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Dpi ..ci hy Google
U/3
7-
TAYLOR INSTITUTION.
BEQUEATHED
TO THE UNIVERSITY
ROBERT FINCH, M. A.
Do,T«jhy Google
n.oii.PcihyGtXJ'^l.e
COLLECTION
COUPLE JE
DES ŒUVRES
D E
l'abbé de mably.
TOME HUITIÈME.
Do,-.«i h, Google
D,o,l..cihyGtX>gle
COLLECTION
COMBLE TE
DES ŒUVRES
l'abbé de mably.
TOME HUITIÈME.
Du gouvernement et des lots de Pologne.
Des États-Unis d'Amérique.
A PARIS.
De l'imprimerie de Ch, Desbriere, rue et place Croix,
_chausséedu Moiublaw:, ci-devant i'Antiu.
Van III de la République ,
C 1794 à I79Î.}
Do,T«jhy Google
hyGtxjgle
DU GOUVERNEMENT.
ET DES LOIS
DE POLOGNE,
A M. LE COMTE WIELHORSKI,
idimstre plénipotentiaire de la Confé~
dération de Bar en France.
PREMIÈRE PARTIE.
CHAFITRE PREMIER.
De la situation actuelle de la Pologne, Ses in-
■ térêts , ses besoins. De la méthode avec laquelle
les Confédérés de Bar doivent procéder à la
réforme des lois. De V établiuement d'u/u puis~
sanct législative.
IN OUS nous entretenons souvent, mon-
sieur le Comte , des malheurs qui affligent
votre patrie ; nous ca recherchons les causes :
votre amour du bien public voudroit irou-
Mably. Tome VUÙ A
, . no,-7«jhyGt)t)^le
* DU GOUTERNEMENT
ver qaelque remède utile à vos concitoyens ï
et puisque vous !e désirei , puisque la Con-
fédération dont vous nianici les intérêts le
désire, j'aurai, l'honneur de vous faire part
de mes réflexions. Je souhaiterois qu'elles
pussent être de quel qu'utilité à une nadon
que les vices de son gouvernement Ont pu
rendre malheureuse , mais qui , craignant la
servitude et aimant la liberté , est peut-être
encore capable de renoncer à ses préjugés
et de réparer ses fautes. Si vous njc disiez de
vos compatriotes ce que Tiie-Live disoit des
Romains de son temps , nec vitia noUra nie
remédia p a ti j!ioiiwmw5,ilfaudroitvous résoudre
à voir périr votr: république. L'amouf^de la
liberté , lamour de la patrie , le mépris de la
mort, le courage, la patience , vos Confédéra-
tions, sur lesqucUcsvoui fondez de si grandes
espérances , rien de tout cela ne vous em-
pêcheroit de succomber. Une longue expé-
rience nous apprend que la vertu des hom-
mes est malheureusement renfermée dans des
bornes très-étroites. On se tasse à force de
revers; des espérances toujours trompées s'éva-
nouissent enfin, les amcs s'affaissent ; et plus
les Polonais auront fait d'efforts pour conser-
ver leur indépendance, plus leurs ennemis ,
qui en auront triomphé avec peine, sentiront
no,-7«jhyGt.)t>*^le
bt POLOGNE. 3
îa iiccessitc de les accabler soqs un joug ri-
goureux.
Quoique l'anarchie la plus monstrueuse
règne depuis long-tempe en Pologne ; quoique
vos lois soient eUcs-mcmcs la première cause
de vos malheurs, et que vous ayez au milieu
de vos provinces les armées d'une puissance
ennemie qui vous traite déjà en vaincus ; en-
fin , quoique vous ne puissiez guère compter
sur les secours de vos alliés naturels, que la
foiblesse de votre administration a refroidis ,
ou qui se trouvent peut-être dans des circons-
tances qui les forcent à négliger vos intérêts ,
rien n'est encore désespéré , s'il est vrai ,
comme je n'en doute point après nos conver-
sations, que vos grands seigneurs , commen-
çant à sentir que leur fortune domestique
ne subsistera pas si la république est détruite ^
s'abandonnent moins à leurs haines , et sont
■capables de se rapprocher. Tant que les Po-
lonais ne se sont pas vus sur le penchant du
précipice , tant qu'ils n'ont craint que leurs
propres divisions, et ont pu se flatier de ne
point dépendre de leurs voisins, je ne suis
point surpris qu'ils se soient abandonnés à
une imprudente sécurité ; mais aujourd'hui
l'illusion est dissipée; n'étant plus les maîtres
chez eux , ili sont eiifia instruits de leurs cr-
A2
4 DU COUVERNE M,E N T
rcuis par leurs malheurs. Vous trouverez ;
mont-ieur le Comte, .les esprits plus dispo-
sés à vous entendre , et vous pourrez tra-
vailler avec succès à une réforme, puisque
les personnes qui sont avec vous à la tète des
Confédérés, aiment leur patrie en hommes
éclaires, en voient les vices, et ne se bor-
nant pas à conjurer la tempête dont vous
êtes battus , portent leurs vues sur l'avenir,
et veulent prendre des mesures pour donner
des fondcmens solides à une liberté tran-
quille.
La première vérité, monsieur, dont vos
bons citoyens doivent être pénétrés, c'est que
la Pologne , avec le titre de république , ne
sera en effet qu'une province de la Russie,
si vous r.e chassez pas ses armées de vos
possessions. Craignez sa garantie, craignez ses
bienfaits , craignez sur- tout sa protection. Vous
serez tôt ou tard esclaves , si des voisins am-
bitieux conservent la moindre Influence dans
vos affaires domestiques. En voulant décider
de votre bonheur , en feignant de prendre
des mesures pour l'assurer, soyez sûrs qu'on
■ cherchera à vous tromper : quelque proposi-
tion avantageuse qu'on vous fasse , ne la re-
gardez donc que comme un piège ; au lieu
d'une paix véritable , vous n'auiiez qu'une
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
nE POLOGNE. â
trêve frauduleuse. Après avoir reconnu votre
indcpendapce , on cliercheroît encore À vous
asservir ; on profiteroit de vos auciens pré-
jugés pour faire naître parmi vous de nouvelles
liaince , de nouvelles intrigues, de nouvelles
cabales et de nouvelles factions. J'aimcroïs
mieux vous voir établir des lois grossières
et une constitution imprudente , que si vous
en receviez de plus sages de la part de vos
voisins. Pour rendre la république véritable-
ment et constamment heureuse, il faut avoir
le courage de supporter les maux de la guerre ,
et de vous ensevelir sous vos ruines , plutôt
que de consentir à n'avoir qu'une indépcn-
dnnce précaire, et garantie par une puissance
oppicfisive.
Pourquoi la Pologne se prèteroit-elle à
un accommodement avec Ici Russes, puis-
qu'ayant fait une entreprise beaucoup au-
dessus de leurs forces , et contre' les règles
que doit se prescrire une ambition prudente
et éclairée, ils doivent s'épuiser de jout en
jour, et ne sentir enfin que leur faiblesse ?
Que la guerre dure encore trois ou quatre
ans; je le souhaite pour vous , parce qu'elle
vous esc nécessaire ; et la Russie sera dans
l'imptiissancc de laconiinuer. Il est aisé de
prévoir quel stra alors l'état de ses finances
AS
D,o,l7PCihyGt)t>»^le
O nu COtJVERNEMENT
épuisées; et des recrues nouvelles tiendront
inutilement !a place des troupes disciplinées
qu'elle aura perdues. C'est auprès des Turcs
qu'il faut agir, et en les encourageant contre
leurs premières disgrâces, flatter leur orgueil
et les cm[)êcher de consentir à une paix hon-
teuse. Voilà , monsieur le Comte , quels sont
dans les circonstances présentes les véritables
intérêts de votre patrie : votre salut dépend
de la fermeté de la Porte à soutenir cette
guerre. Si vos amis trompes vous proposent
une paix suspecte , ayez du courage et de la pa-
tience , et vous parviendicz à la fin que vous
vous proposez, pourvu que les Turcs ne vous
abandonnent pas. Je. le répète, ne vous fiez
ni aux traités que vos ennemis vous présen-
teront , avant que d'avoir senti leur foiblcssc ,
ni aux garanties que vos alliés vous offriront.
Une longue expérience a dû apprendre à toute
l'Europe, que ces actes dressés avec tant de
formalités n'amortissent point les passions.
Ce feu sera caché sous la cendre, craignez un
nouvel incendie.
Mais quand la Pologne pourroît compter
sur les traités et les garanties , ne seroit-elte
pas extrêmement imprudente , ii se contentant
d'avoir échappé aux maux dont elle est au-
jourd'hui accablée , elle ne s'occupoit pas du
DE POLOCME. 7
Soin d'être à l'avenir plus heureuse? De mau-
vaises lois ont' causé jusqu'à présent tous le*
troubles et les désordres qui ont donné à la
Russie Tespérance de vous asservir ; et de
bonnes lois peuvent seules, en vous mettant
en état de connoîtrc vos forces , voQS faire
respecter de vos voisins : un sage gouverne-
ment , voilà votre scal rempart. Les Confédérés
sont persuadés de cette vérité , et il« espèrent
que leur patrie , instruite par ses irialheurs ,
ac prêtera à une réforme. J'aime à te croire
comme vous ; mais , permettez-moi de le dire ,
CCS espérances s'évanouiront, si dans le mo-
ment où ta paix sera conclue , on ne présente
pas aux Diétines et à la Diète générale ua
système tout arrangé de gouvernement.
Pour peu qu'on réfléchisse sur la nature deï
habitudes et des préjugés qui forment le ca-
ractère des peuples , pour peu qu'on songea
l'empire despotique que ce cai'actère national
exerce sur les citoyens , on sera convaincu
qu'une nation qui n'est pas inspirée, con-
duite , dirigée ce animée par des hommes
courageux et éclairés , est incapable d'aper-
cevoir ^es vices, d'y renoncer , et de corriger
jfar des établissemens salutaires les abus dont
elle se plaint. A la mort de Charles XÏI ,
quel auroit été le sort de la Suède , si qael->
A4
no,-7«jhyGt)C>»^le
5 DO GOUVERNIMENT
ques scigncuTs n'avoient pas porté à la Diète
un plan tout formé de gouvernement ?Jam3ia
on nauroit rien pu faire de bien. En détes-
tant le despotisme des deux derniers rois ,, on
n'auroit su comment s'y prendre pour s'en
débarrasser. On ne se scrott point entendu :
les citoyens auraient été divisés , parce qu'ils
ne se seroient pas proposé les mêmes moyens
pour arriver à leur but. Faute d'un point com-
mun et propre à réunir les esprits, on se seroit
abandonné aux passions et aux erreurs avec
lesquelles on éloit familiarisé. Peut-être que
des intérêts opposés auroîcnt fait naître des
querelles et des haines pernicieuses; ou du
moins les lois-, peu d'accord cntr'ellcs, au
Heu d'établir les principes d'un gouvernement
régulier, n'auroient jeté dans une république
informe que des semences d'anarchie et de
despotisme.
Si les Confédérés de Bar veulent servir uti-
lement leur patrie , substituer la liberté à la
licence, et se couvrir d'anc gloire immortelle,
ils doivent dès aujourd'hui préparer les lois
qu'il faudra présenter à leurs .compatriotes
dans le premier moment où il leur sera^permis
d'avoir une Diète libre. Ne doit-on pas espé-
rer que , profitant à la fois et du souvenir des
maux passés , et de la joie qui accompagne
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
DE rOLOGNÏ. g
«ne prospérité nouvelle et long-temps atten-
due, ils persiiadeTont et entraîneront tous le»
■ esprits? Leur conduite actuelle, leur mérite,
ce qu'ils auront souffert pour la patrie, tout
•era égalcjncni propre à faire naître une fes-
pèce d'enthousiasme favorable à leurs projets
de réforme. Quelque fondée que sôii cette es-
pérance , il faut cependant commencer dès
aujourd'hui à préparer le succès que vous
attendez. Ne perdez aucune occasion d'irriter
vos ciioyens contre les violences et les injus-
tices de leurs ennemis; que leur patience n'af-
foiblissc point leur courage. Plus vous jugerez
que les Polonais sont prévenus en faveur de
leur gouvernement', et tiennent avec forcç
à leurs préjuges et à leurs habitudes , plus
il est nécessaire de publier de tetnps.eatemps
quelques écrits pour éclairer votre noblesse,
et la préparej aux changemens que vous mé-
ditez. Après avoir attaqué avec adresse les
erreurs auxquelles les Polonais sont le moins
attachés , il faudroit prouver que tous les
malheurs de la république tirent leur origine
des vices de sa constitution ; et que vouloir
la laisser subsister, c'est vouloir encore éprou-
ver les mêmes désordres dont on se plaint :
la même cause devant toujours produire le»
mêmes eOfets.
Dpi ..ci hy Google
lO eu GOUVERNEMENT
Quels que soient les règlemcns qu'on pro-
posera aux Polonais , quelque salutaires qu'ils
puissent paroître , je vous prie, monsieur le
Cumte , de faire attention qu'ils seront inu-
tiles , si l'on ne suit pas one certaine méthodtf
dans ItL réforme qtie vous projetez. L'impoi^
tant est de commencer par où il faut en effet
commencer. C'est une attention qyc nos légis-
lateurs n'ont presque jamais eue, et c'est ce
qui fait qu'avec les plus belles lois pour nous
inviter et même nous contraindre à faire le
bien , nous persévérons constamment à faire '
le mal. Vous ne Entrez point , si vous voulez
proscLÎre en détail chaque abus, et personne
ne lira votre code volumineux. Si par hasard
on le lit, il excitera une révolte générale;
car il n'est pas possible de renoncer subite-
ment à son caractère pour en prendre un tout
nouveau. Si voos remontez au contraire à, la
source du mal , peu de lois vous suffiront; et
quand vous aurci établi une sage constitution ,
elle servira de base à tous les régleracns sa-
lutaires que vos besoins demanderont succes-
sivement, et ou y obéira avec plaisir , parce
tju'on en sentira la sagesse.
Pour vous faire mieux entendre ma pensée,
je vais vous tracer en deux mots 1 histoire du
gouvernement et des mallic,Urs de votre patrie.
nv7«jhyGt.)t>»^le
DE POLOGNE. it
Un peuple courageux, fier, indocile, jaloux
de sa liberté , et tel qu'on peint les anciens
barbares qui ont détruit rempire romain ,
Kc lasse des désordres de l'anarchie , et se
fait un roi , ou un premier magistrat , auquel
il a 1 imprudence d'accorder un pouvoir dont
il étoit trop aisé d'abuser , et qui ne pouvant
jjarconséquent s'allier avec la liberté des tujets,
devoit exciter de toutes parts de nouvelles alar-
mes , de nouvelles crainte^ , de nouveaux
soupçons et de nouveaux désordres. Ce prince,
suspect à sa nation , ne tardera pas à être re-
gardé comme un ennemi domestique. Les lois
mal combinées, qui avoïent irrité son ambi-*
tion , séparèrent de plus en plus ses inté-
rêts de ceux de la république , et dans cette
dissencion civile le gouvernement fut sans au-
torité, et les lois sans force.
Le roi , qui distribuoit à son gré les dignités
€C les domaines de la république , fut secondé
dans ses entreprises pat tous ceux que l'es-
pcTancc de la faveur et des grâces avoit cor-
rompus; et la Pologne n'échappa au pouvoir
arbitraire qu'en recourant plus souvent à l'usage
des Confédérations : palliatif qui en rassurant
les esprits , les accoutumoit à la guerre civile.
Les voix furent achetées dans les Diètes; et
pour empêcher que ces assemblées oc vcu-
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
13 DU GOUVERNEMENT
dissent ia liberté de la nstion , on établît enfin
le tibrrum veto ; c'est-à-dire, qu'un 6cul citoyen
eut le droit de snspendre l'action du gouver-
nement, et pour le sauver du despotisme ,
de le précipiter dans l'anarchie. C'est alors
que chacun éprouvant qu'il n'etoit plus sous
la protection des lois , tout devint intrigue,
tout devint cabale , parti et faction. La Po-
logne, incapable d'être heureuse au-dcdaiis ,
et toujours foibic parce qu'elle ne pouvoit
léunir ses forces , fut sans considération au-
deliOTS. LEaropc la compta pour rien ; ses
alliés naturels, qui ne pouvoicnt en attendre
aucun secours, la négligèrent ; et ses voisins
auroicnt exercé depuis long-temps sur clic
l'empire que la Russie a usurpé depuis le
commencement de ce siècle, s ils avoient eu
une ambition plus éclairée , ou que d'autres
entreprises n'eussent fait une diversion favo-
rable aux. Polonais,
En dernière analyse , monsieur le Comte ,
tous les maux dont votre république se plaint,
viennent deTanéanlissement de la puissance
législative qui a été soumise aux caprices d'un
nonce qui prononçoit le veto. Dès-lors il voos
a été impossible de faire les nouvelles lois
que dcmandoient de nouvelles circonstances
et de nouveaux besoins , et , permettez-moi
n,o,i7PcihyGt)C>»^le
DEFOLOGNE. iS
cette expression qui n'est que trop vraie , vous
êtes restés dans votre ancienne, barbarie , tan-
dis que vos voisins sortoîcnt de la leur. Pour
comble de maux , vous n'aver plus même obéi
à vos anciennes lois ; car la ruine de la puis-
sance législative devoit entraîner la ruine de
la puissance exécutrice. Comment vos magis-
trats chargés de l'exécution des lois , n'auroient-
ils pas abusé de leur crédit et de leur pouvoir
pour ne consulter et ne servir que leurs pas-
sions , puisqu'il n'y avoit plus une puissance
supérieure qui éclairât leur conduite, et pût
les réprimer ou les punir ? Tout Polonais fut
donc ou opprimé ou oppresseur , suivant qu'il
fut ou foiblc ou fort. Voulez-vous sortir de
cet état déplorable , unir par un raèmc inté-
rêt les citoyet^^ivisés , et vous faire respecter
de vos voisins ? Commencez par établir . une
puissance législative , et donnez-lui une force
â'iaquellc rien ne puisse résister.
Si les préjugés des Polonais sont tels, qu'il
soit impossible de commencer la réform*"paT
cette opération; ou si la politique de leurs
voisins s'y oppose , parce qu'ils craignent que
la république ne se corrige de ses erreurs ,
il est inutile , monsieur le Comte , de songer
au salut de votre- patrie. On pourroit peut-être
appliquer quelques palliatifs , mais ne comptes
D,o,l7PCihyGt.)t)^le
1,1 t)U GOUVERNEMENT
Bur aucun remède efficace. Il y a enfin Dîl
terme aux abus d'une nation. Les Polonais,
éternellement en proie aux mêmes desordres,
se lasseront enfin de défendre une ombie
de république qni est à charge à tous les
citoyens, et qui he produit que des despotes
et des esclaves. Voire petite noblesse n'a rien
à perdre par la révolution qui la ferott passer
sous l'obéissance d'une puissance étrangère;
peut-être même pourroit-ellc espérer d'y jouir
d'un sort moins malheureux. Les grands doi*
vent , il est vrai, conserver une république
qui fait leur grandeur ; mais en la déchirant
par leurs divisions, et en n'obéissant à au-
cune loi , peuvent-ils se flatter de la voir long-
temps subsister ?
CHAPITRE II.
Des moyens néceaaires pour êtallir une puissance
'\vi , législative en Pologne.
V.
' OTRE république , dit-on , est divisée en
trois ordres; le roi, le sénat, auquel il faut
joindre les ministres ou les grands officiers
de la couronne et du duché de Lithuanie , et;
la noblesse. On ajoute que le pouvoir légis-
Dpi ..ci hy Google
DE F O L O G W e: 15
latif résictc dans les trois ordres réunis en
Diète. Ne pensez-vous pas , monsieur le Comte,
que cette disposition egt vicieuse ?Ilme semble
qu'au lieu de distinguer et de séparer d'une
manière bien formelle et bien précise la puis-
sance législative et la puissance exécutrice ,
votre politique n'est propre au contraire qu'à
les confondre en les rapprochant; et ce rap-
prochement nuit nécessaircraept à laciiqn de
l'une et de l'autre , affoiblit on plutôt dé-
truit leur force, et ouvre par conséquent une
carrière plus libre à la licence. Si le concours
et l'accord du roi , du sénat et de l'ordre éques-
tre, sont nécessaires pour porter une loi , qui
ne voit pas que le législateur sera presque tou-
joursdans l'impuissance d'agir ? Les incérêts
toujours differens de ces trois ordres, et lenis
passions par conséquent toujours opposées ,
doivent mettre un obstacle éternel à la légis-
lation. Quelle doit être la suite de cette inac-
tion ?fièi abus qui , dès qu'ils seront multipliés
â un certain point, braveront les lois et les
forceront enfin à se taire.
Je ne m'en liens pas là. Remarquez , je voua
prie, que l'ordre équestre, ne pouvant être
continuellement assemblé, doit perdre toute
son autorité. Par queU moyens voudriez-vous
que des gentilshommes, séparés les uns des
no,-7«jhyGt.)t>*^le
l6 DU GOUVERBEM^NT
autrcj . et qui ne sont plus que de simples
citoyens dès q^u'iii cessent d'être nonces , fus-
sent en état de défendre la dignité de la na-
tion et sa liberté contre le roi et contre des
sénatcuri et des ministres qui sont revêtus
d'une magistrature perpétuelle , et continuel-
lement invités, par leur avance et leur am-
bition , à abuser du pouvoir qu'on leur a
coitiîé pour faire observer les lois ? C'est pour
fi'opposer à cette conjuration du roi et du sé-
nat, que votre noblesse, qui vouloit être libre
sans avoir aucun moyen de conserver sa li-
berté, a eu recours aux funestes ressources
des Confédérations , de funanimilé dans les
suffrages, et du libnum vtto. Aiusî, pour échap-
per à la tyrannie, votre république est tom-
bée dans la plus monstrueuse anarchie.
Si mes remarques sont vraies , j'en conclus
que la loi la plus importante et la plus néces-
saire pour la Pologne , c'est celle qui assignera
de la manière la plus claire à l'ordre équestre
assemblé légitimemctit en Diète , toute la puis*
sance législative , et qui ne laissera au roi et
au 'sénat que la puissance exécutrice. Je vou-
'tlrois qu'on déclarât de la manière la plus
(uthentique , que le roi , les sénateurs et
les ministres n'ont aucun droit de s'opposer
aux résolutions de la Diète générale; et que
l'espèce
no,-7«jhyGt)t>*^le
s» E r O L O G IK E. 17
iVspèce d'hommage <]u'eUe leiii rend avant
que de se séparer, n'est dans le fi^nd qu'une
façon polie d£ leur coramaniquerlcs volontés
de la nation, et les lois qu'ils doivent ob-
server eux-mêmes^ en veillant à leur exécu-
tion dans .tous les palatinats de la république.
Après avoir donné à la Diète générale tous
les droits de la souveraineté, c'est-à-dire, le
pouvoir de faire de nouvelles lois , de changer,
modifier et annullerles anciennes, sans que
lien puisse résister à son autorité ; il faut
songer , autant que le permet la dépravatioa
{ictuelle des mœurs, à disposer de telle ma-
nière la police, Iç régime et tous les mouve-
mcns de la Diète, qu'elle ne puisse se servie
de sa souveraineté que pour le plus grand
bonheur de la nation. Pour proposer à cet
égard les réglcmens les plus salutaire^s , il
faudroic peut-être examiner les coutumes, les
usager, les habitudes qui ont te plus contri-
bué à faire naître les abus et qui sont les plus
propres à les perpétuer. Mais sans entrer dans
ce détail, je me bornerai à vous proposer quel-
^ques vues générales, etlesplus indispensables,
pour rétablissement ci la conservation du bon
ordre.
Je croirois qu'il est à propos de Bxer pour
toujours le Wmps et 1< lien où la Diète s'as-
Mably. Tome VIII. B ,
D,o,l7PCihyGt)C>'^le
18 DU GOOVEItHEMENT
semblera , sans avoir besoin d'être convoqués
par un acte particulier. En conséquence dé
celte loi générale, le roi ne publiera des «m-
Pirritfux que quand it sera question d'assembler
une Diète extraordinaire , soit poar délibérer
sur les injures ou les hostilités d'un voisin,
soit dans d'autres conjonctures importantes
qui paroîtr'ont intéresser le salut ou la tran-
quillité de la nation. La raison pour laquelle
je demande la suppression des univenaux , c'est
qu'ils ne sont que trop propres à causer nnc
feimeni^lion dangereuse dans les Diétines an-
técomitiales. Chaque palatinat s'accoutume
à juger et à décider souverainement les af^ires
dont la décision ne doit appartenir qu'aii corps
entier de la nation. Les nonces reçoivent des
instructions ou des ordres qui rendent leur
ministère inutile. Ils doivent être opiniâtres,
pour ne pas paroître infidelles ; et si leur Dié-
(ine a tort, il ne leur est plus permis d'avoir
Maison. Quand les palatinats ne seront point
instruits des affaires qui doivent se traiter ,
ils ne pourront prendre aucune' résolution qui
soit contraire au bien général, et leurs rcpré-
senians ne' seront chargés que de leurs de-
mandes particulières. Plus les Polonais sont
portés par leurs anciennes habitudes et leurs
artcien'B" 'préjugés à" i' anarchie , plus les réfor-
n,o,i7PcihyGt)t>»^le
t> E ? d L 6 G N ï. t'{)
tnatenrs doivent s'appliquer à écarter tout ce
qui peut aigrir Ou échauS'eF tes esprits. S'it
s'agissoit de refondre le gouvernement de cer-
taines nationâ lentes , dociles , timides et peu
faites aux agitations de la liberté, il faudroit
en quelque sorte irriter les passions , et mêmâ
en donner de nouvelles. Mais c'est tout lé
contraire qu'il faut se proposer en Pologne ,
parce qu'on ne passe point de l'anarchie à
l'amour de la règle et de l'ordre par les loêmes
Voies qui doivent conduire du despOtisitie à
là liberté.
Il me paroît tjue la loi qui fixe àujoturd'huï
le terme auquel la Diète générale doit se sé-
parer , est un reste de l'ancienne barbaiîe des
Sarmates ; c'est, qu'on me pardonne cette ex-
pression , vouloir étrangler loe affaires ; c'est
les.,soustraiTC à l'examen de ia'puissance qui
en doit décider; c'est demander des lois qui
ne seront point publiées avec la sage lenteur
qui doit les méditer ; c'est erfïpêclier qu'on
Bc corrige les abus présens , et par conséquent
c'est vouloir les multiplier;^ c'est enfin fournir
aux mai-intentionnés et Aux înti-rgaiTs uri
moyen de rendre la Diète inutile : «iar k force
de ruses et de manège , ils pSrvieiidront ^
consumer en vaines déclamatlonEr un teinpi^
dcstraé à régler les aHaire».
D,o,l..(ibyGOOgle
■2T) DU GOOVIRNEMERT
La di^tc générale sera coraposte des uonceS
des trente-trois palatiuats ou pTOvîncee delà
république. Pour imprimer à la . paÏBsancc
législative la majesté qui lui est nécessaire,
et lui concilier le respect et la confiance de
la nation , les lois doivent donner aux nonces
une certaine dignité qui leur apprenne à se
res.pectcr eux-mêmes. Du moment qu'un n«nce
est nommé , jusqu'à celui où il rendra compte
de sa mission à sa Diétinc postco initiale , il
scroit peut-être utile qu'il eût une marque
distinctive qui le fit reconnoître. Pendant tout
ce temps sa personne doit être sacrée et in-
violable ; s'il est accusé de quelque délit in-
digne de la qualité dont il est revêtu , la'
plainte n'en sera portée qu'à la Diète mèœt :
elle l'absoudra s'il est it^nocent; s'il est cou-
pable, elle le renverra dans son palatinat ,
comme déchu du droit de Je représenter. S'il
commet quelque violence ou quclqu'injustice
qui mérite une peine plus grave , il ne doit
être arrêté que pour être remis entre les mains
du maréchal de la Diète , qui répondra de
sapersonnc. Si ses pairs, c'cgt-à-dire la chambre
des nonces , le jugent coupable , Us le dé-
graderont, le dépouilleront des marques de
sa dignité , et le renverront aux tribunaux ordi-
naires pour y être jugé et pUDÎ selon les lois.
DB POLOeNE. »t
L» personne des nonces doit être irrépro-
chable ; et tout gentilhomme flétri paï un ac^c
de jiiaiice, ou convaincu de n'avoir pas obéi
aux décret» des tribunaux, ne pourra remplir
lies fonctions augustes de représentant de son
palatioat. On ne sera point député à la Diète
-en qualité de nonce avant Tâge de trente ans
Accomplis. Il est difficile qu'avant cet âge on.
QÏt acquis les connoissanccs nécessaires pour
-participer à ta législation , ou t'estime et la
considératioti dont il est à souhaiter que tout
monce jouisse. Cette Loi déplaita aux iils de
vos grands seigneurs , que la faveur fait non-
-CBS avant qu'Us sachent ce que c'est qu'une
république ; mais elle leur sera utile en pro-
longeant leur éducation , et tlïe délivrera la
répilbliquc de leur ignorance, de leur pré-
somption et de leur eraporiemcnt. Tout nonce
doit p08<édcr une certaine quantité de terre
-dan* son palatinat , et n'exercera aucun era-'
ploè domestique dans la maison d'un auire
gentilhomme ou dans la régie de ses terres.
Ce règlement est indispensable , parce qu'il
est naturel qu'un possesseur de fonds prenne
■plus d'intérêt à la chose publique que celui
qui ne possède rien en propre. D'^aîUeurs , un
homme qui est soumis aux ordres d'un maître ,
est indigne de porter un suffrage quand il faut
Dpi ..ci hy Google
SI nu GOUVERNEMENT
décider des lois d'un peuple libre- Les Polo*
pais croycni qu'un gentilhomme ne déroge
pas en prenant un emploi (lonaestique ; j'y
consens, Qu'il conserve le droit de porter son
sabre; mais son ame est nécessairement avilie
par la. bassesse dçs emploie a-u^quels il se
déveuc. Il ne doit pas être permis d'çtre nonce
à deux Diètes consécutives. L'objet de cette
loi est d'empêcher que certaines personnes
ne s'emparent de tout le pouvoir de leur Pa-
latinat, et d'exciter une plu? grande émula-
' tion entre les candidats- VoOlez-vpus prévenir
les cabales et Jes intrigues de quelques familier,
çt ne pas permettre qu'elles aient trop d'io-
flucncc et de crédit dans leurs Diétines ? Pé-
fjudez d'élire pour nonces deux gçntilshornmes
unis par les liens du sang-
Lçs lois dpnt je viens de parier préparent
un succcs iieqreux, mais ne l'assureront point,
51 elles ne sont soutenues et éiayces par d'au-
irçs règlcmeni qui entretiennent la police la
plus ej^acte dans vos Dièies. Ces grande^
assembléçs ne sont que (rop souvent sujettes
à se laisser égarer par la grandeur même de
la puissance qu'elles exercent, et qu'accom-
pagne toujours une grande présomption; otf
par les passions dont les hommes sont moiixs
les maîtres à mesuie cju'ils traitent des afifaire*
Do,T«jhy Google
DE POLOGNE.- a3
plus importantes. Vos Dictes polonaises , mon-
sieur le comte , ont besoin d'un régime d'au-
tant plus sage, que jusqu'à présent elles ont
tK troublées par des querelles, des injure»
et deS' violences, qui ont dû faire naître des .
haines et des vengeances toujours ennemies
du bien public. D'ailleurs, les anciennes ha-
bitudes, les ancien nés erreurs, les anciens pré-
jugés ne seront point subitement détruits par
Ja loi qui aura conféré à la Dieu.- générait
la puissance législative ; et si on ne travaille
pas à les afFoiblir par d'autres lois , ils ne
tarderont pas à rendre votre réforme inutile. .
Perinetteï-moi donc d'entrer encore dans quel-
ques détails qui pourront paioître minutieux,
à quelques personnes , mais que je crois trcs-
ûnportans.
Je voudrois que chaque palatinat envoyât
un nombre égal de députés à la Dicte , de -
façon cependant qu'elle ne fût composée que
de six à sept cents nonces tout au plus. Elle
pourroil alors suffire à l'examen de toutes
les affaires, et ne courroit cependant aucua
risque de dégénérer en cobue. Je désire qu'on
ne compte pas les voix par nonces, mais par
palatinats : c'estun moyen qui pçutêtrc propre
à prévenir Içs intiigucs, les cabales, la cor-
roption çi la. vénaliié. Chaque province deïi-
B4
D,o,i..cihyGoogle
94 Dtf eO'UVfeKN'EMENT
bèrçroît à part snt chaque affane , et chargerait
le président ou le syndic qu'elle se serote
feit, de porter son vœcu i la Diète assemblée.
Les fonctions de ce piésidenï seront de main-
tenir l'ordre dans les comités panicrïtiefs de*
païatinara. Il aura droit d'imposer silence; i'
arrêtera les qirercïles trop vives et aur* même
le ponvoir de suspendre pour qnelqttc tempï
lïn norrce de ses fonctions. Qoand ta Diète
sera assemblée , son maréchal aura; la même
sutorité. Si un nonce porte l'onbli de ses
devoirs jusqu'à mettre U sabre à la main ^
il doit être déclaré coupable (fc Icze-mnjcsté,
pnisqu'il a violé le respect dû à la paissance-
souveraine , et attenté à !a liberté de la nation ;
il a voulu substitaer te droit de la force au
droit de la justice et de la raison. Je prie de
remarquer combien il importe à un peuple
libre, mais qui pendant long-temps a confondu
la liberté et la litcnce , de s'accoutnmcr à
l'esprit de modération , de justice , d e retenue
et de patience, je donncrois d'autres conseils.
k une nation , qui, désirant d"ètre libre, ne
connôîcroit pas la liberté , et auroit plus be-
soin d'être' excitée que ralentie dajïs ses mou-
vcmens^
Après avoir fait l'onvctture de la l>ièle par
rélecûon d'an-ntaréchal , on lira p'abliquemcrtc
HE ïOLOGNi. a5
tes lois fondamentales ; et toas les nonces ,
renant la main sar révangite, prêteront ser-
ment de les observer , et répéteront ce mêrac
serment au nom de leur palatînat. On com-
mencera ensuite à traiter des al&îres : on
mettra d'abord sur le bureau les demandes,
remontrances OU mémoires présentés à la
tïîète par U roi et le séoai. Après les" avoir
Iiis publiquement , on chargera un comité
composé de deux nonces de chaque palatinat,
de les examiner, pour en rendre compte i
ïa Dièee. On formera q*uaïte autres comités
composés chacun d'un nonce de chaque pala-
tînat , pour faire l'examen des propositions
ou demandes que chaque provwlCc sera en
droit de fafire à la Dréte. Pat cette méthode
de procéder , it me semble qu'on ménage îa
dignité de la puissance exécutrice et des Dié-
tines , et qu'on les obtige cependant de recon-
poître la supériorité de lapuissance législative,
qui sera en même-temps éclairée par les lumières
du roi, du sénat et des Diétines.
Les présideris des dïfFércns comités dont
je viens de parler seront nommée par te ma-
l'échal de la Dièle. Quand un comité aura
fait son rapport aux palatinats assemblés , il
le déposera dans le greffe de la Diète avec
les pièces Qu Fes dera:\ndcs qui y sont rcla-
D,o,l7PCihyGt.)t)^le
s5 DU COUVERNEME.NT
lïvcs, et on les communiquera aux nonces
Ijui en voudroni prendre une connoissance
plus patticulicrc. Huit jours après, on déli-
bérera sur la loi proposée, ei il sera permis
à chaque nonce de 1'a.Haqucr oudcla défendre
selon ses lumières et le mouvement de sa cons-
cience. Chaque patatinat ensuite s'assemblera
séparément pour former son avis. On laissera
tncorc écouler huit jours : alors on ira aux
vQÎx , et à la pluralité des suffrages » là loi
jera rejetée ou publiée solennellement. Je
fftultiplie les comités f parce qu'ils sçntprapres
à faire naître et étendre les lumières. Je de-
mande des formalités lentes , parce que le^
Polonais en ont besoin , et n'y sont pas assez
acco-utumés. D'ailleurs , chçL les peuples les
plus libres , l'entliousiasmc , l'engouement et
la précipitation sont, après la corruption et
ia vénalité, les ennemis les plus redoutables
de la liberté.
Q^uelqu'arrangcmcntqu'onfas&cponr établir
tu Pologne une vraie puissance législative,
je le dis, monsieur le Canuc , sans crainte
«le me tromper , tqute réforme deviendra inu-
(ilc, si le ïi'ifrawj i/dï subsiste. Les Polonais ,
dit- on, le désapprouvent, le, blâment, le con-
(lamnciU, et par une de ces contradictions de,
l'esprit humain qu'on uouvc par-tout^ ils y
hyGt)t>^le
DE TOLOCKS. 97
■«ont prodigieusemaoi attachés. Puisque les
■Confédérés de Bar seront forcés de ménager
k cet égard les préjugés publics , ne pourroicnt-
iis pas . tenter de délruirc le veto, en faisant
semblant de le, respecter, et l'attaquer indi-
rectement en portant dce lois qui en préparc-
roicnt la ruine ? Il est facile de démontrer
combien k loi de J'unaniraité <st absurde.
JN'cst-il pas insensé d'espérer que six. ou sept
cents hommes qui ont des passions différen-
tes, «t qui n'ont ni les mêmes connoissances.
ni la même étendue d'esprit auront cependant
les mêmes vues et les mêmes opinions ? Il est
encore plus aisé de faire voir combien le vtti
est contraire à la liberté , puisqu'il peut faire
de chaque citoyen un despote qui gêne «i
ppprime la vQlonté générale de la nation,
Jl faudroit commencer dès aujourd'hui à
publier cette doctrine datjs voire patrie : elle
ne détruiroit pas entièrement le préjugé , mais
clic i'affoibiiroit , et préparctoît les esprits à
. entendre bientôt la vérité avec moins de ré-
pugnance. Dans te moment de la réforme,
pn pourroît peut-être établir que désormais
le veto n'aura lieu que quand tous les nonces
d'un palatinat le prononceront d'tme voix un^-
Tiime. Certainement je vois tout le mal qu'il
y a à pçnuçttrç qu'un palatinat s'oppose 41
D,0,l7PCihyGt)t5^le
aS DU COL'ViînNESlENT
la volonté de tiente-dctix provinc». C'est une
absurdité ; maïs que faire ? Quand an légis-
lateur trouve {levant Lui un obstacle iruurmdn-
table , il s'arrête , et dit avec Sc4on : si je ne
vous propose que des lois imparfaites , c'est
votre faute ; pourquoi n etes-vous pas capables
d'en recevoir de plus s&ges ? Ce qui peut con-
soler dans cette occasion , c'est qu'il sera
très-rare que tous les députés d'un palatinat
concourent unanimement k prononcer le veto.
Si on le craint ditns quelques circonstances, on
pourra imiter la conduite des patriciens dé
RotBc , qui (rattoient ivec quelque tribun du
peuple; pour l'engagera meitr» lui-même op-
position aux lois que vouloieut porter ses
collègues. Je n'aime pas que l'intrigiie devienne-
un ressort du gouvernement; mais dans cette
occasion elle sera , pour ainsi dire , puri-
fiée par l'amoUr du bien public qui l'aura,
conseillée.
L'usage du liberum veto s'est formé insen-
siblement et sans le secours des lois; il faut-
espérer que , sans le secours d'une loi expresse ^
il tombera insensiblement en désuétude. Tou-
tes les parties du goUverneirwnt polonais ont
éié jusqu'à présent si mal disposées, si peu:
faites les unes pour les autres, et si peu ca-
pables de pïodwirc l'effet q^u'on en aUendoit »
D,o,l7PCihyGt)C>'^le
De ï û i^ o g. n e. ■ cg
K)\ie la république auroit perdu vingt fois sa.
liberté , si un seul citoyen n'eût pis été en
droit de la sauver, en s'exposant seul au tor-
rent de la corruption cl de lavénalixé. Com-
ment auroit-cllc pu résister à un prince qui
disposoit arbitriîrctncnt des dignités , des hoti-
fieuîs et des domaines delà Pologne? Après
la réforme que méditent les Confédérés , et
qui ne peut réussir qiî'cn ôtant à la couronne
«es principales prérogatives, la liberté , assise
sur des foDdemens naoins fragiles , se soutien-
dra par elle-même. Les vices qui jusqu'ici ont •
rendu le v€to nécessaire ne subsistant plus ,
on sentira moins la nécessité d'y recourir ;
et votre postérité qui bénira votre mémoire.
ne comprendra pas un jour comment vos pères
ont pu aimer une erreur dont on ne trouve
l'exemple chez aucun autre peuple.
En attendant cette heureuse réyolutîon , le»
Cc«fédérés doivent tout tenter pour établir
que l'opposition d'un palatinat ne pourra sus-
pendre et proscrire que la loi dont il ne pei- •
met pas la publication. Voilà, si je ne me
trompe, tout cç que peut désirer l'homme le
plus euitté cl le plus opiniâtre , s'il lui reste
quelqu'ombre de raison. Pourquoi faut-il que
le' veto ait le pouvoir de dissoudre une Diète ,
et de rendre nulles tou=s les lois qu'on y
no,-7«jhyGt)t>*^le
Sa DU COUVERNàMÊNT
auroit ponces jusqucs-Ià d'un conscntetncné
uniininie ?J'ai btcn peur, monsieur le Comte,
que les Confédérés n'aient beaucoup de pcifui
à faire goûter quelques principes raisonnable^
sur cette raaûèrc. Plus les «rreurs sont gros-
sières, plus on y est attaché; fîeut-êtrc que li
sottise qui les a fait adopter rend incapable
d'y renoncer. Des hommes quî de regardent
pas comme uft crinic de haute trahison , dtf
suspendre dans ses opérations la puissance'
législative et de l'anéantir, des hommes quî
ne savent pas que cette puissatïce est t'amC
du corps, politique, ne me paroisScnt guère
disposés à recevoir la vérité.
■ Ce que j'ai dit du veto , il faut le dire des
Confédérations qui il'ont été avantageuses aux
Polonais, que parce qu'ils avoicnf un gouver-
nement monstrueux : c'est un vtte qui a scrvî
à.c palliatif à un autre vice. Combien de fois
ïi'auricz-voas pas perdo votre liberté, s'il né
vous avoit pas été permis de faire des ligues
en sa faveur , et de la conserver les armes à
ia main ? Mais c'est un grand ma! qiic d'avoif
besoin d'une pareille ressource contre U pou-
voir arbitraire; et la Pologne ne sera heureuse
que quand des lois raisonnables lui auront ap-
pris à s'en passer. Les Confédérations flattent
»gréablcmcnt vos grands- seigneurs- ; ctleJ
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
îîE pOloCne. 3i
oîtrent je ne saisquellc idée de souveraineté qui
plaît à leur orgueil ; et je sais que l'orgueil
des grands n'entend point raison. Votre sa-
gesse vous prescrit donc le silence à cet égard.
D'ailleurs voire petite noblesse , qui peiu-être
n'est pas fort exercée à raîîonncr sur les objets
politiques , trouveroit sans doute étrange et
même ridicule , que les Confédérés de Bat
qui ont sauvé la république pat leur heureuse
association , voulussent condamner par «ne
loi expresse leur propre conduite. Vous devez
donc voiis contenter d'établir des ptinciptj
assez sages de gouvernement, pour qu'on ne
sente plus la nécessité de faire des conjurâtîunS
et de prendre les armes pour venir au secours
de la patrie.
Je vous prie de remarquer , iQDQsieiit ifl.
Comte , que votre anarchie seule a donné
naissance à vos Confédérations , et que leur
sort est lié à celui du vélo. Dès que ce Tcdou*
table vélo a dissous la puissance publique «t
suspendu l'actioo du gouvernement , il est
nécessaire , il est indispensable que pour venir
au secours de la patrie , une Confédéiaiion
se mette à la place des lois et des magistrats
qui ont perdu leur pouvoir. Mais^ si vous-
avez le succès que vous déaircz, si vous par-
venez à faire asseï respecter l'autorité législative-
D,o,l.^cihyGtX>gle
33 DU COgVER&lEMEKT
pour conicuir dans le devoir -les mauvais cU.
toycns et ne laisser aucune alarme aux hoa-
i]ètcs gens, soyez tûrs que les .préjugés des
Polonaisnesubsisterontpas long- temps. Moink
. on sera intéressé à se liguer, plus le souvenir
des Confédérations s'aHbiblira. Dans le calme
de la paÎK les esprits s'éclaiicront, et sans ef-,
fort on parviendra à connoître que les homme»
ne sont pas réunis en société pour se faire la,
guerre ; de nouveaux Confédérés , s'il s'en
forme, ne passeront que pour des perturba-
teurs du repos public.
CHA.PITRE III.
De U discipline et de tordre iei Diitina , rtXa-
tivement à la puissance législative,
X^£S lois et les arrangcmcns dont je vleo^.,
aïoosienr. d'avoir l'iionncur de vous entre-
tenir, au sujet de la Diète générale, seront
observés ou négligés , suivant qu'on prendra
des mesures plus ou moins efficaces pour éta-
blir une sage police dans les Dtétlnes. Que
scrviroit en effet d'avoir ordonné qu'il y çùt
désormais un législateur dans la icpublique ,
auquel tout doit obéir , si on ne parvenoit
pas
■D,o,l7PCihyGt)t)'^le
DE rOLOGNE. 33
{>as à détruire dans les provinces reEptitdlo-^
dépendance et d'ansichie qui y lègne , et
dont , au rapport de quelques-uns de voi
compatriotes , elles sont extrêmement jalouses ?
Vous verrÎÉt bientôt s'écroulci l'édifice qua
vous auriez élevé; et -votre législateur , {>arâ
des plus beaux titres, mais les plus vainit, nei
fcroit bientôt que des lois auxquelles personne
n'obéiroit. . '
Le» Pplonais ne dtnvcnt donc s'attef«îre a
aucun repos , à aucune prospérité durable ,
si les Diétioes ne s'accoutument à rcspé-ctet
la Diète légi^ative et à ca aimer l'autot-ité.
Voilà le but que doivent se- proposer- les
léformateurs ; et ils y ^parviendront, non'pas
en diminuant les droits et les prérogatives
des Diédnes, pour atigmenter le pouvoir' dé.
la Giéte , mai^ en leur assignant' d«s fonctions
Çt des. devoirs qui leur soient chers, et qui
les associent à l'administration générale de la
république. Relevez leur dignité ; elles seront
moins inquiètes , moins turbulentes, moins
agitées , à mesure qu'elles sc . croiront pins
libres. Pour les disposera oiiéitïvec exactitude
auX'lois , ordonnez quleltès. en, soient les dé-
positaires ; qu'elles aient la libertéïi'expofiet
par IcOTS nonces Lie' projets qu'elles croiront
Ici plus utiles à la pairie. ElUia;**ifftJDi d»
Mably. Tomf VUI. G
no,-7«jhyGt)t)*^le
34 DU COUVESNEMtNT
près les besoins de chaque palaûnat; et sans
leurs lumières et leurs secours , la puissance
législaùvc Ht pourroit jamais , dans un pays
aussi étendu que la Pologne, s'acquitter que
bien imparfaitement de ses devoirs. Si vous
prétendez gouverner vos provinces par des ma*-
gistrats particulieis , ils abuseront de leur cré-
dit ; et votre noblesse indocile les regardant
comme ses ennemis , haïra la puissance dont
ils dcront les ministres. Voulez-vous qu'on
respecte les loi» ? que vos Diétines soient elles-
mêmes chargées du soin de les faire observer ;
quand elles seront assemblées, qu^elles soient
le suprême magistrat de leur palatinat, et que
lenr censure répare les injustices et prévienne
les négligences. Il me semble que je vois résul-
ter de cet arr^gement une confiance favo-
rable au bon ordre , et le bon ordre lui-même
établira de jour en jour un lien plus étroit
entre la Diète générale et les Diétioes partie
c.uliéres.
Je désircrois qoe les Diétines antécomitiales
s* {^semblassent dans un lieu et à un jour mar-
qués , sans convocation , et sur-tout sans
universaux , qui, je l'ai déjà dit, ne Seroîent
propres qu'à causer des disputes , des querelles
et des divisions. L'ouverture s'en doit Faire nn
jnois avant le jour décidé ponr l'ouvettarc
D,o,l7MhyGt.)t>*^le
D K f X» L O ti N Si 35
jàc la Diète générale. Plus le terme de ces '
assemblées sera court, plus les cspùts seront
disposés ànégligetles questions inutiles;. Après
avoir créé un maréchal , on procédera au choix
des nonces , et on dressera ensuite leurs ins-
tructions. Il TOC^ semble qtie,:pour. celte opôra*-
lion, il scrçit ^lèa-ifnportaiH que les.Dîétin'cl
sç partageassçni en differens btireauxpucoirtî''
lés ; on dira que c'ost pour expédier plus prompt
«ment un plys-gfand nombre'4'8fi&iï'e3;:et ce
sera en cSetpotir cmpêcheirqucettGâùoiqblécs
ce dégénèrjint en cohues. ; ': .;
Dans le moment de la réforme , il sCToit^
je crois t dai)gerct:rx de vouloir iiitcrâîre levelo
d.aos les Diétinçy. Il-y ^ appareoce'^ué cetls
npblesse igno-tailtc et nombr£ust t'-4"> ^ droit *
de suffrage, ne le sôiitfriroit pas. Si on ncm's
p,as trompé , elle se croiroit offensée, elle se
croiioit dégradée pa): cette défense : n'espérant
point d'être députée à U Diète législative, elle
voudrait , pour conserver elle-même sa prénui'-
diie digoicé., conserver aux Dîétincs l'indé'
pendance , l'iadocilité et l'anarchie , qu'elle
regarde comme anc marque et une preuve de
leur puissance. On pourroitpcut<étrê reatreiâ-
dre le veto des Dié[ines , et le soumettre atuc
mêmes cpn^iÙPAS que celui de U Diète séné-
C 4
. n,o,i7PcihyGt)C>'^le
S6 DU GOUVEItNEMENT
raie, c'est-à-dire , rcfujcr aux particuliers le
droit de le prononcer , et ne l'accorder qu'aux
comités. Mais , sans s'expliquer sur un objet
qu'il est si dangereux de traiter, ne pourroit-
on p» faire oublier le vtio en le rendant inu-
tilt ? On y réussiroit peut-être tn portant une
loi qui ne peimettroit de mettre dans les ins-
tructions des nonces que les demandes ou
les propositions auxquelles personne ne se
seioit opposé ', et qui autorifcroit cependant
tout gentilhomme à y joindre les articles qu'il
jugeroit à propos , et aox^quels iL mettra sa
■ignatare.
Si une Diétineantécomittate se séparoitavant
d'avoir éht ses ndnces' et dressé ses Instruc-
dons, il faudrait quclcs principaux officiers
du palatinat fussent autorisés par la loi à tes
Tcprésenter dans ta Diète législative , qui par-
là seroit toujours l'assemblée générale de la
naûon , ei conserveroit une égale autorité snr
toutes les parties de la république. On me
dira .sans doute que les officiers des palatinats
seront intéiescés par cet établissement à dis-*
•oodre les Diétines pour s'emparer de leur au-
torité ; mais je répondrai que la petite noblesse
ne tardera pas à s'apercevoir de cette intrigue,
et que pour conserver sa .voix , la contMé-'
Do,T«jhy Google
DE rOLOOIfK. Sj
ration et 3o,n crédit , elle piendra le parti,
sans recouric 2U veto , de procéder à l'élection
des nonces.
Vous m^avcz fait l'honneur, mpnsicQT le
Comte , de me parler de plusieurs abus auto->
risès par un long usage , et qui ne vous permet-
tront pas d'établir une bonne police dans les
Diéûncs. C'est un mal , j'en conviens , qne
des gentilshommes , dont la noblesse est équi-
voque, qui n'ont aucune possessioI^, on qui
sont attachés au service de quelque seigneur,
aient droit de suffrage dans les assembléei
de leur palaiinat. Mais que la Pologne seroît
heureuse , si c'étoit-là le plus grand désordrs
auquel elle dût remédier. Si les Confédérés de
Bar veulent que cette noblesse indigente' et
douteuse dont votre patrie est peuplée , ne
puisse assister aux Diétines , que vouleï-voni
qu'elle devienne ? que lui restcra-t-il ? Si vous
voulez achever de l'huroilicr , ne devez-vous
pas craindre son désespoir ? Je vous prie de
faire attention que, dans nn pays où les gen-
tilshommes seuls forment la nation , îl seroit
tréï-dangeieux de séparer les intérêts de cotte
petite noblesse de ceux de la république. Vous
perdriez des citoyens dont la pauvreté vous
est 3 charge, mais dont le courage, l'indus-
trie et les bras peuvent vont devenir' utiles.
C3
Do,T«JhyGOOglC
4° DU GOUVERTÎEMENT
quoîqu'avtlie , c'cst-à-dirc , insolente , qui se
venge sorle peuple de l'humiliation avec la-
quelle elle se prosteTn& aux pieds des grands
qu'elle hait ; pleine de ses anciens préjugés ,
qui ne connoît aucun des devoirs du citoyen ,
et qui est répandue dans toutes vos provin-
ces. Si la république , ainsi que je respêic ,
secondée des forces de la Porte , a des succès
qui la mettent en état de secouer le joug de
ta Russie et de refondre son gouvernenaeni ,
ne faut-il pas s'attendre que toute cette no-
blesse , qui vote aux Diétines , et n"est quelque
chose que parce qu'elle vit dans l'anarchie ,
sera plus fière que jamais, aimera davantage
■es vices , et sera plus dispgsée à se moquer
de la sagesse des réforniatears et de leurs pro-
jets , qu'à obéir à des lois nouvelles ?
Les Confédérés de Bar, qui se préparent
à présenter à la république tin nouveau plan
de gouvernement, doivent donc se hâter len-
tement. Je suis bien long sur cet article ,
monsieur le Comte; et si cet écrit n'étoic fait
que pour vous , j'aiirois abrégé mes tristes
réflexions. Mais il passera, selon les apparen-
ces * dans les mains de quelques citoyens ver-
tueux qui pourroienl être les dupes de leurs
bonnes intentions , si on ne les avertissoit
pas de s'en défier. S'il en étoit besoin ,'jd
n,o,i7PcihyGt)t)^le
DE POLOGNE. 4I
VOUS citernis ici , je ne sais combien de gens
de bitn qui , faute de politique , ont fait plus
de mal à leur patrie par un zèle indiscret que
beaucoup d'hommes méchans dont le nom
est déshonoré, Que les Confédérés ne songent
donc pas à mecirc la dernière main à l'ou-
vrage diont ils ne sont destinés qu'à jeter les
fondemeps. I eur réputation n'en souffrÎTapas;
et la postérité, qui leur devra ses lumières ,
découvrira sans peine que son bonheur est
i"ouvrage de leur circonspection. Nos pères ,
dirart-on un jour, n'écoicnt pas' capables de
l'élever subitement jusqu'au plus haut degré
de perfection où nous son^mcs enfin parvenus.
Bénissons la mémoire dfes grands hommes qui
nous ont montré le but auquel nous d<;vions
atteindre , et qui nous ont mis dans te che-
min qui devDÎf nous y conduire.
Ne devant point y avoir de terme fixe ponr
la clôture des Diètes générales ," on ne peut
assigner un jour pour Vouverture^des Diétinei
postcomitialcs ou de relation. Oq sera instruit
d'avance dans la capitale, du temps où ras-
semblée législative se séparera , et on peut
laisser aux nonces le soin d'informer leur
palatinat du temps qu'ils i'y rendront :
les officiers des provinces convoqueront en
conséquence les Diétincs. Lis nonces rendront
. no,-7«jhyGt)C>'^le
i(S DU GOUVERNEMENT
compte de leur conduite , et requerront qob
les nouvelles lois soient enregistrées d»ns le
greffe dupalatjnat. S'il s'élève quelque contes-
tation au sujet de cet enregistrement , on éta-
blira des comités pour eiamtner les points
débattus; et dans le cas où l'un d'eux opi'
neroit d'une voix, unanime à rejeter une loi,
il seroii réglé qu'on procéderoit à un second
examen dans la prochaine Diétine antécomi-
)ialc. Si alors la même opposition subsistott
encore, le palaùnat fcroit des remontrances à
la Diète législative. L'ctpéran,ce qu'on aura
d'obtenir la suppression de la loi dont on se
plaint , ou de la faîrç modifier , empêchera les
esprits de se livrer à u% emportement qui bles-
seroit la majesté du législateur. Cependant
il se présentera de nouvelles afiâires ; distraite
par de nouveaux soins , une Diétine se sou-
mettra insensiblement à une liû^dont elle ne
demandera plus la révocation avec la même
chaleur. Le gouvernement acquerra des forces,
etl'us^ge des protestations s'alFoîblira à mesure
que le temps , les lois et l'usage rendront le
législateur plus respectable. Tant que le nou^
Tcau gouverpcment pourra craindre «devra
ménager les erreurs et les préjugés nés sous
l'ancien , il doit par sagesse plutôt prïef qu'or-
donner. Si une Diciinc iniiaiiablc l'obstinoit
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
DÉ r O L O g' N E. 45
a rejeter one loi, il vaudroit encore mieux
consenûr ^ n'y pas soumettre son palatinat,
que de prendre le parti rtgoureux de l'acca-
V bler sous le poids de Tautorité publiqne. Dans
ce? circonstances il faut se garder de ne pas
agir avec la bonne-foi la plus religieuse; le
législateur se décricroit s'il avoit recours à l'in-
tiigue. Attendez que l'expérience éclaire le»
esprits prévenus : si par quelqu'adresse ou
quelque clause insidieuse , le législateur veut
se préparer des moyens de revenir sur ses
pas , il n'aura travaillé qu'à rendre la Diétine
plus attentive à ce qu'elle croit son intérêt,
et son opposition lui deviendra plus chère. ,
Je sens combien il est avantageux que tontes \
les provinces d'un état aicn^ le même droit , i
les mêmes lois et les mêmes coutumes : mais 1
\ ce bien, quelque grand qu'il soit, ne doit pas
être acheté aux dépens de la tranquillitd pu- -
blique ; et moins encore eu ébranlant la pois-
&ance législative , sur laquelle repose le salut
de la patrie.
Pour empêcher que les Diétines de lelation
ne s'arrêtent à chicaner opiniâtrement leiTrs
nonces et les décrets de la Diète législative,
il seroit à propos , je crois , de présenter à
ces assembléesi provinciales des objets inté-
icssans , qui actireroicni et fixcroicnt leur aP-
no,-7«jhyGt.)t>*^le
44 DU. GOUVERNEMENT
teiition. Ne réussiroit-on pas en ce point, sî
on régloit que cinq ou six jpurs aptes que
les nonces anroicnr rendu compte dcleur mis-
sion , la Diétine postcomitialc se changcroiC
en Diétine qu'on appelle boni ordinis , de bon
ordre ? C'est dans ces dernières Diétines qu'on
règle les comptes particuliers du palatinat ,
qu'on reçoit les impôtsde ses commis, qu'on
statue sur tous les besoins, qu'on accorde des
secours aux citoyens pauvres, et qu'on récom*
pense ceux qui ont lendu quelque service im-
portant. Il me semble donc qu'on peut s'en
servir utilement pour distraire la petite no-
blesse des soins qui concernent la législation.
Les affaires dont je viens de parler , et qu«
traitent les Diéiincs de bon ordre, touchent
et intéressent des gentilshommes obscurs ,'
d'tine toute autre manière que des lois
générales , dont ils sont souvent incapables
de connoitre l'esj^ii : il faut donc leur laisser
s cet égard la plus grande liberté. On dit
qn'il s'est introduit dans ces assemblées plu-
sieurs abus , fruits de la cabale et de l'intri-
fufr. Je croirois que le législateur doit les
tolérer s'ils n'attaquent pas Ici parties nobles
et essentielles de la société ; d'ailleurs , ils s'af-
foibliront 'insensiblement, à mesure que des
lois plus sages apprendront aux Polonais à
D,o,l7PCihyGt.)t)^le
DE rOLOONZ. 4$
Ȕmcrle bien public. Je voudrois en quelque
sorte qu'on atiendît pour réformer ces vices
des Diétioes , qu'elles ei^ sentissent les incoO'
véniens , qu'elles demandassent elles-mêmes
Ou du moins désirassent «ne réforme. Si elles
tardoîenttropà s'apercevoir de leurs besoins,
on.pourroît se servir de quelques bons ci^
toyens pour leur ouvrir Icî yeux. A l'exception
de quelques homnics- inquiets , mécbans et
séditieux , qui ne peuvent rien espérer que dans
ia lictnce elle trouble, Tamour-propre per-
suadera aux autres qu'ils ont tout à espérer de.
rétablissement du bon ordre , et qu'une règle
dictée par la justice sera favorable àr leur mé-
rite et à leurs services.
Pour éviter la cohue , les clameurs et les
querelles ,'si propres à conserver l'esprit d'anar-i
chie qu'il vous; est si' important dé détruire,
ilseroit très -avantageux que touCesles affaires
fusseni préparées et d'abord discutées dans des
comités : l'on ne doit négliger aucun nidyen
pour en rendre l'usage familier. Que dans les
délibérations on ne'donne jamais ^a voix par
scrutin. Il faut accdutumer les citoyens à oser
dire publiquement leur pensée; il y a; peu
d'hommes assct effrontés pour ne pat rotigir
en montrant ]ti bassesse de leurs seiitimeiis ,'
nuis il y en a beaucoup qa\ ne aaVcnt pas stf
Dpi ..ci hy Google
V
46 DU, GOUVERNE WENt
xespecter quand ils n'ont qu'eux-mêmes pour
témoins de leurs actions.' It seroit très-utile
de partager chaque paUtinat en différentes
tribus , différentes centuries ou différens dis-^
iricts^ dont chacun auroit son président od
son syndic, et dont toutes les yoix ne forme-
roient qu'un seul suffrage.
Je terminerai tout ce' que je viens de dire
sur la puissance législative , en avertissant en-^
core les Confédérés qu'ils écliouerout dans
leur entreprise , ou du moins ne procarevont
à leur. patrie qu'un bien faux, court et pas-
sager,, s'ils n'emploient pas toute leur poli-
tique et toutes Jes ressources de leur génie
à établir solidement l'autorité du législateur ^
à la fairf respecter, et »ur-tout à la faire aimer.
Quaad on a étudié les causes de la décadence
et de la ruine des états , on ne peut se déguiser
que ce ne soit à l'ignorance, àrla foîblesGC ou
à l'ineptie de cette puissance qu'on doit attiin
bucr tous les vices, toutes les erreurs, tous
les préJDgés, toutes les calamiités qui ont dé->
sole la terre. C'est cette puissance q.ui est
l'ame de la société. Je n'ai point étudié votre
histoire, monsieur k Comte; mais ne suBit-
il pas ^c connoître vos Confédérations ec
votre vffo , pour être convaincu que vousêtcs
^an; la plus parfaite anarchie.. Malgré les.ièr-
Dpi ..ci hy Google
Dt POLOGNE. 4<J
^lemens que vous publîerex , attendez-vous à
voir subsister encore^ long-icms les pièjugéi
que vous voulez détruire. Telle est la fuiblesse
de la raison dans la plupart d;es hommes,,
telle est la force de Thabitudc , que votre
esprit national , en 'Croyant faire le bien -,
fera des efforts contînnels pour s'opposer à
votre ouvrage. Si vous n'etpployez contre lui
que la force , vons" l'irritcrcï , et il emploiera
à son tour contre vous et là force ctli
l'use : pour désarmer cet -ennemi, H faut ne
lui opposer que des lois qu'il puisse et doivi
aimer.
CHAPITRE! Y.
De la puissance exécutrice relativement au pour-
voir législatif.
JLl ne suffît pas, monsieur le Comte , pouf
donner à la puissance législadve la dignité
et l'empire qui lui sont nécessaires, de porter
les lois dont je viens d'avoir l'honneur de
vous entretenir. Quand la noblesse Polonaise
établiroit dans ses Diètes et ses Diétines la
forme que jfi désire , quand elle renonccroit
zn velQ, qni lui est si cher , consentïroit 4
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
48 nu GOUVERNEMENT
avoir des lois , et ne voudroit plue létablli'
l'oidre et ta paU pat- des ConfédérationB ,
vous n'auriez encore fait que la moindre partis
de la réforme que vous méditez. La puissance
législative fera dea lois ; mais à quoi servi-
ront ces lois , si les citoyens peayent désobéir
inipUBémcot ? Elle est. donc obligée de créer
dc!s magistrats , qu'elle charge du. soin- de
veiller à l'obscfvation de ses ordres et de
jjunir les dtlinquans. Il est évident qu'il
faut donner 3 ces magistrats la considération
et la force dont ils ont besoin pour s'acquitter
de l'emploi difficile dont ils sont revêtus ; et
c'est ce pouvoir que le législateur confère
aux magistrats , que nous appelons la puis-
sance exécutrice. Cet établissement exige de
la part de la politique les pins grandes lu-
mières et la prudence la plus consommée ;
mais , par malheur , les circonstances ne lui
permettent presque jamais d'exécuter les pro-
jets que sa sagesse a méditée.
Si la puissance exécutrice est ^tablic surdç
savantes proportions , si elle est paitagée tf
distribuée avec assee d'art entre les magistrats
pour qu'ils restent soumis à la puissance lé*-
gislative en même - temps qu'ils forcent les
citoyens d'obéir religieusement auj^ lois, le
i;oityeincnieii.t s^aâ^ecmira de jour en jour , et
l'amour
D,0,l7?dhyGt)O^le
I> fe P O L O C N. E. ' 49
Vamôur de la patrie donnera des moeurs. Eti
connoissanc ses devoirs , Ift citoyen craindra
d'abuser des vices et des irrégnUrités qu'on '
n'avoit pas d'abord pu proscrire : soos la pro-
tection des lois , il jouira avec confiance de
sa liberté , et La répnbliqne florissante pourra
espérer et, se promettre une longue prospérité.
Au contraire , si voas accordez anx magistrats
un pouvoir assez étendu pour qu'ils en puissent
abuser contre le citoyen , ou trop foible poux
8C faire respecter , vous en verrez naître ,.
monsieur le comte , les abus les plut dange-
reux. Au lieu de protéger , les lois opprime-
ront ; et dans, cette défiance où les magistrats
et les citoyens seront les uns à l'égard des
autres , l'étal toujours agité verra publier des
lois auxquelles on n'obéira plus ; ou plutôt
il verra que l3 puissance législative , bientôt
avilie et dégradée, sera aujourd'hui le jouet
d'un peuple insojent , et demain Tesclave
de quelques mapsttats ambitieuxi
Il suffit de réfléchir un moment sur la na-
ture de nos passions , de coonoîtrc leur force ,
leur énergie , leurs ruses et leur adresse ,
pour juger que je ne prédis pas rfcs malheurs
■ chimériques. Dès que les magistrats pourront
éluder la loi , tromper la puissance législa-
tive et être vicieux imponcment, espércz-voui
Mably^Tmc VUI. ^ .
6o DU GOUVERNEMENT
qu'Us résisteront aux tentations de l'avance
et aux charmes de l'ambition ? Si ces deux
passions, en se- glissant dans Sparte et dans
Renie , les ont perdues , quels ravages né
feront-elles pas en Pologne ? C'est là mesure
des droits et du pouvoir, que la puissance
législative doit confier aux magistrats; c'est
le partage de ce pouvoir en différentes maini,
qui forme peut-être le problème politique le
plus difficile à résoudre. Toute l'histoire n'est,
qu'une preuve de cette vérité ; tantôt vou»
voyez des peuples qui ont été malheureux,
parce qu'ils nVnt pu se résoudre à donnera
leurs magistrats assez d'autorité; tantôt vous
en voyez d'autres qui ont été sévèrement
punis pour les avoir rendus trop puisSans. Un
peuple vous fait -il envier sa prospérité? je
vous invite , monsieur le Comte , à remonter
jusqu'à la cause qui l'a produite ; vous trou-
verez sûrement des magistrats à qui il étoil
impossible de désobéir aux lois qu'ils f^isoient
constamment observer par les simples citoyens.
Tout législateur doit partir de ce principe :
qïle la puissance exécutrice a été , et ser^
éternel le meirt l'ennemie de la puissance légis-
lative. Nos passions, et sur-tout l'avarice et
l'ambition , qui «ont malheureusement deve-
nues l'ame de l'Europe entière, l'ordonnent
^nsi ; parce que ne devant jamais être con-
DE POLOGNE. 5l
tErttes de ce qu'elles possèdent, elles ne sont
occupées que du soin d'acquérir ce qu'elles
n'ont pas encore , et de satisfaire toutes les
autres passions qui ontbcioîn de leur secours. '
Le plaisir que goûte le magistrat en jouissant
de l'empire qu'il exerce sur les citoyens, le
trompe, le séduit et le corrompt enfin, s'il
ne se dit pas sans cesse que le pouvoir dont
il est revctu ge lui appartient pas , et qu'il
n'en est que le dépositaire. L'amonr même
du bien a souvent fait illusion à la probité.
Voulant servir l'état plus utilement qu'on ne
doit et qu'il n'est permis , on se plaint des
lois dont on est gêné ; bientôt on les hait ,
et en ne les . respectant pas , on invite ses
.successeuT^i. les mépriser. Tout sollicite donc
la puissance exécutrice à secouer le joug dé
la puissance législative : elle le secouera in-
dubitablement , si on ne donne pas à chaque
magistrat des collègues intéressés par leurs
propres passions \ à s'opposer aux projets de
l'ambiûon ou d'un zèle indiscret pour le bien ;
et qui en s'examinant mutuellement , tem-
pèrent et contiennent le pouvoir dont ila
jouissent. Cela ne suffit pas, et la puissance
législative sera nécessairement dégradée , s*
les magistrats jouissent a^sez long-temps de
leur pouvoir , pour s'abandonner à l'cspérançé
D 3
'' Do,T«JhyGtK>gle
Sa DU GOUVERNE M'K N T
de le conserver toujours. Ces principes me
paroUsent certains ; j'en vais faire l'appUca-
tidn au gouvcrncnient de la Pologne , et
Rcamincr de quel usage ils peuvent être dans
la réforme que méditent les Confédérés.
CHAPITRE V.
De la puiuanee exécutrice considérée dans la
personne du roi. '
o.
/n oc peut considérer de quelle manière
la Pologne a disposé de la puissance exécu-
trice , sans y découvrir la plupart des vices et
des erreurs qui ont causé la ruine de plusieurs
nations. Aux prérogadves immenses , monsieur
le Comte , dont votre roi ou v^re premier
magistrat jouît de temps immémorial , on
peut juger que vos pères, soit engouement
soit faute de lumières , accordèrent au premier
citoyen qu'ils élevèrent sur le trône, des droits
incompatibles avec la liberté qu'iU aimoicnt.
J-cs Polonais furent bientôt avertis de leur
faute ; mais au lieu de U réparer en ôtant au
roi les droits dont il lui éloit si agréable et
si facile d'abuser , ils lui laissèrent les préro-
gatives qu'ils lui avoicntimprudemmcnt don-
nées; et exigèrent encore plus imprudemment
qu'il fût juste et respectât religieusement leurs
privilèges et leur dignité. L'histoire de Pologne
n,5,i7^dhyGt.)t>*^le
D*E r O L O G N Z. 53
n'offre qu'une longue suite de dUsentions
domestiques , que l'on terminoit parce q.o'une
nation se lasse de la guerre civile ; et qui
rccommençoicnt bientôt, parce que la paix
qu'on avoit jurée n'étoit établie sur aucun
fondement solide,
Tandis que vos ancêtres ne consulloient
que leur colère, leur indigoadon, leur ven-
geance ou leur ambition , vos rois , qui abu-
soient tous les jours davantage des bienfaits
de la nation pour la corrompre et l'asservir ,
augmentèrent insensiblement leur autorité.
L'alarme Fut générale ; et pour abaisser le roi ,
vous élevâtes ses ministres. Vous n'aviez qu'un
homme qui voulût vous gouvcrn«c arbitraire-
ment f et bientôt vous en eûtes plfisîeurs qui ,
s'écant enrichis des dépouilles de la couronne ,
commirent ouvertement des injustices et des
violences : mais le prince n'ayant pas eu
l'art d'en profiter pour les perdre et s'établir
sur leurs ruines , l'anarchie la plus mons-
trueuse fut le fruit de ces disseniions. Avec
des n»ceurs moins dures et moins sauvages,
les Polonais seroient devenus aussi esclaves
que leurs paysans ; maïs des malheurs qui
auroicnt accablé un peuple à demi civilisé et
ami de lajaix, irritèrent et soulevèrent une
patioQ guerrière ; et elle regarda les Confe-
D 3
n,o,i7PcihyGt)t)»^le
54 nu GOUVERNEMENT
dérations , c'cst-i-dirc la guerre civile , comme
la seule ressource favorable à la liberté. On
se lassa cependant de toujours combattre pour
n'êlrc gouverné que par de nouvelles factions;
les rois reprirent donc insensiblement leur
première autorité : pourTafFcrmir ils voulurent
la rendre plus considérable , et leurs bienfaits
répandirent une telle corruption dans les
Dictes, que vous adoptâtes enfin le veto, dans
Tespérance qu'au moins un bon citoyen s'op-
poscroit à la vénalité des nonces , et sau-
veroit la république d'une ruine infaillible.
Mail je ne veux pas vous arrêter plus long-
temps sur des réflexions qui sont si désagréa-
bles ; laissons le mal , et passons au remède
que demandent les circonstances préjcntes.
Tant que les magistratures de Pologne seront
données à vie , il est evidtnt pour tout liommc
qui connoît Le cœur humain , que les magis-
trats les plus sages et les plus justes s'acquit-
teront mollement de leur devoir, et que les
autres sépareront leurs intérêts de ceux de
la république , et travailleront à augmenter
leurs richesses , ou à se faire une autorité
qui leur soit propre. Les Confédérés doivent-
ils donc proposer à la Diète de ne plus créer
un roi , des ministres et des sénateurs que
pour nn très-court espace de temps ? Quand
n,o,i7PcihyGt)t>*^le
DE rOLOSNI. Si
on pourroit se flatter que ce projet fût adopté
dans un moment d'enthousiasme pour le bien
public , je réponds qu'il fandroit bien le
garder de faire iine pareille reforme : il y a
un point de perfection auquel il est quelque-
fois insensé d'aspirer. Dans un pays livré
depuis long- temps à l'anarchie, où les richesses,
ont trop de valeur , et rempli de grands sei-
gneurs qui ont plutôt des idées d'ambition
et de tyrannie que d'égalité , sctiez-vous les
maîtres de vous servir avec sagesse de la loi
que vous auriez portée dans la vue d'animer
l'émulation et de lécùmpenser le mérite? Ces
fréquentes élections , si sages dans une répu-
blique qui n'est p4S corrompue, ne seroient
propres qu'à exciter une fermentation qui
n'est déjà que trop constante , trop générale
c;t trop vive ; elles muUiplieroîent les brigues,
- les cabales , les partis , les rivalités , les haines ,
et multipiieroicntpar conséquentlcs malheurs
de la Pologne. Qui vous répondroit que .du
sein de cette anarchie il ne s'élévcroit pas uoe
tyrannie accablante ? Accoutumés à ne pas
compter sur votre république , à traiter de
vos intérêts domestiques avec les puissances
étrangères , et à tout oser parce que les grandi^
se font mis au-dessus des lois , ne pourroit.
on pas VOUS' prédire que la Pologne scccit
B i
56 DU OOUVERNEMEHT
envcrtc aux armes des étrangers, et qu'R
vous seroit impossible d'échapper à la ser-
vitude.
Dans la sitnation actuelle des choses , j'ose
donc avancer -que, bien loin de ne conférer
la royauté ou votre première raagistratnre que
pour quelques années , il importe, au con-
traire, à la Pologne de rendre la couronne
héréditaire. Quelque révoltante que paroisse
d'abord cette proposition, je prie, monsieur
le Comte , les personnes à qui vous commu-
niquerez cet écrit , de suspendre leur colère
et d'avoir la patience d'écouter et d'examiner
ensuite mes raisons. S'ils veulent ponr un
moment s'élever au-dessus de leurs préjugés ,
ne conviendront-ils pas avec moi , qu'il résul-
tcroit de l'hérédité du trône un plus grand
calme dans la république? J'en appelle à l'ex-
périence. N'cst-il pas vrai , que sous le règne
du prince même le plus, propre à se concilier
la confiance publique , on commence à éprou-
, ver les agitations que doit causer l'élection
de son succes'scur ? On forme cent projets
chimériques qu'on croit toujours pouvoir
réaliser, et on sacrifie sa patrie , ses devoirs
et ses vrais intérêts à ses folles espérances,
^.'interrègne survient , et il se fait un ébran-
lement général .dans la nation. Le plus petit
Do,T«JhyGt)OglC
DE POLOGNE. ^7
gentilhomme se croit un personn&ge important,
parce qu'klors l'orgueil des grands s'humilie'
pour acheter son suffrage dont ils ont besoin.
Toutes les lois se taisent, toutes vos provinces
sont dévastées , et on diroît qu'en cherche a
vous faire éprouver totrs les inconv«niens de
l'anarchie , poUr vous préparer à obéir avec
plus de docilité au roi que vous allez élire.
Mais on finit par' vendre la couronne, ou
recevoir ; à la recommandation de quelque
puissance étrangère , un prince qui ne vous
aimera pas . et que vous haïrez. On vous a.
achetés ou intimidés, et on n'aura pour vouS
aucune reconnois«ancc. Le nouveau roi n«
songera qu'à profiter des vices et des désordre»
de la république , pour la subjuguer e\ se
rendre plus puissant. Ainsi , par une action
réciproque , l'élection amène un mauvais règne,
et un mauvais- règne prépare uik éleçtioii
vicieuse.
Il n'y a que l'hérédité qui puisse remédier
à tant d'abus ; elle seule peut donner quelque
consistance à votre gouvernement , de la
force aux lois , et apprendre aux Polonais que
pour le bien public , leur liberté ne doit poin'
dégénérer en licence. La royauté héréditaire
produira cet effet , pourvu que le roi , borné,
i, représenter la majesté de l'ctai, comme un
D,o,l7PCihyGt)t>*^le
5S DU COUVEItNEMENT
roi de Suède , ou un doge de Venise , reçoive
des hommages respectuenx, et n'ait qu'une
ombre d'autorité ; pourvu qu'il ne puisse plus
corrompre ses sujets par des grâces et se faire
des créatures aux dépens de la république ;
pourvu qu'un sénat , fort différent de celai
que vous avez actuellement ,- le guide , le
conduise et l'empêche de, s'égarer ; en un
mot, pourvu que, dépouillé d'une autorité
dont il abuse nécessairement , il me fasse
que remplir une place à laquelle tout le
'monde aspire , et qui ne peut ctrf ni vide nï
remplie sans exciter do grandes tempêtes dans
un pays où tous tes grands scig'icurs ne
peuvent se passer d'up roi , le haïssent s'il
est capable de les gouverner , le méprisent
et conjurent contre lui, si sa foiblcs^e leur
permet dcspércr et de tenter une révolution.
