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Full text of "Collection complète des œuvres de l'abbé de Mably.."

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Dpi ..ci hy Google 



U/3 



7- 



TAYLOR INSTITUTION. 



BEQUEATHED 
TO THE UNIVERSITY 



ROBERT FINCH, M. A. 



Do,T«jhy Google 



n.oii.PcihyGtXJ'^l.e 



COLLECTION 

COUPLE JE 

DES ŒUVRES 

D E 

l'abbé de mably. 

TOME HUITIÈME. 



Do,-.«i h, Google 



D,o,l..cihyGtX>gle 



COLLECTION 

COMBLE TE 

DES ŒUVRES 

l'abbé de mably. 

TOME HUITIÈME. 



Du gouvernement et des lots de Pologne. 
Des États-Unis d'Amérique. 

A PARIS. 

De l'imprimerie de Ch, Desbriere, rue et place Croix, 
_chausséedu Moiublaw:, ci-devant i'Antiu. 



Van III de la République , 

C 1794 à I79Î.} 



Do,T«jhy Google 



hyGtxjgle 



DU GOUVERNEMENT. 

ET DES LOIS 

DE POLOGNE, 



A M. LE COMTE WIELHORSKI, 

idimstre plénipotentiaire de la Confé~ 
dération de Bar en France. 



PREMIÈRE PARTIE. 



CHAFITRE PREMIER. 

De la situation actuelle de la Pologne, Ses in- 

■ térêts , ses besoins. De la méthode avec laquelle 

les Confédérés de Bar doivent procéder à la 

réforme des lois. De V établiuement d'u/u puis~ 

sanct législative. 

IN OUS nous entretenons souvent, mon- 
sieur le Comte , des malheurs qui affligent 
votre patrie ; nous ca recherchons les causes : 
votre amour du bien public voudroit irou- 
Mably. Tome VUÙ A 

, . no,-7«jhyGt)t)^le 



* DU GOUTERNEMENT 

ver qaelque remède utile à vos concitoyens ï 
et puisque vous !e désirei , puisque la Con- 
fédération dont vous nianici les intérêts le 
désire, j'aurai, l'honneur de vous faire part 
de mes réflexions. Je souhaiterois qu'elles 
pussent être de quel qu'utilité à une nadon 
que les vices de son gouvernement Ont pu 
rendre malheureuse , mais qui , craignant la 
servitude et aimant la liberté , est peut-être 
encore capable de renoncer à ses préjugés 
et de réparer ses fautes. Si vous njc disiez de 
vos compatriotes ce que Tiie-Live disoit des 
Romains de son temps , nec vitia noUra nie 
remédia p a ti j!ioiiwmw5,ilfaudroitvous résoudre 
à voir périr votr: république. L'amouf^de la 
liberté , lamour de la patrie , le mépris de la 
mort, le courage, la patience , vos Confédéra- 
tions, sur lesqucUcsvoui fondez de si grandes 
espérances , rien de tout cela ne vous em- 
pêcheroit de succomber. Une longue expé- 
rience nous apprend que la vertu des hom- 
mes est malheureusement renfermée dans des 
bornes très-étroites. On se tasse à force de 
revers; des espérances toujours trompées s'éva- 
nouissent enfin, les amcs s'affaissent ; et plus 
les Polonais auront fait d'efforts pour conser- 
ver leur indépendance, plus leurs ennemis , 
qui en auront triomphé avec peine, sentiront 

no,-7«jhyGt.)t>*^le 



bt POLOGNE. 3 

îa iiccessitc de les accabler soqs un joug ri- 
goureux. 

Quoique l'anarchie la plus monstrueuse 
règne depuis long-tempe en Pologne ; quoique 
vos lois soient eUcs-mcmcs la première cause 
de vos malheurs, et que vous ayez au milieu 
de vos provinces les armées d'une puissance 
ennemie qui vous traite déjà en vaincus ; en- 
fin , quoique vous ne puissiez guère compter 
sur les secours de vos alliés naturels, que la 
foiblesse de votre administration a refroidis , 
ou qui se trouvent peut-être dans des circons- 
tances qui les forcent à négliger vos intérêts , 
rien n'est encore désespéré , s'il est vrai , 
comme je n'en doute point après nos conver- 
sations, que vos grands seigneurs , commen- 
çant à sentir que leur fortune domestique 
ne subsistera pas si la république est détruite ^ 
s'abandonnent moins à leurs haines , et sont 
■capables de se rapprocher. Tant que les Po- 
lonais ne se sont pas vus sur le penchant du 
précipice , tant qu'ils n'ont craint que leurs 
propres divisions, et ont pu se flatier de ne 
point dépendre de leurs voisins, je ne suis 
point surpris qu'ils se soient abandonnés à 
une imprudente sécurité ; mais aujourd'hui 
l'illusion est dissipée; n'étant plus les maîtres 
chez eux , ili sont eiifia instruits de leurs cr- 

A2 



4 DU COUVERNE M,E N T 

rcuis par leurs malheurs. Vous trouverez ; 
mont-ieur le Comte, .les esprits plus dispo- 
sés à vous entendre , et vous pourrez tra- 
vailler avec succès à une réforme, puisque 
les personnes qui sont avec vous à la tète des 
Confédérés, aiment leur patrie en hommes 
éclaires, en voient les vices, et ne se bor- 
nant pas à conjurer la tempête dont vous 
êtes battus , portent leurs vues sur l'avenir, 
et veulent prendre des mesures pour donner 
des fondcmens solides à une liberté tran- 
quille. 

La première vérité, monsieur, dont vos 
bons citoyens doivent être pénétrés, c'est que 
la Pologne , avec le titre de république , ne 
sera en effet qu'une province de la Russie, 
si vous r.e chassez pas ses armées de vos 
possessions. Craignez sa garantie, craignez ses 
bienfaits , craignez sur- tout sa protection. Vous 
serez tôt ou tard esclaves , si des voisins am- 
bitieux conservent la moindre Influence dans 
vos affaires domestiques. En voulant décider 
de votre bonheur , en feignant de prendre 
des mesures pour l'assurer, soyez sûrs qu'on 
■ cherchera à vous tromper : quelque proposi- 
tion avantageuse qu'on vous fasse , ne la re- 
gardez donc que comme un piège ; au lieu 
d'une paix véritable , vous n'auiiez qu'une 



D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



nE POLOGNE. â 

trêve frauduleuse. Après avoir reconnu votre 
indcpendapce , on cliercheroît encore À vous 
asservir ; on profiteroit de vos auciens pré- 
jugés pour faire naître parmi vous de nouvelles 
liaince , de nouvelles intrigues, de nouvelles 
cabales et de nouvelles factions. J'aimcroïs 
mieux vous voir établir des lois grossières 
et une constitution imprudente , que si vous 
en receviez de plus sages de la part de vos 
voisins. Pour rendre la république véritable- 
ment et constamment heureuse, il faut avoir 
le courage de supporter les maux de la guerre , 
et de vous ensevelir sous vos ruines , plutôt 
que de consentir à n'avoir qu'une indépcn- 
dnnce précaire, et garantie par une puissance 
oppicfisive. 

Pourquoi la Pologne se prèteroit-elle à 
un accommodement avec Ici Russes, puis- 
qu'ayant fait une entreprise beaucoup au- 
dessus de leurs forces , et contre' les règles 
que doit se prescrire une ambition prudente 
et éclairée, ils doivent s'épuiser de jout en 
jour, et ne sentir enfin que leur faiblesse ? 
Que la guerre dure encore trois ou quatre 
ans; je le souhaite pour vous , parce qu'elle 
vous esc nécessaire ; et la Russie sera dans 
l'imptiissancc de laconiinuer. Il est aisé de 
prévoir quel stra alors l'état de ses finances 
AS 

D,o,l7PCihyGt)t>»^le 



O nu COtJVERNEMENT 

épuisées; et des recrues nouvelles tiendront 
inutilement !a place des troupes disciplinées 
qu'elle aura perdues. C'est auprès des Turcs 
qu'il faut agir, et en les encourageant contre 
leurs premières disgrâces, flatter leur orgueil 
et les cm[)êcher de consentir à une paix hon- 
teuse. Voilà , monsieur le Comte , quels sont 
dans les circonstances présentes les véritables 
intérêts de votre patrie : votre salut dépend 
de la fermeté de la Porte à soutenir cette 
guerre. Si vos amis trompes vous proposent 
une paix suspecte , ayez du courage et de la pa- 
tience , et vous parviendicz à la fin que vous 
vous proposez, pourvu que les Turcs ne vous 
abandonnent pas. Je. le répète, ne vous fiez 
ni aux traités que vos ennemis vous présen- 
teront , avant que d'avoir senti leur foiblcssc , 
ni aux garanties que vos alliés vous offriront. 
Une longue expérience a dû apprendre à toute 
l'Europe, que ces actes dressés avec tant de 
formalités n'amortissent point les passions. 
Ce feu sera caché sous la cendre, craignez un 
nouvel incendie. 

Mais quand la Pologne pourroît compter 
sur les traités et les garanties , ne seroit-elte 
pas extrêmement imprudente , ii se contentant 
d'avoir échappé aux maux dont elle est au- 
jourd'hui accablée , elle ne s'occupoit pas du 



DE POLOCME. 7 

Soin d'être à l'avenir plus heureuse? De mau- 
vaises lois ont' causé jusqu'à présent tous le* 
troubles et les désordres qui ont donné à la 
Russie Tespérance de vous asservir ; et de 
bonnes lois peuvent seules, en vous mettant 
en état de connoîtrc vos forces , voQS faire 
respecter de vos voisins : un sage gouverne- 
ment , voilà votre scal rempart. Les Confédérés 
sont persuadés de cette vérité , et il« espèrent 
que leur patrie , instruite par ses irialheurs , 
ac prêtera à une réforme. J'aime à te croire 
comme vous ; mais , permettez-moi de le dire , 
CCS espérances s'évanouiront, si dans le mo- 
ment où ta paix sera conclue , on ne présente 
pas aux Diétines et à la Diète générale ua 
système tout arrangé de gouvernement. 

Pour peu qu'on réfléchisse sur la nature deï 
habitudes et des préjugés qui forment le ca- 
ractère des peuples , pour peu qu'on songea 
l'empire despotique que ce cai'actère national 
exerce sur les citoyens , on sera convaincu 
qu'une nation qui n'est pas inspirée, con- 
duite , dirigée ce animée par des hommes 
courageux et éclairés , est incapable d'aper- 
cevoir ^es vices, d'y renoncer , et de corriger 
jfar des établissemens salutaires les abus dont 
elle se plaint. A la mort de Charles XÏI , 
quel auroit été le sort de la Suède , si qael-> 
A4 

no,-7«jhyGt)C>»^le 



5 DO GOUVERNIMENT 

ques scigncuTs n'avoient pas porté à la Diète 
un plan tout formé de gouvernement ?Jam3ia 
on nauroit rien pu faire de bien. En détes- 
tant le despotisme des deux derniers rois ,, on 
n'auroit su comment s'y prendre pour s'en 
débarrasser. On ne se scrott point entendu : 
les citoyens auraient été divisés , parce qu'ils 
ne se seroient pas proposé les mêmes moyens 
pour arriver à leur but. Faute d'un point com- 
mun et propre à réunir les esprits, on se seroit 
abandonné aux passions et aux erreurs avec 
lesquelles on éloit familiarisé. Peut-être que 
des intérêts opposés auroîcnt fait naître des 
querelles et des haines pernicieuses; ou du 
moins les lois-, peu d'accord cntr'ellcs, au 
Heu d'établir les principes d'un gouvernement 
régulier, n'auroient jeté dans une république 
informe que des semences d'anarchie et de 
despotisme. 

