejpeâ que j'ai pour vous , dans les titres que 
je vous donne & que vous aye[ fi juftement 
acquis. Ce ferait même mériter que vous ne les 
€ujpe[pas pris-avec moi , que de vous en priver . 
Et fi jamais le publie honore mes foibles talents 
d'un peu d'ejiime y fi la poflérité , en parlons 
de vous ,.peut fe fouvenir que j'ai exifiéy je 
ne devrai cette gloire qu'au foin généreux que 
vous ave[ pris de me former , & au defir que 
j^ai toujours eu que vous pujfie^ un jour, 
m' avouer fans regret* 

Je fuis , avec le plus profond refpeS , 
MONSIEUR, 



Voitt très-humBle St trés^ 
•béiflknt ferviteur &. fiU ^ 



P R È F A CE. 

J-/ES préfaces, pour k plus grande partie , 
ne (èmblent faites que pour en impofer au 
leéteur. Je méprifè trop cet ufàge pour le 
fuivre. L'unique deflèin que j'aie dans celle* 
ci , eft d'annoncer le but de ces mémoires ^ 
foit qu'on doive les regarder comme un ou-, 
vrage purement d'imagination , ou que les 
aventures qu'ils contiennent , (oient réelles^ 

L'homme qui écrit ne peut avoir que 
deux objets , l'utile & l'amufant. Peu d'au* 
teurs font parvenus à les réunir. Celui qui 
inftruit , ou dédaigne d'amufcr , ou n'en 4 
pas le talent y Se celui qui amufè n'a pa$ 
aflèz de force pour inftruire : ce qui fait né- 
ceflairement que l'un eft toujours feç , ÔC 
que l'autre eft toujours frivole. 

Le roman , fî méprifë des perfbnnes fèn* 
féts y & fouvent avec juftice , feroit peut^ 
être celui de tous les genres qu'on pourroti 
Tendre le plus utile , $' i étoit bien manié ^ 

jG^ au Uçu de Iç icxP{>ui de iituatign? liïét. 



vîlj P R JE FA CE. 

brcufês & forcées , de héros dont les carac- 
tères & les aventures font toujours hors du 
vraMcmblable , on le rendoit ^ comme la 
comédie y le tableau de la vie humaine , & 
qu'on y cenfurât les vices 8c les ridicules.. 

Le leéteur n'y trouveroit^ plus , à la vé- 
rité , ces événements extraordinaires & tra- 
fiques , qui enlèvent imagination & dé- 
chirent le cœur ; plus de héros qui ne paflat 
les mers que pour y être , à point nommé ,, 
cris des Turcs y plus d'aventures dans le fer- 
lail , de fukane fouftraite à la vigilance des 
eunuques , par quelque tour d'adreflè fur-.^ 
prenant ; plus de morts imprévues > & in- 
finiment moins de fouterrains ; le feit pré- 
paré avec art , feroit rendu avec naturel. Oit 
pe pécheroit plus contre les convenances & 
h- raifon. Le fentiment ne feroit point outré ^ 
î'honïme enfin verroit l'homme tel qu'il eft j. 
pn Téblouîroit moins ,^ mais on l'ioftruiroit 
davantage. 

J*avDue que beaucoup dé lefteurs , quî 
ne imn point touchés des chofcs Amples ^^ 
fi'approuveroient point qu'on dépouillât le 
xoman des puérilités faftueufês qui le leuc 
rendent cher y xnais ce ne lèrpit point à mçe 
jèns une ràtiibn de ne le point réformer*, 
jghaque &eck> ch^^ue am&ée tàèu^c^ ^çtt^ 



PRÉFACE. IX 

un nouveau goût. Nous voyons les auteurs 
qui n'écrivent que pour la mode j viâimes 
de leur lâche complaiiànce , tomber en même 
temps qu'elle dans un étemel oubliXe vrai (èul 
iîibiifte toujours ; & fi la cabale iê déclare 
contre lui , fi elle l'a quelqudbis obfcurci , 
die n'eft jamais parvenue à le détruire. Tout 
auteur xecenu par la créante baflfè de ne pas 
plaire ai&z à (on fiecle » pauè rarement aux 
ûecles à venir. 

Il eft vnû que ces rcmians > qui ont pour 
but de peindre les hommes tels qu'ils (ont ^ 
font fujets , outre leur trop grande fimpli- 
dté , à des inconvénients. U eft des ledeurs 
fins qui ne li(ènt jamais que pour £ûre des 
applications , n'eftiment un livre qu'autant 
qu'ils croient y trouver de quoi déshonorer 
quctlqu'un^ & y mènent par*tout leur ma- 
lignité & leur fiel. Ne feroit-ce pas que ces 
gens fi déliés , à la pénétration defquels rien 
n'échappe , de quelque voile qu'on ait pré-, 
tendu le couvrir , (è rendent dans le fond 
aâèz de juftice pour craindre qu'on ne leur 
attribuât le ridioile qu'ils ont apperçu > s'ils 
ne fe hâtoient de le jeter fur les autres. De là 
vient cependant que quelquefois un auteur 
eft accula de s*être déchaîné contre des per- 
^;)nnes q^u'il reipeâe ou q.u'il' ne comK»€ 



X PRÉFACE. 

point , & qu'il paflè pour dangereux , quand 
il n'y a que fes ledteurs qui le fbient. 

Quoi qu'il en puifïè être , je ne connoîs 
rien qui doive , ni qui puifle empêcher un 
auteur de puifer fts caraéleres & fes por- 
traits dans le fèin de la nature. Les applica-^ 
rions n'ont qu'un temps ; ou l^on fe lafïè 
. d'en faire , ou elles font iî futiles qu'elles tom- 
bent d'elles-mêmes. D'ailleurs où ne trouve- 
t-on point matière à ces ingénieux rapports? 
La fiaion la plus déréglée , & le traité de 
morale le plus ûge , fouventlles foumiflènc 
également , & je ne connois jufqu'ici que 
les livres qui traitent des foienccs abflraites 
qui en foient exempts. 

Que l'on peigne des petits-maîtres & des 
prudes , ce ne feront ni meflîeurs tels , nî 
mefdames telles , que l'on n'aura jamais vus , 
auxquels on aura penfe y mais il me paroîc 
tout lîmple que fî les uns font petits-maîtres, 
& que les autres foient prudes , il y ait , 
dans ces ponraits , des chofès qui tiennent 
à eux : il eft fur qu'ils feroient manques , s'ils 
ne reflembloient à perfonne ; mais il ne doit 
pas s'enfuivre , de la fureur qu'on a de fe 
leconnoîtré mutuellement , qu'on puifïè être , 
avec toute forte d'impunité , vicieux ou ri- 
dicule. On eft même d'ordinaire il peu cer- 



TRÉrACE. xj 

taîn des perfbnnages qu'on a démafqués 5 que 
fi , dans un quartier de Paris , vous entendez 
s'écrier : Ah î qu'on reconnoît bien là la 
marquifè ! vous entendez dire dans un autre : 
je ne croyois pas qu'on pût fi-bien attaquer 
la comtefïè ! & il arrivera qu'à la cour on 
aura deviné unetroifieme perfbnne , qui ne 
fera pas plus réelle que les deux premières. 

Je me fuis étendu fur cet article , parce 
que ce .livre n'étant que l'hifloire de la vie 
privée , des travers & des retours d'un homme 
de condition , on fera peut-être d'autant plus 
tenté d'attribuer à des pcrfbnncs aujourd'hui 
vivantes 3 les portraits qui y font répandus 
& les aventures qu'il contient 5 qu'on le 
pourra avec plus de facilité , que nos mœurs 
y font dépeintes -, que Paris étant le lieu où 
le pafïc la fcene , on ne fera point forcé de 
voyager dans des régions imaginaires , & 
que rien n'y eft déguif^ fous des noms & 
des ufàges barbares. A l'égard des peintures 
avantageufès qu'on y pourra trouver , je n'ai 
rien à dire : une femme vertueufè , un 
homme fenfe 3 il fetnble que ce fbient des 
êtres de raifbn qui ne reffemblent jamais à 
perfbnne. 

On verra dans ces mémoires un homme 
tel qu'ils font prefque tous dans une extrême 



Pi . T R Ê FA e R 

feuneile, iimple d'abord & (an$ art^ ic ne. 
connoiâant pas encore le monde où il eâ; 
obligé de vivre. La première & la féconde, 
partie roulent fur cette ignorance ScÇat Ç^ 
premières amours; Ceft dans les fuivantosy 
im homme plein de huiles idées , & pétri 
de ridicules, & qui y eu; moins entraîné^ 
cnoore par lui-même > que. par des perfbnn^ 
5ntérefï^es à lui corrompe le cœur àtelprit» 
Ou le verra enfin dans les dernières rendu à. 
toi-même , devoir toutes iès vertus à une* 
femnie eftimable 5. voilà quel eft l'objet àt% 
égarements dcl'efprit & du coeur. Il s'en 
feut beaucoup qu'on ait précei^du ^montrer- 
rhomme dans cous les déibrdres où |e |>Ip^ 
gent les paiSons :. l'amour i(èal préfid^ ici:;^ 
ou. fi ^ de -temps' «n temps :> qtiel^^fftire^ 
teotif s'y joint 3 c'éft prefque tôujoiif siui yijb 
b détermine, . ^ -: 




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LES 

EGAREMENS 

DU C (S. U R 
ET DE L' ESPRIT 

V 

MÉMOIRES 

D E 

Mr. de MEILCOUR. 
premiere partie. 

; J ' E K T R A I dans le monde à dix-rept ans ,' 
&avec tous les avaniages qui peuvent y faire 
remarquer. Mon père m'avoit laifle un grand 
nom, dont il avoit lui-même augmenté 
Tome III, A 



i Œuvres 

Téckt ; & j*attendois de ma mère des bîens 
confidérables. Reftée veuve dans un âge 
où il n'étoic pas d'engagements qu^èlle ne 
pût former , belle , jeune & riche , fà ten- 
drefic pour moi ne lui fit envifàger d'autre 

}>laifîr que celui de m'élever , & de me tenir 
ieu de tout ce que j'avois perdu en perdant 
mon pcre. 

Ce projet a je croîs, (croît entré dans l'eC- 
prit de peu de femmes, & beaucoup moins 
encore Tatiroîent ponûuellenjent exécuté. 
Mais , madame Meilcour , qui , à ce que 
l'on m'a dit , n'avoit point été coquette dans 
iâ'jeimeflè , & que je n'ai pas vugalante fîir 
ion retour, trouva moîns de dimcultés que 
toute autre perfbnne de ion rang n'auroit 
feit. 

Choie aiH^z rare ï on me donna une édu« 
cation modeile : j'étois naturellement porté 
à m^eilimer ce que je valois ^ & il eft ordî* 
naîre, lorfque l'on penieainii, de s'eftimer 
plus qu'on ne vaut. Si ma mère ne parvint 
pas à m'ôter l'orgueil , «lie nr'obligea du 
moins à le contraindre : par la fuite, je n'en 
gi pas été moins fat ; mais, ians les précau- 
tions qu'elle prit contre mois )e l'aurois été 
plutôt , & fans reilburce. 

L'idée du plaiiir fut , à mon entrée dans 
le monde , lar ièule qui m'occupa. La paix , 
«qui régnoit alors , me laiilbit dans un loiiir 
dwgereux« Le peu d'occupation, que fe fonc 
communément les cens de mon rang & de 
mon âge^ le faux air^ la liberté^ l%xe%plej| 



^B CltEBIt^OH-^ VILS* I 

tout m'entraînok vers les plaiiirs : j'avois les 
paffions impétueufès 3 ou , poux parler plus 
jufte y i'avois l'imaginatioii ardente & facile 
à fe laifler frapper. 

Au milieu du tumulte & de Téclat qui 
m'cnvironnoient ians celle, je fends que 
tout manquoit à mon cœur : )e dedrois une 
félicité dont )e n'avois pas une idée bien dif^ 
.Xm6kt ^ je fus quelque temf^ fans compren- 
dre la forte de volupté qui m'étoit néccf- 
(àire. Je voulois m'étourdir en vain fiir l'en- 
nui intérieur dont je me fèntois accablé ; le 
commerce des femmes pouvoit fêul le dif&- 
per. Sans connoître encore toute la violence 
du poichant qui me portoit vers elles , je 
les cherchois avec foin : je ne pus les voir 
long-temps , & ignorer qu'elles feules pou- 
voient mç (aire ce bonheur , ces cioucçs 
erreurs de l'ame , qu'aucun amufèment ne 
jn'offroit 5 & l'âge augmentant cette difpo- 
(ition à la tendrefle, & me rendant leurs 
agréments, plus fèn/ibles, je ne ibngeai pli^s 

2u- à me faire une pafGon , telle qu'elle put 
tre. • 

La chofè n'étoit pas fans difficulté : je 
n'étois attaché à aucun objet , & il n'y en 
avoir pas un qui ne me frappât : je craignols 
dechoifir> ôc je n'étois pas même bien libce 
de le. faire* Les fe^timents, que l'une m'inC- 
piroic, éroiei^ détruits le moment d'après 
, par ceux qu^une autre Ëufoit naître. 
- On s'attache fbuveint moins à la fcmm';. 
^quitoVlidbe le plus^ qu'à celle qu'on çim 

Ai 



* .' 



îf . ' ' ' (ffi tj'V R ES 

•le i^lus facilement toucher -, j'étoîs <kns ce 
•cas* autant que pcrfonne : ]t voulois aimer , 
mais je »'aimoîs point : celle , de qui j'atteiv- 
doîs Iç moin$ de rigueurs , ctoit la feule donc 
•je me crufle véritablement épris j mais , 
comme il m'arrivoit quelquefois d'être, darrs 
un même jour, favorablement regardé de 
plus d'une , je me trouvois le fbir dans un 
[ embarras extrême , lorfîjue je voulois choi- 

si lîr : ce choix étoit-il déterminé , coniment 

V l'annoncer à l'objet qui m'avoit fixé ? 

!^ J'avois fi peu d'expérience des femmes, 

I qu'une déclaration d'amour me ièmbloit 

e une oSenCe pour celle à qui elle s'adrelïbit. 

l Je craignois d'ailleurs qu'on ne m'écoutàt 

£as , & je regardoîs l'aflSront d'être re- 
uté , comme un des plus cruels qu'un 
liomrae pût recevoir : à ces confidérations 
le jdignoit une timidité que rien ne pouvoit 
vaincre , & qui , quand on auroit voulu 
xn'aider 5 ne m'auroit laiffé profiter d'aucune 
occa/îon, quelque marquée qu'elle eût été : 
j'aurois &nà doute pouffé , en pareil cas , 
inon refpç6fc au point où il devient un ou- 
trage pou? tes ^mmes, ôç un ridicule pour 
nous. 
t II eft aifé de juger , par ce détail , que je 

1 n'avois pas pris d'elles unç idée bien jufte : 

de la façon dont alors elles penibient, il y 
avoir plus à craindre auprès d'elles à ne leur 
pas dire qu'on les aimoit, qu'à leur montrer 
toute l'impreflîon qu'elks croient devoir 
iàire i Se l'amour^ jadis il ref^âueux » f) 



W 4.'JW 



DKCRiBILLON,rilS. fi 

fincere, fi délicat, étoit devenu- fi téméraire 
& fi aifé, qu'il ne pouvoir paroître redou- 
table qu'à quelqu'un auflî peu inftruit que 
moi. 

Ce qu'alors les deux (excs nommoient 
amour , étoit une fone de commerce, oà 
l'on s'engageoit , fouvent même fans goût , 
où la commodité étoit toujours préférée à 
la fympathie , l'intérêt au plaifir , & le vice 
au lèntiment. 

On dilbit trois fois à une femme qu'elle 
étoit jolie ; car il n'en falloit pas plus : dès 
Ja première , aflurément elle vous croyoit , 
Vous remercioit à la féconde , & aflez çom- . 
munément vous en récompenfoit à la troi- 
fîeme^ 

Uarrivoit même quelquefois qu'un homme 
n'avoit pas befbin de parler , & ce qui , dans 
un fiecle auffî fage que le nôtre , furprendra 
peut-être plus , fouvent on n'attenaoit pas 
qu'il répondît. 

Un homme, pour plaire, n'avoir pas be- 
foin d'écre amoureux : dans des cas preffês . 
on le difpenfoit même d'être aîmablp, 

La première vue décidoit une ^flaire : 
n>ais , en même temps , il étoit rare que le 
lendemain la vît fubfifter ; encore ^ en Ce 
quittant avec cette promptimde , ne préve- . 
noit-on pas toujours le dégoût. 

Pour rendre la fociété plus douce , on 
étoit convenu d'en retrancher les façons : on 
ne la trouva pas encore aflez aifée > on en 
fupprima les bienféatices. 



ê ŒÙVIIBS 

Si nous en croyons d'anciens mémoires , 
les fcmmcs étoiènt autrefois phis flattées 
d'infpirer le refpedk que le denr ) & peut- 
être y gagnoient-elles. A la vérité, on leur 
Inrloit d'amour moins promptement y rnais^ 
celui qu'elles fkiibicnt naître , n'en étoit que 
plus fadsfaifant, & que plus durable. 

Alors y elles s'imaginoient qu'elles ne de- 
▼oient ' jamais fe rendre ; & en effet elles^ 
réfiftoient. Celles de mon temps penfoient- 
d'abord qu'il n'étoit pas poffible qu'elles le 
défendiflent ; & fuccomboîent , par ce pré- 
jugé, dans rinftant même qu'on les atta- 
quoit. 

Il ne feut cependant pas inférer ^ de ce 
^ue je viens de dire , qu'elles oflfrillènt tou- 
tes la même fecîlité. J'en ai vu qui , après 
Quinze {ours de ibins rendus, étoient en- 
core indécifes , & dont le mois tout entier 
rfachevoit pas la défeite. Je conviens que 
ce font des exemples rares , & qui fembleiit ' 
ni devoir pas tirer à confèquence pour le, 
réfte j même , fî je ne me trompe, les fem- 
mes f^veres , à ce point là , paflbiem pour 
écre un peu prudes. 

' Les mœurs ont depuis ce témps-Ià fi pro- 
digieufement changé , que je ne feroîs pas 
furpris qu'on traitât de hible aujourd'hui ce 
que je viens de dire fur cet article* Nous ^ 
croyons difficilement , que des vices & des ' 
vertus qui ne font plus fous nos yeux , aient 
jamais exifté : il eft cependant réel que jie 
n'exagère pas* • 



Loin que je fuflfe la façon dont l'amouf 
fe menoit dans le monde , je croyoîs, mdU 
gré ce que je voyois tous les jotirs, qu'il 
falloit un mérite fupérieur pour plaire aux 
femmes ; & ^ quelque bonne opinion que 
i'eufïè en fecret de moi-même, je ne me 
trouvois jamais digne d'en être aimé: je fuis 
même certain , que quand je les aurois mieux 
connues y je n'en aurois pas été moins timi- 
de. Les leçons & les exemples font peu de 
chofè pour un jeune homme ; & ce n'eft 
jamais qu'à (es dépens qu'il s'inftruit. 

Qiiel parti me reftoit-il donc à prendre î 
Il n'étoit pas queftion de confulter madame 
de Meilcour fur mes incertitudes, &, parmi 
ïes jeunes gens que je voyois, iPu^y en avoic 
pas un qui eût plus d'expérience que moi , 
ou qui du moins eût acquis celle qui auroic 
pfSL me fervir. Je fus fix mois dans cet em- 
ferras , & j'y fercis fans doute refté plus 
long-temps , fi une des dames , qui m'avoit 
le plus vivcmem frappé, n'eût bien voulu 
fe charger de mon éducation. 

La marquifê de Lur/ày (c'étoit fbn nom) 
me voyoit prefîjue tous les jours , ou chez 
elle ou chez ma mère , avec qui elle était 
extrêmement liée. Elle me connoiflbit depuis 
long-temps. Le foin qu'elle prenoit de me 
dire des choïès obligeantes uir mon efprit 
& fur ma figure, fa familiarité avec moi , 
& l'habkudc de la voir , m'avoicntjlonné. 
beaucoup d'amitié pour elle, & une forte 
d'aifânce où je ne me trouvois avec perionfie: 

^ A 4 



t <E ir V X B s 

de fon fexe. De ce premier femiment , tvê 
d'un aflez long commerce , j'en vins infènfi- 
blement à Ibuhaiter de lui plaire; & comme 
elle étoit de toutes les femmes celle que je 
Voyois le plus , elle fut auffi celle qui me 
toucha le plus continuement. Ce n'étoit pas 
que je cruflc trouver plus de facilité à être 
aimé d'elle que d'une autre. Loin de me 
flatter d'une fi douce idée , le peu d'efpoir 
d'y ré,uflîr m'avoît fait fbuvent porter *mes 
vœux ailleurs ; mais , après deux jours d'in- 
Sdclité, je revenois à elle, plus tendre & 
|3^1us timide que jamais. 

Malgré mon attention à lui cacher ce 
qu'elle m'infpîroit , elle m'avoit pénétré f 
mon refpeA pour elle , & qui fèmbloit 
s'accroître de jour en jour ; mon embarras 
en lui parlant , embarras différent de celui 
qu'elle m'avoit vu dans mon enfance ; des 
regards" même plus marqués que je ne \à 
croyois 5 mon foin toujours prefïànt de lui 
plaire ; mes fréquentes vifites v & plus que 
tout , peut-être , l'envie qu'elle avoit elle« 
même de m'engager , lui firent penfer que 
je l'aimois en fecret : mais, dans la fituation 
où elle étoit alors , il ne lui convenoit pas 
de brufquer mon cœur , & de s'engager fans| 
précaution dans une af&ire qui pouvoit êtxc 
équivoque. 

Coquette jadis , même un peu galante , » 
une aventure d'éclat , & qui avoit terni fa 
réputation , l'avoit dégoûtée des plaifirs 
bruyants du grand monde. Auffi fenfible > 



y 



l 



DEClléBTLLOH,FILS. y 

mais plus prudence , elle avoir compris enfin ^ 

2 ne les femmes fè perdent moins par leurs 
libleflès y que par le peu de ménagement 
u'elles ont pour elles-mêmes ) Se que , pour 
ère ignorés , les tranfpcm d'un amant n'en 
ibnt y ni moins réels , m moins doux. Mal^ 
gré Tair prude qu'elle avoir pris , on s'obfti* 
noit toujours à k ibupçonner; & j'éroia 
peut-être le feul à qui elle en eût impofë. 
Venu dans le mônœ long-temps après les 
difcours qu'elle avoir fait tenir au public » 
il n'étoit pas (urprenanc qu'il n'en eût rien 
paile jufqu'à moi. Je doute même y quand 
on auroit alors voulu me donner mauvaitè 
opinion d'elle , qu'il eût été pofEble de me 
k faire prendre : elle favoit combien j'étois 
éloigné de k croire capable d'une foibleflè ^ 
& s'en croyoit obligée à. plus de circonipec->. 
tion , & à ne céder , s'il le falloir , qu'avec 
toute la décence que je devois attendre d'elle. 
Sa figure & fon 4ge TaidcHent encore dans 
ce projet. Elle étoit belle » mais d'une beauté - 
majeftueufê y qui même ^ fans le ferieuX'. 
qu'elle aâèâoit y pouvoit aifèment fe faire» 
xefpeâer.Mife (ans coquetterie , eUe ne né^» 
gU^oit pasT^mement. En diiànt qu'elle ne 
cherchoit pas à pkire , elle fe mertoit tou<» i 
jours en état de toucher; 6c réparoit avec 
ibin ce que près de quarante, ans » qu'elle^ 
avoit» loi avoient enlevé d'agréniems : ellei. 
en avoir même ped perdu ; & fi Ton en eY-«» 
cepte cette fraîchei^r xpn difparott avec kf 
preodere îeuiiefrc^:38c quç âmyent lés kmsDi^ 



te , 4E xt t % t $ 

flétri(îent avant le temps en voulant la rendse 
fias brillante , madame de Luriày n'avoîc 
lien à regjrttter. Elle étoit grande & biea 
hàtt } de , dans fà nonchalance afièâée , pea 
de femmes avoient autant de grâces qu'elle» 
Sa phyfionomie & fes yeux étoient fêvere^ 
forcement , & lorPru'elle ne (ongeoit pas à 
' s'obfèrver , on y vtrf oit briller tenjouemenc 
& la tendreflè. 

Elle avoit refpiit vif, mais &ns étourderie ^ 
prudent , même diflimulé. Elle parlait bien ^> ^ 
Se parloir aifëment > avec beaucoup de fi* 
nefle dans les penfëes , elle n'étoit pas pré-^ 
cieufe. EUe avoit étudié avec (bin fon iexe 
& le notre , & connoifloit tous les reflbns^ 
qui les font agir. Patiente dans Ses vengeances^ « 
comme dans fes plaifirs , elle (avoit les at« 
fendre du temps , lorfque le moment ne les 
}ui foufliiUbit p^s. Aurefte, quoique prude ^ 
elle étoit douce dans la (bciété. Son fyftéme 
n'étoit: point y qu'on ne dut pas avoir des 
ibibleflfes , mais que le fèntiment icul pou^* 
Yoit les fendue pardonnables ^ ibrte de diC* 
cours rdt>attti , que tientient uns celle les trois 
quarts des femmes > & qui ne rend que plus, 
jnépri&bles celles qui les déshanorent pac 
leur conduite. 

Dans quelques converfàttons que nous* 
a^ohs euescnlèmble fur Tamour^ eUe sfétoit 
iftftruice de mon caiaébre j 6c des laifbns 
qui pDUvoîent me fiite redouter l'aveu ^m\^ 



mipcmam^ pouc m'acquésir» 6ti. 



même me fixer , de me diflîmaler le flvt» 
long'temps qu'il lui ferait pofllîble (on amour, 
pour moi ; que plus J'écois accoutumé à la 
refpedker , plus je (crois frappé d'une dé- 
marche pràripitée de (à part. Elle (àvoit d'aile 
leurs, qu'avec quelque ameurqueles hommes 
poursuivent la victoire , ils aiment toujours, 
à l'acheter ; & que les femmes y qui croienc 
ne pouvoir (è rendre aflèz promptement ,• 
fè repentent fbuvent de s'être trop tôt laiflK 
vaincre. 

J'ignoroîs, entre beaucoup d'autres choies,' 

J[ue le (entiment ne fut dans le monde qu'un 
ujet de conver(àtion , & j'entendois les 
femmes en parler avec un air (i vrai , cUei 
en (tiifbient ces diftinâbions fi délicates y 
méprifbîent avec tant de hauteur celles qui 
s'en écanoicnt , que je ne pouvois m'imagi-' 
ner , qu'en le connoilïànt lî-bien , elles cà 
fiflènt fi peu d'ufage. 

Madame de Lurfay iur-tôut» qui, i 

force de tâcher d'oublier (es fatales aven«* 

turcs, croyoit en avoir détruit nar-tout le 

fouvenh", en avouant qu'à vue de pays elle 

fe croyoit capable d'aimer , fàifbit de (on 

cœur une conquête fi difficile , vouloit tant 

de qualités dans Tobjet qui pourroitla rendre 

fen(ible, parloit d'une façon d'aifner fi fia- 

guliere , que je* frémiflbis toutes les (bis qu'il 

me revenoit dans l'idée de m'attacher à elle; 

Cette dame fi délicate , contente cepeni» 

dant de la façon dont je pen(bîs fiir (ba 

compte , jugea qu'il étoittcmps de me dooncf 

A 6 



nt Œuvrer 

de l'efp»erance , & de me faire penièr , mâvsi' 
par les agaceries les plus décentes y que j^'écois 
le mortel fortuné que ion cœur avoir choUî» 
Des propos obligeants , que jufqu'alors elle 
m'âvoit tenus , elle patfa à des difcours plus 
particuliers , éc plus marqués. Elle me re- 
gardoit tendrement , & m'exhortoit 3 lorfque 
nous étions feuls , à me contraindre moins 
avec elle. Par cette conduite , elle avoit réuffi 
à me donner beaucoup d'amour, & en 
avoit tant pris elle-même, qu'alors fans, 
doute elle auroit voulu m'avpir inipiré moins 
de refpeâ:. 

Sa fituation étoit devenue par (es foins : 
aufll embarraflànte que )a mienne. Il s'agîT- 
ibit de me mettre au defTus de la défiance 
qu'elle m'avoit donnée de moi-même, & 
de la trop bonne opinion qu'elle m'avoit fait 
prendre d'elle ; deux chofès extrêmement 
difficiles , & qu'il falloit ménager avec toute 
Ja finefic pofnble. Elle ne voyoit point d'ap- 
parencte que j'ofàfle lui déclarer que je l'ai- 
mois ; & loin qu'elle dût prendre fur elle 
de fê découvrir , elle étoit forcée de paroître 
jcce voir avec fiJvérité l'aveu que je lui fbrois ^ 
£ encore elle étoit aflèz heureufê poux 
jn'amencr iu(ques-Ià. 

Avec un homme expérimenté , un mot 
dont le fèns même peut fè détourner, ua 
regard , un gefle , moins encore , le met aa 
Élit , s'il veut être aimé ; & , fuppofë qu'il 
iè (bit arrangé différemment de ce qu'oa 
jfbuhaiteioit > on n'a hafàidé que des 4io£bi 



DE CreBTIIOK, Fit J.' If 

£ équivoques , & de H peu de conféquence ^ 
qu elles fe défavouent fur le champ. 

Loin que i'of&ilTe cane de commodité à 
madame de Lurfày , elle avoir éprouvé plus, 
d'une fois 9 que ma ftupidicé fèmbloic aug-» 
menter par tout ce qu'elle faifbic pour me 
dediller les yeux \ Se elle ne croyoic pas pou-^ 
voir m'en dire plus fans courir rifque de 
m'ef&ayer » & même de me perdre. Nous 
ibupirionscous deux en fecret > & , quoique 
d'accord » nous n'en étions pas plus heureux» 
Il y avoic au moins deux mois que nous 
étions dansce ridicule état, lorfque madame 
de Lurfây, impatientée de fbn tourment » 
& de la vénération profonde que j'avois 
pour elle , réfblut de te délivrer de l'un , en 
me guérifïânt de l'autre. 

Une converfation adroitement maniée 
amené fbuvent les chofçs qu'on a le plus de 
peine à dire i le défordre qui y règne , aide 
à s'expliquer \ en parlant , on change d'objet ^ 
Se tant de fois , qu'à la fin celui qui occupe» 
s'y trouve naturellement placé. Dans le monde 
fîir-tout on fc plaît a pirïcr d'amour , parce 
^ue ce fîijet , déy\ intéreflant de lui-même » 
c trouve (buvenr lié avec la. médifànce , & 
qu'il en fait prefque toujours le fonds. 
^ J'étois fur les matières de fèntiment d'ime 
extrême avidité ; & , foit pour m'inftruire , 
(bit pour avoir le plaifîr de parler de la ii-. 
tuation de mon cœur , je ne me trouvois 
{uere encompgnie, que je ne iiflè tombes 
e di(coui:s fur iamour » Se fur Tes e&t$ % 



?< 



14 Œuvres. 

cette cliQ)ofîtion écoîc favorable à madamcf 

deLurfày , & elle réfblut enfin de s*en (èrvîr. 

Un jour qu'il y avoit beaucoup de monde 
chez madame de Meilcour , Se qu'elle 8c 
moi avions rcfufë de jouer, nous nous trou* 
vâmes allîs Tun auprès de l'autre : cette es- 
pèce de tête-à-tête me fit fiiflbnner , quoique 
ibuvenr je le fouhaitafle. Lorfque j'étois éloi- 
gné d'elle , je ne voyois plus d'obftacles qui 
s'oppofàflènt au deflein que je formois de 
lui déclarer ma paffion ; & je n'étois jamais 
à portée de le foire , que je ne tremblaflè de 
l'idée que j'en avois eue. Quoique je ne fiiflc 
pas ièul avec elle , je n'en (iis pas jJus ralKiré ; 
Pendroit du fàlon que nous occupions ,,étoit 
défèrt , tout le monde étoit occupé , point 
de tiers par confëquent à portée de me Co* 
courir. Ces cruelles confidérations achevèrent 
de me jeter du trouble dans l'efprit. Je fus 
un quart- d'heure auprès de madame de 
Lurfay , (ans lui rien dire : elle imifoit ma, 
tacitumité ; & , quelque defir qu'elle eût de 
me parler , elle ne iàvoit comment rompre 
le filence. 

Cependantune comédie qu'on jouoitalors^ 
Se avec fuccès , lui en fournit l'occafion. Elle 
me demandai! je l'avois vue : je lui répondis 
4u'oui. L'intrigue /dit-elle , ne m'en paroît 
pas neuve ; mais ^ j'en aime aflèz.les defâils : 
elle cfl noblement écrite , & les (èntîments 
y font bien développés. N'en penfèz-vous 
pas comme moi ? Je ne me pique pas d'être 
«onnoifreur^ répO])dis-)é } en généndj elfe 



X)S CuluJZZOViy vus. If 

m'a plu s mais j'aurois peine à bien parier de 
Ses beautés & de {es défauts. Sans avoir du 
théâtre une connoii&nce parfaite , on peut , 
reprit-elle , décider (ur certaines parties *> le 
fèntiment , par exemple » en eft une fur la- 
quelle on ne fe trompe point ; ce n'eft pas- 
refprit qui le juge , c'eft le cœur , & les 
choies intérefTantes remuent également les 

Î^ens bornés , & ceux qui orit le plus de' 
umieres. J'ai trouvé dans cette pièce des en- 
droits touchés avec art : il y a fur-tout une 
déclaration d'amour qui , à mon fens , eft: 
extrêmement délicate j Se c'eft un des mor- 
ceaux que j*en eftime le plus. Il m*a frappé* 
comme vous , répondis-)e ^ 8c Yen fais d'au* 
tant plus de gré à Tauteur » que )e crois cette 
fltuatiôn difficile à bien manier. Ce ne fêroit 
pas par-là que je Teflimerois, reprit -elle :* 
dire qu'on aime eft une chofè qu'on fait tous 
les jours, & fort aifément^ &c fi cette fî-* 
tuatîon a de qum pkire , c'eft moins par fou' 
propre fonds , que par la façon neuve dont 
elle eft traitée. Je ne fèrois pas entiérèn^pnc 
de votre avis , Madame , répondis^je \ ôc jç 
ne crois pis qu'il (bit facile de dire qu'on 
mme. Je fuis perfiiadée, dit-elle, que cet 
aveu coûte à une femme : mille laifons, que 
l'amour ne peut abiblument détruire, doî* 
vent le lui rendre pénible ^ car , vous n'ima- 
ginez pas fans doute , qu'un homnie rifqu6 
quelque chofc à le^fcire. Pardcwinez-moi ^ 
Madame , lui dis-je : c'étoit précifément c# 
^ue ]e petiiôis. Je ne (frouve rien de j^v^t; 



lé (B U V R E s 

humiliant pour un homme , que de dite 
qu'il aime. Ceft dommage , aflurémcnt , 
reprit-elle , que cette idée {bit ridicule ; par 
ia nouveauté , peut-être elle feroit fortune. 
Quoii il eft humiliant pour un homme de 
dire qu'il aime ! Oui , làns doute , dis-je , 
quand il n'eft pas fur d'être aimé. Et com- 
ment , reprit-elle ^ voulez-vous qu'il fâche, 
s'il eft aimé ? L'aveu qu'il fait de fà tçn-» 
drefle y peut fèul autoriièr une femme à y 
répondre. Penfez-vous, dans quelque dé- 
ibrdrç qu'elle fentît fon cœur, qu'il lui con- 
vînt de parler la première , de s'expofer par 
cette démarche à fè rendre moins chère à 
vos yeux , & à être l'objet d'un refus ? Bien 
peu de femmes, répondis-je , auroient à 
craindre ce que vous dites. Toutes, reprit- 
elle , auroient à le craindre , iî elles fè met- 
toient dans le cas de vous devancer 5 & vous 
céderiez de fèntir du goût pour celle qui 
vous en auroit infpiré le plus , dans l'inftant 
qu'elle vousofïriroit une conquête aif^e. Cela 
n'eft pas raifbnnable , dis-je 5 & l'on doit , 
à ce qu'il me fèmble , plus de reconnoifi 
iàhce à quelqu'un qui vous épargne des tour- 
ments..... Sans doute , interrompit- elle ^ 
inais , vous penfèz mal pour votre intérêt 9 
& pour le nôtre. Vous-même , qui vous 
técriez aâùellement contre l'injuftice des 
hommes , vous agiriez comme eux fi une* 
femme prévenoit vos fonpirs. Ah ! que je lui) 
en fèrois obligé, in'écriai-je , & que le pUifir; 

4'ètxc provenu augmeaterQit mon amour | 



BsCRiBirzoH^FiLS. 17 
rour que ce plaifii fbit vif pour vous , il faut ^ 
dit-elle j que vous vous ibyez fait une ter- 
rible idée d'une déclaration d'amour. Mais , 
qu y voyez-vous donc de fi eflGrayant ? la 
crainte de n'être point écouté > Cela ne peut 
pas arriver 5 la honte d'être forcé de dire 
qu'on aime ? elle n'eft pas raifonnable. Eh ! 
comptez- vous pour rien 5 Madame , reprit- 
je, l'embarras de le dire , fur-tout pour moi 
qui fèns que je dirois mal > Les déclarations 
les plus élégantes ne font pas toujours , ré- 
pondit-elle , les mieux reçues. On s'amufc 
de l'eiprit d'un amant , mais ce n'eft pas lui 
qui perfuade : fon trouble , la difficulté qu'il 
trouve à s'exprimer, le défordre de fes dif^ 
cours î voilà ce qui le rend àcraindre. Mais, 
Madame, lui demandai-je, cette preuve, 
Qui en efièt me paroît inconteftable , per-» 
luade-t-cUe toujours ? Non., répondit-elle: 
ce défordre dont ie vous parlois , vient quel- ■ 
quefois de ce qu'un homme eft plus ftupidc 
qu'amoureux ; & pour lors on ne lui en tient 
pas compte : d'ailleurs , les hommes font t 
affez artificieux , pour feindre du trouble & 
de la paflion , pendant qu'ils font à peine 
animés par le def ir ; & fouvent on ne les en \ 
croit pas. H peut arrivei auflî , que celui à 
qui vous infpirez de l'amour , n'eft point 
celui pour qui vous en voudriez prendre , 
& tout ce qu'il vous dit , ne vous touche . 
pas. Vous voyez donc , Madame, lui répon- 
dis-je , que je n'ai pas tort d'imaginer que :, 
ce refus eft cruel : & je ne fais fi je lïe pré- 



lî (£ Û V R Ê s 

(éreroîs point mon incertitude à une ex|^^ 
cation qui m'apprendroit qu'on ne me trouve 
pas aimable. Vous êtes le fèul qui ctouvie^ 
cela fi incommode , reprit-elle i 6c , pour 
yous-mème , vous ne raifbnnez pas jufte , il 
çft plus avantageux , même plus raiibnna'* 
ble , de parler , que de s'obftuier à ie taire. 
Vous rifquez de perdre , par le fîlence , le» 
plaiiîr de vous (avoir aimé ; & fi Ton ne peut 
vous répondre comme vous le voudriez,; 
vous vous guériflèz d'une paflîon inutile qui 
ne fera jamais que votre malheur. Mais ,. 
ajouta-t-elle , je remarque que depuis long-» 
temps vous me parlez fiir ce fiijet : & , fi 
je ne me trompe , une déclaration ne vous- 
paroît embarraflànte » que parce que vous 
en avez une à faire. 

' Madame de Lurfày > en fàifant cette obli^ 
géante réflexion y me regarda fixement , & 
a un air fi animé , qu'il acheva de me dé« 
contenances 

Votre filence & votre embarras , conti-* • 
imar-t-elle , m'apprennent que j'ai deviné 
jufte; mais, je ne prétend? me (èrvir du 
iècret que je vous ai fiupris , que pour vous 
tirer d'erreur , & vous être utile > fi je le 
puis. Je veqx d'abord que vous me difieat 
<^uel eft votre choix \ jeune , &c fans expé* - 
rience , comme vous êtes , peut-être l'avez- ' 
vous fait trop légèrement. 5'il n'eft pas digne > 
de vous , je vous plains , m^s ce n'eft pas ; 
encore afièz: mes confèils peuvent vous aider 
àdétruise unepaflion, ou pour mieux dire. 



J 



z»B Crebiilok, iits. if 

une fàncaiiie qui > (don ce que Je vois , n'a 
poinc encore été nourrie par l'e(pérance ^ & 
dont par confëquertt je vous montrercHS le 
xidicule plus ailemenc : fi , au coiitiaixe , 
votre choix eft tel que l'honneur ni la 
ïsàùm ne pui£[ènt en murmurer 3 loin d'ar-»- 
radier de votre coeur Tobjet que vous 7 
avez placé , je pourrai vous apprendre à lui 
plaire , &: moi-même vous avertir de vos 
progrès. 

Cette proportion de madame de Luriay 
me iurprit : quoique (es façons n'eufifent rieti' 
de fëvere , que même fes yeux me parlai^- 
fènt le langage le plus doux , je ne me (êntis- 
pas^la force de lui répondre. Mes re^ds* 
crroient fur die fànsofèr s'y fixer: jecraî-* 
gnois qu'elle s'apperçût de mon trouble , Se' 
je ne rompis le filence que par un jfbupir que 
je tâchai vainement de lui dérober. 

Mais , que vous êtes jeune ! me dit-elle 
avec un air de bonté : je ne puis plus douter 
que vous n'aimiez ; vot^e filence ajoute en« 
core à votre tourment. Que iâvez-vous >* 
Peut-être êtes -vous plus aimé que vous 
n'aimez vous-même : ne fèroit-ce donc rien ' 
pour vous 5 que le plaifir de vous l'entendre 
dire ? En un mot, Meilcour , fe le veux ; 
mon amitié pour vous m'oblige dç prendre 
ce ton , dites- moi qui vous aimez. Âhl 
Madame , réppndis-je en tremldant , je iê« 
rcris bientôt puui de l'avoir dit. 

Dans la limation préfènte , ce difcourf 
n'étoit point équivoque \ auffi madame 4e 



ie (B U V K e 9 

Lurlày l'entendit-elle : mais , ce n'ëtoiç pas 
encore afTez ^ & elle feignit de ne m'avoir 
pas compris. 

Que prétendez-vous ditt ? reprit-elle en 
radouciflànt (a voix : voiis feriez Dientotpuni 
de ravoir dit ? Croyez-vous que je fulïe in- 
difcrette î Non > réblîquai-je , ce ne feroit 
pas ce que je craindrois ; mais > Madame , 
u c^étoit une perlbnne telle que vous que 
î'aimaflè^ à quoi me fèrviroit-il de le lui %. 
dire ? A rien peut-être , répondit-elle en rou- 
giflànt. Je n'ai donc pas de tort > repris-je , 
de m'opiniâtrer au iilence. Peut-être ^uili 
réudiriez-vous : une perfonne démon carac^ 
tere peut , continua-t-elle ^ devenir lènfible , 
& même plus qu'une autre. Non , vous ne 
xn'aimejriez pas , m'écriai- je. Nous nous 
éloignons , dit-elle : & je ne vois pas pour- 
quoi il eft queftion de moi dans tout ceci. 
Vous éludez ce que je demande avec plus 
d'adreflè que je ne vous en croyois ; mais » 
pour fuivre ce propos, puifqu'enfin il eft- 
jeté, que vous.importcroit que je ne vous 
aimaflfe pas? On ne doit iouhaiter d'infpirer 
de Tamour qu'à quelqu'un pour qui l'on en 
a pris: & je ne vous fbupçonne point du 
tout d'être avec moi dans ce cas -là; du 
moins , je ne le voudrois pas. Je voudrois 
bien auili , Madame , répondis-je , que cek 
ne fut pas; & je ièns , à la peur étrange que 
vous en avez , combien vous me rendriez • 
snalheureux. Non , ce n'eft pas que j'en aie 
pçur ; craindre dé vous voir amoureux > 



DECRBBttLOK^FÏtS. II 

feroit avouer à demi que vous pourriez me 
rendre (ènfible : l'amant que l'on redouce le 
plus , eft toujours celui que Ton eft le plus 
près d'aimer ; & )e fèrois bien âchée que 
vous me cruffiez fi craintive avec vous. Ce 
n'eft pas non plus ce dont je me flatte > ré^ 
pondis-je: mais enfin , fi je vous aimoir, 
que fericz-vous donc ? Je ne crois pas , re- 
prit-elle , que fiir une fiippofition vous ayez 
attendu une réponfè pofitive. O&rois-jedonc, 
Madame , vous dire que je ne fiippolc rien ? 

A cette déclaration fi prédfe de Tétat de 
mon cœur , madame de Lur&y fbupira ^ 
rougit 5 tourna languifiamment les yeux fiir 
moi , les y fixa quelque temps, les baiflkfiir 
fon éventail , & (e tut. 

Pendant ce filence , mon cœur étoit agité 
de mille mouvements. Ueffort que j'avois 
iàic fiir moi , m'avoit prefque accablé , 8c 
la crainte de ne pas recevoir une réponfe fiir 
vorable m'empêchoit de la preflcr. Cepen^ 
dant , j'avois parlé y & je ne voulois pas en 
perdre le fruit. 

N'avez- vous plus rien à me confèiller ^ 
Madame , lut dis- je à demi mort de peur } 
ne me direz-vous pas ce que je dois attendre 
de mon choix ? Sevez-vous afiez cruelle , 
après toutes les bontés que vous m'avez 
marquées , pour me réfuter votre fecoui?s 
dans la chofe la plus importante de ma vie^ 

Si vous ne me demaiidez qu'un confeil , 
réparrit-eUe> je puis vous le donner ; mats 
iî ce que vous venez 4c me dw 9 ^^ vrai , 



tX (B TT V R E s 

]>eut-ètre ne vous (àtisfera-^-il pas. Doutes-* 
Vous , repris-îe , de ma fincéricé > Pour vous- 
même 9 répondit-elle , je le voudrois ; plus 
vos (èntîments feront vrais, plus ils Vous 
rendront malheureux. Car enfin , Meilcour ; 
vous devez (èntir que je ne puis pas y répon- 
dre* Vous êtes jeune , & ce qui , pour beau- 
coup d^autres femmes » ne fèroic en vous 
qu'une qualité de plus , fera pour moi une 
raifon perpétueUe , quand vous m'inrpireriez 
le goût le plus vif , de n'y céder jamais. Oa 
vous ne m'aimeriez pas aiîez ^ ou vous m'ai- 
^neriez trop \ l'un & l'autre fèroient égaler 
ment fimeftes pour moi. — 

Dans la première de ces fîtuatiqns , j'auiois 
à efluyer vos bizaneries , vos caprices , vos 
hauteurs, vos infidélités , tous les tourments 
enfin qu'un amour malheureux traîne à fâ 
fuite j & dans l'autre , je vous verrois vous 
livrer trop à votre ardeur , 6c fans ménage- 
niient , fans conduite , me perdre par votre 
iOmour même. Une paffion efl toujours un 
malheur pour une femme : mais pour moi ^ 
^ fèroit un ridicule , & je ne me confble- 
jrois jamais de me l'être attiré. Penfez-vous , 
Madame , répondis-je , que je ne priflè pas 
tous les foins Je vous entends, interrom- 
pit-elle. Je fais que vous allez me promettre 
:toate Iacirconfpe£bion poffîble : je luis même 
.certaine que vous vous en croyez capable ; 
mais , moins vous êtes accoutumé à aimer , 
moins vous aimeriez d'une façon convena^ 
tble : jamais vous ne (auriez contraindre > n| 



VOS yeux , ni vos difcours j ou par votre con- 
trainte xnèmc trop avant pouflee , & jamais 
ménagée avec art , vous feriez connoître tout 
ceique vous voudriczcacher. Aînfi , Meilcour, 
ce que je vous confeiUe , c'cft de ne plus 
penler à moi. Je fcns avec douleur que vous 
allez me haïr : mais je me flatte que ce ne 
fera pas long-temps , & qu'un jour vous me 
(aurez gré de ma franchile. Ne voulez-vous 
pas refter mon ami ? ajouta-t-^Ue , en me 
Cendant la main. Âhl Madame , lui dis-je» 
vous me défèipérez : jamais on n'a aimé avec 
plus d'ardeur ; il n'eft rien que je ne fiflè 
pour vous plaire ^ point d'épreuves auxquelles 
je ne me ibumiîïe. Vous ne prévoyez tant 
de malheurs , que parce que vous ne m'aimez 
pas. Mais non , dit-cUe , n'iallez pas croire 
cela s je vous dirai plus , car vous me trou^ 
verez toujours (incere : vous moins jeune , 
ou moi moins, raifbnnable , je fèns que je 
vous aimerois beaucoup ^ msds je dis beau^ 
coup: auTefte, ne m'en demandez pas da^ 
vantage. Dans l'état tranquille oà je fuis , je 
ne fais ce qu'eft mon coeur y le temps feut 
peut en décider , & peut-être après tout qu'il 
ne décidera rien. Madame de Lurfay , après 
ces paroles , me quitta brufquement ; oc Cç 
rapprochant de la compagnie , m'ôta l'efpé- 
rance de continuer l'entretien. J'avois fi peu 
d'ufàge du monde , que je crus l'avdîr ft^ 
chée véritablement. Je ne favois pas qu'une 
femme fuit rarement uneconverfàtion ahiou- 
ycufc avec quelqu'un qu'elle veut engager g 



24 Œuvres 

& que celle , qui a le plus d'envie de Ccreth* 
dît y montre du moins dans le premier en- 
tretien quelque forte de yertu. On ne pou- 
voir pas réfifter plus mollement qu'elle venoit 
de faire ; cependant , je crus que je ne la vain- 
crois jamais : je me repentis de lui avoir 
parlé , je lui voulus mal de m'y avoir en- 
gagé ., je la haïs quelques inftants. Je formai 
même le projet de ne lui plus parler de mon 
amour » & d'agir avçc elle u froidement » 
. qu'elle ne pût plus me foujpçonner d'en avoir. 
Pendant que je me failois ces dé&gréables 
idées 9 madame de Lur fay (è félidtoit d'avoir 
aflèz pris fur elle pour me diflimuler corn"* 
bien elle étoit contente : une joie douce écU^ 
toit dans iès yeux ; tout , à quelqu'un plus 
inftruit que moi , lui auroit appris cc^bien 
il étoit aimé s mais tous les regards. tendres 

au'elle m'adrefibit y (es fouris , me paroifibient 
e nouvelles infulrés , & rne confirmoienc 
de plus en plus dans ma dernière réfolution. 
J'étois toujours refté à la même place ; elle 
revint n^'y chercher , & m'excija à parler 
fur différents fujets. L'air fombre avec fequçl 
je lui répondois , 8c Iç foin que je prenons 
d'éviter &s yeux , furent pour elle une aflu- 
rance de plus que je ne l'avoir pas trompée ; 
. mais quelque chofo qu^elle en pût croire , 
. elle vouloir ét4>lirfonempke y $c tourmenter 
mon cœur y ayani: de le rendre heureux. 

Toute la foirée fè pafla de fà part avec les 
mêmes atjtentions pour moi : elle fombloit 
«voir oubUé ce que je ]iui aygi^ die i & cet 

air 



O E C K i 5 r L L O N , F I L 9. If 

air détaché qu'elle affeâoit , me plongeoir 
encore dans uii plus violent chagrin. En me 
quittant , elle me railla fur ma triftefle ; Se , 
Quoiqu'elle le fit fans aigreur i je m'offcniài 
lérieuiement. 

Le commencement de cette aventure plaî- 
(bit autant à madame de Luriây , qu'il me 
cau(bit de peine. En s'attachant à un homme 
de mon âge, elle décidoit le fien : miis ce 
n'étoit rien pour elle, (ans doute, qu'un 
ridicule de plus î & ce ne lui étoit pas peu 
de chofè , qu'un amant qui fur-tout n'a voit 
encore appancnu à perfonne. Elle n'étoit pas 
vieille encore , mais elle fentoit qu'elle alloit 
vieillir 4 & pour des femmes dans cette fi- 
tuation , il n'eft point de conquêtes à mé- 
prifer. 

Eh ! quoi de plus flatteur pour elles que 
la tendrefle d'un jeune homme , dont les 
xranfports leur rendent leurs premiers plai- 
iîrs , & juftifient l'eftime qu'elles font encore 
de leurs chaimes ? Qui croit que la perlônnc 
qui reçoit fes vœux , étoft en effet la /eule 
qui pût ne les pas méprifcr , qui ajoute la 
reconnoiflance à la paffion , tremble au 
moindre caprice , & ne voit pas les défaut» 
les plus choquants de figure , & du carac- 
Xer" , foit parce qu'il eft privé, de la reifource 
de lacomp.uaifbn , (bit parce que (on amour- 
propre perdroit à moins eftimcr (a conquête. 
Avec un homme déjà formé , une femme, 
telle qu cUe pui(ïè être , a toujours moins de 
jrelfources : il a plus de delirs que de pa(fion , 



i5 œ U V K E s 

plus de coquetterie que de foitiment , plus 
de fiiiçHè que de naturel , trop d'expérience 
pour être crédule , trop d'occafions de diffî- 
pation & d'iiTConftance pour être unique- 
ment & vivement attaché : il fait , en un 
mot , Tamour avec plus de décence , mais 
il aime moins. 

Qiielques défauts que madame de Lurfày 
trouvât dans la façon d^aimer d'un jeune 
homme , il stn falloir beaucoup qu'elle fiic 
auflî efîrayée qu'elle me Tavoit dit. Quand 
«n eâèt les inconvénients qu'elle craignoic 
auroient été réels, file ne m'en auroit pas 
moins aimé y ôc Ci j'avois eu afièz d'adrefle 
pour lui faire craindre mon changement , il 
ïi'eft pas douteux que (on refpcâ: excelTîf 
pour les bienféanccs n'eût cédé, à la crainte 
qu'elle auroit eue de me perdre. 

Ce n'efl pis , du moins j'ai eu lieu de le 
croire, qu'elle voulût retarder long -temps 
l'aveu de ù. foibleflè ; huit jours pour cet 
article feulement fuffifoient à là vertu , d'au- 
tant plus qu'elle étoit perfiiadée que mon 
peu d'expérience ne me laifleroit profiter de 
lès bontés que quand elle le jugeroit à propos, 
famour qu'elle avoir pour moi , l'engagec^t 
à ce manège ; elle vouloir , s'il étoit pollî- 
ble y que ma tendreflè pour elle ne fût pas 
une affaire de peu de jours , & moins aimé , 
î'aurois trouvé moins de réliflance. Son cœur 
étoit alors tendre & délicat. : félon ce que 
4ans la fuite j'en ai appris , il ne l'avoir pas 
toujours été 5 & , faios être- priiè pour mai 



DECRÉBItiON, FTLS. Ij 

d «ne ardeur bien fincere , il ne me pnroî- 
rroit pas furprenant qu'elle eût changé de 
fyftême. 

Une femme , quand elle cft jeune , eft 
plus iènjGble au plaitîr d'in(pirer des paffions ^ 
qu'à celui d'en prendre : ce qu'elle appelle 
lendrefle , n'eft le plus fou vent qu'un goûc 
vif, qui la détermine plus promptcmcnt que 
lamour niême , l'amule pendant quelque 
temps , & s'éteint fans qu'elle le fente où 
îe regrette : le mérite de s'attacher un amant > 
pour toujours , ne vaut pas à (es yeux celui 
d'en enchaîner pluHeurs : plutôt fufpenduç 
que fixée , toujours livrée au caprice , elle 
ionge moins à l'objet qui la poflede , qu'à 
celui qu'elle voudroit qui h pofledât \ .elle 
attend toujours le plaifir , Se n'en donne ja- 
mais i elle fe donne un amant, moins parce 
qu'elle fe trouve aimable , que pour prouv^.r 
qu'elle Teft ; fouvent elle ne connoît pns 
triieux celui qu'elle quitte , que celui qui li :î 
fuccede ; peut-être II elle avoir pu le garder 
plus long-temps, l'auroit-elleaimé; maiseft- 
ce ià faute (i elle cft infidelle ? Une jolie 
femme dépend bien moins d'elle-même ; 
que des circonftances ; & par malheur il s'en 
-trouve tant , de {i peu prévues , de li preC- 
fantes > qu'il n'y a point à s'étonner fî , 
après pluueurs aventures, elle n'a connu nî 
l'amour , ni fon cœur. 

Eft-ellc parvenue à cet âge où fo cfcirmes 
commencent à décroître , où les hoitimes 
indifférents poux elle lui annoncent paj; lev^c 

B 1 



1% CE U V R E ^ . 

froideur que bientôt ils ne la verront qu'avec 
dégoût , elle fonge à prévenir li (blitude qui 
Tattend. Sûre autrefois qu*en changeant 
d'amants , elle ne changeoit qu? de plaifirs ; 
trop heureufe alors de confèrver le feul qu'elle 
poflede \ Ge que lui a coûté (à conquête , la 
lui rend précieufc. Gonflante par la perte 
qu'elle feroit à ne l'être pas , (on cœur peu à 
peu s'accoutume au (èntiment. Forcée par la 
bienféance d'éviter tout ce qui aidoit à la 
dilTîper , & à la corrompre , elle a befbin , 
pour ne pas tomber dans la langueur de (è 
livrer toute entière à l'amour , qui , n'étant 
dans fa vie paflTéc qu'une occupation mo- 
mentanée & confondue avec mille autres , 
devient alors (on unique reflburce : elle s'y 
attache avec foreur ; & ce qu'on croit la 
dernière fiuitailîe d'une femme , cft bien fou- 
vent fa première palTîon. 

Telles étoient les difpofîtiôns de madame 
de Lurfày , lor (qu'elle forma le deflcin de 
m'attacher à elle. Depuis fon veuvage & fa 
réforme , le public qui , pour n'être pas 
toujours bien inftruit, n'en parle pas moins ^ 
lui avoit donné des amants que peut-être 
elle n*avoit pis eu : ma conquête flattoic 
fon orgueil; &il luip^rutraifonnable, puif- 
que (a fàgelle ne k fmvôît de rien , de fè 
dédommager , par le phifîr , de lamauvaiie 
opinion qu'on avoir, d'elle. 

Tout ce que j'avôîs fait dans cette journée 
me foumiflbit des (ujets de réflexion ix>ur 
ma nuit > je l'employai prefque toute entière^ 



DÉCrÉBILLONjFTLS, 19 

tantôt à rêver aux moyens de rendre madame 
de Lurfày fènfible , tantôt à m'encounger 
a ne plus pen(èr à elle : (ans doute , elle fè 
fit des idées plus gaîçs. Elle compcoit me 
voir tendre, (bumis, emprefle, cherchera 
vaincre fà rigueur , il ccoit naturel qu'elle 
sy attendît 5 mais elle avoit à faire à quel- 
qu'un qui ne connoilïbit pas les ufàges. 

J'allai cependant- chez elle le lendemain , 
mais tard , & à Theure où je (àvois qu'elle 
n'y feroit pas , ou que j'y trouverois ocau- 
coup de monde. Elle avoit apparemment 
compte plutôt fur ma préfence , & elle mtf 
reçut d'un air froid & piqué : loin que j'en, 
pénétraflè la caufè > je l'attribuai à ion in-^ 
différence pour moi. * 

J'avois changé de couleur en la voyant;^ 
mais toujours réfblu à lui cacher Tctat de^ 
mon cœur , je me remis aflez fîicilement , 
& pris un air moins embarrafle : j'eus même 
affez de pouvoir fur moi , pour lui parler 
fans ce trouble qui agite près de ce qu on 
aime ; mais quelque froideur que je tâchafle 
d'afïèiter , elle n'en fut pas long-temps la 
dupe ; & pour s'éclaircir , elle n'eut befbin 
que de me regarder fixement. Je ne pus (up- 
porter (es yeux ; ce feul regard lui développa 
tout mon cœur. Elle me propofà de jouer , 
& pendant qu'on arrangeoit les cartes : yous 
êtes , me dit-elle en louriant , un amant 
fingulier , & fi vous voulez que je juge de 
votre amour par vos emprelfements , vous 
ne prétendez pas fans doute que j'en prenne 



f O (E U V R E s 

Donne opinion. L*unique de tous mes vixttxi 
repris- je , ftroit que vous cruffiez que je vous 
aime ; & ce n'cft pas vous en donner une 
mauvaifè preuve , de m'of&ir à vos yeux le 
plus tard qu'il m*eft poflîble» Cette politique 
cft fingaliere , reprit-elle j & fi quelquefois 
VOUS' péchez un peu par le jugement , on 
peut dire que l'imagination vous en dédom«- 
mage*' Mais qu'avez- vous donc ? Pourquoi 
cet air froid aont vous m^'accablez ? Savez- 
vous bien que votre tacimmité me fait peur ? 
Mais , à propos , m'aimez -vous toujours 
bien ? Je cjrois que non. Ce pauvre Meilcour l 
N'allez pas au moins changer pour moi : 
vous me mettriez au défèipoir^ Je peniè ^ k 
lamine que vous me faites, que vousn'en 
crtjyez rien : nous devrions cependant être 
aflez joliment enfemblc. En cft^ce aflèz , 
Madame , répondis - je 5 & devriez - vous 
atjoutèi > à la façon dont vous recevez lûès 
foins 3 des diicours qui me tuent ? Oui , rè- 
prit-elle, en me regardant le plus tendre- 
fnent du monde, oui, Meilcour, vous avez 
iiîCon de vous plaindre ; je ne vous traite 
pas bien ; mais , ce refte de fierté doit-il .vou5 
déplaire ? Ne voyez -vous pas combien il 
m'en coûte pour le prendre î Ah ! fi je m'en 
croyois , combien ne vous dirois-je pas que 
je vous aiiiie 1 Que je fiiis fâchée de n^avoir 
pàs fil plutôt que vous vouliez qu'on vous 
prévînt 1 Au hafàrd de tout ce qui auroit pu 
en arriver , vous ne m'auriez point parlé le 
premier j vous n'auriez fait que me répondre. 



. r»«CRiBÎLI.0K,fTt5. ^l' 

J'ai , depuis , (enti toutç l'adrcfle de 
madame de Luriày, & le plaifir gue lui 
donnoit mon ignorance : tous ces diurours ^ 
qu'elle n'auroit pu tenir à un autre , lans 
qu'ils euflent tiré pour elle à une extrême 
confequénce ; ces aveux qu'elle failbit de fcs 
vrais fentiments , loin de les comprendre » 
me jetterent dans le plus cruel embarras. Je 
ne lui répondis rien , & fur qu'elle me faî-» 
(bit la plus (ànglante des railleries , je ne m'en 
déterminai que plus à rompre d'aufli cruelles 
chaînes. En vérité , continua-t-elle , en voyant 
mon air fombre , fi vous refufez plus long- 
temps de me croire , je ne vous réponds pas 
que ]c ne vous dorure demain un rendez- 
vous : n'eu feriez-vous pas bien embarraflc ? 
Au nom de vous-même , Madame , lui di$^ 
je , épargnez-moi : l'état où vous me mettez , 
eft affreux,.. • Je ne vous dirai donc plus que 
je vous aime , interrompit -.elle: vous me 
privez-là cependant d'un grand plaifir. 

Je me tins trop heureux que le monde 
qui étoir dans l'appartement , l'empêchâr de 
pouflèr plus loin cette converiatioil. Nous 
nous mîmes au jeu. 

Pendant toute la partie^ madame de 
' Lurfay , plus fèjifible qu'elle ne le croyoit 
fans doute , emportée par fon amour ^ m'en 
donna toutes les marques les plus fortes. Il 
fèmbloit que fa prudence l'abandonnât , qu'il 
n'y eût plus rien pour elle que le plaifir de 
m'aimer & de me le dire , & qu'elle prévît 
combien , pour m'attacher à elle , l'avcûs 

B4 



j;i CE u V K E S 

befbîn d*étre rafluré : mais tout ce qu'elle 
fàifbit, n^étoitrien poyrmoi, & elle nepou- 
voit pas eEcore fe réfbudre à m'avouer fé- 
rîeukment qu'elle répondoic à mes defirs. 
Peu (ure même dans fes démarches ', c'étoit 
un inêlange perpétuel de tendreflè & de fe- 
vérité. Elle paroiflbit ne céder, que pour 
Vopiniâtrt r à combattre.Sielle croyoit m*avoir 
«îifpofé par fts difcours à quelque forte d*eC. 
pérarxe , attentive à me la faire perdre , elle 
reprenoit fur le chanip cet air qui m'avoir 
fsLX trembler tant dé fois, & m'ôtoit par-là 
jufqu'à la trifte reflburce de l'incertitude. 