Dans les entretiens, monsieur, que j'ai eu,
l'honneur d'avoir avec vous et avec quel-
qoçs-uns de vos compatriotes , j'ai appris
îivec plaisir que plusieurs citoyens distingués •
par leurs lumières et leur amour pour la patrie
et les lois , ne sont pas éloignés de rendr Is
couronne héréditaire. Mais je voUs l'avoue >
j'ai yù avec autant de surprise que de .chagrin ,
que les vceux de ces bons citoyens sembloient
se réunir en faveur de l'électeur de Saxe. Je
D,o,l7PCihyGt)t)'^le
BE FOLOGNE. ^9
eus bien que les personnes qui soat à la
tête de la Confédération ne sont pas capables
d'une pareille erreur ; cependant permettez-
moi de m'arréter ici un moment pour la com-
battre. Je deraandcrois quelles grandes obli-
gations les Polonois croient avoir à la maisoti
de Saxe. Ont-ils donc oublié qu'Auguste II
a été accusé pendant tout son régne d'aspirer
au despotisme? En effet on lui reproche avec
raison d'avoir marqué très -peu de respect
pour vos lois et les paclà convinta , et moins
encore pour vos mœurs qui avoicnt conservé
jusqu'alors une certaine âprcté convenable à
des républicains, et à laquelle il a substitué
une mollesse recherchée , qui , ne pouvant
s'associer avec une liberté aussi agitée que
la vôtre , vous annonçoit les plus grands
désastres.
Vous n'avci point donné votre couionne
à Auguste III, elle a été un don de la Russie ;
et l'ascendant que cette puissance a pris impé»-
rienscracnt sur vous , est l'ouvrage de ce règne
foible et malheureux. Un prince à qui vous
étiez suspect parce que vous ne l'aviez pas
élu, voas fit l'affront de croire qu'il ne pou-
vpit être votre roi qu'en se faisant en Pologne
le lieutenant de la conr de Pétcrsbourg. Le
ministr auquel il avoit abandonne toute son
D,o,l7PCihyGt.)t>»^le
6o DU GOUVERNEMENT
autorité , vouS aforccs de courirvous-même»
au-devant du joug que les Confédcrés veulent
secoueraujourd'hui ; il vous fit connoître que
vous n'obtiendriez aucune grâce de votre roi
que par la recommandation de la Czarine.
Auguste ne se voyoit qu'à regret parmi vous ;
il vous oublioit à Dresde , et ne visitoit la
Pologne que rôalgré lui, Dc-là les progrès de
votre anarchie, cb la foiblessc qui a rompu
les foibles liens de votre gouvernement.
Je ne venx pas certainement que vos com-
patriotes conservent leur ressentiment , et
punissent dans les fils les fautes des' pères;
mais je voudrois qu'ils appcrçussent leur er-
reur , qu'ils en prévissent' les suites, et ne
fussent pas les dupes de leurs cspéranc-s. Je
les prie d'examiner avec soin s'il n'y auroit
aucune imprudence à choisir pour le premier
magistrat d'une république, un prince déjà
puissant par lui-même , et qui possède des
Stats où il règne avec un pouvoir absolu , et
je dirois presque arbitraire. Soyez persuadé
que ce roi , choqué malgré lui de vos pré-
tentions et de' vos formalités républicaines ,
vous haïra autant qu'il aimera ses dociles
Saxons. Croyez - vous qu'il soit aisé à un
prince d'avoir , pour ainsi dire , en lui-même
deux hotnmes différcns , de savçir être à ïa,
0,g«7^dhyGoO^\c
-p Ë POLOGNE. 6l
fois magistrat en. Pologne «despote cb Saxe?
Si vous ne le jugez pas capable de faire de
Ja Saxe une république, sur quel fondement
présumez-vous qu'il aura l'ame assez juste,
assez noble , assez grande pour ne vuuloir
pas changer la république de Pologne en une
monarchie absolue ?
Mais si on rcndoit votre couronne hérédi-
taire , la politique vous impose la loi de ne
confier à votre roi qu'une ombre d'autorité;
je demande aux Polonais par qncis moyens
ils pourront exécuter ce projet, quand ils au-
ront placé ait-dessus d'eux un électeur de
Saxe. Se flattent-ils qu'une capitulation nou-
vtUc , dressée avec beaucoup plus d'habileté
et de sagesse qu'autrefois , et que des pacia
conventa dont les clauses assignefoient de la
manière la plus claire les bornes de l'autorité
royale ,. seront un rempart assuré pour votre
liberté ? Toutes les nations sont pleines de
ces vieux titres, de ces vieux diplômes , de
ces vieilles chartes , que les souverains ne
font aucune difficulté de signer et de violer.
Après tant d'exemples qui nous apprennent
le cas qu'on fiiitdessermens , quel est l'homme
■ assez ignorant pour ne pas savoir que l'am-
bition gouverne impérieusement Les princes ,
et que la justice et la vérité osent à peine
D,o,l7PCihyGt)t)»^le
62 DU COUVERMEMENt
bégayet quelques remontrances, en se pros-'
tcinant aux pieds d'un monarque qui peut
perdre ses ennemis et tlever les partisans à la
plus haute fortune ?
Je consens que par Vos noiivcllps lois vous
ayez ôté à votre roi toutes Ici prérogatives
qui ont rendu tes prédécesseurs si dangereux*
et vous ont Forcés de recourir aux Confédé-
rations et au vélo. Je consens qu'il ne puisse
plus corrompre ses sujets et se faire des cour-
tisans , en donnant à des citoyens corrompus
les charges, les dignités ci sur-tout les utiles
starosties , qui doivent être la récompense
de la vertu et que vous appeliez U pain dfs
lien'méritam : mais empêcherez-vous que votre
nouveau roi , électeur de Saxe , ne se serve
des revenus de son étccEoral pour vous acheter
etvous accoutumer insensiblement à de lâches
complaisances ? Non , monsieur le Comte ,
vos compatriotes ne feront jamais aucune loi
pour empêcher que l'argent de Saxe ne passe
en Pologne. Si vous me pcrmettcï de vous
dire librement ma pensée , je soupçonne que
les personnes' qui favorisent la maison de
Saxe ; n'y songent qu'à cause de ses richesses.
Je ne veux pas dire que leurs vues soient in-
téresses et criminelles , à Dieu ne plaise : ils
«ont vraisemblablement les dnpci de cciti
no,-7«jhyGt.)t>*^le
DE rOLOGNE. 63
fausse politique qui trompe et perd toute l'Eu-
rope ; ils croient sans doute qu'il est avança"
geux d'attirer cheï soi beaucoup d'argent
étranger, et que la Pologne sera heureuse si
les richesses des Saxons contribuent en partie
à ses besoins.
Pour moi , je suis persuadé que pour mé-
riter le titre de roi , il n'y a point de prince
qui ne se soumette à toutes les conditions
qu'on voudra lui imposer; et il se consolera
de la contrainte où on le tiendra , par l'ïs-
.pérance de s'en affranchir, Quelque religieux
observateur qu'il paroisse d'abord des pacla
conventa, il est homme , vous serez punis, de
l'avoir exposé à des tentations qui sont au-
dessus des forces de l'humanité ; il songera
à vous asservir , il en .méditera le projet, et
ne s'en écartera point. Nous le connoissons ,
me répondra-t-on , il a trop de justice et'de
modération ponr consulter une ambition cri-
minelle ; et sa politique est trop éclairée pour
aimer mieux gouverner des esclaves qUe des
hommes libres. Je pense exactement comme
vous. Mais, répohdcz-moi , connoissez-vous
aussi son fils, son petit-fils , son arrièrc-petit-
fils , Sec ? Dieu vous a - t - il appris par une
révélation , que les princes de la maison de
Saxe seront désormais des modèles de justice
D,0,l7PCihyGt)O'^le
b4 DU GOUVEIlNEMENt
et de sagesse ? On voDS' flattera , on voûS
■ caressera, comme dans tous les commcnce-
mens d'une domination nouvelle; mais gardc;i-
vous bien d'être les dupes de cette fausse'
bienveillance. L'histoire ne vous a-t-ellc pas
appris que quelquefois de bons princes ont
fait de grands maux à leur nation, en lui ins-
pirant une confiance aveugle , ou en la dis-
trayant de ses principes consdtutifs et de ses'
vrais intérêts ? Une sécurité générale s'empare
desasprits ; on ébranle d'abord les lois , sous
prétexte de les perfectionner. Les nouveautés
dangereuses s'accréditent, l'ancien esprit na-
tional disparoît peu à peu , c'est alors qu'on
répandra de l'argent ; et tout est perdu, parce
' qu'un prince qui veut acheter des amis ,
trouvera toujours des sujets qui voudront se
vendre.
Il seroit inutile d'entrer dans le détail de
toutes les pratiques qu'on pourroit mettre en
usage pour vous subjuguer; car je ne veux
pas , à l'cxcmplG de Machiavel , doniier des
leçons de tyrannie, et apprendre à l'injusiice
par quelles fraudes détestables elle peut réussir.
Mais soyez sûr que la politique est bien im-
prudente , on plutôt bien aveugle , si elle exige
d'un homme des vertus qui sont au - dessus
des forces de l'humanits. Soyez- convaincus
qu'un
no,-7«jhyGt)t)^le
DE rOLOCNE. 65
•qu'un rot trop riche par iui-mGrae trouvera
millcnioyens pour éluder la Force des lois. Peu
<I'adresse même suffira pour vous séduire ,"
parce que vous ne demanderez qu'à ècre
trotnpés ; car plusieurs de vos compatriotes
m'ont avoué assez francliement , que l'argent
n'a pas moins de crédit en Pologne que dans
le reste de l'Europe. Ignorez-vous combien
l'amour de la libeité s'afFoiblil aîsénjCnt et
s'éteini même/ entièrement , si un prince veut
corrompre les aracs par le luxe , la mollesse
et les plaisirs ? Quand elles ont perdu leur
force, combien n'est-il pas aisé de Us glacer
par la crainte ?
On me répondra peut-être que mes alarmes
sonl vaines , parce qu'en appelant l'électeur
de Saxe sur le trône de Pologne , on ne man-
queroit pas de porter une loi , par laquelle
il seroît réglé et ordonné de la manière la
plus forte et la plus solennelle , qu'après le
règne- de l'électeur qu'on auroît élu , les cou-
ronnes de Pologne ci de Sase seroient incom-
patibles. En conséquence de cette pragmatique,
un des fils du roi restera en Pologne pour
y former une branche régnante ; et l'autre
ira régner dans les anciens domaines de ses
pères. J'y consens ; mais qui m'osera assurer
qu'à force d'argent, de caresses etdecomplai-
Mably. tome VliU E ,
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
66 DU GOUVERMEMENT
sances , le roi Saxon ne fcia pai révoquer
cette loi salutaire dans une Diète générale ?
Les passions sont d'habiles sophistes, et teuis
sophismcs paneront pour des démonstrations.
J'en suis sûr , on trouvera les meilleurs rai-
sons du monde pour prouver qu'il n'est rien
de plus avantageux à la Pologne que de s'an-
nexer en quelque sorte la Saxe , et de profiter
de ses richesses , de son alliance et de ses
forces.
Mais quand la corruption ne scroit point
assez générale pour abroger votre loi fonda-
mentale, je ne scrois point sans crainte ; car
la politique , en s'occupant de l'avenir , doit
préparer des obstacles aux caprices même de
la fortune. Il peut se faire que le jeune élec-
teur de Saxe , que vous aurez couronné, n'ait
.qu'un fils ; et dans ce cas, les Polonais ren-
verront-ils cet héritier en Saxe, ou en le rete-
nant, le forceront - ils de renoncer à son
cletorateu faveur d'une branche de sa maison?
Vos compatriotes , mousicur le Comte , n'au-
ront point la dureté nécessaire pour prendre
l'un ou l'autre de ces deux partis. Il est naturel,
sn contraire , qu'ils aient encore pour le fils
la même indulgence qu'ils auront déjà eue
pour le père. Cependant ces deux règnes
peuvent être très-longs , on se sera accoutumé
à l'unloQ de la Pologne et de la Saxe, Avec
D Z P O' L O G N E. 67
le secours des ducats de l'Empire , la préro-
gative royale aura fait des prcg-ès , et il ne
sera plus temps de s'opposer à ses entrcpiisci.
Je prie , monsieur , vos bons compairiotes
de faire l'attention la. plus sérieuse sur ce
que je viens de dire. J'ai beau tiiEr..hcr , je
ne trouve aucun moyen pour empêcher qu'un
roi de Pologne , qui jouiroit des revenus de
l'élcctorat de Saxe, ne devînt pas dangereux
pour la iiaùon , et fût assez Juste ei assez
magnanime pour se tefuser cociiiamment à
un pouvoir qui se jetieroit , pour aîust dire ,
dans ses mains.
Pour prévenir un pareil malheur , je vou-
drois donc que la loi qac méiitent vos réfor-
mateurs , défendît à votre roi d'avoir des
possessions étrangères, et qu'il renonçât d'a-
vance à toutes les successions qn'il pourrùit
attendre de si famille. D'autres motifs vous
invitent encore à faire ce règlement ; et st
l'on veut s'en instruire , on na qu'à intcri:ogcr
un Anglais qui connoît les intérêts de son
pays ; il vous dira que l'Angleterre auroit
épargné beaucoup de sang et des sommes
immenses , si son roi n'avoit pas été électeur
de Hanovre. IL importe à tout état de n'avoir
qu'un intérêt, et ta Pologne sn aura néces-
sairement deux, dès que son roi posséder»
•E 2
■ ■ - n,o,i7P(ibvGt)0^le
8 DU GOUVERNEMENT
une province en dehors. On vous associera
à SCS querelles , parce qu'on regardera cette
politique corame un. moyen de vous distraire
de vos affaires domestiques, et de vous asservir.
Les flatteuis de U cour crieront de toute leur
force qu'il est de voire honneur de défendre
les intérêts de votre roi , et les Polonois soot
sans douce trop généreux pour ne pas se laisser
tromper par les raîsonneraens de la flatterie ,
quand elle empruntera le langage de la ma-
gnanimité.
Les revenus que la république accordera au
roi , doivent être très - médiocres. Que les
Confédérés , monsieur le Comte , se gardent
de faire la faute des Anglais qui ont mis entre
les mains du prince des richesses capables de
le corrompre , et qui , en le rendant trop puis-
sant , doivent alfoiblir peu à peu les droits
du parlement. Ce seroit un grand bonheur
pour vous , si vous pouviez réduire votre roi
à vous donner des exemples de désintéresse-
ment , de modestie , de tempérance et de mo-
dération. Plus la liste civile du prince sera
petite , plus la loi qui l'aura réglée s'apprû-
clicra de la perfection. Il seroit encore à pro-
pos que les revenus royaux ne fussent point
établis sur des terres ou des domaines qu'on
abandonneroit au roi : le produit de ces terre»
D,o,l7PCihyGt)t)^le
DE P & L O G N E. . 6g
ioit tantôt aagmemer et tantôt diminuer , et
cette variation deviendra un mal pour la répu-
blique. Dans le premier cas , le roi sera plus
riche que la Pologne ne le désire ; dans le
second , il faudra suppléer à ce qui manqnc
aux revenus ordinaires ; vous serez généreux
malrà-propos , et la porte est ouverte à mille
abus. Il sera bien didîcile de n'avoir pas une
première condescendance ; et dès qu'on en a
une , il est impossible de ne pas en avoir
cent. VoHs verrez que les terres de la cou-
ronne , plus malheureuses que les autres ,
auront toujours éprouvé quelqu'accident au-
quel il faudra toujours remédier. Je voudrois
donc que le roi eût un. revenu fi>te et réglé,
qui lui seroit payé par le trésor de la nation.
On pourroît dès ce moment aliéner les do-
maines royaux , pour les employer à une
foule d'établissemens qui vous manquent ,
et sans lesquels votre_ république ne sera ja-
mais florissante. On poiirroit paitagcr quel-
ques-unes de ces terres en portions modiques
dont on gratificroit la noblesse qui auroit
montré plus de zèle dans le moment de la
réforme, et qui dès-lors seroit plus intéressée
à favoriser les lois nouvelles , et à concilier
Ici intérêts des Diétines avec ceux de la Diète.
généialc.
E 3
Do,T«jhyGoo^le
70. DU GOUVÏRNïMENT
Vous iicntci , monsieur le Comic , que je
ne pais entrer sur cette matière dans tous les
deiails qu'elle demande: Je dois me borner a
proposer des vues générales , parte que les
circonstances où Ton se trouvera dans le mo-
ment que les troubles cesseront , et qu'il
faudra-etablir une nouvelle constitution , dé-
cideront de ce qu'on pourra faire de plus ou
de moins .favorable. Dans cène tourmente ,
il ne faut point perdre de vue les grands
principes ; mais en paroissant les abandonner,
il faut s'en éloigner le moins qu'il sera pos-
sible , et se préparer des moyens de rentrer
dans la roule dont on a paru sccattcr.
Les Anglais ont eu grand ton d'abandonner
à le;ir roi t aduiinisiration des finances ; ils ont
tcnié sa cupidité et celle de ses ministres ,
et en oi^tfait des inicndans infidelles. Si tout
maniement d argent coirotnpl Iss hommes,
ayons du moins la prudence de ne le pas
confier àceux qui, pont notre intérêt, doivent
avoir les mains les plus pures, qui , par leur
dignité et leur pouvoir , ont la plus grande
influence dans l'état , cl peuvent se promettre
l'impunité. J'espère que les Polonais seront
plus sages que les Anglais. Ils trouveront
encore d'autres avantages dans ta mcihodc que
je propose : l'un de ne p^s exposer le toi à
D,o,l7PCihyGt)t)*^lê
DE POLOGNE-, 71
des reproches , l'autre de ï)Ouvoir mettre pins'
aisément les finances de la république sur un
pied convenable à ses besoins et à sa dignité,
sans s'écarter cependant' de la plus exacte
économie.
Une loi expresse doit défendre à la Diète
générale de jamais acquitter les dettes du roi,
8OUS quelque prétexte ou raison que ce puisse
être. Il ne doit pas liii être permis d'acquérir
des fonds, et de faire un patrimoine particulier
à ses successeurs. L'argent qu il aura amassé
ou placé , par un agiotage indigne de loi ,
dans les banques étrangères , ne passera point
à son successeur; la république en héritera-
Le revenu accordé à la couronne doit être
substitué ou sacré, c'est-à-dire , qu'un, prince
en montant sur le trône, ne sera pas tenu
de payer les dettes de son prédécesseur. On
sent aisément l'esprii de ces lois , et les avan-
tages qu'elles se proposent. Le roi, contraint,
malgré sa grande fortune , d'avoir de l'ordre ,
de l'économie , donnera peut-être l'exemple de
la modestie à ses sujets , ou du moins ne les
corrompra point par son luxe. S'il est avare,
il le sera sans danger pour la république ; s'il
est prodigue, sa prodigalité ne sera fâcheuse (^ ne
pour lui et ses créanciers. Pour débarrasser le
princcdu soin dcpourvoirausortdc ses.cnfans,
E 4
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
JK DU GOUVERNEMENT
que la république donne et assure un pairi-
mninc médiocre aux mâles , et une doc aux
filles : la famille royale se trouvera ainsi dans
]a dépendance éternelle de la nation. Four te
<lire en passant, il scroit à propos d'établir
dans Tordre de la succession une règle pareille
a ce (juc nous appellotis ta loi ialique. Des
femmes ne sont point faites pour régner sur
un peuple qui veut être libre , puisque la na-
ture les destine., dans le sein même de chaque
famille , à être soumises à un mari.
Je n'ai indiqué jusqu'à présent que la moitié
'de l'ouvtDge que tts Confédérés de Bar doivent
se proposer. Que serviroii , je vous prie , de
ne do,nner a un roi héréditaire qu'un revenu
médiocre, si on lui laissoit la prérogative de
disposer à son gré "des grâces, des faveurs et
des récompenses de la république, droit dont
vos lois même électifs ont abusé de la ina-
nièie la plus étrange et la plus funeste ? Le
• prince ne manq^ucroit pas (le s en servir pour
débaucher les citoyens et les attacher à ses
intérêts. La liberté à peine établie , ne pourroit
donc subsister que pendant quelques années.
Les l'o louais mériteroient donc.de la perdre '
puisque sans défiance pour l'avenir , ils 'au-
loient eux-mêmes fourni au roi des chaînes
pour les garrotter. Qu'ils n'imitent pas les
Dpi r^dhy Google
I>E POLOGNE. 73
Anglais, qui se plaignent continueUemcnt des
entreprises de la cour ei de la corruption du
parlement , et qui aiment mieux être dans
des ^larmes continuelles , que de convenir
des vices de leur gouvernement , et de les
corriger.
. Il vaut mieux suivre rcxeraplf que les Suédois
vous 00c, donné. Dignités ecclésiastiques, ci-
viles et militaires, starosties, biens royaux >
tout doit être conféré, si vous le voulei, au
nom du prince , et donné véritablement par
la Diète généj"alc ou par le sénat. Quand il
vaquera une des premières places dans l'ordre
ecclésiastique , militaire ou civil , la Diète
présentera au roi trois candidats, parmi les-
quels il choisira celui qui lui sera le plus
agréable. A l'égard des dignités inférieures , le
s.énat fera également la présentation de trois
candidats. La loi ne manquera pas sans doute
d'inviter le prince à rendre sa prérogative plus
respectable en récompensant le mérite le plus
distingué, c'est-à-dire, en choisissantle citoyen
qui sera à la tête de la liste qu'on lui présen-
tera. Mais comme il seroit imprudent d'espérer
que le conseil- de la loi fût exactement suivi ,
et qu'il pourroit arriver que le prince eût
l'esprit gauche, le cœur dépravé, et qu'il ne
consultât que ces caprices trop familiers aux;
no,-7«jhyGt.)t)'^k'
74' ou COUVERHEMENT
grands , îl leroit à propos de statuer que quand
un candidat scroit recommande pour ta troi-
sième fois par la Diète ou le sénat , il seroit
do bon plaisir du roi de le préférer à ses
concurrens.
Outre que par cet arrangement an enlève
à la couronne le moyen le plus cffi'jace d'aug-
menter, son autorité, en changeant en cour-
tisans des hommes qui doivent être libres, on
attachera encore les Pulonnis à leur devoir.
N'ayant désormais de giacc, de faveur, d'a-
vancement à attendre que de la nation , l'es-
pérance et la reconnoissame Ks poricront
également à aimer et (iefendrc les droits et
les lois de leur patrie. N'en doutons pas ,
après que le temps aura effacé les préjugés
et détruit peu à peu les hahitudes vicieuses
qu'une longue anarchie a fait naître , les séna-
teurs , les ministres, les nonces, les officiers
qui s'acquittent aujourd'hui si mollement de
leurs fonctions , deviendront des hommes
nouveaux. Leur exactitude développera une
émulation générale qui ne laissera parmi vous
aucun talent inutile. On sera intéressé à avoir
de la vertu , et l'amour de la patrie prendra
enfin la place de cet esprit de cour et de
flatterie qui déshonore les grands à Varsovie ,
Cl la petite noblesse dans les provinces.
Dioii ..ci hy Google
DE r O L O G H 1. 75
Mais , dira-t-on , qui voudra d'une cou-
ronne ainsi dégradée ? Je réponds qu'il faut
porter dans le cœur tous les vices d'un esclave,
pour dire que ta couronne est dégradée par
des lois qui ne font que la rappeler aux idées
primitives de son établissement et du droit
fondé par ta nature entre les hommes. Puis-
que les Suédois ont eu le bonhear de tivuver
un roi , pourquoi les Polonais , qui habitent
une terre plus ferûlc et plus peuplée, scroicnt-
ils exposés à un refus ?Je ne crois pas qu'on
fasse sérieusement cette objection : mais si
par hasard un prince ne veut pas d'une royauté
ainsi tempérée et modifiée , j'en félîtiierai ta
Pologne ; car c'est un grand bonheur de n'?.-
voii pas pour roi un homme assez incon-
sidéré pour n'estimer que te despotisme , et
. croire qui! lui est utile de n'avoir aucune
barrière contre ses passions. Qui de nous ,
foîbles humains , quand il s'étudie et connoîti
les bornes de la maison humaine et la fragilité
de nos vertus les plus (ublimcs , ne trem-
blcroit pas à la vue d'une fortune dont le
poids doit l'accabler ?
Quoique ce chapitre commence à être long,
je n'ai pas tout dit, M. le Comte;et avant que de
parler des autres branches de ta puissance exé-
Do,T«jhy Google
•j6 DU GOUVERNEMENT
cutrice , pcrmcttez-raoî de faire encore qucî-
ques réflexions sur les rè glciiiens dont je viens-
d'avoir l'honneur de vous eniretenir.
CHAPITRE VI.
Jîèjlexions relatives auxjois qiion a proposées ai»
sujet de la royauté.
J.L me semble que les lois que je propose
relativement à la royauté, ne peuvent que
plaire à la nation poloBiise. Pourquoi senci-
Toit - elle quelque répugnance à ôicr à ses
princes des prérogatives et des droits dont ils
ont constamment abusé ? Par quelle erreur
trouve- t-elle donc facile et commode de re-
courir au destructif veto ou aux redoutables
Confédérations, pour les opposer à la puis-
sance avec laquelle le roi corrompt tout, et
domineroit impérieusement, si vons ne vous
jetiez dans l'anarchie pour échapper au des-
potisme ? On regarde communément en Po-
logne le roi comme un ennemi doinestiquc,
dont il faut toujours se défier; pourq^ioi dono
s'y feroit - on un scrupule ou une difficulté-
d'établir un nouveau système , pour rendre sa
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE, 77
dignité et son nom moins suspects et plus
chers à ses sujets ? Le grand-père du roi Sta-
nislas disoit qu'il préféroit une liberté agitée
à une servitude tranquille ; mais il auroit
sans doute mieux aimé vivre dans une répu-
blique dont les lois auroient uni la liberté et
le calme. Je rcgardcrois comme un crime de
penser, monsieur le Comte, que les arran--
gcmens que je viens de mettre sous vos
yeux , fussent rejetés par les bons citoyens que
Tamoar de la patrie a placés, à la tête de la
Confédération, et qui depuis long-temps a'cx-
poscnt, pour défendre la liberté,. à des maux
et à des dangers qui lasseroient un courage et
une patience qui ne seroient pas héroïque».
Il est temps que la Pologne ouvre les yeux
sur les vices de son gouvernement, et juge
que, pour n'être plus exposée aux malheurs
qu'elle éprouve aujourd'hui , il faut enfin re-
courir à d'autres remèdes que cenx qu'elle a
.employés jusqu'à ce moment. Vos palliatifs,
le veto et les Confédérations , ont agrandi les
plaies de l'état , et peuvent enfin ies rendre
incurables. La Pologne reçoit aujourd'hui une
leçon qui doit la rendre capable de faire un
recour sur elle-même. Si elle attend de plus
grandes calamités pour se corriger, il est à
craindre que le vaisseau , si souvent battu par
no,-7«jhyGt)t>»^le
jS nu GOUVERNEMIMT
la tempête , démâté et qui fait eau de toutes parts,
ne 6oit tubmcTgé au premier coup de vent.
Vous comptez que vous serez toujours en
état de vous défendre, et que vous tronvercz
toujours en vous-mêmes tes sentiment qui ont
fait prendre les armes à vos pères , pour venir
au secours de la république. Mais l'amour de
la liberté, l'amour de la patrie , la constance ,
le courage , la patience , toutes les vertus ont
des bornes dans le cœur humain. On a vu les
Grecs , on a vu les Romains se lasser enBn
d'une liberté qui leur coûtoit trop de peines
et de travaux. Ces républicains si fiers alioient
au-devant du joug, et tlattoient bassement la
main qui les opprimoil. Je crois que les Po-
lonais sont bien éloignés de cette bassesse;
je suis persuadé qu'ils méritent encorÈ les
éloges que vous leur donnez; mais ne corn-
mencez-voas pas cependant à entrevoir quel-
qu'altération dans leurs mœurs ? Sont - ils
encore ce qu'ils étoient sous Jean Sobieski ?
Un commencement de décadence, si on le
néglige, n'annoncerolt-il pas de plus grandes
disgrâces ?Je le vois., monsieur le Comte, vos
compatriotes comptent trop sur le pouvoir de
réquilibre qui gouverne, disent-ils , l'Europe,
et qui ne permettra pas qu'on les opprime.
Mais j'ai pris la liberté de vous prouvée
Dpi ..ci hy Google
DE POIOCNE. 79
que cette politiqne de réqnîlibre n'est qu'une
chimère. Permettez - moi de von» le répéter,
n'est-il pas visible que les états gouvernés par
les passions, les préjugés et lei fantaisies des
personnes qni sont à la tète des affaires , n'ont
depuis long-temps qu'une politique de mode ,
et oc suivent aucun principe certain ? Quand
nous serions aussi convaincus aujourd'hui
qu'on l'étoit dans le siècle dernier, de la
nécessité d'entretenir un équilibre entre le»
natious , comment défcndroit - on , comment
protègcroit-on cette égalité de puissance, puis-
que tous les peuples épuisés par leur luxe ,
leurs mœurs, leur système d'argent et de
commerce cc leurs nombreuses armées, n'ont
besoin qoc de la paix ? à peine ont-ils com-
mencé les hostilités , que , se repentant de
leurs entreprises, ils ne songent qu'à finir la
guerre. D'ailleurs, ne pourroit-il pas arriver
qu'un prince , en apparence peu puissant ,
dérangeât par ses talens supérieurs tout le
système de l'équilibre , et forçât ses voisins à
ne songer qu'à lui ? La Pologne ne doit-elle
pas enfin se détiampcr en voyant avec quelle
indifférence l'Europe est témoin de ses mal-
heurs ? Ne doit-eilc pas trembler en voyant
qu'elle ne se soutient aujourd'hui que par le
eecoors de la Porte, qu'on a eu tant de peine
D,o,l7PCihyGt)t)^le
So' DU COUVEHNEMENT
à retirer de cette longue paix qui Tavoil en-
gourdie ? SI les Polonais ne corrigent pas
leurs lois quand il leur sera permis d'avoir
une Diète libre , il est évident que la Russie ,
qui conservera ses mêmes espérances, ne re-
noncera pas à ses projets ambitieux. Si elle
tente encore de vous asservir , qui vous répon- ■
dra que l'Europe ne se trouvera pas dans une
situation telle , qu'aucune puissance ne sera
en état de vous secourir ? Tant que la Pu-
logne ne pourrra être d'aucune udlité à ses
alliés, pourquoi espérera- t-clie qu'ils, auront
la générosité de se sacrifier à ses intérêts ?
Enfin, monsieur le Comte , il en faut revenir
aux grands principes; toute nation qui ne se
soutient pas par ses propres forces , ne se
soutiendra pas constamment par celles de ses
allies.
Je me persuade que les grands seigneurs de
Pologne, ayant un plus grand intérêt que les
, autres citoyens à jouir de leur liberté, sont
aussi plu« intéressés à donner au gouverne-
ment une stabilité et une force qui protègent
leur fortune. Leurs terres doivent ne pas pro-
duire la moitié des fruits qu'elles produiroîent,
s'ils comptoieni assez sur les lois pour y faire
des établisscmcns utiles; et elles sont rava-
gées , dès ijû'unc Confédération fournit à la
noblesse
no,-7«jhyG'.H>*^le
DE ÏOLOCNE. 8ï
.noblesse iadigente un prétexte pour piller et
tiiitiner. Mais si la nation dissoute passe sous
Une domination étrangère, que deviendra citte
grandeur dont on cït si jaloux. ? Le vainqueur
confondra tout, ou pluiôt sa main s'appesan-
tira principalement sur les grands dont toutes
les piéicntion's choqueront les siennes. Seroil*
■ il possible que l'cipérancc vague de monter
sur le ttône , et dont tout seigneur polonais «
dit-on, nourrît son ambition et son oisiveté,
fût un raodf pour quelques-uns de s'opposer
à rhérédtté de la couronne et aux modi&ca-
tions qu'on doit mettre à la prérogative tovale?
Un piaste qui aspire à devenir roi, ne sait
pas ce qu'il désire. Ses égaux , qui le volent
av.cc douleur au-dcssns d'eux, deviennent ses
ennemis; il est condamné en quelque sorte
à ne régner que sur des conjures. On se
consolide n'être pas roi , pourvu qu'un autre
Polonais ne le soit pas; et c'est pour s'exclure
réciproquement, que les grands appellent or-
tlmalrcment un étranger, lis croient que ces
élections les font respecter en Europe : erreur.
Une couronne donnée par l'Intrigue ou ache-
tée par l'argent , ne sert qu'à multiplier lei
haines et les rivalités qui vous divisent , et
qui ont excité vos yoUiiis à ne vous laisser
que les vaines apparences d'une élection libre.
Mably. Tome VIU. F
.■ n,o,i7P(ibvGt.)0^lc ■
Ss DU GOUVERNE M E.Nf
Ne seroit-il donc pas utile aux grands ,dc se
débarrasser des soins caisans que leur donne
une couronne étecrive, et des malheurs qu'clU
entraîne après soi ?
Sî les graiids vouloieht conserver les préros
gatives royales, parce qu'il leur seroit plus
avantageux et plus cj3mmode d'attendre des
faveurs et des distinctions du roi que de la
nation, ils n'oseroient pas l'avouer- Ce seroit
convetiir qu'ils craignent les regards et le ju-
, gement du public, et qu'ils croient qu'il leuç,
sera plus aisé de mériter des grâces du prince
par leurs, aissiduités et leurs Qatteries , que de
s'en rendre dignes auprès de leur» compa-
triotes , par des talctis distingués et des ser- '
vices réels, J'oserois prendre la liberté d'avertir
quelques - uns de vos grands qui ont plutôt
l'ambition d'un courtisan que d'un citoyen,
de se respecter davantage et d'avoir plus de
confiance en eux-mcrties. Ce sont les vices de
leur gouvernement qui les oppriment. C'est
l'anarchie d'une république qui ne peut avoir
aucune règle , ni former aucune entreprise
utile , qui 'les condamne à se livrer à l'oisiveté
dans leurs terres ou à la cour. Il ne faut que
des circonstances plus heureuses, pour qu'ils
trouvent en eux des talens, qu'ils ignorent.
Qu'on s'honore eo faisant Iç bien public , et
D,o,l7PCihyGt)t)^le
DE C O L O C S E. S3
je vous réponds que le» grands obtiendront
plus aisément la faveur* des citoyens , qu'ils
n'obiicnnent âujciurd'hoi celle de la cpur.
D'ailleurs , ces grands peuvent - ils ignorer le»
avantages d'une haute naissance et d'uni
grande fortune ? La considération dont il»
jouissent à la faveur de leOr nom , leur don-
nera toujours un grand créditdâns les Dictinear
de leur palatinat ^ dans la république entière
et dans la Diète législative. I.cs nations les
plus libres n'ont - elles pas obéi à ce préjugé?
qui scmblcroît dcvoirctre réservé aux monar-'
,chies ? Que ces grands soient donc fortement
' convaincus que sans avoir un mérite égal à
cçlut d'nn simple gentilhomme , ï\s obticnJ
dront par préférence lés principales dignités.
Pour la noblesse d'un ordre inférieur , ij
me semble qu'elle tronveroit un avantage es-
sentiel dans les arrangemens que je propose*
Elle doit adopter avec plarsrr une constitu-^
tion qui ôteroit au roi les prérogatives' de
disposer à son gré de toutes les dignités et
de toutes les grâces; puisque la médiocrité
de son état et de sa fortune ne lui permet
pas d'approcher de la cour, ou de se rendra
assez recoraraandablc pour se faire craindre et
acheter. Il ne s'agira pour ces gentilsUemmci
^conrtus , que de se faire aimer ce eatijtoeï
F »
. no,-i«jhyGt.)t)»^le
84 , UU GOUVERNEMENT
dans leur palaiinac. Au Heu de ne se servir -
de leur cspcit que pour .faire furtunc , par des
moyçns bas et rampdns , une nouvelle carrière
s'ouvrira pour eux; ils montreront du zèle
dans leurs Diétincs j et ce zèle développera
. des lalens. Â peine un gentilhomme ob&cur
aura-t-<ii obtenu, à force de mérite, d'être
mis dans la liste des candidats que les Dié-
tincs recommanderont à la Dièie , et quela
Diète présentera au roi pour obtenir des di-
gnités , que toute la petite noblesse espé-
rera de sortir de son obscurité. On voit sans
peine quel bien iWmense il doit résulter de
cette espérance. Une émulation générale ani-
mera toutes les parties de la république.
L'envie de se rendre utile et de se distinguer
qu'auia tout petit gentilhomme , deviendra .
un aiguillon pour les grands; ils ne se négli-
geront plus, ils cherçheronc à s'instruire ; et
avant que d'obtenir une place, ils voudront
avoir acquis les connoissanccs nécessaires
pour la remplir. De-là la gloire et le bonheur
d'une nation, Jc' prie de se rappeler qu'une,
des principales causes qui rendirent les vertus
et les talens si communs dans la république
romaine , c'est la rivalité qui se mit entre les
plébéiens et les praticiens.
Un peuplcne doit compte à personne d£ft
no,-7«jhyGt)t)^le
PE POLOGNE. S5
changemcns qu'il fait dans son gouvernement '
« SCS lois. Le droit naturel établit ce principe ;
mais l'ambition des cours de l'Europe en a
malheureusement établi un autre, qui ne per-
mettra peut-être pas aux Polonais de suivre
les conseils d'une sage politique. Toutes les
puissances so'nt occupées à s'observer mu-
tuellemcnti toutes tiennent à leurs préjugés,
aucune ne veut se corriger de' ses erreurs ; et
pour ne rien perdre de sa considcration , on
voudroit que ses voisins fussent également in-
corrigibles. En méditant une reforme , vous
ferez naître dès sentlmcns divers, suivant les
différcns intérêts qu'on prend à votre répu-
blique. Quelques puissances craindront de
perdre l'influence qu'elles ont acquise dans
vos affaires, si elles voient que vous com-
menciez à établir parmi vous un ordre et une
règle qsi vous feroientrcspectcr. Les autres
vous seconderont , dans rcspérance de vous
avoir pour alliés et de profiter de vos forces.
Cet objet important mérite quelques observa-
tions particulières, et avant que de reprendre
ce qu'il me reste à dire sur la puissance exé-
cutrice . je vous prie , monsieur le Comte, de
me permettre d'eftminer , dans le chapitre
suivant, les intérêts des puissances de l Eu-
rope , lelativcment a la léforme de vos lois.
F 3
no,-7«jhyGt)t>»^le
^6 DU G O U V £ R N E M E F
CHAPITRE VII., .
Comment la réforme du gouvernement Polonais
doit cire vut par Us cours de l'Europe.
J.L est juste de çoramcnccr' par la Russie,
dont vous vous plaignez amèrement, et quî
n'a que trop d'amis et de serviteurs parmi
vous. Par une extrême imprudence , ou par
pise suite nëccssairc de vos divisions et de
votre foiblessc , vGa$ n'avez que trop souvent
souffert, ou plutôt imploré sa médiation et sa
garantie dans vos diiTérends. La conduite de
cette puissance à votre égard , depuis le règne
de Pierre premier, vous instruit de ses vues
et de ses projets. Ce ne sera jamais que malgré
elle qu'elle renoncera a l'ambition de vouç
subjuguer , ou du moins de rcgarde'r votre
pays comme une de ses provinces, et votre
roi cominc son lieutenant.
Je vous prie de remarquer que la Russie s'est
formée dans le temps que tous les états de
l'Europe , épuisés par leur luxe, des guerres
continuelles ctdcs armées iropnombreuses,nc
pouvoient plus jouir de leur première considé-
ration. La nouvelle grandeur de Pierre pre-
niier, ses forces de vatT, la discipline de sçs
n5,-7«jhyGot>*^le
P E r O L O G N E. 87
troupes , ses succès cotUrc les ■Suédois , et
Tordre qu'il avoit mis dans ses finances, le
placèrent naturcllcracnc dans le. nombre des
principales puissances ;.ctfifeni rçcherchcr son
amitié. Ce prince , qui auToit dû *e bornée ,
sagement à, policer rintéricur de son empire
et à le peupler, s'abandonna à soa ambition.
Ne pouvant s'agrandir qu'ans dépens de la
Porte, de la Suède ou de la Pologne, il vit
qu'il étoil iséparc' des Turcs par des déserts ',
que des conquêtes en Suède le retiendroicni
dans -le Nord, et qu'en s'avançant' au con-
traire en Pologne, il e'approcHeroit des puis-
sances qui donneoi le printipal mouvement
aux affaires de l'Europe, et dont il vouloif. se
faire respecter. Il ne douta point que l'empire
qu'il avoit acquis dans le Nord ne lui valût la
plus haute considération dans k Midi. IJne
seconde raison , monsieur le Comte, qui le
porta à s'étendre dfc votre côté, ce fut' votre
anarchie même ; il se flatta qu'elle favorîseroit
^és entreprises , et qu'il auroît meilleur niarchê
dçs Polonais que des Suédois et des Turcs.
S'il m'est permis de dire librement max
pensée, j'avouerai quil est surprenant que la
Pologne ne soit pas déjà devenue nne pro-
vince de Russie, Au lieu de cette incons-
tance , de cette étourderie , de cctta avidité
F 4 .
no,-7«jhyGt.)t)'^lc
6» DU GOUVSRNtHENT
dont tous les peaples de l'Europe sont les
dupcK depms pics de deux siècles, si la cour
de Pétcrsbourg eut employé la conduite ad-
mirable des Romains . qui savoîent si bien
mettre à profit les passicins, les vices et les
vertus de leurs alliés et de leurs ennemis , si
bien cacher lear ambition , si bien préparer
leurs couquctcs , et se faire d'abord aimer
des peuples qu'ils vouloient asservir ; je ne
vois point comment les Polonais auroient pu
échapper- BU danger qui les idenaçoit.
Tout ce qui se passe aujourd'hui est une
preuve que cette cour n'a point renoncé à
ses projets d'agrandissement, les Confédérés
doiventdonc être sûrs qu'elle tentera loutpour
s'opposer à la réforme qu'ils voudront faire
dans leur constitution. Mais si elle s'épuise
.dans cette guerre ; si elle dérange ses finances ,
si elle perd ses meilleures troupes, et que la
Porte , comme elle a déjà fait à Pierre premier
sur les bords du Piuth , lui impose la lot
de ne plus se mêler de vos affaires -doraesti-
ques . que vous importe sa mauvaise volonté?
N'osant plus agir à force ouverte, ni inonder
vos'palalinats de ses troupes, ce ne sera que
par des intrigues et des cabales qu'elle traver-
sera vos projets. Espérez donc , il vous sera
encore permis de faire de grandes choses. Ou
o,ga7^ah;-GoO<l\c
D E ï O L O C N E. 89
diroit que la politique Russe n'arien calculé,
, n'a rien prévu , et ne cherche qu'à étonner
par la hardiesse et la singularité de ses en-
treprises, sans examiner et prévoir quelle eu
sera la fin. Il me semble qu'on ne peut s'em-r.
pêcher de mal augurer de ses affaires; et à
moins de quelques hasards e^itraordipaiies sui
lesquels il n'est jamais permis de compter,
elle doit succomber avant que d'atteindre le
bot qu'elle se propose par cette gutfrrc. Ses
finances seront plutôt épuisées que. celles du
giand-seigneur. Il est vrai que les Turcs , après
une paix de trente ans qui paraît les avoir
énervés , n'ont plus ces soldats que Montécu-
cuUi estimoit. Les janissaires ont perdu leur
ancien courage; et sous les généraux inexpé-
rimentés qui les commandent, cette campagne
et la suivante seront peut-être encore -malheu-
reuses : mais s'il reste quelque sentiment de
superstition , d'honneur et de gloire dans
l'empire Ottoman , ses disgrâces même ne
doivent-cUes pas l'irriter et réclaircr ? Il peut
y rcparoître un général : ces soldats qui, ne
fiavcat aujourd'hui que fuir , s'aguerriront; les
fautes qu'on a faites servinant de leçon , et
^ndis que la Porte reprendra son ancien es-
prit , la Russie ne pourra enfin lui opposer
que de nouvelles recrues. Ajoutez à cela que
no,-7«jhyGt)C>'^le
9« DU GOUVERNEMENT
les troupes de la Confédération répandues
dans toute la Pologne et la Lîthuanie , où elles
font la petite guerre , cmpcchcot la Russie do
réanir ses forces et de les porter toutes contre
les Turcs.
Si mes conjectures ne' sontpas vaines, la
cour dé Pétcrsbourg ne verra point diminuer
SCS succès, sans être ncg'ïgce de ses alliés. Ils
la serviront mal dans le déclin dt ses affaires ,
parte que c'est une politique très - ancieiine
dans le mopde, et assez généralement reçue
en Europe, de n'être atiaché à ses amis qu'aux
tant qu'ils sont heureux , de les mal servir
quand leur fortune estdouteusc, et même de
les trahir dans l'adversité. Mais ne nous en
tenons pas à ces maximes générales. Je vous
prie , monsieur le Coîntc , faites attention que
l'Angleterre, plus divisée que jamais par les
fections qui partagent le parlement , et occù-'
pée de ses colonies , prêtes à secouer le joug ,
ne sera point en état de servir les vues de la
Russie, Certainement elle n'enverra pas dans
la Méditerranée une armée navale , pour
secoiider les efforts inutiles de l'escadre russe,
La cour prévoit qu'elle aura besoin de ses
forces en Amérique, et les Anglais connois-
scnt d'ailleurs trop bien leurs intérêts , pour
BoyfFrir patiemment qu'on sacrifie le riche
no,-7«jhyGt.)t>*^le
DE POLOGNl. 91
commerce qu'ils font dans Icï Echelles du
Levant à celui du Nojd, Il n'est pas même
vraisctnb-lable cjuc le ministère puisse servir
ia Riis.sie par des négociations. Si son crédit à
îa Poiic n'csipas.perdu, il doit être du nioîns
fort ébranlé , depuis que le gouvernement a
pcrmii à des Anglais de s'embarquer sur l'es-
cadre de Russie, soit comme officiers , soit
comme simples matelots , pour la guider ec
l'aider dans ses opérations. Je ne sais point
iquel est l'état des négociations auprès du di-
van; j'ignore quel en est Tesprit; mais j'ose-
rois avancer qu'il est plos aisé à la France de
porter le grand seigneur à continuer la gucrrlf
pour réparer ses disgrâces et rétablir sa répu-
tation ; qu'à l'Angleterre de l'çngager à faire
une paix honteuse.
Quoique le Danemarck, autre allié de 1»
Russie, affecte bcau,coup de- zèle en sa faveur,
remarquez avec soin que ce zèle est infruc-
tueux, <t soyez sûr que la conr de Goppen'f
hague fait des vœus secrets pour la liberté des ■
Polonais. Outre 4''Plèrêt général et commuii
d'humilier une puissance qui affecte sans
prt et sans retenue l'empire du- Nord ,
(illc n'a point oublié ses longues (Querelles
pour les duchés de Holstein et de Sleswick.
EUc "conaerve ses haines ou du moinç je^
. ■ ' ' no,-7«jhyGtH5^le
g« DU GOUVERNEMENT
défiances, et le 'traité qu'elle 3, fait arec lâ
Russie ne la rassure pas cntlçrcmcnt. Elle doit
craindre qu'en montant sur le trône , le grand
duc ne ratifie pas les conventions stipalccs
par sa mère ; à moins que le mauvais état de
ses affairei'ne l'oblige d'oublier les préten-
tions de sa maison , de négliger un établisse-
ment considérable dans l'Empire, et de se
contenter des fiefs peu importans qu'on !ni a
cédés. Pour peu que le Danemarck soit ins-
truit du crédit rôécliocrc qu'ont aujourd'hui
les traités' les plus solennels. Il doit trembler
pour ce qu'il a acquis , et désirer avec ardeur
que la réforme d« votre gouvernement, dont
il n'a rien à craindre , vous mette en état d'ar-
rêier les progrès de la Russie et d'intimider
son ambition.
La prçjive que le roi de Prusse n'est pas
sincèrement l'ami de la czarinc , c'est qu'il
se contenue de lui parler de son attachement
sans agir ;M1 pourroit ,,avcc ses forces et la
supériorité de soq génie , décider la question,
et ii ne le fait pas : il me scnriblc qu'on peut
tirer de-là une foule de conséquences.. Il est
donc évident qu'il est aussi peu attaclié aux
intérêts de la Russie qu'à ceux de la Pologne.
Ce prince se souvient des maux que les Rus-
ses lui ont faits dans la dcmièrc guerre; il
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
DE POLOGNE, gS
n a pas oublié que le premier acie de souve-
raineté de la Czarine régnante a été de se
déclarer son ennemie, en rompant brusque-
ment l'alliance éfoîtc que son mari avoit
faîte avec lui. Un prince ambitieux, qui jouis-.
BOit de la gloire de n'avoir pas succombé sons
l'cfFort de l'Europe conjurée , qui touchoit
enfin au moment de se. venger en faisant Ul
. loi à ses ennemis , et qu'bii prive de ccttt
satisfaction , peut-il en perdre le souvenir ?
La politique peut bien prescrire à ce prince
de l'eindre des sentimens qu'il n'a pas , mais
sûrement elle n'efPaccra point dans son cœur
le ressentiment du tortqu'on lui a fait; soyes
persuadé que les passions conservent toujours
leur empire.
Si les Russes sont enfin battus, si l^s Turcs,
comme je l'espère , reprennent leur ancien
courage , je suis sûr, monsieur le Comte , que
le roi de Prusse verra cette révolution avec
plaisir, et ne se brouillera point avec là Porte,
dont il aura tôt ou tard besoin contre la cour
de Vienne et même contre la i?.ussie. Je crois
. encore que ce prince ne doUtiriroit pas patiem-
ment que vous vous rendissiez redoutables
à vos voisins. Quelqu'habile qu'il soit à la
guerre , quclquadresse qu'il ail à demclcr les
iBSSOits de celte intrigue cachée qui gouverne
D.Qiil'.dby Google
94 nUGOUVinNEHENt
et agite l'Europe , je serois assez porté à pcri-*
scr qu'il ne s'opposera point à la réforme d*
votre gouvernement, si vous paroisscz vous
' contenter de recouvrer votre indépendance^
11 n'a rien fait jusqu'à présent qui fasse soup-
çonner qu'il pense que les principes' d'un bon
gouvernement soient le fondement de la pros-
périté durabVe des états. II est accoutumé à
ne compter qoe sur ses talens , et, cn'effet,
ils suffisent aux succès et à la gloire de son
règne; et il ne verra dans vos nouvelles lois
que la fin de vos troubles et le commencement
d'une ttaaquillîté civile et domestique.
Si les Turcs, toujours mallieuieux , étaient
obligés de demander la paix, j'avoue que je
ne vois point comment la Pologne pourroÏB
se défendre contre la Russie, ci ne pas con-
sentir aux conditions humiliantes qu'elle vous
imposerpit. Je ne devine point d'oà vous-
poarricz attendre qtrelquc secours. Puisqu'on
vous néglige aujourd'hui, parce qu'on eraint
de faire des efforts inutiles pour vohs empê-
cher de succomber ; quand vous aurez suc-
combé , vous tcndra-t-on 1^ main pour vous
relever ? Mais j'écarte, monsieur le Comte,-
ces tristes idées; et, comme j'ai eu l'honneuF
de vous le dire ,11 y a tonte apparence que 1&
divap s'irritera en5n dans ses disg^races^ ot'
D,o,l..(iby Google
tt É T O L O C N È.' g5
que la cQur de Pécersbourg sera obligée la
première de poser les armes. Dans ce cas y
bicd loin de s'opposer à la réforme de vos
lois , elle feindra d'approuver ce qu'elle ne
pourra empêcher. Ne doutez pas que la PorWi
ne favorise puissamment les vncs des Confé-*
fédérés , ne fût-ce que pour humilier davantage
ses ennemis, et élever une espèce de trephéo
à ses, victoires.
De toutes les puissances voisines'de la Po-*
logne , la plus difEcile à manier , c'est sans
doute là cour de Vienne. Sa politique en gé-
néral est plus lente , plus réfléchie et plus
constante que celle des autres cours, et selon
les apparences, clic doit cet avantage au gou-
vernement féodal de l'Empire , qui lui donne
de grands titres et peu de pouvoir. Avec des
vassaux qui ont de grands droits , quelquefois
des forces considérables, et souvent des alliés
très - pùissans , on est obligé de cacher ses
vues, de séduire, de s'insinuer avec adresse,
et de préparer avec art l'autorité à laquelle on
aspire. Quelquefois la polinque autrichienne
a'eodott, c'est-à-dire , qu'elle semble oublier
ses principes ; mais elle ne les abandonne pas,
et ne fait lien qui y soit contraire.
Tout le monde sait que Charles - Quint
avcHt, si je puis parler ainsi, anc ambitioq
rjo,T«jhy Google
96 DU CO.DVER.NEMENT
vague , qui , sans objet fixe et dctermînê
d'agrandissement , se por'toit à lit fois à toutes
les entreprises dont il esptroit drcr quelque
utilité. Il paroît que ce prince a formé le ca-
ractère de l'ambition de sa maison. Ses pre-
miers successeurs l'imitèrent; mais l'expérience
ayant enfin appris à ces princes qu'il vaut
mieux finir une affaire que d'en entamer dix,
ils ont mis plus d'ordre dans leur politique ;
et en s'occupant entièrement de leurs intérêts
présens , ils songent à ceux qu'ils peuvent
' avoir un jour, et se gardent de rien faire qui
puisse y être contraire.
Si la maison d'Autriche , monsieur le Comte,
n'a pas profité des désordres de votre anarchie
pour vous subjuguer, ou du moins pour avoir
chez vous le crédit donc -la Russie y jouit,
vous ne le devez qu'aux afTaires imporiaotes
dont elle a été occupée, depuis deux siècles,
dans le rflîdî de l'Europe. Mais je ne voudroîs
pas répondre qu'elle ne regardât pas vos divi-
sions et tons les vices de votre gouvernement
mmme autant de moyens et de titres pour
vous soumettre un jour à sa domination. Si
ma conjecture est fondée , ne doutez point
que la cour de Vienne ne fût très-fâchée de
vous voir sortir de votre anarchie, et ne crût
cette entreprise contraire à ses intérêts et à ses
espérance». Je
B,o,l7PCihyGt.)t>*^le
BE POLOGNE.' 97
Je ne sais à quoi Ton doit attribuer l'indif-
férence avec laquelle elle est témoin de la .
guerre des Turcs et de la Russie. Est-ce une
suite de ses liaisons avec la France qui vous
'favorise ? La maison' d'Autriche voit-elle avec
jalousie Tasccndant que la Russie a pris dans
vos affaires ? Ou pour conserver une alliance
nécessaire contre la Porte, ne veut-elle pas
servir l'ambition d'une puissance qui ne pour-
roit , en vous subjuguant , s'approcher de la
Hongrie et de l'Empiie , sans devenir son
ennemie ? Après avoir ouvert au conseil de
la Confédération de Bar un asyle à Epéricz,
pourquoi votre ministre à Vienne ne pent-il
entamer aucune négociation ? Il n'est pas sur-
prenant que n'ayant aucune connoissance des
personnes qui gouvernent les. cours , et ne
lisant pas même les gazettes , je sois embar-
rassé ; mais vos Confédérés ne doivent pas
l'être , et ce scioît à eux à résoudre tous ces
problêmes. Quoi qu'il en soit, je crois que
vous devez tout tenter pour tenir d abord l'ira-
pératricc-reine dans cette espèce de neutralité
qu'elle montre, et ensuite pour la rendre favo-
rable à vos projets de réforme.
Ce dernier point me paroît si important,
que je ne balancerois point, à la place des
Polonais , d'otf.ii^a couronne au duc de Saxe»
Mably. Tome VIJI. . G
gS pu GOUVERNEMENT
Tcschcii ; et ce choix vous concilicroit tous
les pattisans de la maison de Saxe. Si cette
piopositton cioit reçue avec froideur , on
pourroit élever sur le trône le futur mari de
l'archiduc liesse qui est àmatier. J'irois même,
permettez>inoi , monsieur le Comte, de dire
tout ce que je pense, j'irois jusqu'à prendre
un archiduc pour roi. Vous me répondrez
sans doute que le duc de Saxe-Tcschen n'aura
vraisemblablement point d'cnfans , et qu'ainsi
vous VOUS' trouvcrei encore exposés aux in-,
convénîens d'un nouvel interrégne et d'une
nouvelle élection. Vous remarquerez que cette
perspective ouverte à l'ambilion entretiendra
parmi vous l'esprit de cabale , d'intrigue et de
.parti, qu'on ne peut trop se hâter de détruire,
que le gouvernement , toujours ébranlé , ne
prendra aucune consistance, et qu'on perdra
Foccasion la plus favorable de faire Tine ré-
forme. Passant ensuite au choix d'un archiduc,
dont je viens de vous parler, vous me direz
que vos compatriotes sont accoutumés à
craindre la maison d'Autriche. Je connois
^ les sentimens qui accompagnent une pareille
crainte dans la multitude ; et je sens que les
Polonais , en général , doivent être d'autant
moins disposés à prendre le parti que je pro-
pose ,' qu'ils ne doutent pc%it qu'un archiduQ
hyGt)t>*^le
DE POLOGNE. 99
n-e parvînt bientôt , avec le secours de sa mai-
son , à' s'emparer d'un pouvoir arbitraire.
Je réponds à ces objections, qu'il seroit
aisé , en plaçant le duc de Saxc-Tcschen sur
le trône , de nommer éventuellement son suc-
cesseur , dans le cas où il n'auroit point d'en-
ïant mâle. Cette double élection préviendroit,
si je rie me tronjpe , les inconvéhicns que
Vous redoutez, et ce ïeroit même un moyen
de vous attacher quelque maison , dont les
secours pourroient dès aujourd'hui vous être
utiles. Il est vrai que l'idée d'un archiduc
k-oi de Pologne offre d'abord quelque chose
"d'effrayant à des hommes assez jaloux de leur
liberté pour aimer le veto et les Confédéra-
tions; aussi n'est-ce qu'à la dernière extrémité
qu'on peut recourir à un pareil expédient,
et dans le cas 6ù ce seroit le seul jnoyen
pour attacher la cour de Vienne à vos întérêtSi,
Cependant il ne faut pas se faire des terreurs
paniques : dans une affaire dt cette impor-
tance, c'est la raison et non pas les préjugés
qu'on doit consulter. Il me semble que si
j'avois l'honneur, monsieur le Comte, d'être
votre compatriote , et de délibérer à Epériez ,
dans le conseil de la Confédération , je pro-
poseroîs yolonders de placer «n archiduc
sur le trône, pourvu que ce fût aux condi-
G a-
D,o,l7PCihyGt)t)^le .
lOO DU GOUVERNEMENT
lions que jVi établies dans un chapitre prc-
cédénc.
Sans doute qu'on formeroit à Vienne de
grandes espérances sur la.fortune de ce prince.
On se flatteroit qu'il augmcnteroit d'abord
son autorité par une politique lente cl cons-
tante, et qu'il se serviroît ensuite de son pou-
voir pour travailler à l'agrandissement de sa
maison qui l'auroit favorisé et servi dans ses
entreprises. Mais tout cela ne doit paroîtrt
qu'un beau rêve qui peut amuser la ville de
Vienne, mais incapable d'effrayer la Pologne.
En attendant tout ce pouvoir à venir , je ga-
gerois que l'irtipcratrice - reine , dont toute-
l'Europe admire les vertus, aura plutôt la po-
litique d'une mère qui veut éiablÏT solidement
ses cnfans, que celle d'une princesse ambi- -
lieuse que le despotisme seul peut satisfaire. Elle
conseillera à son fils de ne pas trahir ses ser- ^
mens , et de se rendre agréable à la nation
qui l'aura adopté. Si elle craint que son lîls ,
encore jeune , ne soit porté à confondre ,
comme la plupart des princes , l'aotorité cl
la gloire , elle l'invitera cUt-mênae à se mo-
dérer et à ne faire naître aucune dé&ance. Elle
lui apprendra que la voie la plus sûre de pré-
parer les progrès de son ponvoir, c'est de
paroîtie saii&fait de celui que les lois lui coiw
no,-7«jhyGt)t)*^le
DE. POLOGNE. lol
Sent. Pour mieux instruire son fils et l'accou-
tumer à son état, elle se gardera avec soin de
blesser les opinions des Polonais.
Cependant cette princesse, dont on se dé-
fie aujourd'hui, ne régnera pas éternellement,
■pt la Pologne doit sentir qu'il n'y aura plus' la
même intelligence entre votre roi et la cour
de Vienne. Un frère n'a point les sentimens
d'une mcre , et selon les apparences , l'em-
pereur sera moins occupé de la fortune de son
frcre que de la sienne; cl s'il n'est' pas ambi-
■ tieux pour lui, je ne crois pas qu'il le devînt
en faveur de votre roi. En vérité, monsieur
le Comte, peut-on s'alarmer sérieusement en
voyant l'agrandissement et l'élévation des dif-
férentes branchesd'une'maison , qnand on
connoîtun peu les passions humaines et l'cin-
pîre avec lequel elles gouvernent les cours?
Les successeurs de Charles-Qnint et de Ferdi-
nand çurent-ils entr'eux cette union qui auroit
fait trembler l'Empire et l'Europe entière ? Je
ponrrois vous citer une foule d'exemples , pour
vous prouver que des princes d'une même
inaison ont souvent des intérêts très-difFércns.
Mais permettez - moi seulement de vous de-
mander si quelque chose pouvoit être plus
ridicule que toutes ces déclamations puéiiles
par lesquelles on tcntoit d'alarmer l'Europe au
G 3
to4 DO GOUVERNEMENT
pércTont- de s'en servir utilement contre la,
Russie, si cette puissance ne renonce pas
à l'ambition dont elle inquiète ses voisins, '
Compte?, de votre côté sur les secours ei les
diversions de la Suède; mais elle ne se pi-
quera poini , car sa situation ne lui permet pas
entoie celte politique sublime ; elle ne se
piquera point de Id gloire d'-obliger des in-
grats et une république en désordre , qui n'est
pis en cta; d'avoir une volonSé, de prendre
«ne résolution certaine et de se défendre elle-
même : elle attendra, pour vous servir , que
votre alliance puisse lui être avantagense- Dès
aujourd'hui son histoire et ses lois peuvent
vous être de la plus grande utilité , et vous
pourrez y puiser les plus importantes leçons.
Les Suédois ont été aussi malheureux que les
Polonais avant la célèbre révolution de Gus-
tave Vasa; et ce qu'ils ont fait depuis peut
vous, instruire de ce que vous pouvez et devez
faire.
La France est l'alliée naturelle de la Po-
logne , et comme la Suède elle ne peut que
gagner à voir augmenter vos forces et votre
puissance. Il seroic inutile , monsieur le Comte,
de rapporter ici toutes les raisons qui l'ont
empêchée de se déclarer ouvertement en votre
faveur ; il suffit de voie sur la carte , par quelles
d'oii ..ci hy Google
DE POtOGNE. lo5
vastes provinces la Pologne et la France sont
séparées , pour juger que nous ne pouvions
point vous aider par nos armes ; mais nous
avons engagé le grand-seigneur à prendre votre
défense, et c'est vous avoir rendu le service
le plus important. Si la France entend ses
intérêts, ,ei sans doute elle les entend, elle
invitera -puissamment la Porte, son alliée na-
turelle, à se venger de ses disgrâces et recou-
vrer son ancienne réputation. Elle secondera,
les désirs que vous avez de changer vos lois
et de donner une nouvelle forme à votre gou-
vcrnerticnt. Plus vous lui ferez connoîtrc vos
intentions à cet égard , le zèle et les espérances
des Confédérés, plus vous augmenterez l'ar-
deur que nous avons de vous être utiles. Si
vous devez cacher vos projets ei vos espé-
' tances à la cour de Vienne , vous ne pouvez
au contraire les montrer avec trop de con-
. fiance au ministère de Versailles. Il lui im-
porte que la Pologne, dont la prospérité ne
peut jamais lui donner aucune inquiétude ,
sorte de son anarchie et devienne une puis-
sance sur laquelle on soit en droit de compter.
Il lui importe d'avoir dans le Nord un allié
qui puisse faire des diversions utiles, et qui
par sa position soit eu état d'attaquer les puts"
fiances qui tenteront de nout nuire.
Dpi ..ci hy Google
lo6 DU GOUVERNEMENT
Vous devez ne rien craindre , et même ne
rien espérer desautres puissances. L'Angleterre,
ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le
dire , s'est fait des affaires trop sérieuses avec
ses colonies , pour vouloir se mêler des vôtres.
Le beau temps des Provinces-Unies est passé;
à force de s'être mêlées des querelles des rois,
d'avoir été les dupes de la politique de l'équi^
libre , et fait dans lEurope un rôle trop
ct^nsidérable pour leurs forces , elles sont
tombées dans un état d'épuisement et de foi-
blessse dont personne ne se doutoit , et que
ravaDt-dernicjc guerre a fait co.nnoîue à tout le
monde. La Hollande a pris en&n par nécessité,
les principes de conduite quelle auroit dû adop-
ter par, sagesse après la paix de Wcstphalie.
Elle rie s'occupe aujourd'hui que de son com-
merce ; après l'avoir fait fleurir en menaçanï
de SCS armes ceux qui autoient voulu le
troubler, elle veut le conserver prudemmciu
pardestomplaisances. Pour naviguer librement
dans la mer Baltique, elle observera la plus
exacte neutralité au sujet des affaires du Nord.
Que leur importe que vos lois soient sages ou
non ? ce qui les touche uniquement ou préfé-
sablement à tout, c'est le bled que les Polonais
yendent à Dantiick , et qu'elle achète pouw
pourrir une partie de ses liabltans. ^ q^. \s,.
ijçycndrc dans toute l'Euroçc^.^
D,o,l..(ibyGt)Ogle
DE POLOCME. 10^
VEspagne, le Portugal et les princes dluUo
ne vous seront, je crois, d'aucun secours.
La plupart de ces puissances paroissent ne
point porter leurs regards jusques dans le Nord, ,
Occupées de leurs intérêts présens , elles ne
veulent pas s'inquiéter à prévoir et à prévenir
Jes événemens que la fortune' peut auiener, e(
. qui , selon les apparences , n'influeront jamais
beaucoup dans leurs affaires. Le pape , qui
exerce chei vous unç vraie magistratnre par
son nonce , devroit ne pas oublier combien
il seroit avantageux pour lui que votre répu-
blique devînt ce qu'elle devroit être. Mais je
me suis déjà trop écarté de l'objet qui doit,
principalement m'occuper ; çt il est temps,
IQonsieur le comte , de revenir à la réforme de
votre gouvernement, et de vous entretenir des
moyens que vous deve? employer pour établir
dans votre république . une puissance çxçt
çutrice.
no,-7«jhyGt)C>»^le
DU GOUVERNEMENT
CHAPITRE VIII,
De [a puissanfc exécutrice relativement au iénat
et aux miniitres uu grands ojjiciers de la
couronne.
Xjk traitant jusqu'à présent de la puissance
cxécutiice, je n'ai parlé que du roi, et n'ai
songé qu'à réparer la faute que vos pères ont
fnitc de lui confier l'exécution des lois et toute
l'adminisiration des affaires publiques ; vos
maUieujs ont été une suite nécessaire de cette
imprudence. Mais après avoir repris une auto-
rité dont vous n'auriez jamais dû vous dessaisir,
ne croyez pas qu'il ne vous reste plus rien à
faire. Vous avez vu les raisons ^ui m'ont déter-
miné à penser" qu'il vous importe d'avoir un
roi héréditaire ; et avant que de vous exposer
mes idées sur la manière dontvous devez former
le sénatqui doitle conseiller, l'instruire et !e gui-
der, pernùcttez-mot d'ajouter que pou rétablir so-
lidement votre tranquillité, vous devez déclarer,
de la manière la plus forte et la plus solennelle,
que la personne du roi estinviolable et sacrée,
S"il est permis de lui dcpiander compte de
sa conduite , de le juger et de le punir , n'cst-il
pas certain que vous conscrvciez dans votre
Dioii ..ci hy Google
DE POtOCNE. log
nouveau gouvernement la plupart des vices de
l'ancien ? î^e nous flattons pas : les passions
et les préjugés avec lesquels on est familiarisé
par une longue habitude , ne diïparoissenc
point en un instant , cl ils nous gouvernent
encore à notre insçu , quand nous croyons
de bonne foi en cire débarrassés. Dans un
pays tel que le vôtre, où plusieurs citoyens
jouiront d'une fortune prcsqu'égalc à celle du
prince , soyez persuadé , monsieur le Comte,
qu'ils regretteront pendant long- temps leurs
espérances chimériques , mais flatteuses de
monter sur le trône , ou du moins le droit
qu'ils croyoicnt avoir de le vendre ou de le
donner. _ïl subsistera un certain mal-aise , une
certaine inquiétude , et par conséquent une
fermentation sourde et secrète , qui , en vous
empêchant, de jouir du bonheur que les nou-
velles lois vous promettent , travailleront sans
cesse à Faire revivre tes anciens abus. Si le sort
du prince n'est pas incontestablement affermi,
on voudra qu'il réponde des caprices de la
fortuue, des injustices ou des négligences de
ïe^ officiers; on ne lui pardonnera même pas
des distractions ou des fautes iuséparables de la
foiblesse humaine ; on lui fera des crimes de
tout', dans 1 espérance de rétablir l'ancien
«lésoidre , et de s'emparer eocore de la cou>
no,-7«jhyGt.)t)^le
lia DU GOUVERNEMENT
révolution ; il sufHroit de faire connoître la
nature de nos passions , qui s'irritant et {)aF
i'cspérance de réussir et par les obstacles qui
les contrarient , nous pouisént souvent au-delà
du terme que nous nous proposions , et nous
obligent de soutenir toujours une entreprise
injuste par une nouvelle injustice.
Je crois qu'il est facile de démontrer qu'une
république ne peut être sagement administrée ,
qu'autant que la puissance législative nomme
elle-même les ministres qu'elle charge de
l'exécution des lois , et conserve le droit de
Itur faire rendre compte de leur conduite et
dé les juger. Je vous prie de vous rappeler
combien vos pères , en abandonnant au roi
ic privilège de nommer aux places qui confèrent
13 dignité de sénateur, ont accumulé de maux
.sur leurs tètes. Vous voyez combien les Anglais
5e trouvent mal de ne pas choisir eux-mêmes
les conseillers et les ministres du prince. S'il
est foiblc ou peu éclairé, il ne sera entouré,
malgré ses bonnes intentions , que par des
intrigans qui le tromperont; tandis que d'autres
intrigans feront des efforts continuels pour
les chasser et s'emparer de leurs places; ainSi
le gouvernement sans caractère altère sans
cesse celui de la nation. Si le prince a des
■lumières , on lui déguisera la vérité , et la.
flatterie
n,o,i7P(ibvGt)0^le
n t ta L o c N E. 1 jp ,
flaUeric le gocivchicrapar ses p^ssiojis , sani
qu'il s'en aperçoive. S'il est dur, aiQbidcuif et
injuste , il n'aura daps so;n conseil que de*
complices de son injustice ct;dc som ambition.
S'il est timide , ses ministres seront sanf
énergie. C'est ainsi qu'avec le» lois d'un peuple
libre, les Anglai* sont presque toujours les
dupes de la cour, oublient et perdent insen-
siblement leurs principes : àforpede se vendre,
ils ne mériteront plus qu'on se doiinc la peine
de les acheter. *
Les sénateurs ne doivcflt avoir aucune part
à la puissance législative. S'il leur est permis
de se confondre dans la Dictcavec les nonces,
et d'y délibérer, vous s£ntei que sons prétexte
de la connotssance des affaires courantes , ils
y auront trop de crédit ^ et que lautorité dont
ils' doivent rester revèlM> après la séparation
de l'assemblée législative , achèvera de les
rendre les maîtres de la pluralité des suffrages.
Bientôt vous n'aurez donc que des lois favo-
lables à l'ambition du sénat , et contraires à la
liberté du corps qui représente la nation.
Si je borne le sénat à être le minisire et
l'organe des lois , je lui abandonne toute la
puissance exécutrice. Rieji ne doit le gèncr ,
ni suspendre l'exécution de ses décrets. Son
autorité s'étendra égalcmonl sur ioatei-_ie«
Mably. 7omt VUL H
no,-7«jhyGt.)t5'^lc
Il4 Çtl GOUVÎRNËMEtfT
branches dé l'administration , soit au-dedâns ,'
8oit au-ddhorS ; il convoquera les Diètes et •
les Diétincs extraordinaires, quand des besoins '
ou des dangers imprévus l'ctigeront ; et leS
tiniversaux qu'il expédiera en celte occasion ,
conûendront les motifs de cette résolution et
les objets sur lesquels on délibéreta, afin que
les palatinats soient à portée de donner des
instrucdons à leilrs noncei', et de faire con"
Tioitre le vœu général des citoyens. Les c^rdrcs
oa décrets du sénat seront exécutes Comme
des lois , sauf aux personnes qui seroicnt
lésées de protester rcspcctucnsemcnt et de
porter leurs plaintes à la Diète générale pour
demander une réparation légitime. Pendant
long-temps vos lois, qui n'auront pas proscris
tous les abus et tout prévu , paroîtront ne vous
pas suffire ; car les Confédérés auront sans
doute la prudence de ne pas accablerou révolter
la république , en voulant- à la fois corriger
tous sti vices et poorvoir à tous ses besoins.
Quand la loi paroîtra se taire, ou que le sens
en sera équivoque , le sénat aura le droit de
faire des réglemens ou des interprétations pro-
visoires, qui n'auront force de loi que jusqu'à
la prochaine Diète , qui les rejettera ou les
adoptera à son gré. Il est de la plus grande
importance pour une république qui se forme ,
no,-7«jhyGt)t>*^le
DE rOLObNÉ. llS
itpour la vôtre sur- tout, qui est accoutumée
depuis si long- temps à l'anarchie , qu'aucune
indécision ne suspende le cours et le jugement
des affaires. Si les réglemens provisoires sont
sages , la puissance Législative profitera des
lumières du sénat pour mieux connoître le»
besoins de la nation. Si elle les aonnlle on
les modifie , les lois nouvelles qu'on publiera
instruiront les sénateurs et aideront à fixer leur
politique et son caractère.
Il faut tâcher d'établir pour l'examen et
l'expédition des affaires * des formes doht il
ne soit jamais permis de s'écarter; car les
hommes , avec des passions si vives et une'
raison souvent si foible et si incertaine r> ont
besoin d'une méthode pour trouver la vérité,
et 5ur-tout pour tie s'eg point écarter. Si la
Diète est assez sage pour s'imposer à elle-même
des lois et des formes propres à prévenir toute
erreur , il lui sera aisé de donner au sénat une
constitution at des réglemens qui le mettront
dans la «jécessité d'étudier, de connoître et
.d'aimer ses devoirs. On établira des conseils
selon les différens besoins de la république ,
et ils feront au sénat le rapport de toutes les
affaires dont il doic décider. Le chancelier
rcçueilleia les voix ; et en cas de partage-, celle
4u roi sera comptée pour deux, et départager}
H 3
no,-7«jhyGt.)t)^le
Il6 DU C O U V E K N E M £ N T
le sénat, dont l'activité ne doit jamais être
suspendue. Le résultat des délibérations sera
porté sur les registres , et souscrit par les
sénateurs qui auront été de l'avis dominant.
Le grcificr ou secrétaire du sénat aura soin
d'inscrire de sa main 'au bas de l'acte le nom
de tous les sénatcnrs présens à la délibération ,
et qui n'ont pas été de l'avis qui a prèvaln.
Ces registrei seront communiqués à la Diète ,
quand elles les demandera ; et les nonces
pourront s'instruire à la fois de l'assiduité des
sénateurs , et du degré d'estime que la nation
doit aux talens , aux lumières et .à la probité
de chacun d'eux. Quand les actes du sénat
ïcrbnt expédiés et rendus publics , ils ne seront
signés que du roi ci du ministre au département
duquel ils sont relatifs. Si ces actes avoicnt
passé contre l'avis du roi et du ministre, nî
l'un ni l'autre ne se fera cependant un scrupule
de cette signature , qui n'est pas une marque
d'approbation , mais qui déclare seulement
que l'acte est authentique.
Jamais la politique ne conseillera de conférer
une autorité àvic; elle craindroit de corrompre
ceux qu'elle veut employer à faire le bien. En
eÉFct , quel moyen lui resteroit-il pour empê-
cher' que le citoyen qu'elle aura revêtu d'une
autorité perpétuelle, n'oublie pas qu'il ne doit
D,o,l7PCihyGt)t>*^le
DE r o I. o G K e: 117
être qu*im simple citoyen chargé de la censure
de ses semblables et de la défense des loi» ?
Tantôt il abusera de son crédit pour se rendre
plus puissant , et tantôt il ne s'en servira qo'avec
■110C mollesse qui n'est guère moins funeste
pour la société. Plus la Pologne a été exposée
jusqu'à présent à ces abus , plus elle doit
prendre de précautions pour les déraciner.
Songez .. monsieur le Comte , et rappelci , je
voos prie , à la Confédération , qac vos ministres
ou vos quatre grands ofBcicrs sont parvenus
par une longue suite d'usurpations , à disposer
arbitrairement des affaires de leur département.
Qu'en devoit-il résulter ? Le sénatn'a conservé
aucun droit , parce qu'il ne lui restoit aucun
pouvoir ; et les sénateurs, contons d'uh titre
et d'une considération qui forçoientles arbitres
ou les tyrans de la république à les ménager,
se -crurent au-dessus des lois qu'ils méprisèrent,,
et négligèrent la patrie et leurs devoirs. A
peine dans les assemblées les plus nombreuses,
aprèi les convocations les plus solennelles, et
dans les circonstances les pins critiques et les
plus importantes, compte -t- on à Varsovie
cinquante on soixante sénateurs. Si j'osbis le
dire, cette indifFércQcc des plus grands per-
sonnages de la république me persuadèrent
qnc Tamour de la patrie n'en qu'un sentiment
H 3
Do,T«JhyGt)t>gle
llB DU G O U V E K If E Kf E N T
bien foiblc en Pologne, et qu'il n'a pas formé
toutes ces Confédérations qui se sont vantées
de s'armer pour défendre la liberté.
Il e&t fôcheux que la dignité de sénateur
soit attachée à de certaines places ou à de
certaines charges qui sont données à vie , et
qu'il soit absolument impossible de feire à cet
égard le moindre changement. J'espère que
des évêques , des palatins et des castellans
nommés désormais par la. nation , s'acquitte-
ront de leurs fonctions avec plus d'exactitude ,
de fidélité et de ièlc que leurs prédécesseurs ,
qui n'ont dû trop souvent leur élévation qu'à
leur argent, à des intrigues, des bassesses ou
des QattericS' Mais à vous parler franchement,
monsieur la Comte , je ne compterois guère
sur ces espérances , si l'on ncgligeoit de mettre
dans le gouvernement un ressort capable de
porter désormais les sénateurs au bien , et de
leur donner un nouVel intérêt et un nouveau
caractère. Il dst d'autant plus nécessaire de
rompre les habitudes de paresse, d'indifférence
et d'inertie , contractées sous le gouvernement
actuel, qu'il n'est pas possible de vous débar-
rasser de votre malheureux sénat , et d"y intro-
duire de nouveaux évêques, de nouveaux
palatins et de nouveaux castellans ; je vous
paiLc , monsieur le Comte , avec une franchise
n,o,i7PdhyGt.)t>*^le
DE POLOGNE. ng
qui seroit bien tidicule, si vous et les autres
chefs de la Confédération de Bar , vous n'étiez
pas capables d'entendre les vérités les plus-
fâcheuses quand elles sont utiles à votre patrie.