Si les Confédérés de Bar veulent servir uti- 
lement leur patrie , substituer la liberté à la 
licence, et se couvrir d'anc gloire immortelle, 
ils doivent dès aujourd'hui préparer les lois 
qu'il faudra présenter à leurs .compatriotes 
dans le premier moment où il leur sera^permis 
d'avoir une Diète libre. Ne doit-on pas espé- 
rer que , profitant à la fois et du souvenir des 
maux passés , et de la joie qui accompagne 



D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



DE rOLOGNÏ. g 

«ne prospérité nouvelle et long-temps atten- 
due, ils persiiadeTont et entraîneront tous le» 
■ esprits? Leur conduite actuelle, leur mérite, 
ce qu'ils auront souffert pour la patrie, tout 
•era égalcjncni propre à faire naître une fes- 
pèce d'enthousiasme favorable à leurs projets 
de réforme. Quelque fondée que sôii cette es- 
pérance , il faut cependant commencer dès 
aujourd'hui à préparer le succès que vous 
attendez. Ne perdez aucune occasion d'irriter 
vos ciioyens contre les violences et les injus- 
tices de leurs ennemis; que leur patience n'af- 
foiblissc point leur courage. Plus vous jugerez 
que les Polonais sont prévenus en faveur de 
leur gouvernement', et tiennent avec forcç 
à leurs préjuges et à leurs habitudes , plus 
il est nécessaire de publier de tetnps.eatemps 
quelques écrits pour éclairer votre noblesse, 
et la préparej aux changemens que vous mé- 
ditez. Après avoir attaqué avec adresse les 
erreurs auxquelles les Polonais sont le moins 
attachés , il faudroit prouver que tous les 
malheurs de la république tirent leur origine 
des vices de sa constitution ; et que vouloir 
la laisser subsister, c'est vouloir encore éprou- 
ver les mêmes désordres dont on se plaint : 
la même cause devant toujours produire le» 
mêmes eOfets. 



Dpi ..ci hy Google 



lO eu GOUVERNEMENT 

Quels que soient les règlemcns qu'on pro- 
posera aux Polonais , quelque salutaires qu'ils 
puissent paroître , je vous prie, monsieur le 
Cumte , de faire attention qu'ils seront inu- 
tiles , si l'on ne suit pas one certaine méthodtf 
dans ItL réforme qtie vous projetez. L'impoi^ 
tant est de commencer par où il faut en effet 
commencer. C'est une attention qyc nos légis- 
lateurs n'ont presque jamais eue, et c'est ce 
qui fait qu'avec les plus belles lois pour nous 
inviter et même nous contraindre à faire le 
bien , nous persévérons constamment à faire ' 
le mal. Vous ne Entrez point , si vous voulez 
proscLÎre en détail chaque abus, et personne 
ne lira votre code volumineux. Si par hasard 
on le lit, il excitera une révolte générale; 
car il n'est pas possible de renoncer subite- 
ment à son caractère pour en prendre un tout 
nouveau. Si voos remontez au contraire à, la 
source du mal , peu de lois vous suffiront; et 
quand vous aurci établi une sage constitution , 
elle servira de base à tous les régleracns sa- 
lutaires que vos besoins demanderont succes- 
sivement, et ou y obéira avec plaisir , parce 
tju'on en sentira la sagesse. 

Pour vous faire mieux entendre ma pensée, 
je vais vous tracer en deux mots 1 histoire du 
gouvernement et des mallic,Urs de votre patrie. 



nv7«jhyGt.)t>»^le 



DE POLOGNE. it 

Un peuple courageux, fier, indocile, jaloux 
de sa liberté , et tel qu'on peint les anciens 
barbares qui ont détruit rempire romain , 
Kc lasse des désordres de l'anarchie , et se 
fait un roi , ou un premier magistrat , auquel 
il a 1 imprudence d'accorder un pouvoir dont 
il étoit trop aisé d'abuser , et qui ne pouvant 
jjarconséquent s'allier avec la liberté des tujets, 
devoit exciter de toutes parts de nouvelles alar- 
mes , de nouvelles crainte^ , de nouveaux 
soupçons et de nouveaux désordres. Ce prince, 
suspect à sa nation , ne tardera pas à être re- 
gardé comme un ennemi domestique. Les lois 
mal combinées, qui avoïent irrité son ambi-* 
tion , séparèrent de plus en plus ses inté- 
rêts de ceux de la république , et dans cette 
dissencion civile le gouvernement fut sans au- 
torité, et les lois sans force. 

Le roi , qui distribuoit à son gré les dignités 
€C les domaines de la république , fut secondé 
dans ses entreprises pat tous ceux que l'es- 
pcTancc de la faveur et des grâces avoit cor- 
rompus; et la Pologne n'échappa au pouvoir 
arbitraire qu'en recourant plus souvent à l'usage 
des Confédérations : palliatif qui en rassurant 
les esprits , les accoutumoit à la guerre civile. 
Les voix furent achetées dans les Diètes; et 
pour empêcher que ces assemblées oc vcu- 



D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



13 DU GOUVERNEMENT 

dissent ia liberté de la nstion , on établît enfin 
le tibrrum veto ; c'est-à-dire, qu'un 6cul citoyen 
eut le droit de snspendre l'action du gouver- 
nement, et pour le sauver du despotisme , 
de le précipiter dans l'anarchie. C'est alors 
que chacun éprouvant qu'il n'etoit plus sous 
la protection des lois , tout devint intrigue, 
tout devint cabale , parti et faction. La Po- 
logne, incapable d'être heureuse au-dcdaiis , 
et toujours foibic parce qu'elle ne pouvoit 
léunir ses forces , fut sans considération au- 
deliOTS. LEaropc la compta pour rien ; ses 
alliés naturels, qui ne pouvoicnt en attendre 
aucun secours, la négligèrent ; et ses voisins 
auroicnt exercé depuis long-temps sur clic 
l'empire que la Russie a usurpé depuis le 
commencement de ce siècle, s ils avoient eu 
une ambition plus éclairée , ou que d'autres 
entreprises n'eussent fait une diversion favo- 
rable aux. Polonais, 

En dernière analyse , monsieur le Comte , 
tous les maux dont votre république se plaint, 
viennent deTanéanlissement de la puissance 
législative qui a été soumise aux caprices d'un 
nonce qui prononçoit le veto. Dès-lors il voos 
a été impossible de faire les nouvelles lois 
que dcmandoient de nouvelles circonstances 
et de nouveaux besoins , et , permettez-moi 



n,o,i7PcihyGt)C>»^le 



DEFOLOGNE. iS 

cette expression qui n'est que trop vraie , vous 
êtes restés dans votre ancienne, barbarie , tan- 
dis que vos voisins sortoîcnt de la leur. Pour 
comble de maux , vous n'aver plus même obéi 
à vos anciennes lois ; car la ruine de la puis- 
sance législative devoit entraîner la ruine de 
la puissance exécutrice. Comment vos magis- 
trats chargés de l'exécution des lois , n'auroient- 
ils pas abusé de leur crédit et de leur pouvoir 
pour ne consulter et ne servir que leurs pas- 
sions , puisqu'il n'y avoit plus une puissance 
supérieure qui éclairât leur conduite, et pût 
les réprimer ou les punir ? Tout Polonais fut 
donc ou opprimé ou oppresseur , suivant qu'il 
fut ou foiblc ou fort. Voulez-vous sortir de 
cet état déplorable , unir par un raèmc inté- 
rêt les citoyet^^ivisés , et vous faire respecter 
de vos voisins ? Commencez par établir . une 
puissance législative , et donnez-lui une force 
â'iaquellc rien ne puisse résister. 

Si les préjugés des Polonais sont tels, qu'il 
soit impossible de commencer la réform*"paT 
cette opération; ou si la politique de leurs 
voisins s'y oppose , parce qu'ils craignent que 
la république ne se corrige de ses erreurs , 
il est inutile , monsieur le Comte , de songer 
au salut de votre- patrie. On pourroit peut-être 
appliquer quelques palliatifs , mais ne comptes 



D,o,l7PCihyGt.)t)^le 



1,1 t)U GOUVERNEMENT 

Bur aucun remède efficace. Il y a enfin Dîl 
terme aux abus d'une nation. Les Polonais, 
éternellement en proie aux mêmes desordres, 
se lasseront enfin de défendre une ombie 
de république qni est à charge à tous les 
citoyens, et qui he produit que des despotes 
et des esclaves. Voire petite noblesse n'a rien 
à perdre par la révolution qui la ferott passer 
sous l'obéissance d'une puissance étrangère; 
peut-être même pourroit-ellc espérer d'y jouir 
d'un sort moins malheureux. Les grands doi* 
vent , il est vrai, conserver une république 
qui fait leur grandeur ; mais en la déchirant 
par leurs divisions, et en n'obéissant à au- 
cune loi , peuvent-ils se flatter de la voir long- 
temps subsister ? 



CHAPITRE II. 



Des moyens néceaaires pour êtallir une puissance 
'\vi , législative en Pologne. 



V. 



' OTRE république , dit-on , est divisée en 
trois ordres; le roi, le sénat, auquel il faut 
joindre les ministres ou les grands officiers 
de la couronne et du duché de Lithuanie , et; 
la noblesse. On ajoute que le pouvoir légis- 



Dpi ..ci hy Google 



DE F O L O G W e: 15 

latif résictc dans les trois ordres réunis en 
Diète. Ne pensez-vous pas , monsieur le Comte, 
que cette disposition egt vicieuse ?Ilme semble 
qu'au lieu de distinguer et de séparer d'une 
manière bien formelle et bien précise la puis- 
sance législative et la puissance exécutrice , 
votre politique n'est propre au contraire qu'à 
les confondre en les rapprochant; et ce rap- 
prochement nuit nécessaircraept à laciiqn de 
l'une et de l'autre , affoiblit on plutôt dé- 
truit leur force, et ouvre par conséquent une 
carrière plus libre à la licence. Si le concours 
et l'accord du roi , du sénat et de l'ordre éques- 
tre, sont nécessaires pour porter une loi , qui 
ne voit pas que le législateur sera presque tou- 
joursdans l'impuissance d'agir ? Les incérêts 
toujours differens de ces trois ordres, et lenis 
passions par conséquent toujours opposées , 
doivent mettre un obstacle éternel à la légis- 
lation. Quelle doit être la suite de cette inac- 
tion ?fièi abus qui , dès qu'ils seront multipliés 
â un certain point, braveront les lois et les 
forceront enfin à se taire. 

Je ne m'en liens pas là. Remarquez , je voua 
prie, que l'ordre équestre, ne pouvant être 
continuellement assemblé, doit perdre toute 
son autorité. Par queU moyens voudriez-vous 
que des gentilshommes, séparés les uns des 



no,-7«jhyGt.)t>*^le 



l6 DU GOUVERBEM^NT 

autrcj . et qui ne sont plus que de simples 
citoyens dès q^u'iii cessent d'être nonces , fus- 
sent en état de défendre la dignité de la na- 
tion et sa liberté contre le roi et contre des 
sénatcuri et des ministres qui sont revêtus 
d'une magistrature perpétuelle , et continuel- 
lement invités, par leur avance et leur am- 
bition , à abuser du pouvoir qu'on leur a 
coitiîé pour faire observer les lois ? C'est pour 
fi'opposer à cette conjuration du roi et du sé- 
nat, que votre noblesse, qui vouloit être libre 
sans avoir aucun moyen de conserver sa li- 
berté, a eu recours aux funestes ressources 
des Confédérations , de funanimilé dans les 
suffrages, et du libnum vtto. Aiusî, pour échap- 
per à la tyrannie, votre république est tom- 
bée dans la plus monstrueuse anarchie. 

Si mes remarques sont vraies , j'en conclus 
que la loi la plus importante et la plus néces- 
saire pour la Pologne , c'est celle qui assignera 
de la manière la plus claire à l'ordre équestre 
assemblé légitimemctit en Diète , toute la puis* 
sance législative , et qui ne laissera au roi et 
au 'sénat que la puissance exécutrice. Je vou- 
'tlrois qu'on déclarât de la manière la plus 
(uthentique , que le roi , les sénateurs et 
les ministres n'ont aucun droit de s'opposer 
aux résolutions de la Diète générale; et que 
l'espèce 

no,-7«jhyGt)t>*^le 



s» E r O L O G IK E. 17 

iVspèce d'hommage <]u'eUe leiii rend avant 
que de se séparer, n'est dans le fi^nd qu'une 
façon polie d£ leur coramaniquerlcs volontés 
de la nation, et les lois qu'ils doivent ob- 
server eux-mêmes^ en veillant à leur exécu- 
tion dans .tous les palatinats de la république. 
Après avoir donné à la Diète générale tous 
les droits de la souveraineté, c'est-à-dire, le 
pouvoir de faire de nouvelles lois , de changer, 
modifier et annullerles anciennes, sans que 
lien puisse résister à son autorité ; il faut 
songer , autant que le permet la dépravatioa 
{ictuelle des mœurs, à disposer de telle ma- 
nière la police, Iç régime et tous les mouve- 
mcns de la Diète, qu'elle ne puisse se servie 
de sa souveraineté que pour le plus grand 
bonheur de la nation. Pour proposer à cet 
égard les réglcmens les plus salutaire^s , il 
faudroic peut-être examiner les coutumes, les 
usager, les habitudes qui ont te plus contri- 
bué à faire naître les abus et qui sont les plus 
propres à les perpétuer. Mais sans entrer dans 
ce détail, je me bornerai à vous proposer quel- 
^ques vues générales, etlesplus indispensables, 
pour rétablissement ci la conservation du bon 
ordre. 