Toute la ibirée (e pafla dans ce manège, 
& comme fon dernier caprice ne me fut pas 
làvorable , je me retirai chez moi , perfuadé 
que j'érois haï, & préparé à me chercher un 
autre engagement. J'employai presque toute 
la nuit à repafler dans^mon efprit les femmes 
auxquelles je pouvois m'attacher : ce foin me 
fut inutile , & je trouvai , après la plusexaâre 
recherche , qu'aucune ne me plaifoit autant 
que madame de Lurfày. Moins j'avoisd'ufage 
de l'amour , plus je m'en croyois pénétré y 
& je me regardois comme deftiné au rigou- 
reux tourment d'aimer fans efpoir déplaire , 
ni de pouvoir jamais changer. A force de me 
perfuader que j'étois l'homme du monde le 
plus amoureux , je fentois tous les mouve- 
ments d'une paflîon , avec autant de vio- 
lence , que Cl en effet jeleséprouvois. Toutes 
les réfolutions que j avois fermées de ne plus 
voir madame de Lurfay , s'étoient évanouies > 



j 



©^ C R BB I LLON , PI t s. 55 

& avôient fait place au retour le plus vif. De 
quoi puîs-je me plaindre , dilbis-jc à moi- 
même ? Ses rigueurs ont-elles droit de me 
iîirprendre ? M'étois-je attendu à me trouver 
aimé , Se n'eft-ce point à mes Ibins à me 
procurer cet avantage ? Quel bonheur pour 
moi , fi je puis un jour la rendre (èniible ! 
Plus elle m'oppofè d'obftacles , plus ma 
gloire fera grande. Un cœur , du prix dont 
eft le fien , peut-il trop s'achetet ? Je finis 
par cette idée, & je la trouvai le lendemain. 
H fèmbloit qu'elle fe fut accrue par les illu- 
fions de la nuit. 

J'allai chez madame de Lurfây le plutôt 
qu"*!! me fut polTîble l'après - diner , & dé- 
terminé à lui jurer que je l'adorois , & à 
me fbumettre à ce qu'il lui plairoit d'ordon-" 
ner de mon fon. Malheureufemcnt pour 
elle y je ne la trouvai pas : mon chagrin fut 
extrême j & , ne fâchant que devenir , j'allai , 
en attendant l'heure de Popéra , faire quel- 
ques vifites , où je portai tout reiinui qui 
m^accabloir. 

J'étois de fi mauvaise humeur en arrivant 
a l'opéra , où d'ailleurs je trouvai allez peu 
de monde , que , pour n'être pas diftrait de 
la rêverie dans laquelle j*étois plongé, je me 
fis ouvrir une loge , plutôt que de me mettte 
dens les balcons çù je n'auroispâsété tran- 
quille. J'attendois (ans impatience & (ans 
defirs que le fpeftade commençât. Tout 
entier à madame de Lurfày , je ne m'occu- 
pois que du chagrin d'être privé de fa yré- 



54 (E ir V K I s 

lerice 5 lorsqu'une loge s^ouyrit à côté de ht 
mienne. Curieux de voir les perfbnnes qui 
Talloient occuper , j'y portai mes regards > 
& Tobjet qui s'y offrit les fixa. Qu'on Ce 
figure tout ce que la beauté la plus régulière 
a de plus noble , tout ce que les grâces ont 
de plus fêduifànt 5 en un mot > tout ce que 
la jeunelTè peut répandre de fraîcheur 6c 
d'éclat , à peine pourra-t-on fè" (aire une idée 
de la perionne que Je voudrois dépeinâre. 
Je ne làis quel mouvement fîngulier & fubit 
m'agita à cette vue ; frappé de tant de beau- 
tés, je demeurai comme anéanti. Ma fîir- 
prife allôit jufques au tranfport. Je lentit 
dans mon cœurundefordre qui (è répandît 
fur tous mes (èns : loin qu'il fc calmât , il 
xedoubloit par l'examen (ecret que je faifbis 
de fès charmes. Elle étoit mi(c fimplemcnt ,, 
mais avec noblefle. Elle n'avoit pas en effet 
befbin de parure^ en étoit-il de fî brillante 
qu'elle ne l'eût embellie ? Sa phyfionomie 
étoit douce & réfervée 5 le (èntim^ent & l'elprit 
paroifibient briller dans fès yeux. Cette per- 
lonne me parut extrêmement jeune 5 & je 
crus , à la fiirprife des (peiStateurs , qu'elle 
ne paroiflbit en public que de ce jour-là r 
j'en eus involontairement un mouvement de 
Jbie , & j'aurois fbuhaité qu'elle n'eût jamais 
été connue que de moi. Deux dames , miles 
<îu plus grand air, étoient avec elle 5 nou- 
velle (urpriic pour moi de ne lespasconnoître > 
mais elle m'arrêta peu. Uniquement occupé 
de ma belle incoiinue 3, je ne cefibis. de hn 



regarder , que quand par hafard elle jetoic 

fes yeux fur quelqu'un. Les miens (e por- 

toient auffi-tôt fur l'objet qu^elle avoir paru 

vouloir chercher : fi elle s'y arrêtoit un peu 

de temps, &que ce fut un jeune homme ^ 

je croyois qu'un amant feul pouvoit la rendre 

fî attentive. Sans pénétrer le motif qui me 

failbit agir , je conduifbis , j'interpretois fes 

regards ; je cherchois à lire dans (ts moindres 

mouvements. Tant d'opiniâtreté à ne la pas 

perdre de vue , me fit enfin remarquer d'elle ; 

elle me regarda à (on tour ; je la fixois fans 

le {avoir ; & , dans le charme qui m'entraî- 

noit malgré moi-même , je ne fiis ce que 

mes yeux lui dirent , mais elle détourna les 

fiens en rougiffîmt un peu. Qiielque tranf- 

porté que je fufle, je craignois de lui pa- 

roître trop hardi , & , (ans croire encore qut: 

j'cufle formé le deffcin de lui pUire , j'aimai 

mieux me contraindre que de lui donner 

mauyaife opinion de moi. Il y avoir une 

heure au moins que je l'admirois, lorfqu'un 

de mes amfffenrra dans ma loge. Les idées 

qui m'occupoicnt , m'éroient déjà lî chères > 

que ce fur avec douleur que je ientis qu'elles 

alloient être diftraites ; & je doute que j'eitflè 

répondu à mon ami , fi ma belle inconnue 

n'eût fait d'abord le fujet de la couverCition. 

Il ignoroit comme moi qui elîe éroit : nous 

formâmes enfèmble plufieurs conjeélures , 

dont aucune ne nous éckircir, Céccrit ua 

de ces étourdis brillants , f imiiîers avec in- 

ibknce , il vantoit fi haut les charmes de 

B 6 



ij(J (E IT V R E s 

inconnue , & la regardoit avec fi peu cîc 
ménagement & tant de fatuité, que j'en 
rougis pour lui , & pour moi. Sans avoir 
démêlé mes fentiments , fans imaginer que 
j*eufle de l'amour , je ne voulois pas dé- 
plaire ; je craignis que le dégoût , que Tin- 
connue pourroit prendre de ce jeune homme , 
ne me fît aulTî tort dans (on efprit; & qu'en 
ane voyant lié avec lui , elle ne me crût les 
mêmes ridicules. Je Teftimois déjà unt , 
que je ne pouvois , fans une peine extrême , 
imaginer quelle pouvoir penfcr de moi, 
comme de lui *, & je m'efforçai de mettre 
entre nous deux la converfation iur des 
chofes où l'inconnue ne fut pas intéreffée. 
J a vois naturellement Tefprit badin , & poné 
à manier agréablement ces petits riens qui 
font briller dans le monde. L'envie que j'avois 
qîie mon inconnue uc perdît rien de tout ce 
qui pourroit me faire valoir , me donna plus 
d'élégance dans mes expreffions ; je n^en eus 
peut-être pas plus d'eiprit. Je reiriarquai , 
cependant , qu'elle étoit plus gHichée à ce 
que je difbis , qu'elle ne Tétoit au fpedlacle s 
Quelquefois même , je la vis fourire. 

L'opéra étoit près de finir , lorfque le 
marquis de Germeuil , jeune homme d'une 
figure extrêmement aimable & fon eftimé , 
vint dans la loge de mon inconnue. Nous 
étions amis , mais je ne fais quel mouvement 
à (à vue s'éleva dans mon ame. L'inconnue 
le reçut avec cette politefle libre , que l'on a 
pour les gens que Ton connoît beaucoup^ 



© E C R É B T 1 1. O W , r 1 1 5. f7 

& à qui Ton veut marquer de reftîmc. 
Nous nous iaiuâmes fans nous parier ; & , 
quelque dcfir que j'euflè de connoître cet 
objet qui prenoit déjà tant fur mon cœur , 
periuadé que Germeuil pourroit fatisfàire ma 
curiofité là-deflus , j'aimai mieux remporter 
ce defir , quelque tourmentant qu'il fût pour 
moi , que de m'en ouvrir à un homme qui 
caufbit déjà toute ma jalouiie. Mon inconnue 
lui parloir , & , quoiqu'ils ne s'cntretinflent 
que de l'opéra , il me fèmbla qu'il lui par- 
loit avec tendrefle , & qu'elle lui répondoit 
de même. Je crus même avoir furpris encre 
eux des regards ^ j'en reflèntis une peine 
mortelle : elk me parbiflbit fi digne d'être 
aimée , que je ne pouvois penfer que Ger- 
meuil, ni qui que ce fut au monde , pût 
la voir avec indifférence ; & lui-même me 
iêmbloit fi redoutable , que je ne pouvois 
me flatter qu'il l'eut attaquée fans fuccès. 

Le peu d'attention qu'elle fit à moi , après 
l'arvoir vu, me confirma dans Tidée où j'étois 
qu'ils S^aimoient5 &, ne pouvant fupporter 
davantage le tourment qu'elle me caufbit , 
je foriis brufquement. Malgré mon dépit , 
je n'allai pas loin j le defir de la revoir , & 
l'efpérance de m'éclaircir par moi-même de 
fon rang , me retinrent fur l'efcalier. Un 
inftant après , ellepaffi.Germeuillui donnoit 
Il main : je les fuivis ; un carrofïe fans armes 
(è préfènta 5 Germeuil y monta avec elle : 
je vis des domefliqucjS fans livrée ,^ & rien 
de tout cet équipage ne m'inftraiilt de ce 



4 

jS Œ Û V K E S 

que îe voulois favoir. Il feUoît donc atteir- 
drç du Hafard le bonheur de la revoir encore. 
La feule chofè qui me confblât, c'étoîc 
qu^une beauté fî parfaite ne pourroit être 
lông-temp ignorée. J'aurois pu , à la vérité , 
en allant voir Germeuil le lendemain , me 
tirer de cette inquiétude 5 mais auflî com- 
ment lui expofer le fujet d'upe curiofité fî 
forte > quels motifs lui en donner ? Malgré 
tous les^ déguifements que j'aurois pu em- 
ployer , ne devois-je pas craindre qu'il n'en 
découvrît la fource? Et s'il étoit vrai , comnie 
je le foupçonnois , qu'il aimât l'inconnue y 
pourquoi l'avertir de fe précautionner contre 
mes fentiments? Plein de trouble , je retour- 
nai chez moi , d'autant- plus perfuadé que 
j'étois vivement amoureux , que cette paf- 
fion naifïbit dans mon cœur par un de ces 
coups de furprife qui caratSbérifent dans les 
romans les grandes aventures. 

Loin de combattre ce premier mouve- 
ment , ce fut une raifon de plus pour m'y 
kifler entraîner, que de commencer par 
quelque chofe d'extraordinaire. 

Au milieu de ce défcTrdre, que je me 
plaifbis à augmenter , madame de Lur&y- 
me revint dans Tefprit y mais défagréable- 
ment , & comme un obict dont le fouvenir 
inême m'embarraflbit. Ce n'étojt pas que je 
ne lui trouvafTe encore dès charmes : mais je 
lès mettois dans mon imagii^itîon fort aa 
deflous de ceux de mon inconnue ] & j6 
réfolus plus que jamais de lie lui plus parler 



DîCrÉBÏIIONjFIIS. ^f 

de mon amour, & de me livrer tout entier 
au nouveau goût qui me dominoît. Je (uîs 
trop heureux , me difois-je , qu'elle ne m'ait 
pas aimé ; que ferois-je à préfent de fa tcn- 
dreflè ? Il auroit donc fallu la tromper , en- 
tendre (es reproches, la voir tçaverfèr ma 
paiGon : mais, d'un autre côté, reprenois- 
je , fuis-je aimé de l'objet qui va mç rendre 
infidèle ? je ne le connoispas; peut-être ne 
le verrai-je plus. Germeuil eft amoureux , 
& fi moi-même je fuis forcé de le trouver 
aimable, que ne doit-elle pas fentir pour 
lui'? Eft-il fait pour m'être (acrifîé ? Ces ré- 
flexions me ramenoient à madame de Lur- 
(ay : une affaire commencée , la liberté de 
la voir, un refte de goût que j'avois pour 
elle , & l'efpérance de réumr , étoient au- 
tant de 'taiions pour ne h point quitter j. 
mais , ces raifbns étoient foibles contre ma 
nouvelle paffion. Je craignois , en arrivant 
chez ma mère , d*y trouver madame jie 
Lurfay : je redourois fa vue, autant que dans: 
le jour même je l'avois fouhaitée. La joie- 
que j'eus de ne k point voir , ne fut pas 
longue y elle arriva un inftant après moi. Sa 
préïence me troubla. Quelque pré\'enu que* 
je fufïè alors contre elle , quelque réfolutio» 
que j'eufïè prife de ne la plus aimer, je (êntis 
qu'elle avoit encore plus de droits fur mon 
cœur que je ne le croyois moi-même. Mon 
inconnue m'occupoît d^une façon plus flat- 
teuie ; je la trouvois plus belle : ce qu'elles 
m'infj^iioiem toutes deux 3 écoiem dineieut ^ 



In 



40 œ U V R E s 

mais , enfin , j'étois partagé ; & fi maclame 
de Lurjfày l'eût voulu, dans ce moment 
même elle auroît remporté la viâ:oire. Je 
ne fais ce qui lui avoir donné de l'humeur ; 
mais elle reçut , avec une hauteur ridicule , 
un compLment fort fimpleque je lui fis. 
Dans la difpofition où j'étois , elle me cho- 
qua plus qu'elle n'auroit fiiit dans un autre 
temps ; & , qui pis eft, contre l'intention de 
madame de Luriay fans doute, ne me donna 
point à rêver. Son caprice dura toute la foi- 
rée , & s'augmenta peut-être par le peu de 
foins que je lui rendis. Nous nous f?parâ- 
mes également mécontents l'un de l'autre. 
Je ne la cherchai , ni ne la vis le lendemain : 
j'^tois piqué de (es façons de la veille, & fà 
préfcnce me fut d'autant moins- néceflaîre , 
que j'avois dans le cœur un fujet de diftrac- 
tion. Toute ma journée fe pafla à chercher 
mon inconnue, (peftacles, promenades, je 
viûtzi tout , & je ne trouvai en aucun lieu , 
ni elle , ni Germeuil , à qui je voulois enfin 
demander qui elle étoit. Je continuai cette 
inutile recherche deux jours de fuite j mon 
inconnue ne m'en occupoit que plus. Je me 
j< traçois fans cefle fes charmes avec une vo- 
lupté que je n'avois encore jamais éprouvée. 
Je ne doutois pas qu'elle ne fut d'une naif- 
lance qui ne feroit point honte à la mienne i 
&, pour former cette idée, je m'enrappor- 
tois moins à fà beauté , qu'à cet air de no- 
^€^ & d'éducation qui diflingue toujours 
les femmes d'un certain ràng^ même dans 



l>EC»iBIlION,TriS, 41 

îcurs travers. Mais^ aimer fans lavoir qui, 
me ièmbloît un fiipplice infupportable. 
D'ailleurs , quel retour efj)ércr de mes fcn- 
timents, fi je ne me mettois pas à portée 
d'en mftruire celle qui les avoir fait naître ? 
Je ne voyois point de difficulté à la voir, 
& à lui parler , quand une fois je la connoî- 
trois. J'étois d^un rang qui m'ouvroît une 
entrée par-tout j & fî l'inconnue étoit telle 
que mes voeux ne pufïcnt Thonorer, j'étois 
fur du moins qu'ils ne pouvoient jamais lui 
&ife honte. Cette penfée me donnoit de 
Taudace ^ & m'afFermifïbit dans mon amour j 
îl eût peut-être été plus prudent de le com- 
battre , mais il m'étoit plus doux de le 
flatter. 

Il y avoît trois jours que je n'avoîs vu 
niadame de Lurfay : j'avois fupponé cène 
abfènce aifément j non que quelquefois je 
ne defîrafle de la voir , mais c'étoit un deur- 
paflTagçrqui s'éteignoit prefque dans l'inftant 
même qu'il naifibit. Ge n'étoit pas un fènti- 
ment d'amour, dont je ne fuilè point maî- 
tre ; & comme depuis mon inconnue , je la 
voyois fans phifîr, je la perdois aullî fans 
'^gret. J'avois cependant pour elle ce goût 
^^e l'on nomme amour , que les hommes 
fpnt valoir pour tel, & que les femmes- 
prennent fur le même pied. Je-n aurois pas 
^té fâché de la trouver lenfible ; mais je ne 
voulois plus que ce retour , qu elle auroit 
pour moi , tînt de la palEon , ni qu'il en 
exigeât. Sa conquête , à laqudle U y a voit 



41 ffî U V R Ë 5 

fi peu de temps ^ j'attachois mon bonKetlf 5 
ne me paroiflbit plus digne de me fixer. 
J'aurois voulu d'elle enfin ce commerce 
commode qu'on lie avec une coquette, a;flez 
vif pour amufer quelques jours , & qui fè 
rompt auflî facilement qu'il s'eft formé. 

Cétoit ce que je ne croyois point devoir 
attendre de madame de Lurfày , qui, plato- 
nicienne dans fes raifonnements , répétbit 
fans ccfle, que les fèns n'entroienc jamais 
pour rien en amour , lorfqu'il s'emparoit 
d'une perfbnne bien née : que les défordres 
dans lefquels tomboienc tous les jours ceux 
qui étoient atteints de cette paflîon , étoiehr 
moins caufés par elle , que par le dérègle- 
ment de leur cœur ; qu'elle pouvoit être une 
foiblefTe , mais que dans une ame verrueufè 
eilc ne devenoit jamais un vice. Elle avouoic 
cependant qu'il y avoit pour la femme, la 
plus ferme fur fes principes , d'aflèz dange- 
reufes occaiions -, mais, que lî elle fe trou- 
voit obligée d'y céder, il falloir que ce fut 
api^ès des combats (î violents ôc iî longs , 

S 'elle put toujours , en fbngeant à ia dé- 
ce , avoir de quoi fe la moins reprocher. 
Madame de Lurlày pouvoit avoir raifbn : 
mais les platoniciennes ne font pas conf<^* 
quentes ; & j'ai remarqué que les femmes 
les plus aifées à vaincre font celles qui s^en- 
gagent avec la folle cfpérance de n'être ja- 
mais féduîtes, fbit, parce qu'en effet elles 
font auflî foibles que les autres , foit parce 
que, n'ayant pas auez prévu le danger, elles 



le trouvent Qu:ïs fecours contre lui quand il 
arrive. 

J'étois trop jeune pour fehtir combien ce 
lyftême était abfurde, & pour fàvoir com- 
bien il ctoit peu fuivi par celles mêmes qui 
le foutenoient avec le plus d'ardeur'; & ne. 
connoiflàiît pas la ditference qu'il y a entre 
ttne femme verrueufè & une prude , il n'ctoit 
point étomiant que je n'attendiflè pas de ma- 
dame de Lurfay plus de facilité qu'elle ne fe 
difbit capable d'en avoir. 

Encore attaché à elle par le defir , tout 
ïcmpli que j'étois d'une nouvelle paffion , 
ou 3 pour mieux dire , amoureux pour la 
première fois, le peu d'efpoir de réuflîr au- 
près de mon inconnue m'cmpêchoit de fon- 
ger à perdre totalement madame de Lur(ày. 
Je cherchois en moi-même comment je 
pourrois acquérir l'une , & me conferver 
l'autre ; cette vertu rigide de la dernière me 
défefpéroit : & , ne croyant pas , après avoir 
beaucoup rêvé , pouvoir l'amener jamais au 
but que je me propofbis, je me fixai enfin à 
1 objet qui me plaifoitle plus. 
• Il y avoit , comme je l^ai dit , trois jours 
que jen'avois vu madame de Ltufay, & que 
je m'étois afïcz peu ennuyé de fon abfèixre* 
Elle avoit toiuours efpéré qu'elle me rever- 
lôit ; mais, mre enfin que je l'évitois, elle 
commença à craindre de me perdre , & fè 
détermina à me foire effuyer moins de ri- 
gueurs. Sur le peu que je lui avois dit^ 
elle avoit cru ma palfîon décidée : cepen-. 



àmt , îe n'en parlois plus ; quel pirtî pfên* 
dre î Le plus décent éto^t d'attendre qde 
Tamour^ qui ne peut long-temps Ce con- 
traindre , fur -tout dans un cceur auflîî 
neuf que l'étoit le mien , me forçât encore 
à rompre le filence ; ce n'étoit pas le plus 
lut. Il ne lui vint pas dans l'efprit que f eufle 
renoncé à elle : elle penfa (èulement, que 
certain de n'être jamais aimé , je combittoià 
un amour qui me rendoit malheureux. Quoi- 
que cette difpolition ne lui parut pas défà- 
vantageufe , il pouvoît cependant être dan- 
gereux de m'y laiflTer plus long-temps. On 
pouvoit m'otfrir ailleurs un dédommagement 
que le dépit me feroit peut-être accepter j 
mais comment me ^ire comprendre (on 
amour , fans bleflcr cette décence à laquelle 
elle étoit fi fcrupuleufement attachée ? Elle 
avoit éprouvé que les difcours équivoques 
ne prenoient pas fur moi , & elle ne pouvoit 
fe réfoudre , après l'idée qu'elle m'avoit 
donnée d'elle , à me parler d'une façon qui 
ne me lailïât plus aucun doute. Indéterminée' 
fur ce qu'elle avoir à faire , elle vint chez 
madame de Meilcour. Je n'étois pas encore 
rentré; & quand, à mon arrivée, on me 
dit qu'elle y étoit , il s'en fallut peu que je 
ne m'en retournafle : cependant la réflexion 
me fit fentir que ce procédé feroit trop dé- 
fbbligeant pour madame de Lurfay,& qu'elle 
pourroit d'ailleurs attribuer ma fuite , & la 
crainte que je marquerois de la voir , à un 
fciitiment dont je ne voulois plus qu'elle me 



DE Ckébilxon, fils. 4f 
iôupçonnât. J'entrai donc. Je la trouvai qui , 
au milieu de beaucoup de monde, paroiflbit 
rêver profondément : je la fàluai fans froi- 
deur, & (ans embirras. J'avois cependant 
dans les yeux une impreflîon de chagrin qui 
provenoit de ce que j'avois encore ce jour là 
cherché inutilement mon inconnue. Je fus 
quelque temps auprès de madame de Lurfay, 
lans lui dire rien que dçs choies générales ôc 
rebattues. Elle me demanda où j'avois été , 
me fit , d'un air froid, mille qucftions diffé- 
rentes , & tant qu'elle fè trouva en cercle , 
elle ne parut avoir ni deflein , ni empreflc- 
^ent die m'ençretenir. Cette foule qui Tob- 
fédoit > enfin fc diflîpa j mais , gênée encore 
par la préfènce de madame de Meilcour, & 
de quelques perfqnnes qui étoient reftécs , 
& ne pouvant réfifter davantage à l'envie 
d'avoir avec moi une converfation particu-- 
liere. A propos, Monfieur, me dit - elle , 
d'un air fort férieux , j'ai à vous parler, fui- 
vez-moi : elle paâà à ces mots dans une autre 
chambre. 

Ce procédé qui , avec un autre que moi, 
auroit paru ifrégulier , ne concluoit rien en- 
tre nous deux j ocelle s'en feroit permis 
l>eaucoup davantage, que) de la façon dont 
elle étoit avec moi , on n'en auroit tiré au- 
cune indu6lion contre elle. Je la fuivis, fort 
cmbarraflë de ce qu elle pouvoir avoir à me 
dire , & plus encore de ce que je lui répon- 
drois. Elle me regardpit avec des yeux lève- 
fç$i enfin, aprèç m'avoir long -temps fix4 ; 



i 



46 Œuvres 

vous trouverez peut-être fingulîer. Mon- 
fieur, me dit-elle, que je vous demande 
une explication. A moi. Madame ! m'écriai- 
je: oui, Monfieur, répliqua-t-felle, à vous- 
même. Depuis quelques jours, vous avez 
avec moi des procédés peu convenables. 
Poux vous trouver innocent, j'ai eu la com- 
plaifance de me chercher des crimes ; je ne 
m'en découvre pas : apprenez-moi ce que 
vous avez à me reprocher ; juftifi«&-vous , 
s'il eft poifible', fur le peu d'égards que vous 
avez pour moi. Madame, lui dis-je, vous 
me furprenez, je croyois ne vous avoir ja- 
mais manqué : & je lerois au défefpoir que 
vous eufliez à m'impttter rien qui pût blefler 
ie refpeâ que j'ai toujours eu pour vous , 
& l'amitié que vous m'avez permis de vous 
vouer. Voilà de grands termes , reprit-elle : 
fi je n'exigeois de vous que des mots j'aurois 
lieu d'être contente ; mais , vous n'êtes pas 
de bonne foi, & depuis quatre jours vous 
êtes changé pour moi plus que vous ne dites. 
Vous faites mieux de désavouer vos procé- 
dés , que d'entreprendre de les juftiner : je 
veux cependant que vous m'éclairciflîez fur 
ce que je vous demanda. Eft-ce un caprice 
qui vous fait renoncer à mon amitié ? Croyez- 
vous avoir fiijet de vous plaindre de moi ? 
Vous voyçz que je n'abufe pas de la diftancc 
que l'âge met entre nous deux ; mais , \tout 
jeune que vous êtes , je vous ai cm de la Qy- 
îidité, & je traite avec vous , moins comme 
f e le devrôis avec un jeune homme , que 



• DE CRÉBftLON, FILS. 47 

comme avec un ami fur lequel j'ai cru de- 
voir compter 5 Se que je voudrois confervcr. 
Je {buhaite que vous fentiez le prix de cette 
confiance. Apprenez-moi, enfin, de quelle 
façon je dois me coiiduire avec vous j & fur- 
tout dites -moi pourquoi depuis quelques 
jours vous me fiiyez , ou pourquoi , quand 
nous^îous trouvons enfèmble, vous femblez 
ne me voir qu'à regret ? Comment voulez- 
vous. Madame, repris-je, que je conviemic 
de torts que je ne me connois pas ? Si j'ai 
pam vous éviter , vous {avez de refte quelle 
en eft la raifbn. Si, quand je vous ai vue , 
j'ai moins ofë qu'auparavant vous parler fur 
le ton que j'avois pris avec vous , c'eft qu'il 
m'a fèmblé que vous ne m'entendiez pas 
avec plaifir. Sans doute , reprit-elle ; mais , 
en oubliant ce nouveau ton que vous voyiez 
qui ne me plaifoit pas , pourquoi n'avoir pas 
repris le premier fur lequel je vous ai toujours 
répondu ? Vous m'avez fâchée, il eft vrai , & 
plus pour vous-même que pour moi , quand 
je vous ai vu vous mettre dans le cas de me 
dire des chofes qui ne devroicnt que me 
déplaire. Je vous en ai même voulu mal. 
Je vois à préfent , Madame , interrompis* 
je, pourquoi je me fuis attiré votre colère ^ 
mais je ne me fèrois jamais imaginé que vous 
m euffiez fait un crime fi grave de ce que je 
vous ai dit. Il ne doit pas vous être nouveaa 
de paroître belle : je ne crois pas être le pre- 
mier fur qui vous ayez feit une vive imprcC- 
fipn 5 ôç vous auriez; dû me pardonacr le« 



4? Πu V R i: f 

jifcours que je vous ai tenus , pour l'hâta- 
tude où vous devez être de les entendre. 
Eh ! non , Monileur , reprit- elle : ce n'eft plus 
de vos difcours que je me plains. Il m*a iuflS 
d'y répondre , comme par toutes fones de 
jraifbns je le devois ; & il n'a tenu qu'à vous 
de remarquer que depuis j'en ai ri même 
avec vous, il m'importoit peu que vous me 
diifîez que vous m'aimiez » & le danger 
n'étoit pas fi prelïànt pour mon cœur que 
je dufle en cette occafion m'armer d'une 
grande févérlté. U k peut que, (ans avoir 
un deflèin déterminé de me plaire, (ans que 
moi-même je vous plufle , yous ayez voulu 
me Elire croire que vous m'aimiez. Souvent 
pn le dit à une femme , parce que (ans cela 
on jie (auroit que lui dire, qu'on eft bien 
laile d'eflayer (on cœur , que l'on croit flatter 
/on orgueil , ou que l'on veut (bi-même s'ac-* 
coutumer à ce langage, eflayer à quel point 
& comment l'on peut plaire. En cela, vous 
n'avez fuivi que l'u(àge5 ufàge ridicule, fi 
vous voulez, mais enfin qui eft établi. Ce 
n'cft donc pas dans ce que vous m'avez dit , 
que j'ai pu trouver des rai(bns pour më plain^p * 
dre de vous. Quand en effet vous m'aime- 
jiez , vous ne m'en paroîtriez pas plus cou- 
pable ; mais pourquoi, depuis cette conver- 
sation , vos façons ont-elles changé ? Etiez- 
vous en droit , parce que vous aviez dit que 
VQUS pa'aimiez , d'exiger que je vous aimaflè; 
ou croyez - vous que quand vous m'auriez 
infplié la plus violente paillon ^ mon cœur , 

ardent 



DB C&^BIX*iaif> FILS. 4f 

V^nt à fe livrer.au caprice du vôtre ? eue 
du y des le premier inftant , vous payer de 
tous iès tranfjx)rts ? Pouviez -vous attendre 
que je m'embarquafle aveuglément dans 
Taf&ire la plus fcrieulè de ma vie ? Mais , 
non : vous parlez j & je dois me rendre. 
Trop heureufè encore , que vous m'adreC» 
fiez vos (bupirs :.vous croyez que , brûlant 
d'impatience d'être vaincue , je n'attendois 
que 1 aveu de votre paillon pour vous faire 
celui de la mienne : & fur quoi donc vous 
êtes -vous flatté d'un triomphé fî facile l 
Quelle de mes adions a pu tous le faire 
préfumer ? Mais , vous ne m'avez même 
jamais aimée. Vous m'auriez efHmée davan- 
âge. Yous ne m'auriez pas cru capable d'un 
caprice honteux ; & s'il avoit été vrai que 
Pamour vous eût entraîné vers ihoi, vous 
n'auriez pas évité ma vue : tout malheureux 
que je vous aurois rendu j elle vous auroic 
été néceflaire. Vous n'aunez jaftiais eu fut 
vous lé pouvoir de vous déterminçr % une 
abfènce que je ne vous prefcrivois pas. Je 
vous revois enfin", à peine daignez- vous me 
regarder. Ah , Meilcôur ! eft-ce àinfî qu'oit 
s^ttaque un cœur ? Eft-ce ainfî qu'on peut fc 
feire aimer ? Vous ave:;^ , me direz-vous , 
trop peu d'ufàge pour vous conduire bien 
dans un fèndment fi nouveau pour votre 
ame : ce fèroit encore une bien mauvaifè 
cxcufe. L'amour a-t-il dortc befbin At ma-^ 
tjege > ' Ah ! croyez qii'il agir toujours en nous 
malgré nous-mêmes , qut c'eft lui qui nous 
Tome m. C 



â 



conduit, 8c que nous ne- le. menons pas. On 
fait des Eiutes , je le yeux j maii du^ mcinr 
ce font des fautes qu!un fcntiaaent trop viP 
feit commettre, & qtii foi!ivcntti'en,perfiiar. 
dent que mîeuxu Si )e.,vous avbîs été chère , 
^fous n^auriez été capable que de celles-là ;, 
& îc nWois ms à me plaindre aujourihni 
du peu d égards que. tous avez pour mou 
Me voilà donc eiïnn^. Madame ^ lui xUs-je,' 
éclaîrci de mefr toïfs. En vétiré, vous êtes 
biep injufte. Après la &çpn dont vous m*^ 
vez traûé, fcroit-ce à vous à vous plaindre î 
Eh bien , reprit^elle d'un ton. plus doux , 
voyons l6quel:de nousdeux a It plus.de tort : 
je ne demande qu'an éclàîrdfl^mènt ; 4e con- 
nus même à vous pjardoonér : j'ouWie dès 
^et' înftant que vous m^avez dit que vous, 
Ài'âîméz.,., Ah 3 Madame ! lui dîs-je em- 
porté par le mômcait , qu'en pardonnant 
même vous êtes cruelle ! V!ous croyez me 
^ire une grâce. 5, & vous achevez de m*ac- 
ikbîef! Vous oijjSUèrez,, dites-vous, que je 
vous aime.: faites-le moi donc oublier auflî 5 
duc ne favez-vous,.CQntinuai-je, enme jet- 
tant> (es genoux, l*état horrible où vous ré- 
duifejç mon cœur..., Jufte ciel ! s*écria-t-ellc, 
eh reculant, à mes gçwux ! Levez- vous: 
411e voudrieai-vQttS quç l'on penftt, fi \?on 
ypHsyfurpxenWi Qjie je vojis'jure, repar- 
tiV je , tojw Tamourr Sç: fe rçfpcâ:* qjie vous 
içimrez, Eth ! pcnfça-vous , rcpntreflft en 
n^'oblîgeant.de mf .fcyer, qyej'èn foflepïus. 
fâtîsla^l Voilà' dont lès cffëlsdc ceïtc çix^ 



tOnipeétionqae vous m'avez promit? Mal^ 
enfin , que me demandez-vous ? Que voua, 
croyiez que je vous aime^ lépondîs-je , que 
vous me permettiez de vous le dire , & d^eC. 
pérer qu un jour je vous y verrai plus (enfi- 
pie. Vous m'aimez donc beaucoup, répartit- 
die ; ôc c'c& bien ardemment que vous ibu^ 
haitez du retour ? Je ne puis que vous répéter 
ce que je vous ai déjà dit^ Mon cœur eft en^' 
core tranquille , & ]e crains d'en voir trou« 

bicr le repos: cependant Mais non, jç 

uai plus rien à vous dire : je vous défends 
même de me deviner. 

Madame de Luriay^ eh fini(îant ces paro** 
les, m'échappa. Elle me jeta, en me quit- 
tant j, le regard le plus tendre. Croyant, avoir 
affèz &ic pour k bienféance , elle étoit ians 
doute déterminée à tout Êdrê pojur l'amour. 
Il n'y avoir affurément riai de. fi' clair que ce 
qu'elle venoit de^nc dire \ &c elle, m'avoit 
traité en homme , de la pénétration duquel 
on niàttend plus rien. Qu^elque peu. que 
mon ignorance me kifîlt ^evmer, je compris 
^qu'elle étoit moins éloignée de me répondre 
que la première fois que je lui ayoiis parlé; 
^^is , elle ne s'étoit pas encore eipliquéç au 
point qu'il ne me reftàt aucun doute: Se 
d'ailleurs , je n'avois plus aifez d'amour pour 
elle , pour méditer profondément fur ce qui 
pouvoit ifte âattec. dans k. fin de fes diC- 

Emportée dans cette converfatîon par la 
tâbwêmencet,. & par une fituation ni^uve pou; 

C X 



yi^ d£ tr V R » s 

xnoî, elle m'avoit étonné, (ans m'en toucher 
davantage. 

Je ne doute pas que iî madame de Lurfày 
tut Tu la nouvelle ardeur, qui m'occupoit, 
die ne ïè fôt moins ménagée, & que par là 
même elle ne m'eut féduit. Retenu d'abord 
par le ftritîment du pîaîfir , il m'auroit d'au- 
tant plus attaché que je TaurQis moins connu. 
Tout paîx)ît -paflîon à qui n*ct\ a point éprou- 
vé. Celle qui fembloit' écarter madame de 
Lurfày n'étoit point dans mon cœur encore 
àiïèi formée ,. pour réfifter à fes empfejfïè*- 
jnents ; & j'aurois làns doute préféré un 
amufèment tranquille, au Coin pénible d'inC- 
jpirer de Tamour à un objet qui, d'abord au 
moins ne m'auroit offert que des peines. 

Loin que madame de Lurlày pût îmagî- 
.ner qu'il lui fut fi important de me paroître 
auffi fènfible qu'elle l'étoit en effet , elle ne 
fut pas plutôt raflurée fur mon cœur , qu'elle 
leprit , à peu de chofc près, fbn ancien fyf^ 
tême. Elle voujoit bien que je crufle que je 
pourroîs un jour triompher d'elle, & non 
pas que j'en çxxfTc déjà triomphé. 
' J*etots rentré avec elle dans le (àlon , pêû: 
Jamoureux j mais croyant l'être. Revenu du 
premier mouvement , ma timidité m'avoit 
repris : j'étois incertain de ce que je devois 
fcire ; &, quelque ouvertement qu'elle fe fvtt 
'déclarée, je ne vofois encore dans -fes dif- 
t^ours rien qui m'affurât (à conque tei Son 
Vilagfe étoit redevenit auftcté [ & quoique ce 

demies de fèvériré ât -plus, pour- k& auaes 



.-que pOLii iftoi , il me rendit tx>uce ma <:rainte. 
. Je n'olbis apprqcher décile ni la regarder. 
. Tant de réferve de ma part n'entroit pas 
dans le plan qu'elle s'étoit formé : elle m'eiv 
couragea par. les diicours les plus obligeants 
à lui marquer plus de conBasce ; elle me 6c 
même entendre, pendant toute la fbirée, 
que deux perfonnes qui s^aiment , peuvent 
s'expliquer difficilement ce qu elles lentent, 
au milieu du tumulte d'une grande compa- 
gnie. C'étoit me dire aflèz que je devois lui 
demander un rendez - vous. Elle, attendit 
long-temps que je le fiïTe ; mais voyant enfin 
que cela ne m'entroit pas dans refprit , elle 
eut lagcnérofité de le prendre fur elle. 

Avez- vous demain quelque affaire, me 
-demanda-t-elle d'un air nonchalant? Je ne 
m'en prévois pas , répondis- je. Eh bien , re- 
prit-elle , vous verrai-je ? je ne (brtirai pas de 
chez moi j je compte même voir peu de 
inonde : venez amufer ma ^litude , auflî- 
bien ai- je quelque chofe à vous dire. J'en- 
tends , repris-je ; vous voulez achever de me 
gronder. On ne fe ifbuvient pas toujours avçc 
vous de ce qu'on deyroit faire, répartit-elle f 
& je ne craindrois que d'avoir trop d'induU 
gence : viendrez-vous ? Je le lui promis. Eri 
lui donnant la main pour la remener à ibii 
carroflè , je crus (èntir qu'elle me la ferroic 5 
fans fàvoir les conféquences que cette aâion 
fâitraînoit avec madame de Luriay , je Urlm 
rendis : elle m'en remercia, en redoublant 
d'une feçon exprefltxve : pour ne pas maa-i 

C 3 



5 



^ tE tr ▼ *L E s 

quer à la p^refle )e continuai fîir îe t&n 
qu'elle a voit pris : elle me quitta en (bupi- 
tant, & très-perfuadiée que nous commen— 
cions enfin à nous entendre ^.(^uoiqu'au fond, 
il n'y eût qu'elle qui fe coxhpnt. 

Je ne feus pas plutôt miittée, que ce- 
lendeE- vous, auquel d*afcord je n^ois point 
fait d'attention , me revînt dans refprit. Un. 
lendez-vous! Malgré mon peu d'expérience,, 
cela me paroiflôit grave» Elle devoit; avoir 

eu de monde chez clk : en pareil cas, c'eft 

ire honnêtement qu'on n'en aura point. Elfe 
m'avoît ferré la main : je ne favoîs pas toute 
k force de cette aékion ; mais , il me fèm- 
bloit cependant, que c'eft une marque d'ami-- 
tié, qui, d'un fexe à l'autre , porte une ex- 
preffîon iSngulîere , & qui ne Vàccorde que; 
dans des fîtuations marquées. Mais, cette 
vertueufc madame de Lurlày , qui venoit de 
me défendre feulement de la deviner, au- 
Toit-elle voulu r . . .,. I^on, cela n'étoit pas 
poflîble. 

Quelque chofè qu'il en put arriver, je ré-^ 
folus de m'y trouver, J'imaginois que je ne 
|ouvois qu'en être content , & madame de-^ 
lurfiiy étoît aflcz belle pour me le feirç 
ÉCtendre avec impatience. 

Au milieu des idées flatteufès que je me- 
IbniEiois fiir ce rendez-vous : ah ! m'écriai-jc> ^ 
$xfétoi(: mon inconnue qui me l'eur donne ;. 
mis. non j reprenois - je , efle eft trop fàgc 
pourenticcofaef à quelqu'un, à moins ce- 
pcaâaàt que ce ne Hic à Germeuil. Mais ^ oà 



-iônt-ils tous detix, me demtandoîs^jerfc 
comment le peut-il que^ depuis que je Us 
-cheri^he^ l'un & rauixe iûe>fbienc échapWs ? 
Ne devrois-je^point renoîicer à une poùifiiite 
fi inuciloîuCqu'à ce îoa£^Poùfquoi près peut- 
être de me voir aimé, vais -je m^eupor 
d'une idée qui ne peut que me tendre mal- 
heui?eu3C3 d'un objet que je h'ai vu qu'un 
ihftant^ & que je ne revercai Ëins doute que 
cfloUr le trouver pofledé; pai^ un autre } N'im- 
-p€Krte> fâchons gui dl cette inconnue , pour 
.uapi-^même > poUr me guérir d'une pauîon 
qui piîcnd déjà trop fur mai coeur; péné- 
trons. Vil eft poffibfe> les fecrèts du fien: 
Ititenogebns Germeuil*» & , s'il eft aimé^ 
c^ccupons-nous moins à troubler fès pkini^, 
'^ki'à jouir tranquillement dés nôti!es. La con- 
ver/àtionqueje venoîs d'avoir avec madame 
^e Luriày y me Êiitbit réfléchir (ur mon in« 
-connue avec ^lus de froideur qu^auparavant. 
-^t. rendez -vous m'occupât l'îmaginatiOtt< 
. J'^svOis toujours envié ks gensia({ezlieureUQt 
:tk3ar'ônavoir; & jeme €x;ouvois'iiTe]^éb« 
iole'drétre à mon %e dans leméme cas, '3c 
-iùr-^out av^cune pérfônne telle que madame 
kie^Lurj&y , qu^'il s^en &lloit peu que la nou- 
-veauté de la chofe, & les idées que j^m^én 
làifbis, ne ixie tinâènc liea du plus violent 
amour. 

Qudqoe virement qu'elles^m^ôccuf^flent, 
|e n'en iréfôlus pas^ môîhs Û'âUer voîï Géi- 
meuil le lendemain i Se je m'endormis en 
lfemfil|»t ^s^4e&s Àvimd^. de tur&y > 9c 

C4 



y6 œ u V n ï f 

je ne fais quel fentimenc plus délicat à mon 
inconnue. 

Le premier foin que je retrouvai 1 mon 
réveil, fut celui d'aller chez Germeuil : je 
m'étois arrangé fur ce que j'avois à lui dire, 

• & m'étoîs préparé à le tromper autant que 
fî , fur une queflion auflî fîmple que celle 

• que j'avoïs à lui faire , il eût dû deviner le 
trouble fècret de mon cœur. Je croyôis ne 
pouvoir jamais me déguifèr afïez bien à fès 
yeuxj & , par une fottife ordinaire aux jeu- 
iièis gens, j'imaginois, qu'en me regardant 
feulement, les perfonnes les plus in<fifFéren-. 

• tes fur ma fîtuation , l'auroient pénétrée. A 
.plus forte raifon, je me défîois de Germeuil, 

que je croyois amoureux pour le moins air» 
tant que moi. Je me fis conduire chez lui 

• avec emprefïement , & mon chagrin fut ex- 
trême quand on me dit que depuis quelques 
]ours il étoit à la campagne. Mon imagina^ 
£on déjà bleffée s'offenu de ce départ , dc 

;in'y fît voir les plus cruelles chofès. Depuis 
iquelqucs jours ils avoient difparu l'un & 
Jf autre j je ne doutai pas qu'il ne fut parti 
avec elle. Mon amour & ma jaloufîe fc ré- 
veillèrent. Je fèntis par mon infortune quel 
devoit être fon bonheur ; & , fur qu'il étoit 
aimé d'elle, je n'en fus que moins di^ofé à 
m'en guérir. , 

Nous étions alors dans le printemps.; 
8c, en fortant de chez Germeuil, j'allai aux 
Thuilleries. Je me refïbuvins en chemin du 
rendez-vous que m'avait donné madame de 



prit pour 



j— i-v-^x .V luuLciur. LA leuie image de rin, 
connue m occupoit fortement ; je la traitois 
de perhde comme fi elle m'eut en effet ' 
donne des droits fur fon cœur, & qu'elle 
ks eut violes Je foupirois d'amour & de 
fureur : il n étoit point de projets extrava- 
gants que je ne formate pour l'enlever à 
Germeuili jamais enfin je ne m'étois trouvé 
dans un état fi violent 

Quoique je ne duflTe pascraindre, à llieunî 
^u 11 etoit, de rencontrer beaucoup de mon-. 

i .^nt "^''"'^^"' '?^^™^ ^« Thuâcries que 

mi^^J? T P? ' ^ ^"^^°0" ^e mon efe 
me^fit chercher les aUées que je ûvois £e 

doutet ' ^ r î?'y abandonnai à^ 
douleur & à ma jaloufie. Deux voix de ktn^ 
mes que j'entendis alTez près de moi fi?r 
poidirent mi inftant la rêverie dans laquX 

je 1 etois, il me reftoit peu de curiofite' ooup 

wr'e£"fe-4"'= ^"^ ^^ -^ -ï 

lancoiie, elle m etoit chère * 8r ie n-^;^.,^; 
tout ce qui. pouvoit y fo^ diSHl' 
defcendois pour aller l'entretsair aiUe^rs 
lorfqu une exclamation, queficuneTcel 
deux femmes . m'oblio«i ^^a^^ 
Li nalJ/To^» «lODugca dfr-me retourner; 
La paUflade, qui etoit entre nous , me dérol ^ 
b«t kur vue, & cet dbftacle me détermin* 
# vott ^m ce pottvw écçe. J'écami la àm< 



58 CE u V R m S' 

mille te ptus doucement que \t pus ySCtngL 
furprife & ma joie furent fans ég^es,, en re- 
connoii&nt mon inconnue*. 

tJïi& émotion, plus forte encore que celle 
où elle m'ayoit mis la première fois que je 
Tavoia vue » s'empara de mes fens. Ma dou^ 
leur , fufpeiïdue d'abord à Tafpea d'un objet 
il diannant, fit place enfin à la douceur ex- 
trême de la revoÎLi J'oublîaldans ce moment, ^ 
le plus-cherde ma vie, que j<? croyois qu'dle 
aimoir ua autre que mot ^ je m'oubliai moi-- 
même. Tranfporté, confondu > je peniaî 
mille fols m'alter jeteri iès pieds , Se lui jii^rerr 
que je I^okms. Ce mouvement fii imp6-^ 
tsxcux Ct calma, mais ne s^éteigrûtp^ Elle: 
parbii: a£z haut^ & te deiir^ de oeoouvnc. 
quelque: chc^. de ies/ fendments dans un 
cnGreden dont elle croyoit n'avcnr. pas de 
(témoin y me rendit plus tranquille.. Se me- 
fit réfb^re à me cacher^ à fidre le mioîns de 
fe^uit qu^il me fetoît poiKMe. Ejie était ayec 
une des dames que t'àvcis Yues ayec elle k 
|îCMjém« En me pénétrant dxL plaiiîr/d'être fii 

Srés d'une perfbnne pour qui je fentoîs tant: 
'amouf > je ne me conibbîs poinr^ de ne. 
f!()uyoir pas ^entretenir: fôn yiiàœ n'étcrit 
]ia$ tourné abfblument dé monxoté > mai^ 

Ï^en découvrais, allez pous.ne pas perdre toua^ 
^ichacmes. JLa ficuadon où elle etoit, Ilem-^ 
féchoit de me yoir> Se m'en GiùâtpLt^ 
moins tegretteEce me |V pe«loî&, 

Jelfaveuerai^dilbàrtlxKûnniie, ^neââi; 
jjpeintixifbfilidfi au ]^^ 



BE CRBBILIÔK) FILS. 1^^ 

Î^è ne hais pas même qu'on me4iiè que je li . 

ùis ) inais ce plaifîr m'ocrape moins que 
Vous ne penfèiS : je lé txouvc auffi friv<de qu'il ! 

Teft en c&t ; &> fi vous me connoimez 
inieux y vous croiriez que le danger n'en eft^ 
pas grand pour moi. Je né prétendois pas i 

: vous dire , répartit la dame , qu'il y eût tant \ 

à craindre pour vous, mais (eulement qu*3 
faut s'y livrer le moins qu'on peut. Je penft 
tout le contraire , reprit l'inconnue : fl (kixi 
d'abord s'y livrer beaucoup ; on en eft plus 
iur de s'en dégoûter. Vous tenez là le dlîf- 
cours d'une coquette, reprit la dame ; St 
Cependant vous ne l'êtes pas. S'il y à mêiiie , . [ 

dans le cours de votre vie y quelque cho(è 1 i 

fedoutèr poui vous , cfclk d'avoir te côeuir 
ttc^ (ènfiblc 6c trop attaché. Je n'en fais fiett 
caicore, repartit l'iriçonnùe : de tous ceux 
qui y jufqù% préferit , m ont dit qtte VëtbÔ 
helie , & m'ont paru le féntîr , aucun ne m'a 
touchée. Qùoîqvie îeune , ^e conriois totte te 
lianger d'un engagcmerir: d'ailleurs , "je vous 
àvo'uerâi que ce que j'entends dire des hom* 
îRts, mé tiéiit en garde cônitfe eux ^ parirti 
éôus ceux que je v6is , je rfen àî pas axmvé 
un feul y fi vous en excepté le marqtiîs y qt^ 
lut digne de me plaire, je né rencontre ^ai^ 
tout que dès ridicules , qui y pOMt èttt briK 
làiîts i^ ne m'en déiplaifènt pas moins. Je ne 




pixh 

\ma» fox, reprit Hàme; ^^f ai 

C6 



^o ' CE tr V H E^ 

penfer, que, malgré Jb peu de cas que vous 
Faites des nommes , d y en a un qui a txouvé 

face. devant vos ye^x : ce n'eu: pourtant pas 
rnairquis. Il y a quelques jours , repartie 
Tinconnue, que je vous vois cette idée 5^ 
mais ; comment , & fur quoi avez- vous pu 
la former ? Je ne fuis à Paris que depuis fort 
peu de temps : je ne vous ai pas quittée , & 
vous connpiflez tous ceux que je vois. Ap-* 
prenez- moi enfin quel eft 1 objet qui m'a 
infpiré une ardeur fi vivel Je fuis lincercj» 
yous le favez ; & fi votre remarque eft jufte'^ 
j'en conviendrai avec vous. Eh bien, répon- 
dit la dame , vous fbuvient-îl de votre incon- 
nu ? de votre att;entiQn à le regarder ? du foia 
que vous prîtes de me le feire remarquer l 
A)oute3t à cek l'opinioix avantageufe que; 
vous ave? conçue de fon efprit, fixr queU 
ques mots, jolis à b véi;ité , mais cependant; 
afièz frivoles pour ne devoir rien déterminer 
là deiïus : préoccupation que l'amour fait; 
naître ou qui y mené. Voulez- vous d'autres; 
preuves moins équivoquçs^encorc> quoiquç 
|>eut-êtrc elles vous fbient ihconnuesAvous-^ 
même ? Vous fbuvicnt.-il de la précipitatiori 
avec laquelle vous demandâtes qui ii étoit > 
& que mi ieul vous fit naître cette çuriofîtQ 
jdaus un lieu où du moins eUe pôuvoit êtrq 
partagée >, du plaifix que vous eutes.> quaiidj 
vous apprîtes Ion nom & fbn rang ? Com-^ 
bien vous en pgrUtes le foir i Rappellcz-i^ 
vous la rêverie où vous avez été plongé^ 
pendit noiiire féjoux ^ h cam^ague^i^ xoi 



V 



diftraftions , yos foupirs , échappés même 
lans caufè apparente. Que puis-Je penfer en- 
core de cette langueur douce & tendre, qiû 
paroîi: dans vos yeux , & qui s'eft emparée 
de toute? vos avions ; de inquiétude & de 
la rougeur que vous cauiènt aéfcuellement 
xncs remarques ? Si ce ne font pas pour vous 
des {ymptômes d'amour , c'eft ainfî du moins 
qu'il commence dans les autres» En ce cas , 
répondit l'inconnue, je puis donc croire que 
je ne refïèmble à perfonne. Je ne me défen- 
drai fur rien de tout ce que vous venez de 
jne dire ; & vous conviendrez cependant , 
que vous avez mal appliqué vos remarques^ 
Il eft vrai , >'ai demandé qui étoit cet incon-- 
nu : ôtez de cette curiofité l'empreflèment 
que vous avez cru voir, je me flatte que voua 
n'y trouverez rien que de naturel. L'opiniâ- 
treté fatigante avec laquelle il me regardoit^ 
la produifit , & en même temps mon atten* 
tion à le regarder mioi-même. Je vous dirai 
plus : fa figure me parut noWe , & (on main- 
tien décent : deux chofès, que ce jour là je 
ne trouvai, qu'à lui> & qui vous frappèrent 
comme moi. Ce qu'il dit, & dont je me fuis 
fbuvenue , vous parut auflî plailànt & bien 
tourné., Je ne dois pas même oubKer que 
vous m'en rappellâtes des traits que je n'a vois 
pas bien retenus : étoit-ce l'amour qui leî^ 
rendoit préfènts à votre mémoire ^ Si je par- 
lai de hii, VOU3 fàve?. que ma mère en fut 
piufè. J^ai été, dites- vous, rêveufè- & dif^ 
xms: à fe campagne, fai fguçiré, i'aiwdç: 



X 



gri 4E tr V R 1 5 

U lâh^etir : il me femble que tous ces mou** 
Vèiiïents ne prouvent que Tennui que làcam^ 
^nfe ih'inlpire, & qui peut être i^rmis à 
Une jeune perfbnnequi ,■ au (brdr du couvent 
'«« ^Ue ^eft déplu j a pa(fê un an dans une 
ierre dà eUe a eu peu d'amufèments 5 qui , 
^our airifi dire, voit Paris i)our là première 
îbiis , & n'ieft pas contente qu'on Tarrache à 
des j^aifirs nouveaux pour elle. Eh bien, 
îiladaiiie, que devient à préfent cet amour 
dont vous éészfi fôre ? (Dépendant, je fuis 
fincere. Se je vous avouera natuïeflement 
que cet inconnu, qui n'm à p^ été ïong^ 
temps un pour moi , sll ne rn'a point tou- 
tJïée , du môinsuc m'a pas déplu. Quand fort 
idée s*o&e à mon fouvehir , c'éft toujouri 
â'tme façon avantageai pour lui -y mais, 
c'eft fans qu'eBè m'intérefle : & fi l'amour 
cohiéfte cfâns ce que vous m'avez peint , je . 
feis bien-loin d'tn relfentîr; L'amour , dani 
im coeur vertueux , fe malque long-temps , 
^partit la û^snt : (z première impreffibn fe 
Êit même Cûxîs qu'on s'en apperçoive ; il ne 
farcît d'abord qu\m goôt nmple, & qu'on 
|ieut fè jttftîfier aifément. Ce goût s'accroit- 
û y nous trouvons -des raifbns pour excuièt 
fès ptogrès. Quand enfin nous 6n connoif^- 
iÊm^ié défordre, ou il n'eftplus temps de It 
fednabattre , ou nous ne fe voulons pas. Notre 
àiûè, déjà àttacbéc à une fi douce erreur,, 
ciaint de s'en voir privée ; loin de fonger è 
fe'déttuire ,,noù?aidonsn6ii!s^êraes à l'auj 



«b ièncimem m'âgifl^ gas ifièz 4e lui-mém^.^ 
î^ous^chcKhons fàlis ce^ àimicenir k ctouk 
ble de noci« cmi^ , & à le nouf rif des chi*- 
msass ck. notM iâtiâftiiiadelï. Si ^elqtiefok 
lacaifbti. V6«ct¥i0U$ ^Éaicer^ ce n'eft qu'une 
iomt\, <écemGe <ians lé âaâixie mlblit, qui a'à 
fssaSEbz^ttté pour nous m fituver • £n£oii<* 
SÎfi&md» notte SaiïAéScy elle, ndas tf tannife, * 
«lie fe ibrtifie4âHis>neiKhCitur pa« lese$>rts 
même qiiie noiât (sA&ms^OM^ Vén attacher » 
«ifeyéiMEin£toiiC^leS{)&fl^ ou e?i<ieyient ' 
leptineipe. Pour non» étô^^rdiir.dâvamages. 
w%is:a;yoite h. y^té ^ cvoiit que nous ne 
cédieti0ti& îamaîs]» qùek plaifiîd'*af mer peut 
^e couif^uts iftncxxswr; En vafe-, nous avons 
l^tenapfe contre nous^ iî-M- nous gaiancit 
fW^dte no»re cfeÉUe. Noixs aflons if égarements 
wi égiif^n^nts', fins les prévoir ni les fenrir; 
«Otts j^iâbhs Véitueufes encoie , &hs être 
préfènis^» pour aîn& dire » au &tal momei^: 
de iMïQtie ^âice s & i^ms nous retrouvons^ 
GOupàlites Énis &voii^^ non^^fèulément com^ 
flftefit* âûûsi'ài^ens été , mais fbuvent encore: 
ftvam âlaroir penfë que nous puiflîbns pamk 
iStee.^ luffië cfidl ! s'écria ^inconnue, quel' 
if^^cait! qu^il me cauiê d'horreur ! Nlma^ 
Snee pLS-y sé^sutit la dame y que )ç Paie fsSc 
an^i^fen» ; 'à ne convient pas à votte iitua^^ 
^imi' {M(éÊ»te ï-mâis > il me paiott important 

Îueyous âchiez coficjiâen le cœureftfo^eV. 
t que vous apftemcz par là qu^ ne pci^t 
ftpre trop^ eit garde^contEe lui. J'en conviciA 

411(66; ywsx Ueémcy àix î'im»nnwi, & 



#4 (B U ▼ A i S 

d'autant plus , que je crois que l'amàht tt 
plus eftimable ne vaut pas le moindre des 
loins qu'ij nouscoûte. Cette façon de pcnfer, 
répartit la dame , eft un peu trop générale : 
mais je ne fuis pas fâchée de vous la voir: 
& , fi peu d'hommes font tendres & atta- 
chés i fi peu (ont capables d'une vraie paffion, 
nous (bmmes fi fouvent & fi indignement 
viftimes de notrç. crédulité & de leur mau- 
vaife foi, qu'il y auroit, je crois ^ encore 
trop de danger à n'en excepter qu'un. Vou^ 
plus, que toute autre , vous dcvezcroire pour 
votre intérêt , qu'aucun homme n'cft oigne 
de vous toucher : faite pour être immolée , 
peut-être à celui de tous que ^fous choifirct 
le moins, n'ajoutez pas au fupplice , déjà 
trop cruel de ne vivre que pour lui, le fup-^ 
plice épouvantable de vouloir vivre pour uo 
autre. Si votre cœur n'eft pas content , em- 
pêchez du moins qu'il ne (bit déchiré. 

Elles fe levèrent alors. Dans le mouvement 
qu'elles firent, mon inconnue fe tourna de 
mon côté ; mais elle di(parut fi prompte^ 
ment , qu'à peine jouis- je un inlVant de (à 
vue. Malgré le trouble où (c^ dilcours. m'a* 
voient plongé , je n'oubliai pas de la fuivre ; 
mais, ne voulant pas qu'elle pût me foup- 
içonner de l'avoir écoutée , je pris pour la 
joindre une autre route quQ celle que je lui 
vis choifir. , 

. Tout ce que je venois d*entendre me jetoit 
idans une inquiétude mortelle, quoiqu'il (em^ 

bût ^'appren4rç ^uç Ççoueuîl n'ém jpoii^ 



ȣ GreBIXLO W, ?I L s. 6f 

aîmé. Je me trouvois dcbarrafle de la crainte 
que le rival le plus dangereux que je pwfïe 
avoir, ne l'eût touchée ; mais> iî ce n'étoic 
pas Germeuil , quel étoit donc celui qu'elle 
lionoroit d'un fouvenir fi tendre ! Quelque-^ 
fois , je me flattois que c'étoit moi : je me 
rappelloîs que je l'ayois regardée avec cette 
opiniâtreté dont elle fc plaignoit ; mille cho-i 
its. ièmbloient me convenir. Le defir d'être 
cet inconnu , plutôt encore- que ma vanité , 
me fàifoit adopter le portrait flatteur qu'elle 
en avoit fait. La joie que me donnoit cette 
idée 3 étoit détruite fizr le champ par une 
autre qui pouvoir être aufll vraie. Je Tavois 
regardée avec attention : j'avois fans doute 

{>iru pénétré de Ces charmes j mais , étois-je 
e feul qui eût été tranfporté à (a vue ? Tou« 
les fpeâiateurs ne m'avoient-ils point paru 
dans le ^ême délire ? Je ne l'avois vue qu'à 
Topera i &: dans la converfation où je vcnois 
de furprendre fes fecrers, il n'avoit été queC- 
tion , ni du jour, ni du lieu où cet inconnu 
Tavoit frappée r ce qui pouvoit iè rapporter 
à moi, pouvoit aufli fe rapporter à quelque 
autre. .D'ailleurs, cet inconnu, félon fè$ 
difcours, n'en étoit plus un pour elle ; il 
Moit donc qu'elle l'eût revu > Pourquoi 
n'auroit-ce pas été Germeuil? Savois-je de- 
puis quand Se comment il la cbnnoiflbit } 
Hélas l mediibis-je, que m'importe l'objet 
de {à paffion , puiique je ne le fuis point 3 
Qi^d ce ne fera pas Germeml , ien fèrai-je 
moins malheureux \ Pendant ces doulouïWj 



i^ <Ê TT T H * * 

fês iréflcxîoiîs, dont la iafteflê me défefpi^ 
toit y j'âvoîs marché a(ïez vite pour me trou-, 
▼er, malgré le tour que farois feît, atfez 
'près d'elle : fa vue me donna autant de joie , 
-que fi feuflè trouvé, dansle {Jaifîr de lavoir, 
•quelque {ujer d'efpérer. 

Elfe fé promenoir ncmchalamment dans b 
-grande allée, du côté delà pièce d'eau qdî 
*a termine* J^admiraî quelque temps la no- 
ileflê de ù, «aille, & cette grâce infinie qui 
•régnoit dans -toutes fês àâiôns : quelquieîs; 
îftranifports , que , éaixïs cette fituation , ellb 
ïné caufâti )c n'en voyois pas aflèz; mais, 
îtimide comme je l'étoîs -, je trenàblois de mè 
fiéftnttr à fes yeux ; je defirois, je redoiitoîs 
scet inftant qui alloit me tiés^ rendre : il mé 
Curprit dans cette confiifion d'idées» Mon 
iSmotion redoubla. Je profitai de Tefpace qut 
étoit encore encre nous deux , pour la regap* 
îîfer avec toute la tendrefïe qu'elle in'inlpî'' 
TÔit à mefiire qu'dle s'^vahçôît vers moi. 
Je fentois mon trouble «'augmenter , & m* 
timidité renaître. Un tremblement unîverfeî 
Ê[tû s'empara de moi, me kiilk à peine k 
force de marcher. Je perdis toute cénte- 
liance : j'àvois remarqué que ^ lorfque nom 
nous étions trouvés à quelques pas l'un de 
l'autre , elle avoir détoiumé fès regards de 
Aèffixs moi ; que, les y portant encorfe, & 
trouvant toujours les miens fixés fur elle, 
elle avoit recommencé les mêmes mouve- 
Éiehts : je les avois attribués àl'embàrras où 
A^ trop :gtande hardie£& rav<HC mîTe^ & 



feut-écte à quelqtie fèndmeiic d'âVérfion 8c 
ic d^out. Loin de me laiTinper contre une 
idée il cruelle. Se de me flatter que ma vife 
lui faifcÂt une plus, douce impreflîôn , elk 
me âappa au 'pcônt, qu^n pa(!ànt auprès 
d'elle , je lildai la regarder <x>mme j'avois 
'tait jx£wcs4i^ Je parus même porter mes 
yeux ailleurs,. Je m^appetçus avec doule^ir,, 
^e cette précaution étoit inudie ^moii iti* 
-connue aie îmfavoit pas feulement^emarqué^ 
Ce dédain me iurprit & m'affiUgba. La vanité^ 
me fit croire que je ne le méritois pas, Dès- 
3oi^^'avats:&is doute dans fe cœur le germe 
^e ce que f ai été depuis. Je crus m*êti1e 
■orompëj &, ne pouvant penfer mal long- 
temps (fc moi-niêine, je m'imiaginai que là 
aaodcftie feule tavoit contrainte à ce qu'elle 
tenoît de faire. 