Il f^ut donc que les lois qui établiront une
nouvelle constitution dans le s«nat , tendent
i développer des vci(us et des tatens qui méri-
tent aux sénateurs la confiance et l'estiaie du
public. Qui produira cette heureuse révolution? ,
- Vaniour de la patrie , de la liberté et de la
gloire ?
Les Té.fortnateurs ne produiront aucun bien ,
s'ils se cQntcntent de louer magnlËquement
ces vçrtus , et d'en qrdoiincr impérieusement
Ifi pratique. La législation demande plus fl'ai'ï
et cQmme le laboureur prépare avec soin
ses champs , et commence par détruire
tout ce qui pourrait étouffer, sa seincoce, de
même le légisUtcm , pour faite naître les vertus
qu'il désire , doit travailler d'abord à écarter
les obstacles qui s'y opposent. Autant que
j'ai pu roc. mettre au fait de votre administra-
tion , il me semble que tout le mal vient de
vos quatre ministres, le grand chancelier , le
grand général , le grand maréchal et le grand
tiésoriec; et ce que je dirai de ces officiers de
la couronne ; conviendra également à ceux du
4ttché de Lithuanie. La puissance despotique
n,o,i7PcihyGt)t)'^le
130 DO GOUVIKNEMENT
dont ils se sont tous emparés dans les diifé-
Tcntes parties de leurs départcmcns , a détruit
le poavoir des Diètes', avili le sénat, et jeté
les sénateurs dans une apathie qui .ne devroit
se trouver que dans le divan dn grand-scigncur.
J'ose vous prédire que si vous laissez subsister ce
despotisme , vous ne ferez qu'une réforme
inutile.
Il ne suffit point , je crois, que les grandes
dignités dontjc viens de ptrlcr.ioient conférée^
désormais par la Diète générale , pour qu'on
puisse espérer de voir daus l'administration un
changement favotable. Les abus accrédités
depais'long-temps.' c'est la marche des choses
humaines, se sont enSn convertis en alitant de
droits ; et ces droits dont on est si jaloax ,
sont plus propres à corrompre vos gt-ands
officiers , que toutes les lois à les contraindre
- de ne faire que le bien. La force de l'habitude
les entraînera, et.il l^ur sera encore trop
aisf d'être injustes pour qu'il» ne continoent
pas à l'être. Ils ont une (:o(ir qui les corrompt
elle IcQr persuadera que c'est vous qui êtes
injustes en voulant diminuer ou régler leur
aatoriié, et qu'ils sedégradéroients'ilsn'éloient
plus les maîtres de teur fortune, de leurs amis
CE de leurs ennemis. Ils combattront vos lois
nouvelles avec d'autant plus de succès , qua
'no,-7«jhyGt.)t)^le
DE VOtOGNE. m
ï'csprit national est accoutumé à leur» préten-
tions. On croira que leurs plaintes et leurs
demandes sont légilimes ; et îl n'en faudra pas
davantage pour renverser l'édifice que vooS
aurez élevé sur de mauvais fondemtns. -
Dans cette occasion, monsieur le Comte,
il ne s'agît pas d'user de ménagement. Au Heu
de yos quatre ministres perpétuels , et dont je
défie toutï la politique humaine de jamais rien
foire de bot) , ni même de supportable , voici'
ce t^e-, j'imaginerais, Je ^voudroîs d'abord que
la ici fondamentale , aprèi avoir exposé avec
autant de, force que de vérité les abus moivs-
trueax qaî résultent de vos ministres à vie ,■
prouvât de ta manière la plus évidente ^u'il est
impossible de faire aucun bien sans changer
entièrement cette forme d'adrainistratidn: En
conséquence, elle ordonnera que les charges'
de ministres , au lieu d'être conférées à vte ,
ne seront plus données que pour qoatre ans ,
etnc pourront être confiées Qu'ides sénateurs.
Ces- quatre ministres , au 4îeu de gouverntr
seule lefet ffffiires de leur département , prési-
deront' désormai)) uti conseil composé -de six
sénateurs, et dans lequel tout se décidera, il»
pluralité des voix. Ce conîeil examinera toute»
les,a£Faires qui y fbn,t relatives , et'cn fCrSli
rapport ai sénat asKJtfrblé, '<|ui décidera ilé-
hyGt.)t5^le
lat DU couve. RN^MENT
Guitivemcnt. Lej quiire consciU des quatra
ministres l'assembleront séparément deux foii
■ par semaine, à des jour» et des heures mar-
quées , avec la f»cuUé de s'assembler plus
ÊDuveqt quand l'importance ou la multiplicité
d«9 affaires l'exigera. Le même sénateur ne
pourra jamais être en même -temps conseiller
dans deux conseils différens- Je voudiois qu'à
chaque Diète générale , qui continuera à W
tenir tous les deux ans , les trois plus anciens
conseilicrç dp chaque conseil vissent finir leur
magistrature , « que les nonces noramasient
leurs trois successeurs. Tous les quatre ans
les ministres abandonneront leur place , et je
soubailcrois que la Diète ne pût choisir leurs
successcursquc parmi les sénateurs qui auroicnt
été hpporés d'une pljtce do conseiller dans un
(ons^ii, Les ministres et lc3 conseillers ne;
pourront rentrçr dans yn conseil qu'après une
intcrstic'c de dfuj^ an». La loi doit défendre de
1:^ manière la pjus forte et la plus expresse d<)
continuer cçs magistrats dans leurs fonctions.
On doit être pcrsuadç que, si cette règle SQuSrotl
quelqu' exception en faveur dy mçritc , et danj
quelques ïonjoncturps difficiles, les amliitieux,
et les intrïgans en pro&teioienc biçntôt, pqu|;-
s'emparer d'une autorité perpétuelle.
Vous voyoz, moiisieiii le Çomtç, que jft
no,-7«jhyGt)t)^le
DE r O L p C N E. ' lai
remonte jusqu'à la racine du pouvoir arbitraire
•pour la couper i mais je ne veux pas prévenir
vos réflexions, et je continue. Je demanderois
qu'un ministre en sortant de charge , rcnirât
dans la classe des simples sénateurs; car si on lui
léserve le droit d'entrer comme conseiller
honoraire dans le conseil qu'il aura présidé,
il pourra fair<ï des cabales pour y conserver,
une autorité qui gcricroit les délibérations , at
substitueroit bientôt l'esprit de parti à l'amour
de H patrie. Peut-être même que pendant le
temps de son ministère ou de sa présidence ,
il noueroit des intrigues pour avoir un succes-
seur qui n'eût qu'un vain nom , et se faire
ainsi une magistrature perpétuelle. Je crains
prodigieuaement l'intrigue : on ne sauroit
prendre trop de précautions contre ses ruses
destructives de tout bieo ; parce que rien
n'est plus aisé , même pour un sot , que d'être
un habile intrigant. Je voudrois encore que
l'on pût être ministre deux , trois , quatre cl
même cinq fois ; il est important pour le bien
public, qu'étant parvenu à la dignité la plus émi-
ncnte de l'état , on ait encore quelque chose à
désirer. Il est des amcs que lercposfatigucjofFreE-
leur un aliment toujours nouveau; attachez-les
à la république par une espérance Taisonnable
4e rçysiir , afin qu'elles n'cnfantenl pas des
n,o,i7P(ibvGt)t>*^le
124 ^ ^ GOUVEKNEMENT
projets pernicieux. Qu'on désire d'avoir plu-
sieurs fois ia même dignité , et des - lors îi se
formera de grands magisttats. En exerçant une
première magistrature, on songera à mcFÏrer
une seconde fois les suffrages de la nation; et
l'activité inquiète des esprits qiy pourroicnt
nuire à la république , tournera toute à son
pro&t en développant les talens. la loi sera
-très-sage qui accordera des distinctions assez
considérables aux ipinistres et aux conseillers
de leurs' conseils , pour que les sénateurs
. souhaitent fortement de parvenir à ces hon-
neurs , et commencent à travailler de toutes
leurs forces à s'en rendre dignes. Il me semble
quc'dès qu'un grand nom ou de grandes richcs-
ECt ne tiendront plus lien de tout, la Pologne
doit prendre une face nouvelle : le mérite ne
sera plus condamné à languir dans l'obscurité ;
une sortede paresse qu'on reproche aux Polonais
disparpîtra; les esprits s'éclaireront; et la ré-
publique, en voyant à sa tête tous les hommes
distingués qu'elle ne connoît pas aujourd'hui,
se fera enfin des principescertains ctfixesrela-
tiverrient à chaque partie de l'administration.
J'assigne un terme très-court aux magistra-
tures , pour ménager l'impatience des ambitieux
qui tes désirent, et empêcher que leurs cabales
et leurs intrigues ne troublent l'ctal. D'ailleurs
no,-7«jhyGt)t>*^le
DE POLOGNE. lîS
les magistrats ne doivent avoir le temps ni de
s'accoutumer à l'autorité dont ils sout revêtus ,-
ni de former des projets ambitieux, soit au-
dedans, soit au-dchors, ni de se lasser de
leurs fonctionSp II esc dif&cile aux personnes
qui se sentent une certaine fierté , ou ""qui ont
des talcns supérieurs , d'exercer un grand
pouvoir sans désirer de le conserver : le bien
de la république exige donc que vous ne leuc
laissiez aucun mo]fen de réussir ; et dès-lors
leur ambition se soumettra aux règles , et se
nourrira des espérances que vous aurez fait
naître.
Observez , je vous prie , qu'il est difficile de
sacrifier toute sa vit au bien public. Il n'y a
que de grandes amcs (et elles sont rares aujour-
d'hui, même dans les nations les plus libres) ,
qui soient capables de cet effort; mais on peut,
sans être un héros , lui donner quatre ans de
sa vie , et pendant ce temps si borné ne se
point reîâcher de ses devoirs. Permettez -moi
de le répéter, cet ordre ne scroic pas plutôt-
établi, que la paresse et l'ignorance dispa-
roîtroicnt. Les talens se dévclopperoient et
les vertus se multiplieroient, parce qu'on sera
sans cesse aiguillonné par une ambition honnête
et généreuse. Dans quelque degré d'élévation
qu'on se trouve, il restera toujouis un honneur
hyGt)t>'^ie
iaS Du GOUVERNEMENT
plus élevé auquel on aspirera. Les simples
sénateurs souhaiteront d'obtenir une place de
conscîHcr dans les conseils. Ces conseillera
s'appliqueront à se rendre dignes du ministère.
Les ministres s'acquitteront de leurs devoirs
de manière à méiiier d'être encore élevés aux
mêmes honneurs. Je vois par-tout les fruits
hcureuK de Icmulalion. Il ^udra nécessaire'
ment que les ministres prennent l'esprit de la
nation, au lieu de lui donner le leur. Ainsi le
même esprit et le même caractère se perpétue-
ront. Je vois naître le respect pour les lois , ei
le gouvernement acquerra en peu d'années la
confiance des citoyens.
Quaild j'ai eu l'honneur , monsicdr le
Comte , de vous exposer quclqnes-unes de
ces idées dans nos entretiens ; je me rappelle
que vous m'avci dit que vous aviez parmi vous
des gentilshommes distingués par leur nais-*
sancc , leurs charges et leur fortune , qui, à
la faveur de votre anarchie j s'éiant empares
de toute l'autorité dans leur palatinat et leur
Diétine , disposent des places de nonces, et
s'opposeront à tout projet de réforme , si
on ne les gagne par quelque distinction qui
étende leurs espérances et leurs vues. Il vous
a paru qu'en ouvrant aux nonces l'entrée des
conseils dont je viens de parler , les réfor-
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
b Ê r 6 L 6 G *i É. la)
inateura seroient sûrs des suffrages' de toute
cette noblesse. Le seul inconvénient que j'y
voie , c'est que , pour lui plaire , vous ne vous
exposiez à choquer les préjugés et l'orgueil
des sénateurs , qui me piroissent beaucoup
plus à craindfe. Ce n'est qu'un doute que
je vous propose i et 11 n'appartient qu'aux per-
sonnes qui , comme vous et les chefs de I&
Confédération de Bar , connoissent parfaite-
ment les mœurs , le génie et les affaires de
Votre république, et tous les détails de l'ad-
ministration dans vos provinces , de peser
les avantages et les désavantages de cet éta-
blissement.
.. Si vos ndnces , cOmifie les députés ail par'-
Icment d'Angleterre , jouissoient d'urlc pré-
. rogative qui dût dufer pendant plusieurs-années
ou Diètes consécutives , il ne faudroit en-
aucune façon souffrir qu'ils entrassent dan»
les conseils des ministres en qualité de con-
adllcrs. En effet, il seroit très-dangereux que
des hommes qui ont part à la puissance légis-
lative , eussent encore line influence principale
dans les opérations de la puissance exécutrice.
Ce seroit confondre deux autorités qu'il im-
porte de tenir séparées , si on veut qu'après
$'ctre embarrassées, elles ne se détruisent mu-i
taelLement. l.esr divisions qui eu nattroient
D,o,l7PCihyGt.)t)^le
IsS DU eoUVEKNEMENT
néccssairtment dans vos conseils , et qui de là
se répaiidroienl dans toute la Pologne , vous
ramèncroiem peut-être -à cette anarchie que
vous voulez détr.nirc , et dont les idées ne
l'eHaccrout .que lentement dans les e&piiti.
. Tantôt le sénat se scrviroît des nonces agrégés
a son ordre , pour ditiei ou gcner les opé-
. xations de la Diète. Tantôt les nonces you-
droient dominer impérieusement dans les dc-
Jibérations du sénat , parce qu'ils se sentir
roient appuyés de toute* les forces et de
tout le crédit de leur ordre. Ainsi ^ au lieu
d'avoir une république vraiment libre et fon-
dée sur des principes certain» , votre poli-
tique fiotteroit encore au gré de vqs passions,
vous n'auriez qu'un gouvernement rague .
qui', penchant tour-à-tour vers l'aristocratie
ou la. démocratie , ne prendroit aucun,.çarac-
tère décidé.
Puisqu'à chaque tenue de la l?iètc géné-
rale , vos Diétines sont une nouvelle élection
de nonces , nn usage qui est très-pernicieux
en Angleterre ne vous exposeroit , selon les
apparences , à aucun danger. Mais on peac
demander si les nonces qui auront été agrégés^
au sénat , doivent y être incorporés pour tou-
jours ; ou s'il importe , quand le temps de
leur magistrature sera expiré , qu'ils rentrent
daoi
n,o,i7PcihyGt)t)*^le
DE T O L O -C H t. .H9
dans l'ordre dont ib sont sortis,, Je lat dé-
clarcrois pour le dcTniet parti. Le sénat , com-
j»osé de tous les évêqucs , de tous les pala-
tins et de tous les castellatis , n'est déjà que
trop nombreux. En y agrégeant encore les
gentilshommes à qui leur mérite aviroit ou-
vert l'entrée des conseils , il arriveroit que
les personnes les plus distinguées par leurs
talens et leur réputation , passeroient de la
dasse de la puissance législative dans celle
<le la puissance exécutrice. Lel première , qui
est la plus importante , se trouveroit privée
des citoyens les plus capables de l'éclairer et
de la guider , et s'afibibliroit de jour en jour.
L'autre , au contraire , dont il faut continuelle-
ment se défier , augmenieroît trop son crédit
et sa considération , pour obéir modestement
aux lois, et se contenter dudrottde les faire ob-
server pat les citoyens.
Chaque conseil doit avoir ses re^sttcs par-
ticuliers , où seront portées toutes ses déli-
bérations ; et rien n'eat plus utile pour per-
pétuer dans la république le même "esprit ,
les mêmes principes et les mêmeG maximes^
On recourra à cette espèce d'oracle dans des
circonstances difficile» , ou quand il s'agira
de délibérer sur des affnircs à-peu-près pa-
reilles^ Ces conseils différens se réuniront
Mably. Tomt VlJf. I
l3o D.U GOUVEUKEMEKT
rcguliêremeTit tous les dix jours pour coii-
férer ensemble , ou plus souven: , si les alTaiies
l'exigent, ou que le toi le demande. C'cs^t
ce conseil composé des quatre dcpancmcns ,
qui doit être l'amc de la puissance exécutrice,
et qu'on appellera proprement lesénat. Aucun
conseil ou comité particulier n'aura droit de
faire un règlement ni donner un, ordre , sans
l'avoir porté au sénat pour y être examiné;
et tout y sera décidé à la pluralité des voix.
Cette méthode est nécessaire 'pour faire res-
pecter davantage la puissance exécutrice, et.
entretenir entre toutes ses parties l'harmonie
et l'unité , sans lesquelles vous serez exposes
à des contradictions déshonorantes, et qui
détruiroient la confiance des citoyens. Le loi
présidera à toutes les assemblées du sénat ,
et tous les sénateurs qui se trouveront à Var-
sovie y seront appelles , ou plutôt auront droit
d'y prendre place. Deux mois avant l'ouver-
ture des Diétines , les conseils commenceront
à dresser les mémoires qu'ils présenteront à
la Diète générale. On y rendra compte de la
situation présente de la république, des succès
qu'auront eu les ëtablissemcns nouveaux , des
abus qui se seront glissés dans quelque partie
de l'administration , et des- moyens qu'on
' croiratpropresàperfecliounerqndquc branche
Do,T«jhy Google
n, E POLOGNE. litl
du gouvernement. Ces differcns mémoires
ii'écant que l'ouvrage pariiculicr de chaque
conseil ,■ et ne contenant que des instructions
soumises aux lumières et à l'autoiitê de la
Diète , il scroit inutile et peut-être dangereux
qu'ils fussent communiqués au sénat. La puis-
sance législative les examinera avec moins
de prévention et de partialité ; et si elle les
icjette sans en faire usage , elle ne choquera
pas la vanité ou la délicatesse du corps entier
de la magistratuie. Le roi et les conseils con-
voqueront tous les sénateurs avant l'ouverture
de la Diète ; et s'ils n'ont pas des excuses
légitimes d'absence", ils seroin obligés de se
trouver au scnat pendant tout le temps que
les nonces seront assemblés. A l'cgard des
convocations extraordinaires du sénat , elles
dépendront de la nature des affaires de la.
république , de même que la convocation dés
Diètes extraordinaires.
Les sénateurs évcques rendront un assez
grand service à la patrie , si au lieu de scan-
daliser la capitale , d'y intriguer et de ne se
mêler que du temporel, ils aiment à résider
dans leurs diocèses , et s'appliquent princi-
palement à y faire respecter la religion , et
détruire les superstitions grossièics qui la
déshonorent. On dit qu'à cet égard vous avez
I2
n,o,i7P(ibvGt)t>*^le
iSs DU GOUVEnNEMENT
besoin d'une grande Téforiue ; mais il seroit
dangereux de la tcatet , si les ecclésiastiques
n'en sentent pas eux-mêmes la nécessicc. Et
comment connoîtront-ils cette nécessité , tant
'que plongés dans une ignorance profonde de
leurs devoirs , ils trouveront si commode et
si doux d'être riches et puîssans aux dépens
des vices des laïques ? Quand les Polonais
conservoient encore les mccurs àzs Sarmates ,
les palatins et les castetlans avoient une dignité
utile à la république , aujourd'hui ce n'est plus
qu'un titre d'ostentation ; et ils sont encore
moins instruits des affaires de leur palatiuat
ou de leur castcllanie , que les évêques de
celles de leur diocèse. Il y a Heu d'espérer
qu'étant nommés par la nation , ils prendront
un nouveau caractère , sur-tout s: on a soin
de leur attribuer , sous le nom de droit et
de prérogative , des fonctions qui soient utiles
à la république : mais ce changement heureux ,
tant la force de l'habitude est puissante ! ne
s'opérera que sous les successeurs des palatins
et des castellans actuels.
Ne scroit-il pas à propos de régler l'âge au-
quel on pOurroit être recommandé au roi pour
un palatinat et une casteltanie ? Vos grands sei-
gneurs , monsieur le Comte , sont , dit-on ,
moins jaloux de leur liberté que de leur dcs-
n,o,i7PcihyGt.)t>*^le
DE PGLCTCHE. t53
potisme. Si par malheur ceux qui composenC
aujourd'hui le sénat , pleins des préjugés bi-
zarres de votre gouvernement actuel, pcri-
soient que leur dignité est dégradée par' le$-
conscils dont je viens de parler, par quels
moyens pourriez-vous les engager àconsettttr à
cctéiablissemeni? Voudiont-ils ne se regarder
dans Icursprovincesetlcurs districts que comme
les ministres et les organes de la puissance
exécutrice , dont ils sont menibres ? Les y
contraindre par la loi , et en faire un devoir
rigoureux , ce seroit rendre toute réforme im-
praticable. Espérer d*y réussir par les voies
douces de l'insinuation , ce seroit faire trop
d'honneur à la raison , qui aime mieux
obéir nonchalamment a»x passions , que le*
gouverner. Les réflexions que je prends la
liberté de vous présenter sont désolantes ; mais
il faut les faire , et se dire en (tiême-tcmps
que la sagesse , le courage et la patience
viennent à bout de tout par de sages tem-
péramens , et peuvent produire des miracles.
La loi doit se garder de rien ordonner aux
palatins et aux casteUai^ ; elle doit les inviter
simplement à faire observer les lois dans
l'étendue de leur ressort , et à instruire le
sénat de tout ce qui s'y passe. Qu'on flatte
U vaaîitc des palatins en leur attribuant une
1 a
'1S4 DU GOUVERNEMENT
înapcciion géni-rale sur les officiers du pala-
tin at , pour empêcher qu ils ne s'écartent des
règles de la justice. Accordez-leur une auto-
rité considérable dans les Diéiïncs ; elle ser-
vira à y établir une police plus exacte , et
à lier plus éttoilemenc les provinces , la
Dicte généTale et le sénat, A mesure que
le gouvernement se perfectionnera, on pourra
régler avec plus d'exactitude le pouvoir des
palatins , et 1 étendre ou le restreindre selon
les' besoins de la république. Les castellans
veillent sur la partie militaire , ils com-
mandent à la guerre la noblesse de leur dis- ,
trict , et dans cette partie si prodigieusement
négligée par les Polonais , combien ne peu-
vent-ils pas rendre de services à Peta;? Quel
bonheur , si l'on pouvoit parvenir à établir
une discipline sage et capable de mettre a
profit 'ce courage national dont vos Confé-
dérations sont la preuve ! Il faut donc, si
je ne me trompe, accorder aux castellans tout
le pouvoir dont ils ont besoin pour faire des
soldats ; mais ménager en même-temps l'or-
gueil et 1 indocilité d'une noblesse que les
réformateurs n'offenseroient pas impunément.
Il ne m'appartient pas de dire avec quelle
prudence il faut manier et arranger ces dif-
férentes autorités ; j'ignore cent détails de
Dpi ..ci hy Google
D E....- P;0 L O C N E. l35 .,
VOS jnccurs , de vos préjuges et de vos cou-
tumes , qui me seroient nécessaires pour ne
me pas tromper; d'ailleurs , il faudra consulter
les circonstances dans lesquelles la révolu-
lion se fera : peut-être permettront-elles de se
livrer à des espérances qui aujourd'hui patoî-
iroicnt chimériques.
J'ai eu l'honneur , monsieur le Comte , de
vous exposer plusieurs des raisons qui m'ont
engagé à demander aux Confédérés de Bar
rétablissement des conseils ministériels ; mais
. il s'en faut bien que j'aie tout dit : permettez-
moi encore quelques réflexions sur ce sujet.
Je prie vos collègues d'observer que , si tout
le sénat en corps traite les affaires sans avoir
des conseils ou des comités qui les préparent,
et aient un intérêt particulier à chercher et à
montrer, la vérité, rien ne sera approfondi.
L'ancien esprit qui a perdu la république
subsistera tout entier. Les sénateurs , sans
émulation et sans lumières , continuant à servir
l'état avec la même négligence qu'on leur
reproche aujourd'hui, le sacrifieront à leurs
intérêts paiticulicrs. La Pologne n'aura aucun
principe fixe , et des résolutions prises au
hasard ou relativement à des conjonctures mo-
biles et a des événcmens passagers , se con-
trarieront souvent , et ne feront pas, respecter
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
l35 DU ffOQTERlfcEKfEIït
le sénat. Dès que la puissance exécutrirt
sera méprisée , n'espérc2; point que la puis-
sance Icgislartîve ne tombe pas cUe-nême dans-
]e plus grand mépris. £.es conseils que je:
propose r et .dont ramovitc se balançcrn, cm-
pêcbe[<)ntquequelq;ues sénateurs neprennent.
«ne aorte d'ascendant , et ne portent toute
VadmiRietFatieKi àxr côté qui leur seroit pcr-
sonnelteracnt te plus avantageux. Qu'arrt-
veroit-il d'un vice que j;c veu« prévenir ?
Çue plueieuFTS partres de l'état seroient sa:-
erîBées à une seuJe ; défaut considérable quK
entraîne nécessairement une foule d'^abus , et
finit même toujours par ruVnci" la branche
du gouvernement qu'on avoit voulu le plus-
favoriser.
Si le sénat en cerps traite toutes les affaires, ■
H les examines» avec isoins d'attention. H'
■cra pLu» eccupé de son autorité et de son
ambition que de ses ôevoir» : car il est naturel
qu'une assemblée noiD'bTeuse se regarde comn>e
le corpj entict de ta nation ^ et se flatte plu»
aisément de l^mpanité qu'iin conseil composé
seulement de si» eu sepE personnes. J'ai tou-
jours remarqué qae dans les- Fépubiiquts oh le*
magistrats s'ont pafi été séparés en diEfcrcntes-
classes , et charges de veiller en parriculicr
aux diSérens besoins de la société ^ ils ont
n,o,i7PcihyGt)t)^le
DE POLOGNE. , tSj
toujours fini par former une sorte de conju-
lacion contre la puissance législative. Ils ont
profité des abus et des désordres qu'ils avoient
fait naître , pour la rendre odieuse et mépri-
sable , et ils ont élevé leur pouvoir sur ses
ruines. N'en soyea pas surpris , la puissance
exécutrice a un prodigieux avantage sur la puis*
sance législative. L'une est toujours présente; -
elle agit toujours , elle est entourée de cette
appareil de dignité qui imprime le respect et
la crainte ; l'autre disparmt en quelque sorte
et est oubliée quand les assemblées de la
nation se séparent. Alors les légistetcurs se
trouvent confondus dans l'ordre des simples
citoyens , tandis que les magistrats pa-
loissent en quelque sorte leurs maîtres. Les
difFérens conseils ou comités que je propose
se balanceront récîprcvquemeot et se tiendront
en. équilibre. £b attendant la censure de la
Dièie , les magistraK craindront celle de leurs'
collègues. J'cspè[c cnGn que toutes les par-
lies du gouvernement se perfectionnant à la
fois , la Pologne sera btent&t en état de
satisfaire tous ses besoins , et sera aussi Ho-
«issante - qu'elle a été jusqu'à présent mal-
keuTCuse.
Dpi ..ci hy Google
140 DU GOUVERNEMENT
Je réponds , monsieur le Comre , que je
ne conteste aux sénateurs aucun de leurs-
droits ni aucune de leurs prétentions; etje-
Ics prie de faire attention que bien loin d'avilir
leur dignité par l'établissement de mes conseils,
je leur rends au contraire leur premier lustre ;,
car ce n'est poiut une vaine prétention , mais
uu droit et un pouvoir réel , qui font la
\raic grandeur d'une dignité el d'un emploi.
Dans l'état actuel des cboses , le sénat n'est
rien , el je lui restitue l'exercice de l'autorité-
dont il a été dépouillé par le rot et les ministres.
Si je proposois aux sénateurs de devenir les
conseillers des ministres , sans toucher aux pré-
rogatives du ministère , ib auraient peut-être
raison d'être révoltés comre une politique qui
mcnageroit si peu leur délicatesse , et qui
scToit si contraire aux règles sublimes de l'éti-
quette et de la prééminence des rangs. Mais-
je les prie d'apercevoir que par mon arran-
gement , les quatre charges de ministre en
Pologne et eo Uthuanie , sont en effet sup-
primées ; et que les fonction» , le crédit el
l'autorité qui leur sont aujourd'hui attribués
par un abus et un usage invétérés, sont trans-
portés au sénat.
Les sénateurs . qui voient augmenter le»
prérogatives de leur ordre., n'oai donc récllt-
Dpl ..ci hy Google
ni ï> o i. o c N E. 141
ment aucune raison de se plaindre. Pourquoi
s'opposeroieni-ils à rcxécuiîon d'un projet qui
remet entre leurs mains un pouvoir dont ils
sont dépouillés depuis lon^-temps ? Si tel est
Tempire des mots sur notre imagination , qu'on
soit choqué que des conseils composés d'cvê-
ques , de palatins et de castellans , soient prc-
sidés par des gentilshommes qui poiteroicnt
les noms de ministres , ou de grand général , de
grand -maréchal , de grand-chancelier et de
grand - trésorier , rien n'est plus aisé que de
■donner d'autres dénominations aux nouveaux
présidens des quatre conseils. Ce ne seront plus
-des ministres : on les apelleia le sénateur prési-
dcntdu conseil de la guerre , le sénateur prési-
dent du conseil de la police , le sénateur pré-
sident du conseil de la justice , le sénateur
président du conseil des finances. Dès que
ces places de présidcng des conseils ne pour-
ront être, remplies que pat des sénateurs ,
que chacun d'eux aura droit d'y aspirer et
l'espérance d'y parvenir , il me semble que
la vanité la plus jalouse des étiquettes ne
peut plus avoir d'alarme ni même de scrupule.
Je ne devine point pourquoi les sénateurs pen-,
seroicnt déchoir et se dégrader, en ajoutant
à leurs litres , aujourd'hui chimériques ; le
droit de gouverner réellement la république
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
] j| I DU C O O V E R N Ê Si E K T
Puiscjut vous mettez une différence entre vos
casteLlans, que les uns sont appelés les grands,
les autres" les petits, rien n'est plus aisé que
de ne les pas confondre , et de ménager en-
core dans cette occasion les délicatesses de
la vanité. Les premiers , si vous le voulez,
auront senls le droit d'entrer dans les conseils ,
■et pour consoler les autres de cette loi mor-
liGante , vous pouvez ordonner qu'ils seront
s°uls présentés au roi , pour remplir les
grandes castellanies qiii vaqueront. Ce règle-
ment sera très-propre à augmenter 1 émula-
lion. Les petits castcUans seront autant de
candidats pour le ministère. On n'y parviendra
qu'après de longues épreuves . et peut-èitc
s'en trouvera-t-on assez bien pour porter un
jour une loi qui ordonnera de n'entrer au sénat
que par une castellanie subalterne.
Il n'est pas , je crois , plus difficile de ré-
pondre d'une manière satisfaisante au reste
de l'objection que l'on m'a faite. Je conviens
que les charges de ministres ont été données
à vie à ceux qui les possèdent ; et que cette.
lègSe , qui voos est chère , a été une forte bar-
. riêrç contre votre roi , qui se seroit rendu
tout-puissant , s'il eût été le maître dc' retirer
ses bienfaits et de casser les officiers qu'il
avoi: créés; mais dans les arrangemcns nott-
D,o,l..(iby Google
D ï POLOGNE. 143
vcaûx que vous méditez , cette perpétuité des
charges ne vous est plus nécessaire ; et je
ne vois point commenc on ne peut, sans inji-.s-
tice , les redemander aux seigneurs qui en sont
aujourd'hui revêtus.
La puissance législative , qui ne doTt se pro-
poser que le bien public , est toujours la
maîtresse de retirer ses bienfaits , si elle les
a accordés imprudemment, ou si de'nouvcaus ■
besoins et de tiouveUcs circonstances les ont
en quelque sorte dénaturés. Si ielégisiateur s'est
trompé , ou si de nouvelles lumières lui pré-
sentent un plus grand bonheur , quels sont
les citoyens îmbécilles ou méchans , qui prc-
tcndroient qu'il lui est défendu de se corriger
ou de faire -un plus grand bien ? Si de nou-
veux besoins exigent de nouvelles lois , pour-
quoi voulez-vous que le législateur ne puisse
abroger les anciennes , et qu'il respecte supers-
titieusement les abus qu'elles ont fait naître ,
et qui doivent perdre la république , si on les
favorise !* Non , monsieur le Comte , la puis-
sance législative ne coonoîi point de puissance
rivale qui la contraigne et la gêne dans ses
opérations. Toujours libre , elle n^abuse ja-
mais de sa liberté, quand ses résolutions lui
sont dictées par la sagesse et la prudence,,
c'est-à-dire, par le bien et le salut de la rcpu-
Dpi.?d-hy Google
144 ïï" godvernement
bUquc. Elle peut tout , parce que tout lui asl
soumis , et qu'il est de sou essence et de
son devoir de changer et d'annuller ses règle-
mciis , qu'elle n'a portés et dictés qu'avec la
clause nécessaire et toujours sous entendue de
les révoquer ou de les modifier quand un plus
grand bien l'exigera.
La puissance législative ne doit jamais être
arbitraire. Elle devient injuste , non pas quand
elle use de ses Forces pour nous rendre heu-
reux , mais quand elle en abuse pour agir au
hasard et par caprice , et fait le mal sous pré*
texte de faire le bien. M'atheur aux peuples
chez lesquels la puissance législative corrompue
se joue de ses lois , et Veut éublir l'ordre
contre les règles de la nature ; ils sont dans
la décadence ; ils courent à une perte cer-
taine , ai ui»c révolution heureuse ne vient à
leur secours. Ce seroit un abus criant de
.dépouiller aujourd'hui vos ministres , sans
leur reprocher aucun délit, sans leur faire
leur procès dans les formes judîcïairea ,
et seulement pour gratifier à leurs dépens
quatre autres gentilshommes , dont la répu-
blique ne se trouveroit pas mieux. Mais
il n'est question de rien de pareil dans le
plan que je propose. On ne substitue pas des
hommes à des hommes , mais une forme d'ad-
ministration
D,o,l7PCihyGt)t)^le
bE POLOGNE. 1^5
iBÎnîstraiion trés-avantageusc à une consûtu-
tion très-perntcieus£. Si les ministres actuels ne
peuvent sV opposer sans nuire à la patrie , dont
Jcs intérêts doivent leur être plus chersqueics
Xenxs propres , il n'est pas douteux que la puis-
sance législative ne fasse bien de retirer ses
bienfaits , et de porter la loi que je demande.
Qu'on ne croie pas cependant qu'en con-
séquence de ces principes rigides , justes et
incontestables ^ que nous tenons de tous les
grands philosopïies , et de tous les grands
politiques de l'antiquité, je souhaite qu'on
agisse avec dureté. Quand le législateur veut
sincèrement le bien , il se prête à nos fot-
blesscs , ménage nos préjugés , négocie pour
ainsi dire avec nos passions , les flatte pouf
les apprivoiser , et console avec bonté les
malheureux qu'il est obligé de faire. Le temps
dç la réforme doit être , si je puis parler ainsi «
un temps de jubilé et d'indulgence ; la poU--
tique l'ordonne , parce qu'elle veut rendre
agréables ses nouveaux établissemens et les
faire aimer. Tous les anciens délits doivent
être oubliés, les grâces doivent être prodiguées
pour éteindre les ressenijmeng , les rivalités
et les haines. Que les bons citoyens ne son-
gent qu'au bien de la patrie , et une certaine
pudeur retieudrales méchans. Qu'on se réçon-
Mably. Tmi VIII. K
no,-7«jhyGt)t)^le
146 DU G O U V E R N E M 1 NT
cilic , que tous les esprits se rapprocheat
pour établir des lois qui fasse le bonheur
de tous.
Si , par une suite de la monstruease et des-
potique anarchie où vdus êtes plongés de-
puis long-temps , la Diète géaéraiç ne peut
sans danger parler et ordonner avec la ma-
jesté et l'empire qui lui conviennent , et que
les ministres abusent sans honte et sans re-
mords de l'autorité et du crédit de leurs places ,
pour faire des cabales et s'opposer au yceu
de la nation-, les réformateurs , vous , mon-
sieur le Comte , et vos coUégues , vous devez
préférer les voies de l'insinuation à celles de
l'autorité. Montrez d'une manière pathétique à
CCS ministres ingrats et înfidelles ce que la
patrie , déchirée et mise en lambeaux , mais
prèle à se montrer plus brillante et plus heu-
reuse que jamais , attend de Icar pitié cl de
leur générosité. Faites-leur voir quelle gloire
va les récompenser du sacritice qu'on espère
d'eux ; et quau contraire un opprobre éter-
nel les attend , si , par une résistance injuste
aux vœux de la nation , ils en perpétuent
les calamités , et en deviennent en quelque
iOrtc les auteurs, faites-leur sentir que leur
fortune ne sera jamais assurée au milieu des
agitations et d«s désordres de la république.
D,o,l7PCihyGt)t>^le
DE POLOGNE. 147
Si CCS motifs puissaos éloicnt matheareusemcnt
sans effet, car la prudence ordonne de s'at-
tendre à tout , appaycz-vous du crédit des
puissances ainies qui s'intéresseront à votre
sort , et dont vous devez dès aujourd'hui vous
ménager la protection. Enfin , ayez recours ,
dans votre négociation , aux scols moyens
qui sont capables de toucher des hommes
bas , vains et intére&sés. Achetez leur abdi-
cation , ne marchandez point ; pluâ vous serez
généreux , plus vous vous vengerez en les
abandonnant à l'iguorainie publique. Ce ne
sera jamais trop chèrement que vous vous ,
débarrasserez de ces ministres vils qui consi-
dèrent dans leur puissance leurs intérêts, et
noa pai ceux de la patrie.
Miis je m'arrête .trop long-temps sur cette
matière. On me reprochera peut-être de perdre
mon teni'psà combattre des chimères. En effet,
monsieur le Comte , ce .que voi^s m'ave? dît
cent fois des qualités patriotiques de vos mi-
nistres actuels , doit donner les plus, flatteuses
espérances,.
hyGtJO'^IC
148 DU GOUVERNEMENT
CHAPITRE X.
Que la réformateurs doivent d'abord se borner
à établir les lois canstilulives ou fondamentales
de la république.
V-J'est , je croîs , monsîenr le Comte , aux
arrangemens dont je viens d'avoir l'honneur
de vous entretenir dans les chapitres précé-
dens , que le zèle des réformateurs doit se
borner , quand la paix vous permettra enfin
de donner une forme nouvelle à votre gou-
vernement. Je ne suis point au fait de tous
les vices qui désolent votre malheureuse pa<
trie ; je sais en gros que rimpnnitc doit les
avoir prodigieusement multipliés. Les lois par-
ticulières qui règlent le sort et l'état de la
noblesse et de ses sujets , doivent être sou-
vent obscures et équivoques ; c'est leur
moindre défaut. Souvent , peu d'accord eiitr^
elles , elles doivent se contrarier ; elles sont
injustes et barbares , et leur injuste barbarie
étouffe dans vos sujets, l'industrie qui dcvroit
les rendre heureux , et qui , en augmentant
votre fortune domestique , aagmenteroit celte
de la république.
D,o,l..cihyGt)OJ^IC
DE POLOGNE. l^g
Soas un gouvernement qui réunit à la fois
ïous les inconvéniens du dcspoûsmeetde l'anar-
chie , vous n'avez peint de classe d'hommes
qui n'ait les plus graves et les plus justes
motifs de se plaindre de voslois ou de vos
coutumes. Tous les gentilshommes s'appel-
lent frères ; et cependant , à quelle humiliation
n'est pas condamnée cette noblesse indigente
qui sert les grands , «t qui s'en venge- sûr leurs
serfs et leurs juifs ? Si on entroit dans l'exa-
men des différentes branches de votre admi-
nistation , quelle étrange confusion , pour me
servir du terme le plus doux , n'y remarque-
roit-on pas ! Quel spectacle ne vous présen-
teront pas vos finances ! Puisque vous aimez
les richesses autant que les autres peuples cle
l'Europe, quel ordre avcz-vous établi pour
qucla république eût un revenu proportionné
à ses besoins ? Quelles précautions avez-vons
prises pour que les mains chargées du trésor
public ne fussent pas infidcUes ? Pourquoi
la Pologne dévastée n'a-t-ellc tout au plus que
le tiers des habiians qu'elle, pourroi^ avoir ?
Par quels secrets pourroit-on lui rendre son
ancienne fécondité ? Vous n'avez parmi vous
aucune de ces manufactures qui servent an
luxe et l'encouragent. , et je vous en féli-
citerois , si vok grands seigneurs n'avoient
K. 3
no,-7«jhyGt)t)^le
L
l5 DU COUVEBNEMENT
pour la magniEccnce et le faste un goiât qui
ne peut s'allier avec des mccurs républicaines ,
et qui les rend pauvres , quoiqu'ils possèdent
toutes les richesses de la république. Dans
quel état sont les arts les plus grossiers et les
plus nécessaires aux hommes? La Pologne,
dit-on , maiiqueroit de tout, si les juifs , qui
se sont rendus vos maîtres par leurs usures
et leur industrie , ne pourvoyoient pas à tous
vos besoins. On ajoute que vos ecclésiastiques
ne connoissent ni la religion ni la morale ; et
cest-là certainement une grande plaie pour
l'état. Pourquoi le foible ne pcut-il jamais
obtenir justice contre le puissant ? On re-
proche plusieurs vices à vos tribunaux , et
c'est sans douté parce que lenr constitution
est défectueuse , et qu'ils n'ont pas l'autorité
ou la force nécessaire pour faite exécuter leurs
décrets , que vous avez en quelque sorte con-
servé parmi vous l'usage des guerres privées,
qui ont autrefois désolé l'Europe , et qui
supposent un gouvernement sans principes ou
sans force.- Vous voyez dans quel état déplo-
rable sont vos troupes : vous n'avez aucune
discipline ; vous devez être tous soldats , et
personne ne l'est parmi vous. Pourquoi expo-
ser , par votre foiblesse , vos voisins à des
tentations dangereuses ? Ne craignez- vous
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
DE POLOGNE. l5t
poiiil qu'ils n'abusent un jour de la facilîié
de vous conquérir ? Tandis 'qu'ils ont formé
chez eux, une science militaire et des armées
régulières , par quelle fatalité n'avcz-vous point
tenté de les imiter? Pourquoi avez-vous dé-
daigné ou négligé de veiller à votre conser-
vation , en vous faisant respecter au-deliors
par vos qualités et vos talens militaires?
Voilà, monsieur le Comte ; des objets bien
dignes de Tattention d'un législateur, et des
citoyens qui désirent avec passion le bon-
heur de leur patrie. Cependant , je serois
fâché que les Confédérés, consultant un zèle
trop vif et prématuré pour le bien public , se
hâtassent de vouloir tout changer ec tout ré-
former. Il est digne de leur sagesse de fermer
les yeux sur beaucoup de choses , et de s'en
tenir d"abord à établir avec solidité les prin-
cipesd'un gouvernement d'où doit naître l'a-
raourdu bien , de la régie et de l'ordre. La Po-
logne est un corps couvert de plaies , mais n'en
soyez point effrayé: après avoir purifié et renou-
velle la masse du sang, il faut espérer que
CCS plaies se fermeront pour ainsi dire d'elles- ■
mêmes. Je craindroîs que les réformateurs ,
en voulant embrasser trop d'objets à la fois ,
ne multipliassent les difficultés qui ne sont
déjà que trop nombreuses , et ne succcia-
K4
iSa DU COUVIRNEMENT
basscnt enfin sous le poids de leur entre-
prise. C'est au temps à mûrir les événemens ;
et la politique, après avoir jeté le germe du
bien , doit attendre avec patience et avec tous
les soins que demande le bien public , que
les événemens le développent et le fassent
fructifier.
Je ne sais point l'admirateur de ces polî^
tiques étourdis et présomptueux , qui , san;i
eonnoîtrc les hommes , prétendent les gou-
verner. Jls ignorent que nous avons des pas-
sions et des habitudes qui sont plus fortes
que tous leurs raisonnemcns et tout leur pou-
voir. It MUS choquent par les changemcns
brusques èi subits auxquels nous ne sommes
pas préparés , et nous les aurions désirés ,
nous les aurions demandés, si on nous ctit
laissé le temps de nous familiariser avec l'ordre
et le bien. Veut-on nous corriger sans ména-
gement ? nous commençons par haïr le réfor-
mateur ; et cette haine , qui nous attache plus
- fortement à nos opinions et à nos habitudes,
triomphe enfin du législateur mal-adroit, et
qui s'aperçoit trop tard que ses bonnes inten-
tions n'oMt servi qu'à le couvrir de ridicule
et à nous rendre incorrigibles. Je crois avoir
Tçmarqué dans l'histoire , que les états qiti
(c sont formés et perfectionnes avec Ic-ntcui; »•
no,-7«jhyGt)t>»^le
DE POLOGNE. l53
ont acquis plus de consistance. Alors chaque
établissement nouveau trouve les esprits- pré-
parés à le recevoir , et les dispose à adopter
d'autres nouvcautcÉ qui , se mêlant et ée
confondant avec les anciennes coutumes ,
forment un corps dont les différentes parties'
ne sont plus en contradiction. Je n'cxcpte
de cette règle générale que l'ancienne Sparte ;
mais Sparte avoit un Lycurguc pour la con-
duire : et qui peut se flatter d'avoir un pareil lé-
gislateur ? Mais Sparte n'étoit qu'une ville où
trente bons citoyens pouvoicnt faire une révo-
lution. IL me semble que de cet exemple on
ne peirt rien conclure pour une république
telle que la Pologne , qui renferme plusieurs
grandes provinces.
Il n'en faut point douter , monsieur le
Comte , l'établissement des lois fondamentales
qui régleront enfin la forme du gouvernement,
agitera avec assc^ de force des esprits accou-
tumés à la licence de l'anarchie et du despo-
tisme, pour qu'on doive craindre daugmenter
la fermentation. Avec quelque prudence ,
quelque sagesse . quelqu'habîleté que vous.
conduisiez votre entreprise , je craindrai qu'elle
n'échoue , si, aux lois fondamentales et cons-
titutives vous voulez joindre des lois parti-
culières , propres à corrigçr chaque vice dç
D.OII.PCihyGpCJ'^IC
l54 BU COUVEBNEMENT
la république. Si on vouloit faire à la fois
tous les réglemens dont vous avez besoin,
ce seroic entreprendre un ouvrage peut-être
au-dessus des forces de l'espiit humain , et
qui seroit ccrtainemenl inutile, l.cs citoyens
les plus raisonnables et les mieux intentionnés
seroient effrayés de tout ce qu'on leur pro-
poseroit, et dans leur découragement ils pren-
droicnc le parti de rester tels qu'ils sont. Il
faut donc leur laisser le tçmps de se recon-
noître , de se calmer, et de s'accoutumer à
une nouvelle situation. Contenteivùus d'abord
de leur montrer le bien , cl de les mettre
sur la voie qui y conduit.
D'ailleurs , faites attention , je vous prie ,
qu'on ne peut attaquer directement les abus
les plus considérables , sans efFarouchcr les
citoyens qui trouveront un avantage.à les con-
jervcr. Cette multitude innombrable se li-
guera, elle conjurera contre la patrie , et
ses efforts réunis empêchcroient sans doute
qu'on ne pût fixer les principes du gouverne-
ment. Combien de législateurs n'ont pu ré-
, parer la faute qu'ils avoient faite de montrer
ou de laisser entrevoir toute l'étendue de*
projets qu'ils méditoient ! L'histoire de France
en otfrc un exemple remarquable. Les états
généraux s'ciant trop pressés , sous le roi
no,-7«jhyGt.)t>*^le
DEPOLOGNE. l55
Jean , de vouloir corriger tous les abus et
forcer les mauvais citoyens à devenir hon-
nêtes gens , se rendirent suspects et odieux,
et par-ià même mnltiplièrcnt les obstacles qui
s'opposent toujours au bien. Tous ces hommes,
permettez-moi cette expression populaire, qui
pèchent en eau trouble , et qui sont perdus
si rétït est bien administré, conjurèrent la
ruine des réformateurs , et leurs intrigues
réussirent. En un mot, il est certain que les
Polonais rejectcroicnt aujourd'hui avec indi-
gnation telle loi que dans dix ou douze ans
ils désireront et recevront avec acclamation ,
si on ménage leurs préjugés , si on. les con-
duit avec celle prudence qui sait tout prépa-
rer et qu'on les encourage à ne pas craindre
et même à chercher la vérité.
Je ne suis point assez téméraire pour vou-
loir prescrire des règles de conduice aux per-
sonnes qui sont à la tête de la Confédération
de Bar ; je connois leur sagesse , et elle inc
donne _le6 plus justes espérances. Mais, vous
ravouerai-je ? je crains dans les gens vcr-
mcox l'amour même et le zèle quils ont pour
le bien ; je crains qu'il ne les porte à des
démarches précipitées. Je vous ennuierai peut-
être , monsieur le Comte , mais je ne puis
m'empècher de dire et de redire que moinu
D,o,l7PCihyGt)t)^le
l5€ DU GOUVERNEMENT
les lois ont de Force dans une république,
plus les réformateurs doivent avoir de cir-
conspection. Dans le moment de la réforme ,
il est absolument nécessaire que. chaque ci-
toyen , pour s'affectionner au gouvernement ,
se trouve plus à son aise ; il faut donc se
garder de vouloir le pousser au bien avec
trop de célérité et de chaleur. Il faut st garder
eur-tout de rien faire qui puisse laisser soup-
çonner qu'on ait intention de revenir sur les
anciennes injustices et de les punir. Qu'on
ne cherche point à tromper et surprendre les
esprits par des finesses et des ruses.
Je sais qu'avec le secours de quelques ex-
pressions oude quelques tours adroits, le légis-
lateor.peut déguiser l'esprit de la loi pour la
faire adopter plus facilement ; mais peut-on
compter sur une loi qui craint de se montrer ?
Un consentement ainsi extorqué ne produiroit
aucun bien. En revenant de leur erreur oa
de leur surprise ; les Polonais haïroient leur
nouvelle loi , mépriseroient leur législateur ,
et rctomberoient dans leur anarchie , avant
que l'habilude et le temps eussent affermi les
fondemcns de votre nouvelle constitution.
Faute de méditer profondément sur l'ori-
gine et les liaisons de nos vices, combien de
fois n'esc-il pas arrivé que des lé^slateurs ont
no,-'7«jhyGt)C5'^le
DE POLOGItE. iSf
fait très-inutUement des lois que dans la suite
on leur auroit demandées avec le plus vif
empressement ! Ils s'en prenoicnt aux branche»
de l'aibic , mais c'étoit sa laciae qu'il falloit
attaquer : car tant qu'elle subsistera , elle
fournira des sucs pour de nouveaux rejetons.
Des lois qui ne produisent aucun bien, pro-
duiront nécessairement un grand mal.parce-
qu' elles accoutumeront les citoyens à mépriser
le gouvernement , ou du moins -à n'avoir
aucune confiance eu lui. En attaquant quel-
que abus particuliers , il me semble que les
réformateurs ne doivent proposer que les rè-
gleracns qui seront reçus sans répugnance par
la plus grande partie de la nation. Qu'ils se
consolent de ne pas faire tout le bien qu'ils
désirent , en pensait qu'il se fera un jour.
Qu'ils ne craignent point que leur réputation
en souffre , et qu'on les accuse d'avoir Isissé
leur ouvrage imparfait ; les gens éclairés dé-
mêleront la sagesse de leur conduite , et leur
rendront justice : c'est leur tuifrage seul qu'il
faut mériter et qui peut flatter.
Il ne suffit pas de ménager avec douceur
les préjugée les plus chers à la noblesse Polo-
naise ; il faut encore éviter de vous rendre
suspects aux puissances étrangères , qui sans
doute, ainsi que je l'ai dit dans un chapitra
]58 DU C O U V E It N E M E >J T
précédent , feront attention aux chahgemens
que vous ferez. Par exemple , si elles voient
que vous voulez mettre vos milices sur un
certain pied, et vous rcodrc redoutables ivos
voisins, ne doutez point que celles qui aiment
votre foiblcssc , ne s'opposent de toutes leurs
forces à vos projets. Elles feront des menaces ,
noueront des intrigues avec quelques-uns de
vos plus grands seigneurs , qui ne résisteront
point au plaisir d'être recherches par des têtes
couronnées. Ces puissances achèteront des
amis et des partisans par leur libéralité , et
n'oublieront rien , en un mot, pour former
dans l'intérieur de la république des partis et
des factions qui rendroient inutiles tous les
soins des Confédérés. Je crains- que vos alliés
naturels .c'est-à-dire, les puissances qui sont
intéressées à voir augmenter vos forces mili-
taires , et qui voudroicnt déjà les employer
à leur service , ne veuillent vous inspirer à
cet égaid une diligence pvécipitée. Il faut se
garder de se rendre à leurs séduisantes in-
vitations. Représentez-leur que vous avez dc4
voisins qui vous condamnent à une extrême
circonspection^ Ajouteique vous devez d'abord
vous occuper pins de vous-même que des
étrangers; qu'il est prudent d'établir son bon-
heur domestique avant de eongei aux en*
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
DE P O L O G N 1. l5g.
nerais qui peuvent vouloir le troubler ; et
que vous, ne différez la réforme de toute la
partie militaire que pour la faire dans la suite
avec plus de succès.
Ou n'cnireroil pas dans ma pensée , si on
croyoit ^ue je conseille la pusillanîmiié et la
mollesse , quand je dis qu'on ne doit publier
qu'avec mie prudente lenteur les lois qu'il
faut opposer aux abus dont la Pologne est
désoiéc. Je sens à merveille que si on les
tolère , ils parviendront peu à peu , et par
des efforts redoubles , (car les pasâions ne
se lassent point J à ruiner l'ouvrage des ré-
formateurs , c'est-à-dire , à corrompre la puis-
sance législative et les magistrats chargés du
soin de faire exécuter les lois. Je sais
que de moindres vices ont conduit à leur
ruine des républiques infiniment plus sages
que ne le sera jamais la Pologne. Mais,
ces considérations , qui me présentent un
.avenir incertain , ne sont pas capables de me
faire renoncer. aux principes ae prudence c";
de lenteur que je viens d'établir. Il est vrai
qu'avec les ménagcmens que je demande , les
Polonais , encore attachés à plusieurs de leurs
TÎccs , .resteront exposés à retomber dans
l'abîme d'où on les aura retirés. Mais n'est- '1
pas évident, monsieur le Comte, que sios
D,o,l7PCihyGt)C>'^le
iGo DU GOUVERNE M ENt
CCS mêmes ménagemens vous ne pourrez pas
même commencer à les mettre sur la route
qui peut seule les conduire au bonheur ? il
vous est aisé de juger ce qu'une saine poli^
tique vous ordonne dans ces circonstances.
La crainte de ne pouvoir point atteindre subi-
tement au bien que vous désirez , doit-elle
vous empêcher d'en jeter les fondemens ? '
Apiès avoir préparé une république floris-
sance par l'établissement de la puissance légis-
lative et de la puissance exécutrice, il s'en
faut bien que je condamne les Confédérés à
une honteuse e( indiscrète inaction. Au lieu
de publier des lois , ils doivent apprendre k
la nation quels sont les réglemeiis qu'elle doit
désirer j qu'elle doit demander, qu'elle doit
. faire. Je voudrais qu'étant l'aine invisible de
toutes les pensées ei de tous les mouvemens
de la république , ils parussent ne point agir ,
tandis que par leur ordre ou par leur inspira*-
tion , les bons citoyens de chaque palatinat et
les conseils ministériels du sénat demanderoient
à la Diète législative les lois particulières dont
la république a besoin. La réforme se fcroil
alors sans précipitation ,ct les esprits scroient
d'autant plus disposés d'obéir aux lois , qu'elles
nC paroîtroient accordées qu'aux prièies des
citoyen). On dit ordinai^'ement qu'un abîme
appelle
DE POLOGNE. iGl
appelle une abîme : ii'est-il pas également
vrai que la réforme d'un abus invite à en
jiroscrirc un autre ? Les esprits éclairés par
l'expérience du bien, doivent être plus em-
pressés à le chercher.
Pourquoi n'indiqucrolt-on pas dans l'édit
même qui établiroit la forme du gouverne-
ment , les nouvelles lois dont la Pologne a
besoin ? 11 me semble qu'avec un peu d'aïc
on peut tracer à la nation la route qu'elle
doit tenir pour arriver au bonheur. En se
contentant de présenter ainïi les objets les
plus intéressans pour la société, on instruiia
la noblesse , pn l'éclaircra sans la révolter.
Peut-être même , monsieur le Comte, que la
publication de ce mém&ire , que les Confé-
dérés m'ont fait l'honueur de me demander,
ne seroit pas entièrement inutile : mais je
voudrois principalement , qu'exposant dans
un ouvrage particulier les motifs qui ont réglé
tous les pas et toutes les démarches de la
Confédération , vous rendissiez en quelque
sorte immortel dans votre patrie l'esprit qui
l'a inspirée. C'est alors que je ne craindrois
plus que ce reste delevain pour lequel j'ai de-
mandé grâce, fermentât dans la république ,
et la fît retomber dans ses premiers malheurs.
Je souhaite que vous approuviez les réflexions
Mably. Tome VIII. L
D,0,l7PCihyGt)t5'^IC
l6l DU GOUVERNEMENT
que vous venez de lire -; mais si je me suis
trompé , je souhaite que vous combattiez mes
erreurs , et que les Confédérés se conduisent
par d'autres principes :car personne ne désire
plus vivemeut que moi lé bonheur de votre
patrie.
Je vais joindre ici quelques remarques sur
chaque branche de l'administration, et exa-
miner plus particulièrement ce qu'on peut faite
dans le moment de la révolution , sans blesser
les préjugés des Polonais et les intérêts des
puissances étrangères.
CHAPITRE XI.
Du déparltment du grand-ikanceiiet , ou du
conseil de Justice.^
L^U£LQu'iNjuSTES que nous rendent nos
passions , nous conservons, dans le fond de
notre cœur une soi te de respect pour la justice;
son nom ^suffit quelquefois pour arrêter
et suspendre nos emportemens les plus im-
pétueux. Les brigands eux-mêmes l'invoquent
cntr'eux ; et je n'ai jamais entendu parler que
d'un seul homme qui , au lieu de pallier ses
injustices, fnt assez dépravé et assez impudent
pour en plaisanter cruellement devant les
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
D K P-O L O G N E. l63
personnes qu'il opprimott. On sera toujour)
sûr de plaire auK citoyens, quand on parlera
d'établir enir'eux les règles de la plus exacte
justice.
Dans le préambule de Tédit qui établira
un conseil de justice , il ne scroit peut-cire
pas intiiile de rappeler ces vérités triviales, que
ce n'est que pour avoir des juges dans leurs
différcns, ctn'ètrc pas obligés dcrcpousser une
. injure par la Force , que les hommes se sont
réunis , et ont consenti à rcconnoître une
autorité publique , des juges et dcsg|;ibunaux.
Il sera bon de prouver en peu de mots, quo
la bonne administration de la justice peut
seule entretenir entre les citoyens la paix ,
l'union et la concorde ; que sans son secours
on n'est jamais en sûreté contre la tyrannie
de ses supérieurs, la violence de ses égaux ■
et les artifices de ses inférieurs; et qu'enfin
l'amour des lois et le respect pour le gou-
vernement, c'est-à-dire , la force de la répu-
blique , ne se rencontrent qu'à ta suite d'uB«
justice sagement admirListrée. . '
£n conséquence , il sera ordonné à tous
les juges de se conformer daiis leurs jugeraens
aux règles les plus exactes de la justice, et de
n'être ni plus sévères ni plus indulgens que U '
loi. Après avoir observé qu'il s'est vraisembla-
L 3
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
164 DU GOUVERNEMENT
blement glissé plusieurs abus dans les tribu-
naux, et q»ic les lois civiles doivent avoir
plusieurs vices puisque la république a éprouve
de si grands malheurs , il sera ordonné au
chancelier et à son conseil , de faire un exa-
n;en profond de tout ce qui intéresse l'admi-
nistraiion de la justice, tant civile que crimi-
nelle , et d'exposer leurs remarques dans des
mémoires qui seront remis aux Diètes sui-
vantes, pour qu'elles statuent sur cet objet
important. On promettra d'avance d'annuUer ,
de changjM" . <lc modifier quelques lois an-
ciennes qui ont été l'ouvrage de la force bu"
de l'anarchie . d'éclaircir. celles qui sont obs-
cures ou équivoques , et de publier enfin, le
plutôt qu'il sera possible, celles qu'on croira
nécessaires d'après les demandes ou les repré-
scntF.tions du conseil de justice, et les difFc-
reqtes instructions que les Diéiines donneront
à leurs nonces. Si je ne me trompe , un pareil
préambule d'édit invitera sans doute tous les
Polonais à réfléchir sur leurs lois ; et en dé-
couvrant une foule de vices monstrueux ,
ils désireront avec empressement un nouveau
code.
Cette manière noble et franche de procéder
me paroît infiniment plus avantageuse que •
je ne sais quel usage, dont quelques-uns de
D,o,l7PCihyGt)t)^le
DE P O L O G N t. 10 >
VOS compatriotes m'ont fait Thonncur de me
parler, quand je les ai entretenus de la cir-
conspection avec laquelle les réformateurs
dévoient agir pour ne pas efTarouclicr les es-
prits , et de la nécessité cependant où vous
étiez de préparer des remèdes contre les abus
qui pourroient encore renverser les principes
du nouveau gouvernement. On signe, m'a-
t-on dit, une ordonnance ou règlemerit à porté
close ; on s'engage sous la foi publique et
le sceau du serment, de ne point révéler ce
qu'il contient; on le dépose dans les archives
de la république , et en l'indiquant dans les
codes des lois , on dit seulement : secuudum
scriplum ad arehivum pcrreclum. Voilà, m'ajou-
toit-on, un moyen tout trouvé et très-com-
mode pour faciliter les opérations des réfor-
mateurs , et dérober tonte sorte d'établissement,
non-seulement à la cqnrioissancc des étran-
gers , mais des Polonais itiêmcs , et de cette
manière l'on n'esciteia aucune agitation dan-
gereuse dans les esprits.
Pcrmettcï-moi de le dire, ce procédé téné-
breux et mystérieux ne convient qu'à un lé-
gislateur qui veut établir la tyrannie. Pour
corriger votre gouvcrncraeut , faut-il employer
un moyen qui n'est pas moins vicieux que
Je liberitm vda ? Quoi , des lois secrètes , des
L 3
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
l66 DU GOUVERNEMENT
lois inconnues , des lois qui ne sont pas pu-
bliées à la face du ciel et des hommes ! Dans
les temps malheureux de nos guerres de reli-
gion , nos cours souveraines ont eu des re-
gistres secrets , où l'enregistrement des loii
ctoit dressé avec des clauses toutes différentes
que dans les registres publics. A quoi scrvoit
cette fraude ? A ruiner toute confiance, cl à
perpétuer le fanatisme , les haines et la guerre.
Qu'importe à vos compatriotes d'avoir de»
lois qu'ils ignorent? Loin de pouvoir s'associer
avec la liberté , un pareil usage la détruit néces^
snirement. Avec des lois inconnues , comment
sait-on si on est coupable ou innocent ? Cette
incertitude n'cst-clle pas le comble du malheui
pour nn citoyen; ne doit-elle pas lui rendre
odieux le gouvernement , dont le principal
objet est d'assurer noire repos et notre tran-
quillité en méritant notre confiance?
C'est sans doute un bien que Tuniformîtc
des lois et des coutumes dans une lépubli-
que; mais qnelque grand que soit ce bien ,
il ne faut pas l'acheter trop chèrement. Je
souhaitcrois donc qu'on remarquât dans le
préambule du même édit, que malgré l'avan-
tage qu'on trouYcroit à établir le même droit
et une parfaite uniformité de coutumes dans
toutes lc> terres de la république, les Diètes
no,-7«jhyGt.)t>*^le
DE POLOGNE. 167
doivent cependant être dispogées à laisser sub-
sister quelques dilférenccE dans les lois et les
procédés de quelques palatinaia, quand ce
sera une chose utile pour eux, et qui ne
porter» aucun préjudice aux autres provinces.
Par cette conduite modérée , on préviendra
sans p«ine les esprits en faveur des lois nou-
velles qu'on méditera : on les attendra avec
impatiecce ; et la réforme est à moitié faite
quand on ne la craint pas.
Il ne suffit pas que les lois , dont dépend
la sûreté dés citoyens, soient claires et justes;
il est encore indispensable qu'on puisse en
implorer commodément la protection contre
un citoyen qui ne consulte que sa cupidité
'ou sa vengeance. Pourquoi donc navertiroit-
on pas dans le même édit les Diétines, qu'il
leur sera permis d'établir dans leur ressort une
cour supérieure de justice, où toutes les af-
faires seront jugées définitivement ?Je n'ima-
gine point par quelle raison un pareil procédé
déplairoit à la noblesse polonaise , puisqu'on
n'ordonneroit rien , et qu'on ne fcroit qut
permettre. 11 y a sans doute des hommes in-
j^ustes , qui Craignent des juges et des tribùnaux^ -
trop voisins ; mais personne n'osera avouer
une pareille crainte. L'érection de ces nou-
velles cours de justice , auxquelles il faut ac-
L4
Do,-*cjhyGoogle
103 DU coi; VER NE MENT
corder libéralement tout le pouvoir et toute
la force dont elles ont besoin pour faire exé-
cuter leurs j'igcmens , est peut-être le seul
moyen de se passer des anciennes , qu'on peut
supprimer, mais, si on ne m'a point trompé
■ sur la nature des abus monstrueux qui y
régnent, qu'il est certainement impossible de
réformer. Je ne m'arrctctai pas; monsieur le
Comte , à prouver qu'il faut assigner un terme
aux procès, et puisque l'infaillibilicé n'est pas
le partTige des hommes, borner autam qu'on
pourra les appels , qui font courir inutilement
ies plaideurs de tribunal en tribunal, et je
passe à des objets plus importans. -
S'il étoit possible que les bourgeois des
villes de la couronne, eussent quelque part'
à l'administration de la justice , et devinssent
ainsi membres de la république, dont ils ne
5ont que les malheureux sujets ; s'il étoit pos-
sible d'ôlcr aux seigneurs lajustiicé souveraine
dont ils oppriment les habiîans de lj:urs terres;
s'il ctoic possible d'ériger des tribunaux où les
paysans esclaveSpus.sent réclamerav'cc quelque
silcccs les lois de riiumanité ; ce seroit sans
doute rendre à la Pologne les services les plus,
importans. Mais il n'est pas temps de penser
à de pareils établisscmens; il n'est pas même
permis de laisser paroître qu'on ait de scca-
D,o,l..cihyGtK>gle
DE POLOGNE. 1 G()
Mabics iJôes : ce seroic révolter des préjuges
trop anciens et trop acciédités.
Il seroit trés-?.isé de prouver que les nou-
veautés dont je parle , feroient fleurit les villes
de la couronne , où des étrangers se sont em-
parés de toute l'industrie , et se font des for-
itnies considérables aux dépens de vos grands
îcigheurs , toujours pressés d'avoir de l'ar-
gent , et toujours dupes dans leurs marchés.
Après voue avoir pîUés , ces banquiers vont
jouir ailleurs des fruits de votre paresse et
de leur activité. De nouvelles sangsues se
succèdent , et là république reste toujours
accablée de besoins , au milieu des richesses
que votre sol vous donne, et qu'il vous pro-
digucroit si vous- vouliez le féconder.
Les villes -mêmes des seigneurs offriroieni
bientôt un nouveau spectacle à leurs maîtres.
Cies bourgeois qui ne sont aujourd hui que
de misérables 'arrisrins, occupés de quelques
arts grossîcTS' qu'i-ls pratlqucm très-grossîcrc-
niient', et qui ne diffèrent de vos .serfs que par
la' liberté qu'ils ont de charigcrde demcnrc
et de potter ailleurs tcur-misèie et leur mal-
adresse , ne seroient plus abrutis par cette'
pauvreté €t cette craint* , qui, leiJr étant tout
seniimcnt , ne' leur pcrmettcrit "'jjas d'cspércv
u*i sort un ipcu moins mallleUrcux.
hyGooj^lc
I
170 DU COUVE HHEMENT
Vos campagnes , qui oflFreni par-tout l'image
de la tyrannie, de ta peur et de la dévasta^
lion , preodroient une forme nouvelle. Elles
ne seroicnt plus habitées par des espèces de
brutes , si les lois daignoicnt traiter les paysans
comme des hommes. L'activiié et l'industrie
naîtroient de tous côtés. La Pologne ne lan-
guiroit plus sOus l'empire des juifs, qui sem-
blent porter avec eux le malheur qui les suit.
Si on m'a fait , monsieur le Comte , une rela-
tion fidcllc , ce n'est point la noblesse , ce
sont les juifs , qui sont véritablement les
maîtres de la Pologne. Vous êtes devenus
les tributaires de leur avarice et de leurs usures.
Ils vous ont forcés à ne pouvoir plus vous
passer d'eux. Ils ont habilement profité de la
stupidité grossière où vous avez jeté votre
peuple , pour se rendre nécessaires. Ils abusent
de vos besoins et de votre ignorance pour
. Sr'enrichir à vos dépens. Ils sont vos enne-
mis ; ils vous abandonneroientsi vous n'étiez
pas leurs dupes ; et sans que vqus vous en
doutiez, ils vous punissent cruellement des
injustices fréquentes que vous leur faites
éprouver.
Il seroil ttcs-facile de faire voir de la ma-:
nière la plus évidente , combien la république
flcviendroit en peu de temps puissante .et
Dioil ..ci hy Google
DE FOLOGNE. 17I
heureuse, si elle înLéressoit à son s,orf les
bourgeois , les paysans et ces- juifs dont je
viens de dire tant de mal. On démontreroit
sans peine à la noblesse, qui possède toutes
les terres , qac sa fortune augmenteroit con-
sidérablement' 3.'il étoit permis aux bourgeois
et aux juifs mêmes d'avoir des possessions,
de vastes terrains , aujourd'hui inutiles à leurs
possesseurs, donneroient de nouvelles riches-
ses à la république. La servitudij frappe les
hommes et les terres de stérilité ; et la liberté ,
en multipliant vos habitaps , donncroit un
nouveau prix aux productions de la terre ,
feroit naître les arts dont vous avez besoin ,
et vous fourniroit les forces nécessaires pour
vous défendre contrevos ennemis et vous faire
respecter.
Tout cela est évident ; mais par malheur
il est encore plus évident que la Pologne au-
jourd'hui est trop loin de ces vérités, pour les
comprendre. Je ne parle pas de la grande no-
blesse, elle est assez élevée pour croire qu'il
ne lui importe pas de tenir le peuple dans
la misère , le mépris , l'opprobre et l'oppres-
sion; mais je parle de cette petite noblesse
qui trouve trés<Qmiïiode de piller les bour-
geois, les paysans et les juifs , et se venge -
|SUF eux d< I9 bassesse avec laquelle elle se
no,-7«jhyGt)t)^le
173 DU GOUVE-RNEMENT
prostitue aux pieds des grands. Si le peuple
s'élcvoit un peu , apri^s qu'on auroit rompu
SCS ch:iîiies , elle craindroit de se voir con-
fondue avec lui. Si cette noblesse pouvoit soup-
çonner que les réformateurs eussent à cet égard
des vues coiitraires à ses préjugés , je ne doute
point qu'elle ne se servît de ses forces, aux-
quelles ccriainemcni rien ne pourroit résister ,.
pour conserver au gouvernement tous ses
vices anciens. La prudence ne permet donc
pas de laisser entrevoir , dans le moment de
la réforme, les projets salutaires qu'on dcvroit
former en faveur des bourgeois , des paysans
et des juifs. 11 faut même cacher les vœux
que tout bon citoven doit faire à cet égard,
et attendre que le gouvernement , établi
sur de plus sages principes , ait eu le temps
d.'cc!aircr- les esprits , d'afFoiblir les pré-
jugés, et de faire aimer le bien public, Que
fâudra-t-it faire alors ? Il seroît inutile de
m'éteiidre actuellement sur cette matière. Les
Polonais , instruits par leur expérience , ju-
geront beaucoup mieux que moi de ce que
IcuF pernicttroncles circonstances, et du parti
qu'ils en pounont tirer.
C est avec la même sagesse quîi faut mé-
nager les abus de la jurisdiction ecclésias-
tique. IL scroit téméraire de tenter quelque
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE. 173
thangement à cet égard , avant que d'avoir
dissipé l'Ignorance qui confond !a religion
et la supersticion , et autorise la morale la
plus relâchée. En voyant que la cour de Rome ,
autrefois si redoutée des souverains , dont elle
ébranloit le trône , ne conserve aujourd'hui
.dans les pays catholiques qu'un reste lan-
guissant de jurisdiction qui ne lui donne au-
cvin pouvoir , on seroit porté à croire que
les circonstances sont favorables à la Pologne ,
pour recouvrer à son tour l'indépendance qui
appartient à tonte société , et ne plus souf-
frir que- le, nonce du S. Père eût an tribunal
à Varsovie, et y exerçât une véritable magis-
trature. Mais si les Polonais sont persuadés ,
comme on me l'assure , de l'infaillibilité du
pape , et croient qu'il peut les damner ou
les sauver à son gré; si aux grandes vérités
de l'évangile, vos docteurs en théologie sco-
lastique ont substitué une fouie de pratiques
puériles et minutieuses , la Confédération
doit craindre de se rendre méprisable et
odieuse, en voulant hàccr une réforme que
des théologiens ineptes , et le peuple qu'ils
égarent, prendroient pour une hérésie et une
impiété.
Je vous prie , monsieur le Coince , de même
que vos collègues, d'observer que la juridic-
'n,o,i7PcihyGt)C>»^le
174 DU GOUVERNEMENT
tion du noVice de la cour de Rome est moins
fâcheuse pour la Pologne , que l'auOnté qu'y
exercent vos propres ecclésiastiques. Si vous
voulez attaquer à la fois ces deux abus . la
cour de Rome et vos prélats réuniront leurs
forces , et jamais vous n'en pourrez triompher.
Il faut commencer par priver vos ecclésias-
tiques de la protection du S. Père. Il faut
séparer les intérêts de ces deux puissances
unies, en apprenant aux laïques que la Po-
logne doit avoir ses libertés , et à vos évêqucs
qu'il est temps qu'ils jouissent de la même
indépendance que ceux de plusieurs autres
états. Dès que cette doctrine salutaire com-
mencera à s'établir , la cour de Rome , qui
craindra pour son autorité , ne sera pas dis-
posée à soutenir de son crédit le clergé de
Pologne; et la puissance législative pourra
publier alois les lois qu'elle jugera les plus
siiulatres pour le bien de la religion et tes
progrès des moeyrs. Mais j'ajoute que cette
révolution doit se préparer en répandant des
lumières 'qui dissiperont peu à peu l'erreur
et les préjugés. Montrez les vérités , non pas
à la fois, niais les unes après les autres , et
vous arrîvcrei heureusement au terme que
vous vous proposez. On dit que les théolo-
giens de profession sont de toiu les hommes
D,o,l7PCihyGt)C>'^le
JttE POlbCNÉ. 175
les plas routiniers et les plus opiniâtres, mais ils
n"en sont pas moins complaisans pour le gou-
vernement et les grands ; et à force de dis-
puter sur tout , ils trouvent enfin , quand il
le faut , des raisons pouf défendre et soutenir
lout ce qui leur plaît.
Nous avons en français plusieurs excellens
ouvrages sur les droits et les bornes des deux
puissances ; s'ils étoient traduits en polonais , il
n'est pas possible qu'après avoir peut-être un
peu scandalisé , ils ne parvinssent enfin à
persuader les bons esprits. Je recommandcroîs
principalement la lecture des écrits de l'abbé
Flcury. Ses discours sur l'histoire ecclésias-
tique sont un des plus beaux ouvrages de
notre langue; tout y respire la vérité , la can-
deur et l'amour de la justice et de l'ordre ,
son histoire , qui nous peint avec tant de
détails la naissance et les progrés de la re-
ligion , qui nous la présente telle qu'elle a
été enseignée par Jésus- Christ et les apôtres ,
est très-propre à nous prévenir contre les er-
reurs que les passions des hommes ont
voulu joindre à l'ouvrage de Dieu. Nous
avons encore plusieurs ouvrages de Bossuet ,
de Nicole , &c. Peut-on craindre de s'égarer
avec de pareils guides ? Quand les Polonais
verront que la polotique de la cour de Rome
D,o,l..(iby Google
Ij6 DU COIÎVERNEMLNT
est absolument étrangère au pouvoir purement
spirituel que Jésus-Christ adonné à S. Pierre
et à SCS disciples , ils pourront croire qu'on
peut blâmer Tavarice et l'ambition de quelques
papes sans être impie ni licréiiqne , tl que
ii les prctcniions de la cour de Rome sont
injustes , il n'est pas défendu à en s"couer
le joug, et de ne plus reconnoicie dans le
nonce une magistrature qui ne se soutient
que par les abus qu'elle favorise. Après cette
révolution , les es pi ils s'éclaireront sans effort,
et vous n'auriez j'Ius une morale que la po-
litique doit proscrire, cl dont vous trouverez
la censure dans les PrcvinciaUs.
Tous les ans on choisit en Pologne de nou-
veaux juges pour tenir les cours de justice;
cet usaje est trcs-iitilc, et il n'est question
que d'établir , s'il est possible, des règles
certaines, pour que le cboix des magistrats
ne soit pas Touvragc de la cabale et de Tin-
trtguc. Peut-être y réuîsiroit-on sans beaucoup
de peine, s'il s'ftablissoit dans chaque pala-
tinat , r.:;iii que je lai proposé, une cour
de justi..e , et que les Diétines fussent char-
gées d en nc^r.imer les magistrats. Je désire-
rois même qirc les bourgeois dt la ville eussent
<j«eU^uc pr.rt à cette nomination , et que les
piiacipaux cfliLÈers du palatir.at n'y en eussent
aucune
D,o,l7PCihyGt)t>*^le
fil P O L O C N 1. 177
kiicuTie. Ma raison , c'est que les hommes
sont portés à favoriser les grands, et que des
magistrats , si on leur permet quciqu "inclina-
tion particulière, doivent pencher en faveur
des petits et des foibles. Vous semez d'ailleurs ,
monsieor le Comte , qu'un pareil établissement
Tetireroit vos bourgeois de Ictat abject dans
lequel ils languissent , et que vous pourriez
en&n espérer d'avoir parmi vous ce que nou!
appelons le tiers-étàt , et qui par-tout est
destiné à faire la grandeur et la gloire des
nations , pourvu qu'on ne s'applique pas à
l'avilir.