Je croirois qu'il est à propos de Bxer pour 
toujours le Wmps et 1< lien où la Diète s'as- 

Mably. Tome VIII. B , 

D,o,l7PCihyGt)C>'^le 



18 DU GOOVEItHEMENT 

semblera , sans avoir besoin d'être convoqués 
par un acte particulier. En conséquence dé 
celte loi générale, le roi ne publiera des «m- 
Pirritfux que quand it sera question d'assembler 
une Diète extraordinaire , soit poar délibérer 
sur les injures ou les hostilités d'un voisin, 
soit dans d'autres conjonctures importantes 
qui paroîtr'ont intéresser le salut ou la tran- 
quillité de la nation. La raison pour laquelle 
je demande la suppression des univenaux , c'est 
qu'ils ne sont que trop propres à causer nnc 
feimeni^lion dangereuse dans les Diétines an- 
técomitiales. Chaque palatinat s'accoutume 
à juger et à décider souverainement les af^ires 
dont la décision ne doit appartenir qu'aii corps 
entier de la nation. Les nonces reçoivent des 
instructions ou des ordres qui rendent leur 
ministère inutile. Ils doivent être opiniâtres, 
pour ne pas paroître infidelles ; et si leur Dié- 
(ine a tort, il ne leur est plus permis d'avoir 
Maison. Quand les palatinats ne seront point 
instruits des affaires qui doivent se traiter , 
ils ne pourront prendre aucune' résolution qui 
soit contraire au bien général, et leurs rcpré- 
senians ne' seront chargés que de leurs de- 
mandes particulières. Plus les Polonais sont 
portés par leurs anciennes habitudes et leurs 
artcien'B" 'préjugés à" i' anarchie , plus les réfor- 



n,o,i7PcihyGt)t>»^le 



t> E ? d L 6 G N ï. t'{) 

tnatenrs doivent s'appliquer à écarter tout ce 
qui peut aigrir Ou échauS'eF tes esprits. S'it 
s'agissoit de refondre le gouvernement de cer- 
taines nationâ lentes , dociles , timides et peu 
faites aux agitations de la liberté, il faudroit 
en quelque sorte irriter les passions , et mêmâ 
en donner de nouvelles. Mais c'est tout lé 
contraire qu'il faut se proposer en Pologne , 
parce qu'on ne passe point de l'anarchie à 
l'amour de la règle et de l'ordre par les loêmes 
Voies qui doivent conduire du despOtisitie à 
là liberté. 

Il me paroît tjue la loi qui fixe àujoturd'huï 
le terme auquel la Diète générale doit se sé- 
parer , est un reste de l'ancienne barbaiîe des 
Sarmates ; c'est, qu'on me pardonne cette ex- 
pression , vouloir étrangler loe affaires ; c'est 
les.,soustraiTC à l'examen de ia'puissance qui 
en doit décider; c'est demander des lois qui 
ne seront point publiées avec la sage lenteur 
qui doit les méditer ; c'est erfïpêclier qu'on 
Bc corrige les abus présens , et par conséquent 
c'est vouloir les multiplier;^ c'est enfin fournir 
aux mai-intentionnés et Aux înti-rgaiTs uri 
moyen de rendre la Diète inutile : «iar k force 
de ruses et de manège , ils pSrvieiidront ^ 
consumer en vaines déclamatlonEr un teinpi^ 
dcstraé à régler les aHaire». 

D,o,l..(ibyGOOgle 



■2T) DU GOOVIRNEMERT 

La di^tc générale sera coraposte des uonceS 
des trente-trois palatiuats ou pTOvîncee delà 
république. Pour imprimer à la . paÏBsancc 
législative la majesté qui lui est nécessaire, 
et lui concilier le respect et la confiance de 
la nation , les lois doivent donner aux nonces 
une certaine dignité qui leur apprenne à se 
res.pectcr eux-mêmes. Du moment qu'un n«nce 
est nommé , jusqu'à celui où il rendra compte 
de sa mission à sa Diétinc postco initiale , il 
scroit peut-être utile qu'il eût une marque 
distinctive qui le fit reconnoître. Pendant tout 
ce temps sa personne doit être sacrée et in- 
violable ; s'il est accusé de quelque délit in- 
digne de la qualité dont il est revêtu , la' 
plainte n'en sera portée qu'à la Diète mèœt : 
elle l'absoudra s'il est it^nocent; s'il est cou- 
pable, elle le renverra dans son palatinat , 
comme déchu du droit de Je représenter. S'il 
commet quelque violence ou quclqu'injustice 
qui mérite une peine plus grave , il ne doit 
être arrêté que pour être remis entre les mains 
du maréchal de la Diète , qui répondra de 
sapersonnc. Si ses pairs, c'cgt-à-dire la chambre 
des nonces , le jugent coupable , Us le dé- 
graderont, le dépouilleront des marques de 
sa dignité , et le renverront aux tribunaux ordi- 
naires pour y être jugé et pUDÎ selon les lois. 



DB POLOeNE. »t 

L» personne des nonces doit être irrépro- 
chable ; et tout gentilhomme flétri paï un ac^c 
de jiiaiice, ou convaincu de n'avoir pas obéi 
aux décret» des tribunaux, ne pourra remplir 
lies fonctions augustes de représentant de son 
palatioat. On ne sera point député à la Diète 
-en qualité de nonce avant Tâge de trente ans 
Accomplis. Il est difficile qu'avant cet âge on. 
QÏt acquis les connoissanccs nécessaires pour 
-participer à ta législation , ou t'estime et la 
considératioti dont il est à souhaiter que tout 
monce jouisse. Cette Loi déplaita aux iils de 
vos grands seigneurs , que la faveur fait non- 
-CBS avant qu'Us sachent ce que c'est qu'une 
république ; mais elle leur sera utile en pro- 
longeant leur éducation , et tlïe délivrera la 
répilbliquc de leur ignorance, de leur pré- 
somption et de leur eraporiemcnt. Tout nonce 
doit p08<édcr une certaine quantité de terre 
-dan* son palatinat , et n'exercera aucun era-' 
ploè domestique dans la maison d'un auire 
gentilhomme ou dans la régie de ses terres. 
Ce règlement est indispensable , parce qu'il 
est naturel qu'un possesseur de fonds prenne 
■plus d'intérêt à la chose publique que celui 
qui ne possède rien en propre. D'^aîUeurs , un 
homme qui est soumis aux ordres d'un maître , 
est indigne de porter un suffrage quand il faut 



Dpi ..ci hy Google 



SI nu GOUVERNEMENT 

décider des lois d'un peuple libre- Les Polo* 
pais croycni qu'un gentilhomme ne déroge 
pas en prenant un emploi (lonaestique ; j'y 
consens, Qu'il conserve le droit de porter son 
sabre; mais son ame est nécessairement avilie 
par la. bassesse dçs emploie a-u^quels il se 
déveuc. Il ne doit pas être permis d'çtre nonce 
à deux Diètes consécutives. L'objet de cette 
loi est d'empêcher que certaines personnes 
ne s'emparent de tout le pouvoir de leur Pa- 
latinat, et d'exciter une plu? grande émula- 
' tion entre les candidats- VoOlez-vpus prévenir 
les cabales et Jes intrigues de quelques familier, 
çt ne pas permettre qu'elles aient trop d'io- 
flucncc et de crédit dans leurs Diétines ? Pé- 
fjudez d'élire pour nonces deux gçntilshornmes 
unis par les liens du sang- 

Lçs lois dpnt je viens de parier préparent 
un succcs iieqreux, mais ne l'assureront point, 
51 elles ne sont soutenues et éiayces par d'au- 
irçs règlcmeni qui entretiennent la police la 
plus ej^acte dans vos Dièies. Ces grande^ 
assembléçs ne sont que (rop souvent sujettes 
à se laisser égarer par la grandeur même de 
la puissance qu'elles exercent, et qu'accom- 
pagne toujours une grande présomption; otf 
par les passions dont les hommes sont moiixs 
les maîtres à mesuie cju'ils traitent des afifaire* 



Do,T«jhy Google 



DE POLOGNE.- a3 

plus importantes. Vos Dictes polonaises , mon- 
sieur le comte , ont besoin d'un régime d'au- 
tant plus sage, que jusqu'à présent elles ont 
tK troublées par des querelles, des injure» 
et deS' violences, qui ont dû faire naître des . 
haines et des vengeances toujours ennemies 
du bien public. D'ailleurs, les anciennes ha- 
bitudes, les ancien nés erreurs, les anciens pré- 
jugés ne seront point subitement détruits par 
Ja loi qui aura conféré à la Dieu.- générait 
la puissance législative ; et si on ne travaille 
pas à les afFoiblir par d'autres lois , ils ne 
tarderont pas à rendre votre réforme inutile. . 
Perinetteï-moi donc d'entrer encore dans quel- 
ques détails qui pourront paioître minutieux, 
à quelques personnes , mais que je crois trcs- 
ûnportans. 

Je voudrois que chaque palatinat envoyât 
un nombre égal de députés à la Dicte , de - 
façon cependant qu'elle ne fût composée que 
de six à sept cents nonces tout au plus. Elle 
pourroil alors suffire à l'examen de toutes 
les affaires, et ne courroit cependant aucua 
risque de dégénérer en cobue. Je désire qu'on 
ne compte pas les voix par nonces, mais par 
palatinats : c'estun moyen qui pçutêtrc propre 
à prévenir Içs intiigucs, les cabales, la cor- 
roption çi la. vénaliié. Chaque province deïi- 
B4 

D,o,i..cihyGoogle 



94 Dtf eO'UVfeKN'EMENT 

bèrçroît à part snt chaque affane , et chargerait 
le président ou le syndic qu'elle se serote 
feit, de porter son vœcu i la Diète assemblée. 
Les fonctions de ce piésidenï seront de main- 
tenir l'ordre dans les comités panicrïtiefs de* 
païatinara. Il aura droit d'imposer silence; i' 
arrêtera les qirercïles trop vives et aur* même 
le ponvoir de suspendre pour qnelqttc tempï 
lïn norrce de ses fonctions. Qoand ta Diète 
sera assemblée , son maréchal aura; la même 
sutorité. Si un nonce porte l'onbli de ses 
devoirs jusqu'à mettre U sabre à la main ^ 
il doit être déclaré coupable (fc Icze-mnjcsté, 
pnisqu'il a violé le respect dû à la paissance- 
souveraine , et attenté à !a liberté de la nation ; 
il a voulu substitaer te droit de la force au 
droit de la justice et de la raison. Je prie de 
remarquer combien il importe à un peuple 
libre, mais qui pendant long-temps a confondu 
la liberté et la litcnce , de s'accoutnmcr à 
l'esprit de modération , de justice , d e retenue 
et de patience, je donncrois d'autres conseils. 
k une nation , qui, désirant d"ètre libre, ne 
connôîcroit pas la liberté , et auroit plus be- 
soin d'être' excitée que ralentie dajïs ses mou- 
vcmens^ 

Après avoir fait l'onvctture de la l>ièle par 
rélecûon d'an-ntaréchal , on lira p'abliquemcrtc 



HE ïOLOGNi. a5 

tes lois fondamentales ; et toas les nonces , 
renant la main sar révangite, prêteront ser- 
ment de les observer , et répéteront ce mêrac 
serment au nom de leur palatînat. On com- 
mencera ensuite à traiter des al&îres : on 
mettra d'abord sur le bureau les demandes, 
remontrances OU mémoires présentés à la 
tïîète par U roi et le séoai. Après les" avoir 
Iiis publiquement , on chargera un comité 
composé de deux nonces de chaque palatinat, 
de les examiner, pour en rendre compte i 
ïa Dièee. On formera q*uaïte autres comités 
composés chacun d'un nonce de chaque pala- 
tînat , pour faire l'examen des propositions 
ou demandes que chaque provwlCc sera en 
droit de fafire à la Dréte. Pat cette méthode 
de procéder , it me semble qu'on ménage îa 
dignité de la puissance exécutrice et des Dié- 
tines , et qu'on les obtige cependant de recon- 
poître la supériorité de lapuissance législative, 
qui sera en même-temps éclairée par les lumières 
du roi, du sénat et des Diétines. 