Biles is:fca£choient toutes deux fi fentemenr 

que -je me flattai que^ fans marquer aucune 

afFeiftation , je pourrois ks rejoindre encore^ 

Je continuai donc ma route , non fans me 

letoumer fbuvenr, autant pour m'inftruire 

du chemin que prdndroit mon ineonnue>. 

que pour tâcher de k Surprendre dans le^ 

même loin. Le mien en partie me réufl%: 

lïfâl ; & je pus feulement reconnoîtrequ'elle 

fc ^fpotoit à prendre le chemin de k porté 

du Pont-Royal.. Je revins bmfquement fut 

nies pas j & , en> coupant par- diffëtcntes 

•Bées, je mY trouvai prcfque dans Knltânt 

|u*ëlie y arrivoit : je lui fis place refoeéfcueuf 

*ment, & ^ttc gol«e(fe itfatâm de fe pw. 



6i CE tr V it K S 

une révérence, qu'elle me fit féckement; 
&les yeux baifles. Je me rappellai alors tou- 
tes les occadcms que j'avois lues dans tes 
romans de parler à fa maîtrefle», & je fos 
furpris qu'il n'y en eût pas une' dont je puflTc 
faire ufage. Je Souhaitai mille fois qu elle (k 
un faux pas , qu'elle Ce donnât même une 
entorfè : je ne voyois plus que ce moyen 
pour engager la converfàtion ; mais il me 
manqua encore , & je la vis monter en car- 
roITe , fans qu'il lui arrivât d'accident dont 
je pulïè tirer avantage. 

Par malheur, je n'avoîs à cette porte, m 
mon équipage,. ni mes gens. Privé de la 
relTource de la feire fuivre, je penfâi l'en- 
treprendre moi-même ; mais , quand ce que 
j'étois , & la façon diftinguée dont j'étois 
mis, ne me l'auroient pas défendu, je n'au- 
rois pu me flatter de le faire long-temps. Je 
me repentis mille fois de n'être pas defcenda 
à cette porte : j'aurois pris des mefures trop 
juftes pour ne pas apprendre enfin qui étoit 
cette inconnue j mais il n'étoit plus temps , 
& je m'en fis autant <le reproches que li 
j'eufle dû deviner , & qu'elle étoit aux Thuil- 
leries, & la porte par laquelle elle y étoit entrée. 

Je retournai chez moi , plus amoureuse 
que jamais , piqué de l'indiœrence de mon 
inconnue , rempli de ce que je lui ayois en- 
tendu dire , & déteftant , fans le connoître , 
celui pour qui elle fèmbloit s'être déclarée , 
puifque je ne pouvois plus me flatter que ce 
fôt moi. Pour combler mon ennui» il me 



tcftbît le rendez-vous que m'avoit donné ' 
Tindulgentc madame de Lur&y. Loin qu'a- 
lors il m'occupât agréablement l'imagination, 
il n'y avoir rien que je n'euffè fait pour m'en 
difpenfer. Je venois d'éprouver, en voyant 
mon inconnue , que je n'aimois qu'elle , & 
que je n'avois pour madame de Lur&y , 
que les lentiments paflàgers qu'on a dans le 
monde pour tout ce qu"*on y appelle jolie 
femme ; & qu'elle m'auroit peut-être infpiré 
moins que perfcMine, f^ns le foin qu'elle pre- . 
noit de me les faire naître. 

Ce que je venois d'entendre dire à mon 
inconnue m'a voit plus agité que guéri. Sa 
vue , l^amour même que je lui luppofois 
pour un autre ," avoicnr réveillé ma pafïîôn ; 
4ç, quelques chagtins que j'en dùfle prévoir, 
j'imaginois plus de plajnr à être malheureux 
par mon inconnue , qu'heureux auprès de 
madame de Lurfay. Quirai-je faire à ce 
rendez- vous , me difois-je ? Pourquoi me le 
donner ? Je ne le demandois pas : j'irai m'eft- ' 
tendre dire qu'on ne veut point m'aimer , 
qu'on a le cœur trop délicat. Ah î plût à 
' Këu qu'on ne m'y prep^ric que cesJifcoars ! 
Maiis noiî : on éroit hier dans de plu5 douces 
dîfpofîtïons ; la verm & l'amour peuvent 
combattre encore ; mais je ferai aflez mal- 
heureux pour ne pas voir triompher la pre- 
?«ere. Je.|list«ité quelque îtcmps de nçr 
point ^Her chez madame: de Lniïay^ & dé 
hii ; écrire ^ que des^ afl&ires inlpdrtanttts -qui 
^'ctoient -lurvemies», m'cmp^hoient de la 



^ 



'Voir. Apràs^ ^-y ttoiiv:(n» dçs difSccdléé;^': 

c^m qu'à (brcG( dene tkn réibudre^. iepsÛM 

chez moi, & feul, la plus grande partie de 

la joumëe : otifin , ]t me déterminai à. voit 

tBadame de Luriày > mai^cefut^fî tard^ <m|s< 

ne in'accendant plas, ^le avoic pris le fiâti/ 

<le recevoir les viCvx» qui lui vie^droîent ; * 

«n efièc, l'y ttoavai giand monde. £Uc me^ 

reçut avec froideur.,. & (ans prefque- lever • 

iès yeux de dei^s. uni métier mr lequel: ^e 

iaitoit de: la. tapi0êriei De mon: côté*, les. 

politefïès ne furent' pas vives ;. & ,. voyant 

^'elle ne ma difoit moCiy . j -allai m'amufer 

A, xeg^dc^ ÎQuor ; île n'y zvok afluréinem 

rien: de mom honnôteL que: mon . procédé -: 

apiS me' paruG-illaiâchac vivement ;. mai» 

il, m\îniportQit = peu qu^ette s'en ofïcnât -, 

fuenifya qu^ijc-ne 'la: iniflc. pointa portée dé. 

«ne Ic; dire. Son : intention, cqpendanc n'étoît 

point He gliider là.delTus le: ulencc : l'initilte 

«ioitrtropviMe. L'avoir, fiwt attendre, arriver 

bimàerncM &m m'exoifèrv ^àns paroître 

cfoirc:<^:i'tîi enfle befoin:, n'a^^roir pas feu- 

i^mem renurqué qu'dk en étoît. piquée, 

éjcoit-'il dêsccrimes dontjeneiufle coupable ? 

^: endorc étoient^ce : tous crimes de fcntî* 

ment. Elle attendit quelque^ temps que je 

revinflè à elle ; maïs voyant qu'il n'en étoîc» 

pasqueftion, elle fe levai. Se, après queU 

ques tours qu'elle fit dans d'appartement , 

die vînt enfin.de mon côtéw Elle s'étoit mite 

oc Jour, là de façon à arrêter mes regards SC 

mon.cœur 9 IcLdéskabiUé.le plus noble Se le 



ptofigftlam ôrnoit iès charmes; unecoëâfaxo 

négligée 5 pea deroage, coat qoncribaoit ài 

kû donner un air plus tendre r enfin , elle 

étok dans cette paxore où les femmes éblooiCt 

&nt moins les yeux , mais où elles {arpren«< 

nent plus les ièns. Il falloit , poifou'elle l'avoîD 

priie dans une occafion qu'elle legaidoic 

comme fort' importante^ que , par la pro«4 

pre expérience ^ elle eh connût tout le prix« 

Sous prétexte de regarder le jeu , elle s'ap-% 

procha de moi : je ne l'avois pas encore bie» 

confidérée ; je fus , maigre mes préjugés^ 

<ï)ntre dle> lurpris de ia beauté. Je ne lai» 

quoi de fi touchant & de £ doux biilloitÀ 

dans fès yeu^; fès^ grâces > animées, mr le» 

dcfir, & peut-être par la certitude de mo 

plaire, avoient quelque chofe de fi vif i que 

j'en &is ému« Je ne pus la regarder ùnsmxo 

(oitc de complai{ance,,qaeie n'avois jamais 

«ue pour eues aulC ne l'avoLs -je jamais 

'Vue comme je la voyok alors. Ce n'étoit plus 

cette phyfionomie lëwse & compofée , avec 

Wielle elle m'avoic ef&àyé tant de fofsp 

e^ctoit une femme lènfible, qui coniêntoic 

à le patoître , qui voulait toucha. Nos yeui^ 

^ rencontrèrent' : la langueur , que je trou«« 

^ dans lés fiens ,. ficpauer jufque dans moti 

copur le mouvraient que (es charmes avxnemr 

&t naîts-e 3 & d«nt le «rouble (èmbloît s'ac^ 

<5roîtEe à chaque inftant, Qjidqttes foupirs-y 

qu'elle afeiStoit de ne pouifer qu>à demi^' 

achevèrent d& me- x:onêsfndre^ $c4iia^^ 



Ti . Πtf V R H s 

oangereux momenc , elle profita de tout 
L'amour que j'avois pour mon inconnue. 
. Madame de Lur iay avoit trop d'expérience 
pour fe méprendre à Ton ouvrage, & n'en 
pas profiter ; & elle ne s'apperçut pas plutôt 
de Timpreffion qu'elle faifoit fur moi, qu'en 
me regardant avec plus de tendrefle qu'elle 
ne m'en avoit encore exprimée, elle retourna 
à fà place. Sans réfléchir fur ce que je fkiibis, 
ians même que je puflè) former une idée 
diftin6);e, je lafuivis, elles'étoit remifeàia 
tapiflèrie, & fèmbloit en être fi occupée, 
que quand je m'affis vis-à-vis elle, elle ne 
leva pas les yeux fur moi. J'attendis quelque 
temps qu'elle me parlât j mais , voyant enfin 
qu'elle ne vouloit pas rompre le filence : ce 
travail vous occupe prodigieufèment. Ma- 
dame, lui dis-je. Elle reconnut, au tonde 
ma voix , combien j'étois ému , & , làns 
me répondre , elle me regarda en deflbus : 
regard qui n'eftpas le plus mal adroit dont 
une femme puifle ïe iervir , & qui en effet, 
eft décifif dans les occafions délicates^ Vous 
n'êtes donc pas fordc aujourd'hui , continuai- 
je. Eh! mon Dieu non, reprit elle d'un aii 
fin, il me femble même qup je l'avois dit. 
Comment (è peut-il donc , repartis-je , que 
je l'aie oublié > La cbofè ne vaut pas, réponoit- 
elle , que vous vous en fafliez des reproches, 
& elle eft par elle-n^ême fi mdifférente, que 
j'avois oublié auflî, que vous 'm'aviez pro- 
misdeYenir, Tancquevousnememanquerez 

pas 



DECuéBIlLOll, FILf. 7) 

pis plus eflêncieUemenc > vous me trou-- 
vcrêz touîours difpofée à vous pardonner ; 
car, nous nous lèrions peut-être trouvés 
feuls-, que nous ferions -nous dit? Savez- 
vous bien qu'un têce-à-tête eft quelquefois 
encore plus embarrafïant que fcahdakux ? Je 
ne iàis , repris-je , mais . pour moi j je le 
fouhaitois avec tant d'ardeur. . . . ^h ! finiC- 
fon^ cette caquetterie , interrompit-elle : ou 
né me pariez plus (ur ce ton , ou (byej du 
flioins aaccora avec vous-même. Ne fentez- 
vous pas que, de la chofe du monde la plus 
^mple , vous en ^tes actuellement la plus 
ridicule. Comment pouvez - vous vous 
inu^er que îe croie ce que vous me dites» 
Si vous aviez delîré de me voir , qui vous 
en empêchoit ? Moi-même , repris-je , qui 
crains de m'engager avec vous. Voyez , ce- 

f>endant comme îe réuflîs, continuai-je, en 
ui prenant la noiain qu'elle avoit (bus ion 
métier. Eh bien, me dit-elle, (ans la retirer^ 
& en fburiant, que voulez-vous? Que vous 
me diiiez que vous m'aimez. Mais, quand 
îe vous l'aurai dit , reprit-elle , j'en (èrai plus 
malheureuse , & je vous en verrai moins 
amoureux. Je ne veux vous rien dire : devî- 
nez-moi , fi vous pouvez , ajoute-t-elle en 
me regardant fixement. VoOs me l'avez dé- 
fendu, repris-je. Ah! s'écria-t-elle, je n^e 
croyois pas vous en avoir tant dit y mais , auflîî 
nç vous en dirai-je pas davantage. Je voulus 
alors la prefTer de parler; elle s'obftina au 
ûlcnce : nous fumes quelque temps fans nous 
.Tyme lil. D 



74 Œuvres 

rien dire ; mais nous ne ceflions pas de nous 
regarder, & je retenois toujours fa main. 
Que je fuis bonne, & que vous êtçs fou ! 
dit-elle eniin : le beau peribnnage que nous 
jouons ici tous deux 1 Ecoutez , ajoutisL-t-elIe 
• d'un air de réflexion, je croîs vous avoir dit 
que j'étois finccre , & je fuis bien aife de 
vous en donner des preuves. Naturellement 
je fuis peu fiifceptible; &, pour me fauver 
des égarements de la jeuncflTe , je n'ai pas^eu 
beibin de réfléchir. Il me paroîtroit d'un ex- 
trême ridicule de donner aujourd'hui dans 
tm tra\ners qui, par mille ralfbns que vous 
ne ftntez pas , pourroit m'être moins par- 
donné qtie jamais : cependant , j'ai du goût 
pour vous, ic ne dis plus qu'un mot. Raflïi- 
rez-moi contre tout ce que j'ai à craindre de 
votre âge & de votre peu d'expérience ; que 
votre conduite m'autorifc à prendre de k 
confiance en vous, vous ferez content de 
mon cccur. Cet aveu , que je vou^ fais, me 
coûte; il eft , fi vous voulez m'en croire, le 
premier de cette nature que j'aie fait de ma 
vie. Je p(mvôis, je devois même vous le 
làire attendre plus long-temps , mais je hais 
l'artifice, & p.rionne au monde n'en efl 
moins capable que moi>. Soyez fidèle & pru« 
deilt , je vous épargne des peines en vous 
apprenant moi-même un fècret que de long- 
temps vous n'auriez pénàré, méritez qu'un 
jour je vous en difc davantage, Ahl Ma- 
dame, m'écriai- je.... Je ne veux pas dcrc- 
inerciments, inicrrompit-ellc, ils ne fèroient 



BB CîliBILLt>K, FTIS. yj 

i préfent qu'unp impradence; Se c'eft iîit- 
tout ce que je veux que vous évitiei. Ce 
foir, peut-être, nous pourrons nous parler. 
Non, Madame, répondis-|e, je ne vous 
quitte pas que vous ne m'ayez dit que vous 
m'aimez. Pour me preller de vous faire cet 
aveu dans la (ituation oà nom (ômmes ac- 
tuellement, il éaut, repartit elle, que vous 
en connoiffiez bien peu le prix ! Rutes ce que 
je délire , & ne pouJSbns pas plus avant une 
converfatîon fur laquelle peut-être on ne 
médite déjà c|ue rrc|) ici. 

Je fis, non (ans jjeine , ce qu'elle vouloir. 
Mon bonkeur m'avoit enivré^ &, loin de 
retourner au jeu , j'allai rêver aux plaiûr s que 
me promcttoit une fi belle conquête. J'étois 
placé de façon que je pouvois voir m*? dame 
de Lurfay : mes yeux étoient Etns cdî*e at- 
tachés fur elle \ &c toujours auffi eUe me 
lançoit des regards qu*elle çhargeok de tett- 
drefle Se de voli^é. Je voyois enfin cette 
fieire beauté, qui , ainH qu'elle me le difoic 
elle-même, rfavpit jamais été fcniîble, lou- 
pircr pour moi, me le dite! j'étois le Ctul 
qu'elle eût aimél Je triomphois delà vertu 
de Platon même. Je dis de Platon ; car > fans 
m'y connoître parfaitement , je ne kiflois 
pas de voir , que fi dans la fuite on me par- 
loit encore de Ton fyftême, du moijis on le 
mîtîgerok; & le mitiger, c'eft Tanéantir, 
Cependant, il reftoît encore à madame de 
Lurfay bien des reflburces contre mol, (î elle 
rut voulu s'en fervir^ Ce caraftere de féyté* 

D X 



*f6 (B U V R E s 

rite qu'elle s'étoit donnée, & qui,- tout faux 
qu'il étoit en lui-même , Parrêtoit fur fe 
propres defirs , la honte de céder trop promp- 
tement, fur-tout avec quelqu'un, qui, ne 
devinant jamais rien, lui laillèiroit tout le 
déiagrément des démarches i' la crainte que 
fe ne fulTè indifcret, & que mon amour dé- 
couvert ne la chargeât d'un ridicule d'autant 
plus grand, qu'elle avoir affiché plus d'éloi- 
gnement pour ces fortes de fbibledès; fa 
coquetterie même, qui lui faifoit trouver 
plus de plaifir à s'amufêr de mon ardeur, 
qu a la fàtisfàire , & qui avoit vraifèmbla- 
blement caufé fès inégalités, plus encore, 
que tout le refte. 

Car, que l'on vienne à (urprendre le 
cœur d'une femme vertueufe, quand une 
fois elle eft convenue qu'elle l'a donné, il 
ne refte plus rien à combattre. La vérité de 
fon caraàere ne peut s'accommoder de ce 
manège dont fè fervent les coquettes, ni de 
ces dehors afïèétés qui rendent les pmdes 
d'un accès fî difficile. Vraie dans la réfîfbnçe 
qu'elle a oppofée aux defirs * elle ne Teft 
pas moins dans la façon de (e rendre. Elle 
foccombe, parce qu'elle ne peut plus com- 
battre. Les conquêtes les plus méprifàblcs 
font quelquefois celles qui coûtent le plus 
de foin ; & Thypocrifie montre fouvent plus 
» de fcrupules que la-vertu même. . 

, Quoique madame de Lurfày me parut 
enfin s'être arrangée for les fîens , je ne laîf- 
foispaS dç craindre un de ces retours aux- 



I>fiCR£BII.LON,7ILS. 77 

quels elle étoit fu jette •, & j'aurois bien voulu 
rie lui pas donner le temps de Li réflexion. 
J'imagiiicis qu'une perfonne auffi févere 
devoit être en proie à de terribles remords. 
Plus mon triomphe me paroiflbit brillant,- 
plus je redoutois qu'il ne fut rraverfë. Soumet- 
tre un cœur inacceflîble , pouvois-je jouir 
jamais d'une plus grande gloire ? Cette idée 
aciflbit plus Fur mon cœur , que tous les 
cnarmes de madame de Lurfays & j'ai com- 
pris depuis, par l'impreffion qu'elle me 
feifoit alors, qu'il eft bien plus importante 
pour les femmes de flatter notre vanité, que 
de toucher notre cœur. 

Plus , cependant , Je réfléchiiflbis fur ce 
que madame de Lurfay m'avoit dit , plus 
j*y trouvois de quoi me convaincre qu'elle 
vouloir me rendre heureux. Elle me rejoi- 
gnit bientôt i &, dans la converfation qui 
devint générale , elle glifla mille chofes fuies 
& paffionnées ; elle y déploya tous les agré- 
ments de fon efprit, & toute la fendreflc de ion 
cœur. J'admirois en fecrct combien l'amour 
embellit les femmes, & je ne pou vois pas 
bien comprendre le changement extrême que 
je trouvois dans toute k perfonne de madame 
de Lurfày : tranfports à demi-étouffés , & 
par-là peut-être plus flatteurs : regards dé-- 
robes, fbupirs que moi fèul j'entendois: il 
n y avoit rien qu'elle ne me donnât , ou rien 
qu'elle ne voulût me laifl'èr prévoir. Pendant 
le fouper, où je fus à côté d'elle, elle ne di-- 
^ûînua rien de fes emprcflements : &, mal-> 



f9 <E u V » ï $ 

gré toutes les perfonncs qtti nous obfïJoienr^ 
ctte trouva le moyen de me fkirc fcntîr qu'elle 
éloit fkns cefle occupée de moi. La fituation 
où je mt trou vois, avoit augmenté mon 
cmbarias naturel. 

Je ne répcmdôîs à tout ce qu'elle me dî- 

fbk, que pat un fburire niais, ou par des 

difcours mal arrangés, qui ne valoient pas 

mieux 5 & ne difoiem pas davantage. J au- 

rois fait cent fois pis , que je n'en aurois pas 

perdu i^us auprès d'elle. Ma rêverie, mes 

diftraâions, & ma ftupidité , rfétoient pour 

cfle que des peuves plus încontcftables que 

yétois fortement épris j & je ne voyois jamais 

Jpius de tendrefle dans fes yeux, que quand 

jd luj avôls répondu quek[ue choîè de bien 

dbiimle. EBe n*êfir pas la feule que f aie vue. 

àsim ce cas là. Les femmes adorent fouvent; 

en nous nos plus grands ridicules, quand 

cBes peuvent fe flatter que c'eft notre amour 

pour eBcs qui nous les donne. 

Quelque paffion que je me fèntî{& pour 
Madame de Lurfiy , dans quelque défbrdre 
que m'eut plongé tout ce qui venoit de fc 
paflèr,. mon inconnue m'étoit plus d^une 
fois revenue dans l'efprit* Mais , loin de me 
lar (lèr occuperde fon iouvenir , je cherchoîs à 
Tanéantir dans mon cœur; ilme^fembloit, 
pour peu que je Ty laifïàfîe fubiîfter , qu'il 
prenoit trop d*empîre (ur moi. Je me repro- 
choîs, comme uiie perfidie , tout ce que je 
fâKois pour madame de Lurfay ; & , pour 
voufoîr continuer à lui plaire, j'avois befbin 



DECRéBILLONjFlLS. 79 

d'oublier à quel point j'aimoîs mon inconnue. 
Je^cherchois à me diftraire die (on idée par 
celle des plaifirs qui m attendoient. J'eufle 
mieux aimé , à la vérité , que tout ce que je 
defirois de madame de Lurfay^ m'eût été 
donné par elle ; mais , je ne m'en fentcris pas 
moins dilpoie à profiter des bontés de la. 
première. 

Le (buper finît. Meilcour, médit madame 
de Lurfày > pendant que tout le monde fo 
fevoit , vous voyez que tious ne pouvons 
nous entretenir ce (bir ; & je vous avouerai 
qu'au fond , je n'en fuis pas fâchée ; vous 
m'auriez peut-être donné lieu de me plaindre 
de vous. Moi, Madame ! répondis-je, dou-^ 
tericz-vous de mon refoedt? Mais oui, re- 
prit-elle ; je n'ai pa» uir cela trop bonno 
opinion de vous : ce n'eft pas que je ne 
foflè bien vousimpofer; mais afnrèstout, je 
crois qu'il vaut mieux que vous veniez 
demain. 

' Je fburis^à ces mots 5 il me paroiflbit pkî- 
&nt que pour éviter que je lui manquafle 
de refpeâ , elle me redonnât un rendez- vous. 
Je vous entends , eoncinua-t-elle, vous peu- 
fos bien que nous ne ferons pas £euls. Je fus 
fi interdit de me voir déchu de toutes me$ 
cfpéranccs, que je penfo lui répondre. 
Comme vous vouifrez : mais , Madaiiie ,. lui 
dis-je , après m'être un peu remis , pourquoi 
ne voulez- vous pas que nous nous entrete- 
nions ce loir? Parce que, répondit-elle, il y 
2 trop de monde ici^ ôc que la bieckTéaiQM 



\ 



80 ΠIff V K E s 

feroit choquée, fi l'on vous y voyoit reftcr. 
Mais aufli, c'eft votre feute. Il n'a tenu qu'à 
vous de n'avoir pas à vous plaindre d'une 
compagnie fi nombreulè. Vous me défefpé- 
le». Madame, r^K>ndis-)e, d'autant plus 
qu'il ne fe préfente rien à mon e(prit qui 
puiflè me tirer d'un état auffi défagréabie. 
Je ne fais pas, repartit-elle , ce qui vous fiut 
defirér à ce p<Mnt-là une choie auffi indifté- 
rente par elle-même ; mais puifqu'elle vôu» 
pnroît fi eflèntieUe, examinez ce que nous 

Il eft naturel qu'en pareil cas le plusexpé- 
rlmenté fe charge de la conduite des affaires» 
& elle crut pouvoir , fans trop prendre fui 
elle me fournir l'expédient qui devoir tous 
deux nous tirer d'embarras ; mais elk devoir, 
pour fon honneur, paroître étourdie de & 
fimation, auffi rêva-t-eUe long-temps icUe 
me propofa même , les uns après les autres, 
vin« moyens qu'eUe condamnoit fur e 
champ. & finit pair me dire, comme que - 
qu'un qui a épuifé toutes fes vues, quelle 
ne voyoit rien de plus court , m de plus lur , 
que ne ne pas rcfter avec eUe Je combat- 
tis fon dernier avis , mais foiblenaent. Je 
n'en favois pas affez pour npusurer d'un état 
fi pénible , & je trouvai qu elle ayoït raiton. 
Elfe ne s'attendoit pas à une decifion ù pré- 
dfe , & ae prit dans l'inftant fon parti. ^ 

Il n'eft pas douteux, dit-elle, queienaie 
raifon; cela eft fenfible. En efftt, je ne vois 
rien, mai* rien du tout, qui pmfTe fcrvir à 



I>ECRiBILtOK,VItS. Sr 

notre îdée^ Ce n'eft pas que dans le fond on 
^ût imaginer, fi vous reftiez ici, qu'il y a 
quelque chofede particulier entre nous deux» 
Kien n'eft fi fimplej mais, le monde eft 
méchant , vous êtes jeune. On ne voudroic 
jamais penler ce qui en eft î & d'une chofe ^ 
qui n'eft aflurément , ni cherchée , ni pré- 
vue , & qui n'auroit pas même befbin d'être 
cachée , on en feroit une afl&ire, un rendez- 
yous déterminé. Pourtant cela cft cruel 5 car 
il eft certain que je m'expofèrois , mais de la 
façon du inonde la plus jfunefte. Ce (àcrifice, 
que je vous ferois , feroit peu pour vous , ôc 
y y perdrais tout. Je vois que ce contre-temps 
vous afflige, & je m'afflige auflî moi de 
difiruter fi long-temps cette, matière avec 
vous. Il y a mille femmes aflurément , à qui 
ceci ne cauferoit pas le moindre embarras^ 
^ais , î'ai fi peu d'ufage de ces fortes de 
chofes , que vous ne devez pas paroîuc fur- 
pris du trouble où celle-ci me met. Si ce- 
pendant l'on pouvoit fe xafTurer par la pu- 
reté de fès intentions, je n'aurois, à coup 
fur, rien du tout à me reproch rj car., je 
vous le répète, rien n'efl fi fimple que nous 
foyons feuls. Je ne doute pas que vous n em- 
ployiez ces moments à me dire que vous 
m'aimez j mais vous m'en diriez autinr de- 
vant tout le monde: &, puifque je-repus 
là-defTus vous impo/er filence , il me f emble 
qu'il vaut mieux 4|a'ii n'y ait que moi qui 
Vous entende, Mais;^ ajouta-t-elle , toutes 
CCS réflexions ne font pas des expédients^ 

D 3 



H ΠTf V H I 5 

Atcz-voos quelqu'un de vos gens Ici? Oui» 
fépondis-îe : voudriez-vous que je les ren— 
voyaflè? Eh, mon dieu non! reprit -ellc^ 
ce n*eft pas de cela qu'il eft quefticm ; gar- 
dez-vous en bien : naais pour quelle 

heure avez-vous d^nandé votre équipage i 
Pour imnuit? Oui, repris-je. Tant pis, re- 
partît-elle, e'eft rheure à laqueUe on fbrtira 
de chez moi. Si je ne le (aifois revenir qu'à.... 
deux heures, par exemple, •întetrompit- 
eUe : puifquc vous penficz cek, pourquoi ne 
0ie te pas dire ? Cet expédient levé toutes le» 
difficultés , & je vous lais gré de l'avoir ima- 
giné. En c&t , le prétexte d^attendre vos. 
gens eflr fuflSfànt pour lefter ^ & , Tuppcfè- 
que quelqu'un vous oârît de vous remener > 
vous (auriez vous en difpenfèr apparemment l 
Je ne répondis à jsiadamexle Luriay , qu'en 
lui ferrant la main ^vec paffion, & je ibitis 
pour donner mes ordres , riant en moi-- 
même de ce qu'elle me feÛèit honneur du: 
itratagenae qui aKuroit notre entretien ^ pen-r 
tiant qu'elle auroit pu à (i jufte ritre s'en 
«ttribuer f invention* 

' Je trouvai en rentrant , que tout te monde 
^-^s'étoit mis au îmi , & que madame de Luriàf 
a plaignoit de k migraine : tout imbécille 
que f étois , je ne lailui pas de comprendre 
qu'efie ne feignoît cette indifpofirion , que 
pour être i4uK>t en liberté de me parler i 8c 
je ne concevoîs pas^ coMfment on pouvoît 
€(HS)mettre l'incivilàé dçl'ne point abandon- 
Éfit^ ieu^ & deoe b paslaïuèi jqmi de os:; 



-lèpos dont die fcmWoit avoir l)efbîn. Mal- 

Îiré toutes les réflexions que )e feifois là-defl 
us, fitmonlmparience, on acheva les par- 
ties commencées. Je me fentois une ardeur 
ihquiette , qui me tourmentoit. Je regardois 
triftemeni: madame de Lurfày, comme pour 
liH demander raifon du chagrin qu'on nous 
caufoit : & elle, par les plus tendres fburis, 
me feifbît entendre qu'elle partageoit tnoi^ 
inquiétude. 

Ce moment fi ardemment fbuhaité vînt 
enfin ; on fè leva , on fe difpofa à partir : jç 
fbrtis avec tout le mondé, & je feignis d erre 
étonné de ne trouver perfonne à moi dans 
l'antichambre. Ce que madame de Lurlày 
avoir prévu, i?e manqua pas de m'arriver» 
On me propofa de me remener : je ttmer-. 
ciai, mais avec un air décontenancé, L'oi? 
me prelTbît d'îaccepter., mon embarras aug- 
mentoit j &c je crois que , faute de favoir 
que répondre, je me (erois laifle reconduire 
h madame de Lurfay, fertile en expédients,, 
& dontTefprit ne fè trouWoir pas^auflSaifè- 
ment que le mien , ne fut venue à mon fe- 
cours. Ne voyez-vous pas, dit-elle en CàvL-» 
riant , à ceux qui me tourmentoient le pluf 
polimcxit du monde , que vous le gênerie? j, 
& qu'il ne veut pas apparemment que l'oa 
fâche où i! veut aller : il a fans doute quel*^ 
que rendez-vous. Mais , vos gens né peu- 
Vent pas tarder à venir, continua- t-elle en f$ 
torirnant vers mcnj &; q^ique j'aie lïiî tniî 
oe tête affieux , Je veux bîpii vous pciuïet 



$4 (E tj y ît « « 

de les attendre ici. Ce difcours fut tenu d'un 
air fi naturel , qu il étoit impoffible de n*y 
être point trompé. Je la remerciai en bé- 
gayant. On attribua mon trouble à la plaî- 
lanterîe qu'elle m'avoît faite i &, après 
jiv'avoir raillé bien ou mal fur nu bonne 
fortune prétendue , enfin on nous laifla en- 
lêmble. 

Je ne me vis pas plutôt feul avec elle , 
que je fus faifi de la plus horrible peur que 
j'aie eue de ma vie. Je ne faurois exprimer 
la révolution qui fe fit dans tous mes fèns. 
Je tremblois , j'étois interdit. Je n'ofois re- 
garder madame de Lurfay : elle s'apperçut 
aifèment de mon embarras , & me dit , maïs 
d'un ton le plus doux , de m'aflèoir aupi^ 
d'elle fur un fopha où elle s'étôit mifè : elle 
y étoit à demi couchée j fa tête étoit appuyée, 
lur des couffins , & elle s'amufbit noncha- 
lamment j ' & d'un air diftrait , à faire des 
liceuds. De temps çn temps , elle Jetoit les 
yeux fiir moi d'une façon languiflante , & 
je ne manquois pas dans Tinftant de baiflèr 
le^edhieutement les miens. Je crois qu'elle 
-voulut attendre , par méchanceté , que je 
Tompifle le filence : enfin , je m'y déterminai. 
Vous faites doiic des nœuds. Madame, lui 
demaaidé-je d'une voix tremblante. A cette 
intéreflanre & fpirimelle queftion , madame 
de Lurfay me regarda avec étonnement. Quel- 
que idée qu'elle (è fut faite de ma timidité ^ 
éc du peu d'ufàge que j'avois du monde 3 U 
iiui parut incoaceyaole que je ne troavaflè que 



1» E C R I fi T 1 1 ô 17, V I £ f. Sf 
gela à lui dire. Elle ne voulut pas cependant 
achever de me décourager ; & , (ans y ré* 
pondre , je fuis, me dit-elle , fâchée , quand 
Yy fbnge , que vous foyez refté ici : & je ne 
iais à préfenc Ci ce ftracagême que nous avons 
d^bord trouvé fi heureux , fera l'eâèc que 
nous avons imaginé. Je n'y vois point d'in- 
convénients , répondîs-je. Pour moi , repartit- 
elle , je n'en vois qu'un j mais il eft terrible. 
Vous m'avez trop parlé tantôt , & je crains 
qu'on n'ait deviné ce que vous me difiez. 
Je voudrois qu'en pubuc vous fiidîez plus 
drconfpeâ:. Mais , Madame , repartis-le , il 
eft impoilîble qu'on m'ait entendu. Ce ne 
&roit pas une raifbn , répondit-elle : on com- 
mence toujours par médire , fàuf après à 
examiner fi l'on a eu de quoi le faire. Je me 
fbuviens que nous nous lommes emxetemis 
long -temps fur une matière qui ne vous 
Liiflbit point un air indifférent. Quand on dit 
à quelqu'un qu'on l'aime , on cherche à le 
lui periuader , & le difcours ne partît-il pas 
du cœur , il anime toujours les yeux. Moi l 
qui vous cxaminois , par exemple , il me " 
lembloit que vous aviez plus de rcu , plus de 
tendreflè que vous ne croyiez peut-être vous- 
même : c'étoit fans que vous le vouluflîez» 
même (ans que la cho(e nous touchât afièz 
pour qu'elle altérât votre phylîonomie j ce- 
pendant je la trouvois changée. Jecrainsqa'uq 
jour vous ne foyez trompeur > & ie plains 
d'avance celles à qui vous voudrez plaire^ 
.Vous avez un air vrai 3 votre expreflion eft 



t6 (S V y K n 9 

paflionitée , cHc peint !e fenriment aV€?c tf fftf 
împétuofité qui cntraîhc , & te vous avoue- 
rai. • . Mai$ non , aJouta-t-eUc , en a'inter- 
rompant , & avec un air confus , il ne me 
ferviioit de rien de vous dire ce que je penfe. 
Parlez , Madame , lui cfis-je tendrement 5 
rendez-moi , s'il Ce peut , digne de vous plaire. 
De me plaire, leprit-elle. Ahî Meilcour^ 
c'çft ce que je ne veux pas ; & , fappofè que 
vous en ayiez eu le deffèin , n'y penkz plus , 
jè vous en conjure : quelques raifons que j'aie 
de fuir l'amour, quelque peu même qu'iî 
femble être feitpour moi , peut-être m'y ren- 
driez-vous fenhole. Ciel ! ajouca-t-elle trifte- 
ment , (crois- je réfervée à ce malheur , & ne 
Faurois- je évité jusqu'ici , que pour tomber 
plus cruellement ? 

Ces paroles de madame dt Luriây , & le 
ton dont elle les prononçcrit , me jetèrent dans 
un attendriflèment où je ne m'étois jamais 
trouvé , & qui me pénétra au point que je ne 
pus d'abord lui répondre. Pendant le fîtence 
mutuel où nous reftâmes guelque temps , 
elle paroifloit plongée dans k rêverie la plus, 
accablajite r elle me jetoitdes regards conftis ^ 
tevoit les yeux au ciel , hs laiflbir retomber 
«endrement fur moi , fèmbloit les en arracher 
avec peine ; elle (bupiroit avec violence , & 
ûc défordre avoir quelque chofe de fi naturel 
& de fi touchant; elle étoit fi hdlt dans en 
èta t j. elle me pénétïoit de tant de refpeft , que 
guand je n^urois pas eu déjàfe defir de lui 
^aire ^ elle me rauroic furemcnt. Bât nâat^ 



DB CRlÉkTlLôîr, Fil s. t^ 

' Eh ! pourquoi , lui dis -je d'une voix 
étouffée y feroit-ce an malheur pour vous ? 
Pouvez-vous me le demander , reprit-elle > 
Croyez-vous que je m*aveugle fur le peu de 
rapport qu'il y a entre nous ? A préfcnt que 
TOUS n;ie dites que vous m'aimez , vous ête» 
peut-être fincere ; mais combien de temps le 
lèricz-vous , & combien ne me puniriez-vous 
pas df avoir été trop crédule ! Je vous amu- 
fèrois : vous me fixeriez. Trop jeune pour 
vous attacher long-temps , vous vous en pren- 
driez à moi des caprices de votre âge. Moin» 
}e vous foumirois de prétextes d'inconftance> 
plus je vous deviendrois indifférente. Dans 
les foins que je prendrois de vous ramener^ 
Vous verriez moins une amante Cenfihlc ^ 
qu'une perfonne infupportable : vous îrier 
même jufqu'à vous reprocher lamour que 
vous auriez eu pour moi -, & fi je rie me 
voyois pas indignement facrifiée , fi vousn'inf- 
truifiez pas le public de ma foiHefle , je le 
dcvrois moins I votre probité qu'au ridicu'e 
dont vous croiriez vous couvrir en avouant 
que vous m'auriez aimée, 

Madame de Lurfày auroit fans doute parlé 
plus long-temps fur ce ton tragique 5 mais 
elle m'en vit fa abattu , fi près d'en verfêr 
des larmes , fi déconcerté de la façon donc 
elle avoit traité ce (ujet, qu'elle crut nécef^ 
(aire , pour me remettre l'efprlt, de me par-^ 
1er atec moins de majefté. 

Au refle, ajoiita-t-elle doucement, ce n'eft 
fos que ie vous croie capable d'aucun de» 



S8 -'(B Tj V K E s 

mauvais procédés que je viens de vous dé- 
peindre ; non , afTurément : mais , je vous le 
répète , je crains votre âge plus encore que ^ 
le mien ; d'ailleurs , vous ne voudriez pas ai-^ 
mer à ma fantaifie. Non , Madame ^ lui dis- 
je , je ne me conduirai jamais que par vos vo- 
lontés. Je ne fais pas , reprit-elle en fburiant , 
ù je dois vous en croire. On imagine quel- 
quefois que c'eft une preuve d'amour , que 
de perdre le refpeâ: ; & c'eft la pl,us mau- 
yaife façon de penfèr qu'il y ait au monde : 
)c ne dis pas qu'on ne doive naturellement 
attendre une récompenfe de fès foins *, quel- 
que répugnance que fente une femme à 
s'engager trop avant , quand elle efl une fois 
perfuadée, elle lailîè peu de chofè à com- 
battre. Quand fêrai-je donc allez heureux 
pour vous peffuader. Madame , lui deman- 
d»t^? Qiiand ? répondit-elle en riant ; mais 
vous voyez que je le fuis à demi. Je vous 
kifT^ dire que vous m'aimez > & je vous 
dis prefaue que -je vous aime. Vous voyez 
ueue eu ma confiance ; je n'ai pas craint 
e refier feule avec vous, je vous ai même 
aidé à y parvenir. Cela fait, à ce qu'il me 
fèmble , des preuves de tendrefïeafïez fortes » 
& , fi VOU5 les voyiez telles qu'elles font , je 
crois que ^'ous ne vous plaindriez pas. Il eft 
vrai , Madame , repris-je , d'un air embar- 
rafle,mais^. Mais,Meilcour, interrompit-elle, 
Avez- vous bien que ma démarche de ce foiir 
cfl très-hafàrdée , & qu'il faut que je penfê 
^ufS'bien de vous que je le iais pour m'y 



i: 



être détenninée > Hafârdéeî repHs-je. Oui, 
dit-elle , & je le répète , très-hafardée. Au 
fond ^ il Ton {àvoit que vous êtes ici de 
mon confèntement , que j'en ai lié volon- 
tairement la partie avec vous ; en un mot , 
que ce n'eft pas un coup imprévu , que ne 
feroit-on pas en droit d'en dire ? Voyez pour- 
tant le tort qu'on auroit j car perfbnne ne 
peut être aflurément plus refpedtueux que 
vous ; Se voilà , ce qu'on ne croit pas , le 
moyen de tout obtenir. Meilcour , ajoutâ- 
t-elle , preflamment , que vous voulez 
vous faire aimer ! que cet air d'embarras & 
d'ingénuité , qui me découvre toute la can- 
deur de votre ame , eft flatteur pour moi I 
Ces paroles me fêmbloient alors trop obli- 
geantes pour n'en devoir pas remercier 
madame de Lur&y j & dans le transport 
qu'elles me fàifbient , je pris fur moi au point 
que j'ofai me jeter à (es genoux. Ah ciel ! 
m'écriai- je , quoi vous m'aimerez , vous me 
le direz ! Oui, Meilcour , reprit-elle en fou- 
rîanr , & en me tendant la main : oui , je 
vous le dirai , & le plus tendrement du monde ; 
{èrez-vous content ? Je ne lui répondis qu'eh 
ferrant avec ardeur la main que je lui avois 
faide. ^ 

Cette aûion téméraire fit rougir madame 
de Lurlaj, & parut la troubler ; elle fou- 
pira; je foupîrois auflS. Nous fumes quelque 
temps fans nous parler. Je cellbis un inftant 
de baifer fa main , pour h regarder. Je 
trouvois dans fès yeux une expreffion donc 



$0 ® xr V K H S 

yétoîs iâifi (ans la bien connoître , îk ctoîcrtC 

h vifs , fi touchants ! j'y lifois tant d'amour ! 

Sue , fiii qu'elle me pardonncroit mon au- 
acc , î'ofai encore lui baifêr la main. Eh 
bien, mcdîc-elle, enfin ne voulez-vous donc 
pas vous lever ? quelles font donc ces folies > 
Levea-vous , je le veux. Ah , Madame ! 
m'écriai-je , aurois-je le malheur de vous 
avoir déplu ? Eh ! vous fais-je des rcçtochcs , 
répondit -elle languiflàmment ? Noj», vous 
ne me déplaifez pas ; mais , reprenez votre 
place 5 ou , pour mieux dire , partez , je 
viens d'entendre votre carrofle , & je ne 
veux pas qu'on vous attende. Demain , fi 
vous voulez , on vous verra ; fi je fors , ce 
ne fera que tard. Adieu , ajduta-t-eUe , en 
riant de ce que je retenois éternellement & 
main ; je veux abfolumcnt que vous paniez. 
Vous œvenez d'une témérité qui m'effraie ^ 
de je ne voudrois point du tour qu'cBe 
continuât. Je cherchois à me juflifier. Je 
ne voulois point me rendre aux ordres de 
liiadame de LurCiy. En me preflant de la 
quitter y . elle n'avoir point l'air d^une femme 
q^ui veut être obéie : je lui foutins qu*eMe 
n^avoit point entendu rentrer mon carrofTe» 
Mais, quand cela feroit, me dit-elle», il ne 
me plaît pas que vous, refiiez ici davantage^ 
Ne nous fommes-naus pas tout dit? Il me 
femble que non x tepris-je en foupirant i & 
£ je garde quelquefois le filence auprès de 
Vous , c*eft bien moins parce que je n'ai rien 
'à vous dire , que par la difficulté que p 



DE Ck E B I IIO K^ FIX5. ^t 

trouve à vous exprimer tout ce que je pcnfe. 
Voilà , me dit-elle , en fe remettant Cux le 
fbpha y une timidité dont je veux vous cor- 
riger : il faut toujours la diftinguer du refl 
peâ: , l'un eft convenable , & l'autre eft ri- 
dicule. Par exemple., nous fommes feuls , 
vous me dites que vous m'aimez , je vous 
réponds que je vous aime , rien ne nou5 
gêne : plus la liberté que je fcmble donner 
à vos defirs , eft grande , plus vous êtes 
cftimable de ne point chercher à en abufcr» 
Vous êtes peut-être le feul au monde que 
je connoifle capable de ce procédé. Au/ïi la 
répugnance , que je me fuis toujours fènrie 
pour ce que je fais aujourd'hui^ cefle-t-elle. 
Je puis me flatter enfin d'avoir trouvé un 
cœur dans les principes du mien. Cette re- 
tenue ^ dont je vous loue , vient du refpeâ: j 
car , ti vous n*éticz pas timide , j'en auroig 
allez fait pour que vous ne le fuflSez plus* 
Vous ne me répondez rien? C'cft que je 
lens y Madame , repris -je , que vous avea 
railon , & que je voudrais que vous euffiea 
tort. 

U n'eft pas hors de propos de faire remar- 
quer 3 que quand elfe s'étoit remife (iir le 
lopha, je m'étois rejeté à fês pieds j qu'alors , 
dfc m'a voit laifle appuyer les coudes fur fès 
genoux î que d'une main elle badinoit avec 
mes cheveux , & qu'elle permettoit que je 
lui ferraiïe ou baifaflc l'autre , car cette im-. 
ponante faveur étoit à mon choix. 
Ah! fi i*étois furc, s'écria- 1- elle , que 



$1 OE u V K Ë s 

vous ne fîiffiez pas inconfbmt , ou indifcret ^ 
àjouta-t-elle , en baiflant la voix ! ^ 

Loin de répondre comme je l'aurois dû , 
fc fèntisfipeu la force de cette exclamation , 
je connoiiïoisfi peu le prix de ce que madame 
de Lurfày faifoit pour moi, que je m'arAufàî 
à lui jurer une fiaélité éternelle. Le feu que 
je voyois dans (es yeux , & qui auroit été 
pour tout autre un coup de lumière y fbn 
tjouble , Taltération de Ùl voix , (es (bupirs 
doux & fréquents , tout ajoutoit à roccalion 
&: rien ne me la fit comprendre. Je crus 
même qu'elle ne (è Kvroit tant à moi , que 
parce qu'elle étoit (ure de mon refpedb /& 
qu'un moment d audace ne me feroit jamais 
pardonné j qVelle étoit une de ces femmes 
avec lefquelles il faut tout attendre , & pour 
qui le moment n'efl redoutable que quand 
aies le veulent : je me fis , enfin , tant & 
de fi fortes illufions , qu'elles prévalurent 
fiir mes defirs > & fur Tenvie que la délicate 
madame de Lur(àyavoit de m'ooliger. Moins 
die avoir à fe reprocher de ne s'être pas aflea^ 
Êàt entendre , plus elle de voit être indignée 
cpntremoi. Je la vis tomber dans une (om- 
bre rêverie , & je Taurôis tourmentée juf^ 
qu'au jour de mes proteftations d'amour , 
& fur-tout de refpeft •, fi , ennuyée enfin 
de la fituation ridicule où je la mettois, elle 
ne m'eût réitéré , Se très-fortement , qu'il 
étoit temps que je me « retirafle : elle jugea 
en perfonne (en fée , qu'il ne lui reftoit plus 
rien dans cet inftant à c(pérer de flioi. QilcU 



DECRÉBîLtOÎ{,FIL$. 9J 

que répugnance que je montrafle pour lui 
obéir', je ne pus rien gagner fur elle , & 
nous nous féparâtnes ; elle étonnée fans douté 
qu'on pût poufler aullî loin la ftupidité \ Sc 
moi perfuadé qu'il me faudroit au moins fix 
rendez-vous , avant que de favoir encore à 
quoi m'en tenir. Il me Icmbla même , qu'en 
me quittant , elle m'a voit regardé avec froi- 
deur ; & je crus qu'elle n'étoît caufée que 
par les licences où je m'étois laiflTé emponcr 
avec elle. ^ 

Je ne me vis pas plutôt rendu à moi- 
même 5 que , ma contufion fe diflîpant , je 
jugeai de ce qui venoit de fc pafler, difïerem- 
*ment que je n'avoi$ iàit dans le temps de 
l'aftion même. Plus je me rappcllois les dit- 
cours & les façons de madame de Lurfay , 
plus j'y trouvois de quoi douter que mon 
refpe£k eût été (i-bien placé que je J'avois 
cru , & que fi le fécond rendez -vous fe 
paflbit comme le premier , elle eût la com- 
plaifànce dé m'en accorder un troifieme , 
toute dame à fèntiment qu'elle étoit. Je 
n'imaginois pas , à la vérité , qu'en la pref- 
(ànt cmvantage , j'eufle remporté la vitftoire , 
mais que du moins je me la ferois préparée. 
Mais auflî , c'étoit ù, faute, Savois-je inoi', 
que toute femme qui, en pareille occafion, 
parle de (a vertu , s'en pare moins pour vous 
ôter l'efpoir du triomphe , que pour vous 
le faire paroître plus grand? A quoi bon 
toutes ces finefles de madame de Lurfay ? Il 
dcvoit être décidé que je les prendrais pour 






S 4 ΠV T K fi s 

onnes , fuflTent-elles cent fois plus gro^He- 
tes ; Se il n'eft avantageux aux femmes de 
s'en {èrvir , qu'avec ceux à qui elles n'en 
împofent point. Ma vertu ! votre refpcd 1 
mots bien choifis pour un tête-à-tête ! (ùr- 
tout, quand on ne s'apperçoit pas à quel 
point ils y font déplacés > & qu'on ne £dt 
point que jamais la vertu n'a donné de ren- 
dez-vous. Au milieu^du chagrin où me plon- 
geoir le peu de réuflite de celui-ci , & la 
fermeté que ]e me propofois d'avoir dans 
ks autres , mon inconnue revint m'occuper : 
mais les idées de plaiiir que madame de 
Lurfay m'avoit oâèrtes ; les chaînes même 
dont je venois de me lier avec elle ; l'im- 
poflibilité que je prévoyois à me (aire aimer 
de cette inconnue ; impoflibilité dont , pour 
me juftifier à moi-même mes inégalités , je 
m'effrayois encore plus dans ce moment ; & 
l'indifférence que ce jour là même elle m'avoit 
témoignée , me la rendirent moins chère. Je 
fèntois que , (îir d'être aimé d'dle , j'auroi» 
aifément facrifié madame de Lurfay , mais 
que je ne le pouvoisplus qu'au prix de cette 
cenituds. Je nepouvois mediflîmuler , qu'en 
me voyant , elle avoit détourné les yeux ; 
qu'elle avoit eu même cet air dédaigneux que 
l'on prend à l'arped d'un objet qui choque : 
Se , après un examen réitéré de mes char- 
mes , de prc^ondes réflexions fur ce que 
î'avois lieu d'en attendre , & le fâcheux cSct 
que cependanr ils avoient produit , je conclus 
qu'il falloit ^ {x, comme cela me paroiâbii: 



HE CaEBILLOK^ Fllf. 5/ 

vlfîble , mon inconnue ne m'aimoit pas , que 
Germeuil Teût prévenue contre moi , ou 
qu elle eût une antipathie fccrette pour les 
jolies figures. J'aurois peut-être préfumé de 
la mienne un peu moins dans un autre temps $ 
mais, madame de Luriây , éprifè pour moi 
de l'ardeur la plus vive , me donnoit de 
rtftime pour ma perfbnne. Je ne pouvois 
peniêr qu'une femme auîfi peu fufceiptible 
me trouvât dangereux , fi en effet je ne létoîs 
cas ; & que Von fit une G violente impref- 
iîon , (ans avoir un extrême mérite. Malgré 
le peu de goût que je fiippofois à Tinconnuc 
pour moi , je fcntois qu'eue m'intérefïbit en- 
core : mais j'attribuoîs le trouble dont mon 
cœur étoit tourmenté , à un refte d'împref- 
fion trop vive d'abord , pour être fi promp- 
tcment effacée •, & je le combattois de tout 
ce que les charmes de madame de Luriay » 
& l'idée de mon bonheur prochain , avoient 
de jdus puiflànt & de plus doux. 

Je me diipoibis le lendemain à aller chez 
elle , & j'étois auprès de madame de Meil- 
cour, lorfqu'on lui annonça le comte de 
Verfàc : elle me jparut fichée de cette vifitc ; 
. il étoit en effet Phomme du monde qu'elle 
aimoit le moins, 6c que pour moi eUe crai- 
gnoit le plus ; auflî venoit-il très-xarement 
chez elle. La même raifbn , qui Faifbit qu'il 
neconvenoicpasà ma mère , f^foit ai même 
temps qu eUe ne pouvoit lui convenir. Elle 
ni'avoit mêrne défendu de le voir. Ne nous 
trouvant point tous deux dans les mêmes 



t 



^6 CE V K B s 

maifbns , 6c moi allant peu à la cour o& 
Ver(àc étoit prcfquc toujours , nous nous 
connoiiCons fort peu, 

Verfac, de qui f aurai beaucoup à parler 
dans la fuite de ces mémoires , joignoit , à la 
lus haute naiffance, l'efprit le plus agréa- 
le , & la figure la plus fëduifànte. Adoré 
de toutes les fèmmies, qu'il trompoit & dé- 
chiroit fans ceflè ; vain, impérieux y étourdi, 
le plus audacieux petit-maitre qu'on eût ja* 
mais vu ; & plus cher peut-être à leurs yeux 
par ces mêmes défauts , quelque contraires 
qu'ik leur fbient : quoi qu'il en puiffè être, 
elles l'avoient mis à la mode , dès l'inflanc 

3u'il étoit entré dans le monde ^ & il étoic 
epuis dix ans en pofleffîon de vaincre les 
plus infènfîbles , de fixer les plus coqueaes, 
& de déplacer les amants les plus accrédités ; 
ou s'il lui étoit arrivé de ne pas réuffîr^ il 
avoit toujours fîi tourner les cnofès fi bien à 
(on avantage, que la dame n'en pafibit pas 
moins pour lui avoir appartenu. Il s'étoit hit 
un jargon extraordinaire qui , tout apprêté 
qu'il étoit, avoit cependant l'air naturel, 
Plaifànt de £ing-froid , & toujours agréable , 
(bit par le fond des chofès, foit par la tour- 
nure neuve dont ils les décoroit , il donnait 
un charme nouveau à ce qu'il rendoit d'après 
les autres , & perfbnnc ne redifôit comme 
lui ce dont il étoit l'inventeur. Il avoit com- 
pofe les grâces de fà perfbnne comme celles 
de fon elprit , & fàvoit fè donner de ces agré- 
ments fînguliers qu'on ne peut j ni attraper, 

oi 



MÎ définir. Il y avoit cependant peu de 
gens qui ne voulufTent Timiter 5 .&, pariiu^ 
ceux4à, aucun qui n'en devînt plus défa- 
gréatlc : il.fèmtloit que Cette heur^ulè im-* 
pertinence fût un don de la nature, & qu elle * 
r\ avoit pu faire qu'à lui. Perfoune ne pou- 
voit lui reflèmbler i & moi-même, qui aï', 
depuis marché fî avantagcuièment fur Ces 
traces, & qui parvins enfin à mettre la cour 
& Paris entre nous deux , je me fuis vu long- 
temps au nombre de ces copies gauches & 
contraintes qui , Êins pofTéder aucune de (es 
grâces , ne faifbient que défigurer fes défauts, 
& les ajouter aux leurs. Vêtu fuperbement , 
il Tétoit toujours avec goût & avec noblcflè , 
& il avoit Tair (èigneur , même lorfqu'il l'af- 
feftoit le plus. 

Verfac , tel qu'il étoît , m^avoît toujours 
plu beaucoup. Je ne le voyois jamais fans 
1 étudier, & (ans cherclier à me rendre pro- 

Eres ces airs faftueux que j'admirois tant eir 
li. Madame de Meilcour , qui , fiiliple & 
fijis art , trouvoit ridicule toUt ce qui n'étoit 
pas naturel , avoit reconnu le goût que j'avois 
peut Verfac , & en avoit frémi. Par cette 
raifon , plus encore que par l'éloignemént 
qu'elle avoit pour les gens du cafaftere de* 
Verfac , elle ae le fouf&ôit * qu'impatîefn- 
Pient; mais, les égards qu'on fe doit dans' 
le monde , &qui , entre peïfbiiiies d'un fanç^ 
oiftingué , . sk)biervent avec une extrênie 
çxafttiude, robieepiènt de fe cohtraindre^^ 
[ ,11 entra avec"tocas\ fit à'm^adame de 



^î (B tr r n Ht 

Afeilcour une révérence diftraîte, ^ moi una 
moins ménagée encore, parla un peu 4c 
chofès indifférences, & fè mit après à médire 
de tant de monde, que ma mère ne pue 
s'empêcher de lui demander ce que lui avoît 
fcil toute la terre , pour la déchirer perpé- 
tuellement } Eh ! parbleu. Madame, répon- 
dit-il , que ne me demandez-vous plutôt ce 
que f ai kit à toute U terre , pour en être 
perpétuellement déchiré ? On m'accable , 
cpntinua-t-il , on me vexe ^ que c'eft uno 
chofe étrange , on m'excedc de calomnies , 
on me trouve des ridicules comme fi l'on 
n'en avoir pas , & que moi je ne dufle point 
Jes voir ! Mais, à propos, y a-t-il long-temps 

aue vous n'avez vu la bonne comteflè l Ma- 
ame de Meilcour répondit qu'oui. Mais 
c'eft qu'on ne la voit plus , reprit-il : j'en fiiis 
dans une douleur amere , dans la plus terri- 
ble affliâîon ! Se feroit-elle jetée dans la dé- 
votion ? répartit ma mère. Vraifemblable- 
ment , reprit-il , elle en viendra là ; elle eft 
pénétrée de la plus augufte douleur ; elle 
vient de perdre le petit marquis, qui lui a 
(ait la plus condamnable infidélité que de 
inémoire d'homme on ait imaginée. Comme 
(te nVft pas U première fois qu'elle eft quit- 
tée ,, on pourroit croire qu'elle fè confbleroit 
de celle-ci comme des autres , car l'habitude 
au malheur le fait moins vif, fans un acci- 
dent qui rend çèt abandon-ci extraordinaire. 
Et c'eft > demanda iiiadairie de Meilcour. - 
Cfftf lepartit-il^ niais coînment le croirie«« 



^^fMis 9 de la perfbnne de la cour la plus pré- 
voyante , la mieux rangée ? C'eft , qu'elle 
n'avoit que celui-là. Pour rétablir fa repu- 
cation, elle s'étoit fait une affaire de fentiment ; 
mais , fl n'y a pas de femmes que ceci n'en 
dégoûte : & ce qu'il y a de pis , c'efl que 
ï'infîdele a voulu fe réicrver le plaifîr noir , 
]>arbare, de n'avoir pas de fuccelïèur, & 
iqu'il la peint fî-bicn de façon à glacer les 
plus intrépides , que depuis huit jours qu'elle 
cft fi fatalement délaiflee , il ne s'cft pas pré* 
fente à elle la plus mince confbiation» Vous 
conviendrez que Cela efl douloureux , mais 
au plus douloureux ! Jenexrois pas, répon- 
dit ma mère , un mot de toute cette aven- . 
turc. Comment ! dit Verfac , c'eft un fait 
public. Pourriez-vous me foupçonner de le 
prêter à la comtefTe, qui eft une des femmes 
du moiide pour qui fai la plus grande con- 
fidération, & que je tiens en eftime particu- 
lière ? Ce que je vous dis eft auflî prouvé, 
^u'il l'efl , qu'elle , & la divine Lurfày , 
ont mis du blanc toute leur vie. Je penfaî 
frémir en entendant Verfac parler fî injurleu- 
fèment d'une jperfbnne pour qui j'avois le 
plus grand refpeft, Se à qui je croyoîs le 
devoir. Autre genre de calomnie, répondit 
madame de Meilcour, jamais madame de 
Lurfay n*a mis de blanc. Oui , reprit -û^ 
comn^ ^^ tïz jamais eu d'amants. Des 
amant& l madame dé Lurfày ! pcn&i-je m'é-» 
crier. Ne diroit-on pas, pourluivit Verfac , 
;qu'on iiô h conooit point ? Ne fait-on pas 

Ë £ 



qu*il y a cinquante ans au moins qu'elle aïe 
cœur fort tendre } Cela n'étoit-îl pas décidé 
avant même qu'elle époufit cet infortuné 
Liirfày, qui, par parenthefe, étoît bien le 
plus fot marquis di France 3 Ignore- 1- on 
qu'il la furprit un jour avec D../. le lende- 
main avec un autre, & deux jours après 
avec un troificme j Se qu'enfin , ennuyé de 
toutes ces (urprifès qui ne finifibient pas, il 
mourut , pour ne pas avoir le déplaifir de 
retomber dans cet inconvénient ? N'a-t-on 
pas vu commencer cette haute pruderie dans 
laquelle elle eft aujourd'hui ? Cela empêche- 
tr-il que tels & tels ( il en nomma cinq ou 
(îx) ne lui doivent leur éducation; que moi, 
qui vous parle, je ne lui aie refufé la mienne ; 
& que peut-être elle ne poftulc a6tuelleme»c 
celle de moniteur , ajouta-t-il en me mon- 
trant: ? Cette apoftrophe me fit rougir au 
pDÎnt, que, pour peu qu'il m'eût regardé, 
il fè feroit furement mis au fait de l'intérêt 
que je preix)i3 à fes difcours. 

- Penfe-t-elle, continua - t-il , avec fbn 
Waton , qu'elle n'entend , ni ne fuit , nous 
en impofer fur les rendez^vous bbfcurs qu'elle 
donne , & que nous fbyohs là-c^effiis auffi 
dupes que les jeunes gens qui ne connoif- 
fint, ni la nature, ni le nombre de lès 
aventures , croient adorer en elle la plus 
rèfpedtablç des déeflcs , &.foumettrc un 
^œur qu'avant eux perfbnne n''avpit furpris! 

' Ce portrait fi vrài-de àqila fitUârbn âifllîpa 
^Ûérement le doute où favoiiétc }u%ueH 



là fur les difcours de .Verfàc. Je reconnus , 
en rougiflant , combien j'avois été trompé : 
& {ans imaginer encore comment je pour- 
rois punir madame de Lurfày , de Teftimc 
qu'elle m^'avoit donnée pour elle , je réfolus 
fermement de le faire. Si je m'étois rendu 
juAice 5 j'aurois iènti que je ne devois qu'à 
moi-même le piège dans lequel j'étois tombé ; 
que le manège de madame de Lurfay étoit 
celui de toutes les femmes ; & qu'en un 
mot , il y avoit moins de fauflfeté dans fon 
procédé , que de fbttife dans le mien. Mais 
cette réflexion étoit , ou trop mortifiante > 
ou trop au deflus de moi , pour que je la 
fifle. Comment i me difois-je à moi-même , 
m'aflurer que jamais elle n'a aimé que moi ! 
abulèr auiiî indignement de ma crédulité ! 
Pendant que je m'occupois fi défagréable- 
ment , madame de Meilcour , en niant que 
tout ce que Verfàc attribuoit à madame de 
Lurfay , fut vrai , lui demanda, pourquoi , 
paroifîànt de fes amis, il fedéchaînoit contre 
elle à ce point-là? C'efl, répondit - il ^ par 
l'elprit de juftice ; c'eft que je ne fàurois 
fupporter ces femmes hypocrites qui , plon- 
gées dans les dérèglements qu'elles blâment 
dans les autres, parlent fans cefïè de leur 
vertu y 6c veulent en illipofèr au public 
J'eflime cent fois plus une femtîïe galante > 
qui l'efl de bonne foi j je lui trouve un vice 
de moins : d'ailleurs , puifqu'il faut tout 
vous dire , cette Lurfay vient de me jouer 
le tour le plus fanglant , de me faire la plus 

E î 



tel (B tr V it s s y 8cc^ 

«bomînaUe tiacailene qtie f on puî£& 

çiner. Vous cotuioiflèz nudame dc.^ Gsia 
fait le plus joli fuiet à former. Je m'éona 
préfènté , on m'avoit reçu , i'ctois écouté 
convenablement > enfin je perfuadois : n'eft- 
clle pas venu mettre aes fcmpules> des 
craintes dans te (prit de cette jeune per* 
ibnne, lui dire qu'elle fe perdoit; de me 
voir ; que j'étois inconftant , indifcret? En- 
fin y elle lui a fait mie fi étrange peur de 
snoi , que nous en avons été brouillés trois 
jours , 6c que je n^aî naon rappel que de c^ 
matin. Penlèz->vou$ de bonne foi que cela 
iè pardonne } 

Verfàc, après quelques autres propos j. 
qui tous m'animpient de plus en plus contre 
madame de Lurfày , foirit. Madame de 
Meilcour , qui , fans deviner la iortie dtin-. 
térêt que j Y pouvcris prendre , avoir remar-. 
que que ce que favois entendu m'avoit fait 
imprcflion , chercl^ à me diiluadeç^ mais 
elle ne gagna rien fur moi > de je courus 
chez madame de Lurfày , dans l'intentionr 
de me venger , par ce que le mépris a dci 
' plus outrageant; , du ridicule refpeâ; qu'elkt 
m^avoit forcé dfavoîr pour elle. 



fin Je la premiers furtie^. 