S'il anivoit que , sous prétexte d'avoir des
juges plus éclairés , et trompé par ce qui se
passe dans quelques pays de l'£urope , on
proposât de rendre perpétuelles les magistra-
tures de vos cours supérieures , il faùdroit
rejeter ce projet comme pernicieux et contraire
au bien public. Dans la forme actuelle , si
les'juges sont pervers ou mal intentionnés,
l'inconvénient est court et passager ; et on se
console du mal présent en espérant d'avoir
bientôt des juges plus instruits et plus justes.
La corruption ne se perpétue point dans ces
tribunaux toujours rcnouvcUés; comme dans
ceux où les mêmes juges exercent leur magis-
trature pendant toute leur vie. On ne s'y
Mably. Tome VlU. M
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
I7S DU COUVEBNïMEMT
fera point une jurisprudence de routine qui
n'est piopre qu'à luiner l'autorité des lois.
Des magistrats qui ne sont en place que pen-
dant un an ou deu:t , n'ont pas un esprit de
corps, auquel on sacriBe toujours les intérêts
de la justice; et n'imaginent point des pré-
tentions ou des . prérogatives particulières ,
qui jettent toujours quclqu'enibarras dans les
affaires généraJes de la république. ,
Si -les lois sont simples et claires, il n'est
pas besoin de beaucoup d'étude pour faire
un ,bon juge : si elles sont embrouillées et
obscures , elles ouvrent jiar-là même une librç
carrière à la fraude cl à la chicane ; et j'pserois
vous répondre que les magistrats ne devien-
dioieat pas plus habites en vieillissant dans
leur tribunal : accoutumés à se laisser tromper ■
par des sophismes , ils parviendroient à croire
que le vrai et le faux sont également pio-
bables. Aujourd'hui tout gentilhomme Polo-
nais est appelé par sa naissance à défendre
sa patrie le sabre à la main; il est soldat ,
il croit devoir l'être, et cette opinion est très-
utile à la sûreté et à la liberté de la république.
Si la magistrature n'éioit plus une fonction
passagère , il y auroit bientôt des Polonais
qui ne se croiroient plus soldats; il en résul-
teroitune séparation entre les fonctions civiles
Dpi ..ci hy Google
SE POLOGNl. 17g
M Itfi fonctions militaires ; séparation qui
dégrade nécessairement tous les talcns poli-
tiques , et ne produit presque jamais que des
hommes médiocres. Les républiques ancien-
nes, qu'il faut toujours avoir devant les yeux
quand on veut faire de grandes choses , avoient
des hommes admirables, c'est-à-dire, des
citoyens qui avoicui étudié ■ tous les besoins
fil tous les devoirs de la société; ils s'y étoient
également exercés ; et ces connoissances qui
f'aident mutuellement, étendutent leur génie.
Nous autres moderne» , nous n'avons que des ,
■ talcnsébauchés , dont nous ne savons pas tirer
parti pour l'avantage général de la société.
Bornés par notre ignorance , nous ne somn^es
utiles à la patrie , que quand par hasard elle a
besoin du métier que nous avons appris. "
Les affaires étrangères , j'entends par cette
expression la conduite de la république à
l'égard de ses alliés et de ses ennemis natu-
rels , forment une autre branche de l'admi-
nistration du chancelier. Jusqu'à présent la
Pologne a eu peu de relations au-dehors ; on
négligeait son alliance , parce qu'on n'en at- *
tcndoit aucun secours. De son côté, toujours
condamnée à l'inaction pai ses mauvaises lois ,
et trop divisée par ses querelles domestiques
pour prendre part aux événemens de l'Kuiope..
M 3
iSo DU GOUVERNEMENT
elle ucgligcoit d'envoyer des ainbassadcnis
qui n'auroîent joui d'atïcunc considération ;
et se flattoit que cette politique de l'équilibre
dont on parloît tant , et qui dans la vérité
n'est rien, lui scrviroit de sauve-garde. Maia
tout prendra une face nouvelle aprè3 la rcfornie
de votre gouvernement. Les Polonais devien-
dront une puissance respectable , dès que leurs
lois tes mettront en état de connoître leurs
forces et de s'en servir. Il n'y aura point de
peuple qui ne recherche votre alliance, et ne
tienne un ministre à Varsovie. La république
Sentira elle-même combien il lui importe d'être
instruite des passions , des vues et des entre-
prises des principales cours , et elle y enverra
des ambassadeurs. Il s'agira de nouer et den-
irctenir des négociations , de former les ligues ,
soit offensives, soit défensives, et de conclure
des traités. Puisqu'il en peut résulter de grands
biens et de grands maux, la Pologne doit
donc apprendre à calculer ses espérances et
I ses craintes , et se faire des principes sages
dont elle ne s'écarte jamais; car on ne sauroit
■ croire combien une conduite constante et
uniforme inspire de confiance à nos amis et
de crainte à nos ennemis. Puisque la for-
tune amène des conjonctures bizarres et ex-
traordinaires, OÙ l'état le mieux constitué ne
■ D,o,i..cihyGoogle
DE POLOGNE. iSl
peut se suffire à lui-même et a bcsoîo d'avoir
des alliés , il faut donc se former des hommes
habiles dans la partie imponanle des négo-
ciations : et c'est , je crois , un motif bien puis-
sant pour engager les réformateurs à former
dans le sénat un conseil particulier , qui ne
Goitchargéqucdcs affaires étrangères. Je nima-
gine point ce qui pourroit s'opposer à cet
établissement. 11 n'est besoin ici d'aucune
adresse pour préparer les esprits à celte nou-
veauté. La nation sera sans doute flattée de
n'ctrt plus, oubliée en Europe \ et toute la
grande noblesse verra avec plaisir qu'on ouvre
une nouvelle carrière à son ambition.
Soit qu'on laisse au chancelier la direction
des affaires étrangères , soit qu'on en fasse un
' nouveau département , il est d'autant plus
nécessaire que des lois prescrivent des règles
générales de conduite à Tégard de cette branche
de l'administration , qu'elle sera nouvelle et
pour ainsi dire inconnue des Polonais. Rien
n'est plus diBicile que de ne se pas tromper,
lorsqu'un peuple change de situation , et se
trouve dans la nécessité de se faire de nou-
veaux principes , avant qnc d'avoir eu le temps
de les étudier. On croit ne consulter que les
lumières les plus pures de la raison , et sans
qu'on s'en aperçoive on ne suit encore que ses
M 3
l8a DU GOUVERNEMENT
passions et ses anciens préjugés. S'est-on égaré
dans une fausse robte ? il esi rare d'apercevoir
son erreur, et plus rare encore de la reparer;
on s airachc de plus cri plus à un mauvais
système qu'on suit par routine , et cette romine
pernicieuse paroitra enfin la politique la plus
avantageuse. Il est très- vraisemblablt que la
conduiic des premiers négociateurs Polonais
servira de modèle à leurs successeurs. Si ces
réflexions sont vraies, vous voyez, monsieur
le Comte , combien les réformaeeurs doîvciït
s'appliquer à inspirer de bons principes à lear
nation, et à diriger ses premières démarches.
La loi ordortnera donc au sénat de ne pas se
livrer témérairement à des espérances sédui-
santes , et de ne contracter d'abord que des
alliances passagères , pour se donner le temps
de discerner ses vrais amts. Elle déclarera de
la manière la plus expresse, que la république,
contente des terres qu'elle possède , renonce
actuellement et pour toujours , à tout projet
ambitieux de reculer sts frontières, et de ren-
■ trer dans les provinces quelle a autrefois
possédées. Elle ordonnera aux administrateurs
des affaires étrangères , sous peine d'être re-
gardés comme ennemis de la patrie , de ne ee
point proposer d'autre fin dans les négociations,
les alliances et les traités , que la conservation
Dpi ..ci hy Google
DE POLOCPTE. lS5
de la république. On leur recommandera de
cultiver la paix avec soin , de ne rien négliger
pour mériter rcstimc et Taniinc des états voiiins,
et d'interposer leur médiation dan« toutes les
affaires de vos alliés. Qu'on ne croyc pas que
ce ne loient-là que des propos de parade que
je conseille pour tromper les étrangers, et le'
empêcher de trouWer les opérations des Con-
fédérés dans la réforme qu'ils méditent. Je puis
protester , et les écrits que j'ai publiés en font
foi , que malgré la mode je regarde là justice ,
la vérité et la modération , comme les seuls
vrais principes de la prospérité politique , et
l'injustice , la fraude et l'ambition , comme
autant de causes de la ruine des états : on
aura beau manier les vices avec art , on ne les
dénaturera pas.
Le conseil des affaires étrangères ne donnera
aucune instruction ni aucun ordre aux agens
de la république , sans en avoir fait le rapport
au sénat. Le président du conseil rendra compte
à chaque Diète générale de la situation respec-
tive de k république , de ses voisins et de ses
alliés. Il ajoutera un tableau des principales
affaires de l'Europe , et des mouvemens dont
elle peut être menacée. Je ne saurois- souffrir
le mystère qu'on met dans les négociations ; et
l'oscrois assurer à ces polidques qui s'cnvclop-
M 4
D,o,l7PCihyGt)t>^le
l34 DUOOUVESNEMENT
pcntavcc tant de soin etdc mystère pour cacher
leur marche et leurs vues ultérieures , qu'on
les devine presque toujours; et quand on ne '
les devine pas, qu'on se défie de leurs ruses et
de leur adresse, que toute leur peine est perdue,
ou plutôt ni servi qu'à embrouiller les affaires
et ks rendre quelquefois impraticables. Tooi
les traités seront conclus par le roi et le sénat,
et ratifies par U Diète générale; et cette rati-
fication sera nécessaire pour leur donner le
caractère d'engagcmenl et la force de loi. On
se récriera peut-être , monsieur le Comte, que
j'expose votre république à une leutcur incom-
mode. Soit, mais je la préserve d'une étour-
derie qui n'est pas Incommode, mais funeste
et ruineuse. La règle que je propose est néces-
saire , si on désire que la Pologne ait une poli-
tique uniforme et constante , et que le sénat
yestc soumis à la nation.
CHAPITRE XII.
Du département du grand-maréchal , ou du conseil
de police.
ijES fonctions dn grand -maréchal se bornent
à la police de Varsovie. Sa juridiction ne
i'étend qu'àxiois lieues de cette capitale, et
no,-7«jhyGt)t)»^le
DE POLOGKE. I3J
elle cesse tlès qucle roi est absent. Ce ne scroit
pas la peine de substituer un conseil pariicuiier
an grand- maréchal , si on ne lui attribuoît pas
laconnoissanccde tout ce qui peut être compris
sons la dénomination de police générale de la
république.
Plus les Polonais ont négligé jusqu'à présent
cet[c partie importante de l'administration ,
plus il est nécessaire de faire de grands efforts
pour réparer cette négligence. Je vous en de-
mande pardon , monsieur le Comte , mais il
est nécessaire que je sois instruit de la vérité,
et je vous prie de ne me rien déguiser. J'ai ouï
dire à des étrangers que la police de votre patrie
ne vaut guère mieux que celle de la Tartarie.
Est -il vrai que dans nne république, où l'on
suppose toujours l'amour de la liberté et de la
patrie, 'on n'ait pris cependantaucunsoindece
qui intéresse le public ? J'ai de lapeine à croire
qqc votre noblesse étant souvent obligée de
voyager pour visiter ses terres et se rendre à
ses Diétincs on à la Diète , vous n'ayez cepen-
dant point de chemins. On m'a peut-être trompé
en me disant que dans vos villes même les
plus considérables, un voyageur manque des
choses les plus nécessaires : vous êtes
obligés de voyager avec armes et bagage, et
pour retraite dans la nuit, vous ne trouvez qtic
Do,T«J4iy Google
l86 DO GOUVERNEMENT
le repaire impur d'un juif ou la malheurense
maison d'un paysan. Cette incurie sauvage ,
{ car de qucUc autre expression pourroit-on
se servir ? ) supposeroit d'étranges mœurs. Je
ne conçois rien à cette indifférence de la no-
blesse pour les commodités les plus commanes.
A quoi faudroit-il attribuer cette stupidité de
vos juif», chargés d'héberger les voyageurs,
et qui malgré leur avidité , n'osent avoir aucune
industrie ? Est- ce que s'ils tiavailloient à pré-
parer des auberges commodes aux passans ,
ils né seroient payés ni de leurs peines ni de
leurs avances ?
Quoi qu'il en soît, je dcsirerois que le con-
seil de police fût chargé de la construction des
chemins , de la navigation des rivières ; et que
dans chaque palatinat il y eût des bureaux par-
ticuliers chargés d'exécuter ses ordres. Je
voudrois sur-tout que les réformateurs invi-
tassent le nouvcaa ministère à cheicher le»
moyens les plus propres pour empêcher que
désormais l'arrivée d'un gentilhomme dans un
village ou dans la ville d'un seigneur, n'y fût
regardée comme un fléau. Mais je me trompe,
monsieur le Comte , ce n'est point de cette
manière qu'il faut s'y prendre pour opérer une
réforme ; tout seroit perdu , si votre petite
noblesse pouvoit soupçonner qu'on voulût dé-^
, D,o,i..cihy Google
D E P O L O G N E. 187
truire son droit de gîte qui lui est si commode.
L'édit qui établira le conseil de police , doit
ordonner simplement de veiller à la sûreté des
voyageiirs , et de proposer à la prochaîne Diète
ce qu'on aura pensé de plus favorable pour
parvenir à cette fin. On fera alors des lois contre
les brigands et les voleurs , dont personne ,
avec quelque pudeur, ne peut embrasser la
défense; et on prendra en même -temps les
mesures les plus efficaces pour que ces lois ne
soient pas inutiles. Vous sentez que votre
petite noblesse . craignant d'être confondue
avec les brigands , renoncera par nécessité h.
son droit de gîte ,' et que bientôt la Pologne
ressemblera à la plupart des autres pays de la
chrétienté ; on y voyagera avec les mêmes
commodités. Il me semble que les seigneurs
et la noblesse riche doivent favoriser cesétablîs-
semens ; car il leur importe de se débarrasser
de tout cet attirail d'équipages qui les accom-
pagne dans leurs voyages, et de protéger leurs
sujets, qui ne sont jamais vexés sans que le
seigneur lui- même n'en gouffre.
Vous m'entendez qirelquefois parler, mon-
sieur le Comte , avec une sorte de mépris , de
cette politique qui ne comptant que sur l'ar-
gent, regarde ic commerce étranger comme sa
principale alFaire. C'est sans doute un graud
no,-7«jhyGt)t)»^le
ïSS DU GOUVERNEMENT
ma) que cet esprit mercantile, quand il s'em-
pare d'une nation ; car il y détruit le germe de
toutes les vertus. Mais , tant il est vrai que notis
sommes destinés à chercher en tout un juste
milieu et 4 nous y tenir, il y a un excès opposé,
qui n'est peut-être pas moins dangereux; c'est
de laisser périr entre ses mains la plupart de
SCS richesses, et de ne savoir pas en profiter
pour entretenir une honnête abondance dans
la société.
On ne peut qu'être prodigieusement étonné ,
quand on voit qu'ayant à peu de chose près
tout ce qui peut vous êlrc nécessaire , vons
n'avez cependant ni arts, ni manufactures, ni
ouvriers. Les juifs ne sont point membres de
la répnbliqce; vous les regardez comme vos
esclaves, et j'ai déjà pris la liberté de vous le
dire , ils sont les maîtres de la Pologne. S'il •
leur prenoit fantaisie de ne vous plus vêtir,
vous seriez nus , jusqu'à ce qu'il plût à des
Allemands ou à des Hollandois de vous ap-
porter , à grands frais , des étoffes et toutes les
choses dont vous avci besoin. Que résulte-t-il
de cette situation ? Une indigence générale
qui n'est pas moins funeste que les trop grandes
richesses. Vos grands seigneurs sont pauvres
au milieu de tous ces vastes domaines dont ils
ne savent pas tirer partie et voilà ce qui les a
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE. 1 Sg
forces à se vendre à la coût ponr satisfaire leur
luxe. Votre petite noblesse a beau se croire
souveraine, ne pouvant; suffire à ses besoins,
elle se prostitue dans les emplois les plu»
bas ; et quand elle reçoit quelques ducats pour
subsister, peut -elle avoir cette fierté républi-
caine qui a rendu vos ancêtres si illustres , et
qui doit faire la force de la Pologne ? Pour le
reste des habitans , ils ne sont comptés pour
rien. Une crainte servile a étouffé en eiix toutes
les passions par lesquelles la nature nous des-
tine à développer nos facultés naturelles.
11 est temps de "Sortir de cette léthargie , et
le conseil de police , auquel il est important
de donner des occupations dignes de lui , rcn-
droit à la nation un service bien signalé en
trouvant les moyens d'établir les différentes
manufactures qui vous sont nécessaires , qu'il
appelle chez vous des étrangers *qui vous for-
meront des ouvriers ; mais qu'il soit persuadé
que l'homme ne s'attache pointa un pays où iî
ne peut avoir aucune possession. Ne craignez
pas de donner d'abord trop d'encouragement
à l'industrie; mais un temps viendra où il fau-
dra lui mettre des entraves, pour l'empêcher
de produire enfin chez vous tous les malheurs
où elle a précipité les peuples , qui ne se lassans
point d'étendre leur commerce , n'ont d'autre
D,o,l7PCihyGt)t)^le
igo BU GOUVERNEMENT
règle de conduite qu'une malheureuse cupidité
qui doit les perdre.
Il me semble qu'on peut charger le conseil
de police d'un soin encore plus précieux pour
la république. Les mœurs publiques doivent
être soumises à son inspection. Quoiqu'on
m'accuse, monsieur le Comte , d'aimer à me
repaître d'idées chimériques , et d'aspirer à
une perfection dont les peuples modernes ne
sont plus susceptibles, ne. croyez pas que je
vous propose d'établir chez vous la censure des
Romains : il y a long-temps que lEurope n'est
plus digne d'une pareille magistrature. Je me
bornerai à dire que l'intendance de l'éducation ,
qui prépare des citoyens à la république , doit
appartenir au conseil de police. Il seroit inutile
de m'étendre sur l'importance de former le cœur
et l'esprit des enfans dans une nation libre ;
c'est une vérité dont tous les pères de famille
sont convaincus. Dans le moment delà réforme,
il suffira peut-être de faire des réglemeos
généraux, et de charger les Diétjncs, chacune
dans son ressort , de veiller d'une manière
particulière à l'éducation , et de choisir, parmi
les gentilshommes les plus distingués par leur
méiite, quelques commissaires pour examiner
la police des collèges , donner de l'émulation
^ux professeurs , la faire passer dans leur»
Dpi ..ci hy Google
D E P O L O C N E. igi
élèves , et dresser d«s mémoires au sujet des
ctablissemens qu'on pourroît faire , et que
chaque Diétine fera approuver par la Diète
générale. On voit que par cette conduite le
conseil de police intéressera un plus grand
Bombre de personnes à ses succès , et pré-
viendra les inquiétudes , la déHance et les soup-
çons que les nouveautés ne manquent presque
jamais de faire naître.
Il est temps que la philosophie pénètre enfla,
dans la Pologne, et bannisse de vos univer-
sités de misérables études qui sont plus dange-
reuses que Tignorancc. L'écriture sainte , qui
ne noBS a pas été donnée pour nous apprendre
la physique , ne vous paroîlra pas moins res-
pectable , quand on vous anrs persuadé que le
soleil ne tourne plus autour de la terre. L'étude
vous rendra la religion plus chère ; et si je
n'avoiî pas déjà dit dans ce mémoire combien
la superstition produit de mal, j'inviterois les
réformateurs à prier instamment les évêques
de faire tous leurs efforts pour qu'on enseigne
dans leurs diocèses une saine théologie. On
doit, si je ne me trompe, ne rien négliger
pour faire fleurir l'étadc du droit naturel, de
votre droit public , et de tout ce qui peut faire
connoîtrc la. situation de l'Europe , ses lois,
le gouvernement et les intérêts des différentes
Do,T«Jhy Google
Iqa DU COUVEIINIMCNT
puissances, de même que les engagcmcDS réci-
proques qui les lient. Ces connoissances sont
indispensable* dans une république qui traite
avec ses voisins , et où chaque citoyen a part
au gouvernement. La médecine , la physique,
les mathématiques, l'histoire , l'éloquence, les
bcUcs-lcttrcs méritent d,'avoir leur école; mais
pour abréger je n'en parlerai pas. Peut-être
que chei les jésuites vous ne trouverez pas
les maîtres que vous pouvez désirer; et dans
ce cas le conseil de police dcvroit appeler des
étrangers qui. se formcroicnt parmi vons des
successeurs.
Après avoir travaillé à faire des citoyens par
une bonne éducation ; il faut tout mettre en
usage pour empêcher que les jeunes gens , en
entrant dans le monde, n'y trouvent des mœurs
qui détruiroicnt en un instant les principes de
modcsiic , de retenue , de tempérance et de .
désintéressement, qu'on leur aura inspirés. Je
vous propose , monsieur le Comté, une chose
nécessaire , mais qui n'est pas aisée. Je connois
la force de nos habitudes; et quoique les
Polonais se vantent d'avoir dans leur caractère
notre flexibilité française , je .doute fort qu'ils
ne se moquassent pas d'un conseil de police
qui leur ordonneroit de prendre de nouvelles
moeurs. Une pareille révolution est l'ouvrage
Dioii ..ci lîy Google
DE POLOGNE. igd
du temps. Les lois coasticudves. dont j'ai eu
riionneur de vous entretenir , la prépareront ;
mais que pouvcz-vous attendre de ces lois , si ,
toujours combattues par vos anciens vices ,
elles n'exercent qu'un empire douteux, et ne
se soutiennent elles-mêmes qu'avec peine ? Les
réformateurs doivent aller à leur secours , et
hât:r le progrés des bonnes mœurs , en pros-
crivant le lux.e , qui a tant contribué à votre
décadence , et qui entraîne- à sa suite tous les
vices.
Sans lois somptuaires , dont le propre est
de rendre les richesses moins nécessaires et
l'amour de la gloire plus actif , n'espérez point
d'établir parmi vous une liberté solide. Si vos
anciennes Diètes ont publié quelques-unes de
CCS lois salutaires, n'oubliez rien pour les retirer
de l'oubli dans lequel elles sont tombées. Il me
semble qu'à cet égard on peut agir sans aucun
ménagement ; car si on ne m'a point trompé ■
par de fausses rcllttons , la fortune de votre
grande noblesse n'est plus ce qu'elle étoit
' autrefois. Les grands ne tiennent que par vanité
à un luxe qui les incommode ; et en secret , ils
regardcroient comme une faveur la loi qui les
autoriscroit à ne pas achever de se ruiner.
Pour consolider votre ouvrage, tâchez de trouver
.quelque moyeupour empêcher qu'il ne se forme
Mably. nme VIII. ' N
no,-7«jhyGt)tK^lc
194 DU GOUVERNEMINT
de ces furtunes imtneniet que redoute régalïté
Tépublicainc , et qui corrompent également leurs
possesseurs et les pauvres qui les envient. Un
Suédois me disoit : A'ds rickases sânl trés-mé-
diocres , et ce premier avantage nous en procurt
un second ; kous n'avons point de pauvres , et J'en
Aii^re bien peur raffermissement de nos lois. Je
voudrois qii'un Polonais pût tin jour en dire
Autant. Ne désespérez de rien , sionsieur le
Coniie; ce conseil de police , auquel on lie
peut d'abord attribuer qu'un poui'oir bien
jnédiocre , sera encouragé par ses premiers
succès , et il étandia sans peine ses droits et
£3: juridiction à meiurc que vos mceurs se per-
feelionncroni. Ce conseil sera , ii je puis parler
ainsi, votre baromètre politique : suivant qu'il
«'élèvera ou qu'il baissera , il vous annoncera
des biens ou des maux.
CHAPITRE, XIII.
Dit départetiient du grand-général ou' du conseil
de guerre.
D.
'ans la bièw où les Gbnfédénîi doivent
proposer et établir un nouveau gouvernement;
je crois qu'il scroit très-sage d'éviter avec soin
tout ce qui ponrroil faire penser que la rcpu*-
n,o,i7PcihyGt)t>»^le
DE FOLO.CNE. igj
blîqnc veut se tendre redoutable par sei forces
militaires. A qaoi sert d'avertir les étrangers
qu'on veut former une puissance qui peut les
inquiéter? Faites encore attention , je vous prie ,
qu'il est impossible d'augmenter le nombre de
vos troupes , sans éiabiir des impôts d'autant
plus sûrs de déplaire , que votre nation est
accoutumée i ne rieti payer à la république ,
et que sa fortune aura beaucoup souflert par
la guerre à. la fois étrangère et domestique
qu'elle supporte. Voircpetitenoblesse est avare
par nécessité ; et vos grands seigncuri , que le
luxe , leur négligence et leurs valets appauvris-
sent, ont trop de besoin* pour songer à ceux
de l'état. D'ailleurs la prudence ne vous fait-
elle pas une loi d'assujettir à une bonne disci-
pline les anciennes troupes . avant que d'en
créer de nouvelles ? Celles que vous lèveriez
aujourd'hui se modèlcroicnt sur les anciennes.
Elles en prcndroient le génie et les vices ; et
il seroit d'autant plus difficile dans la suite de
corriger ces nriliccs , qu'elles seroient plus
nombreuses. Il sera au contraire plus aisé de
mettre sur un bon pied les anciens corps ; et
ceux qu'on lèvera dans des circonstances plus
favorables , se conformeront sans peine à la
discipline qu'ils trouveront établie.
' Les troupe-s sont aujourd'hui aussi mal gou-
N 2
D,0,l7PCihyGt)t)*^le
196 DU GOUVERNEMENT
vernécs en Pologne , qu'elles l'ctoit il y a trois
siècles dans toute l'Europe, Les princes de
Nassau en Hollande et les rois de Suède , dont
la réputation durera cteTUcllcment, ont rétabli
l'art militaire parmi les modernes. On a profité
de leur exemple; et tandis que toutes les nations
ont commencé à discipliner leurs soldats et
faire la guerre avec cette méthode savante
qu'on admire chez les anciens , la Pologne
seule n'est point sortie de son ancienne bar-
barie. Ce sera beaucoup , monsieur le Comte ,
siles réformateurs peuvent faire agréer des lois
favorables à la discipline; mais quand cette
discipline vous égaleroit aux troupes prus-
siennes , ne croyez pas que ce soit-là le plus
haut terme de perfection où vous deviez aspirer.
Le roi de Prusse a fait tout ce que peut faire
un roi ; et votre république , Hne fois bien
constituée, doit faire tout ce que peut faire
une république. Chez les peuples qui ne sont
pas libres , les soldats n'auront jamais ce cou-
rage patriotique qu'on trouve chez les Grecs
et chez les Romains , ce courage loUr - à - tour
patient, actif, lent, impétueux, et toujours
égal dans les différcns besoins et les diîFérenteï
extrémités de la guerre. Des hommes arrachés
de leurs maisons , ou ramassés au hasard dans
la lie du peuple , ne font la guerre qu'à regret ,
D,o,l7PCihyGt)t>^le
DE POLOGNE. 197
on ne portent les armes que parce qu'ils ne
sont bons à rien. Quel intérêt peuvent-ils donc
prendre à la chose publique ? C'est cependant
cet intérêt seul qui élève l'arae ; et sans une
amc élevée, dans quelqne condition que Ton
soit, et malgré tous les soins de la politique ,
on n'est jamais qu'un homme médiocre.
C'est une maladie ^.es plus fâcheuses de
l'Europe , que ces grandes armées que les états
ont la manie d'entretenir pour se faire craindre ;
et qui ne leur donnant qu'une vanité ridicule
ou une ambition puérile , ne servent qu'à les
afïbiblir et Jes embarrasser. On diroit qu'on
veut suppléer par le nombre des soldats aux
qualités militaires des armées ; entreprise in-
sensée ! L'histoire n"esi-clle pas pleine de
grandes armées qui ont été dissipées par une
poignée de Grecs , de Macédoniens , ou de
Romains? Cinquante mille hommes bien disci-
plinés suffiront à la sûreté de la Pologne , et
lui coûteront peu. Deux cents milla soldats,
■ tels que tout le monde en connoît, seront forts
chers, et la défendront mal. Il est fâcheux
pourmoi, monsieur le Comte , de vous rappeler
des choses désobligeantes que quelques-uns
de vos compatriotes m'ont laissé entrevoir. Je
ne veux rien croire : cependant, s il étoii vrai
que dans le moment présent la Pologne n'eùl
Ni
D,o,l7PCihyGt.)t>*^le
jgS DU GOVNERNEMENT
piE un seul homme de gueire cq état de vous
former une armée , les réformateurs ne dc-
vroient-ils pas proposer à la Diète d'attacher
à son service quelques otEciers étrangers de
réputation ? Si vous voulez établir vous-mêmes
votre discipline miliiaire , vous ne ferez que
des progrès très - lents , parce qu'il faudra
réparer les fautes de votre incxpé'ricnce , et
qu'en les rép^ant vous en ferez peut - être
encore de nouvelles. Je désireroîs que dès
l'instant de la réforme toutes vos troupes fussent
nationales ; mais si c'est une chose impossible ,
ne confiez point votre salut et votre sûreté à
cette canaille de déserteurs et de vagabonds qui
n'ont point de patrie , incapables de discipline ,
et qui méprisent assez leur vie pour la vendre
indifféremment à tout le monde. Il me semble
que , pour compléter le nombre des troupes
que la republique est en usage d'entretenir ,
vous pourriez traiter avec les Suisses. Ce sont
les hommes de l'Europe les plus susceptibles
d'une bonne discipline; il est de l'intérêt de
leurs magistrats de la faire servir chez une
nation libre , d'où les officiers et les soldats ne
rapporteroicnt pas dans leurs cantons des pré-
jugés et des habitudes quipcuvent corrompre ,
ou du moins altérer les mœurs convenables au
gouvernement helvétique.
Dpi ..ci hy Google
DE rOLOCNE. - 199
Si les Polonais veulent être véritablement
libres chez eux , et défendre leur liberté contre
les entreprises des ennemis domestiques et
contre les injures des étrangers , ils doivent
former une nation militaire. Je suis intimemen^
persuadé que malgré les établissemcns les
plus sages pour affeimir l'empire des lois et
s'opposer à la naissance du pouvoir arbitraire,
un peuple finira toujours par être esclave , si
chaque citoyen ne se croit pas destiné à être
soldat. On sait quel a été le sort de toutes ces
nations lâches, paresseuses ou inconsidérées,
qui , pour se débarrasser des fatigues ou des
périls de la guerre, ont confié à des mercenaires
le.soin de les défendre. Ces soldais ont; abusé
de leurs armes et de leur force ; ils n'ont re-
connu d'antre maître que la puissance exécutrice
a qui il en a fallu abandonner la direction ; et
ils sont devenus des oppresseurs , ou plutôt les
instrumeus de l'oppression. Quand les Romains-
né furent plus en quelque sorte que des mer-
cenaires , ils se vendirent à des Marins , des
Sylla, des César et des Pompée , et firent des
tyrans. Au lieu de l'ordre militaire qui régne
en Suisse , supposez des corps toujours sub-
sistans de soldats mercenaires , et vous en
verrez fuir la liberté, le calme et le bonbeur.
La Pologne jouit déjà à moitié du bien que
N4
800 DO GOUVERNEMENT
je désire , puisque la 'noblesse qui foime seule
le corps (te la nation ou de la république ,
regarde les armes comme sa profession , et se
croit obligée de monter à cheval et de faire
la guerre , quand elle est commandée. Pour le
dire en passant , c'estpeut-être ce génie militaire
qui a le plus contribué aux progrès de votre
anarchie , parce qu'il n'étoit soumis à aucune
règle certaine ; mais c'est lui aussi qui a con-
tribué , plus que tout le reste , à vous soutenir
contre tous les vices de cette même anarchie.
Dans le moment de la réforme , il faut donc se
garder avec un soin extrême de porter quelque
règlement , qui par des immunités , des fran-
chises ou des privilèges particulicïs, tcndroii à
séparer les fonctions civiles des fonctions mili-
taires , et faire oublier que tout Polonais doit
être soldat. II est aisé de ne tomber à cet
égard dans aucune erreur ; mais, je l'avoue ,
rien ne me paroît plus difficile que de tirer
partie de ce génie militaire pour assurer le
bonheur de la république.
Pleins de leurs anciens préjugés, les gentils-
hommes croiront vraisemblablement qu'on
attaque l'indépendance et la liberté dont ils
sont si 'jaloux , si l'on tente de les discipliner,
et de soumettre le service militaire à des règles
constantes. Vos gen« de qualité, m'a-t-on
Do,T«ihy Google
DI POLOGNE. sot
dit, ontdes compagnies nobles (^aWsn ont j&tnaia
vues. Ils ont ces compagnies , parce que c'est
un* distincùon , mais le commandement en est
abandonné à quelque subalterne qui n'a aucune
autorité. On se croit militaire parce qu'on a
un brevet inutile dans sa poche et un uniforme
sur le corps. Peut-être a- t-on vu quelquefois
des grands généraux de Pologne etde Lithnanie,
qui ne s'étant jamais trouvés dans une armée ,
ni même dans un camp de paix, auroient été
embarrassés à conduire cinquante hommes.
C'est ici qu'on a besoin d'une politique extrê-
mement habile à manier les esprits. On rre
peut se prescrire d'avance aucune méthode;
car qui peut prévoir qu'elle sera précisément la
disposition des esprits dans les circonstances où
vous vous trouverez ? Les hommes paroissent
quelquefois perdre leur caractère dans les gran-
des révolutions. Je ne sais quel enthousiasme
s'empare d'eux ; mais on se trompe si on le
croit durable ; et on l'éteint , si au lieu de le
ménager on veut le forcer et l'augmenter. Peut-
être qu'il est alors plus utile d'agir par insinua-
tion que d'ordoiincr en législateur. On seroit
bien avancé , si l'on pouvoit persuader à quel-
ques grands seigneurs qu'il est ridicule de faire
nn métier qu'on ne veut pas apprendre, et les
Dioiir^cihyGocj^le
•Ol DU GOUVERNEMENT
engager k donner l'exemple d'un service ré*
-gulier.
Mais quand le nouveau gouvernement aura
acquis une certaine autorité , quand , apiè»
s'être familiarisé afec l'empire des lois , on aurat
appris à penser avec plus de justesse et d'élé-
vation , pourquoi cette fière noblesse ne se
fcroit-ellc pas un point d'honneur d'obéir à
celte même discipline qui l'effraie aujourd'hui?
£n imaginant quelques distinciions Qattenscs
pour les gentilshommes qui se distingueroient
dans leur palaùnat par leur application aux
exercices militaires , ou qui feroient quelques
campagnes en qualité de volontaires dans des
guerres étrangères , pourquoi ne feroit-onpas
naître un nouveau génie dans la nation ? Les
récompenses de la république , qui appartien-
nent aujourd'hui aux iutrîgans , ou dont on
fait un commerce scandaleux, pourquoi la Diète
ne les fera - t- elle pas donner aux militaires le(
plus distingués ? Les palatinats sont pleins de
dignitaires qui n'ont que des titres sans fonc-
tions; et il seroit sans doute très - avantageux
d'annoblir leurs chargea par quelques devoirs
ou quelqu'inspection militaire. Les palatins et
lescastellans sont les capitaines de leur palaiina:
et de leur castellànie ; ils négligent aujourd'hui
D,0,l..cihyGdOglC
DE POLOGNE. aoS
cette partie importaate de leur administration ;
et dans le nouveau système du gouvernement ,
rien n'est plus aisé que de les corriger de cette
négligence , et de les obliger à rassembler tous
les ans la noblesse pour la passer en revue , et
l'accoutumer à la discipline et à la subordina-
tion militaire.
Enfin le temps viendra peut-être, où l'on
pourroit ordonner qu'un gcncithoramenescroit
susceptible des honneurs, des dignités, des
charges et des récompenses de la republique,
qu'après avoir servi un certain nombre d'années.
Les romains ont eu autrefois cette loi, et un
établissement qui leur a été si utile , ne le scroit
pas moins aux Polonais. J'ajoute même que
c'est alors que votre république sera solidement
affermie , ne craindra plus les passions ennemies
de votre liberté , et se fera respecter des étran-
g-ers. Dès que les circonstances le permettront,
liâicz-vous d'ordonner par une loi soiennellc,
que la jeune noblesse de chaque palsiinat et
de chaque district, inscrite dans le rôle mili-
taire , s'assemblera tous les ans pendant uu ou
deux mois , et sous les ordres de ses oflicicrs ,
3c façonnera a tous les exercices et à toutes les
manœuvres de la guerre. Ces cQinp:;gnies,
répandues sur toutes les terres de la république,
Dpi ..ci hy Google
904 ^^ COUVIKNEMENT
formeroientenfia une cavaUtîe invincible dans
vos plaines.
Vousmcdtrez peut-être, monsiearle Comte,
qu'il est bien extraordinaire pour une personne
de mon état , d'oser vous parler guerre pendant
•i long- temps. Mais je prendrai la liberté de
vous répondre , comme le chancelier de 1 Hô-
pital au duc de Guiïe : ((Je ne sais point com-
ï) ment ilfaut conduire unearmécg'Jgner une
tt bataille , choisir et disposer un camp et
)) prendre une ville; mais j'ai appris comment
)) on doit former des soldats et des capitaines ,
»i quand il faut faire la guerre , et dans quels
11 lieux même il faut la porter, relativement à
») la fin qu'on doit se proposer »>. En effct.ces
connoissances sont communes à tous les
hommes, quelque soit le genre de vie qu'ils
aient embrassé.
Vous avez eu la bonté , monsieur le Comte ,
de me communiquer vos vues au sujet d'un
corps de trente ou quarante mille homrbes
d'infanterie qu'il seroit aisé de former , en
demandant à chaque village -un soldat pris dans
ie nombre de ses habitans , et qu'il entretien-
droit à SCS dépens. Votre projet est digne d'un
citoyen qui aime sa patrie , et éclairé par la
plus sage politique. Hâtez-vous de communi-
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
ntrOLOGHE. ' 9o5
quer votre idée à vos collègues. Ce projet peut
êti c mis à exécution dans te momeni même de
Ift réforme. Il ne blesse en rien les préjugés de
la noblesse, et vos voisins le verront exécuter
sans inquiétude. Vous ne montrerez par cet
établissement qu'une milice destinée à entre-
tenir la sûreté publique , faire respecter les
lois et prêier main- forte à la justice contre les
brigands et contre les rebelles qui refuseront
de se soumettre à ses jugemens ; mais dans le
fond vous formerez une infanterie nationale ,
dont il sera facile de rassembler les di£Fcrentea
brigades répandues dans vos palatinats , et qui
s'étant exercée pendant la paix , sera capable
entcmpsde guerre de servir utilementla patrie.
Cette milice n'est qu'un mal dans plusieurs
pays , parce qu'elle n'est qu'une corvée qui
nuit à l'agriculture , et rend le sort des paysans
plus malheurcDx, En Pologne elle peut servir
au contraire à rendre plus douce la servitude
de vos serfs et à donner même une sorte de
considération à cette classe d'hommes abrutis
et malheureux. Après vingt ans de service
pourquoi n'accordcroit - on pas à ces soldats
U liberté civile et les terres nécessaires à la
subsistance d'une famille ? Vous verriez se for-
merdans votre république des paysans libres,
et l'espérance de la libetté relireroit les autres
Dioil ..ci hy Google
6a5 DU COUVSRNEMEKT
de cette stapiditédans laquelle ils languissent,
et qui les empêche de pi endre le rauindré intérêt
au sort de la république.
Je vois avec chagrin un vice énorme dans
votrcconstitution. Je veux parler de ces espèces
de souveraiHetés que se sont faites quelques
seigneurs. Ils ont des forteresses , ei,y tiennent
une garnison qui ne dépend que d'eux. Vos
îois ont toléré Cet abus, ou parce qu'elle» ne
pouvoicnt le réprimer, ou parce que vous avez
regardé ces châteaux et ces soldats des parti-
culiers comme des forces qui ne, coûtoicnt rien
à la république, et dont elle pourroît cependant
se servir dans le besoin. Mais la société est
menacée des plus grands dangers , quand un
citoyen est assez fort par lui- même pour ne
pas craindre la loi. L'ordre des choses est ren-
versé , la puissance publique est dissoute , et
tout est perdu , dès que le tntoyen que la répu-
tliquc doit défendre s'est rendu assez puissant
pour la protéger. J'avoue que dans le moment
de la réforme je ne vois aucun remède à ce
mal. Quels criï , quelles plaintes , on plutôt
quel soulèvement n'exciteriez - vous pas ? Si les
réformateurs ne sont pas plus habiles que moi,
ils doivent prudemment fermer les yeux et
feindre de ne rien voir.
Espérez que dans le redoublement de zèle»
D,o,i..cihyGoogle "
■ ti % FOLOCNE. 907
d'amour de la patrie et d'amour dt la liberté
qu'inspirera un nouveaa goovcrncment , la
république n'éprouvera pendant quelque temps
aucune disgrâce de la part de ces citoyens
souverains ; leur vanité craindra de blesiet
l'opinion publique , elle sera contenue. Maïs,
que l'avenir vous inquiète ! Vous connoissez ,
monueur le Comte , le cours, la marche , les
ruses et tous les prestiges des passions humaines;
concluez - en que cette vanité dangereuse ne
âisparoitra point , tant qu'elle sera nonrrie pas
l'appareil de la force et de la grandeur. Songes
'k ce qu'elle osera , quand elle pourra se pro«
mettre l'impunité. S'il arrive en&n des circoaa-
tances qui pcTroettent de réprimer cet abus , ne
pierdei pas un moment et courei au remède :
tâchez même de hâter ces circonstances. Après
que l'anarchie aura fait place à un bon gouvctv
aement , on pcot se flatter que ces grands
•■'a[>ercevrofit qu'ils ont -moins besoin d'être
puissans' par leurs propres forces, soit pour st
défendre «onirc leurs ennemis, ioit pour jouk
d'an pliîs gi'ind crédit. Leur orgueil s'apptivoi-
ttra, «t ils seront moins anachés à des iroupos
qat leur seront inutiles , cl qui leur coûtent
bcaocoiïp.
■ C'est an grand mal que ta noblesse de Pologne
^ecic aà lan-g dè«es privilèges les plus précieus,
no,-7«jhyGt)t)^le
toS DU GOUyERNEMEMT
de ne servir qu'un certain nombre de jours. J«
pardonne cette barbarie à nos anciens Français ,
chez qui le gouvernement féodal avoir détruit
toute idée de bien public. Que des vassaux
qui , malgré la foi et l'hommage , avoient tani
de motifs de haïr leurs suzerains , ne les servis-
sent qu'à regret, et disputassent sur le nombre
de jours de service qu'ils leurs dévoient, je
n'en suis point étonné. Mais les Polonais n'ont
jamais connu nos lois ni nos coutumes féodales.
Leur république n'est qu'une association des
possesseurs des terres ; un intérêt commun a
dû toujours les réunir ; chacun en particulier a'
dû sentir combien il lui iraportoit de repousse»
des domaines de la république un ennemi
étranger qui veut les envahir. Dans cette situa-
tion , compter les JQurs de son service , c'est
trahir ses propres intérêts. En ne défendant pas
la cause publique, j'abandonne le soin de ma
fortune particulière', parce que j'affoiblis'la
puissance qui doit me protéger , et que je n'ai
formée que dans la vue de lat défendre et de
me maintenir dans mes possessions. Je seroîs
tenté de rechercher par quel caprice , quel
jeu , quelle erreur des passions , les Polonais
ont été conduits à des préjugés que naturelle-
ment Hs auraient dû toujours ignorer; mai»
cette discussion m^eDtrameroit trop loin , et
d'ailleurs
no,-7«jhyGt)t>*^le
DE POLOGNE. 90g
d'ailleurs , monsieur le Comte , l'avenir doit bien
plus vous occuper que le passe.
Je voudroîs donc que la noblesse Polonaise
connût asse^ ses intérêts pour né jamais mar-
' cliander et calculer avec la patrie , et crût , aa
coDtrairc , lui devoir tous les services dont elle
a besoin. Ce n'est point en ordonnant, bru talc
ment de se dévouer à la patrie que vous fercx
des citoyens zélés. Votre loi révoltante n'étouf-
fera point dans les coeurs cet amour de nous-
mêmes, quine consulte quescspropresintcrêts.
Soyez persuade que cet amour-propre est im-
mortel ; mais songez qu'un peut le diriger et
l'ennoblir à tel point qu'il produira des Codrus
cl des Décius. Une patrie qui sait se faire
aimer , produit des héros , parce qu'elle élève
nécessairement les amcs. Que toutes vos lois
tendent donc à cette fin. Cependant je regarde
comme un bien que vos gentilshommes exigent
une solde quand ils portent leurs armes dans
des provinces étrangères; Il faut tâcher d'as-^
socicr cette manière de penser avec l'amout
de la patrie, que vous tâcherez d'inspirer. Elle
empêchera que la république ne s'abandonne
à l'ambition de faire des conquêtes. Rien n'est
plus avantageux pour un peuple guerrier que
de se garantir de cette passion si propre à si'
Mabl)'. Tome VUI. O
■ D,o,i..cihy Google
41ù Du GOUV RNEirfENT
duirc notre orgueil , et qui ne manque jamait
de i;ompie les ressorts d'un gouvernement
libre , soii qu elle écbouc , soit qu elle réussisse
dans ses entreprises,
Quelques-unes de vos frontières touchent à
des peuples qui se font un mérite de vivre de
vol Cl de brigandage , et souventils font des
incursions sur vos terres. Ny a- 1- il point
d autre moyen de se préserver de ces ravages ,
qu en tenant une armée dans les provinces qui
y sont exposées ? Si les paysans de ces contrées
étoient des hommes libres , s'ils avoient des
possessions , s'iU défcndoient leurs biens, il
ne seroii peut-être pas impossible d'établir
parmi eux un tek ordre et une [elle discipline ,
en les soutenant par la garnison de quelque
château , qu*ils se lissent craindre des brigands
qu'ils redoutent. Que vous importent des déserts
et des terres en triches ? Soyez généreux d'un
bien inutile qui vous est à charge. La Pologne
est punie d« la faute qu'elle a faite de violer
les droits de la nature , en ne traitant pas en
hommes les paysans qui cultivent ses terres;
elle ne jouit pas de leurs forces , et peut-être
doit-elle les regarder comme des ennemis. L'essai
heureux que vous feriez ^dans ces provinces,
vous instiuiroît de ce que vous devez exécuter
Dioii ..ci hy Google
DB POLOGNE. >ll
datis l'intérieur de I& république; et eu faisant
des hommes libres, elle acquerroit des richesses
et des deteiiseurs.
La Diète générale aura seule le droit de dé-
clarer U guerre, et déjuger des circonstaiKtea'
où il faudra remplir les engagemens d'une
alliance défensive. L'Europe n'est pleine que
de puissances inquiètes et ambitieuses qui ne
peuvent rester en repos ; mais étant de l'intéréc
de votre république de se borner à sa propre
conservation , elle doit s accoutumer à se peu
mêler des affaires des étrangers , et se borner
à l'alliance de ses amis naturels , c'est-à-dire,
des puissances qui doivent [a. défendre , et
qu elle peut à son tour servir par des diversions.
Les grandes puissances , disent les politii^ues,
doivent toujours patoître à la tête des affaires
qui troublent l'Kurope. Cette maxime peut
être excellente pour les états despotiques , que
le repos de la paix engourdit nécessairement;
mais elle est ruineuse pour les états libres,
j;atce quils ont en eux-mêmes un principe
d action et de mouvement qui les attache à la
patrie. Si je remontois , monsieur le Comte ,
à l'histoire des anciennes monarchies et dei
ancieunes républiques , cette vérité vous pa-
roitioit évidunic. Mais pour nous eo tenir à
O a
Dpi ..ci hy Google
tia su GOUVEKNEMENT
ce qui est sous nos yeux , voyez dans quel
avilissement une paix de trente ans a fait tomber
la puissance Ottomane. Il en a coûté cher aux
Provinces-Unies pour avoir voulu faire un
rôle considérable dans les guerres de leurs
voisins. L'Angleterre même , si favorablement
placée pour être heureuse, ne devroit-elle pas
comidencer à ouvrir les yeux sur ses vrais in-
térêts , et se repentir d'une ambition qui va la
mettre enfin dans la nécessité de montrer les
bornes de sa puissance , qui l'a distraite des
soins qu'elle devoit à sa liberté , et lui a fait
acheter bien chèrement le titre frivole de pro-
tectrice de l'équilibre ?
Si la guerre est heureuse, monsieur le Comte ,
elle corrompt ; si elle est malheureuse , elle
avilit. Je désirerois donc qu'une loi solennelle
ordonnât aux Polonais de ne prendre les armes
que pour défendre leurs possessions ou celles
de leurs alliés naturels; et d'examiner sciicu-
sement après chaque guerre , si la nécessité
des circonstances , les ressources extraordi-
naires auxquelles on aura peut-être été obligé
de recourir , la prospérité , en un mot , ou le
malheur n'ont point altéré les principes du
gouvernement et de la liberté. La première
Diète qui succédera à la paix doit être occunéo
DV^«Jhy Google
DE POLOGNE. 3l3
de ce soin. £lle doit nommer alors des magis-
trats extraordinaires et les revêtir d'un pouvoir
extraordinaire et nécessaire pour affermir les
lois ébranlées , et corriger les abus qui prépa-
reroicnt une décadence.
CHAPITRE XIV.
Du déparlement du grand-trésorier , ou du con-
seil de Jinancei.
^^OELiEs quepuissentétre les dispositions des
Polonais pour la réforme de leur gouveroc-
ment, je ne sais s'il seroit sage , quand on la
fera , d'établir les nouveaux, impôts dont la
république peut avoir besoin pour consolider
SCS opérations. Je l'ai déjà dit bien des fois ,
il faut ne laisser aucun prétexte de le plaindre :
tout le monde, au contraire, doit se trouver
plus à son lise par rétablissement des nou-
velles lois. Votre gouvernement donnera \na-
ûlement tes plus belles espérances , quand
on se verra condamné à payer de nouvelles
contributions. A moins qu'en Pologne on
n'aime moins l'argent que dans le reste de
l'Europe , ce qui ne rac paroît guère vrai-
Ëcmblable , après ce qu'on ma dit de vos moeurs
O 3
Dioii ..ci hy Google
114 ^ ^ GOUVtRNEMEKT
domestiques , soyez persuadé qu'on se plain-
dra de l'impôt le plus léger , on murmurera ,
et il n'en faut pas davantage pour opposer
aux réformateurs des obstacles insurmontables.
Je voudrois qu'on se persuadât que l'état n'x
plus besoin d'argent. Chimère ! me direz-
voTJs ; et j'en conviendrai , si les grands qui
sont à la tête de la nation sont incapables
de tout sacrifice. Maïs s'ils étoicnt assez génér
reux pour ne pas demander des salaires ,
s'ils poussoient la générosité jusqu'à oublier
leur fortune domestique et s'occuper du bien
public , ils auroient des imitateurs,- L'avarice
donneroit par vanité ce que les lois tcnteroici>t
inutilement de lui. arracher ; car l'exemple ,
plus fort que les lois , nous entraine malgré
nous. Me dîrei-vous encore que ce que je
demande est impraticable et ne suRîroit poînl
aiiT! besoins nouveaux de la république ? Je
vous répondrai toujours sur le même ton. At-
tendez , pour lever des impôts , que le pu-
blic les juge indispensables , et que le bon-
heur dont il commencera à jouir lui persuade
qu'il n'achètera pss trop chèrement celui qu'on
lui promet. Ce ne sera pas alors le législa-
teur qui lèvera des contributions , ce sera
le citoyen qui les offrira , parce qu it en sentir^
ta neccâsue.
Dpi ..ci hy Google
Dï polocni. ai5
Vous avez eu la bonté , monsieur le Comte,
de me faire part de ditFérens projets qu'on a
imaginés pour augmenter tes revenus de la
républiq.uc. Tantôt il est question d'unir le's
starostîcs au trésor public , qui les afFermeroit;
tantôt on veut les joindre à ditférenies magis-
tratures et à dilfétentes diç;uités , pour tenir
lieu des appointcmens ou des gages que leur
donne l'état. On propose encore de les vendre
au profit de la république , et on se flatte
de tirer de cette vente des sommes contîdé-
lablcs et d'établir un revenu fixe , en sou-
mettant CCS terres starostales à une rcdcvpncc
annuelle. Permettez-moi de faire quelques ré-
flexions sur ces ditFérens projets.
Les deux premiers systèmes entraîneraient
à leur suite les plus grands abus. Qui ne voit
pas que les terres des starosties , données
à Terme par l'état, ne produiroieni pas la moitié
de ce qu'elles doivent produire ? Si c'est la
Diète générale que vous chargez de l'adju-
dication de CCS domaines , vous jetterez dans
cette assemblée une pomme de discorde , et
cependant vous ne sauriez trop vous appliquer
à y concilier les esprits. Qui vous répondra
que les nonces , déguisés sous des noms em-
pruntés , ne seront pas en effet les fcrraicra
04 ^
Dpi ..ci hy Google
al6 DU GOUVERNEMENT
de la république ? Pour établir cet abiis , v
combien de faussetés et d'intrigues n'aura-
t-on pas recoait ? Quand une fois il sera éta"
bit ,ce qui ne tardera pas , ne prévoyez-vous
pas que ce grand intérêt des fermes de la ré- ■
publique sera l'arae de toutes vos Diètes ? A
quelles lois salutaires pourrcz-vous donc
vous attendre ? Supposez que le conseil des
finances fasse cette opération ; alors je pren-
drai la liberté de vous dire que vous y éta-
blissez la corruption. Si vous ne croyez pas
les Polonais tout differens des autres peuples ,
Ce conseil aora ses protégés , cl on leur sa-
crifiera l'état ; car il n'est pas possible que
des hommes puissans n'aient pas des amis , et
dans les circonstances présente», il seroit ifop
dur et trop farouche de leur défendre de les
préférer. Si vous ne connoissez pas encore
ce que nous appelons vulgairement une para-
gointti , un pot-de-vin ou, le tour du bâton,
vous ne tarderez pas à faire cette belle décou- .
verte; et je vous laisse à penser ce que vous
devez en attendre.
Le second arrangement ne vaut pas mieux
qne le premier. J'ai eu souvent l'honneur ,
monsieur le Comte , de vous entendre dire
qu'en attachant des starostics aux places
D,o,i..cihyCoogle
DE POLOGNE. 8I7
\t$ plus importantes de I2 république , on
s'ccartcroit de la maxime constante de vos
pères, qui n'ont jamais voulu que les grands
chargés de quelqu'admînistration vendissent
leui s services, et fussent traités comme des mer-
cenaires. On attendoit , pour les récompenser
par le don de quelque starostie , que vous
appelez U pain des biem méritam , qu'ils eus-
sent donné des preuves de leur zèle, de leur
fidélité et de leurs talens. Certainement cette
manière de récompenser est puisée dans les
règles de la plus sage politique , et les réforma-
teurs doivent faire" tous leurs efforts pour la
conserver précieusement. Si Ton voit, au con-
traire, vos que nouveaux ministres et vos séna-
teurs soient payés de leurs soins par des siaros-
tics, les esprits seront révoltés. On croira que
la réforme n'est qu'un prétexte honnête, dont
quelques hommes puissans se servent ponr
couvrir le dessein odieux, de s'emparer de
la fortune publique. On ne considérera bien-
tôt dans les places que les émolumens qui y
sont attachés. Il suffira dctre avare pour t'en
croire digne , et on s'en ouvrira le chemin
par des intrigues.
Je trouve de grands inconvéniens dans le
troisième système. Vous ne vendrez point les
Dpi ..ci hy Google
ai8 nu GOUVERNEMENT
staroslics , sans refroidir le zèle de vos bons
citoyens , qui sont accoutumés à les regarder
comme les récompenses de leurs services.
Dans le siècle où nous vivons , vï ne fant pas
s'attendre à trouver des Fabricius , des Emile .
des Scipions. En pariant du point où vous
eies.je n'ose pas même me flatter que, quel-
ques parfaites que soient un jour vos lois ,
elles puissent jamais inspirer un amoui assez
vit de la patrie pour produire encore de ces
grands hommes. U n'est que trop vraisem-
blable que les Polonais aujourd'hui ne pren-
dioient aucun intérêt à l'établissement d'un
gouvernement qui nauroît aucune grâce pé-
cuniaire à donner : la Diète , dont il est si
important d'augmenter la considération , ne
jouira que d'un crédit médiocre , et la puis-
sance législative qu'elle exercera sera donc
peu respectée. Les idées d'anarchie , à peine
oubliées , ne reprendront-elles pas leur prcr
nûère force ? Commeni le nouveau gouver-
nement parviendroit- il donc à s'affermir?
comment même réussiriez-vous à l'établir? Je
cioirois qu'il est indispensable , dans ces
commencemcns de reforme , de laisser sub-
sister toutes les nnjjicimes récompenses , et
même d'en imaginer de nouvelles , s il est
Dpi ..ci hy Google
DE .POLOGNE. 9lg
possible , afin de multiplier les espérances ,
et d'attacher {es citoyens à uns Oiète qut sera
devenue le canal des grâces et des incompensés.
Prenez-y garde , la politique qui vous ordonne
d'avoir toujours devant tes yeux le modèle
idéal de la pcrfcciion , vous ordonne égale-
ment de vous prêter avec condescendance à
la foiblessc de vos mœurs. Vous aurez fait tout
ce que vous devez faire , quand voui aurez
mis votre patrie sur la route du bonheur ,
et écarté avec soin tout ce qui pourroit l'in-
viter à l'abandonner.
Un jour viendra peut-être , monsieur le
Comte , et je l espère , où ce projet de la vente
des siarosties pourra être exécuté sans danger;
c'»st quand le temps aura etface peu à peu les
traces et les habitudes de votre (touvcrnement
actuel. Lorsque tes lois inspireront plus d'amour
et de respect que de crainte, lorsqu'un nouvel
esprit animera la république , alors, selon le
besoin des circonstances, et pour faire quelqut^s
établissemens nécessaires sans mettre la géné-
rosité des Polnnais à une trop forte épreuve,
il sera permis de proposer la vente ou l'aliéna-
tion de quelques starosties. Je ne voudrois pas
même alors qu'on aliénât à la fois tous les
kénéjices de la république. Je craindruis que la
Dpi ..ci hy Google
BSO DU GOUVERNEMENT
commotion ne fût trop grande, ou que dans
onc affaire de cette importance les personnes
chargées de l'administrer ne fussent exposées
à des tentations plus fortes que leur vertu. Il
est du moins certain qu'en maniant de grandes
richesses , on se conduiroit avec moins d'éco-
nouiie; car le propre de l'abondance est de
rendre moins attentif. Qu'on n'ait point une
inipaiience imprudente; on doit être persuadé
qu'on n'aura pas plutôt vendu quelques sta-
tostîes, dont le produit sera (îdeUemcnt em-
ployé à des établisscincns utiles , que cette
ressource paroîtra trop facile et trop commode
pour ne pas y avoir recours dans les besoins
de la république.
Mais , me dira - t- on , en attendant ce
moment désiré , que fera la république , qui
a des besoins , et qui manque de fonds ? Je
répondrai : Qu'elle apprenne patiemment à
s'en passer, la nécessité est un grand maître ,
elle ouvre des ressources inconnues. Par une
suite de votre situation piésentc , vous êtes
condamnes à faire encore pendant long-temps
des fautes ; et votre conduite sera très-sage,
quand vous prendiei le parti qui aura le moins
dinconvéniens. Si votre république naissante
pc sait agir qu'en répandant de l'argent , «lie
no,-7«jhyGt)C5^le
DE POLOCKE. BBt
sera bientôt épuisée. N'avez-vous pas remarqué
que ce qu'on appelle le crédit public , et que
la politique regarde comme un grand bien, a
toujours multiplié les besoins de l'état, rendu
les passions plus imprudentes , et jeté enfin le
gouvernement dans la plus extrême foiblessc ?
J'aime assez qu'une nation qui se forme , soit
exposée à des épreuves ftcheuses; elles élèveron
son caractère, retarderont la décadence, fniît
de nos lois imparfaites et grossières , et peut-être
la préviendront. Aux récompenses pécuniaires,
à ces salaires que demandent les âmes com-
munes , que la Pologne substitue les récom-
penses qui intéressent Thonneur et qui flattent
l'amour de la gloire. Si cette politique un peu
trop *ioble ne répondoit pas assez à vos espé-
rances , on ponrroit subvenir aux dépenses les
plui indispensables , en vendant quelques
parties du domaine de la couronne. Ces terres
doivent appartenir à la république , puisque
le trésor public sera chargé , suivant les ordres
de la Diète générale , de payer au roi la somme
que vous croirez nécessaire pour l'entretien de
sa maison. Cette aliénation me paroît nécessaire
pour ne pas exposer le gouvernement aux
inconvéniens et aux tentations dont je viens de
parler au sujet des starosties ; et elle suffira
Dpi ..ci hy Google
aaa nu gouvernement
pour rérompcnser la peiiic noblesse qui aura
monlréduièlc , et attirer chez vous les étrangers
dont vous avez besoin pour établir Indiscipline
militaire dans vos troupes, ctforincrlcs collèges
et les autres établisscmens destinés à l'éducation
de la jeunesse.
Enfin . monsieur le Comte, s'il est absolu-
ment nécessaire de lever quelque nouvel impôt ,
on pourroit avoir recours au projet du papier
timbré , dont vous m'avez fait l'honneur de me
parler, et établir quelques droits sur la con-
sommation des villes. La noblesse possède
toutes les terres , et la contribution que je
propose Talarmcroit infiniment moins qu'un
impôt territorial. Les Polonais seront trop
heureux , si l'embarras de pourvoir à leurs
besoins accoutume le gouvernement à la plus
grande économie. La loi doit donc ordonner
au grand- trésorier ou à son conseil, de moijis
s >npliquer à l'art d'améliorer les Ënanccs>qu'à
celui de s'en passer. Qu'on voie dans l'histoire
ce que des nations pauvres ont fait de grand ;
qu on examine si les nations qui ont regarde
l'srgent comme le nerf de la guerre n'ont pas
toujours clé foibies , languissantes et malheu-
reuses. On tirera de cette étude des lumièiés
bien favorables i U doctrine bizarre, mâi:^ viaie
Dpi ..ci hy Google
bt r û L O à K t. ssS
que je présente. En un mot , si Ton ne s'ciudie
p^s à faire beaucoup de choses avec peu
d argent , il- est démontré qu'avec beaucoup
d'argent on ne fera bientôt que peu de choscï ,
ou rien.
La perception des deniers publics doit se
faire de la manière la plus simple et sans le
secours des traitans ; de la finance, qui ne
doit être qu'une manutention économique et
fidclie , ils en fcrnient bientôt un art tyranni-
que , difficile et mystérieux , où eux seuls
comprendroient quelque chose. Ils ne man-
queroientpasde profiler de l'ignorance publique
pour tromper les citoyens; et en augmentant
les besoins du gouvernement, ils se rendroient
les maîtres de ses opérations. Je crois qu'un
état est bien à plaindre , quand on est obligé
de regarder les financiers comme ses colenpcs.
Un ministre dont la mémoire nous est chère et
précieuse, leur a donné ce titre, comme Ci-
céron l'avoit donné autrefois aux fermiers de la
république romaine Je me souvien s qu'on blâma
beauco^ cette expression; elle est juste cepen-
dant; cIlcTcodoitaveccxactitudeunevérité qui
n'étoit malheureusement que trop vraie ; et
nous ne devions blâmer que les ministres pré-
cédens, dont l'administration imprudente avoit
Dpi ..ci hy Google
224 DU GOUVERNEMENT
donné aux financiers un pouvoir et un crédit
dont il n'étoit plus possible de se débarrasser.
LaPolognc n'évitera cet écucil qu'en travaillant
sans cesse à diminuer ses besoins , et en se
faisantune loi de ne jamais faire d'entreprises
au-dessus de ses forces.
Il seroit heureux qu'après avoir demandé la
somme nécessaire à la république , on pût régler
aune manière fixe ce que chaque palatînaten
payeroit proportionnémcnt à ses richesses- Il
faut laisser aux Dictines postcomiiiales la liberté
d'établir dans leur ressort la perception que
chacune d'elles jugera la moins onéreuse. Le
trésorier particulier de chaque palatinat rendra
compte à la Diétine d^ sa gestion , et fera
passer tous les six mois le contingent ou la
contribution de son palatinat dans les coffres
du grand- trésorier ou du conseil de finance,
qui sera lui - même obligé de rendre compte au
sénat et à la Diète générale des sommes qu'il
aura reçues et de celles qu'il aura payées :
le tout fondé sur les reçus, quittances et autres
pièces justificatives de cette natnre. ^
Les sommes surabondantes qui resteront
dans le trésor, seront employées sur-le-champ,
par ordre de la Diète, à construire des ouvrages
publics , faire des établissemens utiles , dont la
Pologne ,
Do,T«Jhy Google-
DE POLOGNE. S 3â
Pologne, est, dit-on, totalement dépourvue,
ou donner des gratifications aux gentilshommes
sans fortune qui auront bien mérité de la
république , et aux bourgeois mêmes , qu'il
faut aider à sortir de leur stupidc misère pour
s"élever à une industrie utile. Il ne doit pas
être permis à l'économie d'accumuler et d'en- ,
tasser les épargnes, parce que ce trésor ruincroit
infailliblement l'esprit d'écotiomic qui l'auroit
formé. Je sais tout ce qu'on peut dire contre
ia doctrine que j'expose ; mais je sais aussi
que la politique est toujours la dupe des pas-
sions qu'elle ménage , ou dont elle ne se défie
pas. Un trésor exposeroità de grandes tentations
ceux qui en auroicnt l'administration ; ils suc-
combcroient , et pour cacher leurs fraudes ,
envelopperoient de ténèbres les affaires de ia
république. Si par hasard il étoit gardé par
des mains pures , la Pologne auroit bientôt
de l'ambition ; en faisant des entreprises au-
dessus de SCS forces , ses revenus ordinaires
ne lui suffiroientplus; elle feroitdcs emprunts,
il faudroit établir un crédit public; et ce crédit
qu'on regarderoit comme un bien , ne lardcroit
pas à vous faire tomber dan^ une extrêJie
langueur , et d'autant plus fâcheuse , qu'on
Mably. Tome VIII. F
Dpi ..ci hy Google
226 DU GOUVERNEMENT
s'apcrccvroit trop tard des inconvénicns , pcar
pouvoir 6u vouloit y. remédier.
Aucun impôt nou,vcau ni aucune augmenta-
tion d'impôt ne pourront être établis sans une
loi de la Diète générale. Toute augmentation
sera répartie proporciannellcment à la pre-
mière imposition , c'est - à - dire , au marc
la livre , entre tous les patatinats. Le sénat
ou le conseil de finances ne payera que
les dépenses qui intéressent la généralité ou
le corps entier de l'état. Dans ce nombre il
faut mettre la liste civile du roi, ou les revcv.us
qui lui seront attribués ; les sommes néces-
saires pour subvenir aux frais qu'exigent les
différons conseils , et que sous auc«n prétexte
on ne pourra augmenter sans un ordre de
la Diète ; les appointemen» donnés aux am-
bassadeurs ou ministres dans les cours étran-
gères ; la paye de l'armée ; les gratifications
accordées par la Dièie , soit à des particulier» ,
soit à des palatinats ou districts qui auroîent
éprouvé quelque malheur; et enfin les sommes
que la Diète aura destinées à des établissemens
nouveaux. Moins la généralité ou le corps
entier de la rcpublic^ue demandera d'argent
aux citoyens , plus son adniinistration sera
parfaite. J'aurois honte de répéter ti souvent
D,o,i..cih;Googlc
Cl p. OLOCMB. »3)
Ctttc trivialité , s'il ne paroissoii pas que
c'cstunc vérité presque généralement inconnue
dans rEnropc. Je souhaitcrois qu'on mû d'au*
tant plus d'ordre dans la régie des finances
dont le sénat sera chargé-, que c'est sur cd
modèle que les Diétîncs et les palatinats régle-
ront radministration de leurs tinances parti-
culières : voui verrez par-tout ou la même
sagesse ou les mêmes abus.
Outre la somme que chaque Diétlne lèvera
pour la contribution qu'elle devra à la répu-
blique , il lui sera permis d'exiger les impôts
particuliers qu'elle croira nécessaires , soit
pour payer les gages des commis employé»
à son service , soit pour faire ou réparer les
chemins , construire des ponts , et faire des
établisse mens utiles dans son ressort. Cette
administradon dont jouiront les provinces, y
conservera l'image de l'indépendance dont elles
lont si jalouses , y développera les talciis, et
excitera entr'elles une émulation avantageuse.
Quand il s'agira d'cntrfcprendrc de» oivrages
auxquels plusieurs palatinats doivent a'inté-*
Tesser, il leur sera libre de convenir entr'eux
de la somme que chacun payera, relativement '
à ses richesses , à son étendue et à l'avantage
plus ou moins grand qu'il en retirera. Après
P a
Dpi ..ci hy Google
428 DU GOUVERNEMENT
les articles convenus de part cl d'ai.'tre,, s'il
s'élcvoit quelque contestation cntreles Diétints
contractantes , elle sera portée à la Diète géné-
rale , qui jugeia souverainement. Dans l'éla-
blîssctnent des impôts , il sera défendu à chaque
palatinat de rien ordonner qui puisse nuire
aux iniérèts , franchises et libertés des autres
palatinais. Par exemple , il ne pourra, établir
aucune douane sur sa frontière ; un tel établis-
sement gêneroit le commerce de ses voisins.
En général, le commerce ne peut être trop libre
dans l'intérieur de chaque état; mais les réfor-
mateurs doivent èire d'autant plus attentifs à
empêcher qu'on n'y mette des entraves, qu'il
est question de former parmi vous le commerce ,
et que vos compatriotes , si on ne m"a pas
trompé , toujours dupes des juifs et des étran-
gers , n'ont pas à cet égard la moindre idée.
Les contestations nées à ce sujet entre différehs
palatinats seront également jugées par la Diète
générale.
Ce mémoire devient bien long .monsieur le
Comte; cependantje ne puis me dispenser de
placer encore ici quelques réflexions. Je crains
que les établissemens que j'ai proposés ne
soient pas adoptés , ou qu'après l'avoir été , ils
ne subsistcntpas long-temps , si les réformateurt
n,o,i7PcihyGt)C5^le
DE POLOGNE. SQ^
ne prennent pas dans tous les détails de leur
politique les précautions les plus sages pour
donner un nouvel esprit à leur patrie. Vos
lois anciennes ont voulu établir une égalité
parfaite entre tons les gentilshommes ; iU
s'appellent frères ; leurs droits sont égaux ; c'est
à la charge dont un gentilhomme est revêtu,
etnonàsa naissance plus ou moins illustrée,
plus pu moins ancienne, qu'on doit des respects.
Mais , il en faut convenir, vos mœurs vous ont
prodigieusement éloignés de cette précieuse
égalité. On ne peut se déguiser qu'il ne se soit
formé parmi vous une grande et une petite
noblesse. L'anarchie du gouvernement et la
fortune trop considérablç de quelques-unes de
vos maisons ont fait parmi vous un ordre de
seigneurs qui, dans une république , ont une
trop haute idée de leur pouvoir personnel ,
pour daigner avoir la simplicité et la modestie ■
convenables à des républicains. Tout est parti
et faction parmi eux; et il est d'autant plus
difficile de déraciner ces vices capitaux , que
la Pologne est d'ailleurs remplie d'une noblesse
indigente qui est entraînée par le mouvement
que lui donnent les grands, et dont la bassesse,
dit- on, et le penchant à la servitude ,.ne sont
P 5
Do,T«jhy Google
aSo DU GOUVERNEMENT
pas moins contraÏTCs à U liberté que le despO'
tismc même de vos seigneurs.
Je sens combien il est nécessaire de faire
prendre un nouveau génie à la noblesse Polo-
naise , et tout -ce que j'ai dit jusqu'ici tend k
et but ; mais je ne suis point assez instruit d«
vos mœurs familières et domestiques , pour
hasarder de dire ce que les réformateurs doivent
(cnier. It est vrai que les arrangemens nouveaux
de La nouvelle constitution donneront on nouvel
intérêt aux Polonais ; mais cela suffit - il pour
bannir toute crainte et s'abandonner à 'de
grandes espérances ? Dirai-je qu'heureasement
ou malheureusement , une étude triip sérieuse
des révoluiions qu'ont éprouvées les peuples ,
m'a appris que rien* n'est plus rare ni plus
difficile que la réforme des nations? Que j'achè-
terois chèrement cette sottise avec laquelle
j'entends tous les jours déraisonner sur cette
matière , et qui croit toujours saisir le bien qui
fuit à glands pas devant elle ! Tout le monde
nt dcvroit-il pas savoir que le caractère qu'une
nation tient de ses anciennes lois et de set
anciens usages , lutte encore pendant long-tempi
contre les nouveautés que la politique lui' a
fait adopter ? Nos anciennes habitudes ont et
doivent avpir une force prodigieuse sur notre
Dioil ..ci hy Google
Di poLOC^E. aSi
esprit : vous les croirez détruites , et elles ne
sontque cachées et déguisées. Dans ce combat
perpétuel des anciens préjugés ec des lois nou-
velles, la victoire ne sera point înceriaine, si
la politique savante et profonde des réforma-
teurs a employé pas assidue ment, constamment
et sans distraction tous les moyens possibles
pour réprimer et contenir les vices que de trop
grandes richesses et un t.op grand pouvoir
d'une part , et de l'autre une trop grande pau-
vreté et une certaine bassesse donnent à la
nobtesse ou trop élevée ou trop dégradée.
Mais , en supposant qu il se fasse une heu-
reuse révolution dans les mœurs Polonaises.
je craindrois encore, monsieur le Comte, que
votre republique ne languît dans une foiblesse
extiéroe, ou du moins ne sût pas tirer parti dç
ees forces , tant qu'elle ne voudra composer
qu'une république de gentilshommes. Voyez,
je vous prie , dans quel anéantissement votre
noblesse tient ses malheureux sujets, lis ne
prennent ccrtaineroent aucun intérêt ni à votre
prospérité , ni à vos adversités ; et s'ils n'étoicnt
pas abrutis -pAr leur ignorance et le poids de
leur servitude , ils seroicnt ouvertement vos
ennemis , et vous éprouveriez des guerres
d'esclaves que le désespoÎT 2 rendus quelquefois
P 4
D,0,l7PCihyGt)C5'^le
Ï03 DU COUVE rkeme>:t
si terribles. Votre noblesse , réduite à ses
propres forces , a beau régner sur un pays aussi
vaste que l'Allcniagnc , clic ne formera point
une puissance égale à un des cercles de l'Em-
pire ; et cette vérité propre à vous effrayer ,
doit vous instruii-e de ce que doivent tenter
les réformateurs. Qui ne voit pas que la noblesse
sent le contre - coup du malheureux état où
elle tient ses paysans ? On ne viole point im-
punément les lois de ta nature. Que demande-
t-on à cette noblesse ? De gouverner son
patrimoine par les règles les plus propres à
laugraenter. La terre veut être cultivée par'
des mains libres. Que la Pologne regarde avec
compassion des hommes qui voudroient la
servir et la défendre , et les propriétaires des
terres verront augmenter leurs richesses ; et
leur digr^icé seia véritablement grande, parce
qu'ils seront les chefs d'une république res-
pectée.
Mais il ne suffit point d'établir parmi vous
un ordre de paysans libres , et qui aient quel-
ques possessions, pour former un état puissant.
Sans cette classe d'hommes précieux , connus
ailleurs sous le nom dç bourgeoisie ou de
tiers - état , jamais vous ne connoîtrcz aucune
industrie , et vous manquerez même des arts
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE. s33
les plus grossiers et les plus nécessaires. Ce
n'est en effet que dans cette classe intermédiaire
que se développe le génie qu'une fortune trop
grande ou trop misérable étouffe dans les autres
citoyens. Ne sachant pas employer les pioduc-
tionsde vos terres, vous êtes pauvres au milieu
de vos richesses , et vous dépendez également
des étiangers et de vos juifs. Mais n'espérez
pas d'avoir un tiers -état parmi vous, tant
• qu'une loi barbare ne permettra qu'au?i seuls
gentilshOFmmes de posséder des terres. Si vous
voulez enfin avoir des bourgeois aussi utiles
que les vôtres sont actuellement méprisables
et à charge à la république , permettez- leur de
se faire un patrimoine parmi vous et d'acquérir
des possessions. Au lieu de ces étrangers qui
s'établissent aujourd'hui dans vos villes pour
vous pressurer , profiler de votre mauvaise poli-
tique et vous abandonner avec dérision quand
leur fortune sera faite , vous verrez accourir des
colonies d'étrangers, qui, faisant des étabUsse-
mens durables dans vos provinces , vous enri-
chiront de leur industrie, et feront disparoîire
cette sorte de solitude et de déva-station dont la
Pologne est affligée,
Vous ne manquerez pas , monsieur le Comte ,
de me diic que vous êtes fort étonné dé la doc-
Dioii ..ci hy Google
a34 DU GOUVERNEMENT
trine que je vous prêche ; car vous êtes accoiï-
turaé à''m'entcndre blâmer le commerce ; et
souvent d'une manière as&cz dure. J'aurai rhon-^
neur de vous répondre que le commerce est
nécessaire à tous les peuples qui ne sont paS
sauvages , et qoi veulent sortir de leur barbarie.
Je le louerai lorsque sans faste et sans luxe il
sert (ks besoins simples et n'iirite pas nos
passions. Le commerce qui doit être encouragé
pour parvenir jusqu'à un certain terme qui est '
louable , veut être arrêté dans ses progrès , dès
que , passant ce terme , il fi'est propre qu'à
relâcher les liens de la société par la corruption
qu'il introduit dans les moeurs. Si on ne l'arrête
pas alors , tous ses progrès deviendront de jour
en jour des vices plus grands', qui précipiteront
la ruine de l'état. Un jour viendra , et j'ai déjà
pris la liberté de vous le dire , qu'il faudra voui
prècautionner contre cette politique funeste qui
pense qu'on ne peut trop favoriser et étendre le
commerce; mais aujouid hui vous avez besoin
de le faire naître parmi vous.
Les gentilshommes Polonais ne seroient-iU
pas plus grands et plus heureux , si des bour-
geois , qui ne leur contesteront jamais la préémi-
minence , jouisscient d'une fortune honnête et
solide sous la protection des lois, ctpouvoicnt,
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE. 7^5
à la faveur de leurs possessions , regarder la
Pologne comme leur patrie ? Ce n'est que
par lenrs secours que vous parvieodrei s
secouer le jong de vos juifs , à qui vous
devriez peut-être permettre de posséder des
terres , pour les corriger de leurs usures abo-
minables. Tanc que ce peuple errant n'aura
pour fortune que son industrie , il sera votre
ennemi. Oui , monsieur le Comte , il vous est
pernicieux de condamner en quelque sorte
CCS malheureux juifs à vous tromper et à vous
voler par subtilité. Voilà des idées qu'on ne
peut pas prudemment laisser parohrc dans le
temps de la réforme ; mais elles ne doivent,
pas être ignorées des réformateurs, quand le
gouvernement formé comm^cera à prendre
une certaine consistance; instruisez -les de ce
qu'ils doivent faire. Invitez -les à pro6ier des
circonstances favorables qui se présenteront ,
ou plutôcapprcnei-leur à faire naître ces heu-
reuses circonstances.