Les présideris des dïfFércns comités dont 
je viens de parler seront nommée par te ma- 
l'échal de la Dièle. Quand un comité aura 
fait son rapport aux palatinats assemblés , il 
le déposera dans le greffe de la Diète avec 
les pièces Qu Fes dera:\ndcs qui y sont rcla- 



D,o,l7PCihyGt.)t)^le 



s5 DU COUVERNEME.NT 

lïvcs, et on les communiquera aux nonces 
Ijui en voudroni prendre une connoissance 
plus patticulicrc. Huit jours après, on déli- 
bérera sur la loi proposée, ei il sera permis 
à chaque nonce de 1'a.Haqucr oudcla défendre 
selon ses lumières et le mouvement de sa cons- 
cience. Chaque patatinat ensuite s'assemblera 
séparément pour former son avis. On laissera 
tncorc écouler huit jours : alors on ira aux 
vQÎx , et à la pluralité des suffrages » là loi 
jera rejetée ou publiée solennellement. Je 
fftultiplie les comités f parce qu'ils sçntprapres 
à faire naître et étendre les lumières. Je de- 
mande des formalités lentes , parce que le^ 
Polonais en ont besoin , et n'y sont pas assez 
acco-utumés. D'ailleurs , chçL les peuples les 
plus libres , l'entliousiasmc , l'engouement et 
la précipitation sont, après la corruption et 
ia vénalité, les ennemis les plus redoutables 
de la liberté. 

Q^uelqu'arrangcmcntqu'onfas&cponr établir 
tu Pologne une vraie puissance législative, 
je le dis, monsieur le Canuc , sans crainte 
«le me tromper , tqute réforme deviendra inu- 
(ilc, si le ïi'ifrawj i/dï subsiste. Les Polonais , 
dit- on, le désapprouvent, le, blâment, le con- 
(lamnciU, et par une de ces contradictions de, 
l'esprit humain qu'on uouvc par-tout^ ils y 



hyGt)t>^le 



DE TOLOCKS. 97 

■«ont prodigieusemaoi attachés. Puisque les 
■Confédérés de Bar seront forcés de ménager 
k cet égard les préjugés publics , ne pourroicnt- 
iis pas . tenter de délruirc le veto, en faisant 
semblant de le, respecter, et l'attaquer indi- 
rectement en portant dce lois qui en préparc- 
roicnt la ruine ? Il est facile de démontrer 
combien k loi de J'unaniraité <st absurde. 
JN'cst-il pas insensé d'espérer que six. ou sept 
cents hommes qui ont des passions différen- 
tes, «t qui n'ont ni les mêmes connoissances. 
ni la même étendue d'esprit auront cependant 
les mêmes vues et les mêmes opinions ? Il est 
encore plus aisé de faire voir combien le vtti 
est contraire à la liberté , puisqu'il peut faire 
de chaque citoyen un despote qui gêne «i 
ppprime la vQlonté générale de la nation, 
Jl faudroit commencer dès aujourd'hui à 

publier cette doctrine datjs voire patrie : elle 
ne détruiroit pas entièrement le préjugé , mais 
clic i'affoibiiroit , et préparctoît les esprits à 

. entendre bientôt la vérité avec moins de ré- 
pugnance. Dans te moment de la réforme, 
pn pourroît peut-être établir que désormais 
le veto n'aura lieu que quand tous les nonces 
d'un palatinat le prononceront d'tme voix un^- 
Tiime. Certainement je vois tout le mal qu'il 
y a à pçnuçttrç qu'un palatinat s'oppose 41 



D,0,l7PCihyGt)t5^le 



aS DU COL'ViînNESlENT 

la volonté de tiente-dctix provinc». C'est une 
absurdité ; maïs que faire ? Quand an légis- 
lateur trouve {levant Lui un obstacle iruurmdn- 
table , il s'arrête , et dit avec Sc4on : si je ne 
vous propose que des lois imparfaites , c'est 
votre faute ; pourquoi n etes-vous pas capables 
d'en recevoir de plus s&ges ? Ce qui peut con- 
soler dans cette occasion , c'est qu'il sera 
très-rare que tous les députés d'un palatinat 
concourent unanimement k prononcer le veto. 
Si on le craint ditns quelques circonstances, on 
pourra imiter la conduite des patriciens dé 
RotBc , qui (rattoient ivec quelque tribun du 
peuple; pour l'engagera meitr» lui-même op- 
position aux lois que vouloieut porter ses 
collègues. Je n'aime pas que l'intrigiie devienne- 
un ressort du gouvernement; mais dans cette 
occasion elle sera , pour ainsi dire , puri- 
fiée par l'amoUr du bien public qui l'aura, 
conseillée. 

L'usage du liberum veto s'est formé insen- 
siblement et sans le secours des lois; il faut- 
espérer que , sans le secours d'une loi expresse ^ 
il tombera insensiblement en désuétude. Tou- 
tes les parties du goUverneirwnt polonais ont 
éié jusqu'à présent si mal disposées, si peu: 
faites les unes pour les autres, et si peu ca- 
pables de pïodwirc l'effet q^u'on en aUendoit » 



D,o,l7PCihyGt)C>'^le 



De ï û i^ o g. n e. ■ cg 

K)\ie la république auroit perdu vingt fois sa. 
liberté , si un seul citoyen n'eût pis été en 
droit de la sauver, en s'exposant seul au tor- 
rent de la corruption cl de lavénalixé. Com- 
ment auroit-cllc pu résister à un prince qui 
disposoit arbitriîrctncnt des dignités , des hoti- 
fieuîs et des domaines delà Pologne? Après 
la réforme que méditent les Confédérés , et 
qui ne peut réussir qiî'cn ôtant à la couronne 
«es principales prérogatives, la liberté , assise 
sur des foDdemens naoins fragiles , se soutien- 
dra par elle-même. Les vices qui jusqu'ici ont • 
rendu le v€to nécessaire ne subsistant plus , 
on sentira moins la nécessité d'y recourir ; 
et votre postérité qui bénira votre mémoire. 
ne comprendra pas un jour comment vos pères 
ont pu aimer une erreur dont on ne trouve 
l'exemple chez aucun autre peuple. 

En attendant cette heureuse réyolutîon , le» 
Cc«fédérés doivent tout tenter pour établir 
que l'opposition d'un palatinat ne pourra sus- 
pendre et proscrire que la loi dont il ne pei- • 
met pas la publication. Voilà, si je ne me 
trompe, tout cç que peut désirer l'homme le 
plus euitté cl le plus opiniâtre , s'il lui reste 
quelqu'ombre de raison. Pourquoi faut-il que 
le' veto ait le pouvoir de dissoudre une Diète , 
et de rendre nulles tou=s les lois qu'on y 



no,-7«jhyGt)t>*^le 



Sa DU COUVERNàMÊNT 

auroit ponces jusqucs-Ià d'un conscntetncné 
uniininie ?J'ai btcn peur, monsieur le Comte, 
que les Confédérés n'aient beaucoup de pcifui 
à faire goûter quelques principes raisonnable^ 
sur cette raaûèrc. Plus les «rreurs sont gros- 
sières, plus on y est attaché; fîeut-êtrc que li 
sottise qui les a fait adopter rend incapable 
d'y renoncer. Des hommes quî de regardent 
pas comme uft crinic de haute trahison , dtf 
suspendre dans ses opérations la puissance' 
législative et de l'anéantir, des hommes quî 
ne savent pas que cette puissatïce est t'amC 
du corps, politique, ne me paroisScnt guère 
disposés à recevoir la vérité. 
■ Ce que j'ai dit du veto , il faut le dire des 
Confédérations qui il'ont été avantageuses aux 
Polonais, que parce qu'ils avoicnf un gouver- 
nement monstrueux : c'est un vtte qui a scrvî 
à.c palliatif à un autre vice. Combien de fois 
ïi'auricz-voas pas perdo votre liberté, s'il né 
vous avoit pas été permis de faire des ligues 
en sa faveur , et de la conserver les armes à 
ia main ? Mais c'est un grand ma! qiic d'avoif 
besoin d'une pareille ressource contre U pou- 
voir arbitraire; et la Pologne ne sera heureuse 
que quand des lois raisonnables lui auront ap- 
pris à s'en passer. Les Confédérations flattent 
»gréablcmcnt vos grands- seigneurs- ; ctleJ 

D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



îîE pOloCne. 3i 

oîtrent je ne saisquellc idée de souveraineté qui 
plaît à leur orgueil ; et je sais que l'orgueil 
des grands n'entend point raison. Votre sa- 
gesse vous prescrit donc le silence à cet égard. 
D'ailleurs voire petite noblesse , qui peiu-être 
n'est pas fort exercée à raîîonncr sur les objets 
politiques , trouveroit sans doute étrange et 
même ridicule , que les Confédérés de Bat 
qui ont sauvé la république pat leur heureuse 
association , voulussent condamner par «ne 
loi expresse leur propre conduite. Vous devez 
donc voiis contenter d'établir des ptinciptj 
assez sages de gouvernement, pour qu'on ne 
sente plus la nécessité de faire des conjurâtîunS 
et de prendre les armes pour venir au secours 
de la patrie. 

Je vous prie de remarquer , iQDQsieiit ifl. 
Comte , que votre anarchie seule a donné 
naissance à vos Confédérations , et que leur 
sort est lié à celui du vélo. Dès que ce Tcdou* 
table vélo a dissous la puissance publique «t 
suspendu l'actioo du gouvernement , il est 
nécessaire , il est indispensable que pour venir 
au secours de la patrie , une Confédéiaiion 
se mette à la place des lois et des magistrats 
qui ont perdu leur pouvoir. Mais^ si vous- 
avez le succès que vous déaircz, si vous par- 
venez à faire asseï respecter l'autorité législative- 



D,o,l.^cihyGtX>gle 



33 DU COgVER&lEMEKT 

pour conicuir dans le devoir -les mauvais cU. 
toycns et ne laisser aucune alarme aux hoa- 
i]ètcs gens, soyez tûrs que les .préjugés des 
Polonaisnesubsisterontpas long- temps. Moink 
. on sera intéressé à se liguer, plus le souvenir 
des Confédérations s'aHbiblira. Dans le calme 
de la paÎK les esprits s'éclaiicront, et sans ef-, 
fort on parviendra à connoître que les homme» 
ne sont pas réunis en société pour se faire la, 
guerre ; de nouveaux Confédérés , s'il s'en 
forme, ne passeront que pour des perturba- 
teurs du repos public. 



CHA.PITRE III. 