L ES 



N. 



EGAREMENS 

I 

DU CŒUR 

[ET DE L'ESPRIT 



o XJ 



MÉMOIRES 

. DE 

Mr. de MEILCOUR. 



I* 



**Mai 



SECONDE PARTIS. 



J 



"etois fbrti de chez moi , réiblude ne rien 
épargner à madame de Luriày , du mépris 
qu'à mcm fèns elle méritoic. Je ne voulois 
4^ xné^ie m'en tenir à une explication pat* 

E 4 



;ïQ4\ Œ V y ïl B S 

'ticulîcre 3 qui ne Tauroît mortifiée que podi 
:1e moment , Se je croyoîs ne pouvoir me 

^ bien venger décile , qu'en lui fàij&nt une de 
ces fcencs éclatantes qui perdent une femme 
à jamais. 

Extrêmement touché de la beauté d'un 
projet qui puniroit une hypocrite^ & me 
lèroit débuter (kns le monde d'une façon 
brillante , je ne laiflois pas de fentir que je 
Texécuterois difficilement ; je n'é tois pas d'ail- 
leurs aflez^ mal né pour qu'il me reftât long- 
temps dans l'eiprit. Je confidérai encore que 
pour faire réuflîr une auffi cruelle imperti- 
nence 5 il me falloir un mérite fopérieur ^ oa 
dii' moins une , réputation établie comme 
celle de V^riac. 

J'en revins donc à prendre avec moi d'au*- 
très arrangements plus faciles , &. en mêm^ 
tempa plus, flatteurs. Je réfolus de né. îïçit 

^temoignei à madame de turfay'du rcflen- 
riment que j'avois çontr'elle , de profiter de 
fà tendrefïè pour moij & de lui marquer 
aprè&> pai l'inconftance la plus prompte , & 
fât tont<è que les hommes à bonne fortune 
ont imaginé de plus mauvais en procédés , 
touirle mépris qu'elle- m'infpiroit. Cette feé- 
léraîe Wl?e 'me parut la plus agréable & la 
pte'tufèT'&ie-mYftxai.' J'entrai chez elfe, 
comblé de joie d'avoir pu trouver une fi 

^belle vengeance > & déterminé à k remplir 

îà J'iftfknt même* 

Je comptois , & avec quelque, raifôn^ ce 

'lHie femUe y que madame de Luriày fèrc^l 



feule y mais , foit que ma façon de me com- 
porter dans les rendex-vous lui eûtplu , fbîc 
qu'elle eût voulu me les faire dehrer, elle 
avoit décidé que je fèrois en proie à tous les 
importuns que mon deftin poùrroit amener 
chez elle ce jour-là. Ce ne fat pas fans une 
extrême furprifc que je vis dans la cour le 
carroflè de Vcrfac. Je dvois fi peu m'atten- 
dre à cet événement , que je ne pus d'abord 
me perfiiader ce que je voyois ; la chofe ce- 
pendant étoit réeUe. En entrant dans Tap- 
partement j je découvris M. le Comte qui , 
plutôt étendu dans un grand fauteuil qu u 
n'y étoit affis , étaloit fâftueufement devant 
madame de Lurfay (a magnificence & fes 
grâces , & lui parloir du ton le plus infolcnt 
& de l'air le plus familier. 

Pour mieux en impofcr à Verfàc ,, eHe 

me reçut avec une extrême froideur : mais 

je dus mi'appercevoir , au fouris malin que 

ma préfcnce lui arracha , qu'il pénétroit le 

lînotif de ma vifite. Je m'aflis avec cet air 

décontenancé qui me quittoir rarement , Se 

^'alors Ùl vue augmcntoit ; pour lui, il iè 

dérangea peu , & continuant ion difcours : 

. Vous avez raiion, Marquife, dit-il; de 

l'amoitr , il n'y en a plus , & je ne fais après 

tout s'il en faut tant regretter la perte. Une 

grande piffion efl fans doute quelque chofe 

de fort rcfpedtable > mais à quoi cela mené- 

t-il? qu'à s'ennuyer, long -temps l'un avec 

Fautre. Je tiens qu'il ne faut jamais gêner le 

icoeju; Je n'ai ,.moi qui vous parie , jam^s 



â 



f o( ΠV V K & f; 

l^t de bcfôîn de changer, que Ibrfquc Jç' 
vois qu-on prend des mefuies pour me re^ 
tenir, Ohl je le. çeoîs, r^ondit, madame de 
IfUriay ; mais quel parti, prendrie^-vous , ft 
vous voyiez qu'on voulût vo^3 êcrç inôdelle ? 
Jten chan^rpis beaucoup i^us vite. Ceft: 
aflurcment, rcprio-ellç , u» aimable coeur: 
que le votre ! Éhl Madame , r^poi;idit-il ,, 
Je n^ai là-delUis rien de fingulicr-; comme 
saoi. (pus les hommes iK cJberçhem que le- 
plaiurs fixez-le toujours auprès du mciae 
objet , nousy ferpns fixés auffî. Voyez- vous ^. 
Marquife , il n'y a pçritbnne qui voulût s'en- 
Igager, m^i^^e ^veç l'objet le plus charmant, 
s'il étpit queftipn de lui être étemellement: 
attaché. l»oin de fe le proppfer l'im à l'autre,, 
c'eft une idée qu^'on écar^ le plus qu'on, 
peut [du moins quand on eft fàge ; ] on fe 
dit b^eh qu'on s'aimera toujoufs , mais il eft; 
tant d'exemples du- contraire , que cela n'ef- 
fraie pas^ ce n'eft qu'ua propos galant qui. 
fi^'a qiie force de madrigal « & qui eft compté 
pour rien quand on veut fe donner le- plaiilr: 
ce l'incpnffance. Une cho(è qui me furprcn- 
dra toujours^ réptiqua-t-relle > c'eft qu'avec 
ces fentiments que vous dHEmulez fort peu», 
vos perpétuelles trahifbas^> l'îndëi:ence avec 
laquelle vous conduifèz Se roxnpez une iiK 
trigue y il y ait des femmes aftezinfènf^es^ 
pour vous trouver aimable* Ëh bien ! dit 
froidement Yer^c 3^ ce nefèr^t pasdecda 
que je fèrois furpris, moi ; mais ]c le fèrois. 

Jkeaucpup il elles, w. mm gmmat . pas psjt 



/ 



hÈ CiiiBilLôH, if II s. 107 

dés défauts que nous n'avons prefmie tou- 
jours que par égard pour elles : nous lommes 
inconftants y dites-vous \ (ont-elles fidéUes ? 
Vous prétendez que nous rompons indéceni'- 
aient 9 c eft ce dont jp ne me luis pas encore 
àpperçu ; il me ièmble que Ton (èouitte 
auilî décemment qu'on s'eft pris ; (î les chofêft 
font du truit , ce n'eft pas toujours notre 
faute. Ce fera celle des femmes apparem* 
inent, reprit madame de Lurfay. Sans doute ^ 
Madame , répondit -il \ s'il y a quelques 
femmes qui fouhaitent que les foiblefles de 
leur cœur foient à jamais ignorées , combien 
n'en eft-iï pas qui n'aiment que pour qu'on 
fe lâche' i & qui prennent foin elles-mêmes 
d'cninftruife le public? Maïs, reprit-elle v 
Aaadame de *^ qui vous aimoît u tendrc- 
tncat y &' ouï defiroit avec tant d'ardeur 
qu'on n'tti mt rien , fût-ce elle quife perdit i 
Lequel de vous deux eh parla le plus ? Nî 
«lie , ni moi , reprit-if , & tous deux en^ 
femblej elle craignoit l'éclat , &jem'étois 
prêté fort fcnfëmentaux raifbns qu'elle avoit 
de le craind[re 5 mais voulez- vous que je 
"^ous difè ? il eft des yeux qu'on ne trompe 
$as 5 le public vit , malgré nous , que nous^ 
^ous aimions -, aufli indifcret que nouy 
l'étions peu > il jugea à propos de parler de 
je qu'il avoit vu j j'eus beau vouloir fàuver 
«s bienféànces , me facrifier , oh me cru t 
jmoureux , parce qu'ai effet je l'étois ; éc 
JJ en arrive ainfi des engagements qu'en dil- 
«ûiulc Iç xniçu^, Je croii toujours quevouj 

E i 



î 



%o% (R V T % H Sr 

vous trompez , réplîqua-trtjllc yYdx des exem^ 
plescomre ce que vous avaiicez. Idée feufle L 
reprit. Veriac t un? £emmç croit fbuvenr 
qu'on ignore ce quelle feit., parce qu'on a. 
$i politiclïe de nç. pas^^iriarquei: devant elle 
ju'on a pénétf é fes fçntiments \^ mais Dieu, 
^ait cpmpien de. prppos. fc tiennent fur ces 
petits comme^rces tendre^ > fi fcrupuleufcr 
jfnent voiléS;, &.fi-paréiitement connus; je 
ne me pique pas d'être plus fin qu'un autre ^^ 
& cependant rier^ ne m'échappe. Eh.oui ! dit 
madamfe de Lurfay , d'un ton moqueur , je 
le croirois bien l Eh, mon Dieu ! Marquile^^^ 
jéppudit-il , fi vous fevicz tout ce que jc: 
vois ,. vous penferiez mieux de ma pénétra* 
tion. Par exemple ,^f'étois ,. it n'y a pas long-. 
,temps y avec une. de. ces femmes raiA>nna^ 
blés 5 de-ces femmes adroites., dont les pen^ 
chants font enfevelis fous, l'air le plus, ré- 
iervé , qui femblent avoir fiibftimé aux dé— 
jéglements de leur jeunefle, de la iàgefïè 
& delà vertu y vous concevez., ajouta-tril >, 
qu'il y a de ccsfemmesJà,. eh bien 1. j'étok 
ieul ayec une prude de cette eipece ; l'amanC: 
arriva; on le rjeçut froidement^ àrpcinc.vou-- 
lut«on le traiter comme connoiflànce \ notais, 
pourtant fes yeux parlèrent , malgré qu'on 
en eut; la voix s'adoucit: le petit nomme >. 
fort neuf encore >. fut embarralTé de là fituar- 
tion ; ôCÇfwi, à q»irieu.n'cchapga> jcfortis:; 

le plutôt que îe gos j^. ppua: jtaUcç dire, à tou^ 
Je monde. . .^ 

JE<n achevant CCS faroks^ qpxxoc tètexeior: 



» B C RE B T X I o fr ; tits^ îey 

lêsîïs le dernier embarras »- & qui , malgré 

k grande préfence d'efprit de madame de 

Lurfày , ne laiflbient pas aufli de l'inquiéter ,, 

:ilie leva en eflfèc & voulut fortir. Ah , Comteî 

-s^écria madame' de Lur&y ,. quelle cruauté l 

Quoi Yous-partez:! il y a mille ans que je ne 

. Youi ai vu y vous refterez. Ah ! pour à pré- 

Scpx je ne puis , dit Yerlàc ; vous, ne îàur- 

riez imaginer tout ce que jfài à £rirc v cela 

nt iè comprend pas , k tête m en tourne ;. 

lîiais fi vous reftez chez vous ce ibir , & que 

vous. vouliez de moi, fut-ce au préjudice de 

toute la terre , je fuis à vous. Madame de 

Luriây y confentit avec autant de joie que H 

-^c ne l'eût pas détefté > & il fbrtit.. 

Yoilà bien , me dit-elle > dè^ que nous 
fumes feuls, le jEat le plus. dangereux,. Tef-- 
prit le plus mal tourné , & l'efpcce la plus 
iicommode qu'il y ait à la cour 1 Pourquoi ,. 
. fi vous le connoiffèz fur ce ton-là , rcpris-je, 
le voyez-vous? Ah l pourquoi, répondit- 
cjle ? G'eft que fi Ton ne voyoit que des. gens. 
. qu'on cftime ^ on ne verroit perîbnne y. que 
moins, ceux dû caraâterc de Verfac Cuit ai- 
mables dans k fbciété. , plus itfautles y mé- 
nager. Quelque amitié que vous kur mar- 
quiez? ,. ils vous déchirent; mais (i vous. rom- 
piez brufquemeat avec eux , ils vous déchi- 
- «croient bien davantage. Geluircin^a bonne 
. ©pinion que de lui ^, calomnie toute la terre 
iàns pudeur & lâns ménagement. Vingt £bm- 
mes, plus étourdies ^ plus.décriifcs> plus 
^ iixéprilable& cûcoie qu'il ne teft pciit-êtcc> 



\ 
\ 



tt^ <B tr ▼ « « f 

l'ont mis feules à k mode. II parte un )2fg6Éi 
qui éblouit : il à fu joindre au itivole du pe-^ 
rit*maître , le ton décifîf du pédant : il ne fê 
connoît à rien ^ & juge de iSout ^ mais il perce* 
rni gnnd nom. A &rce 4^ dire ||u'â a de- 
l'cfprit , il a oerfua,dé qu'il en avoit : &, mé*- 
chanceté le mit craindre ; & parce que tout- 
k monde l'abhorre , tout le monde le voie- 
Quelque vivacité que madame de Lurfày 
employât à me peindre Vcrfac fi défkvanta- 
geufèment , elle ne me perluada pas <{vlc ce' 
portrait pût lui rcffcmblcr. Verfac étoit pouif 
moi le premier des hommes; Se je n'attribuai' 
qu'au dépit de l'avoir manqué tout le maf 
qu'elle m'en difbit , Se la hame qu'elle mai^ 
quoit pour lui. 

Je croyois en iendr redoubler mbn méprisa 
pour elle ; cependant nous étions faûs^ elle^ 
étojt belle > & je la favois fenfible. Elle nef 
m'infpîroit plus ni paflion ni rcfpeâ: : je nc- 
la craignois plus ; mais je ne l'en defimi que- 
davantage. Je me redis, pour m'aiiiflier ,, 
«out ce que Ver(àc m'avoit appris; je me re- 
mis devant les yeux tout ce qu'elle avoit fait 
pour moi; Se plus^ je rouginbis du periôn-r 
nage que j'avois fait auprès d'elle , moins jfc 
pouvois lui pardonner le ridicule que je fli'ë-r 
tois donné pour moi-même. En achevant lé- 
panégyrique de Verfac , elle fe mit à me re- 
garder d'un air fi particulier ; elle avoit quel- 
que chofè de fi tendre dans les yeui^ ,. que, 
quand je n'aurois pas^ brûlé du défir de me 
venger^ je cigds qu'elle n'y auxoiriîço perdu. 



/ 



»s Cii]îtttt>w, rïiy. lit 

J'oubliai bientôt combien peu (à'conquâr 
^toit flatteufe V fétois trop jeune pour m'oc- 
cupet long-temps de cette idée \ à l*âge que 
fa vois aloiSy le préjugé ne tient pas contre 
Foccaâon ; & d'ailleurs , pour ce que je ibu- 
haitois d'elle 2. il importoit a£Cez peu que je 
Ifcftimafïc^ 

Je mfapproGhaî d'eBe fans lui rien diïc ^ 
& lui {)ai(ai k main 3,. mais d'un air â lui don- 
ner d'abocd les plus gmndes efpéranecs. Eb 
bien !' me demandà-t-elle en fouriant ^ ferez- 
vous aujourd'hui plus fàge que vous n'étîesc;^ 
hier? Je k crois,, lui réponcËs-je d'un to» 
ferme > les moments que vous voulez bien; 
m'accorder» font trop précieux pour rfèn pas> 
feire ufige ^. & je féns que vous ne devez pas*, 
être contente de celui que j'en ai fait jufqu^ài 
préfenc Que fignifie donc ce difcours , dit- 
elle en affeâSant dfc là furprife ? Que je pré— 
isendi, repris^ je, que vous m'aimiez, guer 
vous me k diiîez,, que vous me le prouviez*- 
enfin; 

Jeprononçaf ces paroles avec une intrépî^ 
dite dont la veille elle ne m'âuroit pasfoup*- 
çonné , & qui lui pamt fî peu dans mon ca-* 
jsidtere , qu'elle ne fongea feulement ps à 
s'en choquer». Elle ne me répondît que par- 
un fouris méprifantv qui me fit f^ntir le peut 
êtit cas qu'elle Êtifoit de mes prétentions , it 
combien elle mecioyoit incapable dé les fou- 
tenir 5 on fe pique à môins^ Je devins tout 
çt'un coup fî familier, que madame de Lur- 
i&2 en fi^ étQUi:die ^ & au point que je xCtMff^ 



4X1 . Πtr V K K s 

d'abord à combattre qu'une aflez fbibic re- 
fiftance. Elles'appcrçut, avec étonnement, 
qu'elle ne m'impofait plus; & peut-être, & 
f avois aidé au moment , ne l'auroit-elle pas 
recule : mais au milieu de ces emportement^, 

. que l'amour feul peut autoiifcr > j'étois fi fur 
de vaincre , j'apportois f\ peu de tendreflc , 
qu'elle fut forcée d'en pàroîtte mécontente^ 
Cette feçon trop déterminée me nuifit ; fc$ 
yeux s'armèrent d'un courroux véritable , 
mais rien ne me contenoit'^ & perfuadé qu'in- 
térieurement elle fouhaitoit d'être vaincue, 
en demandant pardon , je continuoisd'offea- 
fer. Cependant je ne pus rien obtenir , foit- 
que madame de Lurfày ne voulût pas m'ac- 
corder un triomphe que. je ne re;idois paS' 
aflcz décent pour elle yioit qup le peu d'u^e^ 
que i'avois des fem^mes, ne. me rendit pas 
âulïl dangereux qu'il auroit fellu l'être. 
Honteux d'une entreprilc qui m*àvoic fi 

^ mal réufE , je laiflài M^e-de Lurfày , fort cm- 
bartafle de ce que je prévoyois qu'ellç alloît: 
me dire ; je crois qu'elle étoit en peine aufli 
de la façon dont aie devoit agir dans une 
circonftancefî délicate. Me montrer, trop d'in- 
dulgence y, que n'en penferois-je pas ? Affec- 
ter trop de colère , je pouv<»s en être décou- 
ragé 5 8c il étoit à craindre que pour les fui- 
tes, celanetirâtàconféquence.EHedemeuKi 
quelque tempsxêveufe & fans parler ^ je l'imi- 
tois.. Un homme , un peu au fait du monde» 
auroit dit-, fur ce qui venoic de fe.paflèR,. 

^miUe. icHes chofes.qui aident une femme Q^ 



- pareil cas ; mais je n'en iàvois aucune , & il fal- 
lait que M^«'de Lurfay tirât tout de fon propre 

r fonds , ou qu'elle fe réfolut à ne me parler ja- 
mais. Elle prit enfin fbn parti , ce fut de me 
témoigner, avec tendrefïe & dignité, qu'elle 
trouyoit mes procédés extrêmement ridicu- 
les. Je m*excuiai for Tamour ; elle me ibu- 
tint qu*il ne conduit pas à perdre le refpeâ?; 
très-refpeétueufement je raflurai du contraire : 
elle poufla la difpute là deflus, A force de 
diflerter , nous perdîmes le fond de la quef- 
tion , & je la terminai en lui baifant la mani 
qu'elle me tendit, en m'afliirant pourtant 
qu'elle prendroit à l'avenir des précautions 

. contre moi. 

Cette menace m'efïrayoit peu ; jufque dans 

^ fsL colère même j'avois vu l'excès de Gi fiici- 
lité : ma vengeance n'étôit que différée ? & 

. afièz mal-à-propos je ne crus pas dçvoir trop 

. en preflèr les inftants. Nous étions retombés 
dans le filence ; madame de Lurfay , qui 
s'étoit conduite , for mon premier emporte- 
ment, en perionne Ccnfée , étoit en droit 
- d'en efpérer un Cccond , & fèmbloit s'y atten- 

- dre. Elle ne fàvoit qui m'avoit fourni les lu- 
mières qui l'avoient étonnée *, & en jfe flat- 
tant , peut-être , que je ne les devois qu'à 
l'amour, elle dut lans doute être furprife de 
les trouver auflî bornées. Elle crut, toutes 
réflexions faites , qu'il fèroit convenable de 
m^'aider des fîennes y 8c reprenant la conver- 

-iation que nous venions de finir , elle me dè- 
.xuuda ^ mais îlvcc une douceur extrême ^ 



1 14 fï O ▼ » B 1 

pourquoi j'avois pafTé de beaucoup de te^ 
peâ:, même d'un re{peâ trop timide ^ ï 
une familiarité défbbligeante* Car en&i ^ 
ajouta-t-^elle , je conçois qu'il y a des femmes 
auprès defquelles Thomme, du monde le 
moins aimable n'a befbin que de leurs pro* 
près defirs , & pour qui tout eft moment dC 
danger : qu'on leur manque y je n'en fuis 
point étonnée. i mais j'ofe dire que je ne fuis 
point dans ce ca$-là : )e dois me croire , par 
ma fùçon de penfer 8c de vivre , à l'abri de 
certaines entreprifès > cependant vous voyes 
ce qui m'arrive. 

Outré d'une auflî impudente hypoctiiîe , 
( car je ne voulus jamais Croire que Verfâc 
eût pu me tromper ) d'abord je ne répondis 
rien : je ne pouvois marquer à miadame de 
Lurfay tout le mépris qu'elle m'infpiroit, & 
lui répéter les difcours fur lefquels il étoit 
fondé , fans l'obliger de me rendre toute k 
bonne opinion que j'avois eue d'elle > & je 
me mcttois par là , peut-être y dans l'impoffi- 
bilité d'en triompher jamais. 

Vous ne répondez rien , reprît-elle , craî- 
^ez-vous de vous excufcr trop , ou ne dai- 
gneriez-vous pas le feire ? Je ne fàvois que 
lui dire ^ & je rejetai tout encore une fois 
fur l*amour que j'avois pour elle ^ & fur les 
bontés qu'elle m'avoit témoignées^ A l'égard 
de l'amour, reprit-elle , je vous ai , je penfè, 
déjà répondu que ce n'etoit pas une excufê 
légitime : pour les bontés dont yovLS tac pat* 
lezj je conviens que j'en ai pour vous s xoak 



r 



1>K CniimiXLeK^ »IL5. iij 
* tl en eft de plus d'une efpece j, fie je cioi» 
[ue les miennes ne vous mettent en droit 
rien. Quand je me ferois même oubliée 
tu point que vous le iîippûfèz, un amant 
délicat 3 ou ne s'en feroit pas fervi, ou n'en 
auroit pas abufë comme vous venez de le 
iàire. Elle ajouta à cela mille chofès finement 
peniiees ^ & me fit enfin entrevoir de quelle 
néceflité étoient les gradations. Ce mot > & 
Kdée qu*il renfermoit , m'étoient totaleinent 
inconnus > je pris la liberté de k dire à ma^ 
dame de Lur^y 3 qui > en fouriant de ma 
fimplicité > voulut bien prendre k peine de 
m'inftruire : je metrois chaque précepte tn 
pratique à mefîire qu'^elle me le donnoit ; 6c 
récude importante des gradations auroit pu 
nous mener fort loin , fi nous n'euffions en- 
tendu dans l'antichambre ^ un bruit qui nous 
força de Tinterrrompre. 

Un laquais vint annoncer madame Se ma* 

• demoilEèlIe de Théville 5 je connoiflbis par- 
faitement ce nom. Madimc de Théville 6c 
ma mère étoient a Aèz proches parentes , mais 
aâèz mal enfèmble depuis long-temps ; & ma* 
dame de Théville ayant depuis demeuré pref^ 
que toupurs en province , je ne l'avois ja- 
mais vue. Elles entrèrent, 6c mx furprifè ht 
&ns égale quand je trouvai dans mademoi- 
fcUe de ThéviUe cette inconnue que f ado- 
ïois jj & à qui je croyois tant d*averfion pour 
moi. Je ne pourrois exprimer que foiblement 
le défordre que cette vue me caufà , com- 

• U^ d'amour > de txanfports & de craintes 



1X6 Œ V Y R 8 5 • 

•lie renouvella dans mon cdeur. Madame (Je 
Lurlày raccabloit de carefles, & je jugeai, 
par le ton qu'elle prit avec madame de Thé- 
ville , qu il y avoit entr'elles une intime ami- 
tié j cek me furprenoit d'autant plus , que 
non-feulepient je ne l'avois jamais vue chez 
madame^ de Lurfày , mais encore que je ne 
lui en avois jamais entendu parler. Elle fit des 
reproches à fon amie de ce qu'elle avoit été 
long-temps (ans la voir. Vous devez croire, 
répondit madame de Théville , qu'il faut que 
des affaires très-iipportantes m'en aient em- 
pêchée y je ne fuis reftée à Paris que peu de 
temps , pendant lequel je vous ai vue y obli- 
gée d'aller à la campagne , je n'en fuis reve- 
nue que depuis deux jours , & j'y aurois 
même été plus long-temps, fi elle avoit moini 
ennuyé Hortenfe. 

Q^ue ne devins- je pas quand j'appris , pat 
les difccurs de madame de Thévi le, que le 
fèul lieu où je n'euffe pas cherché mon in- 
connue 5 étoit celui oii je l'aurois rencontrée, 
*.&. qu'en fuyant opiniâtrement madame de 

- Lurfay , j'aurois perdu toutes les occafions 

- de m'approcher d'Hortenfè ! En feifant ces 
triftes réflexions , je ne cefTois pas de la re- 
garder, & d'achever de me perdre auprès 
d'elle. Madame.de Lurfay me préfentt, 

- en me nommant, à madame de Théville, 
qui me parla obligeamment , quoique d'un 
air fort férieux , qu'elle prit peiut-être à pro- 
pos du froid qui étoit entr'elle & ma mère. 
Si je ne parus pas lui plaire beaucoiip^i .bUc 



ne, fît. pas fur moi non plus une imprelTîon 
fort agréable, C'étoit une femme aflèz belle 
eacore , mais dont la phyfionomie étoit haute 
& n^'annonçoit pas beauGoup de douceur dans 
le- caraftere* Elle étoit , difoit-on yJon ver- 
tueufe 5 & d'autant plus refpedfcable , qu'elle 
étoit fans fàfte , qu'elle l'avoir toujours étç , 
& ne croyoit pas pour cela qu'il lui fut per- 
mis de médire de perfonne ? mais peu faite 
pour le monde , & le méprifànt , elle ne fbn- 
geoit ms aflez à plaire ; on croît forcé de la- 
refpeder , on l'admiroit , mais on ne l'aimoit 
pas. 

Pour mademoiielle de Théville , elle me 
regarda , à ce que je crus , avec une extrê- 
me froideur , & répondit à peine au compli- 
ment que je lui fis. Il eft vrai que j^ai penfé 
depuis 5 qu'il n'étoit pas impoffiblc qu'elle 
iï*y eût rien compris -, le trouble de mes feng 
avoir paffé jufqu'à mon efprit , de la coniu- 
fion de mes idées m'empêchoit d'en expri- 
mer bien aucune. L'air froid d'Hortenfe me " 
piqua plus que celui de la mère. Rêveuiè^ 
& comme èmbarrafleë de n^apréftnce , elle 
ne -jetoit fiir moi que des XQgnâ^ triftes ou 
diftraits. Sa mère & madame de LurCiy qui 
fe parloient , nous laiflbient en liberté d'en 
feire autant \ mais fe fentois trop vivement le 
plaifir d'être auprès d'elle , pour pouvoir lui 
parlcr.d)'autrc ohofè que de i!non anapur ,^5c 
rien dans cet inftant n'en poiivoit autorî&t^ 
l!aveû. D'àiûéurs, ce qui.s'étgit* pafle aux 
T\ïilerieîiettcr elle ôc moii l'ij*dil^à<?e ayçc 



t iS CE tf ▼ K s f 

laquelle eDe avoitpam me revoir ; cette pi](fibit 
décrète donc par (es propres difcours fe la (bup* 
•çonnois , tout contribaoit à me gêner auprès 
«d'elle. Je cherchois Tainemenc à commeiKcr 
la convor&tion ; la i^bmbre rêverie dans la- 
ijueUe je la voyois pLongéc auj;mentoit ma 
timidité. Quoi ! me diibis><je , j'ai pu penlèr 
ique c'étoit moi qui Vavois frappée îfai oCé 
croire que cet inconnu Ci dangereux pour Ton 
cœur , n'éioit autre chofè que moi l Quelle 
erreur! Avec quelle indifférence , quel odieux 
mépris ne fuis-je pas reçu d'efie ! Ah ! cet 
inconnu > quel qu'il ibit > n'ignc»:e plus (bit 
bonheur ;. u dit quil aime , il s'entend dire 
qu'il eft aimé y leurs cœurs , unis par les plus 
cendres plaifits , les goûtent fans contrainte » 
i8c moi je nourris dzns la douleur une fa- 
nefte paffion privée à jamais de la douceur 
de VclfétzncQ. Par quelle cruelle bizarrerie 
Éiuf-il que ce moment oi elle m'infpire le 
plus YÎdient amour » ïoit celui où naiflè (a 
liaineî 

Ces afireufes idées m^accabloient , & ne 
me guériflbient pas \ |e m'en ladSois péné- 
trer >ioriqu'onânnonçamadamedeSénanges; 
cou; entier à ma trifteflè ^ à peine la remar- 

3uai-je quand elle entra s il n'en fut pas 
'elle aiim ; elle me faifit d'abord > & (es 
Jreux s'étoient promenés fiir toute ma per- 
bnne, avant que j'euflè (eulemenc entrevu 
la fienne» 

Verfac que je quitte , dit-elle à madame 
de Lur&y , vient de nï'apprendre qtie voui 



reftîez chez vous ce foir ; c'cft un temps 
dont je veux profiter; vous le voulez bien, 
n'eft-il pas vrai ? Ne vous a-t-il pas dit , lui 
demanda M^«, deLur&y , que je vous fkiloii 
bien des reproches de ce que je ne vous vois 
jamais > Ceft un étourdi , reprit-elle , il ne 
m'a rien dit Je votre part ; mais , dites-moî 
donc 3 reine , ce que vous devenez , qu'il 
n'eft plus poffible de vous trouver nulle 
paît? 

Pendant ces compliments aufli faux que 
^des y madame de Sénanges me regardoit 
avec complaifance ; elle embrafla madame 
de Théviilc , qu'eUe étoit , difbit-elle , char- 
mée de revoir , & qu'elle gronda de s'être 
enterrée fi long-temps dans la province ; elle 
loua les charmes d'Hortenfe , mais en femme 
qu'ils ne {àtisfeifoient pas : Téloçe fiit court 
& fcc , & feit avec un air diftrait & oj;gueiU 
leux. Elle ne me dit rien fur ma figure , 
mais elle la regardoit fans ce({e > & je crois 
que fî elle avoit cru honnête de m'en faire 
compliment , il auroit été plus fîncere & plus 
étendu que celui qu'elle fit à mademoilcUe 
de Théville. En me priant , elle ne me per- 
doit pas de vue ; & rexpreflion qu'elle met- 
toit dans (es regards étoit fî marquée , que , 
tout ignorant que j'étoîs encore , il ne mo 
fut pas pofïîble de m'y tromper. 

Madame de Sénanges , à qui , comme on 
le verra dans la fuite ^ j'ai eu le malheur de 
devoir mon éducation , étoit une de ces 
feoames philofophcs , pour qui le public n'a 



!*• <E V V R B S 

îarmais rien été ; toujours au deflbus de tout v 
plus encore dans le monde par leurs vices 
que par leur rang j qui n'cftimeiit le nom 
qu'elles portent que parce qu'il fèmWe leur 
permettre les Caprices les plus fous & les 
fantai(îes les. plus ba(ïès ; s'excufant toujours 
fur un premier, moment , dont elles n ont 
jamais fenti la puiflance , & qu'elles veulent 
trouver par-tout ; fans caraârere comme fans 
pafïîons ; foibles ùsis être feiifîbles ; cédant 
fans cefle à Tidée d'un plaifîr qui les fuit 
toujours y telles , en un mot , qu on ne peut 
jamais ni les excufer ni les plaindre. 

Madame de Sénanges avoir été jolie , mais 
fcs traits étoient effacés j fès yeux languiffants 
& abattus n a voient plus tii feu ni brillant» 
Le fard quîachevoit de flétrir les trifles reftes 
de fa beauté , fa parure outrée , fôn maindea 
immodefle , ne la rendoient que moins fùp- 
portable. C'étoit enfin une femn^e à qui, 
de toutes fes anciennes grâces , il ne refèoit 
plus que cette indécence que la jeuneflfe & 
les agréments font pardonner , quoiqu'elle 
déshonore l'un & l'autre ; mais qui , dans 
un âge plus avancé , ne préfènte plus aux 
yeux qu'un tableau de corruption , qu'on ne 
peut regarder fans horreur, 

A l'égard de Tefprit , elle en aToit 5 j'en- 
tends de celui qu'on trouve fî communé- 
inent dans le monde ; ce n'étoit rien que 
ce qu'elle difoit ; mais elle ne s'épargnoit rien , 
jnédifbit toujours : & ne penfant jamais 
lii<ia> ne caignoit jamais de dire ce qu'elle 

penfoit* 



D c CrnsBiLioif^ fin. tir 

peiifbît. Elle avoit de ces tournures de cour 
bizarre ^ négligées &: nouvelles ^ ou renou- 
vcllées ; elle les aidoit d'un ton nonchalant 
& traîné ; pareflè afïèftée qu'on prend quel- 
quefois pour du naturel , & qiii n'eft , à 
mon fèns, qu'une façon d'ennuyer plus len- 
tement : malgré fes rares talents pour le fri- 
vole , elle en fonoit quelquefois , diflertoic 
opiniâtrement ; & , fans jufteflè & ians con- 
noîflànce , ne laifïbit pas de juger : pétrie 
au refte de fentiment & de probité , & tou- 
jours étonnée à lexccs des dérèglements de 
fon (iecle , fur le/quels elle gémifloit volon-» 
tiers. 

La refpeâable Sénanges , telle que je vienç 
de. la dépeindre , fat frappée à ma vue. Ce 
moment qui décidoit chez elle les grandes 
paflions ; ce moment malheureux dont elle 
ne pouvoit jamais fe fauver, parce que^^ 
comme elle le difoit elle-même , il étoit im-» 
pofïîble d'y réfifter, l'entraîna & me la fou-, 
mit. Ce n'eft pas , elle me l'a avoué depuis ^ 

S[ue j*eufle bien précifëment tout ce qu'il 
àlloît pour lui plaire , j'étois trop uni dans 
mes façons , je n'avois ni tons extrava- 
gants, ni manières ridicules ; je paroiflbis 
ignorer ce que je valois ; mais en fentant 
tout ce qui me manquoit , elle fut flattée de 
la gloire de me le faire acquérir , elle fe miç 
enfin en tête de me former : terme à là 
mode , qui couvre bien des idées qu'il feroîc 
difficile de rendre. 

Pour moi , quand ]t l'eus bien examinée^ 

Tmc m. F 



â ne me vint pas dans Teiprit que ce feroïc 
elle qui me formeroit ; & malgré fes mines 
obligeantes , je ne vis d'abord en elle qu'une 
Coquette délabrée , dont Timpudence me 
gênoit* J'àvois encore ces principes de pu- 
deur , ce goût pour la modeftie , que Ton 
appelle dans le monde (bttife & mauvaîfè 
honte*, parce que s'ils y étoient encore des 
vertus ou <ks agréments, trop de per- 
sonnes auroient à rougir de ne les point 
pofl^der. 

Je ne (âis fî madame de Sénanges s'ap- 
perçut que ces regards avides qu elle jetoit 
lur moi ^ m'embarrafibient , mais elle ne s'en 
contraignit pas davantage* Pour que je con- 
jfiuflè bien tout le prix de ma conquête , 
elle m'étala toute (a nonchalance ôc toutes 
ics grâces, & joignit, pourm'achever, tous 
les Tidicules de fa perfonne à ceux de la 
Converfation. Je me reprochai enfin de don- 
ner tant d'attention à quelqu'un qui Ce dé- 
finiflbit au premier coup-d'œil ; & quelque 
froideur que je trouvaflè dans mademoitelle 
de Théville, je cherchai {a vue comme Iç 
contre-poifon i celle de madame de Sénanges. 
Elle Técoutoit , & je crus remarquer à ia 
rougeur & à (on air dédaigneux , qu'elle en 
jugeoit comme moi : cela ne me lurprit pas. 
Je réfléchiflbis avec étonnement fur la dis- 
tance prodigieufe qui é toit entr'elle 6c madame 
de Sénanges ; fur ces grâces (î touchantes > 
ce maintien fi noble , réfèrvé fans contrainte , 
& ^ui feul l^auroîc iàit ref]^eAer } Cux cet 



BB CAiBItlOH^ VUS. 1A|' 

eiprit jufte & précis > fage dans renjouement ^ 
libre dans le férieux , placé par -tout. Je 
voyois de l'autre côté ce que ia nature U 
plus perverie , & Tan le plus condamnable , 
peuvent of&ir de plus bas Ôc de plus cor- 
rompu. 

Madame de Sénanges qui , pour ie prouver 
(on mérite y penibit plutôt au nombre de 
(es amants qu'au temps qu'ib avoient voulu 
demeurer dans fès chaînes > étoit très-per- 
(uadée que fès charmes agiilbient fur moi 
comme u lui convenoit , & qu'elle ne s'en 
retoumeroit pas (ans une déclaration en bonne 
forme. 

Cette idée la rendoit d'une gaieté décejf^ 
table y lorfque Veriâc y que ion fracas an-< 
nonçoit de loin , entra fuivi du marquis de 
Pranzi , homme à la mode , élevé & cop^e 
éternelle de Yerfac. Madame de Lurlàf 
rougit en le voyant , & le reçut d'un air 
cmbarrafl?. Verfac, qui avoir prévu cette 
réception , ne fît pas fèmblant d'appercevoîr 
le trouble où la préfence de Pranzi jetoic 
madame de Lurfay ; il ne remarqua d'abord 
que madame de Sénanges > & af&âiant un 
air étonné : elle ici , s'écria-t-il y en regardant 
madame deLurfay ; elle ici ! mais eft-ce que 
te me fcrois trompé ? Que voulez-vous donc 
dire , demanda-t-elle ? Ah ! rien , répondit 
Verfàc , en baifïant un peu la voix ; c'eft 
feulement que j'ai cru que quand on avoic 
quelqu'un à qui l'on' prenoit intérêt , on 
tfimagînoit pas de le lailTer voix à madamo 

F X 



^114 Πr V K B s 

de Sénangcs. Je ne la crois redoutable ici 
pour perfbnne , répliqua-t-elle. Eh oui, rc- 
prit-il y c'eft ce qui feit que je me fuis trompé. 
Il auroit fans doute poufle vivement 
madame de Lurfày qu'il tf aimoit pas , fi 
mademoifelle de Théville , qu'alors il envi- 
fagea , ne lui eût donné d'autres idées ; il 
demeura un inftant comme ébloui. Surpris 
de ce qu'une beauté fi rare avoit été fi long- 
temps cachée pour lui , il la regardoit avec 
un air d'étonnement & d'admiration ; il (àlua 
madame de ThéviUe & elle , avec un rcfpeâ: 
qui ne lui étoit pas ordinaire ; & après les 
premières politeues : quel ange ! quelle divi- 
nité eftdoncdefccridue chez vous , Madamç, 
demaiida-t>il tout bas à madame de Lur^y I 
quels yeux ! que de noblcfle i eue de grâces ! 
& comment avons-nous pu jufques à préfait 
ignorer ce que Paris a vu de plus beau & de 

Ïlus parfait ? Madame de Lurfay lui dit tout 
as qui elle étoit j admirez-la , fi vous vou- 
lez, ajouta-t-elle; mais je ne vous confeillc 
pas de l*aimer : Eh! pourquoi, s'il vous 
plaît , répliqua-t-il > C'eft que vous pourriez 
n'y pas réuffîr. Ah ! parbleu , reprit-il , c'eft 
ce que je fiiis curieux de voir : & puis , re- 
prenant haut la confervatioH : Madame , lui 
dit-il , je me flatte que vous ne trouverez 

?as mauvais que je vous aie amené M. de 
ranzi , c'eft une ancienne connoiflance pour 
vous , un vieil ami ; l'on revoit ces gens-là 
avec plaifir , n'eft-il pas vrai ? Quana on a , 
pour ainii dire ^ vu naître les $enSy qu\)A 



»E Cr É BI L LOI*, yiZÈ. ïiy 

les a mis dans le monde , on a beaa les 
perdre de vue , on s'intéreflè à eux , on eft 
toujours charmé de les retrouver. Il me feit 
honneur ^ répondit madame de Lurfày d'un 
air contraint. Eh bien ! reprit Verfàc , vous 
n'imagineriez pas la peine que j*ai eue à le 
déterminer î il ne vouloir pas venir, parce 
que 5 dit-il , il y a quelques années qu'il ne 
vous a rendu fes re(pe6ts : mauvais Icrupu- 
les , car quand on s'eft une fois bien connu , 
Ton fe met au deflus de ces frivoles bien- 
fëances. 

L'air ricaneur & maliade Veriàc , & l'em- 
barras de madame de Lurfay , me furprirent 
d'abord , moi qui n'étois au fait de rien. 
J'ignorois qu'il y avoit dix ans que le public 
avoit donné Pranzi à madame de Lurfay , 
& qu'il y avoit apparence qu'elle l'avoit pris. 
JEUe auroit eu railon de fe défendre d'avoir 
janms pu faire un pareil choix j & fi l'on 
peut juger le cœur d'une femme fur les ob- 
jets de tes paflîons, rien n'étoit plus capable 
d'avilir madame de Luriay , & de la rendre 
à jamais méprifable que ion goût pour M. de 
Pranzi. 

C'étoit un homme qui , noble à peine ^ 
avoit fur (à naiflance cette fatuité inmppor- 
table même dans les perfbnnes du plus haut 
rang , & qui fatiguoit fans celle de la généa- 
logie la moins longue aue l'on connût à U 
cour. Il faifbit avec ceU lemblant de fe croire, 
brave ; ce n'étoit pas cependant ce fur quoi 
U étoit le plus incommode : quelques arai'» 



lifé A V ▼ R £ 8 

its qui lui avoient xml tourné ^ l'avoient 
corrigé de parler de (on courage à tout le 
snonde. Né* fans efpoir , comme (ans agré* 
ments, fans figure > fans biens 3 le caprice 
àts ftîxnmes 6c la proteâîon de Verfac en 
avoient fkit un homme à bonnes fortunes ^ 
quoiquil joignît à Tes autres défauts le vice 
kas de dépouiller celles à qui il infpiroit du 
goût. Sot^ préfômptueuX) impudent^auffi 
mCapabk de bien penfer , que de rougir àà 
penfer mal j s'il n'avoit pas été un fat ( ce qui 
cfl bcaucoujp à la vérité ) , on n'auroît ja- 
mais fu ce qui pouvoir lui donner le djx>it 
de plaire. 

Quand madame de Lurfây n'auroit pas 
cherché à enfevelir fcs foibleflès, auroit-elle 

ÎUj fans horreur, fè fbuvenir que M. de 
ranzi lui avoir été cher ? Ce n'étoit peut-' 
être pas ce motif qui lui faifbit fupporter fî 
impatiemment ùt préfence ; mais la méchan- 
ceté que Verfac lui fàifbit , les difcours qu'il 
lui avoir ténus l'après - dînée , & les fujets 
qu'elle kii avoit domié de fè plaindre d'elle , 
la faifbient frémir pour le refle de k journée* 
Elle ne pouvoir pas douter qu'il n'eût pénétré 
ion amour pour moi y Se qu'il ne nit tout 
occupé du foin d'en inflruire le public > 8c 
de la perdre peut-être dans mon efprit. Ver-* 
ùc étoit un de ces hommes à qui l'on ne 
peut pas plus impofèr fîlence oue leur con- 
fier un fêcret. Qu'elle yobfèrvat ou non fur 
ia conduite avec moi , elle fenroit qu'il n'en 
iibroic ni plus troàipé ni plus fàec, Cett» 



r>E X^Ki3XLXoif y Tris, it^ 

cruelle fkuation la plongeoit dans un chagrin' 
que Ton remarquait vifiWcmerit ; & le diP- 
cours de Verfàç fur elle & fur Pranzi, Tavott 
jetée dans la dernière confufion. Je l'en vis 
rougir fans y répondre , & je conclus fur le 
champ de fbn fîlence, & de fbn air humilié^ 
que Pranzi étoit infailliblement un de mes 
prédécefïeurs. 

Verfàc ne s'apperçut pas plutôt du fucccs 
des toups qu'il portoit à madame de Lurfky , 

Îju'il réfolut de les redoubler ; & continuant 
on difcours : devineriez-vous bien , Mada- 
me , dit-il à madame de Lurfày , d'où j'aî 
tiré Pranzi aujourd'hui ? où cet infortuné 
alloit pafler fà fbirée ? Eh paix ! interrompit 
Pranzi; madame connoît, ajouta-t-il d'urt 
air railleur , mon rcfpeâ:, & , fî j'ofe le dire , 
mon tendre attachement pour elle. Je me 
fbuvicns de fes bontés, & je naurois point 
réfîfté à Verfac, fi j'avois pu croire qu'elle 
me les eut confèrvées. Difcours poli, dit 
Verfac , & qui ne détruit rien de ce que je 
voulois dire : en honneur , il alloit foupct 
tête-i-tête avec la vieille madame de * * \ 
Ah , mon Dieu ! s'écria madame de Sénai>- 
ges , efl-il vrai , Pranzi > quelle horreur t 
madame de ^^** ! Mais cela a cent ans l II eft 
vrai , Madame , reprit Verfàc ; mais cela ne 
lui kk rien 5 peut-être même la troùve^t-il 
trop jeune 5 quoi qu'il en fbit , ce que je lai» 
.& quelques autres aufïî , c'eft que vers cin- 
quante ans on ne lui déplaît pas. 

Pendant cette impertinents converfktioti 2 

F4 



kit IB tr Y n^ B » 

Vcrfâc ne ceflbit de regarder madcmcrifcllc 
de Théville ; mais avec une attention fî par- 
ticulière, que je ne pus m'empêcher d'en 
irémir. L'idée que je m'étois feite de ce grand 
Jiomme autoriibit mes craintes. Je croyois 
qu'il n'y avoit ni vertu , ni engagement qui 
pût tenir contre lui , & il le croyoit lui-mê- 
me ; il ne douta donc pas un moment^ mal« 
gré le pronoftic de madame de Lurfay , qu'il 
ne réduisît promptement mademoilèlle de 
Théville ; mais elle en avoit entendu dire 
tant de mal que , fans compter fur fà vertu , 
il la trouva prévenue contre lui. Il s'apper- 
çut bientôt qu'elle étoitinfènnble aux agace* 
ries des yeux , & qu'elle n'avoit pas été éton- 
née de ià figure : cela le furprit. Vainqueur 
né des femmes , honoré de tant de triom- 
phes , & dans fon genre le premier des con- 
quérante , il ne pouvoit pas croire qu'il pût 
manquer un coeur ; mais quand ce cceur , 
qu'il vouloit attaquer, n'eût pas alors été 
rempli de la paffion la plus viye, il étoit 
vertueux : chofè que Veriac avoit trouvée fi 
.rarement, qu'à peine pou voit-il imaginer 
qu'elle exiftât. 

L'indifférence de mademoifelle de The- 
:ville ne le découragea cependant pas ; il (k- 
voit qu'elle étoit fille : titre gênant , qui oblige 
celles qui le portent à mieux diflimuler leurs 




^ant Ùl mère 5 & cette mère , doiK l'air école 



Hvefe & rérervé , devoit lui impofer & h 
contraindre. Ces réflexions, que vraiièm- 
bkblemenc il fit, le calmèrent : il compta , 
comme madame de Scnanges avoit fait» 
qu'il ne foniroit pas fans avoir, à peu de 
chofè près , arrangé cette afl&ire à iâ iatisfac- 
tion ; encore rougifïbit-il en lui-même , du 
répit ^u'iï fe voyoit forcé d'accorder. Pour 
tâcher de (avoir plutôt encore à qui s'en te- 
nir , il étala (es charmes : il avoit la jambe 
belle , il la fit valoir ; il rit le plus fbuvenc 
qu'il put , pour montrer Ces dents ; il prit 
enfin les contenances les plus décifives, celles 
qui montrent le mieux la taille, & en déve- 
loppent le plus les grâces. 

Alarmé des defleins d*un homme à quî 
l'on croyoit qu'il étoit ridicule de réfifter ; 
& commençant- à avoir mauvaifc opiniotr 
des fenimes aufE fortement que je l'avois 
eue bonne, j'examinois mademoifelle de 
Théville. Elle regardoit Verfac avec une 
froideur finguliere & une forte de mépris 
qui ne laiflèrent pas de me raflurer. Pour 
M. de Pranzi , qui s'avifà auflî de lui donner 
des marques d'attention, elle rie daigna feo- 
Icment pas témoigner qu'elle s'apperçût de 
iàpréfcnce. 

A peine Ver&c s'écoit aflîs , que madame 
de Sénanges , toujours ne fâchant que dire »' 
& n^en parlant que plus , le mît à Tinterro- 
ger. PeutrOn fàvoir, lui demanda -t- elle, 
d'où vient Verfac ? A quek divins amufc- 
aeiics il ^voic dcftiné ti^ journée } Quelle, 

F S 



'i)o QE V T m s t 

heureu/e belle a tout au)ourd'hul foSêdê 
ce héros ? Vous demandez tant de choies , 
teprit-il, que )e doute que je vous iatis&fle 
fur aucune. Il devient aifcret , s'éaia fpirî- 
tueUement madame de Sénanges y mais, 
Madame , ne vouloir pas nous dire ce qu*â 
a fait aujourd'hui , cela eft admiraUe ! pour 
moi j'en fuis confondue au pofCble. Dires- 
nous donc , petit Comte , nous vous garde-^* 
tons le fècret. Voilà , dit madame de Luriay» 
une belle façon de l'encourager i Laiflez-là 

3;arlcr, Comte , & fbyez fur que tout Paris 
aura demain ce, que vous aurez conté ce 
loir. 

En vérité ! s'écria Verfàc , vous padez de 
fila difcrétion comme fî elle devoit vous être 
indiâërente à toutes deux ; vous fàvez cepeiv» 
dant qu'il y a des chofès dont je n'ai jamais 
parlé , & l'on pourroit^ avec un peu de po* 
£teflê ^ me remercier. ••••... Eh ! de quoi > 
répondit l'intrépide madame de Sénanges» 
Pourfuivez , Madame , reprit . Verfàc avec 
lin ris moqueur, ce cpurâge-li vous ùcA 
Jkicn. 

Madame de Sénanges, toute étourdie 
qu'elle étoit , connolflbit Verfàc ; & n'o&nt; 
pas le défier fur iTindifcrédon , elle lui de- 
manda oiSi il en étoit avec une femme qu'eUe 
3ui nomma. Moi , dit-il , je ne la connois 
yas. Beau myftere , reprit-elle , pendant que 
(put Paris fait que vou^ en êtes paffîonné*» 
ment amoureux 1 Rien n^eft plus faux > ré- 
|lQ»dit-ii^ & Psuois» ^ui ùk tout^ ne iài^ 



BE CliiBtLL€fl , XII 9. l)t 

]poartanc pas cela fi-bicn que moi. Le vrai 
de l'aventure eft que cette femme , qu'à 
peine je connois de vue , s'eft cocffee de l'idée 
que je l'aimerois un jour , & , qu'en atten- 
dant que cela arrive^ elle dit à tout le monde 
que nous fbmmes bien enfèmble. Ceae im- 
pertinence a même pris de façon que , pour 
peu que cela continue , îe ferai prier cette 
femme , mais très-fërieulcment , de ne me 
plus donner de ridicules* Mais il me (èmble^ 
dit madame de Lurfay , que c'eft fur elle ^ 
& non pas fur vous que tombe le ridicule. 
Mon Dieu ! Madame , dit-il , on voit bien 
que vous ne fentez pas toutes les confôquen- 
ces qu'un difcours pareil entraîne. Mais elle 
eft jolie, reprit madame de Sénanges. Oui, 
«lie eft jolie , dit Pranzi , cela eft vrai ; mais 
cela eft obfcur , c'eft une femme de fortune, 
cela n'a point de naiftànce, elle ne convient 
pas à un homme d'un certain nom , & il 
faut fur-tout ^n$ le monde garder les con- 
venances. L'homme de la cour le plus dé- 
{œuvré , le plus obéré même, fcroit encore 
blâmé, 8c à jufte titre, de élire un Dareil 
choix. J'aime Pranzi, dit Verfàc en raillant, 
il a des façons de penfer tout-à-fait nobles. 
En cfki ces femmes-là ne font bonnes qu'à 
ruiner, & loç(que, corpme lui, par exem- 
ple , ce n'eft pas cette idée qui détermine , 
il ne faut pas permettre qu'elles fe fefTenc 
une réputation à nos dépens. Afrurémênt , 
reprit madame de Lurfiy , elles ont g wa 
ton, & vous m'ouvrez le» yeux. Parbléi l 

ï 6 



IJl oc tt t K K f \ r r 

sTécna Verfac avec un air de dépit , c*eft un« 
chofe fmgulicre, oui, que la pcrfécutîoii 
de ces petites efpeces j encore avec elles n'eft- 
on pas Gxr du fecret j comme ce n'eft que par 
vanité quelles, vous recherchent , vous en 
êtes à peine aux pour-parlers , que votre 
affiire eft àuflî publique que fi vous aviez 
de quoi vous en faire honneur. Je fuis fur^ 
prifc , reprit madame de Lur&y , que vqus, 
qui n'avez jamais fu rien taire, vous vous 

Î plaigniez d'une indifcrétion que vous auriez 
i on ne l'avoit pas. Vous (avez le contraire, 
Marquifc , répondit-il j vous m*avez connu 
certaine affidre dont je ne difbis rien, & fur 
laquelle j'aurois bien voulu que vous n'eut 
fiez point parlé plus que moi. Réellement 
vous m'aviez déjà (ait tant de tracafièries , 

ue vous auriez fort bien pu vous di^nlèr 

!e me faire celle-là. 

Verfac , qui n'étoit venu chez madame de 
Lurfay que pour fê donner le plaifir de la 
mortifier, n'auroit pas manqué une occafiou 
où elle s'enferroit cl'elle-même, fi l'on ne fut 
venu dire qu'on avoit fervi. Réiblu de ia 
pourfiiivre , il commença par avertir en fe- 
cret madame de Sénanges, de qui il avoit 
pénétré les intentions, que madame de Lur- 
iky Êdfbit tout ce qui étoit convenable pour 
que nous fuffions bien enfèmble ; il ne dou- 
toit pas de Tufàge qu elle feroît de cet avis, 
& qu'au moins elle en redoubleioit (es aga- 
ceries. Ce ne fut pas tout , il pria Pranzi de 
vouloir bien traiter Emiliéremejot avec elle» 



I 



** \ 



ft: de faire tout ce qui fcroit poffible honnê-- 
tement , pour que je ne pufle pas doutcï 
qu^elle l'avoit autrefois bien traité. . 

Nous nous mîmes à table 5 je fis vaine-* 
ment ce que je pus pour être auprès de ma-» 
demoifèile de Théviile , ou pour éviter du 
moins madame de Sénanges , rien de tout 
cela ne me fut poflîble. Madame de Sénan- 
ges, dont la réfolution étoit prifè, me mit 
d'autorité cntr'elle & Verfàc , qui de fbn 
côté ne put parvenir à s'approcher de made- 
moifèlle de Théviile , que (k mère & ma- 
dame de Lurfay gardoient fbigneuiement 
contre lui. 

L'efprit qu'on emploie ordinairement dans 
le monde eft borné , quoiqu'on en dife î & 
ce ton charmant, qu'on appelle le ton de 
la bonne compagnie, n'eft le plus fbuvcnt 
que le ton de l'ignorance, du précieux & 
de rafïèdtation. Ce fut le ton de notre fbu- 
per ; madame de Sénanges Se M. de Pranzi 
parlant toujours, & laiflànt rarement à la 
raifbn de quelques-uns d'entre nous , & à 
l'enjouement de Verfàc , le temps de paroi- 
tre & de briller. 

Tout occupée qu'étoit madame de Sénai> 
ges de fon efprit , elle me faifbit des agacer 
ries fans ménagement j fbit que ce fut fà cou- 
tume de ne fe contraindre jamais davantage^ 
ou qu^elle le fit k deflèin de tourmenter mar 
dame de Lurlay, à qui je m'appcrçevois 
qu'elles ne plaifbicnt pas, d'amant moin^ 
jgue* j'avois eu e&t la fatuité de xjx'Y f ^^ec 



î 



ij4 Πtr r R 1! s 

un peu. Ce n'étoit pas que je ne fiiflc extrft*. 
mement prévenu contre madame de Sénan^ 
es ; mais j'étois comme tous les hommes 
Ju monde j qu'une conquête de plus, quel- 
que mépriiabie qu'elle puiilè être 3 ne laifle 
pas de flâner : d'ailleurs 3 î'imaginôis par là 
me venger de mademoifelle de Théville , 
que j'aflcdtois de regarder avec autant d'în- 
oiâerence que j^avois cru lui en remarquer 
pour moi. 

Pendant que ]t me livroîs aux ridicule^ 
propos de madame de Sénanges 3 mademoi* 
lèlle de Théville tomba dans une rêverie 
profonde. De teinps en temps elle me regar* 
coit, & quelquefois avec une forte de mér 
pris que je ninterprétois pas en bien y 8c dont 
de moment en moment je lui voulois plu$ 
de mal ; la feule chofè qui pût m'«i confb- 
1er, étoit le peu de cas qu'elle s'obflinoit 
toujours à faire de Verfkc , qu'un accident fî 
extraordinaire mettoit prefque hors de lui. 
Madame de Lur^ , tourmentée par la ja- 
loufie que lui caufoit madame de Sénanges, 
& par les propos indécents , équivoques & 
femiliers que lui tenoit M. de Pranzi, étoit, 
malgré fon attention fur elle-même , d'une 
triftefiè mortelle.Laperte de monccrur qu'elle 
craignoit de faire , vi réputation cruellement 
compromifè , & entre les mains de deux 
-étourdis , qu'elle voyoit conjurés contr'elle » 
qu'elle étoit forcée de ménager : pouyoit*â 
^e pour elle de fîniation plus afîSrufê ? 
- Jamais la converâdon m tounmt yen J^ 



miâiGmcCy que craignant d'en devenir l'obM- 
jet y elle ne fit fbn poilible pour la déranger ; 
mais k choie étoit difficile avec Verfac i iî 
malheur de ne pas plaire à mademoifeUe de 
Thëvillc lui donna de Thumcur , & toutes 
Us femmes en ibuf&irenc. 

Avez-vous oui parler y demanda-t^il y de 
la conduite de madame de *^^ , & en con- 
cevez-vous une plus finguliere ? avoir pris à 
ion âge , après avoir été dévore deux fois , 
le petit de *^^ ! Cela eft plaiCint, dit ma-* 
dame de Sénanges , & en même temps ttès^ 
ridicule , très-abfurde ; car enfin y après s'être 
retirée du monde avec tant d'éclat > il y fàU 
loit du moins rentrer par une aveature plus 
férieufc. Qui que ce fût qu'elle prît, dit ma-* 
dame de Tiiéville , )e ne vois pas qu'au fond 
elle en eût été moins blâmable. Oh ! par- 
donnez-moi , Madame , répondit Verlàc ; 
fur ces fortes de chofes y le choix ne laiffe 
pas d'être important. L'on efl quelquefois 
moins blâmée d'un magiflrat que d'im co- 
lonel , & pour une prude , par exemple ^ 
Vun eft plus convenable que l'autre j car & 
cinquante ans prendre un jeune hohune ^ 
c'eft ajouter au ridicule de la paflion celui 
de l'objet. Cefl qu'il y a 3 reprit madame 
de Sénanges y des femmes qui ne fàvent ce 
que c'eft que- fè refpeâer. .Oui , répondit 
Yeriac d'un ton ironique , & en la regar«^ 
dant, cela eft vrai, il y en a 5 & en venté 
les femmes..,. Oh ! point de thefes générai 

f^, imerrompit-elle, eUie» iopx tgu^ows e^ " 



4^ CE tî r.» nt \ 

droit de d^pl^dre. Et moi je foutîens le coH^ 

traire, reprit-il, ce font celles qui ne doivent 

îtfBiais ficher. Quoi ! répliqua-^t-cUe , fi votis 

dites , par exemple , que toutes les femme* 

ibnt faciles à vaincre, fi vous imputez à 

toutes les dérèglements dont quelques-unes 

feulement font capables , vous croyez que 

tQutes ne doivent pas s'en ofFenfêr ? Sans 

dpute, reprit-il, je le crois 5 plus encore, 

c'eft qu'il n'y a précifëment que celles qui 

font dans le cas de fe rendre promptement , 

qui n'aiment pas à l'entendre dire , & qui 

s'en plaignent/ Je penfè comme vous, dit 

madame de ThévUle ; une jfemme raifbn- 

nable ne doit point s'attribuer ce qui n'eft 

dit que pour.celle qui ne l'eft pas ; & pourvu 

que je ne me rende pas , moi , il m'cft fort 

îndiflBrent qu'on dife qu'aucune femme ne 

lait réfifter. Mais comptez-vous pour rien , 

Madame , dit madame de Lurfay , l'opinion 

que de pareils difi:our$ peuvent donner de 

nous ? En oui ! ajouta madame de Sénanges, 

& que, fur un auilî faux principe, un 

homme, en nous regardant feulement, 

croie que nous fommes fiibjuguées. Hélas! 

Madame , dit Verfac , c'eft qu'il en eft mal- 

heureufement tant d'excmtplés , qu'il y a plus 

de fottife à ne le pas penfer , que de fatuité 

à le croire. Eh 1 -que vous importe qu'on 

vous croie fubjuguée , lorfque vous ne l'êtes 

pas, répondit madame de Théville s que fait 

à votre vertu l'opinion d'un fat ; croyez-moi i 

Madame ^ pour peu qu^un homme vivcidaoi 



^X CKl^BTiroK , fît S. 10 

le monde , il Gut bientôt que les femmes ne 
font ni toutes vicieufes , ni toutes vertueu- 
ses, & Tcxpérience lui apprend aifément 
quelles font les exceptipns qu'il doit faire. 
Quand cela feroit vrai. Madame, lui dît 
madame de Lurfay, cela nous expofê-t-ii 
moins aux fottes idées d'un jeune homme 
qui , en attendant l'ufâge du monde & Tex- 
périence , commence toujours par mal pen- 
(tï de nous \ & qui quelquefois , reprit 
Verfac , avec Texpérience & Tufàge, ne 
trouve pas de quoi changer d'avis. En vé- 
rité , Monfîeur , dit madame de Sénanges , 
vous parlez comme quelqu'un qui n'auroit 
jamais vu que mauvaîfe compagnie^ Avant 
que de vous répondre la deflus, je voudrois 
bien , Madame , lui dit-il , que vous me 
diflîez ce que c'eft que mauvaije compagnie ? 
Eh mais l répondit-elle , ce font des femmes 
d'une certaine façon. Vous conviendrez aifé- 
ment 5 reprit-il , qtie votre définition n'cft 
pas jufte, puifqu'en me fèrvant du même 
terme , je puis rendre l'idée contraire , & 
vous, dire que des femmes d'une certaine 
fiiçon, font des femmes de bonne compagnie ; 
mais expliquons votre idée : par femme de 
bonne compagnie , qu'entendez- vous î font-ce 
les femmes venueufbs , ces femmes qui n'ont 
januis eu la moindre foibiefle à fè reprocher 3 
Sans doute ! reprit-elle. Sans doute ! s'écria 
Verfac ; quoi! vous mettez au même rang 
une femme notée par des aventures infâmes, 
$c celle qui rfaura eu qu'une foiblelTe, quc^ 



t)S (E tJ V R E f 

par (k façoii de penfcr , elle aura rendu reC* 
peâable ! Ah ! Madame , je fuis moins cruel : 
ce ne font pas ces femmes-là que fappelle- 
roîs mauvaife compagnie ; & fi vous les trou- 
vez telles, je conviendrai avec vous que je 
ne vois pas Bonne compagnie , puifqvie , de 
toutes les femmes que je vois , je n'en con- 
nois pas une qui n'ait été (ènfible , ou qui 
. ne le foit encore. Quand cela ne {croit pas, 
Moi^fieur, vous iie le croiriez point , reprit 
madame de Lurfày, & vous penfez fi mal 
de nous.... Il eft vrai , Madanie, inteirom- 
pit-il , il eft des femmes dont je penfe on ne 
peut pas plus mal , dont je regarde le ma- 
nège avec mépris , & auxquelles enfin je ne 
connois nulle forte de vertu y qui n'ont pas 
des Foiblefles , mais des vices ; toujours les 

Îjremieres à crier fur ce que l'on dit de leur 
exe, parce qu'elles ont toujours à couvrir 
leur intérêt particulier de l'intérêt général. 
Pour celles-là , fans doutç , le moindre trait 
eft cruel : elles perdent tant à être connues , 
Se dans le fond de leur cœur le fàvent fi- 
Irien , qu'elles ne peuvent fupporter rien de 
ce qui les démafque ou les définit. .Aînfi 
quaiid je dirai ; les femmes fi rendent promp^ 
tement , à peine attendent -elles qu^on tes en 
prie ; fi je fais un portrait défavantageux de 
quelques-unes , il me fera permis de croire 
^e celles qui s'élèvent contre, penfènt qu'il 
)k\Xi reflemble. Sans doute , Monfieur , die 
madame de Thévillc j & la colère fur ces 
ilom& 4e chofes, prouve feulement qii'oit 



y 



»E CnéBILLON^ FILS. Y^f 

peniè mal de foi-même. Eh bien ! Madame, 
dit Vcriàc en s'adreflant à madame de Sé- 
nanges , qui me faifbit des mines , conce- 
vez-vous à préfent pourquoi tant de femmes 
font fâchées , & pourquoi madame de Thé- 
ville ne l'eft point ? Tout ce que je conçois j 
répondit-elle, c'eft qu^il vous fied moins 
qu'à un autre de prier mal des femmes, & 
que le plus grand de leurs ridicules eft de 
vous traiter comme elles font. Ceft peut- 
être à cauie de cela , reprit-il en riant , que 
l'en ai fi mauvaife opinion. Ce qui m'outre 
de fureur, dit -elle, c'eft que ce ton de 
méprifer les femmes devient à la mode , & 
qu'il n'y a pas jufqu'aux auteurs qui ne l'aient 
pris. Il me tomba entre les mains, il y a 
quelque temps , une brochure détefbble oà 
nous étions traitées à faire horreur : auffi ne 
l'achevai-je pas : en vérité , dit madame de 
L urfay, ces mauvais petits livres-là devroient 
bien être défendus. Pourquoi donc. Ma- 
dame, répliqua Verfac ? les femmes font ce 
qu'il leur pïaiît 5 l'auteur en écrit ce. qu'A 
veut ; il en dit du mal , elles en difent de 
fon livre , elles ne fe corrigent pas , ni lui 
non plus peut-être ; jufqu ici je les trouve 
quitte à quitte. 