Au château de Chanlôme , ce 3i août 1770*
Do,T«Jhy Google
Do,T«jhy Google
AVERTISSEMENT.
* j p mémoire quon vient de lire , fut envoyé à la
Confédération de Bar , dont le comeil ou la gé-
néralilé séloit réfugié à Epériez , petite ville de
Hongrie. M. le Comte Wielkorski radrena en
même-temps à quelques-uns de ses collègues qui
négociaient en dijérentts cours , ou qui étaient
restés dans leur patrie pour veiller à ses intérêts et
servir les Confédérés. L'ouvrage de M. l'abbé de
Mablyfut examiné avec soin , et chacun adressa à
M. le comte Wielhorskises remarques,ses dijicultés
etscs doutes. Tous ces écrits furent communiqués à
Fauteur , qui les étudia , les médita , et fit un
second mémoire qui contient tous les éclaircisse~
mens qu'on pouvait désirer sur le projet de réfor-
mer le gouvernement et les lois de la république de
Pologne.
Do,T«Jhy Google
Dpi ..ci hy Google
DU GOUVERNEMENT
ET DES LOIS
DE POLOGNE.
SECONDE PARTIE.
ÉCLAIRCISSEMENS
A M. LE COMTE WIELHORSKI,
CHAPITRE PREMIER.
Des objections proposées contre U mémoire pré'
cèdent et auxquelles il est inutile de répondre.
Je, viens de lire, monsieur le Comte, avec
toute rattcnûon dont je suis capable , les dif-
fércns écrits qui vous ont été envoyés par Us
personnes à qui vous avez communiqué le
mémoire que vous m'avez fait l'honneur de
me demander sur la réforme de votre gouver-
nement et de vos lois; et je me hâte de vous
Do,T«ihy Google
840 DU C O U V E E K t M E N T
remettre les cclaircisscmcns qu'on paroît dé-
sirer , ce qui dissiperont peut - être tous les
doutes qu'on m'oppose. Je crois avoir remar-
qué dans quelques - uns de ces écrits , que
l'auteur n'y considère assez souvent le bien
public que relativement à ses intérêts particu-
liers. On n'y juge dej vices et des désordres
de la république , que par le mal qu'on a
souffert dans sa personne ou dans ses terres.
Que résulte-t-il de cette erreur, qui n'est que
trop générale parmi les hommes ? C est que
chacun propose de commencer la réforme des
lois par la suppression des abus qui l'incom-
modent davantage; chacun croit que le gou-
vernement seroit parfait , si l'on proscrivoît
le vice dont il se plaint. Qu'on me permette
de le dire , je n'ai point d'éclaircissemens à
donnera des personnes qui ne soupçonnent
pas que la législation demande plus d'art et de
méthode.
Ilfaudroit faire des volumes, si je voslois
entrer dans l'examen de plusieurs articles cu-
rieux , mais plus propres à faire connoîlre les
principes de votre ancien gouvernement, que
ceux qu'on doit se proposer et suivre dans la
réforme que médite la Confédération. Je n'ai
pas les connoissances nécessaires pour entre-
prendre
Dpi ..ci hy Google
DE POLOCfft. 941
prendre un pareil ouvrage ; et quand je les
aurois , je ne croîs pas que -ce fût ici l'occasioa
detaicr mes connoissances. A quoi scrviroit
de prouver qui vous avez toujours formé unÇ
nation tibtc , et qu'il n'est pas vraisemblable
que les Sarmates , dont vous descendez , et qui
n'éloient pas moins jaloux de leur liberté que
tousics peuples du Nord et de laGermanie, aient
commencé par con&er à leur général un pou*
voir absolu ? Quel seroit le fruit de ces sa*
vantes recherches ? en seriez - vous plus «n
droit de corriger les vices de votre gouvcr-
cemenc ? Quand vous auriez obéi autrefois à
une vraie monarchie , quand vous auriez dam
les mains les traités passés entre la nation et
le prince , si depuis vous ttes renirés dans votre
liberté primitive .je ne conçois point comment
aujourd'huivousn'êtespas les maîtres de dresser
i votre gré vospàcta tonvenla , et tégler les con-
ditions auxquelles vous consentez à vous don-
ner un roi. Si vos pères n'ont pas d'abord été
libres, il est du moins certain qu'ils le sont
devenus par une suite de révolutions; et sans
qu'on puisse vous reprocher la moindre injus-
tice , vous .êtes en droit de profiter de cette
liberté pour établir parmi vous la forme de
gouveTnemcntquevousjugerczlaplussaluiairç.
Mably. Tomt VIII. Q
no,-7«jhyG*.)t>»^le
aïs «UG0I7VERNEMENT
^. Abandonnons toutes ces , discussions ïnn-
«les , monsieur le Comte , poor nous en tenir
à la réforme de vos lois et de votre gouver-
nement. Il jie s'agit pas de savoir quelle a
été la condition de vos pères , mais d'établir
la vôtre et celle de votre postérité. Il faut
arrêter le cours des malheurs qui désolent
votre patrie, et lui assurer un avpnjr beuteujt,
-Me suis-je trompé dans le choix des movcna
■que j'ai indiqués pour parvenir à cette double
fin ? Voilà ce qui vous intéresse , ci ce qu'il
suffit d'examiner.
, ,, ; . CHAPITRE II.
En quoi et comment les lois Polonaises sont
iczeuses
J. AI dit dans mon mémoire que la Pologne
dcvoit ses malheurs à ses mauvaises lois; et
l'on me répond dan? la plupart des écrits que
vou^ avez eu la bonté de me communiquer,
que le roi, le sénat et l'ordre éq.ues,trc ont des
devoirs très-sévércs à remplir, et que tons ce»
deypirs sont clairement désignés et formelle-
ment prescrits par Jcs lois. De-là on conclut
jXuc .l£S lois sont bonnes, et qu'on ne doit
D,o,l..cihyGtK>gle
DE rOLÔGNÉ. 243
attribuer qu'à la dépravation dcS mœurs tous
les désdvàiei dont les Polonais sont les vic^
timcs. Fort bien : je sens à merveille qne de
bonnes in<xurs , en portant le roi , les séna-
teurs et tQUfllcs citoyens au bien, suppléeroient
à ce qui manque aux lois , et vous rendroient
tous égi^Iemcnt heureux. Mai* recherchons,
je vous prie, pourquoi les Polonais ont ces
mauvaises mccurs dont on se plaint, et aux-
quelles. on attribue tout le mal. Je demande
pourquoi l'en désobéit ouvertement et sans"
pudeur à ces lois dont .on loue la sagesse ?
N'est-ce point-parce qu'ayant été jetée* au
hasard et sans ordre , elles ne sont point étroit
tcmcnt liées entr'eÛcs,? Au lieu de se pieier
une force mutuelle., ne se nuisent-elles pas,
ne se- contrarient -elles .point. ? Partent- elles ,
du même principe .tstidcnt- elles au même
tut , veillent- elles k la fois à la sûreté et à
l'innocence, du citoyen , ont-eîles pris, en un
jnotvdes rocsures efficaces pour aiiérmir leur
em[ûre ?.ll faut nécessairement que les lois
pblona^ises aientplusieurs défauts , puisqu'elles
n'ont pu- prévenir la dégradation de* mreurs
dont oa se plaint, on que les personnes qut
loiiffiitla;ïagessc de vos lois , conviennent qu il
.'y:%:d£Ei.ofÎBCs sans cause.
D,o,i..cihyGoogle
t44 Dù eavvtTiJii.tstttt
Mais quand vol lois , auxquelles on peut
feire de» repTOchc» si graves y formeroient un
sysccme cnder , exact et régulier de morale ,- ne
serois-je pas en droit de les regarder comme
l'ouvrage d'un Ugislateur ignorant , qui sa
contentant d'ordonner le bien et de défendre
le mal, auroit néglige les mesures nécessaires
pour s'assurer d<! l'obéissance des magistrats
■ et des citoyens ? On a encouragé , me dit-on .
les bons par des récompenses , et intimidé
les méchans par des punîdons. C'est quelque
chose : mais si on voit que l*cs gens de mérite,
n'ont presque jamais été honorés d'aucune
récompense, et que les méchans ont presque
toujours échappé au châtiment, ne dois*je pat
blâmer vos législateurs de n'avoir pas donna
aux lois la protection dont elles ont besoin,
et d'avoir laissé une libre earrièrc aux pas-
sions et aux mauvaises mœurs. Vous voyei,
monsieur le Comte , que ces lois particulières
dont on se vjmte, ne sont d'aucune udlité;
parcQ^que des lois d'un ordre supérieur n^ont
pas établi une puissance publique qui en ren-
dît la pratique nécessaire : en voulant élever
un édifice , on a oublié les fondations.
Ces lois d'un ordre supérieur , c^cst ce qu'on
appelle les lois fondamencales. Si elles sont
Do,T«jhyGooj^le
DE POLOGNX. 945
vicieuses,' si elles ne sont pas proportionnées
à la nature du cœur hamain cl de la société.
Ton est en droit de les regarder comme les
causes de tous les désordres de l'état. Or, je
le demande , et qu'on iQe réponde de bonne
foi , en réglant la forme de leur gouverne-
ment, en formant une puissance publique,
les Polonais ont-ils confiera chaque magistrat
une force ou un pouvoir dont il lui fût im-
.possible d'abuser, tandis qu'il contiendroit les
citoyens dans les bornes des devoirs qui leur
' sont prescrits F Vos lois n'ont-elles pas rendu
le roi trop puissant, pour qu'il puis.se remplir
exactement l'obligation qu'on lui prescrit d'ou-
blier ses intérêts personnels pour ne s'occuper
qpe du bien public ? Ses prérogatives , au con-
tr^re , ne sont-elles pas assez grandes pour
exciter en lui une vanité, une ambition et
même une avarice qui , en le rendant injuste ,
doivent troubler toute l'harmonie politique?
Ne lui a- t "■ on pas laissé assez de grâces et
de faveurs à répandre, pour qu'il achète (les.
courtisans qui Etchèveront aisément de le cor-^
rompre , après avoir été eux - mêmes encore
plus aisément corrompus ? Une législation qui
ne sait pas que nos passions acquièrent plus
de force À mesure que nous avons plus de
Dioii ..ci hy Google
34^ i)u gou-vehnemcnt
pouvoir, qui ignore que la sagesse est rare-
ment assise sur le trÔDc', et que les courtisans
sont toujours prêts à tout sacrifier à leur for-
tune , est une législation bien aveugle , et
devient cUc - même une source intarissable
d'abqi.
En plaçant dans le sénat vos évêqucs , vos
palatins et voa castcllans , la loi a-t-cUc pris
. des mesures pour que leur dignité fût la ré-
compense du mérite ,- et non pas le prix de
la -faveur ? A-t-cllc partagé leur pouvoir de
façon qu'ils ne fussent que ses organes ? A-t-
elle pris les moyens nécessaires pour leur faire
pimcr les devoirs auxquels elle vouloit les as-
sujettir ? Non, sans doute , puisque touce la
..Pologne se plaint de leur extrême négligence,
et que le corps entier du sénat est devenu
piesqu'inutilc à la république.- Peut- on ne
paS'Iîllmer un législateur qui, n'ayant pas eu
■ l'espiit de se deûer. de Tavatice et de l'ambi^
, lion, des tuinistres , leur a en quelque sotte
perioii dç devenir des tyrans , et expose des
• /âtoyens qu'elle déclare libres , à tous les ca-
..priées d'un pouvoir daspotique ?En voyant ce
;:qui se passe dans vos Diètes et vos Dictines ,
oa juge que votre législateur a cru que; pour
,', conserver la liberté il ctoit nécessaire de réqniv
Dpi ..ci hy Google
DE roLOCNE. a47
, les <îtoyens dans des grandes assemblées.;
mais pourquoi a-l-îl négligé les Tèglcmens qui-
r:ndroient ces assemblées utiles ? Pourquoi
n'a - t - il pas préparé les Polonais par une
bonne éducation, à ne pas confondre la li-
berté et la licence ? Ce sont ces. précautions.
' entièrement oubliées parmi vous , qui font -
cependant la sagesse des lots ; parce qu'elles, .
en assurent l'ex-écution. Voilà , en un mot ,
les principes et les bases d'une bonne Icgisla-,
' tion ; et dès que je ne les trouve pas t!ans un,
peuple , je siiîs en droit d'accuser les lois dç
produire elles-mêmes tous les désordreset les
malheurs qu'il éprouve.
Rassemblez tout ce que les philosophes les
plus profonds ont écrit sur les devoirs des
rois , des magistrats et des citoyens ; de toutes
ces excellentes maximes , faites un code su-
blime de lois ; publie£-le aVec la solen-
nité la plus propre à frapppr-;.les esprits, et-
je vous prédis bardimcnE que , malgré toute
votre prétendue sagesse , voDs n'aurez :bientôt
qu'une lépubli'que misérable. A peine «era-t-,
on revenu de ce premier éco'nnement' qu'aura
produit la publication de vos lois , que. chacun :
songera i se mettre plus à son aise, .liCî.pas-
ùons auxquelles on n'a.ura,pâs donné 4«.iu>u<
Q4
D,0,l7PCihyGt)C>»^le
f 48 DU GOUVERNEMENT
veaux intérêts , en les liant sagement au bien
public, regarderont autour d'elles, et cher-
cheront quelles ressources on leur à laissées-
pour se satisfaire d'abord. Elles essaieront
leurs forces avec uqe sort» de pudeur; un
premier succès les rendra plus hardies , et les
lois ébranlées seront promptement négligées,
et ensuite avilies. C'est alors que se montrant
à visage découvert , les coupables , par leur
nombre , s'assureront de l'impunité. La puisr
sancc législative en sera corrompue. Ne pou-r
vaut plus protéger l'aDSCérité des anciennes
lois , on leur en substituera de nouvelles et
plus indulgentes ; mais on n'y obéira pas \
parce que les passions , plus libres, seront de
jour en jour plus entreprenantes. Les magis^
trats chargés de la puissance exécutrice seront
entraînés par le torrent des mauvaises mœurs,
et profitaront des abus nouveaux pour étendre
le pouvoir donl ils sont revêtus , et s'élever
sur les ruines de la puissance législative.
Je n'annonce point des malheurs chiraéri-:
qucs, et j« suis persuadé, monsieur le Comte,
que les défenseurs de la sagesse de vos lois
penseront comme moi , quand vous aurez eu
la bonté de leur faire passer ces réflexions. Je
les prierai encore de comparer la constitution
D,0,l7PCihyGt)C5^le
BE rOLOCNE. «49
^Jiûque des peuples les plus célèbres par leur
sagesse et leurs succès, à celle de; républî-
({ucs qui ont été les plus malheureuses et les
plus méprisée!. On verra que ces états dif* i
fièrent moins entr'cnx par leurs lois civiles ou ,
leurs règlement- particuliers , que par leurs
lois fondamentales ou la forme de leur cons-
titution. Tous les deux ont prcscritdes règles
de justice , de bienveillance et de sagesse aux
citoyeiu, mai« avec un SQCcès qui devoit être
très-différent. Pourquoi ? C'est que chcï les
nus , la* puissance législative s'étant déliée
d'elle - même , ayant pris de sages précau-
tions contre les foiblesses et les erreurs sî
naturelles aux hommes, conservoit toute sa
force, ne pouvott en quelque sorte s'égarer,
ou dit moins étoit toujours prête à réparer .
SCS fautes. Chfîz les autres, au contraire, ne
l'étant point prescrit une méthode sûre pour
«imcr et chercher la vérité, elle étoit la dupe
de ses propres caprices ; et loin d'éclairer et
de guider constamment tes citoyens , elle étoit
enfin forcée eUe-mêrae d'obéir à toutes leurs
passions. Là des magistrats distribués en dif-
férentes classes, et dont le pouvoir se balan-
çoit , n'avoieni et ne poiivoient avoir d'autre
ambition que de .servir utilement la patrie : ici
Dpi ..ci hy Google
s5o DU GOUVERNE UENT
voti$ fl-oaverez des magîstrair qui jouissent
trop long-.teinps d'un pouvoir trop étendu, et
qui pouvant espérer de se rendro les maîtres
de la république , la corrompent par leurs in-
trigues , pour la dégoûter de sa liberté et la
rendre esclave.
Je me' .suis arrêté sur cette mfitière , mon-
sieur le Comte , peut - être beaucoup pins
long-tcrtips que je n'aurois dû : mais puis-
qu'il est question de refondre votre ■gouver-
nement et vos lois , il est de la plus grande
importance de ne laisser subsister aucdn donte
sur la nature et la dignité des lois , et de con-
noître ce qui doit servir de fondement à une
bonnelégislation. Il importe de savoir ctd'êtrc
.convaincu qu'avec une foule de bonnes lois par-
ticulières, on peut fort bien n'avoir qu'une
mauvaise république. Qu'il scroitihalheorcux
pour vos réformateurs , qu'après avoi'r pris
beaucoup de peine pour corriger leur natio»
et la rendre heureuse , leur travail ne produisît
en effet aucun- bien réel t je passe à un autre-
qbjet.
Dpi ..ci hy Google
liE rOLOCNÏ. 251
C H A P I T R E I ï I.
Pe la manière de présenler Us lois en réformant
uTlt république.
,X ^ «< semble, dit le rcdactcur des réflexions
qui vous sont venuM d'Epéricz, que Itprojit
de réforme doit être fait comme par pièces déta~
chées , qu'en présenterait aux citoyens suivant tes
circonstances , et qu'en pourrait rassembler poiar
former un tout régulier. Cette proposition est
vraie , si on ne l'applique qu'aux lois pirti-
cnlièrcs qui seront nécessaires pouE réformer»
quelques coutumes , quelques abus ou quel-
ques vices, avec lesquels la Pologne neipeot
être florissante. En effet, je iuîs persuadé que
le législateur le plus habile à préparer et ma-
nier les esprits .n'évitera des obstacles sans
nombre, et peut-être insurmontables, qu'eu
ne laissant paa apercevoir tous les projets de
jréforme qu'il médite. Je l'ai déjà dit danp
mon premier mémoire ; c'est un fijincipe ini-
contestable en politique que le légisbiteur. doit
se prêter aux circonstances, icti pour. :nou6
r^pdra meilleurs, i^ç. p^s^emter Us. erreurs:,
Dpi ..ci hy Google
eja DU OOUVERHEMINT
Us préjugés, Ici vices, les caprices auxquels
nous somnrcs trop fortement attachés. Tout le
prouve : telle opinion qui est aujourd'hui in-
surmotitable, dans peu de teippB , dans quel-
ques jours, s'humilierfi pçqt-êtrcsans peine
sous le joug d'une loi salutaire. Je conviens
qu'à cet égard il faut n'agir qu'au jour le jour;
et c'çst "pour cela qdf j'ai invité la Gonfédé-r
ration à ne proposer que les lois qui pour-
Toient être agréables. Mais cette condescen-
dance doit être l'ouvrage d'une sagesse qui
embrasse à la fois toutes les parties de l'objet
qu'elle se propose , et qui les ait arcangéei
et disposées pour agir de concert, s'aider mu-
•tueUemeni et tendre au même but.
Qu'on me permette, de le dire , l'auteur ;
des léQexions d'Ëpérîcz semble trop s'aban-
donner aux circonstances. Il espère que de
ces lots diverses et dictées suivant les conjonc-
tures , on pourra , en les rassemblant, former
un tout régulier. Vaine espérance \ je crains
.que ces lois éparses et décousues ne puissent
jamais former un corps raisonnable de légis-
lation , si elles ne sont détachées du plan ré-
gulier et général que les réformateurs se seront
fait avant que de les proposer par parties à
^ Diète. Voulei-vous que le légîslatear fh*
Dpi ..ci hy Google
DE rOLOGNE. s53
semble à ces personnes qu'on rencontre dans
toutes nos sociétés , et qui sur l'apparence da
moindre bien ,- nous proposent libéralement
cent nouvelles lois ? Les sots en admirent la
sagesse; mais elles paroissent ridicules anx
gens sensés, parce qu'elles ne^peavent point
s'associer avec le reste de la législation. N'est"
il pas vrai que la plupart de ces lois partU
culières n'ont qu'une bonté relative ? Telle
d'entr'elles sert dans un système , qui nutroit
dans l'autre. Tant que je n'aurù pas un
plan fixe et arrêté de législation , Comment
jugerai-je que la loi que je porte aujourd'hui
ae nuira pas à celle que je croirai important
de publier demain ?
Un législateur doit sans doute connoîtrc lea
vices, les abus, les préjugés qu'il doit pros-*
trire quand les conjonctures seront favorables
à sti entreprises ; mais s'il ne se propose pas
une fin générale à laquelle il rapporte toutes
«es démarches , ne s'exposc-tril pas à attaquer
4es défauts légers qui tiennent quelquefois
à des choses très - utiles ? Si je ne suis pas
parfaitement instruit de la rpute que je dois
tenir, je tomberai dans Charybde en voulant
éviter Scylla. Dès que le public s'aperçoit de
l'ciabarras de ses guides , il le^iie sa confiance .
no,-7«JhyGt)t>*^IC
3^4 ^U OOVYlKîftHttlt
et ses soupçons donnent une nonvellc fôrctf
à ses passions et aux capricei de la foitanc.
C'est à cette manière de procéder au hasard ,
et pour ainsi dire à bâtons rompus , que tes
peuples doivent la plupart de ces lois incohé-
rentes qui ont réduit leur caractère et déformé
tous les gouvernemens. Dc-là cette fou|e de
lois qui se sont accumulées les unes sur les
autres , dont on seroit accablé si on n'avoit
pas pris le ■ parti de- les ignorer et de les mé-
priser , et qui doivent produire tantôt séparé-
ment et fbntôt à la fois ranarcMe et le deS'^
potismc. > '
Des lois particulières de police , d'ordre el
d'administration, passons ; jevous prie, mon-
sieur- le Comte , à la réforme des lois fonda-
mentales et cotisiitutives d'une république.
C^stici,' si je ne me trompe , qu'on voit
évidemment <:ombien il seroit puéril et
dangereux de ne présenter aux citoyens que
des pièces détachées de leur- gauvernément. A
•quoi scrviroit d'attribuer à tapuîssance légis-
lative la souveraineté suprême qtii lui appaf-
'tient , et qui doit e'étendfe egalemen-t- sor
toutes les parties delà république, si dans le
même instant vous ne réglez avec la plus
.grande précision les formas et les procédés
auxquels elle doit s'assujettir , pour que ses
hyGt)o^le
BE POLOGNE. a55
lois ne soient jamais l'oavrage de Ist corrup-
tion ,- de la partialité ou de rcngouement ?
Quioiportc d'établir la puissance législative,
si vous ne placez pas à ses côtés la puissance
exécutrice pour lui servir de ministre ? ï>e
quelle utilité nous seront des magistrats , si
leurs droits , leur dignité, leurs fonctions et
leurs devoirs ne sont pas établis et réglés
dans le même moment et par la même loi ?
Tant que l'ouvrage de la constitution n'est
pas achevé , j'oserois presque assurer qu'il
n'est pas même ébauché. En effet, ai vos lois
fondamentales ne sont pas , pour ainsi dire,
d'un même jet, il me semble qu'il vous sera.
impossible de les rassembler pour en formée
un corps régulier. Pourquoi ? C'est que vouS
aurez laissé aux passions le temps de se for-
mer de grandes prétention» et des espérances
encore plus grandes; je m'expliqlte".' Si Voire
Diète législative- jouissoic de' la souveraineté
avant que les prérogatives et les devoirs de
la puissance 'exécutrice fussent établies , je
craindrais que les nonces , par une suite de
cette vanité: ambitieuse qui infecte le cœuif
humain , n'accordassent ensuite qu'avec beau-
coup de peine aux magistrats l'autorité dont
ils ont bcËoiii po.ur faire observer les lois-.
Do,T«jhy Google
S56 DU COUVEkMEHXNt
Pcut-ctie que n'éiaot pas cnùèrement défaÎM
de leurs préjugés et de leurs habitudes anar-
chiques , ils refuseroieut de former une puiS'»
eance qu'ils Eeroicnt obligés de craindre et
de respecter après la séparation de lai Diète.
Si vous commencez par créer d'abord ces
magistrats , soyez sors qu'ils seront d'avance
lef ennemis de la puissance législative qui
doit avoir te droit de les juger. Tout le pou-
voir que vous voudrez accorder à la Diète
générale , ils le regarderont comme ub vol
fait à leur magistrature. Ils auront assez de
force ou d'art pour empêcher qu'on ne donne
aux nonces la souveraineté pleine et entière
dont ils doivent jouir. Les réformateurs seront
obligés de fiéchir; et en courbant les lois,
ils donneront de l'ambition à la puissance exé-
cutrice , et lui fourniront des prétextes pour
lutter avec avantage centre la puissance de la
Diète. Ne eroyft pas , monsieur le X^omte ,
qu'en vous parlant des entreprises de nos
passions , je me livre à des terreurs cbiméri--
ques. Vous savez qu'elles ont dénuit les gou-
vernemens les plus sages, c'est-à-dire, les
plus propres à donner des moeurs aux citoyens.
Quels ravages ne feroicnt-elles donc pas dans
çn pays où depuis long.'temps l'anarchie leur %
tout
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
DE POLOGNE. aS^
tout permis ? Que les Confédérés soient donc
convaincus que tons leurs projets échoueront,
s'ils n'établissenc pas dans le même jour et
parla même loi la forme entière et complète
de votre gouvernement.
Les Confédérés ne doivent donc rien négliger;
ils doivent donc tout tenter dès ce moment
pour prépaver leurs concitoyens à la révolu-
tion qu'ils méditent. Leurs peines ne seront
point perdues, puisqu'on vous mande , mon-
sieur le Comte, dans toutes ]es dépêches que
vous recevez, soitduconseifde la Confédération,
soit de Varsovie même, qu'il n'y a point de
Polonais qui , en souffrant beaucoup des dé-
sordres et des malheurs de la république , ne
commence à soupçonner, que son gouverne-
ment est très-vicieux, et n'ait besoin d'une
réforme considérable. Profitez de. ces heu-
reuses dispositions , que vos malheurs ne
soient pas perdus pour vous et pour votre
postérité. Je croîs que vos correspondans ne
■veulent point vous tromper ou vous consoler
par de fausses espérances. En effet , si la leçon
terrible que la Pologne reçoit n'étoit pas ca-
pable de lui ouvrir les yeux et de la corriger,
il faudroit convenir qu'il n'y a qu'une ruine
entière qui puisse linscruirc de ses erreurs,
Mably. Tome VIII. R
Dpi ..ci hy Google
258 DU GOUVERNEMENT
II est vraisemblable que plus vos compa-
triotes auront souffcit, plus ils seront dociles
et complaisani dans le rétablissement de la
paix, à l'égard des hommes qui n'auront pas
abandonné la république pendant la tempête,
et qui par leur fermeté l'auront empêchée ■
de faire naufrage. Mettez-vous en étal des
aujourd'hui de profiter de la joie à laquelle
on se livrera dans ce moment , et de l'espèce
d'enthousiasme ou d'engouement qui l'accom-
pagne , non pas pour ébaucher, mais pour
faire une véritable révolution. Si les Confé-
dérés, dans ces circonstances, portent à l'as-
semblée de la nation un plan entier et complet
de gouvernement , on l'acceptera selon les
apparences par acclamation ; car la joie qu'on
éprouve en échappant à de grands malheurs,
n'est ni scrupuleuse, ni- sévère, ni soupçon-
neuse. Mais si , ne connoissant pas le pris
d'une conjoncture si favorable, ils la laissent
échapper, qu'ils craignent de n'être plus les
maîtres des esprils. l/n instant de paix, de '^
calme et de bçnheur , peut faire oublier tout
le passé à des hommes peu exercés à s'oc-
cuper de l'avenir. Alors les habitudes an-
ciennesi reprendront leur empire , et je ne
voudroii' point répondre qu'à force de joie
Dpi ..ci hy Google
' O L O G N ]
'et de paresse , les Polonais ne revinssent à
croire qu'un gouvernement qui a été mis à
de si fortes épreuves , et qui les a sauvés , ne
fût très-sage- et doit être précieusement con-
servé. N'eu doutez pas, monsieur le Comte,
ïoutc nouveauté choquera vos compatriotes,
et ils voudront être encore ce qu'ils ont été
jusqu'à présent. Ce n'est point ici une pro-
phétie aventurée; et il me seroit oisé de jus-
tifier mes craintes, si je voulois prouver par
des exemples , que ce qui est arrivé tant de
fois dans le mpnde peut également arriver en
Pologne.'
hyGtJCl'.^lc
DU GOUVERNEME^
CHAPITRE IV.
Du libcrum veto el des Confédérations.
Kjomme le liberum veto, ajoute le même
■iii«moîre , est la source de notre anarchie, c'est
pour détruire ce mal primitif qu'il faut employer
tous les moyens possibles; et lorsqu'une fois cet
éhus sera anéanti , la puissance législative re-
prendra vigueur, et nous recouvrerons la faculté
d'agir. Je conviens qu'avec le liberum veto
l'on ne peut rien cspéier de bon, et je crois
même l'avoir démontré; mais je doute qu'en le
dètruîsani , on rende à la puissance législative
la faculté d'agir, et qu'elle ne s'en serve que
pour faire le bien. Je nie que ce veto soit la
source de tous les maux que vous éprouvez;
il n'est au contraire lui-même que l'effet ou
la suite d'un vice plus ancien, qui perdoit
votre république ; et si vous ne remontez pas
jusqu'à cette cause qui l'a produit, il me
semble qu'il est inutile de le proscrire ; car
en le proscrivant, vous n'appliquerez à vos
maux qu'un palliatif et non pas un vrai re-
mède. Cette cause qui l'a déjà produit le rc^
. D,o,l7PCihyGt)0^le
DE POLOGNE, qSi
produira encore, ou fera naître d'autres abus
qui ne seront pas moins funestes à votre
liberté.
Je ne vous annonce point , monsieur le
Comte, des malheurs chimérîqaes. Votre ami
justifie lui-même mes alarmes, et c'est avec
bien de la sagesse qu'il dit que ce seroit
l'imprudence la plus blâmable de substituer
la pluralité des suffrages au veto , avant que
d'avoir dépouillé le roi de la prérogative de
disposer à son gré de toutes les dignités et
de toutes les grâces de la république. Il est
visible; en effet, qu'un pi;ince qui pourroit
corrompre et gagner par ses bienfaits le sénat,
les grands et tout l'ordre équestre , ne tarde-
roit pas , à la faveur des suffrages qu'il auroit
achetés, d'avoir pour lui la pluralité des voix,
de s'emparer de toute la puissance publique,
et, si je puispatler ainsi , de vous opprimer
légalement. Mais en voilà assez sur cette ma-
tière , et je vais examiner si la suppression
des prérogatives royales et du vélo sufEt, ainsi
que s'en flatte l'auteur du mémoire d'Epériez,
pour rendre votre république florissante,,
. Je suppose que ces deux nouveautés soient
établies en même temps et par la même lot;
et je vous avoue que cet établissement, tant
R 3
D,o,l7PCihyGt.)t)^le
a62 DU GOUVERNE Nf EN T
je suis timide, ne suffira point pour me ras-
surer. Le roi ne pourra plus vous corrompre;
mais ît ne s'ensuit pas dc-là que la puissance
législative puisse se montrer avec dignité dans
la Diète , et agir avec cette justice qui la fera
respecter, si vous ne donnei pas à cette as-
semblée une nouvelle forme , et ne la réduisez
pas au seul droit de faire des lois. Voyez, je
vous prie , ce qui se passe en Suède, Les
états , en voulant se mêler de trop de choses
et usurper les fonctions des magistrats , entre-
tiennent dans la république une incertitude
et une fluctuation qui ébranlent les sages
principes du gouvernement , et retardent les
progrès de la législation. Que les Confédérés
n'en doutent pas; votre Diète, monsieur le
Comte, abusera, comme le roi, de son pou-
voir, si vous ne la soumettez pas elle-même
à des lois et à des règles qui gênent ses ca-
prices , et la forcent à faire le bien. Que vous
importe d'avoir abaissé le roi , si vous laissez
n vos ministres leur autorité ? Serez-vous plus
libres sous leur oligarchie, que vous ne le
seriez sous le pouvoir arbitraire d'un seul ?
Vous voyez, monsieur le Comte, qu'eu dé-
truisant seulement la prérogative royale cC
le velu, vous ne trouverez point le calme,
Dioii ..ci hy Google
DE r o L o c; N E. aG3
Totdrc et la prospérité que vous désirez.
Il ne faut point se flatter; les Polonais con-
serveront encore malgré eux les mœurs, Içs
préjugés et les habitudes qu'un mauvais gou-
vernement, et aussi ancien que leur républi-
que, leur a donnés : il est même certain que
la sQppression de la prérogative royale et du
veto donnera à ces habitudes une nouvelle
force et une nouvelle vigueur. Il ne suffit
pas que le roi ne dispose plus à son gré des
dignités et des terres ou starostîes de la ré-
publique, pour que les cabales, les factions
et les intrigues disparoissent. Je prie d'exa-
miner avec soin ce qui doit nécessairement
arriver, si vous ne donnez pas à votre Diète
générale et à vos Dîétines un nouvel esprit
par une nouvelle composition. Pourquoi ces
assemblées, accoutumées à la plus parfaite
anarchie, confércroient-elles les charges, les
emplois et les starostics aux citoyens qui en
sont les plus dignes, si on ne les anime pas
par un nouvel intérêt qui serve à rompre leurs
anciennes habitudes , et diriger leurs pas-
sions vers le bien public ? Soyez-en sûr , les
Diétines seront plus inconsidérées et plus tu-
multueuses que jamais ; et les nonces de
la Dicte , fiers d'avoir entre leurs mains un
R4
Dpi ..ci hy Google
264 DU GOUVERNEMENT
pouvoir inconnu , ne pourront jamais s'en-
tendre , et termineront à coups de sabre ce
que la raison la plus tempérée et la plus
juste doit seule décider.
Dans le système actuel de votre gouverne-
ment, tout se dirige à un point; c'est le roi
qu'on peut braver , si on ne lui demande
rien , et qu'il faut gagner par ses complai-
sances ou intimider par ses forces , si on
désire ses faveurs. Après avoir détruit cette
idole , sans avoir mis à sa place une puis-
sance reconnue et légitimée par les lois, il
me semble qu'il faudroit bien peu connoître
la marche des passions humaines, pour ne
pas prévoir que vos principales maisons ,
gâtées par l'antique considération dont elles
jouissent, ne voudront pas hériter du pouvoir
qu'on aura arraché au roi , et dont la Diète
générale ne saura pas jouir.
Non , monsieur le Comte , dans ces cir-
constances l'ambition des grands ne seroit
point oisive; elle rempUroic la Diète d'intri-
gues et de cabales, comme elle en remplissoit
la cour. Au milieu de ce chaos , vous verriei
vraisemblabiemcnt se former parmi vous. une
monstrueuse oligarchie. Vous verriez la na- -
lion se partager entre plusieurs maisons puis-
Dpi ..ci hy Google
DE POLOCHE. 365
tantes, qui ont des clîens , des créatures,
des flatteurs et une foitune trop considérable
pour préférer les intérêts de la république à
leurs intérêts particuliers. Elles ont profité
, des longs désordres de votre gouvernement,
pour acquérir une considération qui leur est
chère , et à laquelle la plupart de vos gentils-
hommes sont trop accoutumés pour qu'elle
leur soit odieuse on suspecte.
Plus il y a d'inégalité dans la fortune de
la noblesse , moins elle doit avoir de sen-
dment de la liberté. Les riches conserveront
encore long-temps leur orgueil , leur am-
bition , leur despoùsme ; et les pauvres ne
prendront pas subitement les sentimcns élevés
que doit avoir un républicain. J'ajouterai que
l'usage de vos fréquentes Confédérations a
familiarisé les Polonais avec les voies de fait ■
et même avec la guerre civile , qu'on ciaint
peut-être trop dans de certains pays , mais que
certainement la Pologne ne craint pas assez.
Voilà, monsieur le Comte, les mœurs, les
abus, les préjugés et les habitudes qui m'in-
quiètent pour votre république. Si je ponvois
vous entretenir ici de tous les maux que je
crains , tous vos compatriotes jugeroient sans
peine , qu'il ne vous suffit pas de proscrire
D,o,l..cihyGtK>gle
266 DU GOUVERNEMENT
le veto , et de ne plus avoir un roi qui vous
corrompe par ses bienfaits ; mais que les réfor"
niatcurs doivent former un plan qui embrasse
toutes les parties cîe l'état. S'ils ne le font pas ,
on pcui vous prédiic liaidiment que vous vous
trouverez cn6ndaiis Iccas de la république ro-
maioe , lorsque ses citoyens trop puissans, trop
foibles.trop riches et trop pauvres pour aimer
leur liberté et respecter l'empite des lois , ne
formèrei'.c que des partis et des. factions, et par
lassitude de leurs maux , aimèrent enfin le
joug modéré d'Auguste . qui les préparoit au
despotisme sanguinaire de ses successeurs.
Au lieu de regarder la suppression du vetff
et de la prérogative royale comme le premier
et l'unique objet de votre politique , au lieu
de penser qu'après cette double opération,
l'établissement des lois ne trouvera aucun
obstacle , et que vous n'aurez qu'à jouir
de votre bonheur , je voudrois au contraire
que les réformaiturs crussent n'avoir tien fait,
tandis -qu'ils n'auront pas établi la puissance
exécutrice sur de bons et soli.oeï principes.
Qui ne voit pas que plus uiî pays a été aban-
donné à une liberté licencieuse , plus les
magistrats doivent être jaloux d'exercer un
pouvoir arbitraire ? Qui ne voit pas que le
no,-7«jhyGt)C5^le
DEro,LOCNE. ' S67
législateur et les lois seront mépuisés , si ,
loin de les seconder, leurs ministres travaillent
à s'élever sur leurs ruines ? Non , monsieur
le Comte ; je 1 espère , vous persuaderez cette
vérité à vos collègues , que ce n'ejt que par
la vigilance , le courage, la patience des ma-
gistrats , qu'on parviendra à faire disparoître
ces mœurs*, ces abus et ces habitudes dont
je viens de parler. Les magistrats seuls pouvant
donner de la majesté à la puissance législative
et faire respecter les lois , la Diète seroit
donc inutilement débarrassée de l'absurdité
du veto et de la, corruption de la cour, si
par Tacte même qui établira son pouvoir ,
elle- ne régioit les droits, les devoirs et ics
fonctions de la puissance exécutrite.
Si cette puissance est partagée en différens
collèges de magistratures , chargés de veiller
aux différens besoins de la société ; si les
bornes qui les séparent sont placées avec sa-
gesse ; si ces corps perpétuels sont sans cesse
renouvelles par de nouveaux magistrats , si les
forces qu'on leur confiera ne sont ni trop
étendues ni trop resserrées ; une sorte d'éton-
nemcnt salutaire suspendra l'ambition des
grands , et une confiance éclairée retirera la
petite noblesse de l'humiliation où elle lan-
DiQu ..ci hy Google
8 68 DU GOUVERNEMENT
guit. Les passions intimidées apprendront à
se déguiser , et ce déguisement les préparera
peu à peu à obéir au frein des lois. A mesure
(]uc les motifs d'aimer le bien se multiplie-
Tont , les mœurs de jour en jour, moins mau-
vaises /permettront défaire de jour en jour
Renouveaux progrès, et la république jouira
enfin du bonlicur qu'elle aura mérité, je con-
clurai de ces raisonnemcns que l'abolition du
veto , la réforme de la prérogative royale , la
souveraineté de l'ordre équestre assemljlé en *
Diète , la dignité des Diéiines et l'établisse-
ment de la puissance exécutrice distribuée
en dîEFérens collèges ou conseils , et exercée,
par des magistrats dont, la magistrature soit
courte et passagère , doivent marcher de front ,
et ne former que les différens articles de la
même loi.
Je vous demande pardon , monsieur le
Comte , de m'étre aiTeté si long-temps sur
cette matière ; mais il me semble que quand
on combat des préjugés anciens, et qu'il est
quesûon pour un peuple de se faire une nou-
velle politique, on ne doit point se piquer
d'une brièveté que vous aimez ; parce qu'un
mol suffit pour vous faire connoître une vérité,
et que vous en démêlez promptemsnt louiea
Dpi ..ci hy Google
, ^ DE POLOGNE,. 269
les conséquences ; mais tous les Polonais n'ont
pas le bonheur de vou^ ressembler. Je vois ,
en lisant un des mémoires que vous avez
eu la bonté de me communiquer, que ce
que j'ai ditdes Confédérations n'a pas. persua-
dé tous meslecteurs.Je me doutois que l'usage
des Confédérations dcvoit plaire extrêmement
à des hommes qui ne trouvoient pas le vtlo
déraisonnable ; aussi n'ai-je point proposé de
les proscrire par une loi expresse. Je n'ai
songé qu'à les faire oublier , en mettant la
république dans le cas de n'avoir plus besoin
de recourir à cette ressource funeste. Bien
loin d'approuver ma condescendance , on la
blâme: on veut conserver précieusement l'usage
des Confédérations et l'autoriser par une loi
expresse : on prétend que le droit que les
gentilshommes auront de se confédérer, en-
tretiendra Tamonr de l'indépendance , et que
dans les extrémités malheureuses où la suc-
cession des temps et les caprices de la fortune
jettent les peuples les plus sages , votre répu-
blique se servira des Confédérations comme
d"un dernier moyen pour sauver sa liberté.
Je conviens avec l'auteur du mémoire , que
les Confédérations ont souvent été utiles à
la Pologne ; mais je le prie de rcclKrchcr avec
Do,T«JhyGtX>gle
SJO DU GOUVERNEMEMt
moi quelle en a été la cause. C'est parce que
votre gouvernement extrêmement vicieux vous
exposoit sans cesse aux maux de la tyrannie ,
et que ne vous offrant aucune manière légale
de vous y opposer , vous ne pouviez conser-
ver votre liberté que par la voie de la force
et de la vioience. Un vice , comme je l'aî
dit , pouvoit alors remédier à un autre vice :
de deux maux il faut choisir celui qui paroît
le moindre ; et je conviens que si on vous
eût proposé de renoncer aux Confédérations
avant que de vous donner des lois salutaires ,
Vous auriez eu raison de répondre avec ce
palatin- .aïeul , je crois , de votre roi Stanislas,
que vous préférez une liberté inquiète'et agi-
tée à une Servitude tranquille. Mais ce pa-
latin' dont les Polonais admirent le courage,
s'il eût pu se flatter dt jouir d'une liberté
sûre et tranquille sous la protection d'un
sa2;e gouvernement , croyez-vous qu'il eût ai-
mé les Confédérations , et autorisé par une
loi la guerre civile dont , selon les apparences,
on n'auroicplus eu besoin?
Si la réforme qu'on médite assure la liberté
des Polonais , si elle doit fournir à la Diète
législative et à vos magistrats mille moyens
faciles -de s'opposer aux atteintes qu'on pour-
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE. 27 1
Toît porter à la liberté , et de conserver la
république au milieu des secousses auxquelles
nos passions exposent éternellement les so-
ciétés, ne seroit-il pas insensé (l'expression
n'est pas trop forte ) de vouloir autoriser le
préjugé des Confédérations , au lieu de les
faire oublier ? C'est pour jouir tranquillement
des douceurs de la pais, que les hommes se
sont réunis , et ont formé une puissance pu-
blique qui peut intimider par des forces su-
pcricurcs'tout citoyen qui ne voudroit pas obéir
aux lois. Pourquoi donc veut-on aijioïiscr. la
guerre civile par une loi expresse ?
Je prie Tauteurdu mémoire que j'examine,
et les personnes qui pensent comme lui ,
d'étudier L'histoire de vus Confédérations. Ils .
en trouveront sans doute plusieurs qui n'ont
été formées que pour venir au secours de la
liberté en danger ; mais je suis persuadé que
la plupart des autres leur paroîtront l'ouvrage
de quelques hommes inquiets , emportés et
ambitieux , qui se faisoient un jeu de sacri-
fier la patrie à leurs intérêts particuliers.
Je vous avertis , monsieur le Comte , que ce
n'est point d'après la connoisaance que j'ai
de votre histoire que je parle ainsi ; je 1 ai
lue , mais ne l'ai pas étudiée ; c'est d'après
Dpi ..ci hy Google
57» DU COUVERNEMENT
les rcilexionS générales que j'ai faîtes sur les
passions humaines , et sur les formes diffé-
rentes qu'elles prennent Snivant la nature diffé-
rente des gouvernemcns. En effet , ne setoit-il
pas prodigieux que les lois qui permettent
de conjurer contre la puissance publique pour
venir au secours de la liberté, n'eussent ja-
mais porté qu'à des entreprises avouées par
la justice et. lamour du bien ; tandis que nous
savons , tandis que nous éprouvons tous les
jours que nos passions abusent de tout , et
triomphent si aisément de notre foible raison?
J'ai dit dans mon mémoire , qu'il ne falloit
point par une. loi expresse défendre les Con-
fédérations , et les déclarer des crimes contre
l'état; car je craignois en attaquant un pré-
jugé trop ancien et trop répandu , de lui
donner une nouvelle force. J'ai espéré de le
faire oublier , en offrant aux citoyens des
voies légales et pacifiques pour protéger .leur
liberté. Je me suis flatté qu'un gouvernement
qui inspireroit de la confiance , et par con-
séquent beaucoup d'amour pour la patrie et
beaucoup de respect pour les lois et le boii
ordre , fcroit tomber en désuétude les Confé-
dérations , et ne pcrmettroit plus aux ci-
toyens de se porter aux dernières extrémités.
Sans
D,o,l..cihyGOOJ^IC
DE POLOGNE. 273
Sans cette espérance, monsieur le Comte, je
vous aurois demandé une loi expresse pour
déclarer ennemis publics tous ceux qui au-
roient signé une Confédération. Je vous la
demanderois encore aujourd'hui; car je suis
persuadé, maigre les raisoimcmens qu'on m'op-
pose , que les Confédérés de Bar eu scnti-
roicntrimportaoce , et ne se feroient aucune
difficulté de la publier. On a beau me dire
qu'une Confédération doit , par honneur ,
protéger les Confédérations , et qu'il seroic
- indécent , et même ridicule , que dans le mo-
ment qu'elle sauve la république , elle con-
damnât sa conduite , j'ai déjà répondu à cette
objection. Les Confédérés de Bar diront que
par amour de la patrie , ils se sont servis
d'un remède dangcrepx , terrible , mais né-
cessaire dans votre anarchie , et qu'ils veu-
lent apprendre à la république à n'en plus
avoir besoin.
Mably. Tome MU.
D,o,l..cihyGtK>gle
DU GOUVERNEMENT
CHAPITRE V.
De l'hérèdilè de la Couronne.
No
1 ous voici parvenus , monsieur le Comte,
à l'objet le pluS' important de votre législa-
tion , ou du moins à un article sans lequel je ne
prévois pas que vous puissiez assurer le bon-
heur de votre postérité ; je veux parler de
la grande question qui concerne la couronne.
Doit-elle rester élective , ou vous est-il utile
de la rendre héréditaire ? En supposant que
, votrepatriesoittcllement attachée à réligibîlité,
qu'on ne puisse lui proposer l'hérédité sans
révolter les esprits , la question est décidée ,
et je me tais; car personne n'est plus con-
vaincu que moi qu'il seroit insensé de pré-
senter une loi qu'on doit rejeter avec indi-
gnation j et qui , rendant odieux les réfor-
mateurs , ne leur laisseroit aucune espérance .
de porter quelque soulagement à vos maux.
Heureusement il s'en faut bien que les choses
en soient réduites à cette, extrémité. Vos amis
particuliers en- jugent ainsi , et je vois ,
d'après les difFércns écrits qui vous ont, été
envoyés de la part de la Confédération , que
Dioil ..ci hy Google
DE ?OLOCNE. 275
la Pologne est partagée sut cette grande affaire.
_^ je me bornerai à faire ici quelques réQexions
nouvelles sur les avantages et les inconvé-
nicns attachés à chaque parti ; et je ne doute
pas que les Confédérés ne fassent , autant que
le permettra l'opinion publique, tout ce qui
sera le plus utile à leur patrie. .
l^s lois les plus jiruden'.es , dit un mémoîrfi
venu d'Epcriez , la plus clairement énoncées cl
tes plus positives auront beau borner l'autorité
d'un roi héréditaire , il rompra à la Jih toutes
les barrières qu'on lui oppose. Les exemples ,
ajoute-t-on , nous font trembler. JVous voyons
quantité de nations ou de royaumes qui, ayant
admis une fois Vhérédité , ont été forcées dans la
suite de reconnoître un maître tout-puissant et
absolu , quoiqu'ils eussent pris toutes les mesures
possibles pour conserver leur liberté.
Je conviens que rhérédité du trône a pres-
que toujours conduit au despotisme ; mais
je nie que ce despotisme soit une suite né-
cessaire de l'hérédité. Pour me convaincre que
je suis dans l'erreur, il faudroit me prouver .
. que la prudence humaine n'a et ne peut avoir
aucun moyen pour concilier la liberté des
citoyens et l'hérédité de la couronne. Je saii
que des princes héréditaires , regardant leui"
S a
D,0,l..cihyGt)Ogle
SfjS DU C 0-U VEHNE MENT
nation tomme le patrimoine de leur maison ,
doivem avoir beaucoup plus d'ambition que
des rois, électifs , dont les enfans restent con-
fondus dans la foule des sujets. Mais je de-
mande si cette ambition , qui est très-grande ,
ne connoît et ne doit plus connoîtrc aucune
borne. Après avoir étudie le jeu, ta force et
la ruse des passions humaines , a-t-on décou-
Ycrt que l'hérédité qui les esalce dans le cœur
d'un prince héréditaire , en ait changé la na-
ture ? Ses espérances , il est vrai , sont propres
à exciter son ambition ; mais ses craintes le
sont-elles moins pour les comenit ? Non ^
monsieur le Comte , la nature y a pourvu.
Un roi , quoiqu'hércditairc , a les mêmes pas-
sions que le -dernier de ses sujets. Dans l'un
comme dans l'autre, elles se combattent, se
balancent , se tempèrent , se modifient de
la même manière; et si la politique, peut
tenir dans la soumission un peuple entier dont
les forces paroisscnt si reitoutablcs , pourquoi
ignorcroit-cUc l'art de contraindre un prince
héréditaire à se contenter du pouvoir qu'on lui
auroit abandonné ?
C'est inutilement , dit-on , qu'on a fait le*
lois les plus prudentes pour borner l'autorité
d'un roi héréditaire. Mais je voudrôis qu'on me
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE. 3-]f
ticdt quelques-unes de ces lois , et je suis bien
sûr que j'y découvtirnis quelqu'îraprudencc
grossière. L'Hérédité, ajoute-l-on, a toujours
rompu toutes les barrières qu'on avoil opposées
au pouvoir arbitraire. Je répondrai que ces bar-
rières n'étoient qu'une légère palifisadc facile
à franchir. On dit encore que les nations
aujourd'hui les plus assujetties , ontpris toutes
les mesures possibles poUr conserver leur U-
tcrté : ne serois-il pas plus vrai de dire qu'elles
ont fait au contraire Xoui ce qu'il falloit pour la
perdre ?
Je vous prie , monsieurleComte , d'examiner
rhistoire des peuples quiontètésubjuguéspar
des rois héréditaires; et bien loin qu'ils aient
■ fait tout ce qu'exigeoit la prudence pour con-
server leur liberté et fixer des bornes inébran-
lables à la prérogative royale , vous verrez
que leur gouvernement s'est presque, toujours
formé au hasard, et que, n'ayant jamais eu
l'esprit de se défier des passions , ils ont cru
qu'il suHisoil de faire un régicmeht pour qu'il
fût observé. "Vous verrez que, toujours con-
duits plus par l'espérance trompeuse du bien
que par la crainte salutaire du mal , un éternel
engouement les a poités au-devant du joug.
Vous verrez, en un mot, que ce despotisaie
S 3
Dpi ..ci hy Google
270 nil GOUVF. R-JEMENT
dwnt tant de nations se plaignent , est plutôt
leur ouvrage que cctuides princes auxquels
elles obéissent.
Puisque deç lois grossières, incohérentes,
et qui TIC forment point un système régulier
et proportionne à la nature des hommes (telles
que sont , par exemple , les lois d'Angle-
terre ] , ne laissent pas cependant de s'op-
poser depuis long-temps aux progrès des abus
que doit produire l'iiérédité ; pourquoi des
Jois sages, habilement combinées entr'ellcs ,
et capables de diriger et de gouverner nos pas-
sions , ne pourroîent-elles pas contraindre des
princes héréditaires à respecter la liberté pu-
blique ? Si les Anglois sont encore libres,
malgré les moeurs, les lois et les usages qui
favorisent la prérogative royale et hâtent la
corruption du parlement , pourquoi ne pour-
roit-t-on pas imaginer sans beaucoup de peine
des lois plus sages , qui préserveroient la
Pologne des- dangers dont l'Angleterre est
menacée ? Il est vrai que les Anglois n'ayant
rien qui les invite et les prépare à réparer
dans leur gouvernement les parties que le
temps ou des circonstances malheureuses peu-
vent afFoblir ou déranger , leur constitution
doit devenir un jour plus mauvaise Mais
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE. «79
i! rac semble que sans trop exiger de la po-
litique des Polonais , on doit s'attendre qu'ils
trouveront le moyen de prévenir cette déca-
dence insensible et d'autant plus funeste",
qu'on ne l'aperçoit que quand il n'est plus
temps d'y remédier. Je ne dois pas m'arrêtcr
à indiquer ici en détail les réglemens ou
'les mesures que la prudence leur conseille;
je ne ferai que répéter ce que j'ai déjà dit
dans mon mémoire , et je m'en rapporte aux
lumières des Confédérés. Sûrement ils ne tra-
hiront pas tes espérances dt leur natioti , et
ils affermiront sa liberté , en n'accordant à
aucun magistrat une autorité qui lui donne
la conEance d'en usurper une plus grande.
On n'entreroit point dans ma pensée, si .
l'on croyoit que je conseille l'iiérédité de la
couronne comme un établissement très-sage
en lui-même, et dans tous les cas préférable
à votre élection. Je connois trop la foiblessc,
la sottise des homines, et les désordres qui en
doivent résulter, pour ne pas savoir que plus
une magistrature est importante , plus il est
nécessaire de ne la conférer que pour un
temps très-court; et que votre élection est
par conséquent préférable par sa nature à
rbérédité qac je propose, et qui rcvéïiroiB
S4
"Do,T«jhy Google
sSo DU GOUVERNEMENT
non pas un homme seul , mais une famille
entière d'une magistrature perpétuelle.
Si je ne me trompe , c'est sous un autre
point de vue et d'une manière moins abs-
traite qu'il faut examiner cette question. Par-
tons, raoDSicur le Comte, de votre situation
actuelle. Avec les mœurs dont les Confédérés
se plaignent , avec l'immense disproportion
qu'il y a dans les fortimcs de votre noblesse,
avec la vaste étendue de vos provinces , avec
vos idées du veto et des Confédérations , la
Pologne rie peut point se flatter de remonter
aux prinijipes de ces ancienoes républiques
que nous admironsv Elle n'est pas même ca-
pable d'établir une aristocratie tempérée. A
l'exemple de vos pères, voudricz-vous aujour-
d'hui substituer à la royauté un sénat composé
de vos palatins ? Vous ne tarderiez pas, comme
eux , à vous en repentir ; car vos grands autre-
fois aimoicnt la liberté, et aujourd'hui m'a-
t-on die, ils n'aiment que le despotisme.
Venons au fait. Si les cabales, les factions
et les pards dont la Pologne est le théâtre, lui
permettent de placer sur le trône le citoyen I«
plus digne de cet honneur par ses vertus et ses
lumières; si les Polonais, incorruptibles 'sonç
iacitpal)l99 de vendre leurs suffrages ; s'ils
Do,T«jhy Google
DE POLOGNE. 381
peuvent résister aux sollicitations des princes
étrangers ; s'ils sont aspez forts poui en im-
poser aux puissances voisines qui voudront
disposer de leur couronne; dans ce cas, ils
peuvent conserver l'élection. Mais si cette
élection , toujours vicieuse , doit être toujours
l'ouvrage de la violence et de la corruption, si
elle ne sert, comme je l'ai die dans mon mé-
moire, qu'à renouveler sans cesse les abus,
les vices et les désordres qui affligent la Polo-
gne et qui la perdront, je crois qn'il est abso-
lument nécessaire de recourir au remède
unique de l'hérédité.
Je prie les Confédérés, monsieur le Comte',
d'examiner avec soin s'ils peuvent, en n'éta-
blissant pas l'hérédité, se flatter d'arracher
des mains tiu roi les grâces et les faveurs ds
la république, donc il abuse, et dont la
distribuiitfn renouvelle continuellemenr les
haines, les rivalités, les partis et les conju-
rations des grands. Tant que la couronne sera
élective, aucun de vos seigneurs, car c'est
leut maladie , ne permettra qu'on dégrade
une dignité à laquelle il aspire , C4 dont il
espère d être un jour revêtu. Tandis que votre
roi électif continuera d'abuser de sa pitroi^a-
tive , n'cst-il pas évident que les era!;Jy , ly-xl
Dpi ..ci hy Google
L
fiSs DU COUVERNEMEMT
attachent toute la noblesse subalterne à leurs
intérêts opposés^ continueront à se conduire
par les mêmes intrigues que vous voulez bannir
de votre république ? Au milieu de cette fer-
mcniation générale, qui doit sans cesse donner
une face nouvelle aux affaires, pourroit-on ,
je ne dis pas établir des règles constantes du
bien public, maïs seuler»ent penser qu'il doive
y en avoir ? Si les réformateurs piofiloicnt
d'un moment de faveur ou d'enthousiasme,
pour faire adopter quelques règlemeus par la
première Diète libre que vous aurez, j'ose
vous répondre que ne changeant point l'es-
prit national, ils tomberont bientôt dans le
mépris.
Donner la couronne à un piaste, c'est pour
ainsi dire, allumer la guerre civile dans la
république. Un Polonais peut bien se con-
soler de n'êtte pas roi , mais non pas de
devenir le sujet de son égal, qu'il regardera
alors par vanité comme son inférieur. Si les
passions sont secondées dans ces circonstance!
par un grand courage et de grands talcns ,
l'état ébranlé recevra des secousses violences :
si cette ambition, dégradée dans des âmes
communes, dégénère en basse jalousie et en
folle vanité, le corps entier de la natiou sers
Dioii ..ci hy Google
DE POLOGNE. SûJ
infecté du venin sourd et lent tîc l'intrigue, de
la fraude, du mensonge; et je ne crois pas
qu'il y ait une maladie plus incurable ni plus
dangereuse pour une république.
La loi, pour éviter ces inconvéniens, or-
donnera- 1- elle de ne prendre qu'un prince
étranger pour roi ? C'est inviter les puissances
étrangères a venir cabaler parmi vous et vous
désunir par leurs intrigues ; c'est introduire
dans votre patrie la plus funeste des corrup-
tions ; c'est vous apprendre à vendre votre
suffrage , et tout continuera à être vénal parmi
vous. Mais je demande quel avantage la Po-
logne se promet, en mettant à la tête de ses
affaires un premier magistrat qui n'a^jra ni les
mœurs, ni le génie , ni les principes, ni même
les préjugés de la nation. Dès-lors les Polo-
nais seront condamnés à n'avoir aucun carac-
tère. L'intérêt des familles les plus puiss^ptcs
sera d'élever sur le 'trône un prince qui leur
doive sa fortune, et qu'elles haïront bientôt,
parce qu'elles ne le trouveront jamais assez
reconnoissant. Elles entretiendront au-dehors
des correspondances et des négociations tou-
jours suspectes et souvent criminelles.
Si la loi permet de placer sur le trône un
prince qui ait au-dehors des états héréditaires,
Dpi ..ci hy Google
204 -DO GOUVERNEMENT
la Pologne éprouvera néccssairernent tous les
jnconvéoiens dont j'ai parlé dans mon mé-
moire, pour la dèiourner de se donner à la
maison de Saxe. Si ta loi vous ordonne de
choisir un prince qui ne possède aucune sou-
veraineté patrimoniale, je dirai que, trouvant
très-doux de vous laisser corrompre par les
libéralités et les bienfaits d'un prince riche ,
vous parviendrez bientôt à éluder et violer
^sans scrupule une loi destinée à prévenir la
corruption. Qui ne prévoit pas d'avance, que
J'avacice trouvera centsophisroes pour démon-
trer de ia manière la plus évidente , combien il
vous importe de profiter des richesses d'un
roi qui vous promettra de faire beaucoup de
bien, et qui ne fera que du mal? Pourquoi
l'avarice seroit-ellc moins éloquente en Po-
logne que dans le reste dé l'Europe ? N"a-t-elle
pasjiersuadé par-tout que l'argent doit être
ie nerf et l'ame de la politique, et que les
opérations les plus savantes et les plus sages
doivent tendre à ie multiplier ? Un roi riche ,
quoique électif, aura presque l'autorité d'un
Toi héréditaire. En obéissant par complaisance,
on s'accoutumera insensiblement à moins
aimer sa liberté ; on la pcrdroil enfin , 51
chaque interrègne ne doriiioil naÎESance à dfi
Dpi ..ci hy Google
DE POLOGNE. sSS
nouveaux partis , de nouvelles haines , de
nouveaux intérêts de famille, et ne sembloit
faire prendre une nouvelle force au caractère
national. Mais au lieu de la liberté , ces vices
ne produiront qu'une anarchie qui se perpé-
tuera après rélection du roi. Elle peut ne pas
effrayer un Polonais , parce qu'il y est accou-
tumé ; mais s"il rentre pour un moment en lui-
même , il jugera sans doute qu'il y a un terme
fatal pour tous les vices, et qu'il arrive enfin
des conjonctures où ils perdent néccssaîrc-
menE le peuple qu'ils ont corrompu, et qui
les aime.
Les maux qui résultent de l'élection sont
des maux présens : ils** sont certains , ils sont
inévitables ; ceux qu'on peut craindre de l'hé-
rédité sont éloignés, il est possible d'y remé-
dier , et certainement le goût des Polonais
pour la monarchie ne s'opposera à aucune des
mesures que vous conseillera la politique la
plus soupçonneuse et la plus prévoyante. Le
parti que la "raison vous ordonne de choisir
en cette occasion n'est donc pas douteux. Je
dis que les maux de l'élection sont présens et
certains; comment pourroit-on en douter,
puisque les désordres dont je viens de parler
-ne sont pas des désordres que l'élection doive
n,o,i7PcihyGt)t)*^le
286 DU GOUVEIINEMENT
produire peu à peu ci d'une manière lente et
insensible, comme les maux que vous craignez
de l'hérédité ? Ce sont des désordres dont.votre
république se plaint depuis que la famille des
Jagclions est éteinte, et qui subsisteront jus-
qu'à ce qu'une nouvelle famille ait acquis
parmi vous le même crédit et inspiré la
même confiance,
je dis au contraire , que les maux dont Thé-
rédilé vous effraie sont éloignés et incertains ;
et si on se rappelle tout ce que j'ai dit sur
cette nouvelle constitution, on se convaincra
aisément de cette vérité. En effet, comment
votre roi héréditaire oseroit-il attenter à votre
liberté, après que vous lui aurez ôté tous les
moyens de gagner les ambitieux par des di-
gnités, et que sa modique fortune ne lui per-
mettra pas d'acheter des avares? Personne,
monsieur le Comte, n'est plus persuadé que
moi du poQvoir des passions; mais je sais aussi
qu'elles ne sont ac;iives , agissantes et opi-
niâtres qu'autant qu'elles sont nourries et sou-
tenues par quelqu'cspérancc de succès. Je ne
doute point que la maison que vous aurez
élevée sur le trône , ne forme d'abord de
vastes projets dont l'exécution ruineroit votre
liberté ; mais à chaque instant votre roi s'ap-
Do,T«JhyGtK>gle
• Dl TOLOCNE. sSy
pciccvra des entraves qu'on lui aura mises :
par-toût il trouvera une barrière entre le des-
potisme et lui. S il veut la franchir avec
audace , sa folle témérité ne sera point à
craindre , parce qu'elle soulèvera tous les
esprit! : s'il est prudent et veut vous tromper
par la ruse, l'adresse, le temps et l'insinuation,
son ambition elle-même s'affbiblira , parce
qu'elle n'agira pas ouvertement, et que peu à
peu il s'établira une routine d'ambition timide
qui deviendra la politique générale de vos
rois.
J'ajoute que vos rois héréditaires n'auront
que les pensées et les projeta d'un magistrat
dont la magistrature est courte ei paisagère.
Réduits à présider les conseils de la répu~
bliquc , et ne pouvant point avoir d'autre
volonté que le sénat, ce sera le sénat qui vous
gouvernera, et non pas yos rois. Il me semble
que les réformateurs doivent être tranquilles
sur l'avenir, et compter sur la fidélité des dif-
fércns conseils qu'ils auront établis pour l'ad-
ministration des affaires. Que pourroit-on en
craindre puisque se renouvellant en partie à
chaqne tenue de Diète, c'est-à-dire, tous les
deux ans , ils ne pourront jamais former le
projet d'usurper pour eux-mêmes le pouvoir
Dioil ..ci hy Google
ïSS ti U GOUVÉltîïEMF. XT » ■
arbitraire , ou de le conférer au prince ? L'in*
tcrvallc d'une Diète à l'autre est trop court ,
pour méditer, projeter, préparer et consom-
mer, nnc révolution. Je demande quel motif
auront CCS conseils de se vendre au roi ; je
demande par quel moyen le roi les achètera.
Par qnelle fatalité ces difFércns conseils, char-
gés chacun d'une branche différente de l'admi-
nistratioD, et qui doivent être les uns pour les
autres des censeurs^, ne seront-^ils composé»
que de traîtres? Par quel aveuglement pro-
digieux plusieurs Diètes .consécutives se trom-
peront-elles coasiarament .dans leur choix ?
Quand on se trompe de bonne foi, il me
semble qu'il n'est pas possible qu'on se
trompe toujours. Commeiit arrivera-t-il que
ces conseils forment une conjuration , sans
qu'on en aperçoive aucun indice ? cl com-
ment Totre Diète sera-t-elle assez aveugle ,
assez stupide et à la fois assez corrompue ,
pour renoncer à sa liberté ? Que toutes ces
absurdités se réunissent pour vous perdre , j'y
consens, \tais ne vous rcste-t-îl pas une der-
nière ressource dans vos Diétioes? Ne con-
damneront-elles pas leurs nonces qui auroient
trahi la patrie , et leur réclamation générale
ne sera -t- elle pas capable de rétablir la
liberté. Sans
Do,T«jhy Google
' DE.rOLOGNK. 1)89
Sans doute, monsieur le Comte, que- l'hé-
rédité de la couronne produiroit enfin en
. Pologne le despotisme et la servitude qu'elle
a produits dans plusieurs autres pays , si vo^s
youï contentiei de vous précautionner contre
les suites funestes de Tavarice et de l'aoïbidon.
Il en faut convenir, la sécurité que la sagesse
du gouvernement et des lois inspire à tous les
citoyens, devient elle-même un principe de
corrnptioD et de décadence. On oublie que la
liberté est un bien fragile qu'on n'obtient qu'à
force de soins , et qu'on ne conserve qu'autant
qu'on craint de le perdre. La nation la plus
libre et la plus jalouse de ses droits, s'endort
quelquefois ou s'assoupit à force de bonheur.
11 se forme une rouille qui ralentit , détraque
et use les ressorts du gouvernement; il-survicnt
cependant des affaires importantes et des cir-
constances malheureuses , où un peuple auroit
besoin de la vertu qu'il a perdue ; neia re-
trouvant pas, il a recours aux ressources, les
plus extraordinaires ; et soit qu'elles réus-r
siisent ou non , Tcspric nadonal s'aUérf , et.se
perd cniîn sans retour. , :*
Quelque fréquente» qu'aient élé ces révolu-
tions , il faut cependant se garder de croire
qu'elles soient inevitably. Qui empêche qu'oa
Mahly. Tomt YUI. X
no,-7«jhyGt)C>»^le
sgO DU COUVEKNlHZNt
ne porte nne loi qui ordonne expressémeat
que ibus les cinquante ans, à chaque noa-
veau lègDC, après chaque guerre étrangère, la
natioii sera convoquée extiaordinatrement ;
qu'on créera des n[iagistrats extraordinaires ,
soni les noms de dictateurs' ou de consuls , et
levctus d'un pouvoir nouveau, pour examiner
les atteintes portées au gouvernement, et réta-
blir la forme ancienne, cd réparant les. abus
^ue le temps, la sécurité, la fortune, le bon-
heur , le malheur et les passions , en un mot ,
peuvent avoir introduits sous le nom de cou-
tume , de prérogative et de privilège , et dont
la négligence des magistratures ordinaires
n'aura pas enapêché les progrès ? Une expé-
rience malheureusement trop commune nous
prouve qu'on se familiarise aisément avec les
abus. A peine le premier nous plaît-il, qu'il
en entraîne un second à sa suite qui plaît
également : ils s'accumulent , et de-là cette
dégradation insensible qui nous jette enfin
dans des vices extrêmes auxquels il n'est plus
possible de remédier , parce qu'il en coàterok
*irop pour s'en séparer. C'est contre ces acci-
dcns que la politique doit se prémunir, et on
ne les auroit point éprouvés , si les législateurs
avoient soin de donpcr à leur gouvernement
D,o,i..(iby Google
D,E tOLOG^IE. igl
des moyens de se corrigei . de se rétablir et de
se reproduire , pour ainsi dire , par set propre!
forces.
Il me semble que l'hérédité, accompagiièit
de tomes lei précautions que je propose , ne
peut inspirer aucune alarme. Mais en suppO'
sant que ces précautioni soient inutiles , il
faudra du moins convenir qu'il s'écoulera
plusieurs générations avant que le despotisme
soit établi. Après cela, je demande hardiment
s'il scroît sage de préférer en ce moment une
anarchie certaine à une tyrannie douteuse et
reculée. Pour vous délivrer des jalousies ; des
haines , des rivalités , des brigues , des parti» ,-
des factions , des intrigues qui vtons désolcnE
depuis si long-temps et peuvent vous conduire
enfin k la servitude , la politique ne vou»
ordonnc-t-ellc pas d'avoir recours à un éta-J
blissement qui vous donneroit le temps de
respirer, et qui subsisteroit au morns pendant
quelques siècles? Plus l'hérédité vous eiFraic,
moins vous aurez dans la suite de raison de }x
redouter. Cette crainte même , je la regarde-
comme un bon augure pour l'avenir. Elle
préparera les esprits à recevoir plus facrlemchl'
les lois que les Confédérés croîfom les plui .
nécessaires. Elle vous rendra plus attentifs à
T 2
Dpi ..ci hy Google
tga DU COUVEHNEMINT
toute! les démarches de votre roi , et vous en
contracterez l'habitude. En voyant votre libcitc
en danger, vous prendrez, sans vous en aper-
cevoir, les moeurs et le génie convenables à
votre gouvernement. Il est donc du devoir de
tous les citoyens qui aiment' véiîtablemeat.
leur patrie > d'employer toutes leurs forces ,
toute leur industrie , tons leurs talcns , tous
les moyens praticables , pour établir rhéré-
dite. Il n'y a pas jusqu'à l'intrigue , que je
bais, ou plutôt que je méprise, dont on ne
doive se servir ; elle s'ennoblira par la fin à
laquelle elle sera employée. Ne crai^nei point
de vous égarer sut les traces de Lycurgue, qui,
sans autre droit que celui que donne l'amour
de la justice et de la patrie, fit une conjuration
avec trente de lies concitoyens , pour forcer sa
république à être heureuse.
Je suis d'autant plus frappé des inconvéniens
attachés à votre couronne élective, qu'après
avoir cherche quelque remède aux maux qui
en résultent, je n'ai rien imaginé qui ait pa
jne satisfaire." J'ai étudié cette matière avec
toute l'attention dont je suis capable, et je
vous avouerai qu'après les plus sérieuses rê-
^flexions , je n'ai pu trouver que- des lois pa-
reilles à celles qu'on public tous ies jours
Doj-^«jhy Google
DZ POLOGME. «93
ïnntUement dans la plupart des états. Elles
seroient bonnes si o» avoit la complaisance
d'y obéir, mais il ne faut pas s'y attendre ; je
inc suis aperçu que mes règlemeni seroient
méprisés , et que rél(;ctîon -coniinueroit 3
causer beaucoup plus de trouble et de fermen-
tation, que mes lois ne pourroicnt apporter
de calme et de concorde.Je suis bien long sur
*^ cet article ; mais je le regarde comme le foB-
demcnt de tonte votre nouvelle législation, et,
je vous prie , monsieur le Comte , que je m'ar- >
rêtc encore à répondre à quelques objections
qu'on m'a faites , et qu'il est important d'exa-
miner.
On dit que l'hérédité fera ombrage aux puis-
sances étrangères, et je conviens que la Russie
la verra établir avec chagrin ; mais ce chagrin
même qui vous instruit de vos intérêts , est
un nouveau motif pour que vous fassiez cet
établissement. La courdc Pélersbourg voyaiït
sans doute qu'après cette révolution elle ne
pourroîtplus conserver son influence dans vos
affaires , vous accoutumer à fui obéir, et se
préparer une conquête aisée à la faveur de vos
divisions , s'opposera de toutes ses forces à
l'hérédité de votre couronne. Si elle réussit k
terminer la guerre présente , en forçant 1*
T 3
. Do,T«JhyGtK>gle
794 °" GOUVERNEMENT
grand-scigncur à vous abandonner, j'avoue'
que tous vos projecs.de réforme s'évanouiront,
et que la Ruseîc ne vous permettra pas de vous
corriger des vices auxquels elle doit l'empire
qu'elle exerce i>ur vous. Maïs la Pologne,
monsieur le Cumte , n'est pas réduite à cette
maUicureuse cxuémité. Après une paix do
trtnie ans, quia dû dégrader la milice des
Turcs, je me suis attendu aux disgrâces qu'ils
éprouvent; mais j'espère qu'instruits par leurs
défaites même , ils retrouveront cet ancien
courage que MoniècucuUi icdoutoit. J'espère
encore que vous en profiterez , et que pour
consoler la Russie de ses pertes et favoriscT
ton ambition , vous ne conserverei pas un
gouvernement qui vous empêche de connoître
vos forces et de les réunir contre vos ennemis.
Les cours de Vienne et de Berlin ne sont
pas vos ennemies comme la cour de Russie,
mais elles'ne sont point vos amies : jusqu'à
présent elles ne vous ont fait ni bien ni mal.
Elles ont sans doute leurs raisons pour aimer
yotie anarchie : il est si commode pour elles
d'avoir un voisin dont elles n'ont rien à
craindre, et qui n entrant point dans le système
de l'Europe , leur permet de tonrncv toute leur
Wubiùon d'uij côté qui leur paroît plus avan-
D,o,l7PCihyGt)C>'^le
DE POLOGNE. sgS
tageux : je crois qac ces puissances dcsireDt de
voir subsister vos troubles, ou du moins la
caose qui les produit. Soyez donc persuadés
que rhérédité de votre couronne leur déplaira.
■ Elles- s'opposeront à tous vos projets de ré-
forme, mais on peut les gagner. Il est très-
vraisemblable que vous mettriez la coux de
Vienne dans vos intérêts, en élevant sur le
trône un prince qui lui sercit agréable ; je ne
répéterai point ici ce que j'ai dit dans mon
mémoire.
Si le roi de Prassc est seul à s'opposer à
votre réforme , est-il vraisemblable qu'il emploie
la voie de la force, qui seule est redoutable?
Ce prince paroît moins pressé qn' autrefois de
faire la guerre. Les années se sont accumulées:
content de régner sur l'Europe par lacrainte et le
respect qu'inspire sa réputation , il ciaindroit
peut-être de compromettre sa gloire. Sa santé,
dît-on , ne lui pcrmettantplusde commander en
personne ses armées , il sent que sous ufi autre
général elles perdroientla m oiiiédc leurs forces.
On pourroitdonc traiter avec lui ,, et acheter son
consentement, en lui abandonnant quelqnes
terres qui sont à sa bienséance , et qui ne vous
sonten aucune manière nécessaires pour former
uncrépubliqae heureuse et respectable. Pour-
T. 4
Do,T«Jfr..GtK>gle
ig6 DU GOUVEHNEMINT
quoi les ^Confédérés ne sondcrôient-îls pas ses'
disposicions à cet égatd, s'ils peuvent se flatter ''
de sfi conduire avec assez d'habileté et de secret
dans celte negocation , pour ne se compro-
meitre ni en Pologne ni à la cour de Berlin?
Si les trois puissances dont je parle , sont d'ac-
cord pour vous tenir dans la -malheureuse
situation où vous êtes, j'avoue que je ne vois
gucune rcssoarce contre ce malheur. Vos
allies naturels ne scroicnl peut-ctre.pas en état
de vous servir. D'ailleurs, votre alliance n'étant
d'aucun secours,vous ne devezpas vous attendre
qu'on défende vos intérêts avec chaleur. Ré-
duits à vous-mêmes, que pouvcï-vous faire?
Vos propres divisions vour perdront, et le
désespoir de quelques bons citoyens ne sao-
vcia pas la patrie : ils s'enseveliront inotile-
ment sous ses ruines.
On mojjjectc que la nation voyant naître e
s'élever sous ses yeux des princes héréditaires,
s'accdaiumera à un respect et une soumissioa
Jmcompatibiés avec la liberté. Je conviens
qu on respectera une maison privilégiée à qui
appartiendra la couronne , et qci représentera
la majesté de Ja république ; mais je nie que
ce respect propre à contenir lès grands dams le
devoir , détruire l'anarchie, donner de là force
Do,T«jhy Google
BZ rOLOGNC' «97
aux lois, et unir toutes les parties de la société
jusqu'à présent divisées, puisse dégénérer en
une soumission servile.Ce qui nuit à la liberté,
ce ne sent ni les respects ni les hommages que
la loi prescrit, et qu'on rend par étiquette à la
personne du prince , mais les faveurs qu'on
attend de sa libéralité, et qu'on veut acheter
par des flatteries et des bassesses. Ce qui
nuiroit , ce seroil des forces qu'il pouiroit
employer arbitrairement pour favoriser l'in-
justice, et contraindre rinnocence et la vérité
à se taire.
Si un roi héréditaire , ajoute-t-on , n'a point
d'états au-dchors, il sera pauvre, et ses enfins
eadetsseront tovjours àla charge de larépvbliqur.