De U discipline et de tordre iei Diitina , rtXa- 
tivement à la puissance législative, 

X^£S lois et les arrangcmcns dont je vleo^., 
aïoosienr. d'avoir l'iionncur de vous entre- 
tenir, au sujet de la Diète générale, seront 
observés ou négligés , suivant qu'on prendra 
des mesures plus ou moins efficaces pour éta- 
blir une sage police dans les Dtétlnes. Que 
scrviroit en effet d'avoir ordonné qu'il y çùt 
désormais un législateur dans la icpublique , 
auquel tout doit obéir , si on ne parvenoit 
pas 



■D,o,l7PCihyGt)t)'^le 



DE rOLOGNE. 33 

{>as à détruire dans les provinces reEptitdlo-^ 
dépendance et d'ansichie qui y lègne , et 
dont , au rapport de quelques-uns de voi 
compatriotes , elles sont extrêmement jalouses ? 
Vous verrÎÉt bientôt s'écroulci l'édifice qua 
vous auriez élevé; et -votre législateur , {>arâ 
des plus beaux titres, mais les plus vainit, nei 
fcroit bientôt que des lois auxquelles personne 
n'obéiroit. . ' 

Le» Pplonais ne dtnvcnt donc s'attef«îre a 
aucun repos , à aucune prospérité durable , 
si les Diétioes ne s'accoutument à rcspé-ctet 
la Diète légi^ative et à ca aimer l'autot-ité. 
Voilà le but que doivent se- proposer- les 
léformateurs ; et ils y ^parviendront, non'pas 
en diminuant les droits et les prérogatives 
des Diédnes, pour atigmenter le pouvoir' dé. 
la Giéte , mai^ en leur assignant' d«s fonctions 
Çt des. devoirs qui leur soient chers, et qui 
les associent à l'administration générale de la 
république. Relevez leur dignité ; elles seront 
moins inquiètes , moins turbulentes, moins 
agitées , à mesure qu'elles sc . croiront pins 
libres. Pour les disposera oiiéitïvec exactitude 
auX'lois , ordonnez quleltès. en, soient les dé- 
positaires ; qu'elles aient la libertéïi'expofiet 
par IcOTS nonces Lie' projets qu'elles croiront 
Ici plus utiles à la pairie. ElUia;**ifftJDi d» 
Mably. Tomf VUI. G 

no,-7«jhyGt)t)*^le 



34 DU COUVESNEMtNT 

près les besoins de chaque palaûnat; et sans 
leurs lumières et leurs secours , la puissance 
législaùvc Ht pourroit jamais , dans un pays 
aussi étendu que la Pologne, s'acquitter que 
bien imparfaitement de ses devoirs. Si vous 
prétendez gouverner vos provinces par des ma*- 
gistrats particulieis , ils abuseront de leur cré- 
dit ; et votre noblesse indocile les regardant 
comme ses ennemis , haïra la puissance dont 
ils dcront les ministres. Voulez-vous qu'on 
respecte les loi» ? que vos Diétines soient elles- 
mêmes chargées du soin de les faire observer ; 
quand elles seront assemblées, qu^elles soient 
le suprême magistrat de leur palatinat, et que 
lenr censure répare les injustices et prévienne 
les négligences. Il me semble que je vois résul- 
ter de cet arr^gement une confiance favo- 
rable au bon ordre , et le bon ordre lui-même 
établira de jour en jour un lien plus étroit 
entre la Diète générale et les Diétioes partie 
c.uliéres. 

Je désircrois qoe les Diétines antécomitiales 
s* {^semblassent dans un lieu et à un jour mar- 
qués , sans convocation , et sur-tout sans 
universaux , qui, je l'ai déjà dit, ne Seroîent 
propres qu'à causer des disputes , des querelles 
et des divisions. L'ouverture s'en doit Faire nn 
jnois avant le jour décidé ponr l'ouvettarc 



D,o,l7MhyGt.)t>*^le 



D K f X» L O ti N Si 35 

jàc la Diète générale. Plus le terme de ces ' 
assemblées sera court, plus les cspùts seront 
disposés ànégligetles questions inutiles;. Après 
avoir créé un maréchal , on procédera au choix 
des nonces , et on dressera ensuite leurs ins- 
tructions. Il TOC^ semble qtie,:pour. celte opôra*- 
lion, il scrçit ^lèa-ifnportaiH que les.Dîétin'cl 
sç partageassçni en differens btireauxpucoirtî'' 
lés ; on dira que c'ost pour expédier plus prompt 
«ment un plys-gfand nombre'4'8fi&iï'e3;:et ce 
sera en cSetpotir cmpêcheirqucettGâùoiqblécs 
ce dégénèrjint en cohues. ; ': .; 

Dans le moment de la réforme , il sCToit^ 
je crois t dai)gerct:rx de vouloir iiitcrâîre levelo 
d.aos les Diétinçy. Il-y ^ appareoce'^ué cetls 
npblesse igno-tailtc et nombr£ust t'-4"> ^ droit * 
de suffrage, ne le sôiitfriroit pas. Si on ncm's 
p,as trompé , elle se croiroit offensée, elle se 
croiioit dégradée pa): cette défense : n'espérant 
point d'être députée à U Diète législative, elle 
voudrait , pour conserver elle-même sa prénui'- 
diie digoicé., conserver aux Dîétincs l'indé' 
pendance , l'iadocilité et l'anarchie , qu'elle 
regarde comme anc marque et une preuve de 
leur puissance. On pourroitpcut<étrê reatreiâ- 
dre le veto des Dié[ines , et le soumettre atuc 
mêmes cpn^iÙPAS que celui de U Diète séné- 
C 4 

. n,o,i7PcihyGt)C>'^le 



S6 DU GOUVEItNEMENT 

raie, c'est-à-dire , rcfujcr aux particuliers le 
droit de le prononcer , et ne l'accorder qu'aux 
comités. Mais , sans s'expliquer sur un objet 
qu'il est si dangereux de traiter, ne pourroit- 
on p» faire oublier le vtio en le rendant inu- 
tilt ? On y réussiroit peut-être tn portant une 
loi qui ne peimettroit de mettre dans les ins- 
tructions des nonces que les demandes ou 
les propositions auxquelles personne ne se 
seioit opposé ', et qui autorifcroit cependant 
tout gentilhomme à y joindre les articles qu'il 
jugeroit à propos , et aox^quels iL mettra sa 
■ignatare. 

Si une Diétineantécomittate se séparoitavant 
d'avoir éht ses ndnces' et dressé ses Instruc- 
dons, il faudrait quclcs principaux officiers 
du palatinat fussent autorisés par la loi à tes 
Tcprésenter dans ta Diète législative , qui par- 
là seroit toujours l'assemblée générale de la 
naûon , ei conserveroit une égale autorité snr 
toutes les parties de la république. On me 
dira .sans doute que les officiers des palatinats 
seront intéiescés par cet établissement à dis-* 
•oodre les Diétines pour s'emparer de leur au- 
torité ; mais je répondrai que la petite noblesse 
ne tardera pas à s'apercevoir de cette intrigue, 
et que pour conserver sa .voix , la contMé-' 



Do,T«jhy Google 



DE rOLOOIfK. Sj 

ration et 3o,n crédit , elle piendra le parti, 
sans recouric 2U veto , de procéder à l'élection 
des nonces. 

Vous m^avcz fait l'honneur, mpnsicQT le 
Comte , de me parler de plusieurs abus auto-> 
risès par un long usage , et qui ne vous permet- 
tront pas d'établir une bonne police dans les 
Diéûncs. C'est un mal , j'en conviens , qne 
des gentilshommes , dont la noblesse est équi- 
voque, qui n'ont aucune possessioI^, on qui 
sont attachés au service de quelque seigneur, 
aient droit de suffrage dans les assembléei 
de leur palaiinat. Mais que la Pologne seroît 
heureuse , si c'étoit-là le plus grand désordrs 
auquel elle dût remédier. Si les Confédérés de 
Bar veulent que cette noblesse indigente' et 
douteuse dont votre patrie est peuplée , ne 
puisse assister aux Diétines , que vouleï-voni 
qu'elle devienne ? que lui restcra-t-il ? Si vous 
voulez achever de l'huroilicr , ne devez-vous 
pas craindre son désespoir ? Je vous prie de 
faire attention que, dans nn pays où les gen- 
tilshommes seuls forment la nation , îl seroit 
tréï-dangeieux de séparer les intérêts de cotte 
petite noblesse de ceux de la république. Vous 
perdriez des citoyens dont la pauvreté vous 
est 3 charge, mais dont le courage, l'indus- 
trie et les bras peuvent vont devenir' utiles. 
C3 

Do,T«JhyGOOglC 



4° DU GOUVERTÎEMENT 

quoîqu'avtlie , c'cst-à-dirc , insolente , qui se 
venge sorle peuple de l'humiliation avec la- 
quelle elle se prosteTn& aux pieds des grands 
qu'elle hait ; pleine de ses anciens préjugés , 
qui ne connoît aucun des devoirs du citoyen , 
et qui est répandue dans toutes vos provin- 
ces. Si la république , ainsi que je respêic , 
secondée des forces de la Porte , a des succès 
qui la mettent en état de secouer le joug de 
ta Russie et de refondre son gouvernenaeni , 
ne faut-il pas s'attendre que toute cette no- 
blesse , qui vote aux Diétines , et n"est quelque 
chose que parce qu'elle vit dans l'anarchie , 
sera plus fière que jamais, aimera davantage 
■es vices , et sera plus dispgsée à se moquer 
de la sagesse des réforniatears et de leurs pro- 
jets , qu'à obéir à des lois nouvelles ? 

Les Confédérés de Bar, qui se préparent 
à présenter à la république tin nouveau plan 
de gouvernement, doivent donc se hâter len- 
tement. Je suis bien long sur cet article , 
monsieur le Comte; et si cet écrit n'étoic fait 
que pour vous , j'aiirois abrégé mes tristes 
réflexions. Mais il passera, selon les apparen- 
ces * dans les mains de quelques citoyens ver- 
tueux qui pourroienl être les dupes de leurs 
bonnes intentions , si on ne les avertissoit 
pas de s'en défier. S'il en étoit besoin ,'jd 



n,o,i7PcihyGt)t)^le 



DE POLOGNE. 4I 

VOUS citernis ici , je ne sais combien de gens 
de bitn qui , faute de politique , ont fait plus 
de mal à leur patrie par un zèle indiscret que 
beaucoup d'hommes méchans dont le nom 
est déshonoré, Que les Confédérés ne songent 
donc pas à mecirc la dernière main à l'ou- 
vrage diont ils ne sont destinés qu'à jeter les 
fondemeps. I eur réputation n'en souffrÎTapas; 
et la postérité, qui leur devra ses lumières , 
découvrira sans peine que son bonheur est 
i"ouvrage de leur circonspection. Nos pères , 
dirart-on un jour, n'écoicnt pas' capables de 
l'élever subitement jusqu'au plus haut degré 
de perfection où nous son^mcs enfin parvenus. 
Bénissons la mémoire dfes grands hommes qui 
nous ont montré le but auquel nous d<;vions 
atteindre , et qui nous ont mis dans te che- 
min qui devDÎf nous y conduire. 

Ne devant point y avoir de terme fixe ponr 
la clôture des Diètes générales ," on ne peut 
assigner un jour pour Vouverture^des Diétinei 
postcomitialcs ou de relation. Oq sera instruit 
d'avance dans la capitale, du temps où ras- 
semblée législative se séparera , et on peut 
laisser aux nonces le soin d'informer leur 
palatinat du temps qu'ils i'y rendront : 
les officiers des provinces convoqueront en 
conséquence les Diétincs. Lis nonces rendront 



. no,-7«jhyGt)C>'^le 



i(S DU GOUVERNEMENT 

compte de leur conduite , et requerront qob 
les nouvelles lois soient enregistrées d»ns le 
greffe dupalatjnat. S'il s'élève quelque contes- 
tation au sujet de cet enregistrement , on éta- 
blira des comités pour eiamtner les points 
débattus; et dans le cas où l'un d'eux opi' 
neroit d'une voix, unanime à rejeter une loi, 
il seroii réglé qu'on procéderoit à un second 
examen dans la prochaine Diétine antécomi- 
)ialc. Si alors la même opposition subsistott 
encore, le palaùnat fcroit des remontrances à 
la Diète législative. L'ctpéran,ce qu'on aura 
d'obtenir la suppression de la loi dont on se 
plaint , ou de la faîrç modifier , empêchera les 
esprits de se livrer à u% emportement qui bles- 
seroit la majesté du législateur. Cependant 
il se présentera de nouvelles afiâires ; distraite 
par de nouveaux soins , une Diétine se sou- 
mettra insensiblement à une liû^dont elle ne 
demandera plus la révocation avec la même 
chaleur. Le gouvernement acquerra des forces, 
etl'us^ge des protestations s'alFoîblira à mesure 
que le temps , les lois et l'usage rendront le 
législateur plus respectable. Tant que le nou^ 
Tcau gouverpcment pourra craindre «devra 
ménager les erreurs et les préjugés nés sous 
l'ancien , il doit par sagesse plutôt prïef qu'or- 
donner. Si une Diciinc iniiaiiablc l'obstinoit 



D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



DÉ r O L O g' N E. 45 

a rejeter one loi, il vaudroit encore mieux 
consenûr ^ n'y pas soumettre son palatinat, 
que de prendre le parti rtgoureux de l'acca- 

V bler sous le poids de Tautorité publiqne. Dans 
ce? circonstances il faut se garder de ne pas 
agir avec la bonne-foi la plus religieuse; le 
législateur se décricroit s'il avoit recours à l'in- 
tiigue. Attendez que l'expérience éclaire le» 
esprits prévenus : si par quelqu'adresse ou 
quelque clause insidieuse , le législateur veut 
se préparer des moyens de revenir sur ses 
pas , il n'aura travaillé qu'à rendre la Diétine 
plus attentive à ce qu'elle croit son intérêt, 
et son opposition lui deviendra plus chère. , 
Je sens combien il est avantageux que tontes \ 
les provinces d'un état aicn^ le même droit , i 
les mêmes lois et les mêmes coutumes : mais 1 

\ ce bien, quelque grand qu'il soit, ne doit pas 
être acheté aux dépens de la tranquillitd pu- - 
blique ; et moins encore eu ébranlant la pois- 
&ance législative , sur laquelle repose le salut 
de la patrie. 