En activant ces paroles , on leva la table | 
Ver&c commençant à douter de la réudîte 
de (es projets , madame de Sénanges occu- 
|ée à poufler les Cens , & madame de Lur* 
y defefpérée des façons mal-honnêtes db 
M. 4e Pianzi, qui la prelToit alTez haut da 



î 



14© CE ty y n E « 

ïui rendre des bontés qui, di(bît-îl, liii Je- 
venoient plus néceflàires que jamais^ Quel- 
que chagrin que de pareils discours lui eau* 
wflèntj il n'^aloit pas celui de m^avoir vu 
répondre à madame de Sénanges , fur qui , 
malgré la contrainte qu elle s'impofbit , cUc 
jetoit de temps en temps des yeux d'indigna- 
tion & de mépris. Elle Tavoit entendu me 
parler {èntiment pendant tout le (buper y Se 
le plaindre de tout ce qu'il y ayoit de mieux 
en France allant chez elle , je n'avois pas en- 
core fongé à m'y j&ire préfènter. Elle la con- 
noiffoit trop pour ne pas (avoir que les com- 
pliments les plus limplcs avoieiit tou)ouxs 
chez elle un objet marqué : on m'avoit trop 
interrogé fur l'état de mon cœur, pour que 
cette curiofîté ne fut qu'indifférente. Ma- 
dame de Sénanges étoit vive, ne ménageoit 
rien quand il s'agiflbit d'une conquête nou- 
velle , cherchoit moins à toucher qu'à plai- 
re , & dilpenfoit volontiers de l'amour & de 
l'eftime , pourvu c[u*elle inlpirât des defîrs» 
Madame de Luriay n'ignoroit pas à quel 
point nous en fbmmes fuureptibles ; & mê- 
. me , en me fuppofant extrêmement amou- 
reux , elle ne doutoit pas que je ne me li- 
vrafïe pour le moment , du moins , à une 
femme qui fauroit malgré moi-même me le 
faire trouver, & m'y ramener plus d'une 
fois. La froideur que j'avois marquée pour 
elle depuis mon manque de reipeâ, le peu 
de {bin que j'avois pris de lui plaire, la com- 
pkiiànce que j'avois eue pour madame de 



SSCRElIttOK^FILS. 141 

Scnanges , tout lui faifbit craindre que je ne 
fuflc près de changer. Impatiente de con- 
noître mes fentiments , elle n'ofbit cepen- 
dant s^en inftruire. Au milieu de tant de 
monde , & qui lui étoit fi fiifpeâ: , le moyerl 
d'arranger un rendez-vous? D'ailleurs, com- 
ment, après ce qui s'étoit pafle entre nous , 
me le jpropofer (ans me donner d'elle les plus 
af&euies idées ? Heureufement pour moi > 
la décence l'emporta. Madame de Sénangès 
qui en étoit un peu moins fufceptible , & 
qui avoit vu que je ne m'aidois prefque pas , 
que les regards les plus marqués ne m'iilf- 
truifbient point , & qu'aux prières preflantes 
qu'elle m'avoit faites de la voir, je n'avois 
répondu que par des révérences, qui ne dé- 
cidoient pas ton état , ne fa voit plus com- 
ment me faire comprendre ce qu'elle çxpri- 
moit fî-bien. Il ne lui reftoit plus, pour me 
mettre au fait , qu'un mot ; mais toute irré- 
guliere qu'elle étoit , elle n'ofk pas le pro- 
noncer , (bit parce qu'elle ignoroit que je ne 
Ten preflai point , ou ce qui eft auffî vrai- 
fèmblable , parce qu'elle ignoroit que j'avois 
befoin de l'explication la plus claire. 

Nous avions épuifé à fouper ce qu'il y 
avoit de plus nouveau en médifànce : (ans 
cette refïburce , on (butîent difficilement U 
converfation ; & devant Verfac & madame 
de Sénangès la raifon ne pouvoir point pa- 
roître long-temps. Bientôt nous ne fumes 
plus que dire. Madame de Lurfay , que M. 
de Pranzi continuoit à impatienter , propofa 



a 



141 CB V V It I S 

de^jouer ; nous y confèntîmes. Se moi fur-tout 
ui efpérois que le jeu me meccrok auprès 
le mademoifelle de Théville. Le fort ne me 
jfèrvit cependant pas aurtî-bîen que je le de- 
firois. Madame de Lurfay , qui connoifïbît 
toute la mauvaife volonté de Vcriàc, & qui 
vouloit (è donner en fpe<Stacle devant lui le 
moins qu'il lui feroit pofGble , me mit avec 
madame de Théville > contre madame de 
Sénanges & contre lui, & fit une reprife 
d'hombre avec Hortcnfe & M. de Pranzî. 
Dans le chagrin que j'en eus , je penfài rom- 
pre la partie que je venois d'accepter. Pour 
m'en dédommager du moins, je me plaçai 
d« façon que j'avois mademoiîèlle de Thé- 
ville en face : pénétré du plaifîr de la regar-^ 
der , je ne fus pas un inftant cèrque je fàiiois. 
Occupé d'elle lans relâche, je ne m'attachois 
qu'à (es mouvements. Nous nous furpre- 
nions quelquefois à nous regarder ; il fem- 
bloit que nous euflîons le même intérêt à 
démêler ce qui (è paflbit dans nos coeurs, 
La triftcflè où je la voyois plongée , m'en 
caufoit à moi-même , & les reflexions qu'elle 
me faifbit faire , me donnèrent des diftrac- 
tions fi fréquentes , que Verfàc , qui crat 
qu'elles avoient madame de Lurfay pour 
principe , ne put s'empêcher d'en rire , Se 
de les feire remarquer à madame de Sénan- 
ges, qui en hauflfa les épaules de pitié , fans 
cependant en rien diminuer des efpérances 
qu'elle avoir fondées fur ma perfonnc. 
Le jeu ne nous intéreflbit pas allez pouC 



f>E CRÉBTLtOir, yitS. X4f 

nous tenir dans le filence. Verne & madame 
de Sénanges donnoient de temps en temps 
carrière à leur humeur médifante ; ce qui , 
joint à mon peu d'application , impatientoit 
madame de Théville qui aimoit le jeu , 
comme une femme qui n'aime point autre 
choie. Verfàc chantoit entre fès dents des 
couplets nouveaux & fort méchants. Ma* 
dame de Sénanges , que la calomnie amu- 
ibit , (bus quelque forme qu'elle fè préfèn- 
tât , les demanda à Verfac , qui répondit 
qu'il ne les avoit pas , & qu'il étoit aflèz 
malheureux pour ne les favoir que par (îrag-» 
ments. Je les ai. Madame, lui dis-je, & 
fur le champ je les lui offris. Elle s'opiniâcra 
poliment à les refiifcr , & me pria feulement 
de vouloir bien les lui faire copier. Je lui 
promis de les lui envoyer le lendemain ma- 
tin. Les envoyer ! dit Verfac , d'un air d'éton- 
nement , vous n'y pcnfêz pas l Ne voyez- 
vous pas bien, ajouta-t-il tout bas, qu'on 
ne vous les auroit point demandés fi Ton 
n'avoit pas cru que vous les porteriez vous- 
même ? Cefl la règle. N'efl-il pas vrai , de- 
manda-t-il à madame de Sénanges, on porta 
foi-même ces fones de bagateUes ? Cela eft 
plus poli , répondit-elle en fouriant ; mais 
je ne veux pourtant pas le gêner. Je fentis 
bien que par cette démarche , madame de 
Sénanges vouloit me faire entrer en com- 
merce avec elle ; mais ne pouvant l'éviter 
ians une impoliteffe impardonnable , je pris 
le parti de me foumcttrc à la déciiion de 



Ï44 (B tr V n K f 

Verlac , & de dire à madame de S^nange$ 
que îe lui porterois le lendemain les vers 
qu*elle founaitoit, puifqu*elle vouloit bien 
me le permettre. Elle parut contente de 
Taflurance que je lui en donnois; & Ver(àc, 
qui mettoit û-bien les af&ires en train pour 
tourmenter madame de Lurfiiy , en fut, je 
crois , encore plus charmé que madame de 
Sénanges. 

Nos parties finirent peu de temps après > 
à l'extrême fatisfedtion de madame de Lur- 
fliy quia pour tâcher de détourner Verfàc, 
s'étoit (acrifiée, non -feulement en jouant 
avec un homme qu'elle déteftoit, miais en- 
core en me laidànt expofé aux empreflèments 
d'une femme qui devenoit ouvertement Gl 
rivale. 

Cependant le temps de^ibrtir de chez 
madame de Lurfay approchoit. J'allois per- 
dre mademoifcUc de Théville 5 & près de 
la quitter , je fèntis combien je denroîs de 
la revoir. Ce bien , alors Tunique de ma vie » 
je ne voulois plus , s'il (è pouvoir , attendre 
que le hafard m'en fît jouir. Sans Téloigne- 
ment qui étoit entre madame de Théville 
& ma mère , il m'auroit paru facile de me 
procurer un accès chez elle j mais retenu par 
cette conlîdération , & craignant que niadame 
de Théville ne reçût pas convenablement 
pour moi la prière que je lui fçroîs de mè 
permettre de la voir , je n'ofois la hafàrder. 
Je m'étois approché de mademoiièlle de 
ThéviUe i & prenant pour texte de h 

converiàtlonj 



\ 



»K Crebiiioï», riLt. t4i 

eonyerfàtion,lareprifequ'ellevenoitdcfeire, 
'! a^nandai comment le jeu l'avoit trai- 
tée? Aflezmal, me répondit-elle froidement. 
Je n y ait pas été , repris-je , plus heureux 
que vous. A la façon dont vousjouycz . ré- 
pliqua-t-eUe , il auroit été difficile que vous 
euffiez fixe la fortune; & fi je ne me trompe. 
je vous ai entendu reprocher vos diftradions. 
vous u avez pas été j)lus attentive , lui dit 
alors madame de Lurfay , & je ne crois pas 
quevous ayez^té un moment à votre jer. 
^clt repondit- elle , en rougiflànt, que 
r°£?bfe m'ennuie. Je ne fais , dit madame 
ae rhevUle, mais je lui trouve depuis quel- 
que temps un fond de triftere qui m'alannc. 
& que rien ne peut diflîper. Elle aime ttoi 
fa fohtude , dit madame de Lurfay , & je 
veux que demain nous prenions enfembfc 
des ttiefutes pourla diftraire. Les plaiiîrsde 
ma confine m'intértlfent auffi , dis-fc à demi- 
bas à madUme de ThéviUe; s'il me vS 
quelques idées , voudrez-vous me penncttnî 
d aller vous en fkire paît chez vous > Je «e 
vous crois pas excellent pour le confe3 , tel 
pond,t-ae en riant 5 mais il n'impc^^ 
Monficur vous me forez plaifir. En œ cas 
me dit madame de Lurfa/, mais d'S. S« 
tort bas , fi vous voulez vous rendre ici de, 

*ez Madame J acceptai avecttanfport cete 
Propohtion , fi chaimé dcl'efpéranaede vo r 
le lendemain ce que j'adorois , que je ne fis 
•MCi;ne réflevion , ni fiir fc lieu d» rendcz- 



ï4< (E r V a E $ 

vous , ni fur le véritable objet qu'il poav(»t 
avoir. 

Pendant que je me félicîtois de m*êtrc 
procuré un bpnheur qui m'étoit f i néceflaire > 
Tcrfàc , tout indilpofé qu'il étoit contre 
inademoifelle de Théville , lui parloir fur la 
inélancolic , & fur les moyens de la détruire. 
Quoiqu'il traitât aflèz fagement cette matière 
avec elle , il ne put en obtenir que des ré- 
ponfes froides , Se qui ijiarquoient pofitivp- 
nient le peu de cas qu'elle fàïîbit de lui. Trop 
vain pour- témoigner tout le dépit qu'il en 
^eflentoit , il fut cependant aifez lenfiblepour 
ii'y paroître pas indifférent ^ & je le voyois 
rougir malgré lui du peu d'attention que 
l^on marquoit pour fes >charmes. Cette con- 
quête étoit en effet trop flatteufè pour en 
perdre l'efpérancc fans i;egrec. 
. Plaire à une femme ordinaire > la voir 
pafler des bras d'un autre dans les iiens, 
c'étoit un triomphe auquel il étoit accoutumé > 
& qu'il partageoit avec trop de gens , pour 
que ià vanité en fi^t contente. Dans ce grand 
jnpmbre de femm.e$ , qui toutes briguoient le 
bonheur de fixer un moment; ics. Regards , 
j)èut-être n'en avoit-il pas trouvé une qui 
put flatter fon orgueil ; femmes perdues ae- 
puîs long-temps de réputation y-& qui vou- 
loient finir par lui ; femmes infcnfées donc 
im homme à laxnode, qwclqu'ilfoit, mérite 
les hommages ,, & qui fe cendeint, à fes agrc- 
xnents moin& encore qu'au: plaiiir d'entendre 
dire quelque tejnps. qu!eJIcs lui appanien* 






:^ s C A É 1 1 1 £ ir 3 r T I r. f4|r 

lient ; plus couchées de s'être procuré une 
aventure qui les déshonore à jamais , que des 
plaifîrs d'un commerce feoret qui né feroi|p 
point parler d'elles ; voilà ce qu'il trou voie 
tous les jours. Objet de la fantaide de toutes 
les femmes , ne régnant (ur le cœur d'au-* 
cunc , & lui-même indiffèrent pour toutes ^ 
il cédoit à leurs defirs (ans les aimer , vivok 
avec elles fans goût , & les quitte^ fans les 
connoître plus que quand il les avoit prifès ^ 
pour fè donner à d^autrcs qu'il ne connoî^ 
troît ni n'eftimeroit davantage. 

Ce n'étoit pas que de quelques attraîta 
que mademoifelle de Théville fut pourvue ^ 
elle pût infpirer de l'amour à Vcrfàc j U 
n'étoit point iàit pour connoître ces mou-* 
vements tendres qui font le bonheur d'uit 
coeur fènfible : msûs celui de mademoifelle 
de Théville étoitaufïî neuf que fes charmes^ 
& {ans chercher à le rendre heureux , il au- 
roîc voulu fè le fbumettre. Comme on nci 
hû avoir jamais réfiflé que par coquetterie ^ 
il vouloir^ une fois du moins, s'amuferdif 
fpeâacle d'une jcmie perfbnne vaincue fans 
le {avoir , étonnée de fès premiers foupîrs ^ 
toute entière à l'amour quand elle croit 1» 
combattre encore ; qui ne refpire , ne penfè ^ 
n'agit que pour fbn amant , Sç pour qui rien 
n'eft plaifîr , peine & devoir que tout ce q}$i 
tient à (a pafiion. 

La conquête de mademoifelle de ThévillQ 
n*auroît , uns doute , toute brittance qu'elle 
c|:oit y facisËût que l'orgueil de VerCic qui ^ 



p. 



T48 (E V T K fi s 

quoiqu'il n'aimât rien , imagînoît pourtanc 
du plaiifir à être tendrement aimé ; plaiTir 
qu'il n'ëtoit pas aflèz dupe pour chercher 
chez les femmes qu'il honoroit de (es feveurs. 
Il avoir compté mr les bontés de madcmoi- 
(cUc de Théville , & ne pouvoir concevoir 
ce qui lui procuroit un délagrément qu'il 
li'avoit jamais éprouvé. 

Las dit personnage qu'il jouoit ^ il fè dé- 
termina à prendre congé de madame de 
Lurfky. Il étoit tard , & nous en fîmes tous 
autant. Je ne doute pas qu'elle ne fbuhaitat 
ue je reftafle \ mais il n'étoit pas queftion 
'Imaginer des expédients devant Verfac, 

aui joîgiioit alors à fà finefle naturelle , le 
e(ir de lui donner des travers. Madame de 
Sénnnges me fupplia , en me quittant , de 
ibnger aux couplets que je lui avois promis; 
Ce Verfac , qui lui donnoitla main , la pria 
ironiquement de n'être pas inquiète fur une 
âf&ire dont il fàifbit la henné. M. de Pnuizt 
donnoit la main à nudame de Théville > Sc 
}e ne voyoisque moi pour conduire Honenfe. 
Je lui présentai la main ; mais fc n'eus pas 
£*tot touché la fienne , que je fèncis toat 
mon corps trembler ; mon émotion devine 
6 violente , qu'à peine pouvois-je me (bu- 
tenir. Je n^ofai ni lui paner » ni la regarder , 
ic nous arrivâmes tous deux à (on cartoffc, 
en gardant le plus profond filence. Veriàc 
l'y attendoit pour lui i&ire la plus firoide ré« 
vérençe qu'if put imaginer : ce qu'il fit , je 

cioi$a pour lui xaarquer combien il àM 






I 



mécontent de fa conduite, ou pour lui proU* 
ver de rindifférencc. Madame de Sénangcs 
m'accabla encore de (es cruelles agaceries , 
comme mademoifelle de Théville de fà froî^ 
deur ; elles partirent , & je me hâtai d'auiant 
plus de les iuivre , que je craignois qu'il ne 
prit un remords à madame de Lur{ày. 

Je paflè fur les (èntiments qui m'occupe^ 
rent cette nuit-là. Il n'y a pas d'homme fur 
la terre alïcE malheureux pour n'avoir ja* 
mais aimé » 8c aucun qui ne (bit par confé-» 
Quent en état de Ce les peindre. Si la vanité 
leule avoit pu (àtisfàire mcMi coeur , il auroit 
uns doute été moins agité. Madame de Se-» 
nanges y toute occupée du foin de me plaire ; 
madame de Luriày y de qui je n'avois plus 
de délais à craindre , me mettoient dans une 
fituation brillante ; la première (ur-tout , qui » 
fi elle ne s'attiroit plus par (es charmes l'at-^ 
tention publique, fè la con(èrvoit toujours 
par de nouvelles aventures^ Peu fiatté de me 
voir en même temps l'objet des vœux d'une 
prude & d'une femme galante , le cœur qui 
ièmblok fe refufer à mes defirs , étoit le kul 
qui pût remplir le mien. Témoin de la trit- 
teflè d'Hortenfc , & de Gi froideur pour moi , 
à quoi pouvois-je mieux les attribuer qu'à 
une pamon fecrete ? Les premiers (bupçons 
que j'avois portés fur Germeuil , (è réveillè- 
rent dans mon efprit ; à force de m'y arrê- 
ter , ils s'accrurent. Je crus avoir vu mille 
choies qui d'abord m'avoient moins ftappé ^ 

G j 



X 



^J# CE tJ V K. É s 

ic qui toutes me çonvainquoient de leut ar- 
deur mutuelle. 

Je fus incertain le lendemain fi je dirois 
à madame de Meilcour que î'avois vu ma* 
dame de ThéviUe« Je craignoû que Tanti- 
pathie qui les dédmifibit ^ ne la portât à me 
défendre de la voir. J'étois fi fur en ce cas de 
jkii défbbéir , que f aurois voulu ne m'y pas 
cxpofèr. Il pouvolt être plus dangereux dé 
lui dérober mes démarches , eUe n'auroit pu 
les ignorer long-temps , & le myftere que 
je lui en ferois^ ne ierviroit peut-être qu'à 
les lui faire obfèrver avec plus de foin. Je 
crus donc que le pani le plus fàge , non-fèu- 
lement pour mon amour , mais encore pour 
rendre à madame de Meilcour ce que je loi 
devois , étoit de ne lui rien cacher. J'entrai 
chez elle , èc en lui racontant , comme une 
chofè indifférente > ce que j'avois fait la veille, 
je lui dis que )^vois vu madame de Théville. 
Ce nom , que j'ofbis à peine lui prononcer, 
ne lui caufa pas le mouvement que je crai- 
^ois \ elle me répondit froidement qu'elle 
ne croyoit pas que madame de Théville fut 
à Paris. Madame de Lurfay , qui fait que vous 
n e l'aiipez pas , repris- je , a craint , fans doute , 
de vous en prier. Ce n'étoit rien de fâcheux 
àm'apprendre que fbn retour, répliqua-t-ellej 
l'éloignement qrf nous avons l'une pour l'au- 
tre ne nous rend pas ennemies. Vous nedefap- 
prouverez donc pas , lui dis-je , que je la voie. 
Au contraire ^ répondit- eUe> elle a. trop 



©> CtiiBîtt'à^y fils. 't^V 
de venus pour que fon commetce ne vous 
toit pas innniment utile. Mais , ajouta-t-ellô , 
on m'a dit que fa fille étoit belle ; l'avez- 
vous vue ? Comment la trouvez- vous ! 

Je fils fi embarrafle de cette qùeftion , toute 
fimple qu'elle étoit , que je pcn&i lui répon- 
dre que je n'en {avois rien. Je ne me remis 
de mon trouble que pour m'en préparer uh 
autre. Obligé de dire ce que je penfois dfe 
'mademoifèUe de Thévillc , l'amour me diâta 
foii éloge* 

Si je l'ai vue ! Se comment je la trouve , 
m*écriai-jc ! Ah ! Madame , vous en feriek 
enchantée. Sa figure ^ (on maintien , fon et 

Îjrit , tout plaît en elle , tout y attache. Ce 
ont les plus beaux yeux ! les plus tendres i 
les plus touchants i fi vous l'aviez feulement 
vu fourîre. . . ! 

Vous la louez vivement , interrompît-elle ^ 
& vous aimeriez mieux , à ce que je croîs , 
vivre avec elle , que moi avec fa mère. Je 
ne nl'apperçus que dans cet înflant que j'eii 
àvois trop dit. Madame , lui répondis-je aveè 
une émotion qu'en vain je voulois contrain- 
dre , je vous l'ai peinte telle que je l'ai Vue , 
Se peut-être encore moins bien qu'elle n'eft ; 
je vous avouerai cependant que je ne me (îiis 
pas trouvé de difpofition à la haïr. Je ne (ba- 
naite pas , dît-elle , que vous la haïffiez j mais 
ïe voudrois que fcs charmes vous fiflènt moinî 
d'impreffion qu'ils ne me paroiflent vous ert 
feire. Eh ! que vous importcroit , Madame, 
quand je i'aimerois y répondis-je , avec ViÙ 

G4 



Ifl - ΠXJ V H 1 s 

ioupir qui m'échajppa malgré tnoi ? Eh ! fi 
vous ne l'aimiez, cJéyà , répllqua-t-elle , (es 
Icntiments vous occuperoient-us2 Quoil Ma- 
dame , repris-je , pourrie:^--vous penfer qu'en 
un moment que je l'ai vue , elle eut pu m'inC- 
pirer de l'amour > Elle cft belle ; & vous êtes 
jeune , répondit ma mère ; à votre âge , les 
coups de foudre font à craindre , & moins 
on a d'expérience , plus on s'engage fecilc- 
ment. Mais, Madame, lui demandai-je^ 
iêroit-ce un fi grand mal que je Taimaflè ? 
Oui , répondit-elle froidement , c*en feroit 
un y puiique cette paflion ne vous rendroit 
jas heureux. Peut-être , répondis-je , mes 
craintes fur fbn indifférence pour moi fbnt- 
/clles fans fondement ? Je ferois bien fâchée 
que cela fut , dit-elle 5 & fà fènfibilité pour 
vous ne vous rendroit que plus à plaindre. 
Je fuis bien aifè de vous apprendre que j'ai 
des vues fur vous , & qù'efles n'ont pas ina- 
demoifelle de Théville poyr objet 5 elle n'eft 
pas faite pour occuper votre caprice , & je 
ne vous confèille pas , encore un coup , de 
lui rendre des foins bien furieux. Je me flatte , 
ajouta-t-elle , que je puis encore vous parler 
là dcffus , & que vous n'avez pas afïèz engagé 
votre cœiur pour vous faire une peine des' avis 
que je vous donne. Madame , repris-je ( en 
prenant tout fur moi pour ne lui pas montrer 
ma douleur ) , je ne vous ai parlé de made- 
moifeUe de Théville que par la néceflîté oà 
vous m'avez mis de répondre à vos queftions. 
Je l'ai trouvée belle ^ il ef); vrai 3 mais on ne 



DE C^i^tltOlfi WÎZX ï/5 

devient pas , du moins je le crois , amoureux 
fie tout ce qu'on admire. Je tai vue fans émo-i- 
tion , & je la reverrai fans péril pour mon 
coeur. Vous êtes cependant , Madame , ajou-" 
tai-je y maîtrefle d'erdonner de mes démar- 
ches , & je renonce à la voir jamais , fi vous 
croyez que je le doive. 

Mon air tranquille en iînpofà à madame 
de Meîlcour^ qui d'ailleurs m'aimoit trop 
jpour qu'il me fut difficile de la tromper. Non , 
mon fais, répondit-elle, voyez-k, quel que 
(bit le but clu commerce que vous vouliez 
lier avec elle y qu'il ait Tamour pour objets 
qu'il n'en ait point du tout , dans aucun de 
ces cas je ne dois ni ne veux vous contrain- 
dre. Mes ordres , fi vous l'aimez , ne détrui- 
ront pas votre paflSon j & fî vous ne l'aimez 
point , je ne fuis pas afièz ridicule pour vous 
en faire naître le dcfir en vous interdifant fà 
vue. Cette converfàtion tourmentoit trop mon 
cœur pour chercher à la continuer , & je pris 
congé de ma, mère pour aller cliez madame 
de Lurfay , qui devoit me conduire chez 
Hortenfe* 

Je réfléchiffois fur tout ce qui s'oppofbic 
à mon amour, & moins je lui voyois d'ef- 
pérance d'êcrc heureux , plus je le fentois ! 
s'affermir dans mon cœur. Un rival à qui je 
ne croyois plus rien à defirer i une mère qui , 
fur un fîmple (bupçon , venoit de fè décla- 
rer contre moi i une femme dont j'allois blef^ 
fer la paffion ou la vanité , choie également 
dangereufc> rien oe m'arrêta. J'entrai chez • 

G; 



ï f 4 . (E u V 1^ E s 

madame de Lurfày , rempli d'Hortenfe, & 
peu dilpofë à me (bu venir de ce qui s'étoit 
pafle la veille avec la première , que , depuis 
mes fbupçons fur M. de Pranzi , je mcpri- 
ibis plus que jamais. 

, Malgré toutes les menaces qu'elle m'ayoir 
faites de prendre des précautions contre moi, 
je la trouvai Icule ; elle me reçut comme on 
reçoit quelqu'un avec qui l'on croit avoir tout 
terminé, avec tendrefle & familiarité. Ma 
froideur, car je ne me prêtai à rien, rcm- 
barraiïa : des révérences, du refpeék , un air 
morne ; quel prix , & de ce qu'elle avoit fait 
pour moi , & des bontés qu'elle me prépa- 
roit encore ! Comment accorder auflî peu 
d^amour & d'empreflèmcnt avec les tranf- 
ports que je lui avois montrés. Elle fe croyoit 
^n droit de s'en plaindre, & ne Tofoit ce- 
pendant pas faire. Elle me regardoit avec 
4es yeux étomiés , & cherchoit vainement 
4ans les miens l*ardeur que )e femblois 
l^ji avoir promijfè. Interdit & plus contraint 
que jamais , j'étoisauprès d'elle, moins com- 
me un amant qui eft encore à ^vorifcr , que 
c^mime un qui le lafle de l'être. Je ne lui avois 
dit en entrant, que des choies communes: 
jargon d'ufàge, prblcrit entre deux pcrfon- 
nés qui s'aiment. Outrée d'un procédé fi 
peu convenable , ne l'ayant pas mérité de ma 
part,, elle (e rappelle madame de Sénanges,, 
& ne douta point qu'une indîflféraice fi fii- 
bite ne fut caufëe par un nouveau goài qui 

Htt décoboic à &l \fisdB^^ Ceae idée> q^ 



î 



» Ë C R E *B 1 1 i. Ô ÎT , F ï î i. ï$f 

h'étoît pas fans fondement , la pénétxa de 
douleur : elle voyoit une femme fans mœurs^ 
fans jeuneflc , fans beauté , lui enlever eu 
ùh jour le fruit de trois mois de ibing: &^ 
dansqueltemps encore, & après quellesefpé- 
rances ! lorfqu'elle pouvoît le croire fîire de 
mon coeur ; qu'elle avoir vaincu fès fcrupules , 
& qu'enfin j avois furmonté mes préjugés. 
. Je m^pperçus aifément , quoiqu'elle gar- 
dât le fîlence , de Ion mécontentement & 
de fa douleur ; mais je ne (àvois que lui dire. 
L'idée d'Hortenfè & lesdifcours de ma mère 
me rempliflbient tout entier, &melaiflbienc 
Jeu de pitié pour les maux que je fàiibia 
ouffrir à madame de Lurfay. Ennuyé ce-* 
pendant d'être fi long-temps fèul ^vec clle> 
je pris mon parti. Madame , lui demandai- 
je , ne devions-nous pas aller chez madame . 
de Théville ? Oui , Monfieur , répondit-elle 
fechement , je vous attendois ; je commen- 
çois même à croire que vous aviez oublié 
que je devois vous y conduire. Je n*ai pas „ 
repris- Je , d'aulïî ridicules diftraélions. Vous 
avez cependant, répohdit-efle , un ai&z beau 
fujet d'en avoir , & je crois qu'il n'y a que 
madame de Sénanges que vous ne puîmea 
plus oublier. » 

Cène madame de Sénanges , qti'ofi m'ac- 
cufoit de ne pouvoir plus oublier , exiftoit 
pourtant fi peu dans ma mémoire , que je ne 
me fbuvinsque dans cet inftant;> de la vîfitc 

Qu'elle ïn'avoit engagé à lui faire,., ta jaloufîc 
e ma(^e de Luriky ne xue déplut poinF> 

G 6 



t$6 Πr T R B f 

îl m'împoîtoît qu'elle ne découvrît pas quel 
ëtok le véritable objet de ma paffion , & je 
vis avec joie madame de Scntoges devenue 
celui de fes craintes. Le plaifîr de la voir (c 
tromper, me fit fourire malgré moi. L'in- 
différence avec laquelle je recevois l'efpece de 
reproche qu elle me faifbit , la jpiqua fenfi- 
blement : vous avez aflorément rait un beau 
choix , continua-t-elle , voyant que je ne lui 
répondois rien , vous ne pouvieas^ pas: débuter 
anieux ; cela eft refpeârable & doit vous faire 
honneur. Je ne (àis , Madame , répondis-jc 
froidement , de quoi vous me parlez. Vous 
ne (avez l interrompit-elle d'un air railleur ; 
cela eft fingulier. J'aurois cru , quoique votre 
défaut ne fbit pas de deviner aifément , que 
vous ne, vous tromperiez pas à ce que je 
veux vous dire , &: vous ne^vous y trompez^ 
pas non plus. Mais fi vous aviez réfolu d'être 
difcret aujourd'hui , il falloit hier vous y 

Jjréparer mieux , & ne pas découvrir à tout 
e monde l'important fecret^e votre cœur. 
Après tout , » madame de Sénanges n'exige 
pas tant de myftere, ù. vanité veut un 
triomphe public , & vous la fervirez bien 
mal fi vous lui gardez le fecret. Vous me 
mettez mieux avec madame de Sénanges que 
je fbuhaite d'y être , Madame , répondis- 
Je , & je doute auffi qu elle m'honore d'un 
fentiment particulier. Vous en doutez, leprit- 
clle 5 , j'aime votre modeftie ; vous n'en pa- 
roiilîez pas hier fi rempli , & vous lui ré- 
|K)ndî(es cçxxune quelqu'un qui avoir pénétré 



DE CnéBILLOM, f IIS. 157 

lès intentions. & qui ne s'éloignoit pas de 
s'y conformer. Je ne fais^ répUquaî-je , quelles 
font fur mon compte lès intentions ; mais 
j'ai cru pouvoir répondre à fes polittflès , 
fans que ce fut pour vous matière à rcpro- 
chc$. A regard des reproches , reprit-elle 
vivement , je ne me crois point en droit de 
vous en feire ; l'amour ici pourroit (eul les 
autorifèr ; mais Tamitié peut donner des avis j 
& fi vous imaginer davantage , vous m'en- 
tendez mal 'y au furplul^ vous me permettrez 
de vous dire que la politeffè n'exige point 
qu'on fefle des mines à quelqu'un. En vé- 
rité ! Madame , m'écriai-je , j'ignore ce quç 
c'eft qu'une mine , & vous le j(àvez bien. 
Madame de Sénanges a eu fans doute des 
attentions pour moi j mais je n'y ai dû re- 
marquer rien de ce defir de me plaire que. 
vous lui attribuez : fî en effet il exifte , c'eft' 
un fècret qu'elle s'eftréfervé & qui n'a point 
pa(ïe jufques à moi. J'ai répondu à ce qu'elle 
m'a dit , mais elle ne m'a parlé que de chofes 
générales , dont , quand je l'aurois voulu , 
je' n'aurois pu , (ans être un fat _, à ce qu'it 
me femble , tirer de confèquence particu- 
Eere. Vous favez vous-même que nous ne 
nous fbmmes pas parlé en fècret. Sans fe 
mrler en fectct, interrompit -elle , il y a 
mm des chofes fur lefquelles on peut s'ar- 
ranger ; & vous ne vous en êtes pas moins 
donné un rendez-vous. J'ai promis fimple- 
ment , répliquai-je , de lui porcer des coa- 



ï$î CK tf V k B s 

Jplets qu'elle avoît envie d'avoir , 8f je ne 
crois pas qu*en aucun fens cela pùiffe s*ap- 
J)eller un rendez-vous. S'il né l'eft pas , re- 
prit-elle brufquement , il le deviendra 5 maii 
he pouviez-vous pas lui laiflèr chercher ce» 
Vers ? étoit-il néceflaire de vous vanter de 
les avoir ? Je n'ai fait pour elle * r^pondis-je , 
que ce que j'aurois fait pour tout autre; &; 
fans M. de Veriac, qui m'a engagé à les lui 
porter chez elle malj^ moi , je ferois quitte 
aujourd'hui de cettevifite , qui me procuré 
une querelle de votre part. Une querelle > 
dit-elle en haufïant les épaules l cette expret 
fion me paroît finguliere. Eh ! non , Monfieur , 
îfe ne vous faits point de quéreÛe j je vous 
Fai dit , je vous le répète , ayez donc la bonté 
de m'en croire : je mets fort peu de vivacité 
dans ce que je vous dis. En effet , que m'im- 
porte i moi que vous aimiez madame de 
Sénangcs ? n'êtes- vous pas le maître de vous 
donner tous les ridicules qu'il vous plaira ? 
Des ridicules l repris- je; & à propos de quoîî 
A propos de madame de Sénanges feulement, 
répondît-elle; on partage toujours le déshon- 
neur des peiibnnes à qui l'on s*attachie; un 
inauvais choix marque un mauvais fond , 
& prendre du goût pour uhefismme coriimè 
madame de Sénanges, c'eft avouer publTquc- 
ment qu'on ne vaut paç mieux qu'elle ; c'ett 
ie dégrader pour toute la vie. Oui , Monfieur > 
ne vous y trompez pas , une fàntaifiè palïè ^ 
niais la hoacé en eft éternëlk , ^uahd iVbiçf:' 



&B CRiBlttÔK, FIL s. t/^ 

en a été méprifable. Nous fortirohs à prëlènt 
quand vous voudrez , ajouta-t-dle en fè 
levant , je n'ai plus rien à vous dire. 

Je lui donnai la main 5 elle mârchbit fané 
me regarder , & je m'apperçus qu*eUc avoir 
fur le vifàge des marques du plus tendre dé- 
pit. En effet , quoi de plus mortifiant pour 
tUe , que ce qui venoit de fe paflèr entre 
nous deux ! pouvois-fe me défendre avec 
J)lute de froideur, & d'une façon plus inful- 
tante ? efl-ce ainfî qu'un amant fc juflifie t 
Elle avoit trop d'elprit , trop d'ufage , îk en 
même temps trop d'amour pour ne pas ièn- 
tir vivement ce qu'il y avoit d'afïreux pour 
elle dans mon procédé. Jamais elle ne m'a- 
voit mieux montré ûi tendrefïè , & jamais 
îe n'y avois auffi mal répondu. J'avois connu 
qu'elle me fàîfbit des reproches y nous étions 
lîîuls > & je n'étois pas tombé à (es genoux ; 
]c li'avois pas feit de ce moment le plus heu- 
l'eux des miens -, je la liifïbis Ibrtir enfin : 
îgnoroîs-je donc le prix d'une querelle } 
• Je ne ùds fi elle fit ces réflexions , mais 
die monta en carroflè d'un air qui m'aflura 
qu'elle étoit infiniment niécontentc. Se qUe 
xien de gracieux ne lui rempliflbit l'eiprir» 
Je me plaçai auprès d'elle avec autant d'aflîi- 
rance que fî elle eût eu tous les fujets du: 
xhonde de fe louer de moi. Je vis pourtant 
Ken qu'elle étoit fâchée ; mais loin de lut 
ftire là defïus la moindre politefïe, îe ne? 
m'occupai que de Inon objet. J'avois réfola' 

às k&ttc Imii à laxéumotx de oàadajoxe dm* 



y^ 



i6o 1R V y TEL JS S 

Thé vUle & de ma mère î Se (ans examina ^ 
ce moment étoit favorable , je ne voulus point 

Erdre Tociiafion de lui en parler. Ma mere> 
i dis- je , {ait que madame de Théville ed 
à Paris , que je Tai vue chez vous. Madame, 
& que vous voulez bien m'y préfenter au- 
jourd'hui. Elle ne me répondit rien. Ma- 
dame, continuai -je 9 intime amie d'elles 
deux comme vous Têtes, \c fuis furprisque 
vous n'ayez pas encore pu gagner fur elles 
de & revoir , & d'autant plus que madame 
de Meilcour ne me paroît pas s'en écarter. 
Je ne crois pas, répondit-elle, fans me re- 
garder, que madame de Théville refîiflt 
de fc prêter à ce que je lui propofèrois là 
dcflus ; j'en ai même eu Tîdée plus d'une 
fois , & je me flatterois d'autant plus aif^- 
ment d'y réuflSr , que je fais qu'elles s'efK- 
ment mutuellement. Je puis répondre pour 
ma mère, repris-je , qu'elle ne fe fènt auouie 
averfion pour madame de Théville > & je 
ne puis concevoir ce qui les éloigne l'une de. 
l'autre. Des goûts difôrents forment afièz 
ibuvent cet éloignement , répondit-elle ; nous 
vivons ordinairement plus avec les gens qui , 
nous plaîfènt , qu'avec ceux que nous efti- 
mons. Madame de Théville, avec beaucoup 
de vertus , n'efl point douce s l'inflexibilité ' 
de fbn cara<âere fè retrouve par-tout dans 
la fbciété ; il faut la connoître extrêmement ' 
pour Taimer, parce que les qualités de fbn 
ame ne fe développent pas d'abord , & 
qu'elles foiit cachées fous une dureté ap^-^^ 



l>is CriSbtixok, vus. iffi 

tente qui révolte aflèz , pour qu'on ne cher- 
che pas fi Ton peut en être dédommagé» 
Madame de Meilcour, douce, prévenante. 

Jolie , née avec autant de vertus, mais avec 
es dehors *plus agréables , n'a pu s'accom- 
moder de l'air impérieux de fa confine , ôc 
uns fe haïr, elles ont depuis long -temps 
ceflc de fe voir. Je fens ce que vous me 
dites, repris>)e , & je conçois que (ans le 
long {efour de madame de Théville en pro- 
vince, cette antipathie auroit moins duré; 
Mais , répondit-elle, on ne peut pas appelles 
cela de l'antipithie. Ce qui les éloigne l'une 
de l'autre , eft fans doute moins fort & plus 
fecile à détruire. Olerois-je , Madame , lui 
dis-je , vous prier d employer vos (oins pour 
les rapprochei; ? cela me paroît d'autant plus 
convenable , qu'étant de vos anjies , elles 
peuvent (è rencontrer chez vous > & s'y voir 
peut-être avec chagrin. Quand cela (eroit , 
répliqua -t-elle, elles ont du monde & de 
l'eiprit , & ne fè livreroient pas avec indé- 
cence à leurs mouvements , quelque vio- 
lents qu'ils puflènt être. C'eft au contraire 
chez moi que je veux qu'elles iè voient. Les 
préparer avec éclat à un raccommodement, 
ce {croît peut-être les y faire renoncer, & 
il me fiimt de les connoitre toutes deux 
pour ne pas craindre de faire une fauflè, 
démarche, en les mettant à portéç de fç 

revoir. 
Comme elle finifïbit ces paroles, nous 

4rrivâmes chez madame de Théville* Le, 



léi <E tj V it fi « 

]>laiiir de penfèrque fallois revoir Hoftenfe*, 
xnc donna cette émotion que je fcrttois au- 
près d'elle, & j'en négligeai plus encore 
madame de Lur&y , que mes rigueurs mal 
placées avoient jet^ dans un abattement in- 
concevable. Je l'avois entendu foupirer dans 
le carrodè ; chaque mot qu'elle m'avoit dit, 
elle l^avoit prononcé d'une voix tremblante, 
& comme étouffée par la colère ou par la 
douleur ; toutes chofes dont elle avoit bieil 
voulu que je m'apperçufle , que je vis en 
tfftty mais fans paroître y prendre plus dô 
pan que fi je ne les euflc pas daufêes. L'état 
où je la mettbîs flatroît cependant ma vanité; 
c'étoit un (peétaele nouveau pour moi , mais 
oui m'amuibit (ans m'attendxir, & qui cef- 
ioii même de me paroître agréable , quand 
Je me fbuvenois qu'elle l'avoit donné à M. de 
Pranzi ; (ans compter encore ceux que je ne 
connoiflbis pas, & que je croyois innom- 
brables ; car la mauvaife opinion que j'avois 
d'elle étoit (ans bornes. Nous entrâmes en- 
fèmblè chez madame de Théville ; Hortcnfè 
étoit feule avec elle. Malgré fa grande pa- 
itire , je lui trouvai l'air abattu ; mais cette 
langueur ajoutoit encore à (es charmes. Elle 
tcnoit un livre qu'elle quitta en nous voyant. 
Madame de Théville me reçût auflî-bîcA 
que je poùvoîs le defirer ; mais je ne trouvai 
dans Hortenfe , ni plus de gaieté , ni moins 
de contrainte avec moi que je ne lui en avois 
vu la veille. C'était une cho(c a(ïez fîmple , 
^'ellc fut réfervée avec quelqu'un qu'efic 



DE CrbBILLON, fils. iffj 

-•onnoilJbît auffi peu que moi ; & fi je ne 
l'avoîs point aimée , je n'en aurois point pris 
d'alarmes y mais dans l'état où je me trou* 
. vois , tout étoit pour moi matière à foupçon ; 
tout augmentoit mon inquiétude. Je voulois 
qu'elle me tînt compte d'un amour qu'elle 
n'avoit pas dû pénétrer : il me fembloit 
qu'elle ne pouvoit pas fe tromper ^ux mou-* 
ycments qu'elle me làiibit éprouver ; que 
mon embarras & mes regards lui difbient 
^Jîez combien elle m'avoit rendu fcnfible ; 
& qu'enfin j'aurois été entendu y li j'avois 
dû être aimé. 

La converfàtion ne fut pas long-temps 
générale entre nous , & j'eus bientôt le 
temps d'entretenir mademoifèlle de Thé-» 
ville ; le livre qu'elle avoit quitté étoit encore 
auprès d'elle. Nous avons, lui dis-je, inter- 
rompu votre ledure , & nous devons d'au- 
tant plus nous le reprocher , qu'il me femble 
qu'eue vous intéreffbit. C'étoit , répondit- 
elle, rhiftoire d'un amant malheureux. Il 
n'cft pas aimé fans doute , repris-je ; il l'eft, 
répondit-elle. Comment peut-il donc être à 
plaindre, lui dis-je? Penfèz-vous donc, me 
demanda -^ t - elle , qu'il fuflSfe d'être aimé 
pour être heureux , & qu'une paffidn mu- 
tuelle rie fbit pas le comble du malheur , 
lorfque tout s'oppofc à fà félicité ? Je crois , 
i?épondis-je , qu'on Ibuffîfe des tourments 
afèeux , mais que la certitude d'être aimé , 
aide à les ibutenir. Que de maux un regard 
de ce qu'on aime ne fait - il pas oubËer l 



i 



% 



1^4 % t; T K Ë S 

ouelles douces efpérances ne (âit-ilpa^mitfte 
dans le coeur ! de combien de plai(urs n'eft-il 
pas la fource ! Mais confidérez donc> repri^• 
elle» quel eft Técac de deux ammts dont 
tout contrarie les defîrs } Ils {buf&ent fans 
doute > répondis-ie , mais ils s'aiment : ces 
obftacles qu'on leur oppofê , ne font qu'aog* 
menter dans leur cœur un fèntiment qui 
leur eft déjà ii cher ; & n'eft*ce pas travailler 
pour eux que de leur donner les moyens 
d'accroître leur paillon ? Se voient -ils un 
moment, que ce moment a de charmes i 
Peuvent-ils Ct parler, avec quel plailîr ne 
fe rendent-ils pas compte de leurs plus ie- 
crêtes penfées ! Sont-ils gênés par des jaloux, 
ou des (urveillants , ils {à vent encore le dire 
u'ik s'aiment, (è le prouver même, mettre 
e l'amour dans les actions qui paroiflcnc 
les plus indifférentes, ou dans les difcours 
qui (èmblent le moins animés. Ce que vous 
dites peut être vrai , répondit-eUe i mais 
pour un moment tel que celui dont vous 
parlez, que de jours d'inquiétude & de 
douleur ! (buvent encore la crainte de l'infi- 
délité fe joint aux tourments de l'abiènce. 
Le moyen qu'on ie croie (urt d'un amaitt 
qu'on ne voit pas ? ne peut-il pas fc lalïèr , 
chercher d'abord des diftradiphs, & finir 
par un. autre attachement qui ne lui laiflc 
pas même le fouvenir du premier } Le mal- 
heur de perdre ce qu'on aime , ne dépend 
pas toujours d'une paflîon contrainte , & je 
crois, repris-je , que des amants qui jouiflènc. 



î 



t 



Dfl Crbbîllok, fus, l6f 
Cîl lîbné du plaifir d'aimer , peuvent plus 
aifemenç encore (è porter à l'inconftance. Je 
fuis toujours (urprife , répondlt-elle, quand 
îe (bnge combien il eft difficile de conièrver 
un amant , que l'on puifle jamais être tentée 
d'en prendre. Nous pourrions dire la même 
choie d'une maîtrefle , lùî dis-je , Se je n'ima^ 
ine pas que le coeur des femmes fe (ixe plus 
icilement que le notre. J'aurois , reprit-elle 
en Conmniy de quoi vous prouver le con- 
traire ; mais je vous laiilè volontiers cette 
idée ; je ne trouve pas que nous y perdions 
aflez pour la combattre. Je ne penie pas de 
même> lui réj)ondis-je, & (i je pouvois 
vous ôter la vôtre , je me croirois le plus 
heureux des hommes. Cela Teroit difficile > 
répondit -elle en rougiflant. Ah ! je ne le 
{ais que trop , m'écriai-je , & c^eft un bon« 
h^ur dont je ne me flatte pas. Celui de me 
Bdxc changer d'opinion , reprit-elle avec un 
extrême embarras, (croit fi peu pour vous , 

2ue je ne fais pourquoi vous le fouhaitez ; je 
lis fbrt attachée à la mienne, & je doute 
que l'on puifle jamais la détruire. Vous ne 
la garderez cependant pas toujours , lui dis« 
je. Cette prédiâiion , reprit - elle en riant , 
jie me fait pas trembler. Je fiiis plus opiniâ- 
tre que vous ne croyez, & fi fure d'auleurs 
que le bonheur de ma vie dépend de ce 
que je penfè là deffiis , que rien au monde 
ne peut me faire changer. Avec autant de 
jraifon de craindre , que vous en pouvca 

iivoir vous-même a je ne me icm pas« xé^ 



Kîg 'Œuvres 

pondîs-je , autant de fermeté qu^ vous , ôt- 
Yen aurois, s^il le pouvoît davantage, qu'un 
feul de vos regards fuffiroit pour m'en priver 
à jamais. 

Emporté par ma paflîon , raUoîs ^s 
<loute la dccouyiir toute entière à mademoî- 
felle de Théville, fi madame de Lurfay, 
qui venoit de finir une lettre que madame 
de Théville lui avoit donné à lire , ne £è 
fût pas rapprochée de nous. Privé de la dou- 
ceur de dire à Hortenfè combien je l'aimoîs , 
j'avoîs du moins celle de croire qu'elle Tavoic 
pu deviner , & que le peu que je lui avois 
montré de mes lèntiments ne lui avoit pas 
déplu. Nous avions été tous deux émus en 
nous parlant ; mais je n'avois pas trouvé de 
colère dans fes yeux ; & quoiqu'elle ne m'eût 
répondu rien dont je pufTe tirer avantage , 
je n'avois pas non plus lic;u de penfer qu'elle 
eût pour moi cette averfion dont jufque-là 
jç l'avois foupçonnée. Il me femble , lui dit 
madame de Lurfay, que vous vous querel- 
liez ? Pas tout à feit y répondît-elle en riant ; 
mais pourtant nous n'étions pas d'accord : 
c'eft votre faute, lui dis-je, & je vous ai 
offert le moven déterminer la difpute. De 
quoi s'agit-il donc , demanda madame de- 
Lurfày ? De prefque rien , Madame , reprit- 
die. M, de Meilcour vouloir me faire pren- 
dre une opinion que je lui promettois de 
n'avoir jamais. Si c'efl une des fiennes qu'il* 
veut vous donner , /e ne trouve pas que vous^ 
ayez tort de ne vouloir pas la prendre y di| 



î>E Crébilloic, Fit s. I(?7 
madame de Lurfay d'un ton aigre, car il 
n'en a que de fingulieres, qui ne peuvent 
aller qu'à lui , & qu'il ne conferve qu'avec 
plus de plaifir. Quelque entêté que vous 
puiflîez me croire , Madame , lui répondis- 
je , je cédois à ma cou fine , & elle peut vous 
dire que c'étoit fans regret & de bonne foi. - 
Ce n^eft pas, reprit Hortenfe, ce dont je 
fuisperfuadée. Et vous avez raifon, ajouta 
madame de Lur&y ; car avec Tair fimple que 
vous lui voyez , il ne laiflè pas d'avoir de la 
faufleté. 

Je m'apperçus aifément que madame do 
Lurfày vouloir fe ièrvir de cette occafiou 
pour me faire une querelle particulière ; mais 
quelque fènfible qu'il me fîk d'être accufS 
de faulTeté devant Hortcnfc , j'aimai mieux 
ne pas. lui répondre que de lui donner le 
I}lailir d'une explication ; fur d'ailleurs que 
îî je pouvois accoutumer Hortenfe à m'en-, 
tendre , je la perfuaderois bientôt de ma 
(L^cérité. Mon filence acheva de piquer ma-, 
dame de Lur&y ; un regard qu'elle lança 
fur moi y m'avertit .de fa riireiir j mais je ne 
ra'occupois plus de ce qu'elle pouvoir penfcr.» 
Rempli ddsî commencements de ma paflîon ,. 
iç ne fbngeois qu'à ce qui pouvoit la faire 
réuflîr. Auflî prompt à me flatter du fuccès 
que je l'avois été à en défefpérer , je n'ofbia' 
plus^ douter quHortenfè ne devînt fenwUe. 
Cîy.c .dis-je i à peine doutois-je qu'elle ;iie 1« 
fut pas déjà. J'oubliois dans les douces, illu»* 
(ions dont je riçpaiifoisL mon amour ^ & cetçft 



f éS <E tr V R K s 

antipathie dont j'avoîs cru ne pouvoir jamatf 
^triompher , & ce rival qui la veille jnême 
m'avoît caufé les plus grandes alarmes ; à 
peine enfin avois- je parlé, qu'il me (èmbloîc 
qu'elle m'avoit répondu. Je la regardois , 
&-il paroifïbit qu'elle ne fiiyoit pas mes re- 
gards. Cette trifteflè, que tant de fois en 
moi-même je lui avois reprochée , que j'avois 
attribuée à l'ablènce de quelqu'un qu'elle 
aimoit , n'étolt plus à mes yeux que cette 
voluptueufe mélancolie où fe plonge un 
cœur tout occupé de fon objet , celle enfitt 
que je fentois depuis que je l'avoîs vue. 

Ces charmantes idées ne me féduifirenc 
pas long^temps ; on annonça Germeuil. Je 
frémis en le voyant entrer ; & l'étonnement' 
que parut lui cauier ma préfènce » augmenta 
la jaloufie que me donnoic la (îerme. L'air 
familier qu'il prit, l'extrême amitié que 
madame de Thé ville lui marqua, la joie qui 
fc répandit fur le vifàge d'Hortenie, tout 
xévcilla mes (bupçons, tout me déchira le 
cœur. Ciel ! me dis- je avec (ureur, j'ai pu 
croire que Je (èrois aimé : j'ai pu oublier que 
Gem^euil {eul pouvoir lui plaire ! Comment ^ 
avec cette certitude qu'ils m'ont donnée de 
leur amoiur , s'eft-il efïacé de ma mémoire ? 

Plus je m'étôis flatté , plus le coup que 
fixe ponoit Germeuil étoit af&eux. Je me 
ièntois, en le regardât, des tranfports de 
sage que j'avois une peine extrême à con^ 
Haindre y je n'en eus pis moins à le ^luer i 
;mm je ae pus prendie a^ fur zo m , pour 

répondlQ 



répondre convenablement aux cKofès ooli-» 
geanteis qu'il me dit. Il alla a^ec empreflc- 
ment auprès de mademoifcllé de Théville , 
6c l'aborda avec-cette politefle animée qu'on 
a pour les femmes à quî Ton veut plaire. 
Une douce fatisfkftîon éclatoît dans les yeux ; 
je crus même y lire de ramotu: , mais un 
amour paifible , & tel qu'il eft quand on l'a 
rendu cenain du retour. Il lui dit mille cho- 
fes fines & galantes , qui me firent frémir 
pour ce qu'il pouvoir lui dire quand ils 
étoient fans témoins ; c'étoit des exprcflîons 
tendres & vives , qu'il me Icmbloit qu'on 
ne devoit trouver que pour ce qu'on aime 
éperdument, & que je n'imaginois moi- 
même que pour Hortenfe. Il lui lançoit de 
ces regards que j'auroîs defirés d'elles de 
fon côté , elle lui fourioit , l'écoutoit avec 
complaifânce , (e prelïoit de lui répondre , 
& ne daîgnoit pas contraindre le plaifir que 
lui donnoit fà vue. Un (peftacle auffi cruel 
pour moi acheva de me percer le cœur. 
Cent fois je me dîs que je n'aimois plus ma-i 
demoifèUe de Théville, & je foitois aug-* 
menter mon amour à chaque prôteftatioit 
d'indifférence que je lui faiiois. Chaque jfbi^ 
que je voyois (es beaux yeux, pleins de dou-i 
ceur & de feu , «'arrêter fur Germeuil , que; 
fes lèvres charmantes s'entr'ouvroient poui; 
lui fburire , enivré de plaifir , en frémiflànc 
je m'y lai(ïbis entraîner ; à peine pouvoîs-jp 
mç /buvenir qu'un autre régnoit fur ce cœu^ 
j^ùr qui fauroisiout iâcrifié^ 9C que je fié^ 
Tbme IIL H 



17Ô ŒS XJ T R E s 

devois qu'à mon rival la facisfaâion de U 
voir fi belle. Je me trouvoîs cependant trop 
à plaindre , quand ces mouvemçnts fè ralcn- 
ciubient y pour que mon malheur ne me 
pénétrât pas de rage , & ce fentiment dou- 
loureux me faifbit jetçr fiir eux , de temps 
en temps ^ les regards les. plus fbmbres. Er- 
rant dans la chambre où nous étions, plein 
de mon défèfpoir & de nion amour , je ne 
pouvois ni m'approcher d'eux , ni prendre 
part à leur converiation. Germeuilm'adreflà 
lia parole plu3 d'aide fois: je ne lui répondois 
qu'à peine , & toujours fi peu de choie , 
qu'il prit enfin le parti de ne me plus rien 
4dire.- On auroit cru , à voir la. conduite de 
mademoifèlle de Théville , qu'elle n'avoir 
deviné mes fèntiments que pour avoir fois 
^eflc la barbarç joie de les mortifier. De mo- 
ment en moment elle parloit bas à Germeuil» 
le.panchpit familièrement vers lui; & cts 
çhofes, qui, toutes fimples qu'elles ùmien 
cjles-mêmes , ne me le paroifloient pas alors, 
achevoient de me défefpérer. 
. Tant: de mouvements différents , Se que 
jç n'éfpis pas dans l'habitude d'éprouver, 
XTi'âccabIere.nt : la triflefle où je me plongeois , 
devint fi forte , que je ne pus plus la diffi- 
niuler. Madame de Xur/ay , qui s'appcrçuc 
de l'altération de mes yeux , & de la pâleur 
fubite qui. fè. répandit furmon vifage , tne 
démaiidafi je me trouvoismal. A cette.quef- 
tipn , madempifellè de.Théville s'avwça ver*. 
«ai précipitsunmem ,. 4iia$ k temps que jô 



fi C R i B 1 t L O !f , # I t f. ITtr 

répoîîdoià à madame de Lumy , qu'en cfec 
je ne me trou vois pas bien , & m'oârit d'une- 
eau dont elle me vanta la vertu. Ah ! Ma- 
demoilèlle , lui dis-je en fbupirant , je crains, 
qu'elle ne me foit inutile , & ce dont je me 
plains n'eft pas ce que vous penfèz. Elle ne , 
me répondit rien 5 je crus feulement remar-* 
quer qu'elle étoit touchée de mon état. Cette 
idée y & Ion empreflement à voler vers moi ^ 
me caufcrent un inftanc de plaiiîr. Je la re- 
gardai fixement ^ mais mon attention la gè-* 
nant iàns doute , elle baiflà les yeux en rou- 
giflant, & me quitta: Je retombai. dans ma, 
première douleur : j'eus du dépit de- lui avoii; 
parlé 5 je craignis d'en avoir trop dit , ot| 
que mes yeux , qui fè portoient fur elle trop 
tendrement y ne lui èuHènt donné le ièns dô 
mes paroles. 

Madame de Luriay , qui ne connoiflbit 
pas les intérêts fecrets de mon coeur , & qui 
s'occupoit uniquement des torts que j'avoit 
avec elle , prit pour l'ennui d'être éloigné de 
madame de Sénanges , le chagrin que je lui 
marquois. Cette paffîon , qui lui paroiflbiç 
auflî prompte que ridicule , ne laifloit pa^ 
de l'inquiéter extrêmement. Elle jugeoit pm 
{on progrès de (a vivacité , & cette affaire ^ 
à ce qui lui fembloit , fe poufïbit trop rapi-y 
dément des deux, côtés , pour qu'elle y putî 
apporter des obftacles. Elle ne doutoit pa& 
que je ne revifle le foir même madam.e d^ 
Sénanges , & que je tie fuffè à jamais perdu 
poujTçlle. Sur-çoutdleçraignoit Verikc, qui 



171 QE U V R 1 s 

le ferolt un point d'honneur de conduire une 
incrigue dans laquelle il m'avoît embarqué > 
moins par amitié pour madame de Sénanges 
& pour moi , que dans le deflèin de lui en- 
lever mon cœur. Le mal étoit certain » Se 
k remède difficile à trouver ; elle avoir perdu 
par (a lenteur le droit d'acquérir de l'empire 
fur moi, &necroyoît pas pouvoir me re- 
tenir , en me &i(ant efpérer des faveurs que 
je ne fbllicitois plus. Incertaine de la façon 
dont je prendrois le ton fur lequel elle me 
parleroit , elle n'o(bit en hafàrder aucun ; 
celui de l'amour ne féduit qu'autant qu'il eft 
employé fur quelqu'un qui^time > & devient 
ridicule pr-tout où il n'attendnt pas. Elle 
jugea cependant que ce (èroit le iêul qui put 
me ramener , puiique les airs ironiques Se 
méprifànts n'avoient point paru feulement 
me donner à penfèr. 