Ils ne pourront subsister qu'aux df.pem des autres
citoyens tnjouissant des starosties^ Ils rempliront
toutes les charges au préjudice des citoyens ver~
tueux ; et ta famille royale , en devenant plus nom-
breuse , changej-oit la forme du gouvernement. Je
réponds qu'un roi qui n'aura point d'étals
hércditaÎTes hors de hi Pologne, ne sera pas
pauvre , soit qu'on lui -conserve ia plupart dej
domaines attaches actuellement à la couronne
pour les faire valoir à ion profit, soit qu'on
prenne le parti plus sage de lui iaire une
liste civile proportionnée à ses besoins , et qui
Do,T«jhy Google
tgS DU GOUVEINEMÏKT
le mettra en état d'avoii unç maison conve**
nable à la dignité d'un, homme qui vit des»
subsides de son peuple. Ce n'est pas la pau-
vreté, mais les richesses qne la politique doit
craindre dans un roi; et s'il est obligé d'être
économe , soyez sûr qu'il ne sera pas ambi-
tieux , et que sa cour ne sera point une école
de mauvaises mœurs.
Je dis en second Heu qne les princes ne
seront point à charge à la république ; car
je suppose qu'elle aura soin de les accoutumer
à la modestie , et la médiocrité de leur fortune
sera d'un bon exemple pour vos grands sei-
gneurs. Pourquoi ne reticudroit-on pas un
dixième sur le revenu du roi, pour former un
trésor qui serviroit à doter ses enfans ? Quand
il en coûteroit quelque chose à la république,
à peine s'appcrcevroit-ellc de cette charge.
Je prie les Polonais- de considérer tout ce
que leur coûte leur anarchie, et combien Us
doivent s'enrichir sous un bon gooverncment.
Cette sorte d'inertie pesante qui engourdit
aujourd'hui leur patrie, disparoîtra prompte-
mcnt : une grande partie de vos .terres n'est
point cultivée faule d'habitans, et l'industrie
qui les peuplera les rendra fécondes. 'Vous
deviendrez riches en apprenant à connokrc vos
Do,T«Jhy Google
HZ POLOGNZ. fl99
richesses; et les artfi utiles que vous ignorez,
parce que vos lois ne les protègent pas, por-
teront la vie et l'abondance dans tous les
palatinats.
Puisque le roi ne conférera plus les charge»
et les starosties, pourquoi les princes les enva-
liiroicn.t-ils? Ç-'ils veulent les .obtenir, ils tâ-
cheront de les mériter en &e faisant estimer de
la république. Je ne vois point comment en se
multipliant les branches de la maison royale
çhangeroient la forme du gouvernement ; elles
auront au contraire des intérêts opposés qui
ne leur permettront pas de se réunir. Quand
on est parvenu à donner des bornes fixes à l'au-
torité du roi, comment pourroit-on craindre
les entreprises des princes de sa maison? Sou»
des rois qve votre constitution aura mis dans
rheureuse impuissance d'abuser de leur pou-
voir, les princes seront invités.par leurs pas-
sions mêmes à n'avoir que des pensées de
républicains. Ils jouiront de la liberté, ils eu
cqnnoîtront le prix, et ne voudront pas sacri-
fier un bien présent à l'espéiancc incertaine
d'une suf^cession dont leur postérité même ne
jouira peut-être jamais.
Ou souhaiteroit encore, monsieur le Comte,
que j eusse examiné qu'elle doit être la préroi
Do,T«jhy Google
$0a DU GOUVEKNEMENT
gatîve du roi quand il commandera les armées ,
et comment on n'empêchera qa'ïl ne s'empare
de toute la puissance militaire, dont il ne tar-
dcroic pas à se servir ponr se mettre au-dessus
des lois. J* aurai donc l'honneur de vous dire-
qu'il scroii à propos qu'il ne prit le comman-
dement de l'armée . que qiiand la Diète on te
sénat l'cncbargeroic; et même on lui donncroit
alors UD général qui commanderoît sous ses
ordres. On pourroit encore gêner son ambiiion,
en le faisant accompagtier par deux membres
du conseil de guerre et du conseil des affaires
étrangères, qui rcndroieni compte à leurs col-
lègues des opérations militaires et politiques.
Si vos troupes étoient composés de déserteurs
«t dtf mercenaires ramassés au hasard, il fau»
droit être sûr qu'incapables 6c s'intéresser
;ta sort de la république , elles aime-
roicnt autant lui faire la guerre qu'à ses enne-
mis. Cependant ne craignez rien ; un loi qui
ne sera le maître que de la garde de décoraùon
que vous lui donnerez, ne tentera point de
gagner la bienveillance de vos hiiliccs ; ou
s'il est assez présomptueux pour le |entcr, le
conseil de guerre sera toujours assez habile,
pour tromper ses espérances. Mais si vos
armées sont composées comme elles doivetit
■ n,ailrPcilîyGt)C>»^le
DE r o L o e H c; Sol
rêtrc dans un .état libre , soyez persuadés qae
le prince ne les débauchera jamais. Un roi qui
n'a pas fait les officiers de ses troupes, et qui
ne paye pas les soldats , n'acquiert point aisé-
ment une autorité dangereuse, •
Quels que soient les projets de réforme que
méditent les Confédérés, ils doivent dès cç
moment préparer les discours qu'ils pronon-
ceront à la Diète, et dresser les édits qu'ils
lui présenteront, pour qu'elle leur donne force
de lois. Si vous négligez ce travail, rien ne
sera prêt quand la paix entre la Porte et la
Russie amènera le moment de rétablir l'ordre.
Vous serez pris au dépourvu, comme les Sué-
dois le furent à la mort iiT,attendue de Char-
les XII. Les grands hommes qui vouloicnt
établir chez eux un nouvel ordre de choses ,
n'avoient pas eu le temps d'achever If Ur ou-
vrage- De-là vient que l'exccTlent gouverne-
ment de la Suède a quelque peine à s'atfcrmir
sur ses fondcmens. L'esprit ancien qu'on a
négligé d'atcaqucr et de détruire , se défctid
encore , et résiste aux. progrès du nouvcaLi
génie que la nouvelle constitution doit faire
naître. Oue les Confédérés, monsieur le Comte,
ne- s'exposent point aux mêmes inconvéniens ,
en ne présentant à la Diète^u'une législation
T:,o,i..(iby Google
$0i DU OOUVKttNEM'EftT
ébauchée. Voui seriez moins excusable que
les Suédois. Leur roi fut tué dans le moment
qu'on s'y attendblt le moins , et son âge lui
permcttoît de vivre eocore plusieurs annécï.
Xe temps presse, au contraire, les Polonais,
Japaix doit dans peu succéder à la guerre; et
si vous ne profitez pas du temps précieux qui
vous reste pour achever l'ouvrage de vos lois ,
vous manquerez à ce que vous devez à votrft
patrie et à votre gloire.
Il faut même préparer dès aujourd'hui les
esprits à la révolution que les Confédérés mé-
ditent. Vous sentez, monsieur le comte, que
cette préparation tient à mille détails dont il
est impossible qu'un étranger qui ne connoît
que très-imparfaitement vos mœurs et vos
usages patticuliers , parle avec une certaine!
justesse. Tout ce que je puis dire, c'est que
dans ce moment on ne doit rien négliger pour
faire Comprendre à vos compatriotes que leurs
malheurs tiennent à la grossièreté de leurs lois,
et qu'ils ne deviendront heureux qu'en les
réformant. Ménagez-vous la confiance et l'a-
mitié des gentilshommes qui ont le plus de
crédit dans leur palatinat. Plus on s'appro-
■ chera de cette paix qui permettra^ enfin' de
convoquer une Diète libre, plus vous dever
Do,T«Jhy Google
DE POLOGNE. Sc5
redoubler vos efforts pour que les DîéiineS
choisissent des nonces qui vous soient agréa-?
bics. S'il est d'usage dans ces assemblées de
nommer des comités pour étudier plus parti-
culièrement les affaires et en dresser le rapport,
il est de la plus grande importance de vous
attacher ces commissaires. Si les comités sont
inconnus parmi vous , il faut dès aujourd'hui
en préparer l'établissement, et au moment de
la paix il sera facile aux Confédérés de Bar dé
s'Emparer de la principale autorité , et de diri-
ger la Diète.
Toute leur conduite , qu'on me permette
cette expression, doit être une négociati(jn
continuelle. Il faut ne rien oublier pour calmer
les haîncs , les jalousies et les rivalités qui dé-
chirent la république , et concilier les intérêts
de vos grandes maisons. Par une conduite juste
et modérée , il faut inviter vos ennemis à vous
moins haïr, et leur faire croire que vous avez
oublié les Injures et les torts qu'ils vous ont
faits. En augmentant vos forces, votre crédit
etvotre considération , il faut inviter ces Con-
fédéré* timides et secrets qui n'osent encore se
montrer et ne font que des vCeux pour vous , à
se déclarer ouvertement vos amis. Je ne puis
m'empêcher de vous le dire , monsieur le
no,-7«jhyGt)C>»^le
3o4 DO CODVE&NEMEHT
contic , je vois dans lai Confédération tioe
sorte d'ioactîon , de moicsse , de lenteur, qui
D>st propre ni à vous faire craindre tle vos
ennemis, ni à inspirer àt la conBance à vos
amis. A force d'aUcodrc des circonstances plus
favorables pour agir , craignez quelles n'ar-
rivent jamais ; c'est en agissant qu'il faut les
faire naître. Pour mieux expliquer ma pensée ,
je vais terminer cet éclaircissement par quel-
ques remarques sur les négociations que je
croirois nécessaire d'cntamei: avec les puissan-
ces étrangères.
Dpi ..ci hy Google
: O L O G M E.
CHAPITRE Vl.
Des nègociatiom que les Confédérés doivent en-
tamer dans les cours étrangères. Avantages qui
en résulteront pour les Confédérés^
■ \JjiEi.QU^ mal que la Porte fasse la guerre ,
c'est cependant, dans les conjectures pré-
sentes, la puissance sur laquelle la Pologne
doit le plus compter. Elle s'est ouvertement
déclarée en, votre faveur , et sans elle vous
seriez aujourd'hui opprimés par les forces
réunies de la Russie. Plus cette diversion vous
est nécessaire , plus on a raison d'être étonné
que vous n'aytz pas un ministre à Constanti-
nople pour veiller à vos intérêts. Ne savci-
vous pas combien le divan est peu instruit
des affaires de la chrétienté; combien on le
Wompe par de fausses relations , et que lin-
triguc et la corruption décident de sa poli-
tique ? L'Europe , qui a ses raisons pour aimer
la paix , ne demande qu'à oublier la Pologne ; .
elles Confédérés , il faut l'avouer, secondent
cette indiiFérence ; en ne songeant pas assez à
faire du salut de leur patrie l'affaire générale
. Mably. Tome VIII. V
Dpi ..ci hy Google
5o6 DU COUVEnNE\(INT
de tous les étais'. Cette conduite trop indolente
de leur part diminue leur Liédit; et puisqu'ils
paroisscnt s'oublier euTt-mêmes , je craindrcis
que tout le monde ne fiuît par les oublier. Je
voudrois que la Conrédération parût toujours '
agissante, pour dounsr plus d'inquiétude à
ceux de vos compatriotes qui trahissent leur
patrie, et plus. de confiance à ceux qui vous
aiment secrètement , et n'osent se montrer. On
s'accoutDmera à la regarder comme exilée en
Hongtie : et de jour en jour, monsieur le
Comte, on sera moins empressé à vous donner
des secours, parce qu'on craindra de vous
servir inutilement. Quoi qu'il en soit , il est
question de réparer le passé , et d'examiner ce
que vous devez entreprendre, et ce que vous
pouvez raisonnablement espérer des étrangers.
Rien n'est plus pressé , rien n'est plus im-
portant que de faire tous vos efforts pour
empêcher que le grand-seigneur n« ^e prête
aux conditions de paix qu'on lui propose. Il
faut sans cesse lui représenter que ses armées,
dégradées par une paix de trente ans et con-
traire à tous les principes que doit avjjir une
puissance despotique , ont besoin d'une longue
gucire pour recouvrer leur courage , leur dis-
cipline cï leur réputation. Dites que la Russie
Do,T«jhy Google
fit .ï OL O G N I. 3o7
s'épuise , dérange ses finances , .perd ses
meilleures troupes .-et qii*onIa vaincra enfin,
ït on a conti'eUe la patience magnanime
que le czarPiçrre premier opposaà Charles XII,
et qui lui donna la victoire à PuUava. It faut
ajouter qu'une paix, honteuse n'a jamais fait
le salut d'un état , parce que Titijustice des
hommes est telle, qu'on abuse toujours de
sa supériorité sur un ennemi qui s'est fait mé-
priser. Dans les plus grands malheurs , une
grande puissance qui ne veut pas s'avilir cl
s'accoutumer à sa honte , c'est-à-dire , pré-
parer sa ruine . ne doit songer à la paix que
quand cUc a faii assez long-temps la guçrrc
pour rendre à ses soldats leur courage et
leur discipline , développer des talens dans
ses généraux , et qu'elle a enfin fctabli sa
réputation par quelqu'avantage qui lui donne
l'envie et l'espérance de se venger. La Porte
a de grands trésors ; que né tente-t-clle donc
" la fidélité des généraux Russes par les mêmes
moyens qui ont si souvent réussi auprès des
visirs et des bâchas*? On diroit que le divan
n'ose ou ne sait pas penser ; c'est aux Confé-
dérés a penser pour lui , et de vous servir
de son stupide orgueil, pour réveiller ses
autres passions , et les porter à faire les
Va
Dpi ..ci hy Google
3o8 DU GOUVERNEMENT
entreprises qui vous seront les plus utiles.
Un article cssejiticl ^t capital dans cette
négociation , doit être d'obtenir des secours
en argent, qui vous mettent en étal d'aug-
menter vos forces en Pologne ; car je vois
avec beaucoup de chagrin que la Confédé-
ration ne puisse pas tenir en sûreté son con-
, seil dans un de vos paîalinats. Quclqu'igno-
rans que soient les Turcs , il est impossible
qu'ils ne comprennent pas combien il leur
importe que vous lassiez en leur faveur une
diversion puissante , et qui forceroit la
Russie à rappeler dans ves provinces une
partie des corps qui leur font la guerre. Si
ces demandes sont d'abord rejetées , il ne
faut pas se rebuter •: on est bien fort quand'
on propose à la puissance , même la plus des-
potique et la plus aveugle , des choses qui
lui sont véritablement utiles'. A force dcpré-
«cnter u,n objet sous différentes faces et avec
des motifs nouveaux , bpns ou mauvais , il
n'importe , on parvient enfin à persuader ces
cours, où tout se décide par des intrigues
et des intérêts particuliers. Rien n'y est fixe ;
tout change continuellement de situation; et
, tandis qu'on ne daigne pas vous écouter, il se
préparc déjà de nouvelles circonstances qui
yqus feront rechercher.
*Do,T«jhyGoogle -
DE POLOGNE. Sog
Si les Confédérés obtenoient des subsides
de la Porte , ce scroit une preuve qu'elle n'est
point abattue par ses disgrâces , et veut con-
tinuer la guerre. Vo^re réputation augmentc-
roit , ce qui est de la plus grande importance ;
et V0U9 verriez que les Polonais , qui craignent
la Russie , qui se défient des Turcs , et qui ,
ne sachant quel sera enBn le sort de la Con-
fédération , n'osent se déclarer, scroicnt plus
'hardis. Si \os troupes étoicnt mieux payées ,
il vous seroit vraisemblablement aisé d'éta-
blir une discipline plus régulière. Elles se
fcToIent craindre davantage des Russes , et
moins de vos citoyens ^ sur lesquels elles exer-
cent , dit-on , quelquefois des violences qui
peuvent rendre oditux le pouvoir qui Ifcs
emploie. Tout ce qui esl utile aux Confé-
dérés , devient avan tageux pour la Porte ; c'est
sur ce principe que doit être établie la négo-
ciation qiit je propose. Quelques Polonais ,
monsieur le Comte , voudroient que les sub-
sides du grand-seigneut vous missent en état
de lever un corps de troupes assez considé-
rable pour faire quelqu'încursion dans les pro-
vinces' de Russie. Cette puissance si nère
d'avoirune escadre dans la Méditerranée, per-
drait , disent-ils , unC partie, de sa réputa-
V 3
no,-7«jhyGt)C>'^le
3lO DU C O U V E R y E M E N T
Ucion , parce que la vôtre augmcnteroit ; et
voyant son <CTritoirc ouvert à vos armes, ne
prétcndroitp'lus dicter imporicuscment l^s con-
ditions de la paix. Mais qu'arrivcroit-il , si par
hasaid les cvénemcnsnc répondotent pas à vos
espérances ? La Porte croiroil qne vous l'avez
trompée ; et indignée d'avoir été votre dupe ,
clic n'auroit plus pour vous les sentimens d'un
allié fidcllc et constant, je puis être dans
l'erreur ; mats il me semble que pour affermir
une alliance , il ne faut promettre à son allié
que ce qu'gn geut vraisemblablement, exé-
cuter. Or , je le demande , ne seroit-il pas
imprudent d'opposer à la discipline scrvile et
'" machinale des Russes , des soldats nouvel-
lement levés , qui ne savent ni obéir ni mar-
cher ensemble? La petite guerre dnit être la
guerre des Confédérés; que leurs soldats par-
tagés en pelotons ne soient nulle pan , se poi-
tent"ct se fassent craindre par-tout par leurs
surprises : craignez de formeruncorps d'atmce
dont la défaite vous laisseroit peut-ètrC sans,
ressource.
La cour de Berlin est la seule de l'Europe
où'vous êtes excusables de n'avoir pas négocié. '
Si l'indépendance de la Pologne entroîl d^ns
le syatèuie du roi de Prusse , il n'auroit pas
manqué de vous en instruire. Puisqu'il ne vou &
no,-7«jhyGt)t>»^le
DE POLOGNE. 3ll
a point prévenus , quels auroicnt été le (ruit
et l'objet de vos négociations ? Ce prince,
peut-être plus habile politique encore que
grand capitaine , à calculé ses intérêts , et
sait d'avance la conduite qu'il doit tenir, soît
que la fortune conserve ou change la situation
présente de l'Europe., On ne peut se flatter
ni de réblouir ni'df le tromper ,, parce qu'il
CSC lui seul son conseil , el qu<ï l'intrigue
bornée dans sa cour , comme elle doit l'être,
à des objets minutieux , n'ose point s'élever
jusqu'à lui.
Dans unç guerre QÙ les aroiis de la reli-
gion catholique sont attaqués et cogipromis ,
il me semble cjuc vous ne pouvez vous dis-
penser d'avoir un ministre à Rome ; c'est par-
là que vous auriez dià commencer. Je sais quç
celte cour ii'csc plus ce qu'elle aȎtc autre-
fQ,is : elle n'a aucune influence dans les affaires
de l'Europe - elle , obéit au contraire à des
impressions étrangères , et pour étayer un
pouvoir en décadence , c'est aux vertus de
l'évangile et non aux ressorts de ce qu'on ap-
pelle la politique , qu'il faut avoir recours ;
enfin il n!est plus temps de publier des bulles
et de prêcher .des croisades pour venir au se-
cours de la religion. Aussi ne prétendez pas
' V 4
Dpi ..ci hy Google
^13 DU GOUVERNEMENT
que le ministre de la C on fédéra tion supplie
le S. Père d'ordonner aux princes de sa com-
munion de se déclarer contre les diaidcns de
Pologne et contre les puissances qui les pro-
tègent ; mais il auroit pu vous ménager la
faveur du saint-iiége. Si vous l'aviez recher-
chée, avjc empressement , il efli été bien diffi-
cile que le pape n'eût pas donné aux Confé-
dérés quelque marque d'estime, de bienveillance
et de protection ; et vous, monsieur le Comte ,
qui conaoissez mieux que personne tout le
crédit et toiu le pouvoir qu'il conserve dans
"votre religieuse patrie", vous jugerez mieux
que tout autre quel immense avantage les
Confédérés en auroient tiré.
Là négligence des Confédérés a donné le
temps à vos ennemis de négocier à Rome ;
et heureusement pour vous le nonce aposto-
lique a été plus habile et plus courageux qac
son. maître. Après avoir obtenu par les solli-
citations de vos amis qu'il ne seroit point
rappelé, il est temps que vous agissiez par
vous-mêmes. Mais notre minisire , ,m'ont dit
ici plusieurs Polonais', ne sera pas reçu avec
la dignitcTronvenablcà son caractère. Qu'im-
porte ! les grandes affaires tiennent-elles , je
vpus prie , à ccç petites forpiaUtés d'étiquette ?
no,-7«jhyGt)C>»^le
DE POLOGNE. 3l5
D'ailleurs , j'oserois vons répondre , d'aptes
les lumières que vous m'avez communiquées ,
qu'il sera secondé dans toutes ses démarches
par les ministres de la maison de Bourbon.
Après vous avoir concilié l'amitié du grand
Turc , pourquoi ne vous concilieroît-on pas
celle du S. Père ? Si votre agent est , comme
il doit l'être , homme de qualité , on-auia
sans dôme pour lui les égards dus ^ sa nais-
sance et à son rang, Mais , ajoutoit-on , il ne
pourra pas faire une dépense convenable à
sa dignité. Tant mieux ; ses demandes en
auront plus de poids , et l'on jugera qu'il'
donne aujc'besoins de sa pairie ce qu'il re-
fuse à son luxe. Les catholiques de Pologne
sauront que vous négocici à Rome ; et cela
seul , quand vous n'oblienclricz presque rien,
ne laisseroit pas de donner beaucoup de con-
sidération aux Confédéré» ; parce qu'on es-
pérera qu'ils obtiendront davantage. Le nonce
du saint - siège , qui se sentira souteftu par
, vos négociations , agira avec plus de zèle à
Varsovie. Son exemple décidera de -la con-
duite du clergé , et les confédérés n'ignorent
pas quel est son crédit. Quelques-uns de vos
prélats qui n'osent prendre auctiu parti, ou
qui eti changent tous les jours, oseront ne
D,o,l..cihyGtK>gle
3l4 eu GOUVERNE M F. NT
plus blâmer le cour.-^gê de rtvcquc de Cracovic,
et s'associer même aux vues notHcs , grandes
et patriotiques de l'évê.|uc,de Caminicck : alors
clianoincs ^ curés , moines , tout pariera en
votre faveur.
Quoiqu'il soit presque certain que vous ne
réussirez pas à obtenir aujourd'hui les se-
cours dont vous avez besoin , il n'est pas
moins vrai qu'il faut tâcher d'intéresser toute
l'Europe en votre faveur. Il n'y a aucune
des puissances qui ne peuvent profiter de
votre foiblessc pour s'agrandir ,^ui pour son
honneur ne doive au moins vous consoler
et vous montrer des égards. On vous fera
(Tes promesses , et elles serviront dès aujour-
d'hui à entretenir le courage de vos amis,
qui , pcut-ètie lassés de ce qu'ils souffrent ,
vous abandonneront si la Confédération ncleur
donne pas au moins des espérances. Agissez
sans cesse dans toutes les cours; cette con-
duite inquiétera vos enncm.is et partagera leur
attention. Enfin le moment de la paix viendra,
et vous vous serez fait des médiateurs qui
s'intéresseront à vos affaires , et favoriseront
en Pologne les réformes que méditent les
Confédérés.
Par exemple , je voudrois qne vous çussicï
Do,T«jhy Google
DE POLOGNE. 3l5
à Londres un miiîistre qui son Icroit les
dispoiitions de la cour; cl s'il n'en pouvoit
rien attendre , ce qui n'est que trop vrai-
3cnibl.i.blc dans les tirconstances prcscnips ,
il sff lieroit seciètemcnt avec le parti de
l'opposiiion. On prouveroit que l'alliance ou
la liaison, de l'Anglctcvrc avec la Russie
contre la Porte , est contraire à l'ancienne
et sagQ politique des Anglais , qui , dans tous
les traités d'alliance défciisive qu'ils ont con-
clus jusqu'à présent avec. les conrs de Pé-
tersbourg et de Vienne , ont formellement
stipulé qu'ils ne leur donnetoicntaucun secours
contre les Turcs. On ferait voir , et rien n'est
plus vrai, que le comnacrcc des Echelles -du
Levant est plus avantageux à l'Angleterre qne
celui de la Livonic , de Pciersbourg et
•d'Arcbangcl , et que par conséquent il n'est
pas».' sage d'indisposer la Porte pour obliger
la Russie. Pourquoi le parti de l'opposition,
qui ne cherche que des moyens de rendre le
ministère odieux ou ridicule pour le perdre
et s'élever sur ses ruines 7 ne fcroit-il pas
valoir ses raisons importantes ? L'incérct qu'il
prendrolt à vos affaires , et les débats du
parlement si2r votre indépendance, vous (|on-
Qcroiciit une sorte de considération en £u-
. n,o,i7PcihyGt)t)^le
3l6 DU GOUVERNEMENT
TOpe , et ccrtaincraeilt chagrincroicnl vos en-
nemis. Pourquoi ne croiroit-on pas a Londres
qu'il est indigne de la dignité du peuple anglais
de contribuer à l'oppression d'un peuple
libre ? En Etattant l'orgueil de l'Angletcîre ,
on peut la pousser plus loin qu'elle ne vou-
droit aller. Puisqu'elle a pensé que 'rien n'est
plus be^u pour elle que de maintenir , con-
server ei protéger l'équilibre des puissances
dans le midi de l'Europe , pourquoi ne croiroit-
elle pas qu'il manque quelque chose à sa gloire,
et qu'elle doit jouer le même rôle dans le
Nord ? Un négociatear qui met enjeu les pas-
sions , est bien plus sûr de réussir que celui
qui ne veut parler qu'à la raison. Si le parti
de l'opposition cmbrassoit vos fntcrèts , le
crédit des Confédérés augmentcroic en Po-
logne. S il prenoit le dessus et s'emparoit du
rainistÈTC , vous vous seriez fait des amis puîs-
- sans. Peut-être que les circonstances ne per-
mettront pas à ce nouveau ministère de vous
servir après sa fortune, avec le même zèle qu'il--
vous scrvolt auparavant, maïs il n'oseroit pas
du moins abandonner ouvertement vos intérêts
et seconder la Russie,
Il me semble , monsieur le Cqmte , que
lien n'cstpirepourvos affaires, que cette espèce
D0,T«JhyGt)Ogle
nE POLOGNE. 3l7
d'inacùon à taquelic paroissent s'abandonner
les chefs de la Coiifidéraiion. J'espère quîls
me pardonneront , ouplùtôlje suis sûr qu'ils
aimerontla liberté avec laquelle je m'exprime.
On a trop l'air de se tenir sur la défensive cl
de ne prendre aucun pani. Il faut voir , notis
verrons^ il faut allendre- , il viendra d'autres
circonstances ; avec ces beaux, mots qui imitent
la prudence i on laisse la fortune maîtresse de
tout. Ne craignez pas de faire des démarches
inmiks : qu'il en réussisse une , ei vous serei
dédommagés de vos peines : les politiques les
plus heureux ont presque toujours été ceux qui-
ont multiplié les moyens de réussir ; rien n'est
plus fâcheux que de n'avoir, comme on dit,
qu'wne corde à un art. /Comptez jusqu'à un
certain point sur la manière dont on traite
la politique en Europe ; mais qui vous répondra
que la négociation qui raisonnablement de-
voit laisser le moins d'espérance, ne sera pas
celle qui réussira le mieux? Il yatant de ha-
sards dans les affaires de ce monde ; elles sont
subordonnéesà tant d'intrigues, d'intcrêts par-
ticuliers et de passions qui se contrarient et se
succèdent perpétuellement ; elles sont ma-
niées par des hommes quelqueffois si igno-
rans et quelquefois si pervers , qu'on échoue
Dioii ..ci hy Google
SlS DU GOUVEHNEMENT
presque "aussi souvent dans des négociation»
raisonnables, qu'on réussit par des préten-
tions et des demandes insensées.
J'ai dit dans mon mémoire que le Danc-
marck a un intérêt particulier de désirer l'a-
baissement de la Russie ; et il seroit inutile
de répéter-ici les motifs qu'il aura de n'être
point tranquille tant que l'ambition d'un czar
de la maison de Holsteîn ne sera pas réprimée.
Si la cour de Copenhague étoit sûre que la
guerre des Turcs vous rétabUia dans tous
vos droits, elle oscroit peut-être se déclarer
en votre faveur , ou du moins elle ne ba-
Janccroitpas à vous donner des secours secrets.
Cette négociation demande beaucoup d'art
et de sagesse; car avec une puissance' qui
craint de' se compromettre, il faut bien se
garder de lui faire des propositions trop har-
dies ; elles ne serviroient qu'à l'intimider da-
vantage. Votre ministre , si vous. m'en croyez ,
4oit paroître d'abord ne traiter que l'afFaîtc
des dissidens , et se contenter des bons offices
du roi de Danemarck auprès du roi de Prusse
et de l'impératrice tic Russie. En peignant
les malheurs de votre _patris , vous serie'z eu
étaf de juger de la manière dont le ministère
(le Copenhague es: affecté à cet égatd. Vous
Do,T«jhy Google
ne POLOGNE. . 3i9
marclicviez pas à pas. Vous parleriez de l'équi-
libfe du midi de l'Europe , pour avoir oc-
casion de parler de celui qu'il scroit à sou-
haiter d'établir dans le Nord, Vous ferez sentit
les suites fâcheuses de rasscrvisseinent dé
la Pologne , et combien il importe à tout le
Nord qu'elle pût sortir de son anarchie et
former une tavrière contre la Russie. Vous
voyez , monsieur le Comte , que vous vous
insinueriez par cette marche dans l'esprit du
■ ministère danois ; peu à peu vous le pré-
parericïà vous écouter avec plus de confiance,
et cette confiance, plus ou moins grande, vous
mettra a portée de vous exprimer avec moins
de circonspection. Vous n'obtiendrez pas sans
doute des sccaurs dans ce moment; maïs vous
vous serez fait un amî qui vous servira avec
zçle quand il faudra travailler 'à la réforme
de votre gouvernement : c'est le point capital
de vos négociations , et vous ne devez jamais
le perdre de vue,'
La Suède vous offre moins de difficultés;
vous trouverez dtfs amis dans le parti des
.. chappeaux dévoués à la France et ennemis de
la Russie. Si vous agissez en votre nom , il
est-vraisemblable que vous n'obtiendrez rien;
pour le bien de son gouvernement, il Itiî
Do,T«jhy Google
320 DU GOUVERNEMENT
importe d'entretenir la paix, et ses finance»
d'ailleurs ne lui permettent pas de faire la
guerre. Mais pourquoi ne vous feriez -vous
pas ses agens auprès de la Porte ? Les Turcs
sont si stupides , qu'ils ont peut-être oublié
leurs anciennes liafcons avec la Suède , et
ignorent qu'elle est leur alliée naturelle. Je
voudrois donc que votre ministre à Constan-
linoplc rappelât ces vieilles idées au divaii.
Apprenez à cette' puissance que les ckappeuux ,
qui ont le plus grand crédit dans l'adminis-
tration de leur république , ne demandent
pas mieux que de faire la guerre à la Russie ;
, mais que les embarras d'un gouvernement
nouveau , auquel tous les esprits ne sont pas
encore accoutumés , les empêchent de mettre
un certain ordre dans leurs finances , arrêtent
leur courage et retardent leur vengeance.
. Calculez ce qu'il en coùtcroît pour faire deux,
ou trois campagnes en Finlande et armer
une escadre dans la Baltique ; n'oubfiez rien
pour fqire goûter ce projet dux ministres du
grand - seigneur ; plus cette diversion seroit
fâcheuse ponr la Russit , plus vous devez
étudier les moyens nécessaires pour la faire
entreprendre. *
Mais , monsieur le Comte , il me semble
, avoir
, Do,T«jhyGoogle
DE POLOGNE. 3ai'
tivoif eu riionncur.de vous entendre dire que
l'ambassadeur d'Espagne à la cour de France.
M. le comte de Fuentès , n'étoît_ pas insen~
sîbic à la situation de votre patrie. Il faudroit
profiter (3e cette oiivcrture pour négocier à
Madrid. J'insiste là-dessus, et je vous învi-
térois volontiers à négocier dans toute la
tCrrt; car il vous importe de paroîtrc tou-
jours agissans , et de faire connoîtrc à tout
le monde la justice de votre cguse^ Plus vous
agirez, plus vous sentirez augmenter votre
ardeur , et par les espérances qy'on vous lais-
ieira entrevoir , et par les obstacles même
que vous rencontrerez. Vous trouverez en
v'ous-mêuies des ressources auxquelles vous
n'auriez jamais pensé dans l'inaction. Que
vous en coûteroit-il d'envoyer un ministre à
la cour d'Espagnfe ? Nos amis, direz -vous,
pourroicnt ne pas approuver celte déniarchc.
Mais je prendrai la liberté de vous répondre
qu'il faut se garder de' trop dépendre de ses
amis : c'est quelquefois les inviter à prendre
trop le ton de prolecteurs. Ne les consultez
point sur IcS projets que vous croirez utiles
à vos affaires. Quelques-unS de ces alliés vous
en détourncroient , parce qu'ils craîndroicnt
que \ous ne les jetassiez dans quelque cm-
Mably. Tomt Vlll, , X
Do,^«JhyGtX>gle
Ssa DOCOUVÏRUBMENT
barras; et les autres, parce qu'ils voudrôîent
par vanité que vohs ne dussiez qu'à eux seul»
votre salut. ' .
Votre ministre prouvera au conseil de
Madrid qu'il doit voir avec inquiétude les
Russes dans la Méditerranée ; que la Russie ,
ennemie de la France par les alliances qu'elle
a contractées avec ses ennemis naturels, a
envoyé des troupes jusqucs sur le Rhin , etquHl
importe à tous les princes du Midi de ren-
fermer cette puissance dans les limites do
Nord. L'Espagne n'a pas perdu le souvenir
du rôle qu'elle a fait autrefois dans l'Europe :•
elle sera flattée que vous ayez recours à elle.
Dites-lui que les liens qui l'unissent. étroite-
ment à la France, sont un motif pour vous
accorder la même bienveillance que la cour
de Versailles vous montre. Faîtes voir qa'e.U
France , qui est votre alliée naturelle , vous
protège , parce qu'il est de son intérêt de
vous voit dans une situation henreusc dont
elle pourra profiter. Représentez que l'Es-
pagne, qui ne peut attendre pour elle-même
aucun secours de la* Pologne , doit avoir
cependant la même politique , puisque U
maison d'Autriche est trés-puissante en Italie,
et que la coui de Madrid y doit protéger le
Dioil ..ci hy Google
DE POLOGNE. 323
roi de Napics et le duc de Parme. Vons
obtiendrez sûrement les mêmes sccoqts qae
vous avez obtenus de la France, -et il est
vraisemblable qu'ils seront plus abondans.
En un mot , monsieur le Comte , car je' suis
pressé d'en venir à ce qui regarde la cour
de Vienhe , il n'y a point de puissance à
laquelle les Confédérés ne doivent s'adresser.
Limportance de l'objet servira d'excuse à ce
refrain éternel doitt je vous rebats les oreiUes.
Si CCS négociations ne vouS procurent dans
ce moment aucun des secours dont vous avez
besoin , soyez sûr qu'elles donneront de la
réputation aux Confédérés ; vous ranimerez
■ la confiance de vos .compatriotes , et aurez
des amis qui seconderont la reforme' que
qnc vous voulez fjire dans votre gouverne-
ment.
La maison d'Autriche mérite certaine-
ment , et par le bien et par le mal qu'elle
peut vous faire , que vous apportiez une at-
tention extrême à toutes ses démarches , et
que vous tâchiez de pénétrer ses intentions.
Jusqu'à présent ly , ministre que vous tenez
à Vienne n'a rien pu découvrir de certain.
Toute la conduite du conseil impérial est
équivoque. Il semble en quelque sorte ne
' X 3
Do,T«jhy Google
S34 nu GOUVEllNEMENT
plus tenir à son ancienne alliance avec la
Russie; car il ne Talde pas, et cependanT on
diroit qu'il craint de se compromettre avec
cette puissance, Que pcnsc-t-il des désastres
' de la Porte ? Croit-il que l'amitié des Russes
lui sera désormais moins .nécessaire ponr
contenir les Turcs, autrefois si redoutables.
Mais la cour de Vienne est trop cLiairée pour
ne pas connoîuc les jeux de !a fortune , et
que la foicc succède quelquefois à la foi-
blcEse , comme la foiblcsse succède qucU
quefuis à la force. Veut-elle profiter de ces
circonstances pour recouvrer Belgrade ? Veut-
elle laisser à la czarine la gloire de triompher
seule des ^Turcs ? Que signifient ces armées
qu'on assemble en Hongrie , et qu'on ne
fait pas agir ? Quelles prt^iositions fait-on à
Constantinopie ? Quelles sont ses relations
avec la cour de Berlin ? De quel ceil voit-on
la Pologne ? On refuse de traiter avec le
ministre de la Confédération , mais on donne
un asyle lu conseil des Confédérés. Ce sont-
là , je l'avoue, autant d'énigmes que je ne
me -flatte point de pouvoir expliquer. On
seroit tente de croire qu'il y a à Vienne deux
esprits, deux mobiles politiques, dorit l'un
invite à agir, et l'autre retient dans le repos.
Dioii ..ci hy Google
DE P O L O G N>E. S î5
Peut-être que ccitc cour , toujours attachée
aux principes d'une politiqu* lente et me-
surée , ne s'est point encore fait de systêinc
certain relativement aux troubles qui agitent
la Pologne. On ne veut pas favoriser les
projets de la Russie, parce qu'on prévoit
qu'elle ne peut 'établir son empire sur les
Polonais et s'approcher ainsi de rAllcmagne,
sans en devenir rcnncmié, de même (Jue de
la maison impériale. On ne -se déclare point
contre les Turcs, parce que leur conduite les
rend méprisables dans ce moment , et que
leur guerre cependant affoibîit insensiblement
les forces de la cour de Pétersbourg, et re-
tarde^ les succès de son ambition. On diroit
que le conseil de Vienne attend des circons-
tances on des événemcns que je ne devine
point, pour combiner avec plus de précision
et de sûreté les projets qu'il médite en secret,
ou pour manifester avec moina de danger ceux
qu'il a déjà formés.
Quoi qu'if en soit, c'est dans le moment
où il délibère encore, qu'il est important pour
les Co^lfédérés de tenter et de nouer ime
négociation. Quand cette puissance aura fait
un pas en avant, et peut -être contraire à
vos intérêts , il sera plus difficile, et je diroit
X 3
Do,T«JhyGtK>gle
Ssô DO GOUVERNEMENT'
presque impossible de la ramener où voiîs
voulez. Je Bcns à merveille qu'elle met un
grand prix à cet air de mystère et d'incerti-
tude qu'elle affecte , et que vou5 Quêtes pas
dans une posture assez avantageuse pour de-
mander une réponse cathégorique et la forcer
à s'expliquer. Ce que vous ne pouvez pas
exiger par la crainte , il faut l'obtenir par la
voie conciliatrice de la donccur et des bien-
faits ; et ce seroit ici le temps , monsieur le
Comte , d'ea venir à l'exécution du projet
détaillé dans mon mémoire au sujet de votre
couronne , c'est-à-dire , de l'offrir an duc de
Saxc-Teschen ou à un archiduc. Si ce projet
est agréé par la cour de Vienne , non-seu!c-^
-ment vous échapperez au joug de la Russie,
mais la Confédération recevra dés aujourd'hui
des iccours abondans , pourra exécuter sa .
réforme , et forcera tous ses ennemis à n'y
mettre aucun obstacle.
~ Si vous proposez vous-mêmes vos vues,
je crains qu'on n'y fasse aucune attention,
ou qu'on ne les rejette même comme un pro-
jet chimérique ; et voici les raisons qui rac
font penser de la sorte. On croira que vous
offrez ce qu'il n'est pas en votre pouvoir de
donaci , et l'on craindroit de s'engager dan a
Dpi ..ci hy Google
Dl POLOGNE.. 3a7
une entreprise qui paroîtrolt peut-être dan-
gerense pour toute l'Europe, et seroit vrai-
semblablement accompagnée de beaucoup de
troubles en Pologne. La Confédération est
pouf ainsi dire exilée à Epcrici, n'ayant point
assez de force pour être sans danger dans un
de vos palatinats ; comment, vous objectc-
ra-t-on , ose-t-cUc disposer de la couronne ?
comment est-elle sûre qu'aucun gentilhomme
ne prononcera le veto ? Vous aurez beau dire
qu'elle est plus forte qir'on ne croît , que vouj
avez dei amis qui sont Confédérés dans le
cœur , ' et qui n'alfendent qu'une occasion
favorable pour se déclarer , on ne comptera
pas SUT des amis circonspecti qui n'ont pas
le courage de s'associer à votre fortune. On
jugera que puisqu'ils ne veulent rîen hasar-
der en faveur de la patrie , il seroit impru-
dent de hasarder quelque chose pour eux.
D'ailleurs, en supposant qu'on vous écoute,
on vous chicanera sur la prérogative royale.
On ne sera point content des retranchemens
qi]e vous vous proposez de faire dans la pré-
rogative royale, c'est-à-dire, qu'on vous em-
pêchera de pourvoir efficacement à votre
sûreté ; et parce qu'on sera maître de votre
X 4
D,o,l..(iby Google
3^8 D D G O U V E B X E M E ,N T
secret , on vous contraindra de souscrire k
toutes les propositions qu'on vous fera.
Dans ccue extrémité fâcheuse, comment
les Confédérés peuvcni-ils donc donner quel-
que poids à leurs propositions et se faire
entendre ? Il me semble que vous pourriez y
réussir par le canal ou la médiation de la
France ; et puisque vous exigez , monsieur
le Comte , que je vous fasse part de toutes
les idées qui me passent par la tête , voici
quelle est la négociation dont je voudrois que
' vous fussiez chargé par vos commcttans.
Vous exposeriez dans un mémoire , que
vos compatriotes ne se sont d'abord confé-
dérés que pour se soustraire au joug de Ja
Russie, et rendre à leur -patrie son indépen-
dance; mais qu'éclairés enfin par rexpérience
de cette longue suite de malheurs qiie la Po-
logne a éprouvés dans son anarchie, ils. ne
se contenloicni plus de vouloir recouvrer
tine liberté toujours incertaine ,, toujours ora-
geuse, et qu'ils vouloicnt l'affermir solide-
ment , en laissant à leurs enfans une nouvelle
constitution qui Ici mettroit en état de vivre
heureux. Ne vous bornant point à exposer
les vues générales que vous vous proposez,
votis cnttcriçz sans aucun déguisement dans
;:,o,i .ici hy Google
DE POI.OGNE. Sag
un détail circonstancié des lois et 4,68 lèglc-
jnens que vous méditez au sujet du roi , du
jéaat , -des ministres , des coostils , de Ut
Jiièle générale et des Diétincs. Vous démon-
Xreriez ensuite tous les avantages qui doivepc
nécessairement résulter d'une pareille rçformc.
On cammenccroit enfin à voir un ordre cons-
tant dans un paya où tout gentilhomme n'a
connu d'.autre règle de ses devoirs que ses
faprices et ses passions. Vos magistrats n'au-
roient plus nne autorité dont il leur est im-
possible aujourd'hui de se servir. Vos finances
seroient soumises à un^ règle et à un ordre
constans, et vous mettroient enfin à portés
de subvenir à tous les besoins de la répu->.
bliquc. Vous parviendriez , sous- cette sage
politique , à avoir des milices disciplinées.
En un mot, vous ne seriez plus un état inu-
tile dans l'Europe, ou plutôt une puissance
qui, étant incapable de prendre une résolu-
tion , 4'3gii" et de se mouvoir régulièrement,
n'est qu'à charge à ses alliés.
Vous ajouteriez que la Pologne étant pat
sa positiqn topographique l'alliée naturelle
de la France , le ministère de Versailles doit
regarder comme son propie bien les. forces
des Polonais., et qu'il en dïsposeroic à son
Do,T«jhy Google
33o DU GO U,V ERNEMEHT
gré pour faire des diversions dans le nord
ou du côté de l'Allemagne , et qu'il lui im-
porte par conséquent de favoriser l'entreprise
de la Confédération. Vou» ne confieriez ce
mémoire que sous le sceau du plus grand
secret , en rcmarquaiH que si quelques états
pouvoicnt soupçonner que vous pensez à ar-
ranger votre gouvernement de manière à vous
rendre une puissance considérable , vous crain-
driez de voir naître de toutes parts des obs-
tacles insurmontables à l'exécution de vos
projets. Les Confédérés ne déguiseront point
que les habitudes et les préjugés de plusieurs
Ae leurs compatriotes leur donnent de l'in-
quiétude; mats ils assureront qu'ils sont cer-
tains d'être secondés par tous les citoyens
qui sont las des troubles de la république
et ne désirent qu'une tranquillité durable.
Vous ajouteriez que toutes les difficultés dîs-
paroîtront, quand votre réforme sera pro-
tégée par des puissances respectables, dont
les ambassadeurs négocieront avec d'autant
plus de succès auprès de la nation , qu'elle
est accoutnrace, depuis long- temps à n'agir
que par les impressions qu'elle reçoit du
dehors.
Nous voudrions, diroicnt les Confédérés,
D,o,l7PCihyGt)t)^le
D I POLOGNE. 33*
que la France pût se priver en notre- faveur
de l'un de ses princes qui font ses délices
et SCS espérances; ce seroit avec la joie la
plus vraie et la plus unanime que nous relè-
verions sur le trône. Mais pnisqo'une pareille
élection alarmeroit plusieurs puissances , et
que l'cloigncincnt des Heux ne permettroit pas
à la France d'en défendre aisément la légi-
timité , nous voulons du moins tenir de SeS
mains le prince qu'il nous importe le plus
d'avoir parmi nous , et dont la maison , à
portée de nous donner des secours et de pro-
téger nos droits, favorisera de tout son crédit
l'établistement de nos nouvelles lois. Nous
avons projeté de demander un archiduc ou
*e duc de Saxc-Teschen à ta cour de Vienne.
Mais comme cette proposition pourroit avoir ^
peu d'antorité dans notre bouche, qne l'im-
pératrice et l'emperenr croiroicnt peut-être
que nous voulons les surprenAre par des es-
pérances trompeuses . et qn'ils craîndroient
même de se brouiller avec leurs alliés et de
se faire des ennemis en s' associant à nos
projets, nous osons prier le ministère de Ver-
sailles de vouloir bien se charger du soin
d'entamer cette négociation , qui anra sûre-
ment un heureux succès dès qu'elle sera com-
Dpl ..ci hy Google
3j2 du GOUVFRMEMf. NT
nicncéc sous ses auspices. Les difficultés
fc'aplanironi , et la cour de Vienne n'hésitera
point dès qu'elle sera sûre d"êttc approuvée
et soutenue par la France. Pourquoi le mi-
nistère de Versailles se refuseroit-ilà la de-
mande que nous prçnons la liberté de lui
faire, et que nous lui faisons avec la plus
grande confiance ? Car il est aise de prouver
qu'elle ne doit être inquiète en aucune ma*
nière , en voyant monter un archiduc ou le
duc de Saxe-Tesclien eut le trône de Pologne.
Par la nouvelle forme de gouvernement qu'on
se propose d'établir , le roi ne sera et ne peut
être que l'orgine de la nation; et la nation ,
accoutumée depuis long-tempS" à se délier
de la maison d'Autriche , ne recOnnoîtra pour
SCS vrais alliés que la France et ses amis.
Si le traité de Versailles , direz-vous , a
établi une alliance sincère et durable entre
les deux cofcrs , pourquoi la FraHce ne sai-
siroit-elle pas avec plaisir l'occasion de pro-
poser et de terminer une affaire qui ne peut
^ être qu'ogréable à l'Autriche , et qui resserrera
les nccuds de ■ l'amitié ? Si cette alliance, au
contraire, est suspecte aux pul^ances qui l'ont
contractée, ou plutôt, si, par une suite maU
heareuse de cette fatalité qui semble impri-
Dpi ..ci hy Google
DE POtOCKE. 533
mer une cenaine foiblesse à tous les ouvrages
des hommes , les deux cours alliées prévoient
avec douleur que rien ncst permanent, que
tout finît , et que les anciennes rivalités , plo-
tôt assoupies qu'étsintcs , peuvent encore cau-
ser de nouveaux difFérens , ne seroît-il pas
lieureux pour la France de se préparer dès
aujourd'hui un allié qui n'oubliera jamais qu'il
lui doit, ses lois et son gt>uverneaiexil, et
les forces de même que le bonheur qui en
résulteront ?
Voili , monsieur !c Comte ,' un projet de
mémoire et de négociation bien grossier et
bien succinct; mais il seroit inutile d'entrer
dans le détail de toutes les difficultés que
vous pourrez éprouver. L'essentiel dans toutes
les affaires qu'on doit traiter , c'est de prendre
bien son poste; c'est le cas de dire, dimi~
dium facli qui bcnè capit habet. Vos luroièrc^s et
votre expérience , de" même que celles de vos
amis, suppléeront a tout ce qui manque ici.
Vous verrez aisément combien il est avanta-
geux aux Polonais d'avoir la France pour
médiatrice et pour arbitre dans les affaires
qu'ils traitcrontavcclamaison d'Autriche. Cette
puissance voudra sans doute vous imposer la
loi, décider de votre gouvernement «du pou-
n.oir.PcihyGtXJ'^le
334 ^^ COUVEfcNEMENT
voir que vous devez abandonner an roi; mais
vous ne serez point obligés d'obéir à ses vo-
lontés, parce que le ministre François dé-
fendra vos droits et vos intérêts et qu'il lui
importera que vous soyez véritablement libres;
et que la maison d'Autriche , en acquérant
une nouvelle couronne, n'acquière pas un
trop grand pouvoir.
Je me trompe beaucoup, ou lés négociations
dont je viens d'avoir l'honneur de vous en-
tretenir dans ce dernier chapitre , doivent pro-
curer de grands avantages à la Coafédération.
£Ues tendent toutes à deux points capitaux
pour vous , et qu'il ne vous est pas permis
de perdre un seul moment de vue sans trahir
vos intérêts les plus précieux; l'un , de mettre
les Turcs en état de faire désormais la guerre
plus heureusement qu'ils ne la font, l'autre
d'augmenter en Pologne votre considération
et te nombre de vos amis , et de vous ménager
des protecteurs puiss ans et respectables, quand
il sera temps de proposer et de faire agréer
par une Diète générale une nouvelle forme
de gouvernement. Il n'est en effet pas possible
qa'en vous voyant toujours agir , vos amis
ne vous soient plus attachés , que les per-
sonnes indécises ne se décident en votre £a-
no,-7«jhyGt)C>»^le
DE POLOGNE. 53ç
veut, et que vos ennemis ne vons ménagent.
Oa aura le courage de se déclarer oflver-
lement pour vous , si loin de vous oublier
vout-mêmc, vous ne négligez aucnn moyen
de réussir. ^
Je vous prie, monsieur le Comte, de con-
aidérer la situation critique des Confédérés.
S~'ils ne font pas des efforts continuels pour
la rendre plus heureuse , ils doivent néces-
sairement dccheoii-; vos partisans vous abao"
donneront, on de jour en jour vous seront
moins attachés , si des succès nouveaux ne
viennent de temps en temps ranimer leur
confiance. Je ne puis trop le redire, votre
attention ne doit pas se borner à la guerre
présente ni aux moyens d'intimider ou du
moins d'inquiéter les Russes. Il faut également
vous occuper du moment qui rétablira la paix,
et du grand objet de la réforme de votre gou-
vernement. Si vous réussissez dans ces négo-
ciations, et sur-tout dans celles de Rome et
de Vienne, il est aisé de- juger qne les Confé-
dérés pourront établir sans beaucoup de peine ,
tout ce qu'ils jugeront le plus mile à la patrie.
Rien ne leur résistera quand ils seront secondés
du nonce de la cour de Rome et des niînis-
ircs de l'empereur , de la France , de l'Es-
no,-7«jhyGt)C>»^le
33G DU COUVEHiNEMENT Df POLOGNE.
pagne , de la Suède et du Danemarck. Il csc
temps de vous faire un système suivi de con-
duite , si vous ne voulez pas' toujours dé-
pendre des événemens et des- caprices de la
fortune.
Au ihâUdU de Liancourt, ce ^ juillet 17J i.
no,-7«jhyGt)C>'^le
OBSERVATIONS
SUR
LE GOUVERNEMENT
ET lES LOIS
riES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE.
Mably Ttmi VUI.
Dpi ..d h, Google
3'40 -DES ÉTATS-UNIS
l'honneur de vous faire pan de mes remarques ;
j'espère que vous voudrez bien m'apprcndre ce
que j'en dois penser.
Tandis que presque toutes les nations de
l'Europe ignorent les principes constitutifs de
la société, et ne regardent les citoyens que
comme les bestiaux d'une ferme qu'on gou-
verne pour l'avantage particulier du proprié-
taire , on est étonné, on est édifié que vos
treize républiques aient connu à la fois la
dignité de l'homme, et soient allées puiser
dans les sources de la plus sage philosophie
les principes humains par lesquels elles veu-
lent se gouverner.
Heureusement pour vous , les rois d'An-
gleterre , en donnant à vos pères des chartes
pour l'établissement de vos colonies , se lais-
sèrent conduire par leurs passions et leurs pré-
jugés : ils n'avoient que des idées d'ambition
et d'avarice. En se débarrassant d'une foule de
citoyens qui les gênoient , ils voyoient déjà
se former de nouvelles provinces qui doivent
augmenter la majesté de l'empire britannique.
' Us se flattoient en même-temps d'ouvrir une
nouvelle source de richesses pour le commerce
^e la métropole ; et ils voulurent vous faire
prospérer pour jouir, plus que vous-mêmes,
Dpi ..ci hy Google
d'améiiiq.ue. 341
des avantages de votre prospérité. VoHs aurier
-été perdus «ans ressource , si ces princes avoient
été instruits de la politique maliieurcuse de
Machiavel , pour vous donner des lois favo-
rables à leur ambition. Leur ignorance vous
servit très -utile ment ; ils s'abandonnèrent à la.
routine qui gouyernoit TAngleterrc , et éta-
blirent parmi vos pères des règles et des lois
d'administration qui, en vous rappelant que
vous étiez les encans d'un peuple libre, vous
invitoient à vous occuper de vos intérêts com-
muns. Pendant .Içug - temps vous avez été
sacrifiés aux iatérêts de la mère - patrie , et
vous avez regardé ces sacrifices comme un
tribut qu'il étoît juste de payer à la protection
qu'elle vous accordoit et dont vous aviei
besoin. Après la dernière guerre qui fit per-
dre aux Français tout ce qu'ils possédoient
dans votre continent , vous comprîtes que
vos maîtres s'ètoiènt affbiblis par leurs con-
quêtes mêmes ; vous sentîtes enfin vos forces ;
tandis que la cour de Londres , ne s' apercevant^
point du changement arrivé dans vos intérêts
et les siens , voulut appesantir son joug déjà
trop rigoureux , et cependant il vous étoit per-
mis d'espérer un sort pins heureux , et de for-
mer une puissance indépendante.
Y 3
D,o,l7PCihyGt)t)^le
S4« »Ï9 itATS-ONÏS
En nE? consultant à votre égard que l'avarice
■et l'ambition , on vous contraignît à vous rap-
peler que vous étiez Anglais, et la forme du
gouvernciàentà laquelle vous étiez accoutumés
depuis votre naissance arcndu le peuple capa-
ble d'entendre les hommes de mérite qui, par
leurs lumières , leur prudence et leur courage ,
ont éïé les auteurs de votfc heureuse révolu-
tion. Puisque l'Anglcterte, ont-ils dit, s'est
crue en droit de proscrire ta maison de Stuart
pour élever sur le trône la maison de Hanovre ,
pourqtiôi rioiis seroit-il défendu de secouer le
joug de Georges Jll , dont •!« ministère plus
intraitable et plus dur que JaTcqucs II, abus*
cruellement de "notre générosité et de notre
zèle ? Les état^'J unis d'Amérique se sont conduits
avec bien plus de magnanimité quç les Pro-
vinces-Unies des Pa^'s-Basv Loin de mendier
de tous côtés, comme elles , un nouveau maître,
vous n'avez pensé qu'à élever parmi vous un
trône à la liberté; vous êtes remontés dans
tontes vos constitutions dux] principes de la
nature , vous avez établi corn-me lin axiome
certain , que toute autorité pofitique tire son
origine du peuple : que lui seul a le droit ina-
liénable de faire des lois , de les détruire ou
de les modîBer , dès qu'il s'aperçoit de soa
D,0,l..cihyGt)O^le
d'amêriq,ui. 345
errear/oa aspire à un plus grand bien. Von»
connois&ez ia dignité des hommes, et en con-
sidérant plus les masistrats de la société que
comme ses gens d'affaires-, vous avez uni et
attaché étroitement tous les citoyens les uns
aux aQtr«6 et au bien public , pat le sentiment
actif de ramour de la patrie et de la liberté.
Paissent ces idées n'être point le fruit d'un
engouement passager ? Puissent-elles subsister
long- temps parmi voni ? Puissent-elles influet
dans toutes vos délibérations, et affermir. de
jour en jour les fondcmens de votre république
fédérativc.
C«t un grand avantage pour les Améri-
cains, <ju* les treiÉe états n'aient pas confondu
leurs droits , leur indépendance et leur liberté
pour ne former qu'une seule république qui
aùrôit établi les mêmes lois et reconnu les
mêmes magistrats. J'aurois cru remarquer dans
cette conduite des cotonies une certaine
crainte, une défiance d'elles-mêmes , qui au-
roient été d'un mauvais augure , et sur-tout
une profonde ignorance de ce qui fait la véri-
table puissance de la société. Dans cette vaste
étendue de pays que vous pcrssédez , comment
auroit - on pu affermir l'empire des lois ?
Comment les ressorts de l'administration ne se
■ ^-4
Dioii ..ci hy Google
544 ^'" ixATS-uNis
Bcroient-iUpas relâchés en s'éloignant du centre
qui les auroit mis en mouvement ? Comment
la vigilance auroit-elte pu s'étendre également
par-tout, pour prévenir les abus, ou les forcer
à disparoître ? Vous auriez vu nécessairement
le courage se ralentir , les meeurs se dégrader ,
l'amour delà liberté faire place à la licence , et
^bientôtvous ri'auriczpluscu qu'une republique
languissante ou agitée par des séditions qui
l'auroient démembrée. Le parti contraire qu'ont
pris les colonies de former une république fédé-
raûve , en conservant chacnne son indépen-
dance , peut donner aux lois toute la force
dont elles ont besoin pour se faire respecter.
Le magistrat pem-êcre présent par- tout : voa»
l'avez éprouvé pendant Ips sept années que les
Anglais vous ont fait inconsïdérénientla guerre
pour vous assujettir; il s'est établi entre les
Etats-Unis une émulation qui leur a donné le
même courage et la même sagesse. Réunies par
le lien du congrès continental .aucune de vos
provinces ne s'est démentie , et toutes se sont
prêté un secours mutuel.
Je souhaite que ce premier sentiment d'union
et de concorde avec lequel vous êtes nés jette
de profondes racines, et s'affermisse dans vos
cœurs ; que le temps et l'expérience des biens
Dpi ..ci hy Google
D'AMiRIÔ,UE. 445
dontvons allez jouirvous convainque que vous
ne pouvez point être heureux aux dépens les
uns des autres. Un avantage inestimable que
j'attends de votre fédération, c'est qu'elle vous
préservera de cette malheureuse ambition, qui
porte tous les peuples à regarder leurs voisins
comme leurs ennemis. Tranquilles et sous la
protection du congrès continental , pleins de
sécurité les uns à l'égard des autres , vous
n'aurez entre vous aucune jalonsîc , aucune
envie , aucune haine , etvous offrirez en Améri-
que le même spectaale que les Suisses présen-
tent à l'Europe , qui n'est pas assez sage pour
les admirer.
Le congrès continental, ce nouveau conseil
amphyciioniquc , mais formé sous de plus
heureux auspices qne celui de l'ancienne Grèce ,
sera le centre commun où tous les intérêts
particuliers iront se confondre pour n'en former
qu'un général et toujours le même. Les délé-
gués des états à cette auguste assemblée y ac- '
■ querront nécessairement des vues plus étendues
et plus sociales; et à IcQr retour , ils les com-
muniqueront à leurs concitoyens. Puissent
toutes les provinces qui sont circonscrites dans
des limites déterminées comme Massachussets,
Connecùcut, Rhodes - Istand, New -Jersey ,
Dioib^clhy Google
S46 DES ÉTATS-UNIS
Delawarre , Maryland , n'être travaillées que
d'un seul défaut qui honore les nations ; je
veux parler de cette heureuse abondance de
citoyens , qui , en faisant l'éloge d'un gouver-
nement , ne laissent pas quelquefois de lui
être à charge. Que ces états, monsieur, que je
viens de nommer , renouvellent le spectacle
que donna autrefois la Grèce dont les colonies
heurcuseï se firent par-tout une nouvelle patrie !
J'espère que , loin d'abuser de la multitude de
leurs concitoyens pour faire des conquêtes , ils
les enverront dans vos provinces , qui n'ont,
pour ainsi dire , aucune borne dans le con-
tinent , et dont les terres désirent des cul-
tivateurs; ces peuplades resserreront plus étroi-
tement les liens de votre union et de vos
intérêts.
J'aime à vous rappeler, monsieur , tout ce
qui peut contribuer au bonheur de l'Amérique.
Vous avez 'acquis votre indépendance avant
que de connoître l'ambition , et sûrement vous
n'imiterez point les nations de l'Europe qui se
sont dépeuplées et affoiblies en établissant
leurs colonies les armes à la main. Vous con-
noisscï trop les droits des hommes et des nations
pour que des erreurs cruelles , l'ouvrage des
fiefs et de la chcv?!cric , puissent vous tromper
Dpi .;cihy Google
B'AMiRlQ_UE. S47
comme ellesont trompé les Espagnols, les Por-
tugais, les Anglais et les Français. Je remar-
querai même avec plaisir que vous vous trouvez
aujourd'hui dans une situation plus heureuse
■que les anciennes républiques dont nous ad-
dirons le plus la sagesse et la vertu ; et que
vous pourrez avec moins de peine imprimer
à vos établissemens un caractère de stabilité
qui rend les lois plus chères et plus respec-
tables.
Vous !c savez , monsieur , les républiques
anciennes étoient, pour ainsi dire, tenfermécs
dans les ïnufs d'une même ville , et ne pos-
sédoient qu'an territoire très-raédiocre. Tous
les citoyens pouvoient aisément se trouver
aux délibérations .publiques : ces assemblées
nombreuses , en qui résidoit la puissance lé-
gislative, etcontre qui pcT-soiine n'avoii droit
de réclamer, étoient eilposées à des mouve-
mcns convulsifs de passion, d'engouement et
d'enthousiasme qui dérangeoient- souvent tout
l'ordre public. Au milieu de ces caprices, les
lois n'acquéroient point assez d'autorité pour
fixer le caractère des citoyens ; et la répu-
blique ne dût souvent son snlut qu'à la fortune
ou à quelque grand homme qui vint au secours
du peuple , et profita de sa conaCcrnation
Do,T«jhy Google
L
348 DES ÉTATS-UNIS
pour l'empcchcr d'abuser encore de son poa-
voir. . \
Chez les Américains , au contraire . la maltU
tude sera moins -hardie , moins impérieuse ej
par conséquent moins inconstante ; parce qae-
l'étenduc des domaines de chaque république ,
et le -nombre de ses citoyens ne lui permettent
pas de les rassembler tout à la fçis dans le
même lieu. Vous avez adopté la méthode mo-
derne de diviser les pays en cantons ou dis-
tricts, qui délibèrent à part de leurs intérêts,
nomment eux-mêmes et chargent de leurs
-pouvoirs les citoyens qu'ils jugent les plus
dignes de les représenter dans l'assemblée
législative de la république ! Il vous est dés lors
beaucoup plus aisé d'y mettre l'ordre. Les
représentans ne seront jamais en assez grand
nombre pour que leur assemblée puisse dégé-
nérer en cohue. Ils craindront l'opinion pu.-
•blique*; ils sauront qu'ils auront à répondre
de leur conduite à leurs comraettans. S'ils se
trompent , l'erreur ne produira qu'un mal pas-
sager, parce que leur commission n'est qu'an-
nuelle : elle servira même à éclairer leurs suc-
ccsscars qui répareront leurs fautes sans beau-
coup de peine.
Je vois avec plaisir . monsieur , que dans
hyGtJCJt^lC
D*AHéRIQ,UE. 349
toutes vos constitutions , vous avez religien-
sèment respecte les'droits que vous avez recon-
nus dans le peuple. Elles ont même mis sous
leur protection tous les hommes qui ne sont
pas encore membres de la république , parce
qu'ils n'en paient point les charges et ont
vendu le travail de leurs mains k des maîtres.
Ces hommes , sous le nom d'esclaves , si
méprisés chez les anciens , et qui aujourd'hui,
en Europe , avec le titre de la liberté , languis-
sent dans nn véritable esclavage; vous avci
eu rhabileté de lei attacher au sort de la
républiqiK en leur fournissant un moyen de
sortir de leur état et d'acquérir un pécule et
une industrie qui les élèveront à la dignité de
citoyens.
C'est par une stiite de principes d'humanité,
que vous avez adopté chez vous , par une loi
particulière etauthentique, la jurisprudence des
jurés, qui est tout ce que les hommes ont ima-
giné de plus sage pour établir entre les forts
et les foibles une sorte d'égalité , on plutôt
une véritable égalité. Vous avez assuré à chaque
citoyen cette première sûreté et la plus essen-
tielle de ne pouvoir être opprimé par un en-
nemi puissant. Le magistrat lui-même ne peut
point abuser de son pouvoir pour servir des '
*JhyGt.)t5'^IC
55o BÏS ÉTATS-UNIS
passions particulières , en feignant de travailler
à la sûreté publique. On «diroit que dans la
plupart des états de l'Europe, la jurisprudence
criminelle n'a été inventée que pour permettre
au gouvernement de sauver les coupables qui
lui sont chers , ou de faire périr ses ennemis
innoccns par le ministère même d'une justice
qui se prostitue à ses volontés. Vous ne con-
noissez point , et j'espère que vous ne connoî-
trei jamais cc^ procédures clandestine» et se-
crètes , capables d'e£Frayer assez l'innocence
pour la troubler , l'interdire et lui Ôter le sang-
froid dont elle a besoin pour se défendre. Vous
vous souviendrez toujours que c'est en voulant
vous priver de la sûreté bienfaisante de vos
jurés, pour vous soumettre aux tribunaux de
Londres, que l'Angleterre a tenté d'établir sur
vous sa tyrannie. Vous voyez enfin que c'est
à ççtte jurisprudence salutaire que les Anglais
doivent le reste de liberté dont ils jouissent,
et cet esprit national qui lés soutient dans leur
décadence. Tandis que les grands et les riche»
se vendent lâchement aux ministres, que de-
viendroit la nation , si le peuple , priré de la
protection des jurés , pouvoit être opprimé par
des jugemens arbitraires ? Il perdroit son cou-
rage et sa fierté . la dernière ressource de l'An-
hyGt)w^le
n' A M i » I Q. u t. 35 1
gletcrre. Les Etats-Unis d'Amérique n'auront
jamaîi rien à craîadre à cet égard , s'ils n'ou-'
blicnt jamais que les auteurs de leurs premièrea
constitutions ont recpmiaandé à la puissance
législative de corriger les lois qui sont trop
tévères, qoi Qétrissent l'ame ou refTarouchcnt,
et qui n'étant pas proportionnées à la nature
des délits, ne peuvent que jeter dans l'erreur
les citoyens peu éclaires, incapables de l'être,
et qui n'ont point d'autre morale que celle que
leur donnent les lois : ils confondroîent la na-
ture de leurs devoirs , et ne sauroient point
quels sont les vices dont ils doivent s'éloigner
avec le plus de soin.
Après vous avoir exposé mes espérances , je
ne dois pas , monsieur , vous cacher mes
craintes. Je conviendrai avec vous que la démo-
cratie doit servir de base à tout gouvernement
qui veut tirer le meilleur parti possible dts
citoyens. En effet , il est assez prouvé , par une
expérience constante, que, ce n'est que par ce
moyen que la multitude peut s'intéresser au.
bien de la patrie , et en la servant avec autant
de zèle que de courage , s'associer en quelque
sorte à la sagesse de ses conducteurs. Mais
vous conviendrez , je crois , avec moi , que cetto
démociatie veut être maniée , tempérée etéta-
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
352 DES iïATS-UNl'S
blic avec la pins grande pradence.Je vous prie
d'observer que la multitude dégradée par des
besoins et des emplois qui la condamnent à
l'ignorance et à des pensées viles et basses , n^a
ni les moyens ni le temps de s'élever par ses
méditations jusqu'aux principes d'une sage po-
litique. Se laissant donc gouverner par ses pré-
jugés , elle ne jugera du bien de l'état que par
ses intérêts particuliers , et ce qui lui sera utile
lui paroîtra sage.
Le peuple ne peut se croire libre , sans être
tenté d'abuser de sa liberté', parce qu'il a
des passions qui cherchent continuellement à
se mettre plus à leur aise. On se forme des es-
pérances qui préparent les esprits à être moins
dociles , on ne peut s empêcher d'envier le
sort de ses supérieurs , et on voudroit s'élever
jusqu'à eux , ou les rabaisser jusqu'à soi. Qu'ar-
rîve-t-il de-là ? Les citoyens de la première
classe ont aussi leurs passions qui , si je puis
parlerainsi , se gcndarmentcoutre la prétendue
insolence du peuple. On l'accusera de former
des projets suivis d'agrandissement , tandis
qu'il ne fait encore qu'obéir aux circonstances:
il falloit l'appaiscr , çt on i'irriie. Pour con-
server son crédit, on cherche à l'augmenter;
et telle est l'illu^ston des passions , qo'cn as-
pirant
Do,T«jhy Google
■b*AMéRi5.uÉ. ZSé
Cirant bientôt à la tyrannie , on croit n*
travailler qu'à raffermissement de l'ordre et
du repos public. Les esprits s'irritent; une
première injustice en rend une seconde né-
cessaire , les injures surviennent. Là ven-»
geance seule sert alors de. politique. Les ré-
volutions se succèdent , et c'est la fortune
seule .qui décide alors du sort de la répur
blique. Jane crois pas m'abuser , monsieur ;
par des craintes vaincs i ce qui est arriva
constamment chez tous les peuples où la li-
berté des citoyens n'a pas été établie et mé-'
nagée avec autant de sagesse qu à Lacédemone,
doit instruire les législateurs à n'employer la
démocratie dans une république qu'avec und
extrême précaution-
On me dira peut-être que les lois américaines
sont calquées sur les lois d'Angleterre , dont
t«nt d'écrivains ont loué la sagesse ; j'en con--
viens , et je voudrois , pour votre bonheur <
pouvoir n'en pas convenir. On voii , mon-
sieur , dans vos lois l'esprit des lois anglaises;
mais je vous prie de remarquer la prodigieuse
différence qu'il y a entre votre situation et
celle de l'Angleterre. Le' gouvernement An-»
glais s'est formé au milieu de la barbarie d«*
fiefs. Oh croyoit que Guillauinc le conquâ-»
Mably. Tome VIII. t
Dpi ..ci hy Google
556 DLS ÉTATS-UNIS
été plus sage de lui propôset 'simplement de
s'affranchir du joug de la cour de Londres ,
pour n'obéir qu'à des magistrats que la mé-
diociité de leur fortune rendroît modestes et
amis du bien publie ; en réglant ses droits
de façon qu'il ne pût craindre aucune injus-
tice , il auroit fallu principalement s'occuper
à mettre des entraves à raristoctatie , et faire
des kiis pour empêcher les riches d'abuser de-
leurs richesses , et d'acheter une autorité qui
ne doit pas leur appartenir.
Je croirois que les constitutions américaines
vous mettent dans le même cas où les Romains
se trouvèrent après avoir chassé les Tarquins.
Pour intéresser le peuple à la cause de la
liberté , les patriciens lui firent les plus magni-
fiques promesses. Us s'emparoient de toute la
puissance publique; tandis que les plébéiens ,
de leur côté, se Qattoient de ne plus- obéir
qu'aux lois. Les uns abusèrentdc leurs forces ,
les autres étoicnt trop fiers pour y consentir,
et de ces intérêts opposés naquirent toutes
les dissentîons de la place publique.
Vous me direz , sans doute , monsieur ,
qu'il n'est pas malheureux pour les Etats-
Unis d'Amérique de ressembler aux Romains ,
dont la république a offert le specUclc le
D,o,l7PCihyGt.X>>^L'
plus admirable et établi son empire sur tout
U monde aloi^a connu. Je prendrai la liberté'
de vous répondre qu'en effet, il n'y a point
aujourd'hui de peuplé qui ne pût aisément
se consoler de leur ressembler dans leurs
fautes, s'il pouvoit leur retsemblcr dans tout
ce qu'ils ont fait de grand, de sage et de
magnanime. Mais , par malheur , nos mceurs
modernes ne nous permettent plus d'avoir de
pareilles espérances, et ces mœurs ont passé
jUsqu'en Amérique, L'amour de la patrie ,
de la liberté et de la gloire n'abandonnoit
point les Romains , même dans les momens
on leur enffportement paroissoit extrême ; et
leurs passions s'étoicnt accoutumées à s'asso-
cier avec la justice et la modération. Il y a
long-temps que la politique de l'Europe , fon-
dée sur l'argent et le ccramerce , 3 fait dispa-
Toîrra les vertus antiques; et je ne sais si
une guerre de sept ans a pu les faire renaître
en Amérique. Quoi qu'il en soit , je crains
que les riches ne veuillent former un ordre
à part , et s'emparer de toute l'autorité , tan-
dis que les autres, trop €ers de l'égalité dont
on les a flattés, refuseront d'y consenlir; et
de-là doit nécessairement résulter la dissolu-
tion da gouvernement qu'on a voulu établir,
Z 3
Do,T«jhy Google
S5S DES iTATS-U-N'IS
Si cette révolution se fait d'uns manièi'e tran-
quille , insensible , et comme par distraction ,
ce seroit une preuve que les âmes c'auroient
aucune énergie ;.il est vrai que la lépablique
ne seroit exposée à aucune sédition, à aucun
orage; mais de quelle noblesse, de quelle
générosité les citoyens seront-ils alors capables?
et sans ces qualités , peut-il subsister un«
vraie liberté ?
Si ce changement éprouve , au contraire ,
quelque résistance , quelles cabales , quelles
intrigues , quelles menées sourdes ne faut-il
pas craindre ? J'en vois résulter la haine , la
jalousie , passions qui ne mesOrent point
leurs démarches , et qui traînent à leur suite
mille autres vices qui sont les avant-coureurs
d'une tyrannie , tantôt audacieuse et tantôt
timide.
Je m'arrête, monsieur, en entamant une
nouvelle question , je craindrois que ma lettre
ne devînt trop longue. Dans celle que j'aurai
l'honneur de vous- écrire demain, je prendrai
la liberté de vous faire part de mes réflexions
ou de mes scrupules sur les lois de Pensil-
yanie , de Massachnssets et de Géorgie. Pour-
quoi vous dissimulcroîs-je mes craintes et
mes doutes,- puisqu'ils vous prouveront l'in-.
Dpi ..ci hy Google
tcrêt que je prendi au sort derAmérique,
et que je dois aux sentimens dont voui
voulez bien m'honoier.
APitssy,U i^ juillet 1783.
Z4
Do,-/«Jhy Google
Ji tS iTATS-UNIS
CHAPITRE II.
Réfiextgm iur la lois de Peniilvanie , de Massa -r
cktiiiels et' de Géorgie.
A E croîs , monsieur , que pour procéder
d'une manière sûre , je dois d'abord p'atta-
cher à l'examen des lois fondamentales ; et
j'entends par ces mots la forme que chacune
de vos républiques a donnée à son gouver-
licmenc. C'est de-là en effet que chaque
peuple tire son caractère et parvient à le fixer,
pi cç gouvernemem pourvoit à tous ses be-^
poinfi , si toutes les parties en sont faîtes les
unes pour les autres , si elles tendent tontes
^ la même fin , et qu'au lieu de s'embar-
rasser et de te nuire , elles se prêtent un
secours mutuel, je suis sûr que de /jour en
jour la prospérité de la république s'affermira
davantage. Pourquoi? C'est que les passions,
après avoir fait des efforts inutiles pour se
soustraire à l'autorité des lois et les violer
(mpunément , prendront pcu-à-pcu le parti
^Ç se soumettre pour se trouver elles-inêinçi
Dpi ..ci hy Google
I
» ' A M i n I Q, u E. * 36i
plus à Icnr àisc. Le citoyen aura alors les
moeurs de son gouvernement , et la société
sera aussi parfaite qu'elle peut Têtre.
.Mais si la puissance législative , qui est
Tamc de l'état ou le pivot sur lequel tourne
toute la machine politique , n'est pas établie
sur de justes proportions , quels désordres ,
au contraire , n'en doit-il pas résulter ? La
Pensilvanic a confié le droit de faire les lois
i une chambre composée des hommes libres
de la république-, et choisir pour y représen-
ter les habitans de leur ville ou de leur „
contté , et porter en leur nom les lois, et
faire les rcglèmcns qu'ils jugeront les plus
salutaires. Il est ordonné que,.les représen-
tans seront choisis parmiirfcs hofnraes les plus
recommandables parleur sagesse et leur vertu.
Fort bien ! Mais je vous avoue-, monsieur ,
que je ne compterai sur cette loi' de style
qu'autant que le législateur aura pris les me-
sures nécessaires pour qu'on y obéisse fidel-
Ument.
- Si par leurs mœurs les Pènsllvahiens sont
disposés à se conformer à ce règlement ; si la
probité leur est chère , s'ils sont disposés à
la récompenser ; je demande pourquoi le
législateur ordonne que l'élection des repré»
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
36a DIS iTATS-UNI»
«cntans se fera au scrutin. Cette forme d'élec-
tion qu'on croît nécessaire me fait conjec-
turer que la Peo^ilvanie est bien loin d'avoir
l'esprit qui doit animer une démocratie. Je
-pense que d'une part , il y. a déjà des hommes
assez puissaos dans Leurs villes et leurs comté%
pour qu^on doive les ménager ; et que de l'autre,
.-on auroitde la peine à y trouver des électeurs
qui osassent dire ouvertement leur avis. Dans
toutes les républiques bien gouvernée» , je
vois, mopsicur, qu'onavoulojjuc les citoyens
eussent le courage de prononcer à haute voix
leur sentiment : c'est les accoutumer à n'en
avoir que d'honnétcs. Les plus sages politi-
ques de l'anj^qui té ont blâmé l'usage du scrutin,
et on peut se rapp^r ce que Cicéron en dit
dans un temps où la république Romaiite étoît
partagée par des partis qu'il étoit si dangereux
d'offenser. Quand la vérité est obligée de se
montrer en secret et sous un masque, le men-
songe est bientôt prêt à se montrer cË&onté-
ment. Si le scrutin annonce la décadence d'un
état libre , on ne doit pas l'employer à sa
naissance. S'il est nécessaire, concluez - en
qu'il faut resserrer ICs droits de la démocratie.