Pour empêcher que les Diétines de lelation 
ne s'arrêtent à chicaner opiniâtrement leiTrs 
nonces et les décrets de la Diète législative, 
il seroit à propos , je crois , de présenter à 
ces assembléesi provinciales des objets inté- 
icssans , qui actireroicni et fixcroicnt leur aP- 

no,-7«jhyGt.)t>*^le 



44 DU. GOUVERNEMENT 

teiition. Ne réussiroit-on pas en ce point, sî 
on régloit que cinq ou six jpurs aptes que 
les nonces anroicnr rendu compte dcleur mis- 
sion , la Diétine postcomitialc se changcroiC 
en Diétine qu'on appelle boni ordinis , de bon 
ordre ? C'est dans ces dernières Diétines qu'on 
règle les comptes particuliers du palatinat , 
qu'on reçoit les impôtsde ses commis, qu'on 
statue sur tous les besoins, qu'on accorde des 
secours aux citoyens pauvres, et qu'on récom* 
pense ceux qui ont lendu quelque service im- 
portant. Il me semble donc qu'on peut s'en 
servir utilement pour distraire la petite no- 
blesse des soins qui concernent la législation. 
Les affaires dont je viens de parler , et qu« 
traitent les Diéiincs de bon ordre, touchent 
et intéressent des gentilshommes obscurs ,' 
d'tine toute autre manière que des lois 
générales , dont ils sont souvent incapables 
de connoitre l'esj^ii : il faut donc leur laisser 
s cet égard la plus grande liberté. On dit 
qn'il s'est introduit dans ces assemblées plu- 
sieurs abus , fruits de la cabale et de l'intri- 
fufr. Je croirois que le législateur doit les 
tolérer s'ils n'attaquent pas Ici parties nobles 
et essentielles de la société ; d'ailleurs , ils s'af- 
foibliront 'insensiblement, à mesure que des 
lois plus sages apprendront aux Polonais à 



D,o,l7PCihyGt.)t)^le 



DE rOLOONZ. 4$ 

Ȕmcrle bien public. Je voudrois en quelque 
sorte qu'on atiendît pour réformer ces vices 
des Diétioes , qu'elles ei^ sentissent les incoO' 
véniens , qu'elles demandassent elles-mêmes 
Ou du moins désirassent «ne réforme. Si elles 
tardoîenttropà s'apercevoir de leurs besoins, 
on.pourroît se servir de quelques bons ci^ 
toyens pour leur ouvrir Icî yeux. A l'exception 
de quelques homnics- inquiets , mécbans et 
séditieux , qui ne peuvent rien espérer que dans 
ia lictnce elle trouble, Tamour-propre per- 
suadera aux autres qu'ils ont tout à espérer de. 
rétablissement du bon ordre , et qu'une règle 
dictée par la justice sera favorable àr leur mé- 
rite et à leurs services. 

Pour éviter la cohue , les clameurs et les 
querelles ,'si propres à conserver l'esprit d'anar-i 
chie qu'il vous; est si' important dé détruire, 
ilseroit très -avantageux que touCesles affaires 
fusseni préparées et d'abord discutées dans des 
comités : l'on ne doit négliger aucun nidyen 
pour en rendre l'usage familier. Que dans les 
délibérations on ne'donne jamais ^a voix par 
scrutin. Il faut accdutumer les citoyens à oser 
dire publiquement leur pensée; il y a; peu 
d'hommes assct effrontés pour ne pat rotigir 
en montrant ]ti bassesse de leurs seiitimeiis ,' 
nuis il y en a beaucoup qa\ ne aaVcnt pas stf 



Dpi ..ci hy Google 



V 



46 DU, GOUVERNE WENt 

xespecter quand ils n'ont qu'eux-mêmes pour 
témoins de leurs actions.' It seroit très-utile 
de partager chaque paUtinat en différentes 
tribus , différentes centuries ou différens dis-^ 
iricts^ dont chacun auroit son président od 
son syndic, et dont toutes les yoix ne forme- 
roient qu'un seul suffrage. 

Je terminerai tout ce' que je viens de dire 
sur la puissance législative , en avertissant en-^ 
core les Confédérés qu'ils écliouerout dans 
leur entreprise , ou du moins ne procarevont 
à leur. patrie qu'un bien faux, court et pas- 
sager,, s'ils n'emploient pas toute leur poli- 
tique et toutes Jes ressources de leur génie 
à établir solidement l'autorité du législateur ^ 
à la fairf respecter, et »ur-tout à la faire aimer. 
Quaad on a étudié les causes de la décadence 
et de la ruine des états , on ne peut se déguiser 
que ce ne soit à l'ignorance, àrla foîblesGC ou 
à l'ineptie de cette puissance qu'on doit attiin 
bucr tous les vices, toutes les erreurs, tous 
les préJDgés, toutes les calamiités qui ont dé-> 
sole la terre. C'est cette puissance q.ui est 
l'ame de la société. Je n'ai point étudié votre 
histoire, monsieur k Comte; mais ne suBit- 
il pas ^c connoître vos Confédérations ec 
votre vffo , pour être convaincu que vousêtcs 
^an; la plus parfaite anarchie.. Malgré les.ièr- 



Dpi ..ci hy Google 



Dt POLOGNE. 4<J 

^lemens que vous publîerex , attendez-vous à 
voir subsister encore^ long-icms les pièjugéi 
que vous voulez détruire. Telle est la fuiblesse 
de la raison dans la plupart d;es hommes,, 
telle est la force de Thabitudc , que votre 
esprit national , en 'Croyant faire le bien -, 
fera des efforts contînnels pour s'opposer à 
votre ouvrage. Si vous n'etpployez contre lui 
que la force , vons" l'irritcrcï , et il emploiera 
à son tour contre vous et là force ctli 
l'use : pour désarmer cet -ennemi, H faut ne 
lui opposer que des lois qu'il puisse et doivi 
aimer. 



CHAPITRE! Y. 

De la puissance exécutrice relativement au pour- 
voir législatif. 



JLl ne suffît pas, monsieur le Comte , pouf 
donner à la puissance législadve la dignité 
et l'empire qui lui sont nécessaires, de porter 
les lois dont je viens d'avoir l'honneur de 
vous entretenir. Quand la noblesse Polonaise 
établiroit dans ses Diètes et ses Diétines la 
forme que jfi désire , quand elle renonccroit 
zn velQ, qni lui est si cher , consentïroit 4 



D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



48 nu GOUVERNEMENT 

avoir des lois , et ne voudroit plue létablli' 
l'oidre et ta paU pat- des ConfédérationB , 
vous n'auriez encore fait que la moindre partis 
de la réforme que vous méditez. La puissance 
législative fera dea lois ; mais à quoi servi- 
ront ces lois , si les citoyens peayent désobéir 
inipUBémcot ? Elle est. donc obligée de créer 
dc!s magistrats , qu'elle charge du. soin- de 
veiller à l'obscfvation de ses ordres et de 
jjunir les dtlinquans. Il est évident qu'il 
faut donner 3 ces magistrats la considération 
et la force dont ils ont besoin pour s'acquitter 
de l'emploi difficile dont ils sont revêtus ; et 
c'est ce pouvoir que le législateur confère 
aux magistrats , que nous appelons la puis- 
sance exécutrice. Cet établissement exige de 
la part de la politique les pins grandes lu- 
mières et la prudence la plus consommée ; 
mais , par malheur , les circonstances ne lui 
permettent presque jamais d'exécuter les pro- 
jets que sa sagesse a méditée. 

Si la puissance exécutrice est ^tablic surdç 
savantes proportions , si elle est paitagée tf 
distribuée avec assee d'art entre les magistrats 
pour qu'ils restent soumis à la puissance lé*- 
gislative en même - temps qu'ils forcent les 
citoyens d'obéir religieusement auj^ lois, le 
i;oityeincnieii.t s^aâ^ecmira de jour en jour , et 
l'amour 

D,0,l7?dhyGt)O^le 



I> fe P O L O C N. E. ' 49 

Vamôur de la patrie donnera des moeurs. Eti 
connoissanc ses devoirs , Ift citoyen craindra 
d'abuser des vices et des irrégnUrités qu'on ' 
n'avoit pas d'abord pu proscrire : soos la pro- 
tection des lois , il jouira avec confiance de 
sa liberté , et La répnbliqne florissante pourra 
espérer et, se promettre une longue prospérité. 
Au contraire , si voas accordez anx magistrats 
un pouvoir assez étendu pour qu'ils en puissent 
abuser contre le citoyen , ou trop foible poux 
8C faire respecter , vous en verrez naître ,. 
monsieur le comte , les abus les plut dange- 
reux. Au lieu de protéger , les lois opprime- 
ront ; et dans, cette défiance où les magistrats 
et les citoyens seront les uns à l'égard des 
autres , l'étal toujours agité verra publier des 
lois auxquelles on n'obéira plus ; ou plutôt 
il verra que l3 puissance législative , bientôt 
avilie et dégradée, sera aujourd'hui le jouet 
d'un peuple insojent , et demain Tesclave 
de quelques mapsttats ambitieuxi 

Il suffit de réfléchir un moment sur la na- 
ture de nos passions , de coonoîtrc leur force , 
leur énergie , leurs ruses et leur adresse , 
pour juger que je ne prédis pas rfcs malheurs 
■ chimériques. Dès que les magistrats pourront 
éluder la loi , tromper la puissance législa- 
tive et être vicieux imponcment, espércz-voui 
Mably^Tmc VUI. ^ . 



6o DU GOUVERNEMENT 

qu'Us résisteront aux tentations de l'avance 
et aux charmes de l'ambition ? Si ces deux 
passions, en se- glissant dans Sparte et dans 
Renie , les ont perdues , quels ravages né 
feront-elles pas en Pologne ? C'est là mesure 
des droits et du pouvoir, que la puissance 
législative doit confier aux magistrats; c'est 
le partage de ce pouvoir en différentes maini, 
qui forme peut-être le problème politique le 
plus difficile à résoudre. Toute l'histoire n'est, 
qu'une preuve de cette vérité ; tantôt vou» 
voyez des peuples qui ont été malheureux, 
parce qu'ils nVnt pu se résoudre à donnera 
leurs magistrats assez d'autorité; tantôt vous 
en voyez d'autres qui ont été sévèrement 
punis pour les avoir rendus trop puisSans. Un 
peuple vous fait -il envier sa prospérité? je 
vous invite , monsieur le Comte , à remonter 
jusqu'à la cause qui l'a produite ; vous trou- 
verez sûrement des magistrats à qui il étoil 
impossible de désobéir aux lois qu'ils f^isoient 
constamment observer par les simples citoyens. 
Tout législateur doit partir de ce principe : 
qïle la puissance exécutrice a été , et ser^ 
éternel le meirt l'ennemie de la puissance légis- 
lative. Nos passions, et sur-tout l'avarice et 
l'ambition , qui «ont malheureusement deve- 
nues l'ame de l'Europe entière, l'ordonnent 
^nsi ; parce que ne devant jamais être con- 



DE POLOGNE. 5l 

tErttes de ce qu'elles possèdent, elles ne sont 
occupées que du soin d'acquérir ce qu'elles 
n'ont pas encore , et de satisfaire toutes les 
autres passions qui ontbcioîn de leur secours. ' 

Le plaisir que goûte le magistrat en jouissant 
de l'empire qu'il exerce sur les citoyens, le 
trompe, le séduit et le corrompt enfin, s'il 
ne se dit pas sans cesse que le pouvoir dont 
il est revctu ge lui appartient pas , et qu'il 
n'en est que le dépositaire. L'amonr même 
du bien a souvent fait illusion à la probité. 
Voulant servir l'état plus utilement qu'on ne 
doit et qu'il n'est permis , on se plaint des 
lois dont on est gêné ; bientôt on les hait , 
et en ne les . respectant pas , on invite ses 
.successeuT^i. les mépriser. Tout sollicite donc 
la puissance exécutrice à secouer le joug dé 
la puissance législative : elle le secouera in- 
dubitablement , si on ne donne pas à chaque 
magistrat des collègues intéressés par leurs 
propres passions \ à s'opposer aux projets de 
l'ambiûon ou d'un zèle indiscret pour le bien ; 
et qui en s'examinant mutuellement , tem- 
pèrent et contiennent le pouvoir dont ila 
jouissent. Cela ne suffit pas, et la puissance 
législative sera nécessairement dégradée , s* 
les magistrats jouissent a^sez long-temps de 
leur pouvoir , pour s'abandonner à l'cspérançé 
D 3 

'' Do,T«JhyGtK>gle 



Sa DU GOUVERNE M'K N T 

de le conserver toujours. Ces principes me 
paroUsent certains ; j'en vais faire l'appUca- 
tidn au gouvcrncnient de la Pologne , et 
Rcamincr de quel usage ils peuvent être dans 
la réforme que méditent les Confédérés. 