Elle vint donc s'afleoir auprès de moi. 
Madame de Théville y qui écrivoit , lui laidbit 
le loifîr de me parler. Elle me regarda quel- 
que temps y ôc me voyant toujours plongé 
dans la rêverie la plus profonde : y fongez-r 
vous y me dit-elle ton bas ? que voulez- vous 
qu'on penfe ici de la mine que vous faites } 
Ce qu'on voudra. Madame, répondis-jej^ 
d'un ton chagrin. Il (èmble à voir , reprit- 
elle doucement , que vous y ibyez malgré 
vous; quelque choie vous a-t-il déplu ? mais 
non , ajouca-t-elle en (ôupîrant , j'ai ton de 
vous interroger fur ce que je ne £iis que trop 
\>ka > nu préxènce feule vous afflige > 9c V'm^ 



N 



terêt que )e prends à vous, commence à 
vous devenir infupponable ; vous ne répon- 
dez rien ; voudricz-vous donc que je lecniflc? 
Vous vous impatientez aifement , répliquai- 
Je 3 & je crains que la querelle que vous me 
faites à préfênt , ne foit pas mieux fondée 
^uc celle ûue vous m'avez faite tantôt. Mais 
quand il kroît vrai que toutes deux fuflent 
injuftes , devriez- vous , répondit-elle , vous 
en oflènfêr? Peut-être fais-je mal de vous le 
dire ? Mais , Meilcour, (i jamais vous aviez 
penfè à ce que vous m'avez répété tant de 
fois , loin de vous plaindre de moi , vous 
me remercierez fans jioute. Eh! quel eft 
donc mon crime ? Je vous ai dit que je vous 
fbupiçonnois , non d'aimer madame de Se- 
nanges , vous penfcz trop bien, pour être ca- 
pable d'un goût au(E peu (ait pour un hon- 
nête homme ; mais de vous être livré trop 
étourdiment à des agaceries dont vous ne 
fèntez pas la confëquence. Je fais mieux que 
vous-même ce qu'une femme de cette eC- 
pece peut prendre (ur vous; cène (èroit point 
le (ènciment qui vous conduiroit auprès d'elle ; 
mais en la méprifànt » vous lui céderiez. Qui 
pourroit vous répondre que ce même capri- 
ce , dont d'abord vous auriez eu honte en 
le (atisfeifknt , -ne devînt pas pour vous une 

I>affion violente ? Mais heureufement les objets 
es plus méprifablcs font pre(que toujours 
ceux qui les infpîrent ; on fe repofè uir le 
peu de goût que d'abord on prend pour eux , 
on n'inugine pas qu'ils puiflènt jamais être 

H I 



1^4 Œ V y X E » 

.à ciaînJrc; mais (ans qu'on s'enapJ)erçoîvir, 
rimagination s'échauffe , la tête fè frappe , on 
lie trouve amoureux de ce qu'on croyoit dé- 
•tefter , & le cœur panage enfin le défbrdre 
de l'cfprit. C^e me reflcra-t-il donc , je ne 
■dis pas des tentiments que , fî je vous en 
crois , je vous ai infpirés ; mais de l'amitié 
.^ue j'ai toujours eue pour vous , (î jcne puis 
▼DUS donner des confèils fans vous révolter? 
'Quand il fcroit vrai que y plus fenfible en 
♦effet que je n'ai voulu vous le paroître , je 
-craigniffe en fècret de vous perdre , qu'enfiu 
je fuUe jaloufè , feroit-ce pour vous une raifbn 
de me haïr ? Mais jene vous hais cas , Madame^ 
i:épondis-je. Vous ne me haïfîez pas , répli- 
^-qua-t-elle : ah ! la plus cruelle indifference 
•pourroît-elle s'exprimer avec plus de fix)ideur \ 
vous ne me haïfîez point; vous me le dites, 
& vous ne rougiffez point de me le dire } 
<îue voulez -vous que je vous réponde, 
Madame , lui dis-je ? rien de ma part ne 
vous fàtisfiiit ; tout vous irrite , tout eft aime 
à vos yeux. Je vois chez vous une femme 
que je ne cherchois pas , pour qui je n'ai 
4rien marqué ; vgus trouvez cependant que 
•je l'aime. Je fuis rêveur ici , parce que je me j 
ocns un mal de tête af&eux , c'efl l'ennui aue 
'VOUS me caufez qui me tourmente. Si char 
cune de mes adtions vous fait faire de pa- 
Teils commentaires , nous ferons ^ à ce que 
•je prévois , fouvent mal enfèmble. Non , 
Monfîeur , répondit-elle , indignée de mes 
diicours a vous pjtévoyez mal \ jene fuis pas 



D 1 Ciif Btrx'oîr-, vizt. î7j 

ûflez bien payée de mts foins pour daignfer 
les prendre davantage. Je connois votte 
cœur , & l'eftime ce qu'il vaut , peut-être 
(èrez-vous quelque jour fâché d'avoir perdu 
le mien. 

En achevant ces paroles y elle Ce leva brtfC. 
quement , & moi , impatienté de fcs repro- 
ches & de la préfence de Germeuil , & ne 
pouvant plus foutenir l'un & l'autre , je pfis^ 
congé de madame de Théville , qui fit , mais 
vainement , tous fes efforts pour me retenir. 
J'étois trop piqué des procédés d'Hôrtenfc 
pour vouloir lui paroître content d'elle ^ & 
je lui témoignai tn la quittant une extrême 
froideur , que de fon coté elle me rendit fans 
ménagement. 

J'avois ordonné , maljgré nudame de 

Lurfay , que mon carro(Te fuivît le fîen , Se 

y y montai , défefpéré d'avoir laiffé Hortcnfè 

avec mon rival , & fur k point de rentrer 

•chez elle ; ce que j'aurois fait làns doute ^ û 

j'avois imaginé quelque chofe qui eut pu. 

juftifier cette démarche. Livré à moi-même, 

& l^efprit dans la fîtuation du monde la 

moins tranquille , je ne fus d'abord de quel 

côté tourner mes pas. On me demanda detfx 

fois inutilement où je voulois aller. Je crai-i 

gnois la folitude & ne me fentois pas en étftc 

de voir du monde. Enfin irréfblu encore fift: 

ce qiie je voulois faire , je dis , à tout ha- 

fard y 8c pour gagner du temps , qu^on me 

menât chez madame de Sénanges. Moli 

<iellein cependant n'étoic point du tout dek 

H4 



ïji ' ^ tt V V H K s 

!roir. Il étoit déjà aflèz afd pour qae je paffe 
çfpérer de ne la pas trouver > & je comptcns , 
en me fàifant écrire ^ & laiflànt les couplets 

afi'elle m'avoic demandés y être débanaiTé 
'elle pour long -temps. J'arrivai; mais je 
n'étois pas lait ce )our-Ia pour être heureux. 
Kiadame de Sénanges étoit chez elle. Son 
carroflè que je vis dans la cour , me fit con- 
noître qu'elle étoit près de (brtir , & qu'keu- 
xeufèment ma vifite ne (èroit pas longue. Je 
montai fort inquiet du tête-à-tête que fallois 
avoir avec elle : je ne (avois pas encore Tart 
d^ les rendre courts quand ib ennuient , Se 
de les remplir quand ils doivent amufer. 
L'idée que j'allois voir une femime qui étoit 
prévenue de goût pour moi , me donna ce- 
pendant plus d'audace qu'à mon ordinaire. 
J'aurois en ef&t été le fèul homme à qui 
xhadame de Sénanges eût pu infpirer de la 
crainte ; fi ce n'eft pourtant qu'on eût celfc 
de lui plaire un peu plus qu'on n'auroit youiu, 
ce qui auroit été très -pardonnable. Je ne 
connoiflbis pas aflèz le péril où je m'cxpo- 
Ibis , ppur le craindre beaucoup ; je iàvois 
bien que naturellement elle étoit fort tendre, 
mais j'avois trop peu d'expérience pour porter 
là-defliis mes idées bien loin. J'entrai : quoi- 

3uek journée fût déjà fortavancée , madame 
e Sénanges étoit encore à fa toilette; ; cela 
n'étoît pas bien furjprenant : plus les agré- 
mtnts diminuent chez les femmes > plus elles 
doivent employer de temps à tâcncr d'en 
ré^rer la perte i 6c madame de Sénanges 



B B C 11 i B 1 1 £ a À , y 1 1 f« 177 

avok. beaucoup à réparer. Elle me parûc 
comme la veille à peu près » (1 ce n'eft qu'aa 
grand îour )e lui trouvai quelques âiinées de 
plus , éc quelques beautés de moins. Comme 
elle pen(bit auffi bien d'elle , que cour le 
monde en penfoit mal , elle ne s'apperçuc 
LS de l'impreflîon défavantageufè qu'elle 
lifcât (ur moi ; elle croyoit d'ailleurs m'avoît 
conquis le foir précédent , & le flatcoit que 
ma vifîtc n'avoît pour objet que de régler 
entre nous certains préliminaires qui , avec 
la difpontion qu'elle app jrcoit à finir , dé- 
voient vraifèmblablement être peu difputés. 
Elle fit un cri de joie en me voyant : ah ! 
c'eft vous , me dit-elle femiliércment } vous 
êtes charmant d'être régulier. Je craignois 
qu'on ne vous retînt ; jen'olbis presque plus 
vous efpérer ; je vous attendois pourtant. Je 
fuis au délcfpoir , Madame , lui dis-je , d'être 
venu fi tard} mais des afEûres indirpenfâbles 
m'ont arrêté plus long-temps que je n'aurois 
voulu. Etes affaires! vous> imerrompit-cUe î 
à votre âge y en connoît-on d'autres que celles 
de cœur ? En feroit-ce par hafârd une dé 
cette efjpece qui vous aiuroit retenu ? Non ^ 

Êvous jure , Midaiïie ^ répliquai- je } on 
fie mon cœur aflez tranquille. Vous me 
furprenez , reprit-elle , & ce n'eft pa$ ce quô^ 
)aurois imiginé. Miis le croyez- vous hii 
pour cet abandon-là > Madame 5 demanda-^ 
t-elle, I une femme qui étoit chez elle^ 6^ 
que ju(qae-I& j'avols à peine remarquée: 
ce qu'il dit ne vous Àonne-t-U pas comln»' 



lyS <E tr V it T 5 

moi ? L*aatre ne répondit que par un geffc 
d'approbation. Mais vous n'êtes pas (încere , 
continua madame de Sénanges , ou Ton ne 
vous dit pas tout ce qu'on penfè de vous. 
Ah ! Madame , repartis-je : en ! qu'en pour- 
loit-on penfer qui me fut fi fevorable 2 Je 
n'aime point , répondit -elle , les gens qui 
penlcnt trop bien d'eux - mêmes. Mais , en 
vérité , il y a une juftice qu'il faut fe rendre» 
Quand on eft fait d'une certaine façon , il 
me fèmble qu'il efl ridicule de l'ignorer à un 
certain point , & vous êtes au mieux. N'eft- 
îl pas vrai , Madame } mais c'efl qu'on voit 
fort peu de figures comme la fienne. On en 
admire toute la journée qui n'en approchent 
pas. Je vois les femmes s'entêter lans qu'elles 
jfachent pourquoi , mettre à la mode de petits 
liens qui ne font point faits feulement pour 
iêtre regardés : ne diriez-vous pas que c'eft 
quelquefois le règne des atomes ? Avec le 
plus beau vifàge du monde ^ il efl fait mcF- 
veilleufèment : ie l'ai dit , & cela eft vrai , 
lLJouta-t-elle affirmativement , cm n'eft pas 
iniewx. 

Pendant qu'elle me louoît avec cette mauf^ 
fade indécence , fes regards aufH peu me- 
lurés que fes difcours , m'afTuroient qu'elle 
^toit pénétrée <le ce qu'elle me difoit. Elle 
arjegardoit , ^c ne dirai pas avec tendreffè > 
/ce n'étpit pas là l'estpreflion de fès yeux> 
mai^^pii j)ourroit peindre ce qu'ils étoicnt t 
lEnnuyé de mon panégyrique , ic plus encore 
4q ceilç qui k mToit i voilà > Madame ^iuL 



\ 



DE Cre BI ttôW, #f t^. ij<^ 
dîs-je 3 les chanfons que vous me demaii^ 
dates hier. Ah 1 oui , je vous en remercie : 
elles font charmantes. Puis me tirant à part j 
favez-vous bien , me dit-elle , que fi madame 
de Mongennes n*étoit pas ici , je vous groii- 
derois fort férieufèment'd'étre venu fi tard ; 
& que le plaifirquej'aiàvous voir ne m'em- 
pêche pas de (èntir que fi vous l'aviez voulu , 
je vous aurois vu plutôt ? Mais , pour m'en 
dédommager , je veux que vous veniez avec 
Tîous deux aux Tuileries. Cette propofition 
•ne m'agréant pas , je fis ce que je pus pouV 
m^en défendre ; mais elle m'enprefla rant> 
que je fus- obligé de lui céder. Eh defocn- 
dant, je lui donnai le bras ; elle s*àppuyâ fo- 
miliérement deflùs , me fourit & me donn^ 
^nfin toutes les marques dattertcion & de 
"bonté que le temps & le lieu lui permettoienr. 
Plus embarràfle que flatté de ce qu'elle faifoifc 
pour moi ^ chaque moment augmentoit l'aver- 
îîôn qu'elle m'aVoit infpirée. Quelque pré- 
venu que je fuflè contre madanie de Luriày , 
je ne laiflois pas de fentir toute la diftance 
qu'il y avoît de l'une à l'autre. Si madame 
de Lurfa»y n'avoit pas toutes les vertus de 
fon (exe , elle en avoit du moins ; fès foi- 
blefles étoient cachées fous des dehors im- 
pofants : elle penfoit & s'exprimoit avec 
noblefle \ & rien ne dédommageoit en 
madame de Sénanges des vices de fon cœur. 
Faite pour le mépris \ il fèmbloit qu'elle 
craignît qu'on ne vît pas afièz tôt combien 
on lui en devoit : fes idces étoient puériles^ 

H 6 



iSé Œ V V % t î , êcd 

& Tes di/cours rebutants. Jamais elfe n'av<2^t 
tu ma&uer (es vues , 8c l'on ne fauroit dire 
ce qu'elle jpaioidbit dans leK cas où prelque 
foutes les hmmes de (on efpece ont Tart de 
ne paflferque pour galantes. Quelquefois ce- 
pendant elle prencnrdes tons de dignité j ma» 
qui la rendoient (î ridicule : elle loutenoit û 
mal l'air d'une perfbnne re(peûable ; que 
l'on ne voyoit jamais mieux a quel point la 
vertu lui étoit étrangère , que quand elle fèi- 
gnoit de la connoître. L'air fériejux avec lo- 
quet ie recevois /es attentions > ne lui donna 
pas d'inquiétude -» & ma triftefle ne lui pa^ 
xoi^nt caufèe que par l'incertitude où je 
pouyois être encore de lui plaire , elle ne 
^'en crut que plus obligée i me remettse 
Vtfpnt fut des craintes qui ne lui fèmbloienc 
pas ncîcie à propos. A tout ce qu'elle em-^ 
ploya pour me raiTurer ^ je dus croire qu'elle 
ne jugeoit pas ma peur médbcre 3 Sc\cdt(^ 
cendis aux Tuileries avec die , comblé de 
&&^yeui&> & accaUé d'eumi* 



JKn dt tm ftcoaJk JPamit^ 




't ♦ ^ :S 't €» # 

LES 

EGAREMENS 

DU c m UR 

ET DE ÙESPRIT 

o u 

» 

MÉMOIRES 

Mr- DEMEÎLCOUR. 



TROISIEME PARTIE. 

Ji^'uEURB du cours étok paflee quand 
nous entrâmes dans les Thuileries \ le jardia 
étoit rempli de moiide. Madame de Sénan<% 
ges ^ui ne m'y menoic que pouc me mon^ 



tît <B. V V n t 9 

trer , en fut charmée , 6c réfolut de Ce coftî- 
poner fî bien , qu'on ne4)ût pas douter que 
je ne lui appaninfTe. Je n'étois pas en état de 
m'oppofer à fes projets ; & quoique fâché 
de lui plaire, je ne favois ni comment rece- 
voir les foins qu'elle matquoit pour moi, ni 
le moyen de m'y dérober. Ce que j'avois vu 
chez mademoifelle de Thé ville * liî'àvoîr 
rempli le cœur d'une criftefle, que les objets ' 
les plus agréables n'auroient pas diflîpé , & 
que les deux feiAîneà avec qui je me trou- 
vdis , aùgmèntoieht à chaque inftafif. 

Madame de Mongennes , fur-tout me 
déplaifbit ; elle avoit une de ces figures qui , 
fans avoir rien de décidé , forment cepen- 
dant un tout défàgré^^le, & auxquelles le 
defir immodéré de plaire , ajoute de nou- 
ii«ellcs dilgraces. Avec beaucoup ttop d'em- 
tonpoint , & une taille qiti n'avoit ja^nais 
été faite pour être aifée , elle cherchoit les 
airs légers. A force de vouloir fe faire un 
maintien libre, elle étoit parvenue à une 
inïpu^ÇncQ fi TiétKitniïiLép Ce fiigwoble/qo'il 
étbît impoltîtle , a moins que de' péiiièr 
comme elle , de n'en être pas révolté. Jeune^ 
elle n'avoit aucun des charmes de la jeunefTe', 
& parôifloît fi fatiguée & fi flétrie, qu'elle 
en faifbit compaffîon. Telle qu^elle étoîtcé- 
pendant, elle plajfbit, & fès vices lui te- 
noient Heu d'agrémehts ^ins un ffetîe où , 
Jx)ur être de mode , une femme ne pou voie 
trop marquer jufques où elle portait l'extraA 
Tagance & le dérégfemeiit. 



Loin qu'elle me touchât , le Cet orgueil 
que îe lifbis dans fes yeux , & lès grâces for- 
cées, m'indignoîent contre elle. Je ne lui 
faifbis pas iiijuftice dans le fond , mais je 
doute que (ans fes airs dédaigneux , j'en 
euflè d'abord auflî mal penfé. Témoin de 
tout ce que madame de Sénanges m'avoit 
dît de tendre , elle h'avoit pas (èmblé m'en 
eftîmer davantage. Cette inattention me dé- 
plut , & me la fit examiner moi-même avec 
une févérité qui ne lui pardonna rien, & me 
la montra, même un peu plus mal qu'elle 
n'étoit. J'ignorois qu'on n'en étoit pas moins 
bien avec elle pour paroître ne la pas feduire 
au premier coup-d'œil , & que fouvent elle 
afïèéloit cette méprifànte indifférence , unit* 
quement pour qu'on fut tenté d'en triom* 
pher : car , ainfi que je le lui ai depuis en- 
tendu dire , une facilité continuelle & une 
vertu qui ne relâche jamais rien de fa févé^ 
rite , font deux chofès également à craindre 
pour une femme. Ce fut apparemment pour 
Ce conformer à cette fage maxime , qu'elle 
ne commença à m'être favorable -qu'usé 
heure environ après m'avoir vu» * 

Tant que nous fiimes dans un endroit ovê 
les fpe6bteurs lui manquoient, elle ne dai-^ 
gna pas m'adreflèr la parc4c > mais en approw 
chant de. la grande allée, je vis changer & 
phyfionomie. Ses f^ons devinrent vives; 
elle me barla fans cefic , & avec une làmi-. 
liarité déplacée, & que, fans de grande 
âeflèîns^^' on n'a iainaais à la première vue^- 



tÎ4 Œ V r % z s 

jPeu couché d'uii chaneement donc Yignùroîs • 
Tobjcc, & quî> quanoje Tauroîs deviné, ne 
m'en auroit pas incéreflc davancage . Je con- 
tinuois avec elle fur le con que d'abord elle 
icmbloîc m'avoir marqué. Madame de Sé- 
nangcs ne s'apptrçuc pas plucoc des nouvelles 
idées de maanme de Mongennes , qu'elle en 
conçue des alarmes ; elle îugea , & je crois 
avec raiibn , que fi elle ne vouloit pas me 

5>laire , elle vouloir du moins qu'cm pur peti- 
cr qu'elle me plaifbir. L'infulce écoît b 
même pour madame de Sénanges, qui peut* 
être aufli éroit moins flartée de ma conquê- 
te, que du bruit qu'elle pourroit faire. Les 
cnrreprîfes de madame de Mongennes allant - 
direâemcnt contre (es incentions, elle prie 
avec elle un air fifrieux & Icc. L'autre y ré- 
pondit un peu plus féchemenc encore; 3c 
j'eus la gloire, en commençant ma carrière ^ 
dt défunir deux femmes auxquelles je ne 
penfbis pas. 

Sans comprendre alors ce qui canfôit entre 
elles le (rend que )'y remarquas depuis un 
inftant , leurs regards me firent )uger qu'elles» 
iè tenoient pour brouillées. Elles s'exami-* 
noient nmmeDement avec un œil railleur Sc 
critique ; & apès quelques moments d'une 
extrême attention, madame de Sénanges dit 
ï madame de Mongennes, qu'elle iê coef^ 
foit trop en arrière pour fbn viiage. Ceb /è 
peut , Madame , répondit l'autre > le Som 
de ma parure ne m'occupe pas aâez pciux 
£tvoir jamais comme je fuis, £n venté l 



B S C R SBXLLON, YlXS. l8f 

Madame , répliqua madame de Sénanges , 
c'eft qae cela ne vous fied pas du tout , & 
je ne (ais comment j'ai îuuiues ici négligé 
de vous le dire. Pranzi même^ qui, comme 
vous favez , vous trouve aimable , le remar- 
quoit auffî la dernière (bis. M. de Pranzi » 
répondit-elle , peut (aire des remarques fur 
ma perfbnne , mais je ne lui conièillerois pas 
de me les confier. Mais pourquoi donc ? 
Madame > reprit madame de Sénanges. Qpi 
voulez- vous, fi ce n'cft pas notre ami , qui 
nous difè ces fortes de chofcs ? Ce n'eft point 
que vous ne foyez fort bien , mais c'eft que 
fort peu de perfonnes pourroient foutenir 
cette coefGire là ^ c'eft vouloir de gaieté de 
cœur gâter fa figure , que de ne pas conful- 
ter quelquefois comme elle doit être, ou 
plutôt , ajouta-t-cUe avec un ris malin , c'cft 
vouloir faire penfèr qu'on la croit faite pour 
aller avec tout, & cela ne (èroit pas une 
prétention modeftc. Eh ! mon Dieu l Mada- 
me , répondit-elle, qui eft-ce qui n'en a pas 
des prétentions, qui ne fè croit point tou- 
jours jeune, toujours aimable. Se qui ne Ce 
coëtk pas à cinquante ans comme je le (àis i 
vingt-deux } 

Ce difoours tomboit (î vifiblement (ur 
madame de Sénanges , qu'elle en rougit de 
colère, mais la di(cu(Iion là deflus lui pou« 
voit être fi défavantageufe , qu'elle crut à 
propos de n'y pa$ entrer : ce n'étoit d'ail- 
leurs , ni le lieu , ni le temps de fc livrer k 
de petits intixêts % aulfi ne s'occupa-t-ell$ 



i%6 (E tr t X É i 

que de l'objet qui fèul alors la remuolt vi- 
vement. Ils agi(îbit de prouver que je n'étoîs 
pas à madame de Mongennes, & tout le refte 
ne lui paroifibit rien. 

Nous ne nous étions pas plutôt montrés 
dans la grande allée, que tous les regards 
s'étoient réunis fur nous. Les deux dames 
avec qui je me promenois, n'étoient pas 
aflurément un objet nouveau pour le public, 
mais j'en devenois un digne de fbn attention 
& de fa curiofîté. On les coimoiflbit trop 
pour croire que je fuflè là pour aucune d'el- 
les, & le foin que toutes deux prenoient de 
me plaire , empêchoit qu'on ne pût bien fa- 
voir à laquelle j'appancnois. Madame de 
Sénanges, que cette irréfolutîon impatîen- 
toit , n'épargnoit rien pour fiiire décider là 
chofe en fà faveur : chaque fois que (à rivale 
'vouloit me regarder , un coup d'éventail 
donné à propos , interceptoit le regard & le 
rendoit inutile : elle ajoutoit à cela toutes lés 
minauderies qui lui avoient autrefois réuflî , 
me parloit bas, a voit des airs fi tendres, fi 
languifiants , fi abandonnés , qu'à cette in- 
décence fi fiipérieurement employée , il fiit 
împoflîble au public de ne pas croire ce que 
elle vouloit qu'il crût. Cette viâoiré lui fut 
d'autant plus douce, qu'elle avoit entendu 
louer extrêmemciîi ma figure ; cependant ce 
n'étoit encore rien pour elle de triompher 
de madame de Mongennes, fi je ne me prê- 
tois pas mieux aux grâces dont elle me com- 
bloit. Inattentif & rêveur, à peine daignois*- 



D 1 C m I B î X i t> lï , ri I. i. 187 

Je répondre aux interrogations fréquentes 
dont elle ne ceffoit de me fotiguer, Verfâc 
l'avoît fi pofitivement aflurée qu'elle m'avoic 
vivement touché , qu elle ne concevoit pas 
ce qui m'empêchoit'de k lui dire* Elle fen- 
toîc que, {ans s'expoièr aux railleries de ma- 
dame de Mongennes, elle ne pouvoit point 
paroître douter de mon amour ; cependailc 
elle defiroit de me faire parler. Elle fe fbu- 
vînc en ce moment que Verfac lui avoir dit 
que madame de Lurfay avoit des vues fur 
moi , & qu'il lui avoit femblé que je ne 
^m'éloignois pas d'y répondre. Elle imagina 
que , ians fè compromettre , il lui feroit aifé 
d^éclaircir Ces doutes , & me demanda, d*\in 
air négligent , s'il y avoit lông-^emps que je 
connoiflois madame de Lurfay. Je lui répon- 
dis que depuis fort long-temps elle étoit amie 
de ma mère. 

Je la croyois pour vous plus nouvelle con- 
noillànce , dit-elle ; on m'avoit même aflii-. 
rée qu'elle avoit eu l'envie du monde la plus^ 
forte de vous plaire. A moi ! Madame , 
m'écriai-je, je vous jure qu'elle n'y a jamais 
penfé. Peut-être 5 répondit-elle , n'avez- vous 
pas voulu le voir , n'eft-il pas vrai ? Cela vous 
aura échappé ? Peut-être- aulfi l'avez -vous, 
aimée : il eft un âge où tout plaît , c'eft un 
malheuf. On prend quelqu'un fans favoir 
pourquoi , parce qu'il le veut , parce qu'on 
cft trop jeune auftî pour (avoir dire qu'on 
ne le veut pas, qu'on eft preffé d'avoir une 
aÔkire , &c que la plus promptement décidée 



iSS Œ û V it i s 

paroit toujours la meilleure. On eft tantfd^ 
reux quelque temps ^ les yeux s'ouvirent à k 
fiT^y on voit ce qu'on a pris> on s'ennuie de 
Tavoir , on en rougit , l'on quitte ; & voilà 
comme vous aurez eu madame de Lurfày. 
Elle a > je crois , répondis -je , beaucoup 
d'amitié pour moi \ mais...« Eh ! oui , inter^ 
rompit-eue, vous allez-étredifcret, & ce ne 
fera que par vanité. le ne crois pas ^ dit alors 
madame de Mongennes , que ce (bit là (à 
rai(bn. Il fèroit trop d'injuftice à madame 
de Lurfày s'il penfbit d'elle aufli mal , & je 
la trouve aflez aimable pour, n'être pas (ur- 
prife qu'elle eût pu lui plaire. Vous le trou^ 
vez , Madame , repric-elle , d'un ton de pi- 
tié , c'eft un goût qui vous eft particulier : 
elle a peut -être plu jadis s mais perfbnne 
d'aujourd'hui n'étoit de ce témps-là. Il n'cft 
pounant pas (î éloigné que vous ne puifliez 
.vous enfbuvenir, répliqua madame de Mon- 
.gennes ; moi qui vous parle , je l'ai vu ce 
temps. Eh bien 1 Madame , répondit-elle , 
vous ne voulez pas apparemment qu'on vous 
croie jeune. 

Comme elles en étoîent là , 8c qu'une ai- 
greur polie fe mettoit dans leurs difirours , 
nous apperçumes Vcrfàc. Madame de Sé- 
nanges l'appella » il vint à nous ; mais fans 
cet air libre que j'admirois en lui , 8c que 

t'e cherchois vainement à prendre. Il fèm- 
>loit que la vue de madame de Mongennes 
le gênât , & qu'elle eût fur lui cette fupé- 
jrlorité qu'il avoit fur toutes lesautrès femmes» 



Ah i venez > Comte , lui dit madame de 
Sénanges , j*ai befbin de vous contre ma- 
dame, oui me (butient depuis deux heures 
des cho(es inouïes. Je le croirois bien , ré- 
pondit-ii féricufèment , avec un efprit fiipé- 
ricur , U n'y a rien de bizarre & même d'ab*- 
iîxrde , qu'on ne puiflc (buteriir avec fuccès: 
eh bien ! quel étoit Tobjet de la difpute ? 
Vous connoiflfèz madame de Lur(ay , lui de- 
manda-t-elle ? Exceflîvcment , Madame ^ 
répondît-il; c*eft afliirément une perfbnne 
refpeékable y Se dont tout le monde connoîc 
les agréments & la vertu. Madame ibutient» 
jcprit-ellc , qu'on peut encore aimer madame 
de Lur(ay avec décence. J'y trouverois pour 
moi, dit-il, plus de générofité & de gran- 
deur d'ame, C'eft ce que je dis, répartit- 
elle, & qu'on ne peut s^attacher à quefqu^uil 
de rage de madame de Lurfay , (ans fe faire 
un tort confidérable. Cela eft exactement 
vrai , répnrtit-il , mais du premier vrai. Il y 
a mille belles actions comme celles-là qu'on 
ne (auroit fmc fans (è compromettre. Se qui 
ne prennent jamais en bien dans le monde.^ 
£h ! que dites-vous, dit madame de Mon- 
gennes ? On excufè tous les jours des goûts 
extraordinaires : plus ils font bizarres , plus 
on s'en ^t honneur. Se vous voudriez....... 

Oui , Madame , interrompit-il , non-feule- 
ment on les tolère , f^i fait pis , on les ap- 
prouve , & vous n'ignorez pas que j'en ai 
des preuves ; mais le public n'cft pas toujours 



xoo <K tr y it X f 

aulTî complaifant que je Taî trouve : il cft des 
goûts qu'il s'obftine à profcrirc. 

Il feroit , comme vous le dites , peu coin- 
riaifânt , reprit-elle , & j'ajoute qu'il fèroic 
fort injufte lî Ton ne pouvoit aimer madame 
de Lur&y fans qu'il y trouvât à redire : je 
conviens qu'elle n'eft plus de la première 
jeuneflej mais combien ne voit-on pas de 
femmes beaucoup moins jeunes qu'elle , 
infpyrer encore des (èntiments , ou du moins 
chercher à les faire naître ? Cela n'eft pas 
douteux , dit Verfàc , mais aufli ne le foufl&e- 
t-on pas tranquillement. Ah ! pour cela, dit 
madame de Sénanges , on en voit fort peu : 
il eft un âge où l'on (ait qu'il faut fe rendre 
juftice. Oui, reprit Verfac , mais il me 1cm- 
ble qu'il n'arrive pour perfbnne , & que com- 
munément on meurt de vieillefïè en l'atten- 
dant encore. Moi, par exemple, je coiinoîs 
des femmes. qui ont vieilli beaucoup, extrê- 
memenc, qui par conféquent (ont devenues 
laides, & ne s'en doutent (èulement pas, 
& qui croient de la meilleure foi du monde 
ayoir encore tous les charmes de leur jeu- 
nefle , parce qu'elles en ont confèrvé foi- 
gneufement tous les travers. Ah 1 que c'eft 
bien madame de Lurfày , s'écria-t-elle , des 
travers qu'on prend pour des charmes ! il elt 
inconcevable combien celajeft frappant ! cela 
eft d'un lumineux particulier l & combien 
4e gens cela ne peint-il pas ? Pour moi , j'y 
^pconnois mille perfbnnes. Pas encore toutesr 
celles à qui cela reilèmble , die madame de 



Mongennes , & vous l'attribuez à beaucoup 
d'autres pour qui il n'eft point fait : car en 
vérité , Madame de Lurfày n'eft ni vieille ni 
ridicule. Je ne conçois rien à votre entête-* 
ment , Madame , répliqua madame de Se- 
naiiges ; il me pique : laifFons-là fes ridicules , 
ils font prouvés ; mais enfin quel âge a-t-el!c 
donc ? Eh bien ! Madame , dit Verfàc , elle 
n'a véritablement que quarante ans : mais je 
foutiens qu'elle en a plus , parce que je ne 
l'aime pas aflez pour permettre qu'elle n'ait 
que Con âge.: Aflurément-vous vous trom-i 
pez y répliqua- 1 -elle aigrement \ quarante 
ans l il eft impofïîble qu'elle n'ait que cela. 
Je me fbuviens..... Madame , interrompit- 
il y en pouflant cela jufques à la calomnie , 
elle en a quai:ante-cinq , mais je ne {àurofs 
aller plus loin. Au.refte , youdriez-vous bien 
me dire à propos de quoi cette obligeante 
diflertation fur madame de Lurfay ? 

Vous le voyez bien , dit-elle , ce ne peut 
être qu'à propos de l'amour qu'elle avoîc 
înfpiré , l'on ne iait comment , à M. de 
Meilcour. Ahl Madame, répondit-il d'un 
air myftérieux 5 pour peu qu'on eftime' les. 
gens , on ne dit point ces chofes-là tout haut » 
on ne dcvroit pas même les penfer y mais la 
foiblefle humaine ne permet pas une Ci grande 
perfedion. Je ne connois perfonne qu'un fait 
pareil , s'il étoit avéré , ne perdît à jaipais 
dans le monde. M. de Meilcour a fans doute 
pour mad. de Luriày de . l'eftime , du reC, 
jed;, de la vénéiatipn même;, fivqus voulez j, 



191 (E V V K E S 

mais ii ieroît trop dangereux pour lui qu'on 
le (bupçonnât feulement du refte. Vous le 
défendez mieux que lui-même , reprit-cUc i 
vous voyez qu'il s'en laiflè accufèr fans ré- 
pondre , & que ce propos l'embarraflè. Peut- 
être aulTî , dit-il , ne fait-il que Tennuycr , 
& j'en ferpis peu furpris. A l'égard de fon 
embarras , je ne vois pas ce que vus en 
pouvez conclure. Etre embarrau^ de l'accu- 
îàtion » n'eft pas être convaincu du crime. Il 
t(k bien vrai que madame de Lurfày a pour 
lui d'aflez tendres fèntiments ; mais qui , 
dans le monde ^ efl: à l'abri de ces accidents- 
là ? Répond:K>n de toutes les padions qu'on 
infpire , & pourvu qu'on les méprife , qu'on 
les rende bien infortunées , quand il n'eft 
pas de la dignité de s'y prêter , que refte-Cril 
au public à dire ? Je fuis , pour moi , très* 
certain que M. de Meilcour a (ait de même y 
Se qu'il n'a pas là-deflus la moindre com- 
plaîiànce à fe reprocher. Tant pis fî cela eft 
vrai, dit madame de Mongennes; je ne vois 
pas qu'il puiflle mieux (aire , ou du moins , 
je vois qu'il pourroit faire beaucoup plus 
mal. 

Malgré l'extrême & malheureu{e<lé(ërence 
que i'ai pour tout ce que vous penfez^Madame^ 
répondit Verfac , je ne faurois être de votre 
jlvis. Pour vous , Madame , continua-t-il > 
e 1 parlant à madame de Sénanges » je fuis 
f ^pris que vous ^oycz aflez mal inftruîte de 
f 1 choix 5 pour avoir encore madame de 
Lurfày à lui reprocher. Moi I lui dk-cUe » ja 

fuis 9 



©1 Ck* ÏTttOK, lit 9. tfi 

{âis j je vous ]ure , dans la bonne foî ; il né 
m-a point encore fait de confidences, Qu'im-- - 
porte. Madame , vous à qui i*ai vu deviner 
tant de chofès plus obfcures que ne l'eft le 
fecret de fon cûeur, ne pourrie» -vous pas 
vous ièrvir encore de votre pénétration 5 par 
ipitié , Madame , devinez-nous. Non , dit- 
èlie , cela ne (èroit pas convenable ^ quand il 
m'aura confié fcs tourments , je verrai ce 
qu'il fera à propos de lui répondre* Allons » 
Monfieur , me dit Verfàc , confie* , vous' 
êtes trop heureux: mais , ajouta-t-il, en me 
voyant interdit , ces fortes de confidences fè 
f<^t rarement devant témoins* Enfin > de- 
manda-t-elle , qu'eft-ce donc que ce fecret l 
Je ne l'imagine pas^ J'en fuis fâché , Madame , 
répondit-il ; car Ci vous ne paroiflèz pas avoir 
deviné quelque chofe , on n'aura rien du tout 
à vous dire. Vous concevez bien. Madame, 
dit alors madame de Mongennes , que ce 
fecret fi merveilleux ne peut vous échiapper;; 
Et cependant, reprit-elle, on me le cache 
encore. 

Je craii5 voir à pré(ent , dit Vcrfàc , que 
nous ne Tifquons plus rien à vous l'appren- 
dre; Mais où ibupez-vous. auÎQurd'hui ? Au 
fauxbouig? Oui, répondic-cUc, mais ce n'eft 
pas chez moi : ' nous allons toutes deux chpa& 
la j maréchale de ^^* , vous devriez bien y 
venir. Je ne (auroîs , dit-il , il y à auffi un 
fauxbourg où îe (bupe , mais ce n'eft pas le 
vôtre. Quelque tendre eng^ement vous y 
jKQcnt tàps doute? Tendre , reprit-il, non,. 
tpme Uf. 1 



Bft'CetoùîoUrs la petite de^*^^^ ? Il (êroïc 
fteu difficile > xep^rut-il > -que ce iiit toiMOusi 
elle, îe ne l'ai jamais eue. Ah ! quelle^folie^ 
s'écria madone de Mot^eimes » dénier une 
afiaire aufli piiblique 5 & dont tomt le monde 
iè.tue de parler depuib deux >mois ! Je vpû^ 
«drois l>îen, JMad^xnc , 4ui dit-il , que voui 
lufliez quelquefois perfuadée que îe neprends 
pas .tqujouss > ni toutes les fenmies j ni tous 
les ttavexs qu'on wc donne. Ëft-ce« dk 
madame de Sénanges > une ^^ieille aS^iie f 
Non> dit-il, f en ai (iniune ce matin. Pquj^ 
xoit-on (avoir qui vous attadie à présent? 
Qiii i l^a plus nouvelle .? :Qui ., la plus Qon^ 
:vdle. 

Vous l'ignorez! -reprît-il > Il eft fingolier 
jOue vous ne lâchiez pas quijc'eft s on^. tuera 
d'en pader , vous l'apprendrez de refte z 
l'imaginois pourtant que le fait étoit déjà 
public. Cela s'eft commencé très -vive- 
ment à r<:ipéra , continué ailleurs > & , cda 
s'aéhftve aujourd'hui dans mz petite maifixx. 
Elle eft éhamante! ajouta -t-fl^ ma petite 
maifbn, ]e prétends au premier jour vpus y 
donner une ^tei Cela eft galant au poffible ^ 
dit madame de Mongennes ; eft-ce#v« ^Oiid^ 
Madame , interrompit- il y c'cft toujours la 
même. Ehhien ! acceptez-vous ma jpropofii* 
' don? {Jne fSte dans une petite maifon ! dît 
madame de -Sénai^es > vous n'y penfèz pas| 
â^oilà de ces parties qui ne (ont pas décentes « 
fc qu'on a raiibn de blâmer. 
' ^3uis ijud cQQte ! xeprijt Va(àc i &^^wxi j 



^ 



D« CltlBTlltlîf, VUS. TJf 
3 /croie vraiqu'on les bkmàc , (èïoit-il jufte 
tle s'en contramdre) Cachez-vous^ le public 
vous devine^ t^ il moins 5 Quelques égards 
que vous vouliez avoir pour lui , il eft fur 
"qu'ilparle ; & d'ailleurs , je ne connôis , moi , 
rien de plus décent ^ju'une petite maifon , 
rien qui Vous ei^fè moins à ces difcours 
Qu'il lemblç que vi>us craigniez. Je commence 
même à crôûre qtie l'amour des bienféances ^ 
plus encore^ue la néceflîté , les a miles à la 
mode. 

N'eft-cc pas dans (me petite maîfonqu'on 
foupe fans fcandale tête-à-tête ^ Et peut-on.^ 
uns cette reffource , former aujourd'hui un 
engagement : N'en fait-elle pas même un des 
premiers attides ? Une femme qui fe ref^ 

5e<île , c'efl-à-dite , qui , avec le cœur ten- 
re, oa l'elprit libertin, veut cadher fa 
foibleffe , ou fcis fottifes , peut-elle en îm* 
pofèr fans le fècours d'une petite maifôn> 
£h ! quoi de plus pur, de moins interrompu » 
de plus ignoré, que les plaifits qu'on y goûte } 
Tous deux fbuftraits à une pompe embar« 
taflàntc, arrachés de ces appartements fbmp^ 
tueux çù l'amour querelle , ou languit fans 
ceflîe 5 c'efl dans une petite maifon qu'on le 
léveiÛe , ou qu'on le Retrouve : c'eft fous 
ïon hun>ble toit que l'on fènt renaître ces 
diefirs étouffés dans le monde par la dif!ipa« 
tion y SCi qu'on les Tatisfait fans les perdre. 
^ Ah ! Comte , dit madame de Sénanges en 
^îant , s'il étoit vrai qu'uAe petite maifon eût 
ce^te demiece vertu^ qui voudroît en habiter 

l t 



196 CE U T H K 5 

une grande ? Je ne vous dirai pas bien po- 
fitivemcnt qu'on ne les y perde pas , reprit 
Ver(àc , mais il eft fur qu'on les y amufê 
davantage, Oeft toujours y gagner, répon- 
dit-elle , mais eh attendant qu'on accepte la 
fête que vous propoicz , vous feriez bien de 
ipuper tous deux chez moi à mon retour de 
Verfàilles y qui fera dans fort peu de jours ; 
]ç vous le manderai , Verfac : A moi î 
s'écria-t-il , vous connoidèz mesdiftraâions , 
j'oublierai peut-être de le faire avertir : écri- 
vez-lui , cela fera plus fur & plus honnête , 
& il voudra bien m'inflruire du jour que 
vous aurez choifî. Je le veux bien , dit-elle , 
c'efl un billet fans conf^quence. Oh ! vous 
êtes infbutenable auffî avec vos ménagements 
fUr les biepféances ;. je ne vois pertonne les 
pouflèr auflî loin que vous 5 vous en devien- 
drez ridicule à la fin ^ repiit-il. Il efl bon 
de s'obferver j mais une trop grande exac- 
titude efl gênante , ie pieurs de peur que 
vous ne deveniez prucic. Non^répondit-eÛe, 
pour prude y je n^ crois pas que je la de- 
vienne y cela n^eft pas de mon caraâere ; 
mais je vous avouerai que je hais l'indécence. 
Etre indécente y tfï unechofè qui me révolte, 
6ç due je ne pardonne pas. On ne fauioit 
pipnler autrement quaml on e(k auflî bien née 
que vous Têtes , répondit-il d'un air férieux î 
inais raffurez- vous lur ce billet, tous les joursoa 
en écrit depareils. Viendrez-vous , Monfîeur , 
me demanda-t-elk ? Je defîrç afTurément de 
le poi^voir , Madan^e , f éppndis-je î mais je 



f 



DE CR'i'BÏ LI6K, FIIS^ 197 

ne fais fî je ne vais pas à la campagne avec 
ma mère , avant votre retour. Non , Monfieur, 
me dit Verfàc , non , vous nuirez pas à \x 
campagne 9 ou vous en reviendrez : ce rféft 
pas dans une ikùation auffî charmante que 
la vôtre , qu^on s'embarque dans de fembla- 
Wes panies. 

Quelque chofè qtte pût dire Vcrfic, moti 
air mécontent lui prouvoit qu'il ne me pcr- 
fuadoit pas , & je m'apperçus que madame 
de Sénanges s'alarmoit de Tobftacle que j'ap- 
portois à ce louper. Vcr{àc ^ qui avoir réfolii 
de m'enlever à madame de Lurlay, m'en- 
agca fi pofitivement , qu'il me fat impoffi-i 
le de longer davantage à me défendre » ic 
je promis , très-décidé à manquer 4 une pa» 
rôle que je donnois auffi forcément. 

Je revois avec un extrême chagrin à la 
violence qu'on me faifoit , & je me confira- 
mois plus que jamais dans l'idée que madame , 
de Sénanges , malgré Tes difcours contre l'in-« 
décence , n'étoit que ce qu'au premier coup- 
d'œil elle m'a voit paru ; elle ne s'en flatta pas 
moins. , que je ne m'occupois que de mon 
bonheur prochain. 

Que je fiiis (ktisfaite de votre comptai-^' 
fance! me .dit- elle tendrement, vous êtcs^ 
charmant ! cela eft vrai , vous êtes charmant l 
Mais , dites-moi donc , que vous ferez bicit 
aile de me revoir. Oui , Madame , répondis- 
je froidement. Je ne lais continua-t-elle , fi. 
, je devrois vous dire que je penferai à vottt 
2fftç jdaifir : je crains, que vousne voo&ia*** 

l3 



ipt (B tr ▼ m B » 

téîè(Eci que médiocrement à ce que fe pour^ 
rois vous apprendre là-defTus. Pourquoi, 
Madame , répondis- je } Ah ! pourquoi , re- 
prit-ellie } Voilà ce que je ne <K>is pas encore 

yous apprendre. Cependant v mais qad 

ùfàge Ibrez-vous de ce que je vous^rai l 

Excédé d'impatience & d'ennui , f aUoiîr, 
je ctoisc» ta prier de votloif bien ne me rien 
confier., lorfqu'au détour de l'allée, je vis 
madame de Lurfày , Hortenlc , & fe mère, 
qui yenoient vers nous, tedéfbrdre oà cette 
vue inopinée me plongea fut extrême* Sans 
croire que je fuflè aimé.d'Hortenfe, j'étais dé- 
^(s^Jiéy. <|Vl'api:è$.l*aypir quittée fi brufquen 
mçnt , elle nîe retrouvât, avec mackme dfe 
Sénânges. Quoique la crainte de déplaire à 
imadame de Lurfày ne m'occupât plus , (â 
préfence ne laiflbit pas de m'cmbarraflèr. Le 
xeproche de faufleté qu'elle m'avoit (ait de- 
vant Hoijei>& , & la dernière quenelle que 
nous avions eue cnfemble, m'avoient aigri 
contr'elle au, dernier point , & na'éloigncMent 
4'un raccommodement dont je cxaignois les. 
iuites ; mais je redoutois Tes di(c6urs. Sans, 
découvrir l'ûitérét qui la feroit parler fur mes^ 
liaifbns avec madame dé Sénanges > fâchant 
Qiéme à cet égard y fè couvrir du mafque le 
plus noUe > elle pouvoit faire pen&r à Hor«^ 
fenfè qu'elles n'étoient pas iimocentes y ôcd 
die n'avoit pas à me détruire dans fbn^cœur ,. 
<Qcmtribuer du moins à m'en fermer l'accès 
pom toujours. Je m'e&rçois vainen^ent de 
cachcriaonttpublcî U étok peiut dam cpuies 



mes aâlions & dans in;es yeux : je n-ofbîs les 
fever fur Hbrtenfe ,: Se ne pouvoîs pas en. 
même temps le^ porter ailleurs y un charme 
fècrec âc invincible les ariécoit fur elle malgré 
moi. 

Madame de Larfay me pamt pénétrée de 
douleur ; mais accoummée à prendre fxxt 
elle ^ fan vifàge changeoit à melùre qu'elle 
apprpchôic de nous ^ & elle répondit en (bu^ 
lâant » & de l'air du mondé le plus libre & 
h plus ouvert , â la révérence décontenancée 
que )e leur fis. Pour Hortenfe , que j'exami^ 
nois avec foin , eQe ne marqua en me voyant i- 
ni trouble 5 ni plaifir. J'entendois cependant 
de tous cotés fe lécrierfur (es charmes,^ 
î'en (èntois augmenter mon amour 6c w» 
douleur. Nous pafOimes iàns nous parler. 

Voilà donc , dit madame de Mongchnes ,' 
en regardant madame de Lurfay , cetie 
femme qu'ônnepourroit plus aimer que par 
généroiité } Il feroit fingulier afiurémetic 
qu'avec autant d'agréments, eUenepûtpas 
Êire une paflioti. Hélas! oui. Madame » 
répondit madame de Sénangés y elle a pré« 
diement ce malheur-là, & votre étonne*. 
: ment ne le fera pasceflèr. Eh bien ! Monfieur ^ 
ajouta-t-elte en s'adireflànt à inoi , rien ne> 
pourra-t-il vous tirer de votre rêverie i Éft- 
ce madame de LurËiy qui la caufè<? Je vous 
ai déjà dit. Madame, interrompis-je , qu'elle 
ne prend rien (urmon cœur ; une autre idée 
que la ficnne l'occupe trop vivement pour 
qu'il puilTe être partagé } & dut cette pauioa- 

I 4 



ftoo ΠV V A s f 

caufèr tons les tourments de ma vie> îc (ens 

avec plaifir qu'elle n^en peutjamais être e£- 

&cée. 

L'amour dont î'étois pénétré , me don- 
n<nt une exprefEon de fentiment à iaqueUe 
madame de Sénanges fe méprit. . Je vis fès 
yeux s'animer. Vous , malheureux ! me dît- 
elle > eh ! pourquoi le feriez- vous l Devez- 
vous feulement imaginer que vous poiflîea 
Fétre ; & fàit^n. quelque chofè qui doive 
vous le (aire craindre } fbyez confiant , mais 
<|ue ce ne fbit que pour être toujours heu- 
reux ! Je reconnus fa méprifè 3 & la lui 
Jkiâai. U m'importoit afTez peu Qu'elle me 
crût amoureux d'elle > de }'étois fur qu'eUe 
ne pourroit pas le croire long-temps. 

Verfâc^ quis'amufbitàcontredire madame 
4e Mcttigennes , repaflà dans cet inftant de 
Botre côté. N'eft-il rien arrivé d'extraordi- 
naire à madame de Mongennes » qui ait bou-^ 
kverfë fês idées , demânda-t-il ? Elle veut 
que madame de Lurfày foit belle i & n'ima- 
gine feulement pas que mademoifèlle de 
Théville puiflè l'être. Mais fur la dernière 
partie de ce qu'elle penfe y je ferois aflèz de 
ipn avis^ répondit madame.de Sénanges^ 
mademoifello de Théville a pluis d'éclat que 
de beauté , i^us d'air que de taille » c'eft en 
lout une :perfbnne à paflèr fort vite. Pour 
^oi y qui m'y connois > dit Verfàc ^ }e ne lui 
tf ouve qu'un défaut , c'efl d'avoir l'air trop 
xiiodefle : elle s'en défera dans le monde vrai- 
fçmblablemem > 8c plût au ckl que îe fuflè 



i> B C n i B 1 1 £ oir ^ fin. tCt 

le premier à l'en corriçer l Donnez-lui , |t 
vous pouvez au(E> Tair {piritùel , dit madame 
de Mongennes; dé&ites-Ia de ces grands 
yeux inanimés , dont il paroic qu'elle ne iàic 
que feire } jetez^y de rintention & du feu > 
ce CersL un d'autant plus bel ouvrage , que 
(urement il n'çft pas facile. Si vous Te trou-« 
viez plus aifë , rîpartit-il , il le (èroic bien 
moins ^ & la façon dont vous parlez d'eUe , 
m'allure qu'elle n'a rien à acquérir. 

Indigne de la baflè jaloufie qui régnoic 
dans les diicours de ces deux femmes , & 
du peu de cas qu'elles Êifoient de la beauté 
de.mademoifellc de Théville, je ne pus. me 
contenir.^ En cfiet ,. dis-je à Vleriàc 5 elle eft 
trop belle pour qu'on ne veuille pas lui trou- 
ver des défauts; il cft plus fîir de louer 
madame de Lurlày , elle peut enlever moin» 
de conquêtes. 

L'air méprifant avec lequel je parfois , ne 

•devoit.pa^ plasrç .à madame de Mongennes; 

^mais je lui aurois dit des chbfes plus défi>- 

^bJiigeaiktes qu'eibnC' ^'en feroit pai offenfeec 

;(és <k0èais iur^moi étoienc moins détruits 

que dÂCm^lés^ & quoiqu'elle naâfeââjt plus 

cette grande vivacité qui avoit alarmé madama 

dcrSénanges , & que le dcfir -qu'elle avoit de 

.tB^'^n^gçt,:fut j^jériçmremçnt modéré , il 

jà<'e%^tolt r.p^:^ians le ' fond moins ardeur. 

.Eflç jdgppi^^iWXifeçewfi^oides qucj'avD.'t 

poiijr. npdamp 4ç -Sénanges , que je ne Tav- 

.mois point > & trop fbae pour n'être pas 

txceibvemcui; y me ;^ eUe ne doucdc poi&i; 



.m>^ 



g 



im ' IK V V it 8 t 

AM jenelm oéda0e aofli-tot qa'cHe k touh 

amc Je ÎQgeck <le fès efpëxances pat fcs 

aacndpiiSs fie de ceitains negaids donc je 

cxusmençoîs i comprendre la vdeiu^ quoi- 

ijn'ils ne m'en orouvaf&nc pas plit$ fenuble^ 

Depuis qiie î'avois rencontré mademoifeUe 

ic Tnéville , i^vois fènti redoubler l*enniil 

ue m'infpiroic madame de. Sénanges i^ mail 

L crainte de lui feire pen(èr que f étcâs im* 

patient de retrouver, madame de JùuxQlj » 

m'avoit retenu aupi^s d'elle. Heuxieufèmënc^ 

ma conuainte ne fut pas longue , Oc elle 

forcit peu d'inftants après , en me pmntdt 

longer à elle, &en m'a0ùrant qu'elle n'ou** 

blieroit pas de m'écriie à fbn retour de Ver-^ 

failles. IJe me fëparai d'elle Se de Ver{àc>, 

féfolu de chercher l'un avec autant de fbin^ 

^ue je me promettois d'en mettre à' éxitec: 

l!autre* 

Je ne fus bas plutôr libre > que îe cherchât 

mademoiiêlle de Thévillè« Quelque choier 

-^pie je fouÊiâè de ia froideur , jéiottffiois^ 

encore plus de (on abfeaces U fèmblaît>. 

quand }e ne la. voyois pas , que ma jaloufie 

me tourmentât plus violemment $ j'imagînok 

qu'elle penfoit uns diftraâion à Germeuil ^ 

ic que ion coeur jouiflbiti^op tranqùiUemenr 

d'une idée que fe Hiitcroyois b doiete : j'ef-^ 

pérbis que du moires ma piéfènoe l^etfof^ 

^cheroii; de.s'en oiJtmpef autant <^ jk !è aïK 

-gnoiS) enfin, & fausr totts €^ moti6^ p: 

voulois la revoir > du£&i-)e enorare' eus l£^ 

;;dumii de foii amour j^ttt ffiOA nsd^ 



BS CulBIilOll, f I£f. M) 

Enfin ]e ta retrouvai. Elles venoienc de 
filon c^. Madame de Lurfày rougit à ma 
vue y mais peu inquiet de fès mouvements, 
ce fut dans les yeux d'Hortenfe que je cher.» 
chai ma deftinée. H me parut qu^elle me 
voyoit arriver comme quelqu'un à qui Ton' 
prend peu d'intérêt. J'eus lieu de oenler qu'il 
lui étoit égal que je fuflè auprès de madame 
de Sénanges , ou auprès d'elle ; Se les noù-^ 
Telles preuves que je recevois de fon indiflfë-» 
rence , achevèrent de me percer le cœur. 

Madame de Lurfay ^ pendant le temps 
^e j*«nployois à examiner Hortenfc , nxe 
rtgardoit fixement , Se d'un air railleur^ 
dont enfin je nr'âpperçus , & qui redoubla 
faverfion que je cdmmençois à (cntir pour 
die. Je favois tout ce qu'elle avoît à me dire , 
Se les idées qu'elle s'etoit faites fut madame 
àé Sèianges. Ce qui s'étoit paifè entr'elle ôc 
moi , étoit encore trop fècret pour que ce 
Itii fôt une raifon de fè contraindre. Elle 
ppuvdit i fans (e fàcrifier , parler Hbreiiient 
du nouvel amour dont elle me croyoit oc-^ 
cupé, & fêtais prelque certain qu'elle l'avoir 
^t : fî nous avions été fèub , j'aurois été 
moins embarraf!e d'une explication , où j'au^ 
KMS pu lui montrer qu'il ne meïeftôit pour 
elle pas plus* d'eflime que d'amoilr ;- mais la 
préfence de madame de Théville & d'Hor- 
tenfe y Im donnoit fur moi un avatitagè que , 
&tis renoncer à toutes bienf^ces^je ne 
lUi pouvois ôter. 

Éx Hcnl MoDÛcm 2 2ne demanda-c^ell<» 

16 



\ 



i©4 CE u v^ m B ♦ 

d'un ton radlleur, ce. mal de tête & vîdbnc 
n'a pas » ce me femble , été. de langue durée } 
En. effet 9 répondis-je > la promenade la dif- 
iipé. Seroit-ce feulement à la promenade 
qu'il faudroit , répliqua-t-cUe , attribuer une 
guérifbn (i prompte î & madame de Sénan* 
ges y fera- 1- elle comptée pour tien ? Je 
D'avois pas encore imaginé > répondis-^îe^ 
que ce nit elle que j'en dufîe re^lef der. Inir 
truit par vos bontés de tout ce q^e je lui 
dois i )e n'oublierai pas de lui en marquer, 
ma reconnoif!ance. Elle vous eç. donnera 
ians doute des fujets plus importants , ré*< 
pondit-elle ^ & je la crois perlbnne à nc^pas 
Borner fès bienfaits à fi peu de ckôfè* Eâc 
eft fort noble , madame de Sénanges j mais 
comment étes-vous refté ici fans eue 2 Appa- 
semment, repartis-je avec une aigreur qui 
^mmençoit à me lurmonter^ qu'il ne m'a 
pas été poflible de la fulvre : mais la certi'» 
^de de la revoir bientôt adoucit extrême* 
ment le regret que f ai de (on abfènce.^ 

Madame de Lucfày ne me répcMidit que 
^r on regard d'indignauon qui redoubla ht 
snienne. Se (ans rien dire y nous nous expri- 
mâmes avec forcé toute la colère que nou$. 
seflcntions. Elle ne s'en tint pas aux regards y. 
4c croyant a>c monifier d'avilir Biadame de 
Sénanges > elle em^^ya tout (on efprit à 
Joindre avec les traits les plus marqués ^ iès- 
yices &; iès ridicules. Elle ne pouvoitpas eii, 
Denfèr plus mal que moi-même^'mais loiit i 

«cl'çaM&i médire à fon gré^ je me c(us 



9 E C RE 1 1 1 1 a K^ ^ ï ^ f» ^^f ^ 

oblige de la défendre, ôC']c le fis avec tant 
d'ardeur, & fi peu de ménagement , qu'il 
ne fut plus poffible à madame de Lurfày de ^ 
douter de la nouvelle paffîon, dont aupa-^ 
ravant elle ne &ifbit que me (bupçonner* 
Aveuglé par ma colère , Je ne crus pas que \ 

Ce fut aflèz que je parure eftimer madame \ 

de Sénanges, &)'en parlai comme fi }e l'eufle | 

trouvée jeune > joUe ôc fpirituelle y Se avec ^ 

cet enchantement où nous met un objet qui 
commence à nous plaire. | 

Je m'apperçus , à la douleur de madame 
de Lurfay , que je venois de la convaincre 
qu'elle m'avoit perdu , & je goûtai pendanr 
quelques inftants le plaifir de la vengeance» 
Ce fut trop tard que je ientis ce qu'il m'alloic 
coûter. Occupé du defir de la tourmenter ^■ 
j'avois oublié qu'Hortenfe m'écoutoit, Sc 
que je ne pouvois perfuader^ Tune de moi» 
amour pour madame de Sénanges, (ans don- 
ner à l'autre la même idée. Cette réflexion 
que je fis enfin , m'accabla. Avant une (l 
cruelle étourderie que celle que je venois de 
faire > je n'avois à combattre que la froideur 
d'Hortchfe ; mais comment lui ofèr parler 
de ma tcndrcflc V après avoir avoué que ma-^ 
dame de Sénanges avoit &it fiir moi la plut ' 
vive des impreflîons ? Devois-je lui confier 
les raifbns qui m'avoidit porté à louer avec 
opiniâtreté, une femme fi digne de mépris » 
Pouyois-je moi-même', iahs mériter le fien ,. 
me juftifier. aux dépens de madame de Lur^ 

ia; j & Quctièsth fcçrec de i^ucceurlMoit 



»#4 CE ir T it « f 

i qui l'honneur impofbit fi i^vésementta tor: 
de ne lé laifler même jamais pénécœr^ 

Plus )ç mevoyois condamné à garder le. 
filence , . moins fefpérois - pouvbir fbrtir de 
rrn^>aria(&rite fîtuation où je m'étois .mis ;.; 
quelque peur d'intérêt .(^'Hortènfè eoc parvti 
farenore à mes difcours^ je ne~£iis. quelle- 
idéc^ que je crouvois &ns fondement, mais 
qui ne ai!en occupoit pas moins , tanimait 
mes efpérances. Piefque certain que je fèroiS' 
un jour obligé deioe juftifier auprès d^ellr», 
je pséfiaxois déjà tout ce qui pouToit détruire 
dans fini efprit une prévention quelle aumît: 
prifèavecd^aucant plus de fuifice, qiie j'avais^ 
travaillé moi-^méme à la lui doniaer* Sa. .tri£- 
tcSe augmentait encore mon trouble 6c mon- 
mquiétude*. Un état auffi Singulier que le 
fieny ne pouvoit guère être atoibue qui 
«ne paflion fècrete. & malheuieufé ; maïs 
s'il étoit vrai , comme ce jour même je Vsirm 
<mi>qu'ette aimât Germ^oil, qudlè pouvom 
Itte la cauiç de û mélancoHe ? Quand je les 
avois quittés y aucun nuage ne paroif!bitde* 
iroir s'élever ^ntr'eux; ù>n abience avoît-eUe- 
pu faire naître un iî violent chagrin ? 0» 
s^attrifte quand on prd pour long-^tentps ce 
qur'on aime : ne fkit-en que le 'quitter pour 
quelques inftants^ on penfe à lui, l'on s'en 
occupe , cette rêverie eft plus tendre que 
dbuloureuie ; Germeuil n'étoit dcmc pasrolv 
)et de (es peines dans le fond ; je ne pouvoîs 
le croire mon rival , que parce qu'il eft a£l^ 
BatureL que quand on caoainc un mf^ 



B^B G]tfB;t£tOir,rf£S; mf 
i^Eat femme y ce fbit l'ami qu'elle paroîtai* 
mer le plus cendcement, 8c qui nous caufe. 
le plus d'inquiétude. 

Le moyen le i^us iimple dé me délivrett 
des miennes >. écoiit iàns.^ doute de m'éxpU-- 
^uer avec Hoicenfè 5 , êc: je le fetitois bien ^; 
.nais convenir que cette explication m'étoic 
»écel&ire> n'étoitpas me la rendre plus fa- 
cile. Je n'encrevoyois rien qui pur me con<» 
duire âxement à l'écUirciffêment que je Covl* 
baitois, & m'aider à découvnr ii Geimeuil 
étoit cet inconnu q\ie je fàvois aimé, ou^ft 
|e n'avois^p^s.àcipaindce quelqu'aurre que 
Ittî. 

' Abibxbé dans cette confufîbnd1dées& de* 
&ntiments, les parcourant toute^^^ les épf ou^^ 
Yant tous, iàns n^'arréter fur aucun, je mar^ 
chois auprès^ d'Honenfè dans un état peu;: 
diffë]$nt du fien. J<s Toulois interrompre far 
léverîe, & îç ne tSDuvdis^ien à lui dire. G0^ 
lut au(E vainement que }c cherctiai à fixer 
^ yeux fiii^moi, ficnous arrivâmes à la^ 
porte fans qu'il luifôt rie& échappé de ^ cour 
ce qui pouvoir m'inftruire ou me fàtisfaire,. 

Madame de Lurfay ^ , depuis le pané^ 
gyrique. qu'elfe m'avoit entendu faire de ma«^ 
dame de Sénanges 3 ne m'avoit point parlé,, 
niffès^ avok vu paru madame de .Théviile^ 
& Horten& ^r Q^ demanda > mais avec une 
douceur excr^ine > fi je voulois qu'elle me 
lemenâl chez txoi , ou quelle me cond«ûsîr 
4iezelie. Le chagrm que ce jour même elle 

^'a^tttaufêx^ l^àatoii m'a^cmisJ^o]^^ 



"i^S (B tr r X B 5 : ^ 

niâtre froideur d'Hortenfè, m'élpignoîent 
ëgalemenc dé ce qu'elle me propofok , & 
Je lui répondis féchement que je ne pouvois 
faire ni Tun ni l'autre. Il me parut qu'elle 
ëtoit conftemée de ma réponie, & de la 
profonde &' férieufè révérence dont je l'avois 
accompagnée > cependant elle iniifta. Je lui 
£>utins avec moins de ménagement encore » 
.que des raifbns invincibles s'oppoibient à ce 
qu'elle defiroit. Se nous nous (eparâmes 
enfin tous deux y triftes Se mécontents l'ua 
de l'autre. 

Je rentrai chez moi l'elprit & le cœur trop 
tourmentés pour vouloir y voir perlonnc y 
)e paflài toute, la nuit à faire fur xhpn aven- 
ture les plus cruelles & les plus inutiles ré- 
flexions. 

On coimoît aflèz les (bnges des amants > 
leur$ incenitudes » leurs différentes réfolu- 
cions 9 pour concevoir tous les mouvements 
dont k Sis ftgitë tour-à^tour .^ & ji'ai trop 
parlé de mon peu d'expérience ; on voit trpp 
par ce récit combien, je lui devois d'idées 
lauflEès , pour avoir beioin de m'arrêter fat 
çt fttjet plus longrtemps. 

Je ne fàvois çxkoïc à quel projet je devois 
m'arrêtcr, lorfqu'on entra chez moi. Je reçus 
^î.même :tenips, ce biUet de U part 4ct m*r 

dame de I^riwiay. ^ (. : .\ .. 