Personne , est-il dit , ne pourra être élu
représentant d'une ville ou d'un comté , à
Dpi ..ci hy Google
&'amériq,de. 365
moins qu'il n'y ai t résidé pendant les deux années
-quiprécéderont l'élection. Cette loi, il est viai ,
CfitplussagequeccUe d'Angleterre, qui permet
d'être député au parlement de la part d'une
ville ou d'un comté qu'on n'habite pas; mais
une épreuve de deux ans ne suffit pat pour
gagner ma confiance : pendant un si court
espace de temps , un homme dépravé peut ,
tans beaucoup de peine , cacher ses mœurs
et montrer des senùmens qu'il n'a MbJ'cxi-
gcrois qu'an candidat eût passé UH^j]uel-
qu'oi&ce public de sa ville ou de son comté ,
.qui l'eût mis à portée de hjxe connoître sa
probité et ses lumières. Les homines en généial
s'estiment que ce qu'on leur &it acheter un
peu chèrement ; et il importe beaucoup que
la puissance législative soit composée de ci<
toyens accoutumés à se respecter, et qni aient
UDc haute idée de l'emploi-augustc dont ili
sont chargés.
Tous les Etats-Unis d'Amérique ont exigé
une certaine fortune „ soit daos les représen-
tant, soit dans leufs électeurs : la Pensilvanie
seule admet Indifféremment à ces prérogatives
tous les habitans qui , pendant un an , auront
payé les charges de l'état. Il semble que par
cet arrangement le législateur fasse plus
'DioiI ..ci hy Google
364 DIS ÉTATS-CNll
.d'attention au mérite qu'à la fortune ; et rie»
au premier. aspect ne paroit plus juste; mais
n'y a-t-il pas , monsieur , des circonstances
où le plus grand bien n étant qu'une chimère ,
on doit se contenter par sagesse d'un établis-
sement moins parfait ? Si une république <st
assez heureuse pour ne connoître encore ni
les richesses ni la pauvreté , on peut , on doif
même y établir la loi de laPcnsilvanie, parce
qu'cUfti^ choquera point les maurs publiques,
et scrM^vorable à la démocratie. Mais si la
fortune' â déjà mis entre les citoyens des diffé-
rences qui ne permettent plus que les condi-
. lions soient' confondues , au lieu d'aspirer à
une pure démocratie , ne faudroit-il pas alors
ne lui accorder que les privilèges et les droits
•nécessaires poui rendrt l'aristooratie plus cir-
conspecte et l'empêcher de se livrer à l'ambi-
tion qui Ini est naturelle ? Peut-être le parti
le plus sage dans ces circonstances seroit-il
d'imiter la politique de Solon , qui , pour ne
-pas révolter les riches, exigca-qu'on jouit d'un
certain revenu pour avoir droit de parvenir
aux magistratures.
Un des plus dangerçux écucils de la poli-
tique , c'est de vouloir confondre et unir des
etablissemens bons en eux-mêmes, , et consi-
no,-7«jhyGt)C>»^le
d'améhiq.uï. S65
dérés séparément, mais qui ne peuvent s'as-
aocier. La loi de Pcnsilvanie favorise sans
ménagement la démocratie ; mais cette par-
tialité même n'est propre qu'à effaroucher les
riches qui ne consentiront jamais à n'avoir
pas d'autres droits et d'autres prérogatives que
la multitude on les pauvres.
Permettez -moi , monsieur, de vous de-
mander si vous croyez que les mœurs et Ici
■ préjuges que vous avez ccmtractés sous la do-
mination AngUjse vous permettent d'aspirer
i une pure démocratie , gouvernemcni excel-
lent avec de bonnes mœurs , mais détestable
avec les nôtres. Pour moi , je croirois que
l'Amérique est poussée à l'aristocratie par une
force supérieure qui détruira les lois qui vou-
droient s'y opposer. La politique , qui doit
s'occuper de l'avenir en réglant le moment
présent, fera donc une faute insigne si elle
veut établir entre les citoyens une égalité de
droits , contraire à tous leurs préjugés , et qui
par conséquent ne peut subsister. Plus le
législateur prendra des mesures pour réussir ,
moins il doit se flatter de réaliser ses espé-
rances : ses efforts ne serviront qu'à irriter des
passions intraitables qui précipiteront la répu-
blique ou dans l'anarchie ,ou dans l'oligarchie.
Dioiir^cihyGocj^le
366 nES ÉTATS-UN^IS
.Je ne crains point de me tromper en disant
que la démocratie demande beaucoup de
mceurG ; et j'ajoute que , quelques sages et bien
prdportiennées CDtr'elles que soient sci lois
constitutives, elle ne peut subsister que daas
une république telle que celle de l'ancienne
Grèce, oniouslcscitoycns se connoissoient, se
servoient mutuellement de censeurs, ctétoient
continuellement sous les yeux et sous la main
des magistrats. Cette doctrine que jeprcnds la
liberté de vous exposer, je l'ai puisée dans
Platon , dans Aristote , dans tous les polidques
anciens ; et il me semble que cette savante
théorie n'est que trop bien prouvée par toute
l'histoire. Dans ce moment j'ai sous les yeux la
carte de vos possessions , et jenepuis songer,
sans une sorte d'effroi , à la vaste étendue du
territoire que renferme la Pensilvanic .Une fau t
qu'un homme adroit, hardi, entreprenant, qui
n'ait rien à perdre et beaucoup à espérer dans
le trouble, pour y causer ou du moins pour
y préparer une révolution. Mais sans parler
de CCS aventuriers qui , de leur autorité privée,
s'érigeront en tribuns du peuple , qui me ré-
pondra que quelque riche commerçant , en
affectant une politique populaire , ne profitera
pas des inquiétudes , des haines , des-jalousies
Dpi ..ci hy Google
I> ' A M É A I Q. U E. S67
toujours renaissantes dans une démocratie où
les fortunes sont si disproportionnées , pour
attiserlc fea de la discorde civile, essayer soa'
pouvoir et établir sa tyrannie.
On me dira peut - être que je me fais des
cliimèies pour avoir le plaisir de les combattre;
mais je vous prie, monsieur, de relire ï'his*
toirc de Florence ; et vous craindrez , si |e
ne me trompe , qu'il ne s'élève en Pcnsilvania
des Médicis', qui passeront de Icar banque
ou de leur comptoir sur le trône. A quoi ne
peuvent pas conduire l'ambition , le génie ,
l'argent et la faveur populaire ? Il ne Oiudroit
qu'un pareil exemple pour rompre tous les
liens de votre confédération. Je suis fâché de
m' arrêter si long-temps sur ces tristes objets ;
mais si la politique , instruite de la force
des passions et des caprices de la fortune ,
ncveutpas se tromper , elle doit être très-facile
à craindre, et plus difficile encore à espérer.
tt Le peuple , dit la loi de Pcnsilvanic , a
■ droit de s'assembler , de consulter pour le bien
commun , de donner des instructions à ses
représentans , et de demander à lalégislature,
par la voie d'adresses , de pétitions , ou de
remontrances, le redressement des torti qu'il
cioit lui être faits ii.
Dpi ..ci hy Google
36S DES ÉTAtS-UNl«
Je voQs avoue , monsieur, que j'ai peine
à comprendre la pensée de cette loi. Que - liî
peuple ail droicde consulter sur ses intérêts, et
de donner des instructions à ses represeotans,
quand il astnsscnibîé pour les nommer, rien
n'est plus juste ni plui raisonnable , rien n^est
n'est séditieux. Mais je demande si le peuple
a droit de s'assembler, toutes les fois qu'il lui
en prendra fantaisie , sans ètic asCrËÎat à au-
.cune règle , à aucune police , et sans être sous
les yeux d'un magistrat ? Si c'esi-là l'esprit de
la loi , il faut convenir , monsieur , qu'à
force d'être populaire , elle est véritable-
ment anarhique. Les lois ne peuvent tendre
trop respectable la puissance législative ; et
-je vois ici tiu'on J'expose aux caprices d'une
assemblée tumultueuse que ramassera un
brouillon , un mécontent qui aura assez d'é-
loquence pour entraîner les esprits. Ces
adresses , ces pétitions , ces remontrances
peuvent être utiles et même néccssaties en
Angleterre, où les.parlemcns sont septénaires,
et trahissent quelquefois les intérêts de la
nation ; tandis que le roi et ses ministres ont
une autorité tropi prépondérante dont il est à
propos de. se défier , et qu'il est sage d'inti-
mider. Mais en Pcnsilvante elles ne sont
bonnes
Dpi r^dhy Google
d' A M i R l" Q. U ï. 36g
■feonnes à rien , parce que l'asseiiiblée législa-
tive s'y renouvelle tous les ans , de même
que les magistrats chargés de la puissance
exécutrice. Si je ne me trompe , les lois en
Angleterre doivent tenir le peuple attentif à
ses intcfcts , parce que sa liberté a de puissans
ennemis ; mats , au contraire , cUcs doivent ap-
prendre au peuple de Pensilvanic à avoir un
peu de patience , et sur-tout à ne jamais agir
que sous la direction d'un magistrat , parce
que l'anarchie ne lui peut être d'aucune utilité.
' Je vous découvrirois moins librement mes
pensées , monsieur., si vous aimiez moins la
vérité , ou si mes erreurs étoient capables de
vous tromper. Je doute que vous approuviez la
constitution de -Pcnsilvanie V quand au lien
de rendre lapoiaiance législative bussi respec-
' table V aussi gtàade , aussi complète qu'elle
doit rêire , elle lui refuse la faculté de rien
ajouter ni de rien changera sa première cons-.
dintton. Voilà , je l'avoue , une étrange loi.
Les législateurs as&emblés à Philadelphie pour
jetet les foiLdemeaa d'une république naissante
pouvoient-îls ignorer que rien ne peut borner
lapuifsxnce légielaiivc ? Cette assemblée se
croyoit-èUe infaillible ? De nouvelles circons-
Miibly. Tomt YIII. A a
Dpi ..ci hy Google
373 DES ilATS-UNIj
demande comment cette distinction aristocra-
tique peut, si je puis parler ainsi, s'amalgamer
avec les principes tout démocratiques des
Pcnsilvaniens. La vanité qui est dans le cœur
de tous les hommes , est de toutes Ics-passions
la plus agissante et la plus subtile. Je gagerois
que ces Francs -tenanciers regarderont leur
privilège comme une sorte de dignité qui les
sépare , et doit les séparer des citoyens qui
ne possèdent pas des terres. Après les avoir
dédaignés, ils ne voudront point se confondre
avec eux. Voilà deux ordres de familles. De
ce que les unes jouiront d'une prérogative
particulière , elles .concluront qu'elles doivent
former un ordre à part. Je vois se former une
noblesse héréditaire que. les lois; américaines
proscrivent. Je vois: dos combats continuels
entre Taristocratie que tes passions établiront,
et la démocratie que. Us, lois protégeront ; et
pour que la république en sortit av£c, avan-
tage , ou du moins s^s sx perdre ,:il taudroit
que les citoyens eusscptfiles vertus: des beaux
temps de Romp , -,c'c:5t-à,-dir«i crussent. qu'il
y a quelque chose ;d« gpJus, précieux que
l'argent. j . ■■ . -_- ;■ :,.b " ' .
ti S'il arriyoit, qu'ruoe- ou pLuâlcurs liiits ,
Dpi ..ci hy Google
d'amériq.uï. 373
un ou plusieurs comtés négligeassent ou re-
fusassent d'envoyer des représcntans à l'as-
semblée générale, les deux tiers des membres
des villes ou comtés qui auront élu et envoyé
les leurs, auront tous les pouvoirs de l'as-
semblée générale , aussi pleinemeht et aussi
amplement que si la totalité étoît présente ,
pourvu toutefois que lorsqu'ils s'assembleront,
il se trouve des députés de la majorité des villes
et comtés »). *" . ■
Voilà , je l'avoue, monsieur, une des lois
les pins extraordinaires qu'on puisse trouver
dans le code d'un peuple qui s'assemble pont
former sa constitution. Je demanderois volon-
tiers aux législateurs sur quel fondement ila
ont soupçonné , ou prévu que quelque ville
eu quelque comté pourroil cire capable d'une
pareille négligence , ou d'une mauvaise volonté
si criminelle. Si cette loi leura paru nécessaire,
il faut qu'il y ait déjà dans l'esprit des citoyens
un préjugé , une erreur, un vice qui sépare
leurs intérêts de ceux de la république et y
préparc Un schisme fatal. Il falloit donc en
même - temps y remédier ; il falloit dons
prendre des mesures pour empêcher que la
puissance publique ne fût dégradée. Car les
villes ou les comtés qui n'auront pas envoyé
Aa 3
D,o,l7PCihyGt.)t>»^le
574 DIS Itats-unis
leurs reprëscntans à rassemblée générale lé-
gislative, prétendront sans doute ne pas obêÎT.
i des lois qui ne seront pas leur ouvrage.
Vice énorme ! il suppose une indifférence mons-
trueuse pour la patrie , et annonce dans une
démocratie Tentière dissolution de la repu»
tliquc.
A la bonne heure , que les portes de l'as»
semblée législative soient ouvertes à tout le
monde : ce sera une école où les citoyen»
pourront aller s'instruire. Il est bon qu'on
imprime tous les tiiiit jours le journal de ses
sessions : la démocratie est ennemie du mystère,
et elle a besoin qu'on l'éclairé ; mats il est
peut-être dangereux que tous les bills qui
auront un objet public soient imprimés pour
être soumis, à l'examen du peuple. C'est peut-
être le plus sûr moyen de rendre tout problé-
matique. Qui ne sait combien le peuple est
ignorant, imbécillc et sujet à la prévention;
quand il auroit mcipe autant d'esprit et de.
lumières que le peuple de l'ancienne Athènes.
Le légïslaieur n'anroit-il pas dû se borner à
prescrire que le,s raisons et les motifs qui dé-
termineront à porter une loi seront complète-
ment et clairement développés dans le préam-
bule des ordonnances ? Cette précaution suffi-
no,- .«jhy Google
■d'amer I(i,tJE. 575
toit pour porter les représentani à ne pas agit
téméraircmcDt , et prémunir le penple contre
les lophismes des citoyens inquiets et maU
înientionnés.
Pastons à la puissance exécutrice , sans la-
quelle il scroit inutile de faire des lois. Les
Pensitvanicns l'ont confiée à un conseil com-
posé de douze magistrats , qui doivent être
aomtnés par tes mêmes électeurs qui auront
choisi les représentans de la villci de Phila-
delphie , et des onze comtés qui forment cette
tcpflblique. -Ce conseil aura à sa tête un pré-
sidcQtou son vice-président ; et l'un et l'autre
seront élus tous les ans au scrutin par l'as-
Bemblée générale et le conseil réunis , mais il
seront toujours choisis parmi les membres du
conseil.
. J'oscroîs blâmer , monsieur , et cela sans
crainte de me tromper , que la formation du
conseil exécutif ne soit pas l'ouvrage de l'as-
semblée générale. Pourquoi, je vous prie ,
confier à vos électeurs de 21 ans , à une
multitude toujours ignorante et portée natu-
rellement à aimer les magistrats indulgens ,
le soin de choisir des hommes destinés à
veiller à l'observation des lois , et manier les
intérêts 'les plu5 importans , et les affaires
A a 4
Dpi ..ci hy Google
3,7 6 DE» ÉTATS-UNIS
les plus délicates de la lépnbliquc ? Qai peut
être ceasc plus capable de ce choix -que les
leprésentans si incéiesscs à ce que leurs lois
soient conservées avec la plus grande fidélité?
Je croîs d'ailleurs que c'est le moyen le plus
favorable pour établir entre la puissance légis-
lative et iapuissance exécutrice , naturellemenc
' jalouse l'une de l'autre dans tout gouvernement
libre , et presque toujours enneaiies dans la
démocratie, cet accord et cette harmonie qui
font le bien de l'état. Il me semble que sans
blesser leurs principes , les législateurs de Pen-
silvauie pouvoient accordera l'assemblée gé-
nérale la faculté de choisir les membres du.
conseil exécutif parmi les représentans qui la
composent. Il en seroit résulté plusieurs avan-
tages. Le comté dont le représentant auroU
été élu seroit flatté de cet honneur ; car les
hommes ne négligent rien de tout ce qui peut
itiLércsser leur amour-propre-. Il se seroit foimé
une soite d'émulation entre les comtes : ils
auroient été attentifs à n envoyer à lassemblce
générale que des citoyens dignes de concourir
pour les places du conseil. Le corps déposi-
taire des lois auroit été composé des hommes
les plus estimables , et par cet intérêt commua
de gioiie et d'émulation , le caractère uop
Dpi ..ci hy Google
d'amériq^uï. 377
jnconsidéïé et trop intrigant de la démocratie
auroît du moins été un pCQ tempéré.
Ce n'est pas tout, monsieur , je pourroîs
observer qu'il est très-difficile que ce nombre
de douze conseiUerssufiiie à toutes les affaires
-de l'adminisiratidn. Je dcmanderois encore
pourquoi , dans un goiiverncmcnt où , sous
prétexte de son extrême liberté , on ne se
donne pas plus de peine à penser et à réflc-
c'iiir que sous le gouvernement le plus des-
potique , les législateurs assemblés à Phila-
delphie n'ont prescrit aucune règle , aucune
police, aucun régime sur la manière de traiter
les alFaircs , soit dans J'assembléc générale ,
soit dans le conseil exécutif? Les phîlosophei
prescrivent à leurs disciples la route qu'ils doi-
vent tenir pour chcrclicr et trouver la vérité: les
législateurs ne doivent ils pas être également
attentifs à établirdcï formes pour conduire à la
justice et au bien public, puisqu'ils ont affaire à
des hommes souvent peu instruits , et que les
pas^iions peuvent égarer les plus éclairés.
Après vous avoir exposé tant de doutes et
de scrupules, j'ai vuavec le pins grand plaisir
dans la constitution des Pensilvaniens qu'ils
n'aient pas confié la puissance exécutrice ,
comrai la plupart des Etats-Unis , à un conseil
D,o,l..(iby Google
37S . DES ÉTATS-UNIS
qui dût se renouvcller entièrement toutes
les années. Le conseil compcsé de magistrats
triennaux verra sortir tous les ans les quatre
plus anciens , qui seront remplacés par
quatre nouvelles élections, (t Au moyen de
cette rotation CQntinuelle , dit la loi , il y
aura plus d'hommes accoutumés à traiter les
afiaires publiques ; il se trouvera dans le
conseil un certain nombre, de personnel
instruites de ce qui sy sera fait l'année d'au-
paravant , et par - là les affaires seront con-
duites d'une manière plus suivie et plus uni-
forme*}. Je conviens que la Pensilvanie aura
moins d'écarts et plus de tenue dans ses prin-
cipes , que les republiques qui n'ont établi
qu'un conseil dont tous les membres sont
snnueU : mais cela ne suEBt pas pour me
rassurer. Les magistrats d'une république
naissante , et qui travaille à former son ca-
ractère , n'ont-ils pas besoin d'une plus longue
autorité pour y établir des maximes , des
principes constans , et lui donner , pour amsi'
dire , l'allure la plus favorable à son bonheur ?
Peut-on penser, monsieur, sans frayeur, à
cet amas d'hommes qui composent les sociétés ?
Tous ont des passions très -actives et diffé-
rentes. Les uns cependant sont incapables
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
de penser, et c'est le grand et le très-grand
nombre : les autres ne sont propres qu'à
combiner cntr'elles les idées qu'on leur a
données ; et au milieu de tout cela , il s'élève
quelques hommes de génie , qui cependant
be pcnietont pas toujoars de même. Que
■deviendra donc une république si elle n'a
pas en elle-même un corps toujours subsis-
*tant , qui conserve religieusement le dtpôt
des lois , de rapoiitiquectdacaractèrc national,
comme les Vestales conscrvoient le feu sacré
de Vesta? Analysons, je vous prie, monsieur,
les histoires de Lacédcmonc et de Rome , et
vons verrez , je crois , évidemment que ces
deux républiqnes n-ont dû les vertus , la
politique, la sagesse , la constance et 'le ca-
ractère , en nn mot , que nous admirons ,
qu'à rétablissement de es sénat perpétuel
qui en étoît l'ame. Par - là l'aristocratie et
la démocratie étoicnt tenues en équilibre ,
et il en résultoit une forme mixte qui con-
servoit les avantages des deux gouverne-
mens, sans avoir aucun de leurs vices. J'ai
vu avec beaucoup de plaisir dans la consti-
tution de New-York , que cette répuplique
s'est fait un conseil composé de S4 membres ,
dont les quatre plus anciens sortiront tous
Dpi ..ci hy Google
S8o DES ÉTATS-UNIS
les ans , et seront suppléés par une nouveire
élection de quatre candidats , qui sans etfort
prendront naturellement l'esprit du corps dans
lequel ils entrent , et le transmettront à leurs
successeurs en sortant de place.
Malgré la sévérité amicale avec laquelle j'ai
examiné les lois de Pcnsilvanie , je suis pé-
nétré du plus profond respect pour les légis-
lateurs qui les ont portées. On voit en mille'
endroits une connoissance profonde des droits
de la nature et du cœur humain; mais je
le répète, dans un moment où vous étiez enfin
forcés de ne plus reconnoître l'autorité de
l'Angleterre , et qu'il falloit se hâter de for-
mer une conslituiionpour prévenir l'anarchie ,
et déconcerter les vues criminelles des parti-
sans que les Anglais avoient parmi vous , on
n'a pas eu le temps d'arranger de la manière
la plus parfaite toutes les parties du gouver-
nement. Les législateurs peuvent revenir sur
leurs pas ; l'amour de la patrie les y invite ,
et je ne doute pas qu'ils ne donnent à la
Peusilvanie le gouvernement le plus conve-
nable à sa situation présente , en s'occupant
cependant de l'avenir.
La forme du gouvernement établie dans
la république de Massachussets est calquée
n,5ii7PcihyGt)C5^le
d' A M i R I Q, U E. " 38 1
sur le gouvernement d'Angleterre, mais elle
est beaucoup plus sage. Ce qu'on appelle
parlement chez les Anglais est appelé chez
vous , monsieur , cour générale. Elle est
composée d'un sénat qui représente la chambre
haute d'Angleterre , et d'une chambre de
représentans , qui jouit des mêmes droits que
la chambre des Communes à Londres. Cha-
cune de ces deux chambres peut dresser des
biiis à part; on se les communique mutuel-
lement , et ceux qui sont adoptés à la plu-
lalité des suffrages par les deux chambres ,
sont adressés au gouverneur qui les approuve
en y mettant sa signature , ou qui les ren-
voie en exposant les raisons qui l'ont empêché
d'y donner son consentement. Cependant si
les deux chambres persistent dans leur réso-
lution , et que les bills , dans ijn second
examen , soient encore approuvés , non pas
simplement à la pluralité des voix , mais par
les deux tiers des membres présens , alors
les biils rejetés par le gouverneur ont force
lie loi. 11 en est de même si le gouverneur
tarde plus de cinq jours à faire connoître son
sentiment : par son silence , il est censé tout
ipprouver, -
Il me semble que cette admiaistratioD est
Dpi ..ci hy Google
38a DES ÉTATS-UNIS
bien plus sage que celle d'Angleterre. Ua
gouverneur annuel , qui devant bientôt rentrer
dans la classe des simples citoyens , ne peut
avoir aucun intérêt d'augmenter sa préroga-
tive. , qui est éclairé par un conseil qu'on
lui a donné , qu'il n'a pas choisi et ne peut
disgracier à son |ré; un magistrat, en an
mot, qui n'a par sa fortune aucun moyen
d'acheter les suffrages de la cour généraile ,
ni d'en corrompre Ici membres en tentant
leur ambition par des titres et des dignités ,
n'est point l'ennemi de la liberté publique,
comme un roi d'Angleterre à qui set passions
donnent des intérêts contraires à ceux delà
nation ; qui mine sans cesse et lourdement
lés droits des grands et de la commune ;
et qui, en avançant peu-à-pcu vers le pouvoir
absolu par le moyen de la corruption , énerve
les âmes , affoiblit le sentiment de la liberté , et
trouvera enfin un moment .où en agissant avec
vigueur et dureté , il étonnera et consternera
les Anglais, comme. Henri VHI , et leuc ap-
prendra à plier sous le poids de json sceptre.
D'ailleurs , je fais attention^ qu* le roi d'An-t
gletcrre ayant la prérogative du vxlo , gêne,
arrête , captive la puissance législative qui
ce peut pas poiter les Lois oécesïïîres à .sa
D,o,l7PCihyGt)t)^le
aûreté. Le parlement obligé de négocier ne
peut agir avec la simple et noble fermeté qui
lui convient. Réduit à une défensive qui
doit à la longue le perdre , il ne peut y
icooDcer sans exposer L'état aux plus grands
désordres , et remettre sa destinée au sort toa-
jours incertain des armes. Le gouverneur de
Massachusscts ne fait, au contraire , que des
remontrances à la puissance législative: c'est
un ressort qui n'en retarde l'action que pour
la rendre plus laluiaire , en prévenant toute
précipitation, toute surprise et tout engoue-
ment. La cenwre que les deux chambres de
la. cqur générale exercent l'une sur l'autre, en
pouvant rejeter mutuellement leurs biils , est ,
si je ne me trompe , favorable à la stabilité
du gouvernement. Elle arrête le goût des
nouveautés , elle inspire aux citoyens un plus
grand atia<ïhement et un plus grand respect
pour les lois; et l'examen qu'on attribue au
gouverneur de Massachusiets n'est propre
qu'à assurer tous ces avantages.
Peut-être aurez^-vous le cbagiàn , monsieur,
de voir la'.Pcnsilvanie se liwer à tous les
caprices de la démocratie , tandis que le gou^
varnenHtiit -de Massachussets s'afTcrmirà;; sur
ces 'piiucipeS'. VouS'avez eu 1^ sagesse , ea
Dpi ..ci hy Google
384 BES ÉTATS-UKIS
formant une lépublique nouvelle qui secouait
le joug d'un maître dur et qui vous immo-
loit à SCS intérêts mal-entendus , de ne présen-
ter aux esprits que des lois qui se lient sans
cîTort à toutes les idées auxquelles ils étoient
accoutumés , et qui , loin de blesser les an-
ciennes habitudes , ne servent qu'à rendre
la liberté plus agréable et plus tranquille. Vos
concitoyens n''ont point éprouvé le soubre-
saut que les Fensilvaniens ont souffert dans
la révolution de Icui gouvernement. Sur une
base démocratique qui assure à lamnltitude sa
liberté, sans lui donner des espérances trop
audacieuses , vous avez établi une aristovatie
qui , par sa nature , est moins remuante , plus
égales clle-mcme, et que les mœurs de TAmé-
riquc , trop semblables à celles de l'Europe ,
rendent aujourd'hui nécessaire. Tandis que
la Pensilvanic , emportée loin de ses opi-
nions , de SCS lois et de ses habitudes famîliè-'
res , peut s'enivrer d'une liberté démocratiquç
dont elle ne connoit pas les ressorts , et qu'elle
confondra vraisemblablement -avec laUccnce,
la république de Massachussets |.plus mesurée
4lans ses opérations , parce qu'^K/i n'aura à
concilier que des intérêts moins Jojiçoséa ,
affermira son gouvernement et ^on' caractère
no,-7«jhyGt)C>^le
D ' A M É R I ^ U E. 385
' Jt ne doute point que les personnes qui
tic pensent qu'à la dignité et aux droits cbm-i
miins que. tous les hommes tiennent de la
tiature , ne préfèrent le gouvernement de Pcn-
silvanie à celui.de Massachussets. Mais' je
ne suis pas mojns. persuadé qu'elles change-
ront de seiitiig,çn5, si abandonnant leurs spé-
cul^ions métaphysiques, elles étudient l'espiit
humain, si borné dans la plupart des hommes.
Il semble , en effet , par la manière dont la
nature leur dispense inégalement ses faveors,
qu'elle prépare elle-même la subordinatli>a
dont la société ne peut se passer. C'est donc
en se conformant à ses lois, que nous devons
établir les nôtres , et ne pas donner le pouvoir
df conduire à ceux qu'elle a destinés à être
conduits. Qu'on descende dans notre cccur
pour ydémêlerle germe de toutes les passions
qui cherchent continuellémentàscdévelopperj
qu'on étudie la fc^ce de nos habitudes qui
obscuicisteut les lumières de notre raison ^
et finissent par nous rendre chers des abus
que nous aurions crus intolérables; et l'on
sera convaincu que^ politique la plus sage
est celle qui se. prête le plus aux besoins
des circonstances pour en tirer le meilleui
paru possible. Je ne puis trop le répéter ; 4
Mably. Tomt VIII. Bb
D,0,l..cihyGt)Ogle
$SS DES ÉTATS-UNIS
mesare que les mceiirs se relâchent , les loù
et le pouvoir doivent être plus resscriés , a
le gouvememenc confié à moins de mains,
ËD effet , monsicar , ne voit-on pas claire-
Hicnt dans toutes les révolutions des éiats
qu'une démociatie corrompue les conduii
malgré eux à l'aristocratie , et que ce gon-
'V<:Tncmeat à son tour devient oligarchique
pour finir par la monarchie ? Voilà où nom
viène la marche des passions , si on-Ies tais»
faire ; et c'est à les retenir dau^ leur cours,
(t à Ic^ diriger vers «ne fin utile , ç"e&t-à-diKi
bonnète, que consiste tout l'art de la législation,
- C'est à vous , monsieur , qui connoisso
les progrès qufi les vices d'Europe ont faîK
dans vos états , djE juger du gouvernem*'
qui leur convient le mieux. Pour moi , ]t
H-ai.que des lumières fort incertaines sur «ne
çïatière. J'ai ouï di^e que les Pcnsilvaniens
iont beaucoup plus culrivateurs que coinm"'
çans , et ne connoisscnt point ces fortunes
disproportionnées et trop grandes qu'on n'
rencontre que trop dans la république^'
Massachussets. Soit; mais cela safîit-il p""'
jusdfier leur démocratie ? Je sais que l'agncul-
turc donne deS mceurs bcaucoupplus simpi''
étjiJiis pures queic commerce; maisjevô'* ^'"
D,o,l7PCihyGt)t>»^le
d'Amérique,' 387
1« poTt -de Philadelphie ouvre une porte fxv<w
rable à l'industrie et au commerce. Si les li-
chesses qac donnent les tcncs sont agréablei
et chères aiiKP^iisilvanicns, pourquoi néglige-
ront-ils de Us augmenter en suivant l'exemple
des Bostoniens? Je demande quelles mesures les
lois ontpriscs pe^ui les arrêter sur le bord du pré-
cipice. Je demande , en second lieu , si dan^ un
gouvernement tout populaire , il est possible
d'tn prendre. Ce seroit un miracle du premier
-ordre , si un peuple qui cultive péniblement Ij
terre pour^' enrichir, quiaurabî-entôtdes ateliers
et des ©uvri-ers pour travailler et façonr^r l«8
matières premicies , afin de favoriser. Tagri-
culture même et de hâter ses progrès , est
cs-pabie de ne pas se laisser entraîner par
le sentiment dontilsera affecté. C'est àlaloî,
c'est au gouvernement à venir à son secours.
Jic demande encore quelles seront alors les
Fe&saurc-es de la démocratie. Je m arrête long-
temps sur cet article , monsieur, parce que
je désire de tout mon cœur , que la Pensil-
vanie s< donne, oii adopte des principes poli-
tiques- plus proportionnés à ses bcsoini, aux
ckconstaoces présentes et aux malheurs dont
e-Ile est menacée.
J'en reviens à MassacUussets , monsieur ,
Bb s
Dioii ..ci hy Google
5^90 Dïl ÉTATJ-ONrS
•Ccue colonie est nouvelte , elle occupe m
grand tcrFÏtoÎTe, et l'on me dit que le nombii
de ses habitans ne mon.'j pas â quarante mille.
Quelles heureuses circonstances pour ctablii
une république chez un peuple qui n'est
encore occupe qu à chercher ses richesses
dans le défrichement des 'terres voisines de
SCS habitations ! Tontes ses idées doivent na-
turellement se porter du côté de ragricullure,
qui donne seule aux homnies l'abondance,
conserve la simplicité de leurs mœurs, et dis-
pose leur ame au* grandes choses. Aussi a-
l-o» vu celle colonie si foible, et plus exposa
que toute autre aux malheurs de la ■guerre, nt
se jjoint démentir , et donner l'exemple du
courage et de la prudence.
Si j'avois été- assez heureux pour être un
cuoyen de Géorgie , je crois que dans Vasse^-
blée qui en rédigea; la constitution , j'aurai*
fait ujus me's eiForts pour affermir plus solide
ment cet esprit de modération , de modesiiti
dont ii me semble que mes concitoyens, ffl^''
gré leurs mœurs , ne connoissent pas asseï It
prix. (* Mes frères, mes amis, aurois-je ait.
rendons grâces à la providence d'avoir con-
duit l'Amérique à l'heureuse révolution (j"'
assure son indépendance , avant le temps q"'
Dpi ..ci hy Google
D' A M É R 1 Q. U e; 391
dcyenus trop nombreux et tiop riches, il naus
auroit peut-être été impossible d'assurer notre
liberté sur des fondemens incbranlabfcs. Nous
nous trouvons en assez petit nombre pour
pouvoir nous entendre; et nos mœurs, que
des besoins inutiles n'ont pas corrompues ,
nous permettent encore d'établir dans notre
république naissante les wrais principes de la
société , d'élever une barrière entre nons et les
vices qui ne permettent pas de prendre la
route qui conduit au bonheur, ou qui la foni
lucntôt abandonner. Les hommes n'ont de-
véritables richesses que les productions de ia^
terre ; vûulons-nous être solidement heureux ?
apprenons à nous contenter des fruits que
nous devons à notre travail; ils nous suffiront
et ne nous manqueront jamais. Prenons îles
mesures pour que rien ne soit capable d'al-
térer celte pjécieusc vérité que nous connois-
sons encore, mais que l'exemple contagieux,
de nos voisins peut bientôt nous faire oublier^
Je vois avec chagrin, continuerois-je*, que
vous ordonniez de graver sur le sceau de la^
république une belle maison. J'aimerois mieux.
qu'il ne présentât qu'une maison simple et
modeste , qui rappellcrqit à notre postérité des;
mceuts saus- Inxe et saus ^te qui ont fondé-
Bb 4
Dioii ..ci hy Google
3g9 DES ÉTATS-UNIS
cet état et qu'ils doivent imiter. Je verrai aved
plaisir, dans l'empreinte de ce sceau, nn champ
de blé , une prairie couverte de gros et de
menu bétail , une rivière qui la traversera.
A ces images qui peignent votre caractère ,
pourquoi voulez-vous ajouter un vaisseaw qui
vogue à pleines- voiles ? Songeons qu'il sera,
pour nous la boîte de Pandore : craignons de
nous familiariser avec ces idées d'une fausse
prospérité , et que nous n'imprimerions que
trop facilement dans la raison encore peu
formée de nos cnfans. Plût-à-Dieu que jamais
aucun vaisseau^en nous apportant des besoins
et des plaisiisinco'nnus, ne vienne nous dégoû-
terd'une simplicité qui peut suffire à notre bon-'
heur! Plût-à-Dieu que nous fussions enfoncés
dans les terres, ctque nous n'eussions à craindre
de tous côtés que le voisinage des sauvages,
bien moins dangereux que la mei qui baigne
nos côtes! Pourquoi cherchons-nous à favo-
riser les ports de Savannah et de Sunbury, en
permutant à l'un d'envoyer quatre représentans
à la chambre d'assemblée , et à l'autre deux
pour représenter et favoriser leur commerce?
Gardons-nous de suivre l'exemple de cette
malheureuse Europe qui a voulu établir sa
force, sa puissance et son bonheur sur des
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
Xt*AMéKIQ.t)E. SgS
richesses qui dcvoJent l'affoiblir et l'appauvrir.
Si nous regardons le commerce comme l'objet
et la fin d'un état florissant, il faut dès ce-
moment renoncer à tous Les principes d'ane
bonne pùliùque , ou nous attendre qu'après
les avoir établis, ils seront bientôt renversés.
Si nous voulons encourager les vertus dont
nous avons besoin , et les faire aimer à nos
enfans, accardons des honneurs, des récom-
penses , des distinctions aux cultivateurs tes
plus habiles et les plus laborieux , etquî, pour
apprendre à défendre leurs possessions , se
délasseront des travaux de la charrue par les
exercices glorieux de la milice. Ne songeons
point à attirer parmi nous une grande multi-
tude d'hommes ; ils ne vaudroient pas une
poignée de bons citoyens qui ausont de l'ame
et de la vertu»».
Je m'arrête à regret, monsieur, et je me
contenterai d'ajouter ici quelques remarques
sur la constitution de la Géorgie. Il me semble
que. cette république tient un milieu entre la
politique de Pensilvanie et celle de, Massa-
chusscts. Il ne suffit point d'y payer les taxes
de l'état pour être élevé à la dignité de repré-
tani , mais la fortune qu'on exige est trop
modique pour ne pas s'accordec avec la démo-
D,o,i.?dhy Google
$94 DIS ilATS-U. NtS
ctatie. D'un autre Coté , tes législateurs s'é-
loigoent de Ta istocraiic eu n'étabUssaot point
comme cea^. de Massri.ùui,scts deux chambres
pour exercer la puissance Ugislaùve : on yoû
que l'égalité leur est chère , puisqu'ils ne
veulent pas regarder comme citoyen tout
habitant qui n'aura pas renoncé d'une manière
authentique à ces titres particuliers qu'une
petite vanité a imaginés , et qui semblent desi-
gner en Angleterre une sorte de noblesse. Je
m'informerai avec empressement de toutes les
nouvelles qui pourront intéresser la Géorgie.
Si on me dit qu'elle s'oppose à'ia corruption,
non pas par des lois vagues , mais par des \
«tablisscmens qui. favorisent et protègent les !
mœurs , j'augurerai bien de sa fortune. On
verra disparoitte les défautG qu'on peut repro-
cher à ses lois actuelles, où ces débuts n'au-
ront aucune influence fâcheuse.
Les lois portées par la chambre des reprt-
Bcntans seront soumises à l'examen du gO"'
vcmcur et de son conseil chargés de »
puissance exécutrice. Leurs remontrances
seront portées à la puissance législative pa'
«n comité qui exposera les changcmcns qu*
demande ic gouverneur, et les motifs qui '^*
rendent nécessaires. Pendajit cette confércBce
D,o,l..cihyGtK>gle
d'amékiq,ue. SgS
des deux pouvoirs, le comité sera assis et
couvert, et les représentans auront la tête nue,
à l'exception de roraieur de la chambre. Voilà
le monde renversé , et il est extraordinaire
que les agens, les commis, les gens d'affaire^
de la république paroissent devant leur maître
souverain avec les marques de la prééminence
et de la supériorité. Je sais* fort bien qu'un
chapeau de plu» ou de moins ne prouve rien
chei un peuple assez vertueux pour aimer
également les lois et la liberté. De ce vain
cérémonial t on conclura simplement qu'on a
voulu apprendre aux représentans le profond
respect qu'ils doivent au. ministres des lois.,
iorsqu'en se séparant, ils seront rentrés dans la
classe des simples citoyens. Mais chez un
peuple corrompu,- ou la vanité et l'ambition
ne travaillent qu'à saper les fondcmens de l'é-
galité , il n'en faudroit pas davantage pour tout
perdre. Les plus légers prétextes suffisentàdes
passions pour se faire des prétentions qui de-
viendront insensiblement des droits qu'on
défendra par toutes sortes de moyens.
A Passy, 6 août 17S3. .
Dpi ..ci hy Google
Sgfi DES ÉTATS-UNIS
LETTRE III.
Remarques sur quelquts objets importans, relatifs
à la législation des Etals-Unis d'Amérique.
XL Seroît inutils , monsieur , d'entrcr-dans un
examen particulier des lois par lesquelles les
autre^ Etals-Unis d'Amérique ont établi chez
eux la puissance publique; je toihbcrois né-
cessairement dans des Tepédiion^ inutiles et
fastidieuses : il me semble que ce que j'ai eu
l'honneur de vous écrire dans ma lettre précé-
dente, en vous entretenant des trois répu-
bliques que j'ai étudiées d'une manière' plus
particulière , peut s'appliquer à toutes les
autres. J'ajouterai que si les citoyens de Mas-
sachussets, de Pensilvanie et de Géorgie tra-
vailloient dans un nouvel examen de leurs
constitutions , à mieux proportionner les lois
aux besoins des circonstances dans lesquelles
ils se trouvent ; s'ils s'occupoient autant de
l'avenir que du moment présent ; si leurs
réglemens établissoicnt on équilibre plus juste
entre la puissance législative et la puissance
exécutrice ; si l'ambition du peuple , moins
Dpi ..ci hy Google
■»'amériq_ue, 397
%xcitè& par les' droits et les espérances que lui-
donne la démociaùe , ne devoit jamais avoir
besoin de faire des efforts convulsifs pour dé--
fendre sa dignité ; si les riches voyoient devant
eux assez d'obstacles pour ne pas oser choquer
leurs inférieurs ;' CCS républiques scrviroient
de modèle aux autres qui scroient à Icnr tout
plus retenues dans leur conduite , et profite-
roient sans doute des exemples mis sons leurs
yeux. Cependant, s'il s'y élevoit encore quel-
ques troubles, les antres s'offriroient comme
médiatrices ; la réputation de leur sagesse
donneroit du poids à leur négociation , et peu-
à-pen les bons principes s' établir oient dans
toute la confédération.
, Les trois républiques , dont j'ai eu l'honneur
de vous parler , sont les seules qui aient sentit
le prix des. mœurs et d'une bonne éducation ,-
ou du moins qui en aient parlé. Les législateurs
de Massachussets ne songent pa^'seulenîeni à
étendre les lumières de notre; çspjrit.; iU
veulent encore qu'on grave profondémcol
dans le cceur des enfans les principes de l'hu-
manité et de la bienveillance générale, de la
charité publique et partictiUèje j de l'industrie,
de la frugalité, de l'honnêteté, de l'exactitude
dans les procédés , de la sincérité , de toute»
Dioil ..ci hy Google
400 DES iTAÏS'UNIS
rager les citoyens i ne pas roDgir de leitt
sJtnpUcité. 11 faut, pat des lois somptuaires et
favorables aux mcears , prévenir le progrès da
taxe, diminuer tes besoins de la mollesse et de
la vanité, passions qui no connoissent point
de bornes, qui perdent cnEn les monarchies
mêmes, et détruisent en un instant les répu-
bliques. C'est par cette discipline publique et
générale que sera véritabUmjent acbevée Té-
ducaûon de vos enfans.
La Caroline Septentrionale et la Géorgie
entrevoient l'utilité de l'éducacion, et ne disent
pas un mot <ics mœurs ; est-ce que ces deux
états n'en connoissent pas le pouvoir ? Quid
leges sine moribtu uana proficiunt ? On voit avec
plaisir que les législateurs de Pensitvanie se
pont occupés de cet objet; mais en louant les
-vertus, il falloit prendre des mesures pour les
faire aimer. C'etoit une chose d'autant plus
importante , que plus un gouvernement es£
démocratique, plus les raceuisy doivent avoir
d'empire. Le peuple, plutôt conduit par ses'
habitudes que par ses lumières, qui sont tou-
jours foiblcs et mêlées d'une- foiile de préjugés,
s'y laisse emporter par la fougue de ses pas-
, sioDS et de ses opinions , et ne counoît point
ces différcns tempéiamens auxquels les prin^
cipaux
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
D ' A M É R r Q. U E. -^ 4u l
cipaux citoyens d'une aristocratie sont accou-.
tumés pai leurs propres intérêts. Mais la
Pensilvanie ne pourvoira utilement aux mœurs
publiques qu'autant qu'elle s'appliqueraàcor-
rigcr les principaux citoyens des vices quiv
doivent leur être les plus naturels. Pour y
travailler avec quelque succès , il faudroit
certainement ne pas borner l'autorité du con-
seil des censeurs à examiner si la constitution
a été conservée sans la moindre atteinte.
Ce conseil qui doit s'assembler tous les
sept ans , paroît d'abord assez favorable à la
tranquillité publique. On a espéré sans doute
que cet établissement donneroit de la patience
aux citoyens qui auroicnt de jusres sujets Je
plaintes , et que l'espérance de voir -bientôt
réparer les torts qu'on leur auroit faits, les
empècheroit de cabaler , d'intriguer, ou dé
prendre des partis vrolens. Mais je demande
quelle sera la conduite, quel sera le pouvoir
de ces censeurs donc la PensUvanîe attend' la
perpétuité de SCS lois et de son gouvernement:,
s'ils ne sont pas secondés par les inceurs géné-
rales de la TCpublique ? llp éprouveront sans
doutcle sort des censeurs romains, qui, après
avoirrendu de si granijs scrvicesàleur patrie,
lui devinrent inutiles , quand la corruption
Mably. tcmc VIIL Ce,
no,-7«j'h,Gt)C>»^le
)p}T BES ÉTATS-UNIS
^ui faisoit mépriser les' lois les obligea a se
taire. Si on vouloir que le conseil des censeurs
de Pensilvanic pût remplir les devoirs dont il
est chargé , il aurolt nécessairement fallt»
joindreaupoTivoir dont il est revêtu le soin de
pressentir les abus , d'être attentif aux symp-
tômes qui annonccroient quelque vice nou-
veau, et de venir au seco.urs de quelque cou-
tume honnête, de qnelqu'nsage. louable et dc^
quelque vertu qui paroîcroit s'altérer et s'affoî-
blir. J'avoue même que malgré ces précaution»
je ne serois pas entièrement rassuré. Pour pea
qu'on ait réfléchi sur la nature, ie cours, la.
marche et les progrès des passions , on voit^
qu'elles ont besoin d'être soumises à une cen-
sure vigilante , attentive et perpétuelle. Si la
Pensilvanie ne coraiDence pas par prendre ie»
mcEuTS sous sa protection, les encourager,,
écarter ce qui peut leur nuire, je craindrai
qu'an conseil qui ne s'assemble qoe tous le*
sept ans pour réparer les tors faits à la consti-
tution, et la raffermir sur ses principes, ne
soit de tous lés conseils le plus inutile : il sera,
tii-même emporté par le torrent des mceur»
p:ubliqaes.
Quoique je ne doute point, monsieur, que
vous, ne soyez persuadé que sans, le secoms
n^iir^cihyGooi^le
,D* A M è R 1 Q. b K> 40J
iâes mœurs ^ toutes les' lois sont superflues,
permettez- moi d'être un peu long sur cet
article. Je prierai les Etats-Unis de faire
attention quiils ont d'autant plus besoin des
secours de la morale et des ctabUsscmcns par
lesquels. elle sait rendre agréable et chère aux-
citoyens la pratique des vertus les plus néces-
saires , que vous ne .pouvez presque tirer
aucun avantage de la rcUgjon, que la politique
djC tous le» peuples; a cependant regardée
comme un des plus pui^sans' ressorts qui font
mouvoir le cœur hxiraAîn, et dirigent, notre
esprit.
'Vos pères ont jeté les premiers fondemens
de vos colonies dans le temps que l'Angleterre
occupée, ainsi que le reste de l'Europe, des
controverses théologiques, étoît déchirée par
des guerres de ;religion. Ils fuirent d'une
patrie oà régnoit le fanatisme, et pleins d'une
juste horreur contre l'absurde tyrannie qu'on
cxerçoit sur les consciences, ils regardèrent
comme le' comble du bonheur la liberté de,
servir et d'honorer Dieu de la manière que ■
chacun croiroit la plus raisonnable. Cette ma-
nière de penser devint le" premier pripcjpe dç
la doctrine et de la conduite de vos pcrcs;,et
leurs enfans la succèrent, pour ainsi dir« ,_avec -
C c 2
n,o,i7P(ibvGt)0^le
404 des: ÉTATS-UNIS
le lait de leUrs -nourrices. Il paroSt par vos
constitutions qae cette 'liberté indéfinie de
conscience -forme encore l'opinion publiqut
et générale de vos républiques. Maïs les cir-
constances ne sont plus les mêmes : vous
n'obéissez plus aux Anglais qui pourvoyoitni
à votre sûreté; vous êtes obligés de vous gou-
verner aujourd'hui par vous-mêmes; et pcDl-
ctra qu'en accordant les mêmes droits à tootci
les sectes diiîérentes et qui se sont accon-
lumécs et familiarisées les unes avec les autrts,
il auroit été nécessaire de restreindre un pd
voire extrême tolérance pour prévenir les abu!
qui en peuvent résulter.
■ Puisque la religion exerce sur l'esprit dts
hommes le pouvoir le plus absolu,: il seroit
sans douic de l^ plus grande utilité que ton!
les citoyen* d'un état, réunis par on menit
coite , obéissent aux mêmes lois divine >
tomme ils obéissent aux mêmes lois po'i'
(iques ; par-là , la religion joindroit ses for"'
à celles du gouverne nicYit pour' lïs reno"^
■ heureux. Je sais , monsieur, que les Efets-UmS
ne peuvent plus aspirer à cet avantage. !-«"
vangiic qui sert de régie commune et générait
à'toutcs les sectes qui vous séparent de coi»'
«nnnion, vous ordonne la paix et l'arnow °^
D,o,l7PCihyGt)C>»^le
D[', A M É. 5 ï <i. U, E- 40-A
proclia!» ; et le gouvcrn«mcnt qui rapproche
tant de religions difféFontes , les protège EptitcS
pour ae conformer aux règles de -la-ish?!^^!!^
chréticBjic. Mais:permet.t«-mei d^, TQMft dc,-
mandor si ye5:répybUqu»«'0îi'tpriï dSP.flTftVyrfîft
convenables pour qiie' :d!autr;ies rïouVfaui^és,
religieuses, que. vous ne csiriROÔfi.seit pas encore ,.
et dont* vous, devez. 3(ouS' défier, ne viennent
troubler ■votre repoe, etTcnouvellsreri Arâ^>'
riquc^Ics ttagcdies' s?i»gIaHtesi;doot ljEut«p«
n'a été que , trop long-temps lc-,tl)éâue«. .■..^. .
On>nc pcutcertainéincnt point blômorquc:
vous 3^âz réduit lc»taînis>«« de. là rcHgion à
Fensoigner;' vous Icar.'^vcz dît avec Jésus-,'
ChTÏst ,■ qî^ic' Icur-TOyauine n'est point dï ca
monde; Plût au ticl que les cmpcreuts, le*
roto, IcS' princes qui erabrassèrentde ûhristia-c
nismc , ~cxx échange âti biens spirituels, que
leur. donnaient leç ministres de la religion:,-: aie
les eu»ïent ^point accablés -dt richesses r -de
dignitésv "'de grandeurs- temporelles .: c'était
semer l'ivimie dans U champ du père de &mille/
et celte ivraie a en effet étouffé le bonqgmmii
Le spirituel a obérauiixmpovel. ^ •". '^'- .jôI*
Les législateurs de la confédération amérW
caine-sc sont bien préservés de ce défaut-Les
miniitrc» de* difFéïeetes tcligiona que vom
Ce 3
no,-7«jhyGt)C>»^le
■406 DES ÉTATS-UNIS
admcttcjt nt? jpm«S6îilT|^e de la protection qnc
les lôîs^oivent à tout homme poni sa sûitté;
mais ils' ne sont point citoyens, ;pi>isqu'ils
n'çiiït' aucune part à l'administratiQn- publique
OU' ptfliliquc des affaires. D ailleurs, la médio-
crité di: leurs bonoiraircs attiédit toutes leurs
passions.- De grandes possessions, ne les In-
vitent; pas comme en Europe: à- conftjndie
d'abord et ensuite à préférer leurs'vîntérétstem-
por-êls^'ccux de la religion : voilà- un 'grand
bien. Mais poarqu,oi flétrir en qaciqnc-sorte
deï'hommes chargés d'enseigner la morale ?
Vous, paroissez. vous défier d'eux,; c'est les
i«vi«t". à ne pas aimeri.vQs lois. Que voufi en
jturojhi -îîii'coûté pour marquer. L'c5timc 'que
voùs.dev-ozi.-sans-dioatt; à plusieurs miatstres.
d6vdS'|-eH§ions?iJ: Siiffisouide leur pertiieHrc
deivotet dans voaélcctkns , et'.âejne Ica ex-
durcudc toute charge publique que sous;pié-;
tHxtc3dc:ne::les.-potnt distraire .4^5 f^HÇ'iooi
"SmfbMantes dont ■ils-SQO.t chargés. C^e^-tàinsi
'^'csi Europe on .s"«6t q 11 elcpicforsi.'dçb errasse
âesict^lxsiàstîques dont le pouvoiriiiicommo-
doit, ou qui .joflbHjMjait.tropola; S»m<Qjé d«
■ Itlir.iiïinistèrc. ^rr?. :[ ■:'. «i-i -■; ';:-3i '•■: ■
iiMais'je passt .à. une .obsoryation plus- im--
P#Ilflme;?Ne"CFai'g.nei-y©us J'Qint^^JUi8ï»ic^M;^
DÔi-r«jhy Google
d' A M i B I ^i y E.' 4^7
^uc de ce mêlan'gc de tant de doctrines di-
verses, il ne naisse une indifférence générale
pour le calte particulier de chacune de ces
religions ? Ce culte cependant est nécessaire
pour ne pas tomber dans un déïsmc , qui ne
peut rassarer la politique que quand il se
trouve dans des hommes élevés au-dessus de
leurs sens et en état de méditer par eux-
mêmes sur la sagesse de Dieu , et de connoîCre
ce que la morale exige d'eux. Ces déistes peu-
vent être vertueux , maïs le culte auquel ils
ont été accoutumés en naissant leur devient
peu à peu indifférent ; ils le négligent , et leur
exemple détruit tout csprit.de religion dam
cette foule de citoyens qui sont incapables
d'y suppléer et de se faire des principes. Il
s'établit alors dans la mul,dcude une espèce
d'athéisme grossier qui hâttf la ruine de«
mœurs. Atuehé à la terre , le peuple n'élève
plus la pensée au ciel, et oublie le souverain
magistrat de l'univers.
Pourquoi lis -je dans les lois des Fensil-
vaniens, (( qu'aucun homme qui reconnoît
l'existence d'un Dieu ne peut être justement
privé d'aucun droit civil comme ci^toyen , ni
attaqué en aucune manière à raison de ses
tcutimeos en matière de religion , ou de Ix
Ce 4
Dioii ..ci hy Google
4oS DES ÉTATS-UNIS
forme partrcuUère de son culte »» ? En s'ti
tenant à la religion chrétienne, peut -01
craindre raisonnablement qu'elle n'offre p
asset de sectes parmi vous pour conientc:
tout le monde ? Voulez-vous , sous prciait
de peupler plus promptement" vos terres, y
appeler les religions les plus étrangères ?jf
n'use point m'expliquer sur un pareil projet;
je dirai sciileijient que les plus grands iégis-
lateurs ont toujours été bien moins occupés 1
attirer beaucoup d'hommes dans leurs répB-j
bliques , qu'à y former de bons choyens
les unir par la même manière de penser. Sod'
gcz, je vous prie , monsieur, que le caractère d:
votre confédération n'est encore qu'ébaucht
■Une guerre deseptansn'apointdonnéàvoséiai!
unespritnational. Dans ces circonstances, «
seroit un grand malheur qu'une foule cocu-
dérablc d'étrangers. vînt se jeter parmi vous,
vous apporter ses préjugés, et retarder pï'-"
le progrès des mœurs publiques qui doive'
unir et lier les citoyens par une conBan"
-rautucUc,
Apporter parmi vous de nouvelles îtl^'
gions , rfcst y jeter une pomme de discordt,
et réveiller cet esprit de dispute et de caaKO-
verse que le temps a fait heureusement dtsp*'
DQITAJhy Google
d' A M i a 1 Q__ u E. 40g
roître. Si ces religions nouvelles, font des pro-
sélytes , comme on a tout lieu de le craindre ,
quand on connoît la sottise du peuple et son
goût pour les nouveautés les plus extraordi-
naires et les plus bizarres , par quelle raison
n'exciteroient-elles pas des haines , des jaloa-
sics et des querelles améres ? Dans ce-- mo-
ment la république, il est vrai, n'y prcndroit
ptut-être que peu de pari; car les Etats-Unis
ne vont être d'abord occupés que des soins
de leur commerce et de leur agricnlcure; mail
quand il se sera établi cKez vous , ce qui n'ar-
rivera que trop promptement, on ordre dif-
férent de dignité entre les familles ; quand
vous aurez une population plus abondante;
quand vous serci exposés aux dissentions, que
doivent faire naître les querelles de la démo-
cratie et de l'aristocratie ; je .voudrois bien
savoir pourquoi des citoyens avares , ambi-
tieux , hypocrites et rusés n'associcroient pas
ces partis naissans aux projets de leur ambi-
tion. Ce. qui est arrivé en Europe me fait
craindre pour ce qui doit arriver en Amé-
rique. Les questions que Luther et Calvin
agitoient n'auroicnt troublé que les écoles,
si des hommes puissans , qui tes méprisoient,
, n'eussent feint de les respecte/ pour se faire
Dpi ..ci hy Google
410 DES ÉTATS-UNIS
des partisans et se rendre assez forts pour
troubler l'état et élever leur fortune paiticu-
lière.
Il me semble que tes législateurs de là
Caroline méridionale se sont plus écartés que
tous les autres des principes qu'une saine
politique se permet quand elle est obligée à
tolérer plusicars religions. Ils ont ordonne
que (* lorsque quinze personnes mâles , ou
«n plus grand nombre, âgées au moins àt
. vÎDgt-un ans , professant la religion protes-
tante , convicndroot de se former en une
société pour l'objet du culte religieux , il*
seront bien et duemcnt autorises à former
un corps et une église particulière qui~ sers
réputée et regardée en vertu des lois , comme
de la religion de cet état. ») L'esprit d'une
pareille loi n'est pas, comme dans les autres
Etats-Unis, de tolérer toutes les religions
pour prévenir le fanatisme ; au contraire , elle
n'est propre qu'à le tenir éveillé et lui donnci
des forces. La religion présente des vérités
mystérieuses, et les craintes et les espérances
qn'elledonne doivent foi temcntjoccuper toutes
les personnes capables de penser. Il faut donc
Uavailler à calmer les esprits et prévenir ies
controverses. La loi de la Caroline mctidio-.
D,0,l7PCihyGt)C5^le
DAMÉRIQ.UE. 411
nale fait précisément lont le contraire. Tout
le monde sait combien les hommes tiennent
à leurs opinions particulières; combien il est
doux de les voir adopter et de régner sur la
raison de ses disciples. Il paroît beau d'être
le chef d'une secte ; et puisque la Carolirre
■permet à tout étourdi de vingt-un ans d'as-
pirer à cet honneur , en profitant de son ima-
gination , et de l'ignorance de quatorze autres '
étourdis ■ comme lui, on doit être sûr qu'an
lieu d'avoir une religion raisonnable , elle
n'aura que des enthousiastes et des illuminés.
Dès qu'une république admet dans son sein
diverses religions , qui , pour le bien de la paix ,
de. l'union , de la concorde, de la charité,
jpuûiscnt toutes des racrocs avantages et des
mêmes prérogatives , je croirois qu'il faut
nécessairement que les ministres de ces reli-
gions aient la même liberté d'enseigner leur
doctrine. Mais je désireroîs que chaque
église , après avoir exposé ses dogmes et sa
discipline dans un catéchisme , ne pût ensuite
y faire aucun changement , sous prétexte de
s'exprimer avec plus de clarté , ou de pré-
senter les vérités dans un meilleur ordie; il
ne doit être permis d'y rien changer. Par-là
on prévient, dans chaque secte, les disputes
Do,-;«jhy Google
4tS DES iTATS-UMS
et les qQcrclles ; on empêche que les autres
églises ne s observent scrapulcusement pour
juger si leurs droits ne sont pas blessés p^i
ces nouveautés ; les religions s occuperont
moins les unes des autres; et l'habitude de
se voir sans mépris , sans inquiétude et sans
haine, s'affermit davantage de jour en jour.
Les travers de l'esprit et du cœur humain
sont si grands , le temps pe'it et doit amener
des circonstances si variées et si bizarres .
qu'on ne peut prendre trup de précaotions
contre le fanatisme, ou contre 1 todifFércnce
que semble préparer la multiplicité des reli-
gions. Pourquoi donc le gouvernement n'au-
roit-il pas lui-même son catéchisme moral et
politique , qu'on apprendroit aux enfans en
même temps qu'on les instruiroit des dogmes
particuliers de leurs pères'ct do culte par lequel
ils doivent honorer Dieu ? H seroit digne de
la sagesse ducongrès continental de composer
un pareil ouvrage- Ce corps respectable de
magistrats , sur lequel repose toute la pros-
.périté des treize Etats-Unis d'Amérique , dé-
clarcroit donc que les saintes écritures étant
entendues et interprétées d'une manière difie-
rente par des hommes qui ont cherché la vé-
rité avec des intentions pures et des lumières
Dpi ..ci hy Google
, d'amériq,ue. 4i3
égalfis, il croiroit outrepasser son pouvoir en
voulant décider une question sur laquelle la
providence divine ne se déclare pas d'une
manière positive cl sensible. Il est juste et il
est pieux , diroit - il, que toutes Us religions
d''Atnérique , en adorant les profondeurs des
jugemens de Dieu , se" tolèrent mutuellement,
puisque la providence les tolère toutes avec
la même indulgence. Ne jugeons point nos
frères dans la crainte de nous juger nous-
mêmes. En faisant des prières sincères pour
la révélation et la propagation de la vérité ,
que les Américains observent avec fidélité le
culte dans lequel ils ont été élevés. S'ils se
trompent, qu'ils soient persuadés que la bonté
divine fera grâce à l'erreur d'un homme qui.
crtoit de bonne foi obéir à la vérité. On peut
se tromper aisément dans les rapports de la
religion avec Dieu , parce qu'ils sont enve-
loppés de mystères; mais les rapports de la
religion avec la société sont connus de la
manière la plus évidente. Qui peut douter que
Dieu n'ait voulu unir tous les hommes par le
lien de la morale et d,cs vertus sur lesquelles
est fondé le bonhcitr de chaque citoyen et de
la s6.ciétc ?
Je sais , monsiear , ce que la religion dorai-
no,- .«jhy Google
J
4l4 DÈS ÉTATS '-UNIS
liante en Europe pcDt dire contre un pareil
catéchisme : aussi n'est-ce point en théolo-
gien que je parle , et je me borne à dire qu'il
est une suite nécessaire de- la tolérance donc
vous ne pouvez vous écarter. Vous sentez que
toutes vos' religions auroicnt les nnes pour
les autres l'indulgence que vous désirez. Les
enfans , imbus de bonne heure de cette doc-
trine, en conscrvcroient les principes 'pendant
toute leur vie : les citoyens acroient attachés
à leur religion ," parce qu'ils en attendroient
de grands bien-s dans une seconde vie, ei
n'auroieni point une haine indiscrète contre
les autres religions , parce qu'elles procure-
■ roient à leurs sectateurs les mêmes récom-
penses et le même bonheur.
Je désirerois que , pour former et fixer le
caractère national , le catéchisme du congrès
continental ne s'en tînt pas là. Pourquoi cet
ouvrage , sans cesser d'être à la portée des
enfans et des hommes qui doivent leur res-
sembler pendant tout le conrs de leur vie par
la pesanteur ou la légèreté de leurs organes et
de leur esprit, ne deviendvoît-il pas un traite
complet de morale ? Il dt aisé- d'exposer la
nature de tous nos devoirs dune manière
«impie r courte et seasiblc , et chaque hoii"»^
Dioii ..ci hy Google
d' A M i; R 1 Q_ U E. 4l5
pourra en tirer plus ou moins de consé-
quence, suivant que la nature lii'i aura donné
plus ou moins de facultés incellectuellci. Après .
avoir fait connoître les devoirs de l'homme
comme homme , on le considéreroit comme
citoyen , et de ce nouveau rapport, on vcrroit
naître de nouvelles Vertus , à la tête desquelles
seroit l'amour des lois , de la patrie et de la
liberté. Je fcrois voir ensuite , par des images
et des exemples sensibles , comment ces trois '
vertus ont besoin les unes des autres pour
conserver toute leur dignité. Elles s'égarent et
se dégradent toujours , ai elles ne sont pas
toujours unies. Je ne voudrois point, mon-
sieur , de raisonnemens métaphysiques ; il
s'agit d'éclairer les simples , et de fournir des
principes aux philosophes qui voudront for-
mer des magistrats à la république; discuter
le pouvoir de nos passions, leur cours, leur
marche, leur union , remonter à l'origine de
nos vertus et de nos vices , et nous rendre
précautionnés contre nous - mêmes , en nous
montrant combien nous sommes enclins à
nous laisser tromper par les fausses apparences
du bonheur et du malheur.
Je me suis étendu fort au long, monsieur;
sur ce catéchisme, "dont je ne vous offre
Dioii ..ci hy Google
4l6 DES ÉTATS-UNIS
cependant qu'une légère esquisse ; niais je le'
demande au congrès continental , non-seule-
ment parce que je crois que chacune de nos
républiques en retirera un grand avantage
pour radrainistration de ses affaires particu-
lières, mais parce qu'il servira encore à res-
f serrer leur union , en leur donnant à peu près
la même manière de penser. J'ajouterai , pour
mieux faire connoîtrc la nécessité de cet ou-
vrage , qu'il est très-dangereux d'établir par
une loi la liberté la plus absolue de la presse ,
dans un état nouveau , qui a acquis sa liberté
et son indépendance l'avant que d'avoir l'art,
ou la science de s'en servir. Il est vrai que ,
sans la liberté de la presse, il ne peut y avoir
de liberté de penser, et que nos mœurs , par
conséquent, et nos connoissances ne peuvent
faire aucun progrès. Accordez tout aux savans
qui étudient les secrets de la nature , qui cher-
chent la vérité dans les débris de l'antiquité
et les ténèbres des temps modernes, ou.quï
écrivent sur les lois , les règleraens , les réso-
lutions et les arrangemens particuliers de la
politique et de l'administration ; leurs erreurs
ne tirent point à conséquence ; leurs discus-
sions , telles qu'elles soient , aiguisent notre
entendement , l'accoutument à une marche
réglée ,
D,o,l7PCihyGt)t)*^le
D'AMiaiQ.UE. 417'
réglée, et jettent des lumières utiles à la mO'>
raie et à la politique.
Mais les Américains étant trop familiarisés
avec les idées philosophiques , les opinions
et les préjugés de TAngleterre , pour s'ea
détacher subitement, comment pourroit - on
pspérer qu'ils ne continuassent pas à tirer des
conséquences dangereuses des erreurs qu'ils
regardent comme autant de principes . s'ils
avoicnt la liberté de tout imprimer, avant que
le congrès continental éûc établi les vérités qui
doivent former la morale , la politique et le
caractère de la confédération ? Tandis que
vos républiques n'ont point encore créé chez
«lies un conseil, ou un sénat pour leur servir
de palladivm , conserver et perpétuer le même
esprit , à quelle inconstance de doctrine ,
à quelles bizarreries , à quels désordres ne
devriez - vous pas vous attendre , si chaque
citoyen , qui a quelque talent pour écrire ,
pouvoit impunément entretenir le public de
«es rêveries , et attaquer les principes fonda-
mentaux de la société ?
Ce n"êst pas ainsi que se sont gouvernées
ces républiques anciennes qui méritent encore
notre admiration. Elles se défioient de la
foiblcsse de l'esprit humain ; elles savoient
Mably Tome VIII, D d
Dpi ..ci hy Google
^Jl8 DIS ÉTATS-UNIS
combien le mensonge établit facilement son
empire sur les hommes; elles connoissoient
les passions dont la-muliicnde est agitée dans
une démocratie, et les passions plus sérieuses
et plus constantes de l'aristocratie. Dc-là leur
attention à les diriger ou à les opprimer, et
à proscrire tout ce qui pouvoit porter quel-
que atteinte aux mœurs- Si l'impression leui
avoit été connue, il n^est pas vraisemblable
qu'elles eussent permis à des écrivains témé-
raires de publier des paradoxes dangereux
pour faire du bruit, et de soulever les hommes
incapables de penser, contre ceux à qui les
lois confioicnt le gouvernement et le bien
public. Sparte chassa de son territoire un
poëie^, qui avoii loué des plaisirs qu'elle mé-
ptisoit, et ne permit pas d'ajouter à la lyre
une nouvelle corde qui auroit rendu ses sons
tendres et efféminés. Rome rcgardoit les vers
des Sybiltcs comme un livre sacré qu'elle con-
sultoit dans les circonstances les plus diffi-
ciles ; mais elle le confioit à des magistrats
particuliers, et comprit qu'il seroit dangereux
de le laisser entre les mains d'une populace
incapable d'en pénétrer le sens et de l'ajuster
aux maximes de la république.
Je croît , monsieur , que je ferois connoîtrc
Dpi ..ci hy Google
DAMÉKI<LUE. 419
totite l'importance de ma remarque , en rap-
pelant ici combien est petit le nombre de»
hommes capables de penser par eux-mêmes
et de discuter nne opinion. Le reste est an
amas d'enfiins qui n'ont aucune idée à eux , '
qu'aucune absurdité ne choque ^ et dont l'en-
tendement est tout entier dans leur mémoire.
Si le gouvernement est fait pour diriger l'es-
pèce de pensée de ces hommes, comme les
pères sont destinés à conduire leurs cnfan's
dont la raison n'est pas encore développée,
n'cst-il pas vrai qn'en ne ménageant pas la
raison yiédiocre, commune et toujours enfan-
tine de la plupart des citoyens , il ne seroit
ni moins imprudent , ni moins coupable ,
qu'un père de famille qui -ne garantiroit pâa
ses enfans des opinions dangereuses par les*
quelles on pocrroit égarer leur raison nais-
sante et encore trop foîblc pour discerner la
vérité , et ne la pas laisser tromper par des
paradoxes et des mensonges ?
Si des sophistes, ou des esprits gauches en
Amérique comme en Europe , attaquent le*
vérités qui servent de fbndemcnt à la morale
et à la politique ; si des hommes passionnés
sacrifient les premiers principes de la société
à leurs intérêts particuliers; si des écrivains
Dd 3
D,0,l7PCihyGt)C5'^IC
4«0 DES ÉTATS-UNIS
sans mœurs apprennent aux citoyens à èlts
sans crainte , sans honte, sans remords et sans
honneur; si d'autres vendent indiffércmraeni
le mensonge et la vérité , pourquoi les pas-
sions , moins hardies en Amérique qu'es
Europe , y produiroient-eUes des effets raoim
funestes ? Voyez ce qui se passe dans norrt
monde : grâces aux livres écrits pour faiic
aimer le vice , les mœurs ne connoissent çki
aucune règle; elles ont alfoibli , ou plmoi
détruit l'empire des lois : les gouvernemcni
en sont dénaturés , et la politique sans moraii
erre à l'aventure , et ne quitte une erreur qm
pour en prendre Une antre.
Je désircrois donc que tout écrivain m
obligé de mettre son nom à son ouvrage ;ti
«'il offensoil les mœurs, la majesté des lo».
le respect dû aux magistrats chargés de û
puissance exécutrice , qu'il fût Soumis à k"'
animadversion . S'il se cachoit sous un no"'
supposé , pourquoi tic subiroit - il pas ""'
peine plus considérable ; puisque sa fe'""
même est une preuve qu'il connoissoit le '"'
qu'il a lait, et ne s'est pas trompé ionoctm-
ment ? 11 seroit juste que pendant quell»''
' années , il fût privé de tout droit de citoy"
dans les élections.
/
D,o,l..cihyGtX>gle
D*AMéRIQ,UE. 4f>
Quoique dans toute cette lettre, monsieur,
je ne vous aye parlé que du poavoir des
mœurs , de la nécessité de les corriger et d'en
prévenir ensuite la décadence , si on veut avoir
un gouvernement et des lois salutaires , j'avoue
que je n'ai , en quelque sorte , qu'ébauché
cette importante matière. Si les personnes qui
eont à la tête des affaires en Amérique désirent
de plus grandes lumières , elles les trouveront
dans l'excellent ouvrage que le jdocteur Browti
publia il y a 35 à «6 ans , sous ce titre :
(( Mœurs anglaises , ou Appréciation des
mœurs et des principes qui caractérisent ac-
tuellement la nation britannique. *> Je ne
connoia point d'ouviagc plus profond en poli-
tique; et l'auteur, à la manière des anciens,
considère dans le moment présent l'avenir
quil annonce. Cet écrit eut d'abord le plus
grand succès en Angleterre ; les esprits furent
effrayés des vérités qu'on leur préscnioit ;
mais la corruption avoit déjà fait trop de
progrès pour qu'on eût le courage de se
corriger, et l'on s'endormit dans ses vices. La
guerre de 1 756 couvrit cependant de gloire les
Anglais ; ils dominèrent sur toutes les mers ;
leurs armes eurent par-tout les succès les plus-
biillans , et on se moqua alors- des craintei
Dd 3
Dpi ..ci hy Google
491 DES ÉTATS-UNIS
du docteur Brown. Pour ne point s'inquiéter,
on ne voulut point voir que tant de prospé-
rité étoit l'ouvrage d'un homme de génie qui
suspendoit la décadence de sa nation , en
laissant subsister et en multipliant même les
causes de sa ruine. Cette gloire épliémère a
disparu; les Américains ont éprouvé que leurs
enneinis étoient accablés sous le poids de
leur av:irc ainbition , et que les mœurs cen-
surées ]>ai ie docteur Brown les forçoicnt de
montrer le terme de leur force et de leur puis-
sance , mais sur-tout de cet orgueil national et
■patriotique qui servoit encore de contrepoids
aux vices de la nation. Les législateurs de
l'Amériqu^Psi je ne me trompe, peuvent tirer
de l'ouvrage du docteur Brown les instruc-
tions les plus utiles, en suivant ses principes
et sa méthode.
Penncucz- moi , monsieur, avant que de
finir cette longue lettre , d'examiner encore
quelques articles des constitutions américaines
qui semblent ne pas prévoir les abus dont
vous êtes menacés. Par exemple , approuvez-
vous la loi qui ordonne que les juges de la
cour suprême de judicature seront maintenus
dans leurs offices aussi long-temps qu'ils se
conduiront bien ? Au premier coup-d'oeil, ce
Dpi ..ci hy Google
D AMEllIQ,nE. 41S
tellement paroît sage , mais voici mes scru-
pules. Je craindrois que les personnes qui
aspirent à ces magistratures ne trouvassent
qu'on recule trop leurs espérances, et que,
pour les servir plus prompieraent , ils ne
nouassent quelque intrigue. Ils tendront des
pièges au juge dont ils ambitionnent la place;
ils lui susciteront des ennemis secrets; car ,
de quels détours, de quelles ruses perfides
n'est pas capable Tambition d'un intrigant ?
Si ce magistrat attaqué oppose sa seule pro-
bité à ses envieux et succombe , tout est
perdu, et bientôt ses successeurs, persuadée
du peu, de pouvoir de la vertu , n'opposeront
plus que l'intrigue à l'intrigue. Oncherchera,
par des complaisances, à se Faire des amis et
des protecteurs pui^sans , la justice n'aura
plus une balance égale ; et cependant rien n'est
plus funeste pour les mœurs publiques qufc
les malversations des magistrats dans l'admi-
nistration de la justice. Les lois perdent alors
leur crédit; car on trouve facilement des
moyens de les éluder , en feignant de le«
rendre plus justes.
Ma crainte, ou plutôt mon zèle pour vo»
intérêts , exagère peut-être les dangers : je
consens donc que l'esprit d'intrigue , si com-
' Dd 4
D,o,l7^cihyGtH)^le
494 DES ÉTATS-UNIS
mun en Europe, soit toujours inconnu en
Amérique. Qu'arrivera-t-il de-là ? Les pre-
miers magistrats seront d'aboid très-atteniifs
à ienrs devoirs. -Aucun ne sera destitué, et
en leur voyant conserver leur office jusqu'à
la mort, on s'accoutumera peu à peu à penici
qu'il est donné à vie. Les successeurs de ces
hommes admirables seront flattés d'une opi-
nion qui favorise leur vanité, et l'aclopterom
avec empressement. Alors, le mal commence;
alors , ces magistrats intégres se relâclieni,
se négligent et sont moins attentif» sur eux-
mêmes. On pardonnera d'abord de légèrci
fautes , parce qu'une destitution jusqu'alon 1
inconnue paroîtroii une peine trop grave. Lei
délits se muhipliâroni donc; on s'y accoutu-
mera, et de leurs fautes enfin accréditées, lei
juges se feront une espèce de privilège, oo
de droit à continuer de se mal comporter. Ma
prédiction n'est point vaine , car les juiw-
consultes, plus avisés que les autres, hommes,
chemineBit lentement et pas, à pas , et la répu-
blique ne sera pas assez heureuse pour qo n"'
injustice éclatante de leur part la force d'i^'f*
attentive à, ses intérêts, et d'appliquer un i^*
mède aux abus.
Puisque j'en suis aux cours de justice , qu »
Dpi ..ci hy Google
/
d'amériq.ue. 4a5
me soit permis d'ajouter un mot sur les cours
d'équité. Cet établissement pouvoit être utile
en Angleterre , quand elle étoit soumise à la
police des Ëefs , et que les loj^ étoient néces-
sairement équivoques, grossières et informes.
Ce qui éloit alors le moins mauvais pouvoit
passer pour bon. Mais l'Amérique n'est pas
dans les mêmes circonstances. J'aime beau-
coup que les juge« suivent la lettre de la loi.
Si elle leur paroît dans ceruins cas obscure
ou injuste, qu'au lieu de s'ériger en législa-
teurs , ils consultent la puissance législative.
Je crains que les cours d'équité , sous prétexte
de juger selon l'esprit de la loi , ne la cor-
rompent et ne la dénaturent en la rendant
arbitraire. Mes cminies me paroissent d'au-
tant mieux fondées , qu'il me semble que chez
tous les peuples de l'Europe les jurisconsultes
ne se sont appliqués qu'à rendre obscur et
indécis le sens de la loi : c'est de-là qu'ils
tirent leur considération. Nous aurions moins
besoin d'eux, s'ils ne nous conduisoient pas
dins les routes d'un labyrinthe ténébreux. Je
le répète encore , si une loi est équivoque ou
paroît trop dure et contraire aux règles de
l'humanité, c'est à la puissance législative"
qu'il faut recourir : cUc seule a le droit de se
Dpi ..ci hy Google
426 DES ÉTATS-UNIS
corriger, et il importe à la sûreté et à la tran-
quillité des ciioycns , qu'aucune cour de jus-
tice ne fasse à son gré une jurisprudence qui
peut aisément Régénérer en une tyrannie in-
supportable , parce qu'elle obéira bientôt à
toutes les passions des juges.
Permettez-moi de le dire , monsieur , on
trouve dans ces constitutions d'Amérique
plusieurs lois qu'on ne peut s'empêcher
d'approuver et de condamner à la fois. Par
exemple , la république de Massachus^cts
ordonne que tt les armées étant* dangereuses
en temps de paix pour la liberté, on ne doit
pas en conserver sur pied; sans le consente-
lucnt de la puissance législative : elle ajoute
que le pouvoir militaire doit être tc^ujonrs
dans une subordination exacte à rauioriiê
civile. 11 Cette loi voit fort bien le danger ,
mais elle ne le prévient pas. Pourtjuoi ne
parle-t-elle que du temps de paix ? Est-ce
que pendant la guerre les armées sont plus
disposées à être soumises à l'autorité civile ?