CHAPITRE V. 

De la puiuanee exécutrice considérée dans la 

personne du roi. ' 



o. 



/n oc peut considérer de quelle manière 
la Pologne a disposé de la puissance exécu- 
trice , sans y découvrir la plupart des vices et 
des erreurs qui ont causé la ruine de plusieurs 
nations. Aux prérogadves immenses , monsieur 
le Comte , dont votre roi ou v^re premier 
magistrat jouît de temps immémorial , on 
peut juger que vos pères, soit engouement 
soit faute de lumières , accordèrent au premier 
citoyen qu'ils élevèrent sur le trône, des droits 
incompatibles avec la liberté qu'iU aimoicnt. 
J-cs Polonais furent bientôt avertis de leur 
faute ; mais au lieu de U réparer en ôtant au 
roi les droits dont il lui éloit si agréable et 
si facile d'abuser , ils lui laissèrent les préro- 
gatives qu'ils lui avoicntimprudemmcnt don- 
nées; et exigèrent encore plus imprudemment 
qu'il fût juste et respectât religieusement leurs 
privilèges et leur dignité. L'histoire de Pologne 

n,5,i7^dhyGt.)t>*^le 



D*E r O L O G N Z. 53 

n'offre qu'une longue suite de dUsentions 
domestiques , que l'on terminoit parce q.o'une 
nation se lasse de la guerre civile ; et qui 
rccommençoicnt bientôt, parce que la paix 
qu'on avoit jurée n'étoit établie sur aucun 
fondement solide, 

Tandis que vos ancêtres ne consulloient 
que leur colère, leur indigoadon, leur ven- 
geance ou leur ambition , vos rois , qui abu- 
soient tous les jours davantage des bienfaits 
de la nation pour la corrompre et l'asservir , 
augmentèrent insensiblement leur autorité. 
L'alarme Fut générale ; et pour abaisser le roi , 
vous élevâtes ses ministres. Vous n'aviez qu'un 
homme qui voulût vous gouvcrn«c arbitraire- 
ment f et bientôt vous en eûtes plfisîeurs qui , 
s'écant enrichis des dépouilles de la couronne , 
commirent ouvertement des injustices et des 
violences : mais le prince n'ayant pas eu 
l'art d'en profiter pour les perdre et s'établir 
sur leurs ruines , l'anarchie la plus mons- 
trueuse fut le fruit de ces disseniions. Avec 
des n»ceurs moins dures et moins sauvages, 
les Polonais seroient devenus aussi esclaves 
que leurs paysans ; maïs des malheurs qui 
auroicnt accablé un peuple à demi civilisé et 
ami de lajaix, irritèrent et soulevèrent une 
patioQ guerrière ; et elle regarda les Confe- 
D 3 



n,o,i7PcihyGt)t)»^le 



54 nu GOUVERNEMENT 

dérations , c'cst-i-dirc la guerre civile , comme 
la seule ressource favorable à la liberté. On 
se lassa cependant de toujours combattre pour 
n'êlrc gouverné que par de nouvelles factions; 
les rois reprirent donc insensiblement leur 
première autorité : pourTafFcrmir ils voulurent 
la rendre plus considérable , et leurs bienfaits 
répandirent une telle corruption dans les 
Dictes, que vous adoptâtes enfin le veto, dans 
Tespérance qu'au moins un bon citoyen s'op- 
poscroit à la vénalité des nonces , et sau- 
veroit la république d'une ruine infaillible. 
Mail je ne veux pas vous arrêter plus long- 
temps sur des réflexions qui sont si désagréa- 
bles ; laissons le mal , et passons au remède 
que demandent les circonstances préjcntes. 
Tant que les magistratures de Pologne seront 
données à vie , il est evidtnt pour tout liommc 
qui connoît Le cœur humain , que les magis- 
trats les plus sages et les plus justes s'acquit- 
teront mollement de leur devoir, et que les 
autres sépareront leurs intérêts de ceux de 
la république , et travailleront à augmenter 
leurs richesses , ou à se faire une autorité 
qui leur soit propre. Les Confédérés doivent- 
ils donc proposer à la Diète de ne plus créer 
un roi , des ministres et des sénateurs que 
pour nn très-court espace de temps ? Quand 



n,o,i7PcihyGt)t>*^le 



DE rOLOSNI. Si 

on pourroit se flatter que ce projet fût adopté 
dans un moment d'enthousiasme pour le bien 
public , je réponds qu'il fandroit bien le 
garder de faire iine pareille reforme : il y a 
un point de perfection auquel il est quelque- 
fois insensé d'aspirer. Dans un pays livré 
depuis long- temps à l'anarchie, où les richesses, 
ont trop de valeur , et rempli de grands sei- 
gneurs qui ont plutôt des idées d'ambition 
et de tyrannie que d'égalité , sctiez-vous les 
maîtres de vous servir avec sagesse de la loi 
que vous auriez portée dans la vue d'animer 
l'émulation et de lécùmpenser le mérite? Ces 
fréquentes élections , si sages dans une répu- 
blique qui n'est p4S corrompue, ne seroient 
propres qu'à exciter une fermentation qui 
n'est déjà que trop constante , trop générale 
c;t trop vive ; elles muUiplieroîent les brigues, 
- les cabales , les partis , les rivalités , les haines , 
et multipiieroicntpar conséquentlcs malheurs 
de la Pologne. Qui vous répondroit que .du 
sein de cette anarchie il ne s'élévcroit pas uoe 
tyrannie accablante ? Accoutumés à ne pas 
compter sur votre république , à traiter de 
vos intérêts domestiques avec les puissances 
étrangères , et à tout oser parce que les grandi^ 
se font mis au-dessus des lois , ne pourroit. 
on pas VOUS' prédire que la Pologne scccit 
B i 



56 DU OOUVERNEMEHT 

envcrtc aux armes des étrangers, et qu'R 
vous seroit impossible d'échapper à la ser- 
vitude. 

Dans la sitnation actuelle des choses , j'ose 
donc avancer -que, bien loin de ne conférer 
la royauté ou votre première raagistratnre que 
pour quelques années , il importe, au con- 
traire, à la Pologne de rendre la couronne 
héréditaire. Quelque révoltante que paroisse 
d'abord cette proposition, je prie, monsieur 
le Comte , les personnes à qui vous commu- 
niquerez cet écrit , de suspendre leur colère 
et d'avoir la patience d'écouter et d'examiner 
ensuite mes raisons. S'ils veulent ponr un 
moment s'élever au-dessus de leurs préjugés , 
ne conviendront-ils pas avec moi , qu'il résul- 
tcroit de l'hérédité du trône un plus grand 
calme dans la république? J'en appelle à l'ex- 
périence. N'cst-il pas vrai , que sous le règne 
du prince même le plus, propre à se concilier 
la confiance publique , on commence à éprou- 
, ver les agitations que doit causer l'élection 
de son succes'scur ? On forme cent projets 
chimériques qu'on croit toujours pouvoir 
réaliser, et on sacrifie sa patrie , ses devoirs 
et ses vrais intérêts à ses folles espérances, 
^.'interrègne survient , et il se fait un ébran- 
lement général .dans la nation. Le plus petit 



Do,T«JhyGt)OglC 



DE POLOGNE. ^7 

gentilhomme se croit un personn&ge important, 
parce qu'klors l'orgueil des grands s'humilie' 
pour acheter son suffrage dont ils ont besoin. 
Toutes les lois se taisent, toutes vos provinces 
sont dévastées , et on diroît qu'en cherche a 
vous faire éprouver totrs les inconv«niens de 
l'anarchie , poUr vous préparer à obéir avec 
plus de docilité au roi que vous allez élire. 
Mais on finit par' vendre la couronne, ou 
recevoir ; à la recommandation de quelque 
puissance étrangère , un prince qui ne vous 
aimera pas . et que vous haïrez. On vous a. 
achetés ou intimidés, et on n'aura pour vouS 
aucune reconnois«ancc. Le nouveau roi n« 
songera qu'à profiter des vices et des désordre» 
de la république , pour la subjuguer e\ se 
rendre plus puissant. Ainsi , par une action 
réciproque , l'élection amène un mauvais règne, 
et un mauvais- règne prépare uik éleçtioii 
vicieuse. 

Il n'y a que l'hérédité qui puisse remédier 
à tant d'abus ; elle seule peut donner quelque 
consistance à votre gouvernement , de la 
force aux lois , et apprendre aux Polonais que 
pour le bien public , leur liberté ne doit poin' 
dégénérer en licence. La royauté héréditaire 
produira cet effet , pourvu que le roi , borné, 
i, représenter la majesté de l'ctai, comme un 



D,o,l7PCihyGt)t>*^le 



5S DU COUVEItNEMENT 

roi de Suède , ou un doge de Venise , reçoive 
des hommages respectuenx, et n'ait qu'une 
ombre d'autorité ; pourvu qu'il ne puisse plus 
corrompre ses sujets par des grâces et se faire 
des créatures aux dépens de la république ; 
pourvu qu'un sénat , fort différent de celai 
que vous avez actuellement ,- le guide , le 
conduise et l'empêche de, s'égarer ; en un 
mot, pourvu que, dépouillé d'une autorité 
dont il abuse nécessairement , il me fasse 
que remplir une place à laquelle tout le 
'monde aspire , et qui ne peut ctrf ni vide nï 
remplie sans exciter do grandes tempêtes dans 
un pays où tous tes grands scig'icurs ne 
peuvent se passer d'up roi , le haïssent s'il 
est capable de les gouverner , le méprisent 
et conjurent contre lui, si sa foiblcs^e leur 
permet dcspércr et de tenter une révolution. 
Dans les entretiens, monsieur, que j'ai eu, 
l'honneur d'avoir avec vous et avec quel- 
qoçs-uns de vos compatriotes , j'ai appris 
îivec plaisir que plusieurs citoyens distingués • 
par leurs lumières et leur amour pour la patrie 
et les lois , ne sont pas éloignés de rendr Is 
couronne héréditaire. Mais je voUs l'avoue > 
j'ai yù avec autant de surprise que de .chagrin , 
que les vceux de ces bons citoyens sembloient 
se réunir en faveur de l'électeur de Saxe. Je 



D,o,l7PCihyGt)t)'^le 



BE FOLOGNE. ^9 

eus bien que les personnes qui soat à la 
tête de la Confédération ne sont pas capables 
d'une pareille erreur ; cependant permettez- 
moi de m'arréter ici un moment pour la com- 
battre. Je deraandcrois quelles grandes obli- 
gations les Polonois croient avoir à la maisoti 
de Saxe. Ont-ils donc oublié qu'Auguste II 
a été accusé pendant tout son régne d'aspirer 
au despotisme? En effet on lui reproche avec 
raison d'avoir marqué très -peu de respect 
pour vos lois et les paclà convinta , et moins 
encore pour vos mœurs qui avoicnt conservé 
jusqu'alors une certaine âprcté convenable à 
des républicains, et à laquelle il a substitué 
une mollesse recherchée , qui , ne pouvant 
s'associer avec une liberté aussi agitée que 
la vôtre , vous annonçoit les plus grands 
désastres. 