. ' \ 

k I . '• • ' r» . • - - t ■ ' 

• • . . i ^ . , . # , 

: SI J€ m cmfiihms. que voir^ cœur ^ je m 
prendroispas la peine de vous écrire^ mon fi* 

knce fans doute m'^forgaeroit de nqwum 



»B Cll£3II t ON^ FI LS. ZO9 

afronts ; flux tendre que je ne fuis vaine , fe 
ne crains pas de m*y expofer encore. Je vais 
aujourd'hui à la campagne pour deux jours , 
vous ne mériierie^pas que je vous en avertijfe , 
beaucoup moins que je vous priajfe de m'y acm 
eompagner , cependant je fais l'un & l'autre» 
Tant d'indulgence de ma part , ne vous rendra 
peut-être que plus ingrat ; mais il me fera doux 
de vous confondre par mes bontés, fi je ne puis 
vous y rendre fenfiile. Je fuis d'ailleurs CU'* 
rieufe de f avoir fi vous trouve^ â madame de 
Sénanges autant de charmes que vous lui en 
trouviez hier. Je veux bien encore m' inquiéter 
de ce que vous penfi[ fur ce fujet. Songe[ que 
je puis ne le pas vouloir long-temps. Ad^eu, je 
vous attends à quatte heures. 

Ce bîllct ne m'ôta rien de ma colère con- 
tre madame de Lurfay , avec qui je ne vou-> 
lois point d'explication -, ainfî^ fans réfléchit 
fur cette partie de campagne Ci fubitement 
formée , ôc dont la veille je n'avois pas en- 
tendu parler , je lui écrivis avec U dernière 
froideur , qu'il m*étoit impofHble de (aire 
ce qu'elle deiiroit i 6c que j'avoîs pris la veille 
des engagements que je ne pouvois rompre,. 
Dans la utuation où nous étions enfèmble ^ 
cette réponfe étoit impertinente ; mais plus 
je le fcntis , plus je fus content de la lui avoir . 
faite, jf'étoîs déterminé à rompre avec elle. 
Cétoit , de tous mes projets > le (èul qui me 
(ut refté conftamment dans l'efprit , 6ç]ent 
pouvois me blâmer d'un refus qui> Teloa. 



V, 



%10 tt tr ▼ K s 9- 

toutes lès apparences ^ afiuroit fit avançait 

notre rupture.. 

I^ haine que )e reâentois alors pour m2A 
dame de Luriày» ne me l^voît pas (èule 
cliâée. Jfavois craint, encore moins d'ennui 
pourmoi 3. i êtse auprès d'elle , que de cfaa* 
grin à être éloigné df Hortenfe , que )e ne 
youloîs pas quitter, dans dès.circonflânces 
où il m'étoit important.de lui dire que jç 
Kaimois ,. ou de.veillerdu moins fiir mes ri- 
Taux* Je paâai à\m'occuper de Rm iàécy 
tous ksmoments o»*iLne m'écoit pas encore 
permis de la voir; & il étoir à peine. cin({: 
heures >, que ft volai chez elle» 

J'arrivai bientôt ,, on ouvrir. Entre quel- 
ques équipages que )è vis dans^la coui, ]c 
reconnus celui de madame de Lur&y, Âne 
m'en fallut pas davantage pour me £ûre con* 
noître là faute que j'avois faite , ôc l'impor» 
fibilité de ht réparer me défefpéra. Je ne i»u- 
Vois plus douter qu'Ftortcnfe ne fut de cette 

C'e que î'avois.refuf^^ La hauteur avec 
:11e fàvois: écrit a madame de Lurfày 
que |e ne pouvoîs en^tre> .ne mt permettoit 
pas de fbnger à là renouer avec elle > & ne 
là difpenfblc que trop de. Vouloir, bien mfett> 
prier encore;* * ^ 

Plein de fureur contre moi-même, j'en» 
tiai ,. mais décontenancé & tremUant. Ma- 
dame de Lur&y^ pâtit à ma vue , âr il me 
parut qu'elle lui caufbît autant de colère que 
d'étonnement. Quoique je méritaflè toute 
fr haitie 2 jé ne lài^ pas de m'o&nicr au^ 



»i Cnf Biiiaitvrrt 5^ lit 

tant de ce qu'elle m'en marquok , que (i elle 
m'eut &it injustice» Je ne m'arrêtai pas long- 
temps à cette idée. Mortenfe qui parloit à. 
Germeu3>. l'air, familier que je lui tcouvois. 
avec lui^ la furpriiê qu'elle marqua en me 
voyant, & (a rougeui: fiibiite , étoicnt pour 
moi des objets qui anéantiffoient tous les 
autres da^^s monrefprit. Se me dônnoicnr 
fculs à rêver. 

Vous venez fans, doute avec nous 3, Mon* 
fîeur^ me demanda madame de Théville h 
Uon, Madame, lépondit vivement madame 
dé Lur(ây i jp lin avoisjprié, mais il a des^ 
engagements qu'il ne- faurott romjpre 5 je 
Crois que vous lesu devinezi , Quelle £:^e t 
s'écria Germeuil , je vous jure. Madame ,1 
qu'il n'a rien à faire. Je fais le contraire po- 
(xtivement ^reprit-elle d'un air fec; mais l'heure 
heus preflTè > & îl^^ voudroà^-,. Qns^ dbute j^. 
d'autant moins retarder. notre départ,, que 
luremenrnous retardons fes plaifirs. Adieu » 
Monfieur^ me dic*elle en fouifiant , je ferai 
f^ut-étre plQ$ heureuiê une auQ;e f<ns,. ou; 
vous ferez moins occupé. 

En achevant ces paroles , eDè me préfehtaii 
h main- d'un ^r auflS libœ que s'il n'eût été 
queftion de rien entre nous.: & mourant de 
rage ,Je fos obligé de. la conduire jufqu'à fonr. 
carrofle. 

Il feroit cependant fîngulîer , me d&-ellè 
tout bwis ,, en defeendant , que vous foffiee 
lâché de la réponfè que vous m'avez- feke j; 
loais nott^ y^M^, ne. la^ez qu^ffenfcr ^ iit 



111 Œ u y R £ s 

j^aurois tort de vous croire capable âc tepen* 
tir. Ah ! de grâce , Madame , répbndis-je , 
ce({bns de pareils difcours , le temps en eft 
palTé pour vous & pour moi. Je connois , 
reprit-elle, votre obligeante façon de ré- 
pondre , mais je veux bien ne m'y p^ arrê- 
ter , vous m'avez accoutumée à être indul- 
gente. Que je fâche feulement fi , comme 
vous ne penfez pas long-temps à h même . 
chofe , il ne vous auroit pas pris un remords ? 
Ne craignez pas de me l'avouer, feroit-îl 
vrai que vous vouluffiez venir ? C'cfl , Ma-? 
dame, repartis-)e, une queftion à laquelle 
j'ai répondu ce matin. Il fuffit, reprit-elle, 
& je vous fupplie de vouloir bien oubliée 
que )'ai ofé vous la faire deux fois. 

Elle me fit alors une de ces révérences 
choquantes, que je favois ù bien lui faire 
quelquefois. Je voulois en vain déguifer 
mon chagrin. Voir Gcrmeuil auprès d'Hor- 
tenfè , Se penfer que , dans la folitude de la 
campagne, il trouveroit mille moments pour 
lui dire les chofes les plus tendres , étoit un 
fupplice que je ne pou vois fupporter, fur-» 
tout quand je me fouvenois qu'il avoit dé^ 
pendu de moi de me l'épargner. Je me ré-\ 
pentis, en les voyant près de partir, de cette 
^uflfè honte à laquelle je venois de fàçriâet 
l'intérêt le plus vffde mon cœur. Je tenoi^ 
encore la main de madame de Lur(ày, & 
je crus qu'il ne me feroit pas di£Gcile d'obte* 
nir d'elle, une chofè qu'elle m'avoit para 
4eftrer vivement. Je pris enfin afTez fui ma 



ht CreBILLON, fils. 21} 

(bttc vanité pour eflayer de me faire parler 
encore de cette partie , que je ne voyois faite 
Çins moi, qu'avec la plus vive douleur. St 
vous m'aviez averti plutôt , Madame , dis-jc 
à madame de Lur{ày , vous ne m'auriez pas 
trouve engagé. Oh ! je le croîs, répondit-elle 
iâns me regarder. Si vous le vouliez même , 
continuai-je.... Non, afTurément, interrom- 
pit-elle, je ne veux rien. Je ne mérite pas le 
moindre des (acrifices que vous voudriez me 
faire , & n'en accepterai aucun. Vous penfiez 
diflferemmcnt tout à l'heure , repris-je , & 
j ai cru pouvoir..,. Eh bien l interrompit-elle 
encore , je penibis fort mal , & je m'en fuis 
corrigée. A ces mots, elle me quitta, & me 
laiflà d'autant plus piqué que je croyois 
m'être compromis, en la priant d'une chofe 
qu'un moment auparavant j'avois refufë 
d'elle , & que j'avois vainement abaiffê mon 
orgueil. 

Quelque intérêt que j'euflè à né point 
quitter Hortenfè , j'imaginai qu'il fklloit le 
faire céder à ce que je croyois me devoir à '- 
moi-même, & que mon amour .m'avoit > 
même engagé trop loin ; aind ne pouvant 
me pardonner d'avoir donné à madame de 
Lurlày lieu de penfer qu'elle me mortifioit , 
je les laiflai panir , défefpéré qu'Horteniè , 
qui n'avoit feulement pas daigné me parler^ 
n'eût pas été témoin de mes dernières dé- 
marches auprès de madame de Lurfay , 6c 
qu'elle pût attribuer mes refus à mon amour 
pour ntiadame de Sénanges, Ilsétoient déjà 



M4 <E tr lr n ï 1 

loin , ^e ^e n'écois pas encore fbrtl du tttm» 
l>le où cette iituâtion m'avoit plongé» Revenu 
^fin à^moi'inêniev^ je ^retournai chez moi » 
tnédker piolbndéziaent fur des minuties , 
'pcnfer feux for tout ce ig[ui m'airivoit. Se 
^'affliger îoiqu'au retour aHortenfè. 

Quoique je fkflè qu'elle devoit èae deùt 
^ours à la campagne » j'envoyai le lehdemaift 
(avoir fi elle n'étoit pas revenue. Tourmenté 
ipar mon impatience & ima jalûufie ^ le ]om 
^'aprèsfy md moi-même > & ne k croavanc 
|»s, je fus cenff^is tenté dédier la loindre) 
mais plus vain encore que je n'étois anu>u- 
veux ,1a crainte de feâe croire à miadame de 
Luriay que je ne pouvais fupporter ibnab* 
lènce» Tempotta^ 6c malgré mes terreurs « 
me fit refter. 
. J'étois à peine rentré qu^on m'annonça 
Veriac. Quelqae occupé que \e futfe de tnoa 
amour > la fbUtude \ laquelle je m'étoi^ con- 
damné ^ m'ennuyoit, & je ms charmé de le 
Yevoit. 5e viens &voir, me dit-â» ce que 
vous feites deptiis detii joujrs. Il n'y a pas 
d'endroit dans Paris que je n'aie parcoura 
uns vous y rencontrer, je luis, répondis^je, 
de la plus mauvai^ humeur du monde. Les 
amaiits heureux ont-ils du chagrin, me de- 
manda-t-il ? je ne fuis pas f^çhé de vous voit 
iènfible à l'ablèh^e dé madame de Séiianges> 
mais vous devez être fî (ux d'être aîmé.....^ 
Ah ! Ciel<, m'écriai-^je. Cette exclamation 
tragique me confond ^ interrompit-il à Ton 
tour, eft«<e qu'on ne vOus auroit pas encore 



^Aerhî^Non, alHirément» répondis- je, 2 n'y 
a que deusx jours qu'cUe-eft partie, & vou» 
(avez qu'eUeivdoitm'écrirequ'àtonxctour 
ici. Cela eft vrai, répartit-il , mais je n'-cii 
fuis jpas moins fuxpris que vous n's^ez en- 
core entendu parler de .rien. Avant-^hier on 
vous demanda la^permiiSon de vous écrire , 
r& dans toutesies règles, vous auriez déjàdà 
^recevoir -quelques billcis. Ccft ^une jèmme 
rchacmance :que madame de Sénanges l Oit 
n'a jamais avec elle, ni lottes réflexions,. ni 
lenteurs aiflèâtées à craindre. £n on in(bint » 
ion eiprit a tout apperçu, ion coeur a tout 
(ènti. <2ç ne ïèroit pas, rçpris-je, c&qui me 
3a (èroit akaer davantage. Un peu d'indéci- 
iîon y quand il Vagît du choix d'un amant » 
iied , je crois , mieux 1 une ièmme que 
•cette précipitation dont vous ïàvcz fi ixMi 
^ré à madame de Sénanges. Autrefois , dit** 
il, on penfbit comme vous , mais les temps 
ibnt changés, l^ous parlerons là dellus plus 
^ loifir 'y revenons à madame de Sénanges, 
Après les eïpérances que vous lui avez don« 
tiées^ & les foins que vous lui avez Tendus» 
votre indifférence m'étonne. Moi 1 m'éçriai«* 
je , je hii ai donné des efpérances } Mais (an» 
doute , répondit-il froiaernem , quand un 
liomme de votre âge va chez une iemme 
comme madame de Sénanges , paroît en pu- 
blic avec cfle, & laiflè étwlir un commerce 
de Içtores , il faut bien qu'il ait iès raiibns» 
Communément on ne fak point ces chofès- 
& fans idée Elle doûccroireque vous l'adorez^ 



tid (B u T H IS ^ 

Ce qu'elle croit m'importe peu , repiîs- 
)e , je fàorai la détromper. Cela ne fera pas 
honnête , reuartit'-il , & vous la mettez en 
droit de (è plaindre de vos procédés. 

Il me (èmble , répondis-je , que je fuis 
plus en droit de me plaindre des fîens. A 
propos de quoi jpeut-elle croire que îe lui 
dois mon cœur } Votre coeur ! dit-il ; jargon 
de roman. Sur quoi fuppofez-vous qu'elle 
TOUS le demande ? Elle cft incapable d'une 
pféteiKion (î ridicule. Que demandc-t-ellc 
donc ? répondis-je. Une forte de commerce 
intime, reprit-il, une amitié vive quireflcm- 
ble à l'amour par les plaifirs , fans en avoir 
les fottes délicateflcs. C'eft, en un mot,di 
goût qu'elle a pour vous, & ce n'eft que du 
goût que vous lui devez. Je crois , répliquai- 
je , que" je le lui devrai long-temps. Peut- 
être , dit-il , la raifon vous éclairera fur une 
répugnance- fi mal fondée ; madame de Sé- 
nanges ne vous infpire rien ^ préfcnt i mais 
vous ne pouvez pas empêcher qu'inceflam- 
ment elle ne vous paroifle plus aimable. Ce 
fera maîgré vous, mais cek fera, ou vous 
renoncerez à toutes fortes de bieiuéances & 
d'ufàges. 

Jq fuis, quoi que vous en difiez, répon- 
dis-je , très-certain que cela ne fauroit être. 
On penfera de moi ce qu'on voudra , il eft 
décidé que je n'en veux point. Je le vois avec 
une extrême idoukur , reprit-il, il ne nous 
refte fculefnent qu'à examiner fi vous av» 
laifon de n'en pas voidoir. Mais , vous, lui 

demandai-jc , 



<lemandai-je, la prendriez-vous ? Si j'étois , 
dit- il , aflez infortuné pour qu'elle le voulût, 
je ne vois pas que je puflè faire autrement , 
& par mille raifbns cependant je pourroîs 
m'en difpenfèr. Eh i pourquoi pourrois-jc 
m'en difpenfèr moins que vous ? 

Vous êtes trop jeune , me répondit-îl ,' 
pour ne pas avoir madame de Sénanges. 
Pour vous , c'eft un devoir ; fi je la prenois , 
moi, ce ne feroit que parpolitelle. Vousavez 
aftuellement befbin d'une femme qui vous 
mette dans le monde , & c'eft moi qui y met 
toutes celles qui veulent y être célèbres. Cela 
feul doit faire la différence de votre choix 6C 
du mien. 

Permettez-moi une queftion , lui dîs-je > 
ne fbyez mênae pas furpris fi dans le cours 
de cettevconverCition , je vous en fais quel- 
ques-unes. Vous me dites des chofes qui me 
font trop nouvelles , pour que je les làififlc 
d'abord comme vous le voudriez. Vous 
devez d'ailleurs vous attendre à me trouver 
incrédule, auffi fbuvent que vous m'étou- 
nerez. 

Comme je n*aî d'autre but que celui' de 
vous inftruire , je me ferai toujours un vrat 
plaifir d'éclaircir vos doutes , repartit-il , &: 
de vous montrer le monde tel que vous de- 
vez le voir. Mais pour nous livrer plus librc^ 
ment à des objets qui , par leur étendue Se 
leur variété pourront nous mener loin , je 
voudrois que nous allaflîons chercher qutl- 
«t^e promenade foUtairc , où nous pulïîoii*. 



n'être pas interrompus , & je croîs que 
Tétoile pourroit .convenir à notre deflèin. 
J'approuvai fort idée , & nous partîm©. 

Nous ne nous entretînmes en chemin que 
de chofès indifférentes, & ce ne fut qu'en 
arrivant à l'étoile que nous commençâmes 
une converlation , qui n*a que trop influé 
fur les aâions de ma vie. 

Vous avez piqué ma curiofîté, lui dis-je , 
voudriez-vous la (atisfàire ? N'en doutez pas, 
répondit-il, je forai charmé de vous inftmire. 
Il y a des chofos qu'on ne peut ignorer long- 
temps fans une forte de honte , parce qu'elles 
renferment la foience du monde , & que fins 
elle , les avantages que nous avons reçus de 
la nature , loin de nous tirer de l'obfourité , 
tournent fouvent contre nous. Je fais que 
cette foience n'efl, à proprement parler, 

auuii amas de minuties, & que beaucoup 
e fes principes bleffont l'honneur & la rai- 
fon j mais en la méprifànt , il faut l'appren- 
dre , & s'y attacher plus ou'à des connoif- 
iànces moins frivoles , puiuiu'à notre houte, 
îl efl moins dangereux de manquer par le 
cœur que par les manières. 

Vous rêvez déjà , continua-t-il. Ce n'cft 
pas , repartis- je , que je ne vous prête une 
extrême attention , mais ce ton fcrieux me 
paroît fi peu fait pour vous , que je ne puis 
revenir de la furprife qu'il me caufo. Je vous 
trouve philofophe, vous.,.. ! Ceffoz de vous 
en étonner , interrompit - il ; mon amitié 
jpour vou§ ne m'a pas permis de vous txota* 



1>E CrebilloKj Vît 3, iiy 

pcr long-temps , & le befbin que vous avea 
d^êtrc inftruit , m'a contraint de vous mon- 
trer que je fais penfer & réfléchir. Je -me 
flatte au refte , que vous fàurez me gardet 
le fècret le plus inviolable fur ce que je vous dis, 
& fur ce que je vais vous dire. Quoi i luî 
dis-jc en riant , vous pourriez être fiché que 
je diflè , Verjûc fait penfer ? Sans doute , 
réplîqua-t-il fon ufrîeufement , & vous lau- 
Ycz bientôt pourquoi il m'eft important que 
vous ne le dilîez pas. Revenons à vous. 

Je me fuis apperçu avec furprifc en mille 
occalîons , que le monde vous étoit abfblu- 
ment inconnu. Quoique vous fbyez fort 
jeune , vous êtes d'un rang à n'avoir pas 
dû confcrver jufques à préfènt, les préjugés 
que je vous trouve. Je ne puis fur-tout m'éton- 
ner aflcz que vous comioilTîez fi peu les fem- 
mes. Les réflexions que j'ai faites fur elles , 
pourront vous être utile. Ce n'cft pas cepen- 
dant que je me flatte que vous puillîez mar- 
cher iurement d'après mes fèuls préceptes ? 
mais du moins ils affaibliront en vous des 
idées qui retarderoîent long-temps vos lu- 
mières , ou vous empêcheroient peut-être à 
jamais d'en acquérir. 

Quelque néceflaire que vous (bit la con- 
noifïance des femmes , elle n'efl: cependant 
pas la feule à bquelle vous deviez vous borner. 
Celle des ufàges , des goûts , & des erreurs 
de votre fiecle , doit partager vos foins , ayec 
cette différence , qu'il vous fera facile de 
vous former des femmes l'idée que vous c% 

' K 1 



J.10 ΠU T K E f 

devez avoir , & qu'après l'étude la plus opi- 
niâtre , vous ne connoîtrez peut-être jamais 
le refte parfaitement, 

. C'eft une erreur de croire que l'on puiflè 
conlerver dans le monde cette innocence de 
moeurs , que l'on a communément quand 
on y entre , & que l'on y puific être toujours 
vcnueux , & toujours naturel, {ans rifquer 
(a réputation ou (à fortune. Le cœur , & 
l'efprit font forcés de s'y gâttr , tout y eft 
mode & afïèdation. Les verms , les agré- 
ments & les talents y font purement ar- 
bitraires , & l'on n'y peut réullîr qu'en fe 
défigurant fans ceflè. Voilà des principes que 
vous ne devez jamais perdre de vue § mais 
ce n'eft pas aflèz de (avoir que pour réuflîr 
îl faut être ridicule , il faut étudier avec foin 
le ton du monde où notre rang nous a placés , 
les ridicules qui conviennent le plus à notre 
état , ceux , en un mot, qui font en crédit; 
& cène étude exige plus de finefle 8c d'at- 
tention qu'on ne peut l'imaginer. 

Qu'entendez-vous , lui dcmandais-je , par 
des ridicules en crédit ? J'entends, reprit-il , 
ceux qui , dépendant du caprice y font fu jets 
à varier , n'ont comme toutes les modes , 
qu'un certain temps pour plaire , & qui pen- 
dant qu'ils font en règne , effacent tous les 
autres. C'eft dans le temps de leur vogue 
qu'il faut les faifir y fouvent il y a aufC peu 
de fruit à les prendre , lorfou'on commence 
à s'en dégoûter , que de rifque à les garder, 

lorfqu'ils Cqvx abiQlumcnt profcrits. Maig 



Kk 



Dï CaebillôK, îltS, lit 
qaand on fait , lui dis-je , que ce qui recne 
cft un ridicule , comment peut-on le rélôu* 
dre à le prendre ? 

Bien peu de gens , rëpondit-îl , font aflêz 
en état de réfléchir , pour favoîr ce qui en 
cft ; & ceux qui penfent , (è livrent fouvent , 
même par réflexion , aux erreurs qu'intérieu- 
rement ils condamnent le plus. Vous dirai-je 
davantage ? Ç'eft prefque toujours à ceux 
d'entre nous qui raifonnent le plus profon- 
dément, que Ton doit ces opinions abfuides 
qui foilt nonte à Tefprit , & ce maintien 
af&âé qui gâte & contraint la figure. Moi , 
par exemple , qui fuis l'inventeur de prefque 
tous les travers qui réuflîficnt, ou qui du 
moins lespcrfeftionne , penfez-vous que je 
les choififlc , les entretienne , & les varie , 
uniquement par caprice , & fans que la con- 
noiflànce que f ai du monde , règle & con- 
duifè mes idées là-defluè ? Sans (avoir , ré- 
pondîs-je , toutes les raifons qui peuvent vous 
déterminer , je conçois que vous n'imaginez 
des ridicules que parce que vous les croyez 
des moyens de plaire dans la fociété. 

Oui , je le crois , répliqua-t-il : la façon 
dont j'ai pris dans le monde eft , je penfè , 
une aflèz bonne preuve que je ne me trompe 
pas , & que ce n'eft qu'en fuivant mes tra- 
ces, qu'on peut parvenir à une auffi grande 
réputation. Ne ioyez point , au refte , arrêté 
par le nom que je donne aux chofès qui font; 
en poffeflion de fëduire : tant qu'un ridicule 
plaît 9 il eft grâce , agrément , efprit , Se cof 

K 5 



kii (B V V n z s 

lî'eft que quand , pour l'avoir ufé , on s*cn 
laflè y qu'on lui donne le nom qu'en effet ii 
mérite. 

Mais , lui dis-je > à quoi s'apperçoit-on 

3u'un ridicule commence à vieillir ? Au peu 
c cas que les femmes en font , répliqua- 
t-il. CVft, je crois, une étude, bien pénible, 
que celle que vous me prefcrivez , répondis- 
je. Non , reprit-il , l'on ^ut réduire Tart de 
plaire aujourd'hui à quelques préceptes aflèz 
peu étendus , & dont la pratique ne fbuf&c 
aucunes difficultés. Je fîippbfe d'abord, & 
' avec allez de raifbn ,, ce me fèmble , qu'un 
homme de notre rang , & de votre âge , ne 
doit avoir pour objet que de rendre (on nom 
célèbre. Le moyen le plus fîmple, & en 
même temps le plus agréable pour y parve- 
nir , eft de paroître n'avoir dans tout ce qu'on 
fait que les femmes en vue , de croire qu'il 
n'y a d'agréments que ce qui les fëduit, & 
que le genre d'efprit gui leur plaît , quel 
qu'il fbit , eft en effet le Icul qui doive plaire. 
Ce n'eft qu'en paroillànt fbumis à tout ce 
qu'elles veulent , qu'on parvient à les domi- 
ner. Je puis aifément vous faire convenir de 
cette vérité j mais avant que de vous parler 
des femmes , j'ai quelques confeils à vous 
donner fur le chemin que vous devez pren- 
dre pour plaire dans le monde. Confeils 
fondés , au rcfte , fur ma propre expérience. 
Il faut d'abord fe perfuader , qu'en fuivanc 
les principes connus , on n'eft janaais qu'un 
hommt ordinaire ^ que l'on ne paroit neuf 






DE CRlÊBlLtOKjFltS. 11^* 

/qu*en s'en écartant : que les hommes n'ad- 
mirent que ce qui les frappe ; & que la fin- 
guiarité feule produit cet effet fur eux. Otk 
ne peut donc être tropfingulier, c'efl-à-dire , 
qu'on ne peut trop a&fter de ne reflèmbler 
à perfbnne y fbit p^r les idées , fbit par les 
laçons. Un travers que l'on poflède fèul fait 
plus d'honneur , qu'un mérite que l'on par- 
tage avec quelqu'un. 

Ce n'efl pas tout ; vous devez apprendre 
à déguifcr fî parfaitement votre caraétere , 
que ce foit en vain qu'on s'étudie à le dé- 
mêler. Il faut encore que vous joigniez à 
l'art de tromper les autres ^ celui de les pé- 
nétrer y que vous cherchiez toujours fous ce 
qu'ils veulent vous paroître , ce qu'ils font 
en effet. C'eft auflî un grand défaut pour le 
monde , que de vouloir ramener tout à fbn 
propre caraûere. Ne paroiffèz point ofïènfé 
des vices que l'on vous montre , & ne vous 
vantez jamais d'avoir découvert ceux que 
l'on croit vous avoir dérobés. Il vaut fbuvenc 
mieux donner mauvaifè opinicMi de fbn ef^ 
prit , que de montrer tout ce qu'on en a ; 
cacher fous un air inappliqué & étourdi , le 
penchant qui vous porte à la réflexion., ôc 
làcrifier votre vanité à vos intérêts. Nous n« 
nous déguifbns jamais avec plus de foin que 
devant ceux à qui nous croyons l'cfprit d'exa-« 
men. Leurs lumières nous gênent. En nous 
moquant de leur raifbn , nous voulons ce- 
pendant leur montrer qu'Us n'en ont pas plus 
que nous. Sans nous corriger ^ ils nous for» 

K4 



ii4 CE Û T m s I 

cent à diflîmuler ce que nous ibmmes , & 
nos travers font perdus pour eux. Si nous 
étudionsles hommes , que ce /bit moins pour 
prétendre à les inftruire y que pour parvenir 
à les bien connoître. Renonçons à la gloire 
de leur donner des leçons. Paroifibns quel- 
quefois leurs imitateurs y pour être plus iu* 
rement leurs juges ; aidons -les par notre 
exemple, par nos éloges mêmes , à fe déve- 
lopper devant nous , & que notre e{prit ne 
nous {èrve qu'à nous plier à toutes les opi- 
nions. Ce n'eft qu^en paroiflâni fe livrer toi- 
même à Timpertinence , qu'il n'échappe rien 
de celle d'autrui. 

Vous me femblez vous contredire , in- 
terrompis -je > ce dernier précepte détruit 
l'autre 5 fî ]e deviens imitateur, je ccfic 
d'être fiiigulier. 

Non , reprit -il 5 cette (buplcfle d^elprit que 
je vous confeille , n'exclut pas la fingularitc 
que je vous ai recommandée! L'une ne vous 
eft pas moins néceflaire que l'autre y fans la 

Eremiere , vous ne frapperiez perfpnne } fans 
t féconde , vous déplairiez à tout le monde , 
ou du moins , vous perdriez Iç fruit de 
toutes les obfervationsque vous feriez. D'ail- 
leurs , on n'efl jamais moins à portée de de- 
venir ce que vous êtes , que lorfque vous 
paroiflez être tout, & un génie Tupérieur fait 
embellir ce que les autres hii foumiffcnt, & 
le rendre neuf à leurs yeux mêmes. 

Une chofè encpre extrêmement néceflaire, 
c'en de ne s'occuper jamais que du foin de 



Dt CuiBlLtôH, fil S. lif 
fc faire valoir. On vous aura dit ^ peut-être 
même aurez-vous lu , que celui de faire Ta*- 
loir les autres , eft plus convenable ; mais il 
me femble qu'on peut s'en repofcr fur eux ; 
& pour moi , je n'ai encore vu perfonnc , 
quelque modeftie qu'il affeûât , qui ne trou- 
vât toujours en fort peu de temps le fecret 
de m'apprendre à quel point il s'eftimoit , & 
combien je devois l'eftimer moi-même. 

De toutes les vertus , celle qui , dans lé 
monde , m'a toujours paru réuflîr le moins 
à celui qui la pratique , c'eft la modeftie» 
Ne fbyons pas intérieurement prévenus de 
notre mérite j je le veux : mais paroiflbns 
l'être : qu'une certaine confiance foit peinte 
dans nos yeux , dans nos tons , dans nos 
geftes 5 & jufques dans les égards que nous 
avons pour les autres. Sur-tout , parlons tou-f. 
jours y & en bien de nous-mêmes : ne crai- 
gnons point de dire & de répéter , que nous 
avons un mérite fupérieur. Il y a mille gens 
à qui l'on n'en croît , que parce qu'ils ne 
ceflent pas de dire qu'ils en ont. Ne vou* 
arrêtez point à l'air de froideur & de dégoûc 
avec lequel on vous écoutera , au reproche 
même qu'on vous fera de ne vous perdre 
jamais de vue. Tout homme qui vous oH^me 
de trop parler de vous , ne le fait que parce" 

aue vous ne lui lailïèz pas toujours le temp^ 
e parler de lui : plus modefte , vous feriez 
martyr de (a vanité. Je ne fais d'ailleurs, fî 
quelqu'un qui entretient les autres de ce qu'il^ 
croit valoir , eft plus blâmablç que celui qui ,*' 

K5 



^li lE 9 V K I f 

en fc taî/ànt fiir lui-même , penfe qu*il fâît 
«n fàcrîfice à la fociété , & s'il n'y a pas bien 
de l'orgueil à fè croire obligé d'être modefte. 

Quoi qu'il en foit , il eft plus fur de fubju- 
guer les autres , que de leur immoler fans 
cefle les intérêts cfe notre amour-propre. Le 
trop grand defir de leur plaire, fuppofc le 
befoin qu'on en a. Us ne (ont jamais plus 
portés à nous juger avec fêvérité que lorf- 
qu'ils nous voient chercher fervilement à 
nous les rendre favorables. C'efk avouer que 
nous croyons qu'un homme nous eft fupc- 
rieur , que d'être timide devant lui. Cette 
crainte de lui déplaire, même en le âattant> 
ne nous le gagne pas. L'hommage que nous 
lui rendons, l'enhardit à nous trouver des 
défauts, fur Icfquels, fans nos ménagements 
-pour lui, il n'auroit peut-être jamais of^ 
porter fes yeux : il cfl vrai qu*ii veut bien s'y 
prêter, mais la bonté avec laquelle il les 
cxcufe , eft une injure pour nous , que plus 
de confiance en nous-mêmes nous auroit 
épargnée. Cet orgueilleux qui poufle la fcd- 
lité jufqu'à vouloir bien nous raflurer, qui 
en blâmant nos vices , nous èftime afièz peu 
|)Our ne plus nous difCmuler les fiens, fè fè- 
x-^it cru trop heureux d'obtenir de nous l'in- 
dulgence qu'il nous accorde, fî nous n'avions 
|»as cru avoir befbin de la (ienne. 

Ce n'eft pas là le fèul inconvénient o4 
nous jette la timidité : je ne prétends pas 
vous parler ici de celle qui ne vient que da 
jpeu d'ufage que l'on a du monde ^ & qui ne 



B E C R E É I I I 6 ir , f I t s. 217 

gène l'efprit & la figure , que pour peu d^iiiC. 
tants j mais de cette timidité, qui naiflànt, 
ou du peu de connoiflànce que nous avons 
de nos avantages, ou du trop de cas que 
nous fàifbns de ceux des autres, nous jette 
dans le découragement , nous rend fon in- 
férieurs à nous-mêmes , & nous donne pour 
maîtres , ou nous rend égaux du moins des 
gens que la nature a placés au defibus de 
nous. 

Vous ne {auriez donc trop prcfumer de 
vos forces , ni affoiblir afTez celles des autres. 
Gardez -vous (ur-tout de vous faire du 
monde une trop haute idée : n'imaginez pas 
que pour y briller , il faille être doué d'un 
mérite fupéricur : fi vous le croyez encore , 
examinez-moi , voyez, ( car je vais me don- 
ner pour exemple, & cela m'arrivera encore 
quelquefois) voyez ce que je deviens qu^d 
je veux plaire : que d'affeéfcations, de grâces' 
forcées , d'idées frivoles l dans quels travers, 
enfin ne donnai-je pas ? 

Pcnlez-vous que je me (bis condamné 
fuis réflexion au tourment de me dégui(èr 
f ms cefïè ? Entré de bonne heure " dans le 
monde , j'en faifis aifément le faux. J'y vis ' 
les qualités (blides pro(crites , ou du moins 
ridiculifées ; & les femmes, (euls juges de 
notre mérite , ne nous en trouver qu'autant 
que nous nous formions fur leurs idées. Sur 
que je ne pourrois, (ans me perdre, vouloir 
réfifter au torrent , je le fuivis. Je {acrifiaî 
tout au frivole 3 je devins étourdi , pomf 



r 

1 



?< 



tit Πtr V n t I 

paroître plus brillant ; enfin, je me cr^ffe* 
vices dont j'avois befbin pour plaire : une 
conduite fi ménagée me réufïît. 

Je fiiis né fi différent de ce que je parois , 
que ce ne fut pas (ans une peine extrême , 
ue je parvins à me gâter Teiprit, Je rougif- 
bis quelquefois de mon impertinence : je ne 
médiibis qu'avec timidité. J'étois fat, à la 
vérité, mais faiis grâces, (ans brillant, tel 

3ue beaucoup d'autres , & bien loin encore 
e cette fupériorité, qu'en ce genre, depuis, 
je me fuis acquife. 

Il eft fans doute aifé d'être fat , puîlcfue 
quelqu'un qui craint de le devenir, a befoin 
ce veiller fans cefïe fur lui-même , & que 
cependant il n'y a perfonne qui n'ait fa forte 
de fatuité , mais il n'efl pas fi facile d acqué- 
rir celle qu'il me falloit : cette fatuité auda- 
cicufe & finguliere qui , n'ayant point de 
piodele , foit feule digne d'en fervir* 

Car quels que foient les avantages de k 
fatuité, il ne faut pas croire qu'elle feule 
réuflîfïè, & qu'un homme qui efl fat de 
bonne foi , & fans principics, aille auffi loin 
que celui qui fait raifonner fur fa fetuité , . 
éc qui occupé du foin de féduire, & en 
poufïànt l'impertinence auffi loin qu'elle 
peut aller, ne s'enivre point dans fès fîic- 
ces , & n'oublie point ce qu'il doit pen- 
fer de lui-même. Un fat dont l'efprit efl 
borné , & qui fç croît vçritablement tout le 
mérite qu'il fe dit, ne va jam^^isau grand. 
Xqu$ ne fauriez imaginer combien il ùiat 



»E CREBIttON^FîLS. Xl^ 

hvair d'efprit pour fe procurer un fuccès 
brillant & durable , dans un genre où vous 
avez tant de rivaux à combattre , & où le 
caprice d'une feule femme fuffic fouvent 
pour fiire un nom à l'homme du monde le 
moins fait pour être connu. Combien de 
pénétration ne faut-il pas avoir , pour (aifir 
le cara£kere d'une femmç que vous voule» 
attaquer , ou ( ce qui eft infiniment plus 
flatteur , & ne kifle pas d'arriver quelque- 
fois ) que vous voulez réduire à vous parler 
la première ! de quelle juftçflè ne faut-il pas 
être doué , pour ne pas fe tromper à la forte 
de ridicule que vous devez expofèr à Cts 
yeux » pour la rendre plus promptement 
{enfîble ! de quelle finefle n'avez-vous pas 
befpin pour conduire tout à la fois plufieurs 
intrigues , que pour votre honneur vous ne 
devez pas cacher au public, & qu'il faut 
cependant que vous dér(S(biez à chacune des 
femmes avecvqui vous êtes lié l Croyez-vous 
qu'il ne faille pas avoir dans l'efprit bien de 
la variété , bien de l'étendue , pour être tou-, 
jours , •& fans contrainte , du caractère que 
l^inftant où vous vous trouvez, exige de vous j . 
tendre avec la délicate ; fcnfuel avec la vo- 
luptueufe \ galant avec la coquette. Etre pat 
fionné fans fentiment , pleurer fans être 
attendri, tourmenter (ans être jaloux : voilà 
tQus les rôles que vous devez jouer y voilà ce. 
que .vous devez être. Sans comptçr qncore 
que vous ne pouvez avoir trop d'uj&ge du 
HM^nde^ pour. voir une femme teÇe qu'elle > 



ti^O ŒUVRES 

cft, jnalgré le foin extrême qu'elle apporte 
à fèdéguifer, & ne croire pas plus à la Aude 
vertu que fouvent elle oppofe , qu'à l'envie 
qu'elle témoigne de vousgarder, lorfqu'ellc 
s'eft rendue. 

Ce détail eft étonnant , lui dis-je , il m'ef- 
firaie, je fens que je ne pourrai jamais en 
porter le poids. J'avoue , reprit-il , qu'il n'eft 

{>as fait pour tout le monde , mais j'ai meil- 
eurc opinion de vous que vous-même , & 
je ne doute pas que je ne vous voie bientôt 
panager avec moi l'attention publique. Mais 
continuons. 

Je vous ai dit que vou$ ne pouviez point 
trop parler de vous : à ce précepte j'en ajoute 
un que je ne crois pas mqiiis néceflàire ; c'eft 
qu'en général , vous ne pouvez aflèz vous 
emparer de la convcrfàtion. L'eflentiel dans 
le moftde.n'eft pas d'attendre pour parler que 
J'imagination foumiflè desjdées. Pour briUer 
toujours on n'a qu'à le vouloir. 

L'arrangement, du plutôt l'abus des mots^ 
tient lieu de penftes. J'ai vu beaucoup de 
gens ftériles, qui ne pcnfoient, ni ne raifon* 
noient jamais , à qui la juftefle & les grâces 
font interdites, mais qui parlent avec un air 
de capacité , des chotes mêmes qu'ils con- 
noiflcnt le moins , joignent la volubilité à 
l'imprudence, & mentent auflî fouvent qu'ils 
j-acontent , l'emporter fur des gens de beau- 
coup d'efprit, & qui modeftes, naturels Se 
vrais, méprifoient également le menfonge 
êc le jargon. Souvenez-vous donc que h ma» 



DE Cr EBILLOK 9 VILS. IJt' 

tdeftie anéantit les grâces & les talents ; qu*eti 
fbngeant à ce que Ton a à dire , on perd le 
temps de parler , & que pour perfuader il 
fcut étourîr. 

Je me fbuvîens , lui dis - je , d'avoir vu 
quelquefois de ces gens que vous venez de 
me dépeindre ; mais loin qu'ils pluflent , it 
me femble qu'on les accabloit de tout le mé- 
pris qu'on leur doit, & qu'on les trouvoic 
auflî infupportables qu'ils le font. 

Dites, répondit-il, qu'on blâmoît leurs 
travers, qu'on en rioit mêiAe 5 mais que mal- 
gré cela , ils né pluflent pas , l'cxpâîence y 
eft totalement contraire. Voilà l'avantage 
des ridicules , c'eft de (eduire & d'entraîner 
les personnes mêmes qui les blâmeat le plus. 

De tous ceux qui rçgnent aujourd'hui , le 
fracas eft celui qui en impole plus générale- 
ment, & (ur-tout aux femmes. Elles ne re- 
gardent jamais comme vraies paffions que 
celles qui commencent par les enlever à elles- 
mêmes. Ces attachements que l'habitude de 
fc voir forme quelquefois , ne leur paroiflènt 
prefque toujours que des afl&ires de conve- 
nance, dont elles ne croient devoir s'occuper 
que médiocrement. L'impreffîon qu'on ne 
leur fait qu'avec lenteur , n'agit jamais fut 
elles avec vivacité. Il faut , pour qu'elles ai- 
ment vivemient , qu'elles ne (àchent pas ce 
qui les a déterminées à la tendrcflc. On leur 
a dit qu'une paflîon , pour être forte , devoir 
commencer par un trouble extrême , & il y 
« trop long-temps qu'elles le croient ^ pour 



iji CE tr V R E « 

pouvoir imaginer qu^ellcs reviennent Ja* 
Xïiais de cette idée. Rien n'eft ,plus propre 
à faire naître dans leur ame ce trouble en- 
chanteur y que cette ivreflc de vous-mênie , 
qui vous faifànt tout hafarder, anime les 
grâces de votre perfonne , ou en couvre, les ^ 
défauts. Une femme admire , s'étonne , s'en- 
chante , & parce qu'elle iè refufe à la ré- 
flexion , croit que ce font vos charmes qui 
ne lui en laiflcnt pas le temps. Si par halard 
elle Congé à la rélîftance qu'elle pourroit 
vous faire , ce n'eft que pour mieux fè per- 
fuader qu'elle feroît inutile , & qu'on n'en 
doit point employer contré quelque choie 
d'auflî jfbrt, d'auflî imprévu, d'auffi ex-, 
uaordînaire, enfin, qu'un coup de lympa- 
thîe. Prétexte aflèz bien imaginé dans le fond ^ 
pour fe rendre promptçment , fans donner 
mauvaifè opinion d'elles ; puiCju'il n'y z 
point d'homme qui ne (bit plus flatté d'inf- 
pirer tout d'un coup un amour violent , que 
de le faire naître par degrés. 

Quels que fbicnt , lui dis- je , les avanta- 
ges que l'on peut retirer d'une iinpudence 
lans bornes , je doute que je puifle jamais 
adopter un fyftême qui m'obligeroit à' cacher 
les vertus que je puis avoir, pour me parer 
des vices que je n'aurois pas. Ce que vous 
venez de dire , eft parfaitement beau quanr 
à la morale , reprit-il ; mais le monde & elle, 
ne s'accordent pas toujours, & vous éprou- 
nerez que le plus fbuvent, on ne réuflît dans 
J'un >.qu'aux dépens de l'^utrç. Il vaux mieux 



tncorc un coup , prendre les erreurs de fbn 
fïecle , ou du moins s^ plier, que d y mon- 
trer des vertus qui y paroîtroient étrangères, 
ou ne feroient pas du bon ton. 

Du bon ton l repris - je. Vous ne Ùlvcz 
peut-être pas encore ce que c*eft ? repartit-il, 
tfun air railleur. Je vous avouerai , lui dis- 
je , qu'on m'a fouvent ennuyé de ce terme , 
& d'autant plus , qu*on n'a pas encore pu 
me le définir. Ce ton de la bonne compa- 
gnie, fi célèbre, en quoi confifte-t-il ? Les 
gens qui le veulent par-tout, & le trouvent 
à fi peu de perfonnes , & dans fi peu de 
chofes , l'ont-ils eux-mêmes ? Qu'cft-ce enfin 
que ce ton ? 

Cette queftion m'embarraflfe , répondit-il. 
C'eft un terme , une façon de parler dont 
tout le monde fe (èrt , & que pcrfbnne ne 
comprend. Ce que nous appelions le ton de 
la bonne compagnie, nous, c'eft le nôtre, 
& nous fommes bien déterminés à ne le trou- 
ver qu'à ceux qui penfciit , parlent & agiflent 
comme nous. Pour moi , en attendant qu'on 
le définifle mieux , je le fais confifter dans 
la nobleflê .& laifànce des ridicules , & je 
vais , en vous difànt tout ce qu'il faut pour 
avoir le ton de la bonne compagnie, vous 
mettre en état de juger fi ma définition effr 
jufte. 

Une négligence dans le maintien , qui , 
chez les femmes , aille Jufques à l'indécence , 
& paflè chez nous , ce qu'on appelle aifànce 
3c liberté. Tons ôc manières afleâées , foit 



1^4 Iffi TT V H E s 

daiis la vivacité , fbit dans la langueur. L'et 
prît frivole & méchant , un difcours entor- 
tillé , voilà ce qui , ou je me trompe fort , 
compoie aujourd'hui le ton de la bonne com- 
pagnie ; nuis ces idées (ont trop générales 
pour vous, étendons-les. 

Quelqu'un qui veut avoir le ton de la bonne 
compagnie , doit éviter de dire foUveht des 
choies penfèes : quelque naturellement qu'il 
les exprime , quelque peu de vanité qu'il en 
rire , on y trouve une afïc<Skation marquée 
de parler autrement que tout le monde , & 
Ton dit d'un homme qui a le malheur de 
tomber dans cet inconvénient , non qu'il a 
de refprit , mais qu'il s'en croit. 

Comme c'eft à la médifance uniquement 
que fe rapporte aujourd'hui l'efprit du mon- 
de , on s'eft appliqué à lui donner un tour 
particulier , & c'eft plus à la feçon de mé- 
dire qu'à toute autre chofè , que Ton recon- 
noît ceux qui pofledent le bon ton. Elle ne 
làuroit être ni trop cruelle , ni trop précieufe. 
En général , & même lorfqu'on fonge le moins 
à railler , ou qu'on en a le moins de fujet , 
on ne peut avoir l'air trop ricaneur , ni le ton 
trop malin. Rien n'embarraflè les autres da- 
vantage y ni ne donne une plus haute opinion 
de votre enjouement & dç votre efprit. Que 
votre fourire fbit méprifant , qu'une fàdc 
cauflicité règne dans tous vos propos. Avec 
de pareils fecours , quelque peu de mérite 
qu'on ait d'ailleurs , on fe diflingue , parce 
qu'on fe &it craindre , & que , dans le taon-» 



de y un fot qui fe tourne vers la méchanceté , 
eft plus refpeâié qu'un homme d'efprit , qui y 
trop (upérieur à ces vils objets pour dcfcen- 
dre jufqu'à eux , rit en fecret des travers de 
{on fiecle , & les méprifè aflcz pour ne pas 
même les blâmer tout haut. 

La noble négligence qu'on veut dans les 
manières, quelque recommandable qu'elle 
fbît , eft peu de chofe fans celle de Tefprit. 
Les gens du bon ton laiflent au vulgaire , & 
le foin de penfèr, & la crainte de penfer 
faux. Perfuadés , d'ailleurs , que plus l'efprit 
eft cultivé , moyis il conferve de naturel , ils 
fe font volontairement bornés à q uelques idées 
frivoles , fur lefquellcs ils voltigent fans ceflè ; 
ou fî , par hafard , ils fàvent quelque chofè , 
c'eft d'une façon fî fupcrficielle , ils en font 
eux-mêmes fi peu de cas, qu'il feroit impoflî- 
ble de leur donner des ridicules là deflus. 
Comme rien n'eft plus ignoble à une femme 
que d être vertueufe , rien n'eft plus indé- 
cent à un homme du bon ton , que de paflèr 
pour fàvant. L'extrême ignorance à laquelle 
î'ufage femble le condamner , eft cependant 
d'autant plus finguliere , qu'il eft en même 
temps établi qu'U ne doit héfiter fur aucune 
décifion. 

En effet, repris-)e , cela ne laifle pas d être 
embarraflant. Moins que vous ne croyez , 
répondit-il. Une profonde ignorance avec 
beaucoup de modeftie , feroit à la vérité fort 
incommode ; mais avec une extrême préfomp- 
tion ^ je puis vous affurer qu'elle n'a rie^ de; 



î}6 • (Su V K » f 

gênant. D'aîlleurs , devant qui parlez-vons 
ordinairement , pour être fi inquiet (ur ce que 
vous dites ? Sll eft du. ton de la bonne com- 
pagnie de décider toujours , il n'en eft point 
de juftifier jamais fa décifion , & la Donne 
opinion que l'on a de foi- même. Ignorer 
tout 5 & croire n'ignorer rien. Ne rien voir , 
quelque cho/e que ce puiflc être , qu'on ne 
méprifc ou ne loue à l'excès. Se croire éga- 
lement capable du fërieux & de la plaifànte- 
rie -, ne craindre jamais d'être ridicule , & 
l'être fans cefle j mettre de la fineflè dans Ces 
tours , & du puéril dans ies idées 5 , pronon- 
cer des abfurdités ^ les foutenir, les recom- 
mencer : voilà le bon ton de l'extrêmement 
bonnQ compagnie. 

Une chofe m'embarrafle , înterrompis-je. 
Comment des perfonnes qui n'ont rien ap- 
pris 3 ou fe font crues dans l'obligation de 
tout publier, peuvent-elles fo parler fans 
celTe ? Il faut néceflairement avoir l'efprit 
bien fécond pour foutenir , fans les reflburces 
que fourniflent les diverfès connoifïànces , 
une converfation perpétuelle. Car enfin , jç 
vois que dans le monde on ne tarit pas. 

C'eft qu'on n'y a pas de fonds à épuifèr, 
répliqua-t-il. Vous avez remarqué qu'on ne 
tariffoit point dans le monde , ne vous feriez- 
vous pas appcrçu auflî qu'on s'y parle tou- 
jours fans fe rien dire ; que quelques 
mots favoris , quelques tours précieux , quel- 
ques exclamations , de fades fouris , de pe- 
tits airs fins , y tiennent lieu de tout } Mai» 



©R CnÉBILtoH, Fit S. Hf^ 

on y difïèrte lans celle ! repris-je/ Eh bien ! 
oui y répôndit-il , on y diflèrte fans raifbn- 
ner , & voilà ce qui fait le fublime du bon 
ton. Eft-ce que Ton peut , (ans s'apçéfàntir , 
luivre une idée ? On peut la propoler, mais 
a-t-on jamais le temps de rétablir? N'eft-cc 
pas même bleflèr la bienfëance que d'y fon-» 
ger? Oui. La converlation ^ pour être vive , 
né i&uroit être aflèz peu fuivie. Il feut que 
quelqu'un qui parle guerre , (e laifle inter-» 
rompre par une femme qui veut parler {en- 
timent. Que celle-ci , au milieu de toutes ' 
Içs idées que lui fait naître un fujet fî noble , 
& qu'elle pofïède fî-bien , fè taife pour écou- 
ter un couplet galamment obfcene : que celui, 
ou celle qui le chante , cède au grand regrec 
de tout le monde' , k place à un fragment 
de morale , qu'on fc hâte d'interrompre , 
pour ne rien perdre d'une hifloire médifànte , 
^ui, quoiqu'écoutée avec un extrême plai- 
îr , bien ou mal contée , efl coupée par des 
réflexions ufécs ou fauflès, fur la mufîque 
ou la poéfîe , qui difparoiflènt peu à peu , 6C 
font luivîes par des idées politiques fur le 
gouvernement ; que le récit de quelques 
coups finguliers arrivés au jeu,, abrègent 
dans le temps qu'on y conipte le moins , & 
qu'enfin un petit-maître , après avoir long- 
temps rêvé , traverfc le cercle , dérange tout , 
{)our aller dire à une femme qui eft loin de 
ui y qu'elle n'a pas afïèz de rouge, ou qu'il 
U trouve belle comme un ange. 



?. 



ii% CE u V n É f 

Voilà un portrait bien bizarre, lui dîs-jc. 
Il n'en cft pas mçins reflemblant, répliqua- 
t-il. Au refte, il peut vous prouver qu'il n'y 
a perfbnne qui ne puîflc trouver dans la va- 
nité , ou dans la ftérilité d'autrui , de quoi 
(cntir moins le peu qu'il vaut, & fe (aire, 
en dépit de la nature mênie , une Ibrte de 
mérite qui le met au niveau de tout le mon- 
de. Mais, vous, lui demandai- je, avez- 
vous le ton de la bonne compagnie? Afluré- 
ment, reprit-il, je le méprife, mais je l'aï 
pris. Vous avez dû vous appercevoir que je 
n'ofe parler devant perfbnne comme je viens 
de le faire avec vous -, & quand je vous ai 
prié de me carder, fur tout ce que je vous 
dirois , un fecret inviolable , c'efl qu'il m'cft 
d'une extrême confequence qu'on ne fachc 
pas ce que je fuis , & à quel point je me dé- 
guife. Je vous confeille, encore un coup, 
de m'imiter. Sans cette condefcendànce , 
vous n'acquerrez que la réputation d'un ef^ 
prit dur, & peu fait pour la fbciété. Plus 
vous refuferez de vous prêter aux travers, 
plus on s'emprefïèra à vous en donner. Je ne 
fuis pas le fèul qui ai ienti, que pour ne point 
paffer pour ridicule, il faut le devenir, ou 
le paroître du moins. Le bon ton a moins 
d'admirateurs qu'on ne croît , & quelques- 
uns de ceux qui fèmblent s'y livrer le plus , 
ne laiflent pas d'être perfuadés avec moi , que 
pour avoir le ton de la vraiment bonne com- 
pagnie, il faut avoir l'ciprit orné fans pédan- 



DC CKÉBiLtOif, FUI. 1^^ 

terîe, & de l'élégance iàns af^dkacion , être 
enjoué fans baflèflè, & libre fans indé«' 
cence. 

A préfcnt , ajouta-t-il , nous pourrions en 
venir aux femmes ; mais la converfarion que 
nous venons d'avoir enfèmblc, a été d'une 
longueur fi énorme , qu'avec plus d'ordre , 
& des idées plus approfondies , elle pourroic 
prefque paflcr pour un traité de morale. 
Remettons-en le refte à un autre jour. Si 
vous avez autant d'envie d'apprendre que 
j'en ai de vous inftruire , nous (aurons aire-, 
ment nous retrouver. 

Au moins , lui dis-je , répondez à la 
queftion que je voulois vous faire. Pourquoi 
avons-nous befbin qu'une femme nous 
mette dans le monde? Quelque fîmple que 
cette queftion vous paroifle , elle tient à taiit 
de chofcs , que je ne faurois y répondre làns 
m'engager dans des détails immenfes, repli- 
qiia-t-il ; je me fiiis plu à l'étude des femmes, 
je crois à préfent les comioître ; je vous en 
parlerois trop long-temps. Eh bien ! lui dis-je, 
effleurons la matière, quelque autre jour 
nous l'approfondirons. Non, reprit -il, il 
m'en coûteroit tout autant , & vous ne feriez 
pas bien inflruit. C'efl un fujct qu'il faeit 
traiter de fuite , & qui mérite une attention 
particulière. 

Pour moi, lui dis- je, il me femble, que 
ce n'eft pas travailler pour Ces plailîrs , que 
de chercher tant à connoître les femmes. 
Cette étude, quand on ne la perd pas de 



14» (H 17 V H I $ 

vue , occupe l'efprit dans les tetnps mêmes 
où le fendment feul devroit agir. D'ailleurs, 
je crois qu'il vaut mieux compter trop fur 
ce qu'on aime, que de l'examiner avec tant 
de févérité. Vous fuppofez apparemment, 
r^pliqua-t-il , que ce que l'on aime doit per- 
dre à l'examen. Je connois fi peu les femmes, 
répondis-je , qu'il fèroit peu convenable de 
me décider fur ce que j'en dois penfcr ; mais 
je crois en même temps qu'il y en a , dont je 
puis, en attendant que vous m'inftruifiez, 
penièr auflî mal que je voudrai. Ne me lait 
fcz-vous point , par exemple, le champ libre 
fur madame de Sénanges? Oh! oui, répon- 
dit-il , mais vous ferez un jour bien honteux 
du mal que vous m'en aurez dit , & bien 
plus encore , quelque temps après , des é\o^ 
gcs que vous m'en aurez faits. Je prévois 
tout ce qui arrivera du dégoût que vous 
avez conçu pour elle , quoique fon injufte* 
ment. Vous rendrez, malgré vous , jufticc 
à les charmes , & qui fait fi ce n'efl point 
par amour-propre que vous diflîmulez ac* 
tuellemeht l'imprefuon qu'elle vous a faite? 
Qui fait enfin , fi dans le temps que vous 
paroiflèz fi content de fbn abfencc , & 
du filence qu'elle garde avec vous, vous ne 
ibupirez pasajprès fon retour, ou ne mburez 
pas de douleur de fa négligence ? Si cela eft 
ainfi , repris-je , il feut avouer que les tour- 
ments de l'amour font bien aifcs à fbu- 
tenir , car on ne peut pas être moins occupé 
4ç quelque chofe, que je ne le fuis de ma-- 

dame 



DE CRilTLtON, fit S. I4T 

dame de Sénanges. Je vous avouerai cepen- 
dant que je fuis furpris qu'entre deux fem- 
mes, qui me paroiirent d'un é^zl mérite , 
vous ne cherchiez pas à me déterminer pour 
la plus jeune , & après tout , la plus aima- 
ble. Madame de Mongennes. ... Je ne m'y 
oppoie aflurémentpas, interrompit-il, mai$ 
je ne puis en honneur vous conieiller de la 
prendre ; & fans entrer dans les raifbns que 
j'ai pour cela , Se qui à prélent nous mene- 
roient trop loin ; je vous dirai Amplement, 
que madame de Sénanges vous convient 
mieux que madame de Mongennes : celle-cr 
compteroit pour rien , même en vous ayant, 
le bonheur de vous plaire ; l'autre ne croiroit 
jamais pouvoir aflèz s'en faire honneur, & à 
rage où vous êtes , c'cft à la plus reconnoif- 
fante , & non à la plus aimable , que vous 
devez donner la préférence. 

Nous remontâmes alors en carrofle, 8c 
nous employâmes le temps que nous avions 
encore à être enfemble, lui, à tacher de 
me convaincre du bcfbin que j'avois de 
prendre madame de Sénanges , & moi à 
lui perfuader que cela pe pourroit jamais- 



ccre. 



Je ne fus pas plutôt rentré, que (ans faire 
beaucoup de réflexions à tout ce que Ver- 
ûc m'avoit dit , je repris mon jçmploi or- 
dinaire. Rêver à Hortenfe , m'affliger de 
(on dépan , & foupirer après fon retour , 
étoient alors les feules choies dont je puflè. 
i^'occuper, 

Jkmc m. L 



14^ ΠU V K E s 

Ce jour ; fi vivement defiré , vint enfin. 
J'allai chez Hortenfc , & j'appris qu'elle & 
madame de Thévillc étoient revenues & 
ibrties. Je crus > je ne fais pourquoi , qu'elles 
ne pouvoient être que chez madame de 
Lurfày , & j'y volai. Un intérêt trop vîf m'y 
conduifbit , pour qu'il pût être balancé par la 
crainte de la revoir , & d'ailleurs ma colère 
s'étoit afïbiblie , & par le temps , & par les 
réflexions que , malgré moi-même y j'avois 
faites fur mon injuftice. 

Il y avoit beaucoup de monde chez 
madame de Lurfay , mais je n'y trouvai pas 
Hortenfc. L'efpérance de l'y voir arriver , & 
la certitude qu'au milieu d'un cercle fi nom- 
breux , madame de Lur&y ne trouveroit pas 
un moment pour nie parler, modérèrent 
mon chagrin , & me firent reftcr. Elle jouoit 
quand j'arrivai , & (ans paroître ni troublée, 
ni émue de ma préfencc , elle ne prit avec 
jnoi que les façons que je lui avois vues , 
lor(qu'il n'étoit encore queftion de rien entre 
nous deux. 

Après^ les premières poUtefTes qu'elle me 
fit dans toutes les règles, fans embarras Se 
fans affeétation, elle fc rendit à (on jeu. 
J'étois auprès d'elle , & quelquefois elle me 
parloit fiir les coups finguliers qui lui arri- 
voient , mais d'un air détaché : elle avoit tant 
de gaieté dans les yeux , je lui trouvois l'ef- 
prit fi libre , que je ne pus pas douter qu'elle 
ne m'eût oublié. 

Les raifons ^ue j'avois de ipuhaîter fou 



z> E C K É B r L X. o lir 3 ' T I s. i4§ 
indifférence me firent recevoir avec une ex- 
trême joie, tout ce qui pouvoir me la prouver* 
Tout déterminé que j'étoîs à rompre avec 
elle , je ne ^vois pas comment lui dire que 
je ne Taimois plus. Le refpeft qu'elle m'avoit 
înfpîré , étôit en moi comme ces t>rëj«gc$ 
d'enfance , contre lelquels on fe révolte long- 
temps , avant que de pouvoir les détruire. 

Quelque chofe que j'en pcnfafle dans ce 
moment , Teftime que f avois eu pour elle ^ 
me tyrannifoit encore , & me forçoit à lui 
déguifcr mes fèntiments. Je redoutoîs fur- 
tiut une explication qui ne pouvoit m'étrc 
jamais que defàvancageufe , puisqu'il nV 
avoir eu dans (es procédés , rien qui |nk jul- 
tifier mon changement , & que j'avois à me 
reprocher tous les miens. Le parti que je luî 
voyois prendre , étoit donc le (èuf qui pût 
me convenir; il nous faifbit rompre (ans 
éclat , fans altercation , fahs lenteurs , Bc nous 
délivroit , l'un & l'autre , de ces converfa- 
tions fuïwftes qui brouillent (bu vent les amants 
qui fc quittent , plus encore que leurs torts 
mêmes. 

Au milieu de tant de fujets de joîe , je 
ne fais quel mouvement s'éleva dans mcii 
cœur. Charmé qu'elle m'eût quitté , je ne 
çoncevois pasqu'elle l'eût pu faire auffîprom p- 
tement. Je craignis , à ce qu'il mè kmbla , 
que (a froideur ïie fûtaffeCfcée , & que je ne 
la dufle qu'à la contrainte , que le monde qui 
étoit chez elle , lui impofoit. Sans connoîcte 
.beaucoupl'amour , j'imaginoisqu :lne s'éte JK 

L % 



144 ' m Jj y X t s 

pas tout d^un coup : qu'on peut y dans un 
violent accès de jalouhe , former le projet 
de ne plus aimer , mais qu'on ne l'exécute 
pas; que fbuvent on fc aéguife fès fènti- 
mènes , qu'on veut même les cacher à l'objet 
qui les fait naître : mais que cette diflunula- 
tion coûte trop pour durer long-temps , & 
qu'on ne fort fouvent de cette feinte tran- 
quillité , que . pour éclater avec moins de 
ménagement. De ce raifonnement , je con- 
cluois que madame de. Lurfay pouvoir bien 
n être pasauffî libre qu'elle me le paroiflbit , 
& que j'étois peut-être afïèac malheureux 
pour en être plus aimé que jamais. 

Pour m'en éclaircir , je l'étudiois avec 
foin , & plus par Tcxamen que j'en faifois > 
je trouvois de quoi m'aflixrçr que fon chan- 
gement étoit réel , plus je fcntois diminuer 
la joie que d'abord il m'avoit caufcc. Sans 
pénétrer la caufe du trouble qui fc répandoic 
dans mon ame , je m'y plongea tout entier : 
je devins rêveur ; Se me croyant toujoun 
charmé d'avoir perdu madame de Lur(ày , 
je ceflai cependant de lui {avoir fi bon gré 
de ion inconftance. 

Je me demandai enfin , quelle étoît k 
force d'intérêt qui m'attachoit aux mouve- 
ments d'une femme que je n'aimois plus , 
& que je n'avois même jamais aimée. En 
effet , que m'importoit-il qu'elle m'eût ôtc 
fon cœui , & que pouvois-je avoir à crain- 
dre 3 que le malheur d'en être encore aimé ? 

Ce qiiP je me difoi$ là-deffus étoiç feufé | 



Se à force de me le redire , je crus avoir 
triomphé de ma vanité. Ce n'étoit pas fans 
deflcin que madame de Lurfay cherchoit à 
la mortifier ^ & ce ne fut pas non plus fans 
fucccs. 