Les personnes un peu instruites auront de la
peine à se persuader ce paradoxe ; on ne
trouve que trop souvent dans l'histoire des
généraux qui ont inspiré leur ambition à leurs
armées , la fin de cette Loi est vague et tioa->
Dpi ..ci hy Google
d'amériq_ue. 4bj
qucc. 11 n'est pas question de dire que l'armée
doit être subordonnée à la puissance civile ;
c'est une vérité triviale, et le législateur doit
cmployei toutes les mesures et .tous les moyens
possibles, pour que cette subordination, une
foi* établie, subsiste et ne puisse se déranger.
Combien de précantions ne faut-il pas prendre
dans un état libre , pour que les citoyens
soient de bons soldats , et cependant n'abu-
sent jamais de leurs forces ? Négligez-les , il
xcniîtra des Sylla , des Marius , des César ,
àtB Cromwcl; des Vatstein.
Ncw-Yorck dit que t* la milice sera par la
u te et dans tous les temps, soit paix, soit
guerre i armée , disciplinée et toute prête à
servir. )) Il est aisé de voir combien cette loi
laisse de choses à désirer ; la Pensilvanie
ordonne que <« les Tiommes libres et leurs
enfans seront armés et disciplinés pour la
• défense de la république , et que le peuple
choisira les colonels et les officiers d'un grade
inférieur, >) Cette disposition a le même dé-
faut que je viens de reprocher à New-Yorck,
Il me semble que le législateur ne voit que
la fin qu'il se propose, sans, s'occuper des
moyens d'y arriver. J'ai beau étudier la légis-
Ifition de vos républiques , je n'y trouve point
D,o,l7PCihyGt)t>»^le
428 DES ÉTATS-UKIS
ces rappor(s qui unissent les intérêts et les
volontés des citoveiis ; je n"y vois point cetre
harmonie qui tien: toutes les parties de l'eiat
tjans une sorte d'équilibre et leur donne un
inênie esprit.
Vous (levez compter , monsieur , que votre
peuple , dont les lois ont établi d'une manière
si claire la souveraineté, sera difficile à ma-
nier, puisqu'il sentira ses forces. En étant
armé pour la défense de la patrie, il doit
être jaloux de sa dignité ; il sera inquiet et
soupçonneux, parce qu'il verra des citoyens
qui , ne lui étant point supérieurs par le
droit , seront cependant trop fieri de Ictir
fortune pour se confondre avec lui , et ne
pas affecter une certaine supériorité. C'est-là
une maladie incurable dans tous les états
libres où les richesses sont distribuées très-
ïocgalcmcnt. Si ce levain d'envie, de jalousie
et d'ambition cesse d'agir, c'est un signe in-
faillible que le sentiment de la Ubetté afToiblt
et presque détruit ne subsistera pas lung-
tcraps. Mais s'il fermente avec trop de force ,
!a république éprouvera des secousses , des
commotions violentes qui la perdront néces-
sairement. Quel est donc le régime conve-
nable avec un pareil tempérament ? Ce sont.
Do,T«jhy Google
sî jC' ne me trompe, des lois conciliatrices
qui , sans rien ôtcr aux pauvres de leurs droits ,
empêcheront que ies riches n'abusent des pas-
sions que doivent leur donner leurs richesses.
Le peuple doit, à la médiocrité de sa fortune,
»inc sorte de modération dont il ne s"écartc
point, à moins qu'on ne l'irrite par des mé-
pris ou des injustices. Les richesses, au con-
traire , donnent à ceux qui les possèdent une
vanité d'autant plus impérieuse, qu'elle est
plus forte. Elle veut dominer, et ses espé-
rances deviennent pouç/clle des droits. Pour-
quoi donc , à l'exemple de la Géorgie , qui
n'admet point les substitutions , les autres
Etats-Unis ne les' proscrivent-ils pas ? Pour-
quoi les lois ne tendent-elles pas à diviser
ies fortunes que l'avarice des riches ne cesse
d'accumuler ? Pourquoi, en rendant le luxe
méprisable , n'ôte - t - elle pas à la cupidité
l'aliment qui la nourrit et la rend insatiable?
Si les constitutions américaines avoient été
établies sur ces principes , j'aurois vu avec
plaisir qu'elles auroient connu le danger
auquel vos républiques sont exposées , et
qu'elles auroient tenté du moins d'établir
dans l'état un lien de paix et de concorde.
Cl d'atFcrmir les fondcmens de la liberté.
Dpi ..ci hy Google
43o DES ÉTATS-UNIS
J'observe quelquefois , avec plaisir , les can-
tons Suisses. Quelques - uns possèdent en
commun de petites provinces dont ils sont
souverains; tous ont des forces très-inégales,
des lois différentes et des religions , par-tout
ailleurs si ennemies, et qui dans cet heureux
pays ne s'offensent pas. Ils sont unis entre
eux par un lien moins fort et moins régulier
que celui qui associe les treize Etats - Unis
d'Amérique ;* ils jouissent cependant d'un
ordre et d'une tranquillité que ceux - ci ne
feront peut - être qiic désirer. Ce pays n'a
jamais été troublé que pendant quelques ins-
tans , et sans laisser des semences de haine,
d'envie ou d'ambition. Pourquoi cette con-
fédération est -elle gouvernée 'avec tant de
sagesse ? Pourquoi la démocratie de quelques
cantons n'y a-t^elle aucun des caprices ou des
vertiges qui lui sont si naturels ? Pourquoi,
l'aristocratie, par sa nature si soupçonneuse
et si impérieuse , n'est - elle , par exemple ,
dans le canton de Berne, qu'un gouverne-
ment paternel ? Pourquoi les magistrats s'y
croient-ils les agens et non pas les maîtres
de la société ?
Plus vous rechercherez les causée de celte
heureuse administration, et plus vous serez
Dpi ..ci hy Google
a' \ M i n 1 av t. 4S1
persuadé qu'elle est l'ouvrage du silence
auquel les Suisses ont condamné les passions
les plus naturelles au cœur humain. Ils ont
écarté avec soin les tentations qui pourroicnt
inviter les magistrats à être ambitieux et in-
justes. Par-là, le peuple , plein de confiance
et de sécurité, aime les lois sur lesquelles il
compte. Sa patrie lui est chère , et il voit sans
trouble et sans inquiétude les négligences ou
les petits torts qui sont une suite inséparable
de la fragilité humaine. Ils habitent un pays
pauvre qui les préserve de fous les besoin»
impertinens qui désolent la société , et avi-
lisent les pays riches. Le service étranger
auquel ils s'engagent , produit à la fois deux
biens ; l'un de leur former des soldats malgré
la paix qu'ils aiment et dont ils jouissent;
l'autre de les débarrasser des mauvais sujets
qui ne peuvent se contenter de la simplicité
des mceurs helvétiques.
Ces réflexions m'ont conduit à trouver
étrange que les Etats-Unis d'Amérique pos-
sédant des terres fertiles, et étant placés de
la manière la plus favorable pour faire un
riche commerce , n'aient pas prévu qu'ils
setoient bientôt exposés à tous les abus qui
accompagnent oécessairement de grandes rî-
Dpi ..ci hy Google
452 DES ÉTATS- ÛNlg
chcsscs. Leurs législateurs dévoient donc
sentir qne leurs républiques auroient diffi-
cilement les mceurs qDe detAande la liberté.
Ils dévoient en conséquence ne se pas con-
tenter de recommander vaguement la pratique
de quelques vertus ; îls dévoient ne négliger
aucune mesure pour les rendre chères et
familières.
Il en faut convenir , monsieur , les Amé-
ricains otit établi leur indépendance dans des
circonstances malheareuses. Le temps n'est
plus où les âmes fortes , élevées et coura-
geuses étoicnt capables à la fois des plus
violentes înjusùces et des plus grandes vertus.
Les Suisses, trop pauvres pour avoir les vices
de notre siècle , et unis par leur pauvreté
même , se soulevèrent contre des seigneurs
dont les vexations et les cruautés lassèrent
enfin leur patience , et ils ne pouvoicnt, dan*
leur entreprise , se proposer antre chose que
la liberté et la gloire , tout le reste lem" étoit
inconnu. Vos colonies , au contraire , déjà
gâtées par leurs relarions avec la mère-patrie,
en envioient autant les richesses que la liberté;
et c'est pour cela, comme j'ai déjà eu l'hon-
neur de vous le dire, que j'aurois souhaite
(Qu'une guerre longurf et laborieuse eût subs-
ûtué
Dpi r^dhy Google
t) * A M ê It t Q. W K. 45J
titué de nouvelles passions et de nouvelles
idées à celles que vous aviez reçues d'Europe.
J'en reviens aux Suisses, monsieur, et plus
j^examine leur confédération , plus je suis
persuadé qu'ils doivent principalement la per-
pétuité de leurs mœurs et de leur égalité à
l'heureuse inscitudon de n'avoir aucune ville
fortifiée , aucune forteresse où iliaillc tenir des
garnisons , c'est-à-dire , des soldats merce-
naires qui ne sont que soldats, et qui jamaîl
ne sont plus aises que quand ils peuvent
intimider de paisibles citoyens et leur faire
sentir leur prétendue supériorité. Il arrive
de-là que les magistrats n'ayafit point sous
la main des troupes dont ils disposent, s'ac-*
coutument malgré eux à des voies de conci-
liation et de justice. Ils sont plus mesurés
dans leurs entreprises , parce que leur ima-
gination , qui ne se repaît pas de projet»
hardis , résiste facilement à de fausses espé-
rances. Avec des forteresses' et des garnisoni
mercenaires , les magistrats se seroicnt sentî
une force qui les auroît rendus plus conSans
et par conséquent moins prudens et plus in-
justes. Sous prétexte de défendre l'entrée du
payi , on auroît multiplié les forteresses, et
«n même temps les magistrats plus avidei
Mably. T0m< Vllt, Ee
Do,T«Jhy Google
454 ai. s ÉTATS-UKIS
plus ambitieux n'auroîcnt pas manqué de faîrv
oublier aux citoyens leur esprit militaire , ca
feignsnt de favoriser leur goût pour le repos
et les travaux de ragriculturc.
Que seroient devenus ces petits cantons , on,
sous la protection des bonnes mceurs , règne
encore la démocratie la plus franche et la plus
entière? Comme dans les siècles qui honorent
le plus l'humanité , les citoyens auroient-ils
condnué à s'assembler sous an vieux chêne
ou sous un vieux sapin pour y délibérer sans
artifice de la chose publique '? Il y a long-
temps que les cantons ou la démocratie est
tempérée aujourd'hui par les lois et les con-
tumes d'ane sage aristocratie, obéiront à des
aristocrates, c'est-à-dire à des tyrans. Berne
même , dont l'aristocratie n'a aucun des défauts
qui appartiennent en quelque sorte à ce gou^
vernement , n'auroït pas manqué , en asscr-
vissant ses propres citoyens , de détruire la
confédéradon helvétique. L'ambition et l'ava-
licc de cette république n'auroient songé qu'à
abuser de ses forces. Berne auroit asservi ses
alliés dont elle respecte aujourd'hui si reli-
gieusement les droits et l'alliance.
Vous me direz , sans doute , monsieur ,
^tie toutes vos républiques ont sur les côtes
Dpi ..ci hy Google
de la mer et à l'embouchure des graDdés ri*
vières , des villes eC des ports qa'il est néces-
saire de fortifier ; je sens combien il est im->
portant pour vous de défendre l'entrée de vos
ports par des forteresses et des garnisons
toujours sobsistantcs , si vous voulez être
maître chez-vous. Je conçois même que dans
l'intérieur des terres , vous ne pouvez pas
vous dispenser d'élever quelques châteaux
pour vous garandr des courses et des incur-
sions que les sauvagçs peuvent faire sut
votre territoire. Ayez donc des forteresses
et des garnisons , pnisqne vos provinces ne
sont point naturellement fortifiées comme la
Suisse ; mais que ces places de sûreté ne
soient nullement à la disposition des magis-
trats du pays où elles seront construites. Ils
en abuseroicnt sans doute , et je ne puis me
débarrasser de cette crainte.
Je désircrois donc que toutes ces forces
fussent confiées à la direction et aux ordres
du congrès continental. Lui seul par la forme
de votre confédération , étant revêtu du pou-
voir de traiter avec les étrangers , doit aussi
avoir le ponvotr de commander les troupes
destinées à agir hostilement contr^eux. Ces
garnisons à qui il seroit défendu de s'immiicet
Ee s
no,-7«jhyGt)C5^le
456 DES ÉTATS-UNI»
dans les afTatres civiles , et qui ne rccevroicil
des ordres que du congrès, ne deviendioicit
jamais une arme entre les mains des maglsinls;
ainsi ta, puissance civile n'ayant que des moycic
de douceur et de conciliation pour calmer le
esprits quelquefois agités , seroit obligée dcsi
faire une politique conforme à sa situation. Le
citoyens , de leur côté, n'ayant rien à ciaindw,
s'accoutumeroient enfin à obéir aux lois, no'
par crainte, mais par respect et par affeciioU'
Dc-là naîtroit une sécurité générale. Les richo
n'abuscroicnt peut-être pas de leurs richess",
ou du moÎDS en abuseroient plus tard etavii
moins d'orgueil. Le peuple armé commet'
Suisse , et qui seroit véritablement la force i<
l'état, se ferait respecter jusque dans sa sou-
mission et sa pauvreté. IL me semble qu'aucuc
de vos républiques n'a rien à craindre du p»'
que je propose. Est-il possible de penscrq"
le congrès condoental veuille un jour abui«
des forces que je lui abandonne, pour usurp"
nncautorité funeste àla liberté des Etats-Uoi'-
Ce corps respectable n'est-il pas compose'''
membres qui auront passé par les emploi""
leur république , qui en auront contracte 1^
mœurs et les habitudes , et qui doivent biî"'
tôt rentrer dans la classe des simples citoytJ"'
Do,T«jhy Google
t)*AMÉltIQ,UE. 437
Eo supposant qu'ils fussent assez insensés pour
former une conjuration , à quoi Icnr scrvi-
roicnt leurs forteresses , leurs -châteaux et
leurs garnisons contre les milices de vos treize
républiques réunies ?
A Passy i3 août lySS.
Ee 5
D,0,l..cihyGt)Ogle
43s DES ÉTAÏS-uniS
LETTRE IV.
Des dangers auxquels est exposée la confédèratt'on
américaine. Comment se formeront les troubles
et les divisions- Kiceisiti ^augmenter le pou~
voir du congrès continental,
J.OUTE l'Europe, monsieur , après avoir
craint que vous ne puissiez résister aux forces
de la Grande-Bretagne , est enchantée aujour-
d'hui du courage et de la constance qui ne
vous ont point abandonnés , et des succès
heureux que vous avez obtenus. Les prélimi'
naires de la paix -qui assurent l'indépendance
de l'Amérique sont déjà signés , et dans le
iQomentoùj'ai Thonneur de vous écrire, nous
sommes à la veille de les voir confirmer par
un traité solennel. Toutes les nations , en
voyantqu'il s'est ouvert une nouvelle branche
de commerce à leur industrie , ne songent
qu'à s'enrichir des dépouilles des Anglais. Je
rencontre tous les jours de ces politiques à
argent qui n'envient pas votre liberté , mais
Içs richesses qui vont fotdre sàr vous det
Do,T«jhy Google
n'AMèKÏQ.t)E. 43g
quatre parties du monde. Ils voient déjà la
mer couverte de vos vaisseaux , et regardant
l'or comme le netf de la guerre , de la paix ,
et l'objet de la plus profonde politique , ils ne
manquent point de vous prédire la plus grande
prospérité.
Pour moi , je Tavoue , cette prodigieuse
fortune me fait, au contraire, trembler sur le
sort qui vous attend. Après les trois lettres
que j'ai déjà eu l'honnenr de vous écrire ,
vous n'en, serez pas surpris. Je ne puis m'em-
pêcher de penser à Platon , qui , pour assurer
Iç bonheur d'une république , vouloit qu'elle
ne s'établît point sur les rivages de la mer, ou
sur les bords d'une grande rivière. Cette po-
sition , dit-il , l'exposeroit aux dangers du
commerce. Les étrangers qnine manqueroient
pas d'y apporter leurs supcrQaités , Taccou-
tumeroient à des besoins nouveaux. Bientôt
les citoyens .alléchés par ces nouveautés dont
ils ne pourroient plus se passer , et conduits
par des passions inconnues , crôiroient rendre
un grand service à la patrie , en n'attendant
pas que les étrangers vinssent leur apporter
des marchandises. Ils voudront à leur tour
couvrir les fleuves et les mers de leurs barques
et de leurs vaisseaux : on encouragera tou^
Ee 4
hy Google
440 DES ÉTAT s -UN 1,5
les arts , toutes les manufactures ; mais p'e*»-
doutez pas , tous CCS ballots de marchandise»
importées ou exportées deviendront pour la.
république la véiîtable boîte de Pandore.
S'il en falloit croire, monsieur, cette doc-
trine que nous appelons sauvage et peut-être
ridicule , pour nous déguiser à nous-mcnacs
notre propre foiie , quelles fatales conséquences
n'en faudroit-il pas tirer pour tes Etats-Unis
d'Amérique ? Sans doute que Platon penseroit
que vos républiques ne pourroient se promettre
une prospérité de longiie" durée , quand même
•lie répareroiint aujourd'hui toutes les négli-
gences qui ont échappées à leurs législateurs,
et dont j'ai pris la liberté dç vous entretenir
dans mes lettres précédentei. En affermissant
le gouvernement sur une base plus régulière,
en préparant et disposant avec art les lots ,
de façon quelles se soutiennent mutuellement,
et se fassent aimer des citoyens , vousarrêtercï,
vous diroit ce philosophe , vous suspendrez
vos malheurs, mai:} vous ne les préviendrez
point, et vous setex enSn les victimes et les
dupes des tentations auxq\telles vous vofis serez
exposés.
C'est un homme intraitable que cePIaton;
il avoit calculé la force de la raison hiimaine
Dpi ..ci hy Google
D^AUÉRI Q,UE. 441
%t celle de nos passions; il connoissoït la gé-
nération de nosvices et la chaîne fatale qui les
lie tous les uns anx autres. Peut-être auroit-il
eu l'audace de vous dire que ces sauvages qui
errent lur vos Cornières , sont inoins éloignés
des principes d'une bonne civilisation , que
les peuples qui cultivent le commerce et qui
chérissent les richesses. Les sauvages , ajou-
tcroic-il , ne raisonneront pas régulièrement
et avec méthode des droits de l'humanité ,
mais tous les principes en sont profondément
gravés dans leur amc forte et vigoureuse ;
ils ne seront effrayés d'aucune vertu dont on
leur aura fait sentir l'utilité ; ils s'y livreront
par sentiment, tandis que les nations les plus
fières de leurs lumières cèdent à l'instinct qui
les conduit au mal , et trouvent en&n des
raisons pour le justiher , ou plutôt pour
l'approuver.
Passons , si vous le voulez bien , monsieur ,
à une philosophie moins austère et plus pro-
portionnée aux mœurs présentes : je vais vous
exposer la doctrine du docteur Brown sur le
commerce. (( Je crois , dit-il, que si on veut
bien en étudier la nature et les effets, on
demeurera convaincu que, soit dans ses corn-
mcnccmens, soit dans sa médiocrité, il est
Do,T«jhy Google
- 44» Ï»ES ÉTATS-UNIS
très-avantageux à une naùon ; mais qu'arrivé
à son plus haut période par des progrès ulté-
rieurs, il lui devient réellement dangereux et
funeste. D'abord il pourvoit aux nécessités
mutuelles des nations commerçantes , il pré-
vient leurs besoins, il augmente leurs con-
noissanccs , il les guérit de leurs préjugés , il
y étend les sentimcns de Thumanité ; ensuite
il procure au peuple des agrémeris , il multi-
plie le nombre des citoyens , il bat de la
monnoie , il fait naître les sciences et les arts ,
il dicte des lois équitables , il répand au long
et au large l'abondance et la prospérité; mais
parvenu enfin à son troisième et plus haut
période , il change de nature et produit de
tout autres effets. H amène les superfluités avec
l'opulence, il engendre l'avarice , il enfle le
luxe ; et en même-temps qu'il porte parmi les
personnes du plus haut rang unrafinement
de délicatesse qui achève de les amollir , il
corrompt visiblement les principes de toute
ïa nation.
D'abord l'industrie est frugale sans être in-
compatible avec la générosité. Bornée à ce
qui intéresse le nécessaire , renfermée dans
une jouissance modérée des biens de la vie,
elle emploie volontiers son petit superflu en
Do,T«jhy Google
D'AMÉIII Q,tJE. 443
libéralités et en largesses. Mais à raesare que.
l'industrie augmente les richesses , elle aug-
mente aassi le goût de l'opulence : l'amour
de l'argent étant l'ouvrage de l'imagination et
non du sentiment , on ne s'en rassasie point;
on se dégoûte des objets des passions nalii-
relles : il n'est point d'habitude qui se fortifie
plus par l'usage que ceU« d'amasser de l'ar-
gent. Un homme qui l'a contractée s'en oc-
cupe tout ender ; il y concentre toutes ses
vues. Rien n'égale à ses yeux la satisfaciign
de grossir ses trésors. Ainsi, tout marchand
qui vise à l'opulence doit par -cela même
devenir industrieux, et ce qui le rend indus-
trieux doit le rendre avare. Or , ce qui est
vrai du particulier , l'est aussi du corps entier
d'une nation qui commerce. Si cette nadon
trafique pour s'enrichir , si sa dernière fin est
d'arriver à l'opulence , ctsi, dans- cet esprit, les
chefs mêmes de cette naiion sont des com-
me rçans , le caractère prédominant de tout le
corps sera une industrieuse avarice. On ira
fouiller dans tous les climats ; on bravera
toutes les mers pour satisfaire aux besoins de
l'avarice et du luxe. >»
A cette autorité si grave , je pourrois joindre
celle de Canttilon , homme du génie le plus
Do,->«Jhy Google
444 "ÏES ÉTATS-UNIS
pcnéirant et le plus étendu. Il avoit fait lui-
mciueun très-grand commerce et dé.oclétoas
les ressorts qui le font mouvoir et agir, tt
auxquels les commerçms, les banquiers, Ifs
agioteurs , les spécuiateuis d'affaires obéissent
£dcncment. On voit , dit-il , que l'argent (Si
lame de toutes leurs opérations ; qu'ils habi-
tent un pays, mais' n'ont point de patrie;
Puc leur cupidité se communique insensib/(-
ment a tous les citoyens , qui ayant toujoun
de nouveaux besoins , ne peuvent jamais avoii
assez de fortune. Considérant ensuite iecom-
uicrce en homme d'état, il pronve très-biwi
qu'il ne donne et ne peut donner à un peuple!
qu'une puissance passagère et momentané' i
Cette opulence dont il est si fier disparoi:,
promptement, parce que les frais d'un riclit j
commerce étant augmentés , on abandon"' |
ses propres marchandises pour courir apt« j
celle d'un peuple pauvre où la main-d'oeuïi= i
est à bon marché. Alors on accuse les aiinii'
nisiratcurs de sottise ou de négligence , pw« ■
que ic commerce est détruit et que Targen!
devient plus rare , comme s'il étoit en IW |
pouvoir de changer la nature des choses.
Cependant j remarque Cantillon , dans '^
momens d'opulence dont on a joui, ons"t
D,o,l..cihyGtK>gle
D ' A M i R I Q, U- E. 445
enivré de sa prospérité , on s'eit fait des idées
chimériques de sa puissance ; on méprise ses
voisins parce qu'ils sont moins riches; oa
croit avoir droit de les dominer , ou da
TDoins.delcs traiter cavalière ment. Soit ambi-
lion, vanité, ignorance, qualités qui s'associcot
merveilleusement, on forme , sans qu'on s'en
aperçoive des entreprises au-dcstus de ses
forces. De -là Les emprunts et toute cet:£
adresse admirable par laquelle on parvient à
se faire un très-grand crédit. Mais comme les
hommes ne sont jamais assez sages pour se
corriger par une expérience , on imagine des
banques pour que le papier tienne Heu de
l'argent qu'on n"a pas , et bientôt on soutiendra
que le crédit est la source de la puissance d'ua
état. Vaine ressource ! La richesse imaginaire
des banques disparoit, et Ton songe cn&n à
ranimer le commerce par la voie des armes,
sans prévoir que la guerre absorbera plus de
richesses que n'en peut procurer le commerce
le plus heureux. Je m'arrête , monsieur, car je
ne doute point que l'ouvragcjie Canûllon n'ait
passé en Amérique.
Si ce que je viens d'écrire, en copiant les
propres paroles du docteur Brown et en vous
exposant la doctrine de Cautiilon , doit passer
Dpi ..ci hy Google
44^ 11 E "s ^TATS-UNtS
pour une vérité incontestable , et mille foii
démontrée parlés faits, pourrois- je n'avoir pas
quelque crainte sur le sort qui attend les Eiats-
Unis d'Amérique ? Comment ne scrois-je pas
inquiet, quand je vois que leur position topo-
grafique les invite, les sollicite , les presse dt
se livrer au commerce? Vos villes sont rem-
plies de citoyens, qui avant votre révolution,
avoicnt déjà adopté toutes les idées anglaises
sur le commerce , les richesses et la prospériié
. des états , ec qui ne sont point détrompées en
voyant enfin que rAngletcrrc est pauvre au ,
milieu de toutes ses richesses si enviées , et
qui ne lui ont donné, comme le pr^ve vorre
guerre , qu'une confiance téméraire et àa
espérances trompeuses.
Quelles mesures vos législateurs ont -ils |
prises pour donner des bornes au commerce ^
ef. le fixer dan^ cette heureuse médiocrité
qui, suivant le docteur Brown , peut encore
s'associer avec quelques vertus ? Je sa"
que toutes leurs lois n'auroicnt été qu'une
barrière impuissante , si on avoil lai*'*
aux passions la moindre espérance de réus-
sir ; mais j'aurois du moins vu avec plaisit
qu'on auroit remonte aux principes d'un^
saine politique , et ces règlcmens auroient
D,o,l.?dhyGtX>gle
d' A M É a I Q. u 1. 447
retardé le progrès des vices qne je crains
avec Platon.
Bien loin de-Ià , la république de Massa"
chusscts , faite pour donner l'exemple aux
autres , ordonne n d'encourager les sociétés
particulières et les institutions publiques pour
les progrès de l'agriculture , des arts , des
sciences , du commerce , du négoce , des
manufactures et de l'industrie, t) On croit sans
doute , avec le doctcar Brown , qu'un com-
merce médiocre produit quelques avantages à
la société, et sans faire attention au reste de
sa doctrine , on en a conclu qu'un plus grand
commerce produiroit encore de plus grands
biens. Mais il falloit , au contraire, voir avec
Platon , qne ce commci'ce médiocre , en ré-
veillant des passions indomptables , étoit le
germe d'une foule de vices plus forts que la
politique et les lois.
En suivant la méthode du doctcar Brown,
pour qui j"ai , monsieur , la plus grande vé-
nération , permettez-moi de suivre pas à pas
la marche où le développement des malheurs
que je crains pcjor les Etats-Unis d'Amérique.
Tandis que vos principales villes ne cher-
cheront d'abord qu'à étendre et multiplier
leurs relations et leur industrie , la répu-
-Dioii ..ci hy Google
448 DES ÉTATS-UNIS
blique paroîtra tranquille et florissante; parce
que les citoyens commençant à être un peu
distraits des intérêts de la chose publique par
les sains et les travaux de Ijfur commerce par-
ticulier , n'auront point ce zèle , cette ardeur ,
cet amour du bien public qui est une grande
Vertu, mais qui excite ordinairement des dé-
sunions vives , quelquefois des jalousies et
des espèces de parti que les esprits trop ti-
mides , t>rennent presque toujours pour un
commencement de trouble et de lédition , et
qui , dans la vérité , n'est qu'une fermentadon
propre à élever les âmes et leur donner de
la force , du courage et de la constance. De
leur côté, les cultivaEeurs dans le* campagnes
no -jentiront encore que les avantages du
commerce; les productions de la terre acquer-
ront un nouveau prix. Les laboureurs , en-
couragés par les fruits de leurs travaux , dé-
fricheront des terres incultes. Les habitans se
multiplieront, parce que les cnfans ne seront
point à charge à leurs pères : il s'établira en
même temps des manufactures de tout côté,
et elles seront également utiles au progrès du
commerce et de l'agriculture.
Ce tableau ne présente encore rien d'ef-
frayant aux personnes qui ne sont pas accou-
tumées
Dpi ..ci hy Google
lumces% lire dans l'avenir. Gn ne voit que
des peuples qui sont dans une p}us grande
abondance, et qui cultivent avec ardeur les
arts les plus utiles. Mais examinons, je vous
prie , les vices naissans et encore foibles qui
sont cachés sous ces apparences trompeuses.
11 me semble que l'esprit de commerce doit
devenir en peu de temps l'esprit général et
■dominant des habiians de vos villes. Ne pas
s'y livrer tout entier, ce seroit vouloir sap-
pauvrîr ift se rabaisser au-dessous des.commer-
çans dont la fortune croîtra de jour en jour.
Je crois bien que ces nouveaux enrichis n'au-
ront d'abord que la grosse et sotte vanité que
donnent les richesses. Sans dédaigner .les ci-
toyens qui auront été moins heureux , ils se
croiront seulement plus habiles. Une pré-
somption ridicule ne les empêchera pas de
continuer encore pendant quelque temps à
être d'assez bonnes gens. Mais à la seconde,
ou tout au plus tard à la troisième généra-
tion, pensez-vous que leurs enfans , nés au
milieu des richesses , n'auront pas les passions
qu'elles dorincnt nécessairement ? De quel
ceil verront-ils donc cette égalité que vos lois
ont voulu établir entre les citoyens ? Ils ne
comprendront rien à ces droits inaliénables
Mably. Tome VUL F f
Dioii ..ci hy Google
45o DES ÉTATS-UNIS
de souveraineté que vous avez attribués au
peuple. Les richesses qui ont été chez tous
les peuples anciens et modernes la source et le
principe de cette noblesse dont ont esc sï
fier, par quel miracle ne partageroicnt-cUes
pas en Amérique les famitlcs en différentes
classes ? Pourquoi ces richesses , qui éiabli^-
sent la différence la plus réelle et la plus sen-
sible entre les hommes , SouffriroienC - elles
chez vous que les pauvres jouissent des mêmes
avantages que les riches ? Votre gouverne-
ment doit donc , de toute nécessité , se dé-
former. C'est en prévoyant ainsi la révolution,
dont vous êtes menacés , urgent fatal , que j'ai ';
préféré la législation de Massachussets à toutes
les autres , comme donnant des bornes plus
étroites à la démocratie, et préparant le pas-
sage inévitable de la république à l'aristo-
cratie, sans l'exposer aux mouvemens violens
et convulsifs qu'cproovera vraisemblablement
la Pensilvanic , et qui la précipiteront selon
toutes les apparences, sous le joug de l'oli-
garchie , ou d'-un seul maître.
Je reviens , monsieur , aux habicans des
campagnes; et je crois qu'occupés d'abord'
de leurs récoltes et de leurs défricheiîiens ,
ils seront assez contens de leur sort ; et pourva
Do,T«jhy Google
d'amériq^ue. 45 1
qu'ils vendent chèrement leurs denrées. Us
ne penseront guère à ce qui se passera dana
les villes. Mais tout a un terme dans les
choses humaines ; et quand ces hommes ,
après avoir un peu négligé tes affaires publi-
ques, commenceront à tirer de leurs posses-
sions le meilleur parti possible , peut - on se
flatter que , fiers de leur loisir , de leur nombre
et de leur aisance , leurs regards ne se tournent
pas du côté de la liberté ? Verront- ils avec
indifférence l'orgueil des villes et les préten-
tions de leurs citadins ? Ils ne songcoient pas
à êtie ambitieux ; ils ne songcoient pas même
qu'ils étoient libres , parce qu'ils compioîenc
sur l'égalité établie par les lois. Mais dès qu'ils
verront l'orgueil des riches; quand ils auront
lieu de craindre qu'ils ne veuillent s'emparer
de toute la puissance publique, ces hommes
accoutumés au maniement des armes et qui
sentiront leurs forces, consentiront-ils patiem-
ment à devenir les sujets d'une aristocratie ?
La république romaine fat perdue dès que
les lois et les mœurs furent en contradiction.
Il ne vous faudra de même qu'un Grecque,
c'est-à-dire , un ambitieux adroit ou un ora-
teur emporté pour soulever les citoyens les
uns contre les autres , et les jeter dans une
Ff a
Do,T«jhy Google
453 DBS ÉTATS-UNIS
aiiarcîlic, d'où l'on ne sort trop souvent qm
pour éprouver les rigueurs du despotisme.
"Voilà, monsieur, la catastrophe que jt
redoute. £n vain ferez vous des ^is si ellu
ne sont ctayées par de bonnes mœurs ? Ei
vain recommanderez - vous la pratique i
quelques vertus, si vous n'avez pas Vnià
les protéger en vous opposant d'avance avK
courage aux ruses , à la force et aux surpris!)
des passions ? Celte vérité fait frémir : tlb
est d'autant plus terrible que peut-cire 1k
vices , les préjugés et les opinions de l'Europ:
ont déjà fait d'assez grands progrès en Ami-
lique pour ne pouvoir plus espérer d'y établ::
la liberté sur des fonderaens inébranlable!.
Que n'avez -vous dans vos républiques pi»'
sieurs citoyens semblables à ce grand lioinm'
à qui vous devez tant ! Sage comme Fabiiii
quand il falloît temporiser , entreprenait'
comme Marcellus quand il falloît agir, "
pouvoic êltc un Crorawel , mais touché èc "
seule gloirequifail les héros , il s'est dém» '"'
son autorité quand,vous n' avez plus eu bcsBio
de son épée pour vous défendre , et s'est rett-
dans ses possessions, cnnousmontrantcnco^
les vertus antiques de la république roroa'"*'
Quoique les circonstances ne vous periat'-
Dioii ..ci hy Google
tcnt pas de prévenir les malheurs que je crains,
vous n'en êtes pas moins obligés de, prendre
les mesures les plus propres à les retarder ec
à. préparer du moins une révolution tranquille,
cl pour ainsi dire, insensible. La probité en
impose la loi à tous let bons citoyeni. Si des
obstacles insurmontables ne permettent pas '
d'arriver au but que désire la politique , il
faut cependant essayer d'entrer dans la route
qui y conduit. N'est-ce rien que de ralentir
la marche de nos passions, les progrès trop
rapides de nos vices, de protéger les vertus,
de les enhardir et de prolonger pendant quel-
que temps la tranquillité de la république ?
Pour leur honneur, pour leur gloire, je prie ,
monsieur, je supplie tous les citoyens qui,
par leur génie et leurs talens , sont destinés
dans les vues de la providence à prêter leur
raison et leurs lumières à cette multitude qui
désire le bien, mais sujette à le chercher o»
il n'est pas; je les conjure de songer qu ils
tiennent aujourd'hui dans leurs mains la des-
tinée de toute leur postérité. S'ils laissent
échapper le moment favorable où les esprits
ont encore ce couiage , cette force, celte joie
qu'inspire une liberté naissante et achetée par
beaucoup de travaux, il ne sera peut-être, pins
Ff 3
Dpi ..ci hy Google
454 rtt s ÉTATS-UNIS
temps de tenter une réforme. N'en doutez pas
Its âmes se rérroidiront dans le calme dcl
paix , et seront incapables de tout effort é
néreux ; si les préjugés anglais vons cmpt
chent aujourd'hui d'établir votre gouverni
ment sur les meilleurs principes , les habiiudt
que vous allci contracter vous les rendront d
jour en jour plus chers ; je l'ai déjà dit , il n
sera plus temps de revenir sur vos pas.
Je sais que les gens les plus éclairés, d-
rencontrant de toute part que des obsiac'ni
insurmontables au bien qu'ils désJrenf , h
sont que trop découragés dans leurs etitic-
prisés et cèdent souvent à la malhcureusi
tentation de s'abandonner aux événemens 1"'
décident des lois et des mccurs. Rien , en cif^i
n'est plus triste pour un citoyen qui a dti
lumières supérieures que de juger qu'i' ''■'
peut qu'ébaucher son ouvrage- Ce qu'on 1-'
permet de faire ne lui paroît pas digne del'"'
il s'éloigne ' de l'administration des sm'"
publiques; et parce qu'il craint qu'on 1-t-
cuse d'avoir fait le mal qu'on ne 'lui a P=*
permis d'empêcher , il trahit son devoir et If'
intérêts de sa patrie, L antiquité nous O""
plusieuTs grands hommes qui, pai* sages*'-
obéissant au pouvoir des conjonctures 9"'
Dpi ..ci hy Google
n ' A M É tt I Q. O E., 455
la prudence humaine ne peut changer, n'ont eu
cjT.ie le choix des fautes; mais réquuable his-
toire leur a rendu justice , et dans les partis
en apparence iinprudens qu'ils ont pris, elle
a retrouvé toutes les lumières et tous les talens
qu'ils auroient montrés avec plus d'éclat , s'ils
a voient rencontré des circonstances moins
malheureuses. Vous avez beaucoup de ci-
toyens également distingués paf leurs vertus
et leurs connoissanccs. J'ai eu It bonheur
d'en conuoître plusieurs , et je mets dans ce
nombre les collègues qu'on vous a donnés"
et avec lesquels vous avez si heureusement
achevé l'ouvrage de votre indépendance. Quel
que soit le sort qui attend l'Amérique , soyez
sûr, monsieur, que la postérité rendra justice
à vos travaux et aux leurs , quand elle verra
que vous avez pris toutes les mesures pos-
sibles pour gêner les passions et s'opposer à
ta naissance ou du moins an progrès des abus.
Elle ne vous reprochera point les malheurs
dont elle se plaindra : elle dira de vous ce
qu'Horace dit de Regulus : Hoc caverat mtns
provida Reguli , et nous serions heureux si
les hommes qui leur ont succédé dans l'ad-
jninistration des affaires avaient eu la même
prévoyance, le même courage, et avoicnt
, F f 4
D,0,l..cihyGt)Ogle
I
45S DES ÉTATS- UXIS
Je crains , je vous l'avoue , monsieur, ut
soit beaucoup plus fâcheux pour les Améri-
cains , c'est-à-dire , qu'ils ne soient poussés
à une révolution beaucoup plus dure que
celle des Hollandais, et n'y arrivent par unt
route plus difficile et plus laborieuse. Pout
justifier mes alarmes, revenons à rexanieriiic
la marche des passions dans la société. Des
que -les bourgeois de vos villes , corrompus
par leur fortune, ne regarderont qu'avec rac-
pris les habitans de la campagne et les arti-
sans, n'est -il pas vrai que vos lois auront
inutilement établi la plus parfaite égahte .
Ces favoris de la fortune aspireront à formel
des familles d'un ordre supérieur. S'ils sont \
asseï prudens et assez maîtres d'eux-mêmes
pour amadouer les passions, ne point brus-
quer les préjugés et cbemincr avec lenieur,
je vous demande ce qui doit résulter dun'
révolution qui se sera faite sans effort, sans
sccausse, sans soij^iEesaut , et garce guc à^
fripons n'auront eu à duper que des iiuuc-
• cilles. Après avoir essaya et tâté.la. p ati""
du peuple , l'ambition des riches se conten-
tcra-t-ellc d'une puissance strcrèieet clanûtS"
, tïnc ? On cpoit ne rien pouvoir quand on ^^^
obligé de cacher ou de dissimuler ce quoo
Dpi ..ci hy Google
D ' A M É R I Q_ U E. 45g
peut ; en un mot , Tambition n'est point
comme l'avarice qui enterre quelquefois ses
richesses, et se plaît à présentez l'image de
la pauvreté. On ne veut pas faire le mal , mais
on veut pouvoir le faire , et bientôt on le fera.
Rien n'est plus dur que l'empiTC de l'avarice,
parce qu'elle est insatiable, et toute la fortune
de rétat appartiendra bientôt à des hom^nes
qui seront corrompus parla leur.
Mais si la révolution ne s'opère point par
des moyens lents et frauduleux, si les riches,
au contraire , affectent ouvertement ou mal-
adroitement l'empire , on doit être sût que
les ciioytns qu'ils voudront traiter en sujets
ne le souffriront pas; l'indignation leur don-
nera du courage; ils réclameront avec force
les lois et l'autorité inaliénable du peuple.
Accoutumés à regarder les magistrats comme
leurs gens d'affaire , ils les traiteront dans leur
colère comme des valets însolens et infidellcs.
Si dans ccâ sortes de combats la démocratie
est triomphante , il est aisé de sentir quelle
anarchie il en doit résulter. Quelles lois seront
respectées ? Quelle forme donnera- t- on au
gouvernement ? S"élèvera-t-il , comme à Flo-
rence , un Médicis qui s'emparera de la sou-
veraineté de sa patrie ? Il est impossible de
Dpi ..ci hy Google
^fio DES ÉTATS-UNIS
le prévoir, parce quil n'y a qu'une manière
pour faire le bien , et qu'il y en a mille pour
feîre le mal. Si l'aristocratie, au contraire,
s'élève sur les ruines de la liberté , elle abusera
nécessairement de son autorité. Plus le peuple
aura montré de courage, plus elle sera soup-
çonneuse et hardie par timidité. Peut - être
dégénérera-t-cUe en otigarchie , et des trium-
virs se disputeront bientôt la gloire de l'as-
servir, sous prétexte de'vengerle peuple.
Mes amis, en badinant, m'appellent quel-
quefois un prophète de malheur; il est vrai,
monsieur , que je connois assez les hommes,
pour ne pas espérer facilement le bien. Mais
dans ce que viens de dire , il me semble que
je n'ai rien exagéré. En voyant une législation
irrégulièrc , comment pourroît-on se trop
alarmer , puisque Thistoire nous apprend que
la négligence la plus légère d'un législateur
su t souvent pour produire les plus grands
désordres ? Ce n'est pas assez que de prédire
des révolutions aux Etats-Unis d'Amérique;
le pis de tout , c'est qu'elles ne se feront poin'
tans troubles , sans violence , sans convul-
sions , comme dans les Provinces - Unies des
Pays-Bas, dont je viens d'avoir l'honneur de
Vous parier.
D,0,l..cihyGOOglC 1
Je VOUS prie de remarquer que cette répu-
blique . en secouant le' joug de l'Espagne,
comme vous avez secoué celui de l'Angle-
terre , s'accoutuma sans peine à obéir à un
stathouder , c'est-à-dire, à un magistrat dont
rautorilé presque royale contenoit et lioit
entr'elles toutes Les parties mal-unies de la
confédération. Les vertus et les "talens des
premiers princes d'Orange ont suppléé pen-
dant long-temps à tout ce qui manquoit aux
ressorts du gouvernement , et d^ ailleurs , la
crainte de la maison d'Autriche, ainsi que le
remarque Grotius , occupoic les nouveaux ré-
publicains de soins trop importans pour que
les mauvais effets de leur esprit commerçant
ne fussent pas suspendus. La paix de West-
phalic et de grandes richesses changèrent la
disposition des esprits et commencèrent à
donner de l'inquiétude. On se défia du sta-
thoudérat; on crut n'en avoir plus besoin; on
le proscrivit , parce qu'on ne redoutoit plus
l'Espagne, et la république auroit été livrée
dés - lors aux. plus cruelles divisions , si
Louis XIV ne lui eut inspiré la plus giandc
terreur. Les partis se rapprochèrent, les de
WitpériFent, le jeune Guillaume III fut fait
stathouder , et la HoUande , plcine'^c rcssen-»
Dpi ..ci hy Google
46a DES ÉTATS-UNIS
riment contre la France, et gouvernée par le
plus habile politique de l'Europe, se trouva
trop mêlée dans toutes les plus grandes guerres ,
pour ne pas reprendre , en quelque sorte , l'es-
prit qu'elle avoit eu à sa naissance.
En effet, après la mort de Guillaume , les
Provinces-Unies, qui avoicnt encore détruit
le stathot'dérac, firent le rôle le plus impor-
tant dans la guerre de la succession d'Espa-
gne. Les troupes, auparavant trop négligées ,
avoient repris leur ancienne discipline et leur
courage. Mais la paix dUtrecht ne devint
pas moins funeste que l'avoit été la paix da
Westphalie. Des magistrats commerçons, am-
bitieux , mais avides , oublièrent leur gloire
en se livrant entièrement aux soins de leur
commerce. Toute l'Europe ctoit lasse de la
guerre qui l'avoit épuisée; et dans le calme
de la paix , les Provinces - Unies s'abandon-
nèrent au caractère qu'elles dévoient avoir;
elles déchureut sans s'en apercevoir. La no-
blesse croyoit que sa dignité tenoit à celle du
stathoudérat , et voyoit avec dépit que quel-
ques familles bourgeoises , plus riches et plus
adroites que les autres , se fussent emparées
dans leurs provinces de la puissance publique.
Les autres bourgeois se trouvant dégradés ne
Dpi ..ci hy Google
d'amériq_i]e. 463
jiOuvoîent plus aspirer aux magistratures ,
■vouioient se venger et désiroient une révo-
lution. Le peuple , privé de ses suffrages ,
n'étoit compté pour rien , et n'atlendoit que
le signal des méc.ontcns pour éclater. Les
plaintes, les murmures , les haines augmen-
toient chaque jour, et la guerre de la suc-
cession autrichienne vint encore au secoDTS
des Provinces - Unies. Des magistrats qui
avoient abusé de leur pouvoir pendant la paix ,
furent incapables de s'en servir dans la crise
violente où ils se trouvoient; on demanda à
grands cris un stathoudcr; il fut proclamé en
un instant. On rendit sa dignité héréditaire ,
parce qu'on crut que la république ne pou-
voît s'en passer. Cette puissance , plus forte
que celle de tous les partis qui s'étoient for-
més, étouffa leurs haines, leur donna de nou-
veaux intérêts , et força les Hollandais à ne
plus penser qu'aux affaires de leur commerce.
■ Je prie les Etats-Unis d'Amérique de penser
qu'étant mwiacés des mêmes divisions , des
tncmes désordres , ils n'auront pas la même
ressource. Ce n'est pas , monsieur, que je
veuille blâmer vos républiques de n'avoir pas
établi chez elles une magiitraturc pareille au
statiioudcrai. Je suis bîcij éloigné de cette
n,o,i7PcihyGt)C>'^le
464 DES ilATS-UNlS
pensée , et on ne peut en effet donner trop
d'éloges à la sagesse avec laquelle vous avez
borné la puissance de vos magistrats , pour
qu'il ne puisse pas même leur venir la pensée
d'en abuser. Vous êtes paifaîiement en sûreté
de ce côté ; mais il s'en faut bien que vous
le soyez contre les dangers auxquels l'esprit
de commerce et une fausse prospérité doivent
, incessamment vous exposer, et dont je vous
ai assez entretenu. Vous avez trop senti pen-
dant la guerre l'avantage de votre union ,
pour que ce sentiment s'efface en vous subi-
tement; mais pouveî-vous espérer qu'il du-
rera toujours ? Chaque province confédérée
des Pays - Bas a été continuellement avertie
par sa folblesse et la médiocre étendue de son
teriicoiic, qu'elle devoil toutà son union avec
les iiuires. En Amérique , au contraire, com*
bien de vos républiques , quand elles auront
mis en valeur le pays qu'elles possèdent, ne
doivent-elles pas se flatter de pouvoir sub-
sister à part et de former même une puissance
très-considérable ? Elles regarderont alors le
bien de l'union comme une espèce de servi-
tude. Vous voyez, d'ailleurs, monsieur, que
vous n'avez point , comme les Provinces-Unies
des Pays-Bas, des voisins qui vous inquiètent,
dont
Dpi ..ci hy Google
, llont ïL faille se défier, qui suspendent ractî-
yité de vos passions et vous forcent malgré ,
yous à prendre des ipesurcs pour vjatre sûreté.
Plût à Dieu, monsieur , que le Canada pût
encore vous inspirer les mêmes alarmes que
quand il obéissoit à 1^ France ! Mais il est
.vraisemblable que l'Angleterre , désabusée
.enfin de l'espérancç de vous soumettre ,
qu'elle n'auroit jamais dû avoir , ne sacri-
JEera point les avantages que lui promet votre
cotnnjcrcc , à je ne sais quels' sendmêns de
vengeance et de vanité qui peut-être sont déjà
étcipts.. Les Espagnols, d'un autre côté-, ne
jiOfsèdeat en Amérique que trop de terres
inutiles pour penser à y fairç des conquêtes.
Vos autres voisins sont des, sauvages contens
4e leurs déserts et qui ne vous envient point
vos possessions. Vous n'avez donc à craindre
que vous-mêmes; et si les Etats-Unis s'aban-
.donnent à la sécurité qu'inspire cette position ,
ne dois-je pas craindre pour eux les malheurs
dont jç viens , monsieur, de vous entretenir?
On me dira peut-être que si une de vos
provinces est troublée par des dissentions',
les étais voisins interposerontlcur médiatïoti',
,ct parviendront bientôt à rétablir le calme et
i'barmoûle. Vaine cspéraiicc !,Qui ne connoît
Mably. Tome VJII. G g
Dpi r^dhy Google
466 DES ÉTAtS-tîNlS
pas le pouvoir que les mots de liberté et de
tyrannie exercent sur un peuple qui n'est pas
façonné à la servitude ! Les troubles d'ujae
seule république seront une espèce de tocsin
qui portera l'alarme chez toutes les autres. Les
peuples qui n'auroicnt point encore songé à
leur situation , qui n'auroicnt pas même de
justes sujets de plainte, auront alors des soup-
çons , des inquiétudes chimériques , si vous
le voulez, mais que la crainte, l'espérance et
jnille autres passions ne rendront que trop
réelles. Le feu de la discorde s'étendra, et si
vous ne trouvez' pas en vous - mêmesun re-
mède contre ce mal , il ne faut p^s douter que
tous les nœuds de votre confédération ne
soient rompus. '
Ce remède , monsieur , vos compatriotes
l'ont SOU3 leur niain. Il n'est pas question de
créer de nouvelles magistratures , ni d'élever
paxmi vous un stathouder; il s'agit seulement
.de donner au congrès continental une auto-
rité qui le mettra en état de vous être aussi
utile pendant la paix dont vous allez jouir ,
qu'il l'a été pendant la guerre qui vous a fait
triompher de vos ennemis. Cette auguste as-
semblée a été l'anneau, la chaîne qui a tenii
étroitement unis les treize états ; elle en a ét^
D,o,i..cihyGooj^le
rame; cllca donné à tous un seul et même
esprit, un seulct m.êrac intérêt. On peut as-
surer, comme une vérité certaine et évidente i
que si chacune de vos républiques s'écoit con-
duite par se» délibérations particulières , il
n'y auroit eu aucune unité dans vos opéra-
tions; vos projets se scroient nui, vos forces
divisées auroîent trahi vos espérances, et faute^
de concert, vous auriei vraisemblablement suc-
combé. Vous devez à ce conseil votre consi-
dération , ■ votre gloirc_, votre liberté. Vous
avez vu que toutes ses. délibérations ont été
dictées par la prudence, la modération. 1«
courage , la justîcie et la générosité. Puisse
■cet esprit. subsister toujours parmi vous ! Mais
il ne subsistera point , si vous ne prenez les
rocsureS'les plus propres à conserver au con-
igtès la considération dont il. jouit, et lui
donner en msmc^tcmps l'autoiiité dont il j
ibesoin pour cimentée à la fois votf^e union et
.prévenir IcS ma.lheurs dont je vieps déparier,
et qui.' ne sont .que trop naturels à votre consf
■titutîoa: c'est un-é vérité qu'on ne sauroit trop
Tépéter,
- Pour préparer ce grand ouvrage, je vou-
droîs. donc , monsieur , que chaque républi-
que se fit une loi de aie charger de ses pou-
/ G g a -
no,-7«jhyGt)t)^lé
46S DES iTATS-UNIS
voirs dans le congrès contïocntal , qne des
citoyens <iui auroient été employés dans le
conseil auquel cite a confié la puissance ex.é'>
cutrice , et s'y seroîent distingués par leur
probité et leurs talents. Je voudtois que l'opi-
nion publique établît parmi vous que Icplus
grand honneur auquel puisse aspirer un cî^
toyen , c'est d'être délégué au conseil' de vos
amphictions. Vous sentez combien cette ma-
nière de j>eiiser seroit piopre à donner de
l'émulation aux citoyens et à inspirer autant
de respect quedeconSanccpour une assemblée
qui Vous est bien plus nécessaire qu'elle ne
l'étoit autrefois aux républiques de la Grèce.
Vos constitutions ont ordonné que ces ma-
gistrats puissent être révoqaés dans quelque
temps de l'année que ce soit : permettez-moi
de vous dem.ander qnel est l'esprit de cette
loi trop timide, trop soupçonneuse, trop dé-
fiante, puiiqu'à présent leur magistrature n'est
qa'annuelle , et ne peut par conséquent être
dangereuse pour la, liberté. Prcoez-y garde:
vous ouvrez une porte iTintrigue des con^
currens qui n'auioieut pas été préférés dans
vos élections ; vous vous exposez à de» ca-
bales qui pourront troubler votre repos. Per-
mettez'inoi de le dire : rien n'est plus dan*
Dpi ..ci hy Google
n' A M É R I Q. tJ E. 469
gereux pour une république que de dépouiller
les magistrats par la simple formule qu'on
retire sa confiance. Les Suédois, dans ces
derniers temps, s'en sont bien mal trouvés;
et cette manière despotique de traiter les sé-
nateurs a été une des principales causas qui
a fait perdre son crédit au sénat et afibibli les
ressorts de la constitution suédoise.
J'ajoilterai que cette loi dont je me plains ,
me fait presque soupçonner, malgré moi, que
l'intention de chacune de vos républiques est
peut - être peu conforme à ses vrais intérêts.
Pourquoi veut - 00 , je vous prie , être, lo
maître en tout temps de rappeler le ministre
qu'on a député au cengrès ?Je n'en devine
point le mQ,tif ; car il seroit insensé qu'un état
de la confédération américaine craignît que
son ministre ne trahît sa patrie ou n'aban-
donnât ses intérêts. Seroit-on peu disposé à
se conformer aux vues d'une assemblée dont,
le premier , ou plutôt le seul devoir, est de
ne s'occuper'quc de l'intérêt général de l'union ?
Ce seroit bien mal connoître la nature de cette
auguste assemblée ; ce seroit la confondre
avec les congrès qui s'assemblent quelquefois -
en Europe pour ternfiner les différends de
plusieurs puissances ennemies qui ne veulent
Gg 3
Dpi ..ci hy Google
47 O DTLS ÉTATS-UNIS
Bc réconcilier qu'en se trompant le mieux
quelles peuvent, cl ne ' cherchent , par une
paix plâtrée ; qu'à se ménager quelque avan-
tage dans une nouvelle guerre. Quel est donc
rcspritde cette loi ? Vos ennemis , monsieur,
diront que les états de l'union américaine ne
se sont réservés que par des vues dVmbitîon
le droit de révoquer arbitrairement leurs mi-
nistres au congrès. Si ces députés ne sont pas
assez rusés , assez subtils , assez menteurs ,
assez opiniâtres 'poiïr faire dominer leur opi-
nion , on" veut pouvoir en tout temps leur
donner des successeurs plus habiles, capables
de prendre l'ascendant sur leurs collègues ,
de faire prévaloir leur avis et d'établir une
puissance prépondérante dans une association
qui ne peut être utile et subsister que par
l'égalfté. Politique fausse , 'honteuse et fu-
neste ! Elle suppdseroit en Amérique la même
ambitioa qui perdit autrefois le conseil am-
phîclyon'ique. Dès\que la corruption en eut
fait le centres de l'intrigue et de la cabale , la
Grèce ne fut plus capable de réunir ses forces.
Philippe de Macédoine y domina, et les Grecs
perdirent leur liberté.
Que les Etat^-Unis profitent de cette im-
portante leçon. Que te premier article des
Dpi ..ci hy Google
D ' A M i R I Q, u t. 4T\
- instructions qu'ils donneront à leurs délégués
soit de ne travailler qu'à concilier les esprits,
pt rapprocher leurs intérêts. Qu'on leur or-
donne même, de faire des sacrifices pour le
bien de la paix et de la concorde. C'est par
cette politique bienfaisante et généreuse , que
toutes les nations devroient adopter, que les
peuples alliés peuvent rendre de jour en jour
leur alliance plus étroite et plus utile. En un
mot , il importe au bonheur particulier de
chaque république de ne pas vouloir dominer
dans le congrès .- et de se soumettre , au con-
traire , aux vues et aux résolutions d'un corps
qui embrasse les intérêts généraux de la con-
fédération. Si mes remarques sont vraies , bien
loin de chercher à diminuer le crédit du con-
grès , vous devez travailler à augmenter son
autorité. Menacés des troubles , des divi-
sions , des désordres domestiques dont j'ai
parlé, vous ne pouvez vous passer d'une ma-
gistrature suprême pour lés prévenir ou pour
les arrêter ; et vous ne pouvez la placer avec
sûreté que dans iin corps comprise des ci-
toyens les plus recommandables de chaque
état.
Cet objet est trop important pour ne pas
m'y arrêter encoic. Je prie d'observer avec
Gg 4
D,o,l7PCihyGt)C>'^le
47» DÉS ÉTATS-UNI 1
attention que les babîtans de rAmériquç
devant avoir des prûfcssîofts , des droits , dç»
fortunes; des mccurs , et par conséquent dcïT
manières différentes d'envisagtr leurs intérêts ,
il est impossihl* que les diverses passions qui
en résulteront , n'excitent pas des murmures
et des plaintes. En s'aigrissant , ils feront naître
des querelles qui doivent- causer des troubles
funestes , si au lieu d'être arrêtés dans leur
naissance, on leur permet de fermenter secrè-
tement dans la cabale et l'intiigqe. Quels dé-!-
bouchés, si je puis parlerainsi, avez-vous pré-p
parés à ceshume.urs, pour que leur fermentar
tion ne cause pas une maladie mortelle aucorpç
de la société ? Si les citoyens qui croiront
avoir de justes sujets dt se plaindre, n'ont
pas des voies légales pour se faire entendre,
soyez sûr qu'agissant sans règles et par fou-
gue , ils se porteront aux dernières extrémités. ■
C est pour cette raisbn que tous les politiques
ont extrêmement loué l'établissement des tri-
buns dans la république romaine. Le peuple,
sûr d'avoir des proiecteurg, screposoîtsureujf
du soin de ses intérêts, et ces magistrats po-.
pulaires avoient eux - mêmes des ménagemens
à garder. Ils s'étoient fait des règles et des
procédés qui les empèehoiçnt de se condiiire
Do,T«jhy Google
d'. A M É ir I a u !■ 47*
fivtc riaconsidération et la violence familières
' à la muhîtude. On peut voir dans le traité des
lois de CicéroD combien l'éublissenient de ces
magistrats fut salatairc.Mais ne seroit-il pas dai:i>
gcreux de le vouloir transporter aujourd'hui
chez vous? Vous n'avez pas les mœurs des pre-
miers Romains, et je craindrois que vos tribuns
pe ressemblassent à ceux des derniers teqips de
Rome, qui ne fureai que des séditieux qui
fiacriSàrent la république aux intérêts de leurs
passions. Ce qui en tiendra lieu , c'est l'auto»
rite du congrès , si vous lui donnez la forme '
et le crédit qu'il doit avoir. En voyant un
juge au-dessHs d'eux, les riches seroient plus
mesurés dans leurs entreprises, et le peuple
moins inquiet et moins soupçonneux. Vespé-
rance de rétablir le stathoudërat empêcha les
mécontcns des Pays-Bas de se livrera des
partis violens. De même, l'espéraïice ou la
crainte d'un jugement juridique .calmera les
esprits en Amérique. Si vos raécontens n'ont
la faculté d'adresser leurs remontrances qu'à
la puissance législative , ou aux. magistrats
chargés du pouvoir exécutif, ils^éprouvcront
le sort des représentans de Genève , et le dé-
sespoir fera preqdrc des résolutions extrêmes.
Je ne vois, monsieur, qu'une seule et unique
Dioiir^cihyGocj^le
474 DES ÉTATS-UNIS
ressource ppuries Américams : c'est d'établir
le congrès continental , joge suprême de tous
les différends qui pourront s'élever entre les
divers ordres de citoyens dans les états de
l'union. Pourquoi vos législateurs se refuse-
roient-ils à cet arrangement, puisqu'ils ont
déjà accordé à ce tribunal la prérogative plus
importante de connoîirc de tous les différends
qui peuvent survenir entre vos répnbUques à
l'égard de leurs territoires, on de toW autre
objet ? Elles n'ont point cru déroger à leur
. souveraineté ni à leur indépendance , en
cédant au congrès seul le droit de traiter avec
les puissances étrangères , et en consentant
même de ne pouvoir , ;ans son approbation ,
faire cntr'elles des conventions particulières.
Si les riches se rcFusoient à la loi que je pro-
pose, ce seroit un signe certain qu'ils for-
ment déjà des projets d'ambition ou de
vanité. Je ne le crois pas , monsieur , et
j'espère , au contraire , s'ils sont persuadée
que mes craintes ne sont point chimériques,
qu'ils verront avec plaisir se • former dans
votre confédération une puissance qui fa-
vorise l'égalité , qui préservera la première
classe des citoyens d'une ambition qui fini-
roit par les perdrç , et la dçrnicie d'une
Dpi ..ci hy Google
"abjection el d'une misère dont les riches ,
malgré tous leurs -efforts , sentiroient bientôt
le C otre-coup.
Vous ne pouvez donner trop d'autorité à
votre cobscil araphîctyoniqne , parce .qu'il est
- impossible qu'il en abuse. Il n'est point dans
: la nature du coeur humain , que des hommes
revêtus d'une magistrature passagère , et qui
doivent bientôt retourner dans leur patrie
: pour s'y confondre avec leurs compatriotes ,
forment des projets d'usurpation et de tyran-
; nie. Comment les délégués de plusieurs pro-
: vinces éloignées les unes des qutrcs , qui ne
i se connoissent pas , qui souvent n'auront eu
aucune relation entr'eux , pourroient - ils se
- fier assez les uns au?c autres pour oser cons-
pirer de concert et méditer le projet d'asservir
la confédération ? Je sais, monsieur , que la
liberté doit être inquiète et scrupuleuse ; mais
aussi elle doit être sensée , et ne pas craindre
des chimères. Par quel caprice 'singulier de
la fortune les treize Etats-Unis nommcroient-
îls à la fois des scélérats pour les représenter ?
Autre prodige î Comment s'cnlendroicnt-ils ?
comment n'auroicnt-ils qu'un intérêt ? com-
ment leurs vuea et leurs mesures ne se coii-
traricroienl- elles pas ?
Do,T«jhy Google
47& DES £tATS*'UNI3
Je tn'srrête trop long-temps sur cette ma»-
tière , et je vons en , demaRde pardan , mon-
sieur; mais tous les Américains n'ont pas vos
lumières, et c'est pour en\ qnc j'écris. Qu'on
me permette donc d'examiner encore la loi
, par laquelle toutes vos républiques ont arrêté
qu'on cnverroit tous les ans de nouveaux dé-
légués au congrès. J'aurois presqu'autant aimé
qu'on lui eût ordonné de ne rien faire de
raisonnable. Avant que ce» nouveaux magis-
trats aient eu le tsmps de se connoître , de
s'examiner, de s'entendre, leur magistrature-
inutile expirera. Si vous craignez d'avoir
parmi vous des principes d'administration
^ fixes et constans , vou$ ne pouvez pas établir
une meilleure règle. Qui vol^ répondra que
le congrès de l'année prochaine ne détruira
pas tout ce que fait le congrès actuel ? Il ne
faut qu'un bomme adroit, entêté et éloquent
pour tout bouleverser. Vous vous expose*
à tous les inconvéniens qu'éprouve l'Angle-
terre , qui change de manières, de pro-
cédés , de politique à chaque règne et même
à chaque changement qui se fait dans le
ministère ; de sorte qu'on ne sait bientôt
ni ce qu'on fait , ni ce qu'on veut , ni ce
qu'on peut faire. Dans cette fluctuation , on
Do,T«jhy Google
.d'amériq,ui. . 477
fcsc se ^CT au gouvernement , et l'intrigue ac-
■qiiîert de nouvelles forces.
J'ai désiré que les magistrats , chargés daoi
vos républiques de la. puissance exécutrice ,
:Jiissent plus long-temps en place que les lois
actuelles ne le permjjitent, et qu'on petfec- '
tÏQnnât mcme. à cet ^gard le règlement des
X* cnsilvpniens : parles mêmes raisons, je sour
liaite acLi^ellcment que les délégués au con-
grès continental remplissent au moips pen^-
dant trois ans leurs magistratures , et que
cette auguste assemblée , par le secours de
ycette succession que La Fensilvanie a ét^bli.c
dans la puissance exécutrice , ne cesse jamais
de se rcnou,veller et conserve cependant le,s
mêipes maximes. Chaque année -les nouveaux
magistrats , au Keu,d'y porter leurs fanj^taisies, ,
prendront l'esprit de-ceux auxquels ils suc-
cèdent. Bientôt les affaires seront administrces
par des principes constans , et le gouverne-
ment aura un caractère. Vous ne connpîtrçz
point cette funeste incertitude qui agiote et
inquiète Ips citoyeps,qui, ge pouvaqt.çD'ÇQpJçr
çnrrjcp, ne peuvent s'attacher à Içur patriç,
et se livrent .maigté eux à des projets perni-
çiew:t- ^Sû^ez syr que le .modèle dc.jagç^e
que piéwîïtçroit i'ass.eipblée du , congre» ne
Do,T«jhy Google
478 DtS ÉTATS-OMIS
seroit pas inatilc atix magistrats particulier»
de vos républiques. Alors, monsieur, si la
confédération américaine , ainsi que je n'ai
que trop sujet de le craindre , étoit entraînée
ou poussée par son commerce et ses mœurs
vers l'aristocratie ; ce ïera d'une manière in-
sensible , sans violence et sanfs convïilsion.
En accréditant peu à peu les prétentions des
Ticbes , on ne ccsScra pas de protéger les
droits des pauvres; La coutume établira des
lempéramcns qu'il est impossible de fixer par
des lois , mais que l'habitude rendra tolérables
et consacrera enBn. Les pauvres n'étant pas
vexés, s'accoutumeront à leur sort ; la subor-
dination ne choquera plus les esprits . et le
■peuple à son aise pensera que les distinctions
-dont les riches jouissent leur appartiennent
'légitimement. Ainsi, l*iaristOGratîe , jouissant
■ paisiblement de ses prérogatives, n'aurS en
Amérique, comme en Suisse, aucun des vices
'^ui'Iui sont naturels. ' ' ■ ■ -■
' Je vpudrois , monsieur, que totii les dix
' ou douze ans , vous 'célébrassiez , comme
' votre fêle la plus solennelle, le^ jour od vous
aVez déclaré que Vous étiez affranchis du joug
de l'Angleterre. Après avoir rciiâS agraires au
: Boaveràin' maître de l'univcrs'des favcù» âont
D,o,l..cihyGtK>glC
D* A M Ê R I Q. U E.' 47g
îl VOUS a comblés , que la joie la plus vive
tègne dans tous les pays de la confédération;
que des illaminations', des jeux ,■ des danses
appellent tous les citoyens au plaisir; que les
magistrats et les riches se confondent avec
la multitude ; que dans ces espèces de Satnr-
iiales les grands montrent l'inaage de l'égalité;
que le peuple y apprenijc à airaci sa patrie et
ses supériears; que ce.même jour les ambas-
sadeurs de chaque, républiquç , renouvellent
avec pompe votre alliance entre les mains du
congrès ;*que Dieusoit le garant de leurs pro-
messes et de le'urs sermens , et que l'acte en
soit dépssé avec cérémonie .dans tous les
temples de vos différentes communions; que
les membres du congrès , cédant ensuite leurs
places aux ambassadeurs qui représentent les
'souverains , viennent rcndr.e leurs hommages
à la puissance dont ils ne sont que ministres^,
et jurent, en invoquant le -nom dç Dieu, et
en présence du peuple , d'observer religieu-
-sement les lois ,- de défendre l'union et de se
soumettre dans tous leurs jugemcns-'auxTèglcs
de la justice. Npus ayons des sens;, il faut les
frapper pour nous rendre plus respectables les
vérités dont noïts avons besoin ,: et .que la
multitude lie totoptend pas.
Dpi ..ci hy Google
i^So D t 8 É T A T S- U N I J
Je ne doute poiat , nio^isiear , qu'en nia-*
minant, dans It calme de la. paix , vos lois
et votre situation, les Etats-Unis de réparent
de la nraniêre la plus heureuse les inadver-
tances qui peuvent avoir échappé à leurs prc-
' miers législateurs. Dans le jnoment qu'éclate
une révolution aussi importante et aussi ati9r
ordinaire que la vôtre , ils est impossible qu'aa
milieu des .craintes, des alarmes ..des pré-
jugés anciens , et de mille^passions nouvelles -,
l'esprit humain saisisse des vérités abstraites
dans toute leur étendue,. et l'ari avçc lequel
il faut lesarranger entr!clles four tendre, les
lois plus utiles. Vous allez tout réparer, mais vqus
:ne pouvez trop vous hâter : le temps accrédite
'les etrcurS.: profitez du mom^cpt où le copi-
gierce n^a^point encore inspiré at)X riches des
•idées d'aiiibition et de vanité , et qu/: vos cul-
.tivateucs , comptant sur la M^bili^ éternelle de
vos lois, ne soupçoniient .p4s.même Jju'ea
puisse .fûtraer ie projet 4e les opprimer. Si
:les querelles que je crains venaient à éclater
avant que l'ouvrage .de' votre législation fût
■ achevé, ilncseroit peut-être pins temps d'ap-
pliquei: :des remèdes sûre au mal. U faudroit
<e coutent^r.de quelques .paUjatiis , qui pa-
roîtrolent calmer.. les egp»E$ par intervalle;
mais
D,o,l7PCihyGt)t)»^le
fa'A M É It I Q, U E. 481
ïtaais qui, ne les rassurant pas, exposcroient
l'état à des rechutes tonjouts plus dangereuses
ïes unes que les antres.
Si des querelles domestiques éclatent daits
nn des Etats-Unis , avant que les citoyens
trouvent dans leurs constitutions une manière,
an moyen de les terminer k, Tamiable , ou pai
les règles de la justice, vons sentez, mon-
sieur , que les partis opposés n'auront que des
paroles et des promesses à se donner , et
que SUT de si foibles garans , il est impos-
sible d'établir une paix durable. Une déEance
générale s'emparera des esprits : Jes uns espé-
reront de mettre à l'avenir plus d'adresse dans
leur conduite , et les autres les observeront'
avec cette attention soupçonneuse qui s'eiFa-
rouche aisément et interprète tout en mal :
la paix, sera donc rompue. Maïs qui vous
répondra qu"albrs les gens de bien puissent
encore se faire entendre ? L'esprit de sédition'
est contagieux chez les peuples. Peut-être
que quelqnes riches mêmes , par des consi^
dérations particulières, trahiront la cause de
l'aristocratie , pendant que les brouillons les
plus inquiets domineront dans les délibé-
rations de la multitude. Ou se fera des in-
jures , et la haine-, touj'ôuVs înjtiste et lou-
Mably. Tome VIII. H h
D,0,l7PCihyGt)C5'^le
482 DES ÉTATS-UNIS
jours aveugle , décidera enfin du sort de la
république.
Qu'on ne se flatte pas que quelqu'état voisin
intervienne dans ces différends ce puisse
alors les calmer par sa médiation. Ces
médiateurs seront trop suspects pour que
le parti démocratique veuille s'y fier ; oh
, ne verra en eux qae des hommes jaloux dcA
droits de l'aristocratie. Si dans ces circons-
tances le congrès , sans antre autorité qnc
celle qu'il possède aujourd'hui , envoie des
députés pour rapprocher les esprits et réta-
blir la paix, les écoutera - t - on avec plus
de respect et de confiance ? On verra que ce
corps est composé des hommes les plus im-
poïtans- et des plus riches de la confédéra-
tion , et il n'en faudra pas davantage pour
qu'on les soupçonne , qu'on les accuse même
d'être pins portés à favoriser les prétentions
des riches que les droits du peuple. N'étant
point établis juges par la loi , ne paroîssant
point avec la majesté et l'appareil d'un tri-
bunal ancien et révéré dont on aime et craint
également les décrets , ils ne pourront offrir
que leurs bons offices, foible ressource ! Les
troubles renaîtront; on' ne fait des dupes
qu'une fois , et on ne les croiia plus.
Do,T«jhy Google
fi' A M i tt 1 Q, U E. 4S3
Je m'arrête trop long-temps sur cette ma-
tière , moiisicur ; je me contenterai de re-
marquer qu'avec les mceurs que nous avons
■ en Europe ,'et qui vrais embiablcmcnt ne' sont
"déjà que trop communes en Amériqac , l'ar-
■ gcnt doit usurper enfin un empire absolu.
Oii feroît des efforts inutiles pour s'y op-
poser; inais peut-être n'csi-il pas impossible, ■
■ avec beaucoup de précautions , d'empêcher
" qite cet empire ne devienne tyrannique. Sï
-■ des lois impuissantes n'empêchent pas les
''' commerçaus de s'emparer de toute l'autorité ,
■ si les mœurs publiques ne vienncait pas au
" eecours du peuple, si elles ne donnent pas
des bornes certaines à la cupidité, je tremble
que tous les liens de votre confédération ne
? soient enfin rompus. Des magistrats commer-
'■ çans iraprimcroat leur caractère à ta répu-
î blique : tous les Etats-Unis feront le coni-
V merce , et voilà le germe de vos divisions et
de la ruine du congrès continental. Ayant
nos vices , vous aurci bientôt notre politique'.
Chacun de vos -états, en nuisant au com-
merce des autres , croira favoriser le sien,
tant J*var;ç- est une passion impérieuse et
sotie 'E/Zç ^^ persuadera qu'il faut faire Li
guerre p , ,jgmeuter vos richesses :' vous
If H -Il 1
Do,T«jhy Google
4S4 DES ÉTATSrUNIS
auru uae Carthage commerçaotc et guer-
rière à la fois , et son ambition , entée sar
l'avarice , voudra dominei sdt ses voisins , et
les traiter en sujet« , peut-être même en cs'
clavcs. Il Bc formera ane puissance rivak pour
Ini résister. Vous aurci notre politique iiora-
pcuse de t'cqDilibre ; les tiaitéi ne conser-
veront aucune autorité; tontes les aUùnccB
seront incertaines et Qottantes , qt tons vof
états oublieront leurs intérêts pour courir
après des cliiinéies.
En voilà trop , et je vous cnnaycroi* , mon-
sieur , si je vouloîs vous prouver que mes
craintes ne sont pas vaines. Toute l'histoire
yiendroit à mon seconrt , et vous la con-
noissez mieux que moi. Je ferots voir com»-
ment nos vices sont liés les uns aux antres
^et inséparables; mais je ne vous diiois rien
de nouveau ; votre étude du cceur humain
vons a rendu toutes ces vérités fainilières.
personne , monsieur , ne s'intéresse plusquc
moi à votre liberté naissante, et à la gloire
de vos législateurs , à qui on n'aura aucun re-
proche à faire, si on voit qu'ils ont connu
tous les écueils contre lesquels: une répu-
blique peut échouer , et qu'ils. <wit tenté de
résister à cette fatalité qui semble ^voir mis des
Dioii ..ci hy Google
d'amériq^ue. 485
borats à toutes les choses hamaines. Je fais
les vceux les plus ardens povr votre piospérité ;
et je vous prie , monsieur, de ne jaiqait oublier
les assnraaces que je vous donne de mon
zèle pour vos intérêts, de mon respect et de
mon attachement.
Fin du tome huitièm.
hyGt)t)^le
TABLE
DES CHAPITRES.
PREMIÈRE PARXIE.
\-iHAPITRE PREMIER. Dt la situation aetutUt
de la Pologne. Ses inlérêli , ses besoins. De U
méthode avec laquelle les Confédérés eU Bar
doivent procéder à la réforme des lois. De f ils-
hlisstment d'une puissance législative, page i-
Chap. II. Des moyens nécessaires pour établir une
puissance législative en Pologne. H
Chap. III. De la discipline et de Fordre dis \
Diétines , relativement à la puissance légû-
lalive. Si
Chap. IV. De ta puissance exécutrice relati-
vement au pouvoir législatif. 47
Chap. V. De la puissance exécutrice considérée
dans la personne du roi. 5'
Chap. VI. Réfiexions relatives aux lots ja'"»
a proposées au sujet de la royauté. 7^
Chap. VII, Comment la réforme du gouvernent^
pçlonais doit être vue par les cours de l'Eu-
rope. 86
D,o,i..cihyGoogle ,
TABLE. 487
Ghap. VIII. De la puissance exécutrice relative-^
ment au sénat et aux ministres Ou grands of-
jiciers de la couronne. 108
Chap. IX, Réflexions relatives aux lois qu'on
a proposées sur la formation du sénat ou
de la puissance exécutrice. i38
Chap. X. Que les réformateurs doivent d'abord
se borner à établir les lois constitutives ou fon-
damentales de la république. 148
Chap. XI. Du défrartement du grand- chancelier ,
eu du conseil de justice. 163
Chap. XII. Du département du grand- maréchal ,
ou du conseil de police. 184
Chap. XIII. Du département du grand-général ,
ou du conseil de guerre. 194
Chap. XIV. Du département du grand-trésorier ,
ou du conseil de Jinances. 3i3
SECONDE PARTIE.
VJHAPITRE PREMIER. Des objections proposées
contre le mémoire précédent, et auxquelles il
est inutile de répondre. page sSg
Chap. II. En quoi et comment les lois polo~
naises sont vicieuses. 242
Dpi ..ci hy Google
48S T A B t E.
Chap. m. De ta manière de présenter Us lois
en réformant une république. a5i
Chap. IV. Du libcram veto et des Confédéra-
tions, 360
Chap. V. De Ckéridité de la couronne. 274
Chap. VI. Des négotiations que les Confédéréi
doivent entamer dans les cours étrangères. Avan-
tages qui en résulteront pour les Confédérés.
3u5
DES ÉTATS - UNIS D'AMERIQUE.
JL JFTTRF, PREMIÈRE. A M. AdAMS , ministre
plénipotentiaire des Etats-Unis en Hollande ,
et pour les négociations delà paix générale. SSg
Letthe II. Réflexions SUT les lois de Pensilvanie ,
de Massachussets et de Géorgie. S6u
Lettre III. Remarques sur quelques objets im-
p«rtans , relatifs à la législation des Etats-Unis
d'Amérique. ' SgS
Lettre IV. Des dangers auxquels est exposée
la confédération américaine. Comment se for ~
meront les troubles et les divisions. Nécessité
d'augmenter le pouvoir du congrès contl--
nental. 433
Fin de là table.
Do,T«jhy Google
Do,T«jhyGooj^le
..GoDJilc ,. I
i
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f.oojil
Dpi ..ci hy Google