Sa partie finir : elle me propo(k de jouer 
avec elle ; je l'acceptai* Mon oifivcté m'en- 
nuyoit , & je me nattai que l'occupation du 
jeu m'cnlcveroit à des idées qui commen- 
çoient à m'être importunes. Je jouai donc , 
mais avec une diftra6kion extrême , & n'ofant 
prefque jamais regarder madame de LurJay , 
dont l'air alfuré & tranquille ne fc démen- 
toit pas , & qui Ce livroit avec intrépidiçé aux 
remarquesqu'elle voyoit que je failbis lur elle. 

Jufques-là , je pouvois croire fimplemcnt 
que je n'écois plus aimé , & elle ne m'avoit 
pas encore donné lieu de penfèr qu'elle en 



aimât un autre. 



Le marquis de ^"^^ qui jouoît avec nous , 
& qu'elle avoit ramené de la campagne , lui 
parut apparemment propre à me donner de 
l'inquiétude ,- elle commença à lui fourire , 
à le regarder fixement , & à lui faire enfin 
de ces agaceries qui , quoique peu fortes 
en elle -mêmes 5 répétées, deviennent dé- 
cifives. 

Sans (èxompromettre au point de lui don- 
ner des efpérances , & de s'attirer imc dé- 
claration dont elle aurolt été embarraflee, 
elle en fit allez pour me faire croire que , 
non contente de rompre avec moi , elle cher^ 

L î 



M^ (ft ir y R B s 

choit I fe confiner de ma peite , Se qoc 
ç'éxxHi aiTurément un coipmcncemcntd'avcn- 
mrc. Je nç la regardois jamais que je ne 
trouvaâè C^$ yeux attachés fui: le xnarquis y 
8c elle ne s'appercevoit pas plutôt de l'atten- 
tion avec laquelle je Y^xaniifiois , qu'elle ne 
ks ramenât précipitaïqiis^nt iur fès cartes » 
comme (i c'eût été à moi fur-tout qu'eUe eût 
voulu cacher Tes fentiments. 
Ce imncgc à la fin m'impatienta : ce n'ëtoi( 

Î|a$ qu'il intéreflât xnon cœur i mais il m^ 
èmbloir que je jouois-là un rôle défàgréa- 
ble , & qu'au moins elle auroit dû me 
l'épargner. Je me fèntois pour elle un mé- 
pris ! Elle m'infpiroit une indignation qu'à 
peine je poi^voîs diflîmuler ! 

Ver lac ne m'a pas trompé , me difbis-je , 
& je ne fais pas comment on ne donne que 
le nom de coquette à une femme de cette 
cfpece. Jamais on n'a agi avec moins de mé- 
nagement. Qu'elle ait ccffô de m'aimer , cela 
efl fimple , fbn changement m'oblige , & 
a Dieu ne fJaifè que je veuille le lui repro- 
dier l Mais que rien ne larrête , & qu'avec 
plus d'indécence qu'elle n'en peut trouver à 
madaçie de Sénanges , que fans m'avoir dit 
du moins qu elle vouloir rompre avec moi» 
iàns que ma prçfence la contraigne , fàns^ 
être (urq même que je ne l'aime plus , elle 
fe livre avec tant de fureur à un nouveau 
goût , c'efl , \ç l'avoue , ce que je n'aurois 
lamdis ofé^ inpginer. Mais elle ne m'ai fa& 



DECRiBIItOK^riIS. 147 

aimé , reprenois- je , je n*ai été , comme 
Pranzi , & mille autres , que l'objet de Con 
caprice. L'homme qui lui plaît aujourd'hui > 
lui fera incomiu demain, & j'aurai bîentgc 
le plaifir de lui voir un fuccefleur. 

Pendant que je m'cntretcnois d'une façon 
fi peu flatteufc pour elle , je ne fbngeols 
point à m'obfcrver, & mon air froid & 
brufijuc ne lui permettoit pas d'îgnprcr Cft 
qui le paflbit dans mon cœur. Il m'éçhap- 

Ïjoit des mouvements d'impatience qu'eîl^î 
kvoît bien qu'ordinaircflient le jeu ne mi; 
donnoit pas ^ & que je ne pouvoîs pas même 
alors rejeter fur lui. Je regardois ma montre 
à chaque inftant , & comme fi ce n'eût pa^ 
été î^ilez d'ellcjpour m'apprendre l'h/^urê qiu'il 
étoit , je conmltois encore celles des autre$. 
Madame de Lurfày m'interrogea deux fois > 
{ans pouvoir tirer de moi rien qui réponde 
à ce qu'elle m'avolt demandé. J'étois de^ 
.venu ftupide , & ce qu'il y a de plus ^ngijr 
lier , c'eft que tout ceU fç pafloit dans n>ojpi 
cœur pour une femnjei qui lem^omefnt d'gur- 
paravant j'aurpis dit avec joie , rompons , n/c 
nous foycms plus rien l'un à l'autre ; donc Iç 
changement m'étoit néçeflfiirç , Se dont U 
feule idée m'étoit importune ; Se qu'enfin çç 
cœur , que fon inconftance déchiroit , étoic 
tout entier à une autre. 

Quelle bizarrerie ! & nous o(bns répro-p 
cher aux femmes leur vanité ! Nous , qui 
fbmmes fans celle le jouet de la nôtre , qu'elle 
fait pafTer à fon gré de la haine à l'amour , 

L4 



24^ Œuvres 

& de Pamour à la haine , & qui nous fak 
fâcrifier la maitrçile la plus tendrement ai- 
mée , & la plus digne de Têtre ^ à la femme 
du monde que nous aimons le moins ^ & 
que (buvent nous mëpriibnS le jplus. 

Telle étoit à peu près ma ntuatîon. Je 
cédois infènfiblement à madame de Lurfày 
Jans le favoîr. Pétois outré qu'elle eût pu 
iî-tôt fbngtr à uit autre engagement, & ce 
qui, fi j'avois fu penfer , auroit dû me dé- 
tacher d'elle pour toujours , éto't ce qui la 
rendoit pour mon caur plus redoutable que 
jamais. 

Je ne pouvoîs cependant pas dire que ce 
qu'elle m'infpiroît , fût de Tamour : j'étois 
entraîné par des mouvements que je ne con- 
noîflbis point , & que je tf aurois pas pu me 
définir ; ilsétoient violents fans être tendres, 
aucun defir ne s'y mêfoit , & j'étois piqué , 
iàns être amoureux. Qu'elle eût paru knfiblc 
uninftant , que je l'eulfe revu jaloufc, cm-^ 
portée ; qu'elle eût fait des efforts pour me 
ramener ^ le charme fc fèroit difïîpé : ma 
vanité, contente de l'humiliation où je l'au- 
roîs vue , mon cœur n'auroit plus retrouvé 
en elle qu'un objet indifférent , & peut-êtrft 
méprifé. 

Ce fut ce qui n'arriva pas. Madame de 
Lurfày favoit combien il feroit dangereux 

Eour elle de me détromper : elle n'avoir pas 
efoin de m'étudier pour démêlée ce qui fe 
pafibit dans mon ame. J aurpis été le premier 
lur qui fon flratagême , tout ufé qu'il étoit , 



iSiaroît été fans puiflance ; mais pour qu*îl fît 
tout ce qa elle en attendoit , il faUoit le 
poufïcr jufques où il pouvoit aller. Je n^étois 
encore qu ébranlé , & elle me vouloit 
vaincu. 

La partie où elle m'avoit engagé , ne fut 
pas fi-tôt finie , que dans mon premier mou- 
vement de dépit , je m'approcnai pour pren- 
dre congé d'eue ; mais d'un air fi contraint, 
qu'elle fèntit bien qu'elle n'auroit pas dé 
'peine à me faire refter. 

Où voulez- vous aller ? me dit-elle gaie- 
ment. Quelle folie ! Il eft fi tard ! J'ai compté 
far vous. Vous me défbbligcrez de ne pas 
demeurer ici. Je vous défbbligerois bien plus 
d'y refter, répondis-je d'un ton ému, & je 
ne pars que pour ne vous pas déplaire. C'eft, 
reprit-elle, (ans me contraindre en aucune 
feçon , que je cherche à vous retenir. J'aî 
toujours beaucoup de plaifir à vous voir. Je 
ne conçois pas fur quoi vous pouvez jamais 
vous croire de trop che» moi. On eft accou- 
tumé à vous y voir vivre avec une extrême 
liberté, & l'on doit être furpris, je dois 
1-être toute la première, de vous voir aujour- 
d'hui faire des façons depuis fi long- temps 
bannies d'entre nous. Je les crois à préfènt , 
Madame, répartis-je, plus néceflàires que 
jamais. 

Quelle idée ! répondit-elle en haufîànt les 
épaules ; que vous êtes déraîfbnnable ! Ah ^ 
que je le fuis peu j Madame , répliquai- je , 



afo fS V T R 1 s 

& qnc vous (avez bien.... Enfin, (Intenom^ 
pic-cUe en le levant comme fi elle eût craint 
d'entrer dans le moindre détail ) vous êtes le 
maître , je ne prétends pas vous gêner. ReA 
te2 , vous me ferez plaiEr. Panez , fi ce que 
je vous propofe ne vous en fait pas. 

Je crus voir, à (on air froid, qii'ellff avoir, 
dans le fond envie que je partifle , & qu'elle 
dcftinoit , (ans doute , Taprès-fouper au mar- 
quis. Je me fis un pkifir lècret de les gêner 
par ma préfênce, & de me donner d'aîQcurs 
la douce fittlsf :âion de voir madame de 
Lurfay fe dégrader de plus en plus à mes 
yeux , & iuftintr tout le mépris que je croyois. 
avoir pour elle. 

Peu de temps après on fêrvît. Sans y pcn* 
fer , à ce que je croyois , & uniquement par 
habitude, je voulus me mettre auprès de 
madame de Lurlày. EUe s'en apperçut ; Se 
loin de paroîtrc m'en fàvoir gré , elle arran- 
gea les choies de façon que ce fiit le marquis 
eue je regardois toujours comme mon CxxcceC* 
leur, qui fê mit à la place où je defirois d'être.. 
Quoique cette préférence qu'elle lui donnoic 
fax moi , eût été habilement conduite, elle ne 
lu'échappa pas , & j'en reflèntis un dépit 
extrême. Si elle m'avoit offert cette place , ik 
eil confiant que je ne l'aurois pas prifè : mais 
jjp ne pus , fans colère , la voir remplir par 
un autre. 

Bientôt le fbuper s'anima. Madame dit 
luxûy, qui, ajr es avoir mortifié ma vanité > 



youloit me plaire , n'épargna rien pour y 
réullîr. Cette féduifante coquetterie, plus 
puîilante fur nous que la beauté même , ces 
airs agaçants que nous méprisons quelque^ 
fois , & auxquels nous cédons toujours ^ les 
(oiiris les plus cendres , les regards les plus 
vifs , tout fut & inutilement emplcryé. Per- 
fuadé que le fèul defir d'engager mon rival » 
lui donnoit tous ces charmes , je me révoltai 
contre eux. Son enjouement me parut con-r 
traint , (on efprit apprêté , Se les grâces donc 
cHe venoit de s'embellir, me (èmblercnt peu 
faites pour Ion âge. Je regardois tout avec 
des yeux jaloux» Mon cœur étoit troublé 
par la colère, mais tranquille du coté de 
Tamour. Du moins tout entier à la haine qu^ 
m'infpiroit madame de Lurfay , n'eus- je pas^ 
lieu de me douter que je k trouvois belle. 

Nous marqucHis trop nos defiis^, ils agif- 
fent trop fcnfiolement {îir nous , pour qu'ils 
puiflent échapper à la femme même la moin» 
habile. Madame de Lur&y, quin'éroitpoinc 
dans le cas de pouvoir fe méprendre à mes 
mouvements , connut > à la froideur de mesi 
regard, qu'elle ne fâiîbit pas fur moi une 
aulïî vive imprellîon qu'elle l'auroir defiré.. 
Il eft à croire qu'elle craignit de m'avoit trop 
laiffê penfèr qu'elle; ne fbngeoit plus â moi ^ 
puisque fans quitter absolument Con pfemfôr 
projet , elle commença à me regarder avec 
moins de tiédeur que je ne lui en ivois vi» 
)ufques-làr 

Elle ca failbit trop peu pour me nrer d(0 

L 6 



iji œ ir y « ir r 

l'état où elle m*avoit mis , & elle fît cepen- 
dant bien de n'en pas rifquer davantage^ 
Quand elle m'auroit fëduit alors au point oùr 
elle le vouloit, que pouvoit pour elle une 
feduébion momentanée que mes réflexions 
auroient détruite , ou qui fe fcroit diffipée 
d'elle-même , avant qu'elle pût la {aifîr , 6c 
qui peut-être , pour avoir été précipitée , 
m'auioit ufé l'imagination inutilement, & 
moins difpofé à être fenfible , quand il lui 
importerolt le plus que je le fufle > 

Elle étoit aflez fage pour feire ces réflexions 
&.fans doute elle les fit» Le fouper continua , 
iàns qu'elle parût avoir pour moi , plus que 
ces foins d'ufage dans la (bciété , & que les 
femmes ont pour les hommes qui leur font 
le plus, indifférents , quand elles vivent avec 
eux. Ses difcours furent auflî mefurés que 
fcs regards, & elle le conduiiit avec tant 
d'adrefle , qu'après m'avoir d'abord donné 
lieu de croire qu'elle avoir férieufèmenr 
rompu avec moi , & qu'elle (bngeoit même 
à s'engager avec un autre, je dus, en fortant 
de table , çfpércr feulement qu'il ne (èroft 
pas impoffible de la faire relïbuvenir qu'elle 
m'avoit aimé , fc de la retrouver plus tendre 
qu'elle ne i'avoit jamais été pour moi. 

Quoique vain comme je Tétois, il fut na- 
turel que je longeafle à la rengager , & que 
les defirs duflent être la fuite de mes mouve- 
ments 5 ce ne fut pas ce qui m'occupa. J'étois 
piqué de n'être point regretté de madame* 
âe Lurfày^ & je ne la regrettois prs. Peade 



D s C R E B I I t O K , Fin. i;| 
temps même après le fouper , ayant prefquc 
perdu de vue l'objet qui m'avoit -déterminé 
à refter chez elle, je fus prêt à fuivre quel- 
^lues perfbnnes qui en fortoient. 

Qu'elle refte , me dis-je , avec cet heureux 
amant qui me fuccede. Qu'ils paflent enfèm- 
ble la plus charmante des nuits. Que m'im- 
portent leurs plaifirs , pour vouloir les trou- 
bler? Je n'aime pas, pourquoi ièrois-je 
jaloux ? 

En conféquencc de ce raifbmiement , je 
me levois , lorfque le marquis , à qui je fup- 
po(bis une (î grande impatience de fe trouver 
(èul avec madame de Lurfày , lui dit qu'il 
alloit prendre congé d'elle. Ce diicours me 
furprit. Je crus qu'elle feroit des efforts pour 
le retenir ; mais après lui avoir repréienté 
froidement, qu'il pourroit la quitter plus 
tard , elle le lailïa partir , (ans prendre feule- 
ment avec lui , jour pour le revoir. 

Une fî grande indifférence , après ce qui 
s'étoit paflé , ne me parut pas naturelle. Loin 
d'imçginer qu^ils ne penfbient pas l'un à l'au- 
tre, & que mes ibupçons étoient mal- fondés, 
je crus au contraire , comme ils s'étoient long- 
temps parlé bas, & que pendant cette con- 
verfation , elle avoit eu un air myflérieux & 
cmbarrafle , que leurs arrangements étoient 
pris , que cette prompte retraite du marquis 
n'étoit que fîmulée, & qu'à peine le peu de 
monde qui étoit encore chez madame de 
Lurfay y l'auroir quittée , qu'il y reparca- 
troitu 



1^4 Œuvres 

Cette idée n'étoît rien moins que roma- 
neique , & je pouvois Tavoir , /ans blefTer 
la yraifemblance & nos ufàges. Je penfài 
aum , qu'il y auroit autant de fineflè à trou^ 
bler madame de Lurfay dans (on rendez- 
vous , qu'il y en avoit eu à le deviner. Je me 
fis une ]oie maligne de refter (i long-temps 
chez elle, que le marquis s'en impatientât, 
& pût même penièr que, fans avoir été heu- 
reux , ou fans l'être encore , je ne pouvois 
pas avoir le droit d'être imponun , au point 
où je me promettois de le lui paroître. 

A tant de raifons , il s'en joignit une à 
laquelle je ne fos pas infenfible, & qui , pluy 
que toutes les auti^s , me porta à defirer une 
converfation particulière avec madame c'e 
Lurfày. J'étois perfuadé qu'elle m'avoit 
trompé 5 & que je ne devois jamais lui par- 
donner la fauflèté d'avoir voulu me paroître 
re/peftable. Il me fembloit, que ne voulanr 
plus la revoir fur le pied où nous avions été 
cnfèmble , il y alloit de ma gloire à lui ap- 
prendre combien j'étois inftruit. Se à lui 
ôter le plaifîr de croire que je confcrvois 
pour elle toute l'eftime qu'elle fe flattoit de 
m'avoir infpirée j que je ne pouvois pas , 
pour exécuter ce projet, {aifîr un meilleur 
temps que celui , où malgré cette rigide 
vertu , dont par trois mois de foins , je 
n'a vois pas pu triompher, elle donnoic des 
rendez-vous à quelqu'un qui , peut-être , 
fi'avoit eu ni le temps, ni le de(ir de lui en 
demander. Je me Éiifois en^n ui> tableaa fi 



T> s Cn éEriX.OHy FILS. Xff 

touchant de la confufion où je ne doutoi» 
pas qu'elle ne tombât , & de Tlippatience oik 
je la mettroîs , qu il me fut impoiSble de 
m'en rcfufer \e ipcftacle. 

Occupé de ces agréables idées , i'attendoi$^ 
le moment où je jpoiirrois les voir remplies ;. 
il vint œfin. Je fis femblant de fortir avec 
fous les autrçs , i8c )e dis adieu à madame de 
Luriay d'un air (î naturel, qu'elle m'en pa* 
rut choquée. Je reftai quelque temps dan» 
l'antichambre à parler bas à un de mes gens ^ 
à qui je n'avois rien de particulier à dire *, Sc 
tous les équipages ionis , je rentrai. 

Je trouvai madame de Lurfay fur un ca-* 
napé où elle revoit. De quelque courage que 
je me fuffè armé, je ne me vis pas plutôt 
fèul avec elle , que je fus fâché de m'y être 
renfermé , & que j'euflc bien voulu n'avoir 
pas iniagmé quç j'avois tant de chofes à lui 
dire. Toutefois, la néccffité de me tirer 
fieureufcment d'une aventure où je m'étois. 
embarqué moi-même , le dépit que (a vue 
m'infpiroit , & le plaifir de la mortifier, mfe 
fendirent ma fermeté. 

Quoi ! c'eft vous , me dit-elle avec éton-»- 
nement, Ofèrois-je vous demander pourquoi 
vous revenez ? Que voulezr-vous qu'on penfa 
de vous voir refter ici? Je crois. Madame ^ 
ripondis-]e d'un air railleur, que ce n'eft 
pas de ce qu'on en peut penfer que vous êtes 
inquiète, & qu'un foin plus important vous; 
lourmetite. Xc n'ai jamais répondu à ce qua 



iç^ WL V V li ï s 

je n'entendoîs pas, répliqua-t-elle , m de- 
mandé ce que je ne me fbuciois pas d'ap- 
prendre j ainfi , Qms vous interroger fur le 
lens de ce que vous venez de me dire , je 
vous prierai (împlement de vouloir bien ne 
pas refter chez moi à l'heure qu'il eft. Je 
lais , repris-je , combien je vous obligerois 
de partir , mais il n'eft qu'une heure , & je 
voudrois bien que vous, me permiflîez d'en 
paflèr encore quelques-unes auprès de vous. 
La propofition eft fans doute fort honnête , 
répondit-elle en contrefaifànr le ton poli dont 
je lui parlois , & je fuis fincérement fâchée de 
ne pouvoir pas l'accepter. Vous le pouvez , 
Madame , repris-je , & j'ai peut-être aflez 
de chofès à vous dire pour vous faire paflèr 
(ans ennui , le temps que je vous fuppHe de 
vouloir bien m'accorder. 

Quand je vqudrois bien n'en pas douter , 
repartit-elle, les inftants que vous prenez 
pour ceki n'en feroient pas mieux choifis; 
& d'ailleurs , vous pouvez avoir beaucoup 
de chofes à me dire , fans qu'elles aient de 
quoi me plaire ; car, entre nous, & fans 
vouloir vous rien reprocher , je ne vols pas 
que jufques ici vous m'ayez amufëe beau- 
coup. Vous ferez ce foir plus contente de 
xnoî , Madame , répondis- je , & la certitude 
que j'en ai , m'a fait halàrder une demande 
que je ne fuis pas furpris que vous trouviez 
indifcrete. Je n'ignore aucune des raifons 
qui vous la font paroître telle. Je ùjs qiie 



BS ÇREBIX.XOK3 fIXS. 157 

je remplis des moments que vous aviez des- 
tinés à des plaifirs plus doux que celui de 
m'entendrç , & que , fans compter l'impa- 
tience que je vous caufè , vous avez à par- 
tager celle de quelqu'un qui , peut-être , en 
gémiflànt de Tobilacle que j'apporte à (es 
plaifirs , ne vous croit pas abfolument inno^' 
cente du chagrin que je lui fais. 

Voilà fans contredit, s'ccria-t-elle , une 
belle phrafc ! Elle eft d'une élégance , d'un 
obfcurité ôc d'une longueur admirables ! Il 
faut, pour fe rendre intolligible , furieufe- 
nienr travailler d'eiprit. Si vous me le per- 
mettez , lui dis-je , je ferai plus clair. Oh ! 
je vous le permets, reprit-elle vivement, 
j'oie même vous en prier. Je ne fêtai pas 
fâchée de connoître toutes les petites idées 
qui vous occupent : elles doivent être rares. 
Mais, pardonnez- moi, Madanie, ces idées 
que vous croyez rares , font allez générale- 
ment répandues. Le préambule m'excède , 
Monfîeur , reprit-elle brufquement , venons 
au fait. Venons-y donc , répondis- je , en rou^ 
giflant de colère. 

Vous avez cru long-temps. Madame > 
continuai-je , que vous pourriez m'en im- 
pofer toujours , & que , fur la belle, réfif^ 
tance qu'Û vous a plu de me faire , j'eflime- 
rois votre conquête afïcz, pour croire que 
j'aurois été le fèul qui l'eût faite , & pour 
vous en tenir compte fîxr ce piod-là. Vous 
l'avez cru , & vous aviez raifbn. . . Afleyez- 



±$9 (S u y R E s 

vous , Monfieur , înterrompît-elle tranquil- 
lement , ce début m'annonce quelque cfiofe 
de long , & je ferai charmée que vous (oyez 
à votre aifè. 
Je m'afEs vîs-à-vîs d'elle , & quoiqu'un 

Su déconcerté par (on air ironique , je pour- 
Lvis ainfî : 

Je vous difbis , Madame , que vous aviez 
raiibn de croire que je me troùverois infini- 
ment heureux de vous plaire. Ma jeuncflè , & 
le peu d'ufàge que j'avois du monde , vous 
répondoient de ma crédulité , & (î j'avois 
été plus inftruit , vous auriez dû compter 
moins fur elle. Vous n'avez pas eu befbin de 
beaucoup d'artifice ; vous pouviez même en 
employer moins que vous n'avez fait, & 
c'étoît penfer de moi trop avantageuiement^ 
que de croire qu'il fallût , pour me troniper , 
tout le manège dont vous vous êtes fervi. 
Oui , Madame , je l'avouerai , je vous ref^ 
pcAois trop aveuglément pour ofer douter 
un infiant que vous ne fuflïez telle que vous 
vouliez me le paroître , que vous n'eufCez 
toujours vécu loin de l'amour , que ce ne 
fût en vain qu'on avoir attaqué votre cœur , 
& que je. ne fîifïè le premier qui eût pu le 
rendre Icnfible. 

Vous l'avez cru , înterrompît-elle ; mais il 
me fèmble que penfant avantageufement de 
moi, vous n'aviez pas mauvaifè opinion de 
vous-même. Ce n'étoit afTurément pas vous 
fiftioier peu > que de vous croire fait pour 



DE CuilILLOK^ FILS. Iff 

ieduire une femme qui y ju(ques à vous y avok 
fi bien réfifté. Eh bien ! enfuite d'une idée 
auili modefle^ que pen(âces-vous ! 

Ne me la reprochez pas , Madame , rc- 
pris-je avec émotion , vous y gagniez plus 
que moi. Si je ne vous avois regardée que 
comme une femme ordinaire y îe vous aurois 
peut-être moins aimée, & j'oie douter que 
vous euflîez été (atisfàite de ne m'avoir infpiré 
qu'un goût fbible y peu digne de vos char- 
mes , ic qu'il n'auroit pas été décent à vous 
de récompenfèr. 

Mon extrême timidité y & les peines que 
j'eus à vous parler de mon amour ; durent 
vous apprendre que j'avois peu d'efpérance 
de vous plaire , & vous prouver tout le ref- 
peu que vous m'aviez fait naître. 

A votre âge , dit-elle , qu'on refpe£te ou 
non une femme, on eft de même auprès 
d'elle, & je ne vois pas à propos de quoi 
vous voudriez que je. vous tinfle compte d'un 
mouvement de crainte que je dcvois plus à 
votre imbécillité, qu'au refpeâ: que vous 
aviez pour moi. 

Quelle qu'en fut la caufe , reprîs-je , moi> 
trouble ne vous en étoit pas moins agréa-^ 
ble-, & vous deviez être flattée de me voir 
des craintes , que peut-être vous ne deviez 
pas m'infpirer. 

Mais non , répllqua-t-elle , le plaidr qu'elles 
m'ont donné , a été médiocre. Les chofcs ri- 
dicules^ n'amufènt pas long-temps. Pourfui- 
vez^ £h bien l vous ne deviez pas m'eftimer. 



i6o (S ir V R X s 

autant que vous avez, feit , & vous vous et» 
repentez , n*eft-il pas vrai ? Après. 

On m'a détrompé , Madame y j'ai appris 
combien mes craintes étoient déplacées , & 
je ne me confblerois jamais du ridicule qu'elles 
m'ont donné , fi le plaifir de me les voir , ne 
vous en avoit pas coûté d'autre. 

Oui , repartit-elle , avec un extrême (âiig- 
froid , je ne difconviens pas qu'elles ne m'aient 
fait jouer plus d'une fois un aflcz mauvais 
perfonnage ; mais c'étoit précifément par 
cette railon qu'elles ne pouvoient pas m'a- 
mufer. 

Je ne le? auroîs pas aujourd'hui, reprîs- 
je , d'un ton menaçant. 
• Ce (eroit peut-être un peu tard que vou» 
voudriez vous en défaire, répliqua-t-elle > 
Se vous ferez tout auflî bien de les garder. 
Mais, dites-moi, j'ai donc eu le cœur ex- 
trêmement tendre. Vous (avez (ans doute 
toutes mes aventures , oourrois-je efpérer 
de vous , la complaifance de me Içs raconter > 

Je craindrois d'abufer de votre patience, 
répondis-je, fort embarrafïé des imperti- 
nences que je lui difois , & du peu de cas 
qu'elle leàibloit en faire. 

Ce n'eft là qu'un mot , repartit - elle , & 
un mot âuifî mauvais qu'il eft impoli ; mais 
je vous le pardonne. Vous ignorez avec les 
femmes jufqu'à la façon dont on doit leur 
parler. Ce que vous venez de me dire , par 
exemple , n'eft mal que par votre faute. 
Mieux die , il aurait été plailànt» Paifcms» 



i>E Crébillon, fils. l6l 
Sans vouloir , rcpris-je , outré de fureur, 
entrer dans un détail qui feroit fort inutile , 
je puis vous dire lîmpfement, qu'on m'en a 
allez appris pour me feire fentir votre fauflèté 
avec moi, & me faire regretter toute ma 
vie d'en avoir été la dupe. 

A votre tour ne me reprochez pas cela , 
répondit-elle en riant. Ce n'eft pas de ma 
finefle qae vous avez été la dupe, c'eft de 
votre peu d'expérience. Pourquoi voulez- 
vous m'imputer vos bévues? Devois-je vous 
apprendre à quel point vous me plaifiez , & 
vous dire , moment à moment, rimpreflion 
que vous faifiez fur moi? Ce Coin y de ma 
part, eût fans doute été fort obligeant; 
mais m'auriez-vôus pardonné de le prendre } 
N'étoit-ce pas à vous à connoître , & ùâCix 
mes mouvements? Eft-ce ma faute enfin, 
s'ils vous ont tous échappé? & quelqu'un 
avant vous, s*cft-il jamais avifé de faire des 
reproches aufli ridicules que ceux que vous 
me faites > Eft-ce ici du moins qu'ils finif- 
fènt? 

Il né me refte plus , répliquai- je, confondu 
de fa faconde me répondre, qu'à vous féli- 
citer ibus le prétexte que vous avez pris pour 
rompj:e avec moi: (ur le fecret avec lequel 
vous avez formé cette partie de canjpagne , 
dont vous ne m'avez averti que lorfqu'il ne 
me reftoît pas le temps de m'arranger pour 
vous y fuivre , & ennn fur l'amour prompt 
c[ue vous avez pris pour le marquis j que je 



i6i Πtr V K E s 

retiens caché dans un recoin de votre cabi- 
net, 8c qui y (ans doute, attend avec impa- 
tience que vous vouliez bien me congédier. 
Je crois en effet, ajoutai-je, que j'ai retardé 
les inftants de (on bonheur , aflez pour ne 
devoir plus y mettre d'obftacle , & je vais... 
Non, Monfieur, interrompit-elle, je vous 
ai (î patiemment écouté , que je dois croire 
que vous voudrez bien m'accorder la même 
grâce. J'en demande pardon au marquis, 
mais dût-il s'impatienter d'une converfation 
fi peu faite pour lui , je ne faurois me refufer 
le plaifir de vous répondre. Ce n'eft pas pour 
vous que je le veux faire. Ma réputation ne 
dépend ni de vous , ni des gens qui prennent 
à tâche de la noircir. On ne peut , à votre 
âge, juger (ainement de rien. Se moins en- 
core des femmes que de toute autre chofe. 
Vous n'êtes fait, ni pour être écouté, ni 
pour être cru , & vous pouvez , (ans tirer à 
conféquence, penfcr auflî mal de moi , que 
vous pcnfèz bien de vous-même. Ce n'eft 
pas fur vos difcours que le public me jugera i 
ainfî ma juftification n'eft pas ce qui m'inté- 
refle , c'eft le plaifir de vous confondre , de 
dévoiler votre mauvaife foi , vqs i^prices, 
& de vous faire enfin rougir de vous-même. 
Je vais , continùa-t-elle , commencer par 
vous parler de moi r vous ne pourrez pas 
croire que ce (bit par amour-propre. Je (uis 
forcée de rappeller des faits qui m'avilifïent, 
^ vous m'avez mife dans le cas de ne pou- 
voir jeter les yeux fur moi-même , (ans me 



DECREBIXI.ON,rXIS. 2 6} 

méprifer des erreurs dans lefquelles vous 
m'avez fait tomber. 

Vous me connoiflèz depuis long-temps. 
Liée à votre merc par l*amitié la plus ten- 
dre , je vous ai aimé avant que je (iifle fi 
vous méritiez de l^'être , avant que vous (uf- 
fiez vous-même ce que c'eft que d'être aimé, 
& fans que je pulle imaginer que le goût que 
j avois pour vous , pût me conduire où j'ofe 
enfin avouer que je fuis. 

Eh ! quelle apparence en effet que je dufle 
craindre de vous trop aimer? Quand j'auiois 
pu prévoir quç vous penfcricz à moi , de- 
vois-je imaginer que vous me rendriez fen- 
fible, & qu'un événement fi peu vraifem- 
blable , dût un jour être compté parmi ceux 
de ma vie. Je ne l'ai pas cru, & vous ne 
pouvez pas me le reprocher. Toute autre que 
moi ne vous auroit pas craint davantage , & 
à ne confidérer que votre âge & le mien , 
(je laifle à part ma façon de penfèr) ma 
fëcurité étoit bien naturelle. 

Ce fut donc non-feulement fans craindre 
pour moi-même > mais encore fans faire la 
moindre réflexion fur vous , que je vous vis 
chercher à me plaire. Vos foins plus mar- 
qués, vos vifites plus fréquentes & plus 
longues, & le plaifir qu'il fembloit que 
vous nriflîez à me voir , ne me parurent que 
les effets de notre ancienne amitié. Vous en- 
triez dans le monde, vous commenciez à 
vous former, & il étojt tout fimple que vous 
me cherchailiez avec plus d'ardeur que vous 



t^4 ŒE u ▼ R E f 

ne Tavicz fait dans votre enfmcc. Ce que- 
vous me difiez fur l'amour, l'acharnement 
avec lequel vous m'en parliez , & la difficulté 
que je trouvois à vous faire porter votre et 
prit fur d'autres matières, ne furent à mes 
yeux que les fuites de la curiofîté d'un 
jeune homme qui cherche à s'éclairv^r fur 
un fcntiment qui conimence^à troubler fbn 
cœur , pu fur des idées ' qui occupent fbn 
imaginition. Vos regards ne m'inftruifîrcnt 
pas mieux, & je defirqîs fi peu de vous 
plaire , que je ne pus jamais penfcr que 
je vous plaifbis. Votre •* embarras enfin 
ftie fît naître l'envie ^c fàvoir ce qui vous 
agitoit, & croyant n'être que confidente, 
je me trouvai incéréflec pour moi-même dans 
vos fccrets. Vous devez vous fbuvenir que 
je n'oubliai rien pour vous enlever à une 
fantaifîe qui me paroifibit déjdacée , &c dont 
j'ctois fâchée d'être l'objet. Mon amitié pour 
vous., votre ieuneffe , une forte de pitié 
m'empêchèrent dt vous impofer ïîlënce aufli 
durement que j aurots dû le faire. Je crus 
d'ailleurs pouvoir rii'amufer de la façon dont 
un coeur qui en left à fa première paffion , la 
fent, &: k conduit. Cet amu&xnent, qai 
id'abord ne fut pas pl^s dangereux que je ne 
i'avoiscru, le devint enfin. Je v;pus peidois 
favec plus de regret, vous atcendpis avec im- 
Jpatience, & votre vue me faifbit fentir des 
mouvements, qu'avant que vous m'eufiîez 
parlé , je ne connoifibis pas. Je reconnus 
alors la nécefEté de vous fuir,. mais je ne le 

pouvoij 



DE CK1ÉBÏH.OW, FUS, YSj 

.pouvoir plus. Un je ne lais kjucI <liàxnic , 
^rop foible da^s Ùl naUIance pour que je 
-cruflfe avoir be^in de le co^mbattre, m'ac- 
tachoit à, vos difcour^.. Je me les /(^pécois 
^uand vous, les aviez finh. Je m'arracfaoîs 
avec peine , & tpujourstjfpp tard , ag. jJaifir 
de vous entendre/ Cet affreux intervalle de 
votre âgé au mien > & qui m'avoit d'abord 
il fènfîblemewt frappéç , difpirut à mes «j- 
£ards. Chaque jour que npu^ pallions à nous 
:Voir ^ cae femHoit vous dmn^x des années^ 
jou iiiQter dc% miewes^ tJ^iyipux.feul powv* 
;Voît m'aveu^r k ce point i ic aroire que 
nous pouvîoas être laits l'un pour i'outte^ 
^oit une ^^reuve tfop {urc du inien^ 4>our 
pouvoir k inéconnoître. Loi« dç chercher à 
pxç le diflîmuier cncicire.; je ne oraiguk pas 
jde m'eKumiher ,-■ Ô5 quoique ce que k tjraor- 
j^ai pour vous dans mon oomr » m'isray &c, 
je ne me crus pas (ans teâburce. Comme je 
ne fbuhaicois pas d'étce v^Mncue , k tie vou-- 
lois pas voir qixe je l'tétoii déjà. Convaincu^:; 
ibnfin dei'evcrême eendt^âeque Vousm^avier 
inrpirée, jc.dtcrEftuû d^tnoins à .retarder 
ma chute, 6c \ m'épargqer la imtccâc Iç 
danger de U triste - foîblcïfe.. :Votre\peu 
d'expétsencé m'udoic dans mon ]^er^ & 
je îow^is du ^[rUifir de vous votramoureuit, 
d'ausant pbsipmTibkmdnti^qu^ jecniignoîs 
4iioin8 de me toir^ Aè^^^jQ^ cbupame* 
-! Ilrh^eft donc pas exCfaoïrdûtairq/iMoiificur, 
jijouia - 1 - elle > que je nb vaos^aic!ptts die 
^ue }ç vous aimoiï^x la2iiqtte^je.:ne toâ3 



2g< Œf ir V R E S 

aimois pas encore. Il ne Tefl: point di^ 
vantage , qu'après que mes fenriments 
pour vous m'ont été connus, j*aie fait ce 
que j'ai pu pour vous les cacher. C'étoit à 
vous à tâcher de les découvrir , & fi je puis 
vous le dire, c'eft à vous , & non à moi , 
qu'il a plu défaire une Belle réfifiance. 

Mais , Madame , répondis-je en bégayant» 
j|e n'ai pas , à ce qu'il me fèmble , eu toit 
de vous le dire, vous convenez vous-même 
que vous m'avez réfifté , & vous concevez 
4>ien que..;.. Vous héfitez! interrompit- 
elle, achever. Que voulez-vous que je vous 
difè. Madame, répliquai-je , plus décon- 
certé que jamais , Vexpreflion dont je me 
fuis ièrvi a pu vous choquer, je fiiis fâché 
certainement qu'elle Vous ait déplu \ |e . . . • 
mais, ajoutai-je, voyant que je ne (àvois 
ce que je lui dilois, il efl tard, & vous vou- 
lez bien que je prenne congé de vous. Non» 
Monfieur , répondit-elle \ je ne le veux pas. 
Ce que j'ai à vous dire encore, ne peut fè 
remettre y &c les articles qui me reftent à 
traiter avec vous , (ont les plus importants 
pour moi. • 

Je me remis fur mm fiege, fort étonné 
de ce que c'étoit moi qui étois conj(bndu« 
Mon^emi)arras augmenta encore quand elle 
4n'ordonna ( fans^nifim apparente à ce que 
)e crus) de m'atl^^riur un fauteuil qui tou- 
choit à ^oïi canapè-^sccr^ui me mettoit beau* 
coupplijs prcs.cfelle qu<Mene n'étois d'abord, 
J'obéi^tèhjcreinblaiit j ùm ofèrl^ regarder j 



SE CRÉBILLOlf, FILS. l6j 

8c avec une forte d'émotion tendre , que 
le récit qu*elle venolt de me faire ,_m'avoic 
involontairement donnée. Iheft donc vrai , 
continua-t-ellc , que je vous ai aimé. Je 
pourrois n'en pas convenir , puifque je ne 
vous Tai jamais dit affirmativement 5 mais 
après ce qui s*eft pafft entre nous , ce détour 
(eroit auflî inutile que déplacé , & il vau- 
droit mieux pour moi que je vous cuflè dît 
mille fois que je vous aime , que de vous 
l'avoir une feule fois prouvé comme j'ai fait» 
J'avoue même que je pourrois avoir à me 
reprocher , que je vous dois plus qu'à ma 
raifbn , le bonheur de n'avoir pas entière- 
ment fuccombé , & que fî vous aviez pu 
connoître toute ma fpiblefle , je fèrois au- 
jourd'hui , de toutes les femmes , la plus à 
plaindre. Ce n'eft pas que je m'cflime da- 
vantage de vous avoir échappé; mais dans 
l'état oà font les chofès , ce m'eft une forte 
de confblation de ne vous avoir pas touc 
fàcrifié. 

Elle appuyoit avec tant de plaifir fur cette 
confolation > & je me trouvai dans l'inflanc 
fî ridicule de la lui avoir bifide , qu'il s'en 
Mut peu que je ne formaffe le dcflèin de 
lui enlever un avanuge dont eUe paroifibît 
fi vainc. Je levai les veux fur elle un moment, 
& je la trouvai fi belle ! elle étoit dans une 
attitude fi négligée , fî touchante , &: toute^ 
^ois fî modcfle I ks yeux qu'elle laiffa ten- 
drement tomber fur moi , m'affuroîent cn^ 
coîè de tant d'amour , qu'il fe glilè dans 

M i 



i6S CE u V R c s 

mes Cens y je ne fais quel trouble , qui me 
diipofam mieux à l'écouter , me retiîdic ce- 
pendant plus diftraît. 

Vous m'accufcz , ajouta «réelle , en me 
fixant toujours , d'avoir voulu vous parcatre 
îrefpedlable , & vous m'en feites un crime. 
Qu'aurois-jc fkît , que je n'euflc dû faire ? 
Si pour vous donner bonne opinion de moi , 
î'avois eu des vices à déguiier , des aven- 
tures malheureufes à couvrir , & qu'enfin je 
?i*eufle pu , fans rifqucr de vous perdre , me 
montrer à vos yeux , telle que j'aurois été , 
penfèî-vous que j*euflè été blâmable de cher- 
cher à vous en impofèr } d'ailleurs , quand 
îl auroit été vrai que , par des éclats indé- 
cents , jVufïè déshonoré ma jcunefïe , auroit- 
îl été impeflible que jefu(Iè»revenue à mai- 
même } vousnelç favez pas encore , Monfieur, 
mais vous apprendrez quelque jour y qu'il ne 
faut pas toujours juger les femmes fur leurs 
premières démarches , que teUe a paru avoir 
l'ame corrompue , qui n'avoit qu'une ima- 
gination déréglée' , ott une fo^ilefie de ca- 
raébere y qui ne lui a poiiic pemûs de ré^ 
iifler au torrent & au xhaovais exemple > 
que s'il efl prcfque impoffible de fc corri- 
ger des vices du cœur , on revient des er- 
l"eur$ de l'efprit , & que la femme qui a 
été la plus galante , peut devenir , par- fc$ 
feules réflexions , ou la femme la :|d«s ver- 
nicufc, ou la maîtrefïèlaplus'folelle. 

Vous dites encore que j'ai voulu vous 
feire penfcr , qu'avant que mon cœur 6U 



BE CRiBIXLOH^ FILS, xéf 

à VOUS , il n*avoit été à perfoimé. S'il eft 
vrai que c'ait été mon intention , je fuis coUr- 
pable d'une étrange feufleté : Non , Mon« 
fieur , j'ai aimé , & avec toute la violence pof^ 
iible. Si je n'avois pas connu l'amour , vous 
me l'auriez vu redouter moins. Peut-être > 
prendrcz-vous , de l'aveu que je vous fais ^ 
une nouvelle raifon de me méprifen II feu*- 
droit (ans doute , pour mériter votre. eftimcw 
que je n'euffe jamais été déterminée k 
l'ainour que par vous. Je ne l'ai pas moinii 
defiré , que vous auriez pu le deurer you*- 
même , & quand j'ai commencé à vous aimer^ 
j'ai eu un extrême regret de ce que mon 
cœur n'étoit pas auffi neuf que le vôtre , dC 
de- ne pouvoir pas vous en of&ir les pré*-" 
roices. 

Ce difcours étoit fi tendre ! il me pcîgnoît 
fi-bjcn k violence & la vérité de fa paffion I 
il étoit foutenu par un (on de voix fi flatteur ^ 
que je ne pus l'entendre fans me lèntir vive*- 
ment ému , & fims me repentir de feire le 
malheur d'une femme qui , par fa beauté du 
moins , ne méritoit pas une fi cruelle defti* 
née. Cette idée, fur laquelle j'appuyai^ 
in'arracha un foupir. Madame de Lurfày 
Tattendoit depuis trop long-ccmps pour qu'il 
lui échappât. Elle fe mt pour un infiant , mm 
regardant toujours. Elle efpéroit fans doute 
que ce foupir me conduiroit plus loin j mais 
voyant que je m'obftinois encore à garder 
le filence , elle pourfuivit ainfi. 

Vous pouvez à préfenr donner une libr« 

M j 



kyo ΠV X K s 

carrière à vos idées 5 j'ai aimé, je l'avoue, 
& c'en eft aflèz pour que vous ne puiffiez 
^s douter que je ne me pare d'une pafliofi 
^ue pour vous dérober mes fantaines, & 
qu'il n'y a rien d'odieux dont je n'aie été 
capable. J'ai connu , en faifànt cet aveu , 
tout le danger où il m'expofbit , mais je n'ai 
-pas cru devoir vous cacher une choie que 
je vous aurois dite , fi vous me l'aviez de- 
xxiandée , & que par toutes fortes de raifbns, 
je dois moins me reprocher , que l'amour 

Sue j'ai pris pour vous , qui , avec tous les 
éfàuts attachés à votre âgé , n'en avez ni k 
candeur , ni la fincérité. Je doute , lui dis- 
je , piqué de ce reproche , ( mais déjà per- 
-luadé cependant que Verfac m'avoit trompé, 
& trop occupé des charmes que madame de 
Lurfty ofFroit à mes yeux , pour ne pas vou- 
loir lui paroître innocent) que je vous, aie 
donné lieu de croire que je ne fuis pas fin- 
cere. Je puis avoir des torts avec vous ; je 
les fens même : mais ils ne font pas de l'ct 
pc:e de ceux dont vous vous plaignez , & 
fi vous avez quelque chofè à me reprocher, 
c'eft d'avoir été trop crédule. 

Eh! l'auriez -vous été, fi vous in'aviez 
aîitée , répondit-elle vivement ? Ne m'auriez- 
vous pas , au contraire , défendue contre 
les calomnies dont on vouloît me noircir 
auprès de vous? Pouviez -vous, &ns vous 
dégrader vous-même, y ajouter foi? La 
façon dont je vis , & dont depuis fi long* 
temps vous êtes témoin , ne devoit-elle pas 



BECKiBii.i.oK,-Fri.s. 171 
du moins les balancer dans votre efprit? 
J'avoue que quand une femme de mon âge 
s^oublie aflèz pour aimer un homme du vôtre , 
elle s'expofè à faire penfèr (m'elle a moins 
cédé à l'amour , quàrhabituae^ au dérègle- 
ment y & que c'eft toujours , pour celle même 
qui s'eft le mieux conduite » une fbibleflè 

?u'on lui reproche d'autant plus, qu'on 
attendoit moins 'd^Ue , & que Iç peu de 
convenance qui s'y trouve , k rend plus ri- 
dicule. Vous ne deviez point me (bupçonner 
d'être dans ce cas » & plus je me (àcriBois , 
plus^pour vous je m'écartois de mes princi- 
pes , plus vous me deviez de reconnoiflance 
Se d'amour. Un autre que vous auroit fènti 
que fà tendreflè feule pouvoit m'étourdir fur 
1^ faute irréparable que la mienne me fàifbic 
commettre ^ & qu'en l'aimant , je le char« 
geois du repos & du bonheur de ma vie ; 
mais , ajouta-t-elle , en tournant vers moi 
des yeux qui fe rempliflbient de larmes , cette 
&çon de penfèr n'étoit pas faite pour vous. 
Avant même que vous fuflîez fur d'être 
aimé y vous m'avez fait efluyer des caprices , 
dont vous ne daigniez feulement pas vous 
cxcufer , & qu'il fèmbloit que vous fuffîez 
fâché que je vous pardonnafle. Je vous ai 
vu dans le même temps , manquer à me 
rendre les devoirs même les plus fîmples , 
paflèr volontairement plufieurs jours fans me 
voir , ne me parler de votre amour qu'avec 
toute la froideur qui pouvoit m'empêçher de 

M4 



iça : ® V T n ï $ 

loi éiio laromÛe , Se oigir enfat a^ec mci , 
ZBOtiis. comme ztcc aM iemmie à' qui vous 
\oiikiez pkire y que comme avec mtt que 
vous aiuiea voala qoittcf. Si quelquefois 
"wws paxoiiliçi plus animé , îe ne crouvois 
pets dans vas tianCfcaî» ce qoi aorokpu me 
les fàice panagçr , & tous ne paYoiffieK ja* 
mais vo^s -livrer moîias au istmtntuAy que 
lorfqne vcHis YDu^laiâBesi lefifa» em{>Ofter à 
vos defirs. Tous cm défauts ne m'échap- 
poient poÎRCv niais en mre pioHgeanc dans 
une doukuf monelk , ils n'atréfcxîenc pas 
mon penchant pour vous. Je vous croyois 
peu ^mé' au^ ufàges; du monde , Se ne 
vouloir point vous vdîjp ûùopabie^ J^efpéroit 
€fiê l'h^^icode d'âimet , vous^ ôtéroît cetcî 
mddièqae fetiiôttvois dansvosÊkçcms^ que 
vous recctrie* avce plaifir tes -avis d'une 
femme qui vous aimoit , Se qpe )t pourrais^ 
ânân vous lendretelque jedeiirois que vour' 

Ah r Madame-, n^'écriai-je, pénéxré de (» 
hrmes , tranrporté hors de moi^mêjÈne , fc- 
ïcAs-)é aifez malheureux pour ne vous plus 
voir vous intéreflèr à moi } Ncm I ccmtinuai- 
jt y en lui baifanc ta main avec ardeur , vou^ 
me rendrez vos bontés , j*crr ferai digne.... 
Ndn 5 Meikour , interrompît-elle , je ne dois 
plus efpércr de vous retrouver auflî tendre 
que je le voudrois. Les tfanfports que je vous 
vois, ne peuvent plus ni me flatter, ni me 
âduire. Plus jeune > & pai confluent j^us 



DE C R É S I L I Ô N , Fils. 27 J 

étourdie, je prendrois peut-être vos defirs 
pour de Tàmour. Ils^ m'auroient émue , ôc 
vous feriez juftifîé \ mais vous avez déjà 
éprouvé dans une occaCion , où )e pouvois 
céder fins avoir rien à itie reprocher , puis- 
que je pouvois me croire aimée , que je ne 
veux me rendre qu'au fèntimcnt. Ce qu'alors 
je n'ai pas fait , je dois le faire moins que ja- 
mais. Quand il feroit vrai que je me fuffè 
trompée en vous croyant amoureux de ma- 
dame de Sénanges , la feçon dont vous 
m'avez parlé fur elle , me prouve que rien 
ne peut , ni vous retenir , ni vous ra-, 
mener. 

Mais, eft-il poflîble, lui dis -je tendre- 
ment, que* vos craintes iiir madame de Se- 
nangee aient été réelles? Avez-vous pu croire > 
que quand èiéme elle eût voulu m'engager, 
j'-eufle daigné répondre k fe» foins ? Oui ^ 
reprit-elle, .madame de Sénanges auroit en-' 
core moins eu de quoi vous plaire, vous 
m'auriez aimée mille fois plus que vous ne 
feifiez, que vous ne l'en auriez pas moins 
prife. Peut-être ne l'auriez-vous pas gardée : 
mais du rfioins elle vous auroit féduit. Se 
c'étoit tout ce qu'elle pouvoit vouloir. S'il 
étoit vrai qu'elle vous fût fi indifterente > 
pourquoi avez- vous cherché à la revoir , & 
pourquoi , le jour même que je vous ai àiè 
que je ne voulois pas que vous véculîi^it 
avec elle , vous ai-je retrouvés enjfèmblc aux 
Tuileries ? (^elle raifôn , fi vous m'avie* 
aimée > pouvoit vous empêcher de venir 4^ 

M s 



%j4. Πtr y R E s 

la campagne avec moi ? Cène partie , dîtes* 
vous , s'eft formée (ècretement. Le myftere 
en étoic bien (îsnple, & vous fèul en étiez 
robjçt. Je voulois vous enlever à madame de 
Sénanges > & je n'en trouvai que ce moyen,. 
Au lieu de pénétrer le motif de cette panie » 
ou de vouloir du moins paroîtreravoirfàit^ 
vous imaginez que je ne l'ai formée que pour 
y voir plus commodément le marquis. Je 
n'ai qu'un mot à vous répondre là deflus» 
Si j'avois eu du goût pour lui y après ce qui 
s'étoit paffë entre vous & moi , vous étiez, 
de tous les hommes du monde, celui que 
J^aurois le moins voulu pour fpeâateur. 
J'abrège vos torts, comme vous voyez; & 
ne peie pas fur eux. Ce n'eft pas que )e fuflè 
embarrafTée de me les rappeiler tous ^ mais 
le reproche Tuppoiè de l'amour j & vous 
ièntez bien qu'il ne m'eft pas poÂîble d'en 
vouloir conferver pour vous. 

Ah ! Madame, m'écriai-je, plein d'un 
trouble qui ne me lai(ïbit pas la liberté de 
xéfléchir , vous ne m'avez point aimé. Vous 
verriez moins tranquillement mon dékC- 
poir, vous y feriez fènfible , (î votre ten- 
CTtnt pour moi avoir été aufli forte que vous 
me le dites. 

Mais, Meilcour, reprit-elle, fèroît-ii poC- 
£ble que je puflè encore me flatter de vous 
^e cnere ? Dois-jc même le fouhaiter i ch-'û 
èien vrai que vous fbyez fâché de me perdre î 
Vous qui n'avez rien épargné pour tâcher de 
me déplaire^ ôc qui n'avez cru pouvoir voui 



DE Crzb IHeK, TîtS. Ijf 
îuftifier qu'en me cherchant des crimes, & 
qui ne doutez pas que le marquis ne iôit 
afièz bien avec moi , pour que je ne l'aie 
pas fait cacher dans mon cabinet. 
. Pouvez-vous en parler encore, m*écriai- 
je , & ne vous croyez-vous pas a(Iez juftiiiée 
dans mon efprit ? Oui , reprit-elle en foupi- 
riant, ^e, vois bien que je le luis aujourd'hui , 
mais je ne fèrois pas furprilè de ne l'être plus 
demain. 

Eh ! quoi , lui dis-je, ne ceflerez-vous pas 
de m'oppofer d'aufïî vaincs terreurs ? Ah l 
Meilcour , s'écria-t-elle d'un ton plusattendri^ 
l'intérêt dont il s'agit ici entre nous , eft trop 
grand pour moi pour devoir être traité (i lé- 
gèrement. Se je fuis perdue , fi. je ne Cuis 
pas heureufè. Non y repris- je , en la prelïànt 
dans mes bras , ma tendreflè ne vous laiflera 
rien à defirer. 

Mais , Meilcour , répondit-elle , en pa- 
roiflànt rêver , ne pouvez-vous pas être con- 
teiu de mon amitié ? Songez-vous que je ne 
vous préférerai personne , & , qu'à peu de 
choies près , j'aurai pour vous l'amour le 
plus tendre } Croyez-moi , ajouta-t-elle , en 
xie regardant avec des yeux que la pailion la 
plus vive animoit , c'eft l'unique parti qui 
nous refte, & ce que je vous refufe, ne 
vaut pas ce que je vous of&e. Non, lui dis- 
)e, en me jetant à fes genoux, & plus en- 
flammé encore par faréfiftance , non , vous^ 
me rendrez tout ce que j'ai perdu. Ah i 
«uel y s'écriar-t-elle ^ ca loupirant ^ voulez^ 



/ 



%y6 Œ 1/ V R Ë S 

VOUS feîrc le malheur de ma vie , & n'avez- 
vous pas déjà affez de preuves de ma ten-» 
dreflc ? Levez-vous , ajouta-t-elle d'une voix 
prefque éteinte , vous ne voyez que trop que 
je vous aime. Puiffiez-vous un jour me prou- 
ver que vous m'aimez. 

En achevant ces paroles , elle baifTa les- 
yeux , comme fi elle eût été honteufe de 
m'en avoir tant dit^ Malgré le tour férieux 
que notre cônverfation avoit pris fur la fin , 
je me fouvenois parfaitement du ridicule quç 
madame de Lurlay avoit jeté fur mes craintes. 
Je la preflai^tendrcment de me regarder. Je 
l'obtins ; nous nous fixâmes. Je lui trouvai 
dans les yeux cette impreffion de volupté 
que je lui avois vue le jour qu'eRem'appre- 
noit par quelles progreffions on arrive aux 
pkifirs , & combien l'amour les fubdivife. 
Plus hardi , & cependant encore trop timide ,- 
feflàyois en tremblant , jufques où pouvoir 
aller fon indulgence. Il fembloit que mes 
tranfports augmentaient encore fescnarmes , 
& lui donnàÔent des grâces plus touchantes» 
Ses regards , fes foupits , fon filcnce , tout 
m'apprit , -quoiqu'un peu tard , à quel point 
j'Aois aimé. J'étois trop jeune pour ne pas 
ctoire aimer moi-même. L'ouvrage de mes 
fens me parut celui de mon cœur. Je m'aban^ 
donnai à toute l-ivreflè de ce dangereux mo^ 
ment , & je me rendis enfin âuffi <*du|>able' 
içue je pouvois l'être. 

Jç- l'avouerai ; naon crime me jAit • & 
noaniiluiioti fut longue^ foit 4ue le^malelic^ 



DE CRiBIILÔK, FILS. 277 

de mon âge rentretînt , ou que madame de 
Lurfay feule le prolongeât. Loin de m*oc- 
cuper de mon infidélité , je ne (bngeois qu'à, 
jouir de ma viftoîre j ce que je croyois qu'elle 
m avoit coûté , me la rendoit encore plus 
précicufe 5 de quoique \e ne triomphaflè , 
dans le fond, que des obftaclesqaejem'étois 
oppofés , je n'en imaginai pas moins , que 
la réfiftance de madame de Lurfay avoit été 
extrême. Je n'en fus pas plutôt pofïcfleur , 
<5[U0 je fèntis renaître toute mon eftimè pour 
elle , & que je portai l'aveuglement au point 
d'oublier tous les amants que Ver(ac lui 
avoit donnés , & celui dont elle venoit éilt^ 
même de convenir avec moi. L'unique chofe 
qu'alors je fbuhaitaffe pour l'avenir , étoic 
qu'elle ne ce(ïàt pas de m'aimer 5 fes charmes^ 
flattoient mes fèns,.& (on amour , qui me 
paroiflbit prodigieux, fè communiquoit à- 
mon ame , & y répandoit le trouble le plus^ 
flatteur. 

Je fêntois enfin diminuer mon erreur, 
mais trop peu pour me Kvrer au repentir. Je 
me ferois cependant peu à peu livré aux ré-* 
flexions , fî madame de Lurfay avoit bien 
voulu ne pas m'intcrrompre ; mais malheu- 
leufement pour ma raifon , elle s'apperçu* 
due je revois , êc m'en montra une fbrtô 
d'inquiétude qu'il n'auroit pas été honnête 
de lui laiflèr , & qu'en effet elle ne méritoic 
|>as d'avoir. Jèk raflurai donc. Jamais amante 
n'a été mdais vaine & plus timide. Plus je 
h louois fur fès charmes ^ plus je m'en oc^ 



%yt (E V V K K s 

cupois, moins elle ofoit j diibit-elle , (è flâner 
de leur pouvoir fur moi. Je paroifibis^tranC- 
porté, peut-être ]t n'aimois pas* Etûitelle 
forcée de com^enir que je l'aimois , elle n'en 
étoit pas. plus tranquille. Après s'être aban^ 
donnée aux craintes 3 elle revenoit auxtranf* 

Eorts y l'enjouement le plus tendre » & le 
adinage le plus féduifànt ; enfin tout ce que 
l'amour a de charmant quand il ne fè con* 
traint plus , fc fuccédoit làns cefle , & .m'en- 
ttetenoit dans. une agitation qui me rendoit 
peu propre à des réflexions bien férieuiès. 

Quelque enchanté que je fuffe , mes yeux 
$*ouvrirent enfin. Sans connoître ce qui me 
manquoit y je (êntis du vuide dans mon ame. 
Mon imagination feule étoit émite y & pour 
ne pas tomber dans la langueur , j'avois be- 
ibiri de l'exciter. J'étois encore emprc fle , 
mais moins ardent. J'admirois toujours , &c 
^'étois plus touché. Ce fut en vain que je 
voulus me rendre mes premiers tranfporcs. 
Je ne me livrois plus à madame de Luriay 
que d'un air contraint , & je me reprochois 
)u(qués aux moindres defirs que u beauté 
m'arrachoit encore. 

Hortenfe , cette Hortenfe que j'adorois , 
quoique je l'euflè (î pai^itement oubliée , 
revint régner fur mon cœur. La vivacité des 
ièntimcnts que je retroùvois pour elle , me 
rendoit encore moins concevable ce quis'étoit 
pafTé. N'efl-ce pas dans la feule e/pérance de 
k voir que je fuis venu chez madame de 
Lurfày , me difbis-je i Et pendant leur ab- 



deCkébilxoiYjTils. 179 
iênce , n'eft-ce pas elle feule que j'ai regrettées 
Par quel enchantement me trouvai- je engagé 
avec une femme qu'aujourd'hui même je dé- 
teftois ? 

Ma (ituation devoit en effet m'étonner, 
d'autant plus que j'avois été vain & jaloux 
fans le favoir , Se que je ne m'étois point 
apperçu de l'empire que ces deux mouve- 
ments avoient pris fur moi. Il étoit 3 au refte y 
extrêmement (impie que madamcde Lurfay , 
gui joignoit à beaucoup de beauté , une ex- 
trême connoiffance du coeur , m'eût conduit 
imperceptiblement où j'en étois venu avec 
elle. Ce que j'en puis croire aujourd'hui , 
c'eft que fi j'avois eu plus d'expérience , elle 
ne m'en auroit que plus promptement fe- 
duit: ce qu on appelle l'ufàge du monde, ne 
nous rendant plus éclairés , que parce qu'il 
nous a plus corrompus. 

Il m'auroit donc fait fentîr vivement com* 
bien il eft honteux d'être fidèle. Je n'aurois 
pas , à la vérité , été faifî par le fentiment, 
il m'auroit paru ridicule dans madame de 
Lurfay , ôc pour me vaincre , il auroit fallu 

2u'elle eut été aufli méprifàble qu'elle avoit 
vite de me le paroître. Loin même quel'idée 
d'Hortcn/è eût été bannie un moment de 
ma mémoire , j'aurois trouvé du plaifir à 
m'en occuper. Âû milieu même du trouble 
>oà madume de Lurfay m'auroit plongé, 
î'aurois gémi de l'ufîïge qui ne nous permet 
pas de réfîfler à une femme à qui nous plai- 
tons y j'aurois fauve mon coeur du défordre 



xio (E u. y H E s 

de mes Cens , & par ces diftinâions délicft'^ 
tes 9 que Ton pourroit appeller le quiécifniQ 
de ramour, \c me fèxois livré à tous les 
charmes de roccafion , uns pouvoir courir 
le rifque d'être infidèle. 

Cette commode métaphyiique m'écoic in-> 
connue , & ce fut avec un extrême regret » 
que je vis à quel point ]e m'étois trompé. 
Les emprefTements de madame de Luriày 
augmentèrent pendant quelque temps (on 
chagrin ; mais (bit gueiem'ennuyafl'ede me 
trouver coupable , loit que je craignifle d*cC- 
fuyer des reproches auxquels je n'aurois fxi 
que répondre , où que dansTivrcfle où j'ëtoîs 
encore , le fentiment n'agît que foiblcmenc 
fur moi , je me j-évoltai contre une idée qui 
me deycnoltimportune. Dérobé aux pUilirs 
par les remords , arraché aux remords par 
les plaifirs , je ne pouvois pas être (uruni 
moment de moi-inêinc. Je Tavouerai même 
à ma honte , qudqucfois je me juftifiois moii 
procédé , & je rie concevois pcrint com-« 
ment j'avois pu manquer à Hortenfe t pui£^ 
qu'ellc'ne m'aimoit pas , que je ne lui avots 
lien promis , & que je ne pouvois pas 
cfpérer de lui devoir jamais autant de re-» 
Connoiflance q^ue j'en devois à madame do 
Lurfay. 

Je perfuado^ zffcz facilement à rnon tC* 
prit, que ceiaifonnemcnt étoit jufte; mais 
je ne pouvois pas de même , tromper :Bion 
cœur. Accablé des reproches fecféts qu^l me 
£ûibit , ôc ne pouvant en triompher , i'ç^yai 






DECreBILLOKjFILS. 281 

de m'en diftraire , & de perdre dans de nou- 
veaux égarements , un fouvenir importun 
qui m'occupolt malgré moi. Ce fut en vain 
que ie le tentai , & chaque inftant me ren- 
doit plus criminel , fans que je m'en trou- 
Yâfle plus tranquille. 

Quelques heures s'étoîent écoulées dans 
ces contradictions , & le jour commençoic 
à paroître, qu'il s'en falloit beaucoup que je 
fuflè d accord avec moi-même. Grâces aux 
bienféances que madame de Lurfày obfèr- 
voit fevérement , elle me renvoya enfin , & 
je la quittai , en lui promettant , malgré mes 
remords, de la voir le lendemain de bonne 
heure, très-détermiiié , de plus, à lui tenir 
parole* 

Fin de la dtrnierc Partie & du Tome IIL\ 






Y 



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