Vous n'avci point donné votre couionne 
à Auguste III, elle a été un don de la Russie ; 
et l'ascendant que cette puissance a pris impé»- 
rienscracnt sur vous , est l'ouvrage de ce règne 
foible et malheureux. Un prince à qui vous 
étiez suspect parce que vous ne l'aviez pas 
élu, voas fit l'affront de croire qu'il ne pou- 
vpit être votre roi qu'en se faisant en Pologne 
le lieutenant de la conr de Pétcrsbourg. Le 
ministr auquel il avoit abandonne toute son 



D,o,l7PCihyGt.)t>»^le 



6o DU GOUVERNEMENT 

autorité , vouS aforccs de courirvous-même» 
au-devant du joug que les Confédcrés veulent 
secoueraujourd'hui ; il vous fit connoître que 
vous n'obtiendriez aucune grâce de votre roi 
que par la recommandation de la Czarine. 
Auguste ne se voyoit qu'à regret parmi vous ; 
il vous oublioit à Dresde , et ne visitoit la 
Pologne que rôalgré lui, Dc-là les progrès de 
votre anarchie, cb la foiblessc qui a rompu 
les foibles liens de votre gouvernement. 

Je ne venx pas certainement que vos com- 
patriotes conservent leur ressentiment , et 
punissent dans les fils les fautes des' pères; 
mais je voudrois qu'ils appcrçussent leur er- 
reur , qu'ils en prévissent' les suites, et ne 
fussent pas les dupes de leurs cspéranc-s. Je 
les prie d'examiner avec soin s'il n'y auroit 
aucune imprudence à choisir pour le premier 
magistrat d'une république, un prince déjà 
puissant par lui-même , et qui possède des 
Stats où il règne avec un pouvoir absolu , et 
je dirois presque arbitraire. Soyez persuadé 
que ce roi , choqué malgré lui de vos pré- 
tentions et de' vos formalités républicaines , 
vous haïra autant qu'il aimera ses dociles 
Saxons. Croyez - vous qu'il soit aisé à un 
prince d'avoir , pour ainsi dire , en lui-même 
deux hotnmes différcns , de savçir être à ïa, 



0,g«7^dhyGoO^\c 



-p Ë POLOGNE. 6l 

fois magistrat en. Pologne «despote cb Saxe? 
Si vous ne le jugez pas capable de faire de 
Ja Saxe une république, sur quel fondement 
présumez-vous qu'il aura l'ame assez juste, 
assez noble , assez grande pour ne vuuloir 
pas changer la république de Pologne en une 
monarchie absolue ? 

Mais si on rcndoit votre couronne hérédi- 
taire , la politique vous impose la loi de ne 
confier à votre roi qu'une ombre d'autorité; 
je demande aux Polonais par qncis moyens 
ils pourront exécuter ce projet, quand ils au- 
ront placé ait-dessus d'eux un électeur de 
Saxe. Se flattent-ils qu'une capitulation nou- 
vtUc , dressée avec beaucoup plus d'habileté 
et de sagesse qu'autrefois , et que des pacia 
conventa dont les clauses assignefoient de la 
manière la plus claire les bornes de l'autorité 
royale ,. seront un rempart assuré pour votre 
liberté ? Toutes les nations sont pleines de 
ces vieux titres, de ces vieux diplômes , de 
ces vieilles chartes , que les souverains ne 
font aucune difficulté de signer et de violer. 
Après tant d'exemples qui nous apprennent 
le cas qu'on fiiitdessermens , quel est l'homme 
■ assez ignorant pour ne pas savoir que l'am- 
bition gouverne impérieusement Les princes , 
et que la justice et la vérité osent à peine 



D,o,l7PCihyGt)t)»^le 



62 DU COUVERMEMENt 

bégayet quelques remontrances, en se pros-' 
tcinant aux pieds d'un monarque qui peut 
perdre ses ennemis et tlever les partisans à la 
plus haute fortune ? 

Je consens que par Vos noiivcllps lois vous 
ayez ôté à votre roi toutes Ici prérogatives 
qui ont rendu tes prédécesseurs si dangereux* 
et vous ont Forcés de recourir aux Confédé- 
rations et au vélo. Je consens qu'il ne puisse 
plus corrompre ses sujets et se faire des cour- 
tisans , en donnant à des citoyens corrompus 
les charges, les dignités ci sur-tout les utiles 
starosties , qui doivent être la récompense 
de la vertu et que vous appeliez U pain dfs 
lien'méritam : mais empêcherez-vous que votre 
nouveau roi , électeur de Saxe , ne se serve 
des revenus de son étccEoral pour vous acheter 
etvous accoutumer insensiblement à de lâches 
complaisances ? Non , monsieur le Comte , 
vos compatriotes ne feront jamais aucune loi 
pour empêcher que l'argent de Saxe ne passe 
en Pologne. Si vous me pcrmettcï de vous 
dire librement ma pensée , je soupçonne que 
les personnes' qui favorisent la maison de 
Saxe ; n'y songent qu'à cause de ses richesses. 
Je ne veux pas dire que leurs vues soient in- 
téresses et criminelles , à Dieu ne plaise : ils 
«ont vraisemblablement les dnpci de cciti 

no,-7«jhyGt.)t>*^le 



DE rOLOGNE. 63 

fausse politique qui trompe et perd toute l'Eu- 
rope ; ils croient sans doute qu'il est avança" 
geux d'attirer cheï soi beaucoup d'argent 
étranger, et que la Pologne sera heureuse si 
les richesses des Saxons contribuent en partie 
à ses besoins. 

Pour moi , je suis persuadé que pour mé- 
riter le titre de roi , il n'y a point de prince 
qui ne se soumette à toutes les conditions 
qu'on voudra lui imposer; et il se consolera 
de la contrainte où on le tiendra , par l'ïs- 
.pérance de s'en affranchir, Quelque religieux 
observateur qu'il paroisse d'abord des pacla 
conventa, il est homme , vous serez punis, de 
l'avoir exposé à des tentations qui sont au- 
dessus des forces de l'humanité ; il songera 
à vous asservir , il en .méditera le projet, et 
ne s'en écartera point. Nous le connoissons , 
me répondra-t-on , il a trop de justice et'de 
modération ponr consulter une ambition cri- 
minelle ; et sa politique est trop éclairée pour 
aimer mieux gouverner des esclaves qUe des 
hommes libres. Je pense exactement comme 
vous. Mais, répohdcz-moi , connoissez-vous 
aussi son fils, son petit-fils , son arrièrc-petit- 
fils , Sec ? Dieu vous a - t - il appris par une 
révélation , que les princes de la maison de 
Saxe seront désormais des modèles de justice 



D,0,l7PCihyGt)O'^le 



b4 DU GOUVEIlNEMENt 

et de sagesse ? On voDS' flattera , on voûS 

■ caressera, comme dans tous les commcnce- 
mens d'une domination nouvelle; mais gardc;i- 
vous bien d'être les dupes de cette fausse' 
bienveillance. L'histoire ne vous a-t-ellc pas 
appris que quelquefois de bons princes ont 
fait de grands maux à leur nation, en lui ins- 
pirant une confiance aveugle , ou en la dis- 
trayant de ses principes consdtutifs et de ses' 
vrais intérêts ? Une sécurité générale s'empare 
desasprits ; on ébranle d'abord les lois , sous 
prétexte de les perfectionner. Les nouveautés 
dangereuses s'accréditent, l'ancien esprit na- 
tional disparoît peu à peu , c'est alors qu'on 
répandra de l'argent ; et tout est perdu, parce 

' qu'un prince qui veut acheter des amis , 
trouvera toujours des sujets qui voudront se 
vendre. 

Il seroit inutile d'entrer dans le détail de 
toutes les pratiques qu'on pourroit mettre en 
usage pour vous subjuguer; car je ne veux 
pas , à l'cxcmplG de Machiavel , doniier des 
leçons de tyrannie, et apprendre à l'injusiice 
par quelles fraudes détestables elle peut réussir. 
Mais soyez sûr que la politique est bien im- 
prudente , on plutôt bien aveugle , si elle exige 
d'un homme des vertus qui sont au - dessus 
des forces de l'humanits. Soyez- convaincus 
qu'un 

no,-7«jhyGt)t)^le 



DE rOLOCNE. 65 

•qu'un rot trop riche par iui-mGrae trouvera 
millcnioyens pour éluder la Force des lois. Peu 
<I'adresse même suffira pour vous séduire ," 
parce que vous ne demanderez qu'à ècre 
trotnpés ; car plusieurs de vos compatriotes 
m'ont avoué assez francliement , que l'argent 
n'a pas moins de crédit en Pologne que dans 
le reste de l'Europe. Ignorez-vous combien 
l'amour de la libeité s'afFoiblil aîsénjCnt et 
s'éteini même/ entièrement , si un prince veut 
corrompre les aracs par le luxe , la mollesse 
et les plaisirs ? Quand elles ont perdu leur 
force, combien n'est-il pas aisé de Us glacer 
par la crainte ? 

On me répondra peut-être que mes alarmes 
sonl vaines , parce qu'en appelant l'électeur 
de Saxe sur le trône de Pologne , on ne man- 
queroit pas de porter une loi , par laquelle 
il seroît réglé et ordonné de la manière la 
plus forte et la plus solennelle , qu'après le 
règne- de l'électeur qu'on auroît élu , les cou- 
ronnes de Pologne ci de Sase seroient incom- 
patibles. En conséquence de cette pragmatique, 
un des fils du roi restera en Pologne pour 
y former une branche régnante ; et l'autre 
ira régner dans les anciens domaines de ses 
pères. J'y consens ; mais qui m'osera assurer 
qu'à force d'argent, de caresses etdecomplai- 
Mably. tome VliU E , 

D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



66 DU GOUVERMEMENT 

sances , le roi Saxon ne fcia pai révoquer 
cette loi salutaire dans une Diète générale ? 
Les passions sont d'habiles sophistes, et teuis 
sophismcs paneront pour des démonstrations. 
J'en suis sûr , on trouvera les meilleurs rai- 
sons du monde pour prouver qu'il n'est rien 
de plus avantageux à la Pologne que de s'an- 
nexer en quelque sorte la Saxe , et de profiter 
de ses richesses , de son alliance et de ses 
forces. 

Mais quand la corruption ne scroit point 
assez générale pour abroger votre loi fonda- 
mentale, je ne scrois point sans crainte ; car 
la politique , en s'occupant de l'avenir , doit 
préparer des obstacles aux caprices même de 
la fortune. Il peut se faire que le jeune élec- 
teur de Saxe , que vous aurez couronné, n'ait 
.qu'un fils ; et dans ce cas, les Polonais ren- 
verront-ils cet héritier en Saxe, ou en le rete- 
nant, le forceront - ils de renoncer à son 
cletorateu faveur d'une branche de sa maison? 
Vos compatriotes , mousicur le Comte , n'au- 
ront point la dureté nécessaire pour prendre 
l'un ou l'autre de ces deux partis. Il est naturel, 
sn contraire , qu'ils aient encore pour le fils 
la même indulgence qu'ils auront déjà eue 
pour le père. Cependant ces deux règnes 
peuvent être très-longs , on se sera accoutumé 
à l'unloQ de la Pologne et de la Saxe, Avec 



D Z P O' L O G N E. 67 

le secours des ducats de l'Empire , la préro- 
gative royale aura fait des prcg-ès , et il ne 
sera plus temps de s'opposer à ses entrcpiisci. 
Je prie , monsieur , vos bons compairiotes 
de faire l'attention la. plus sérieuse sur ce 
que je viens de dire. J'ai beau tiiEr..hcr , je 
ne trouve aucun moyen pour empêcher qu'un 
roi de Pologne , qui jouiroit des revenus de 
l'élcctorat de Saxe, ne devînt pas dangereux 
pour la iiaùon , et fût assez Juste ei assez 
magnanime pour se tefuser cociiiamment à 
un pouvoir qui se jetieroit , pour aîust dire , 
dans ses mains. 

Pour prévenir un pareil malheur , je vou- 
drois donc que la loi qac méiitent vos réfor- 
mateurs , défendît à votre roi d'avoir des 
possessions étrangères, et qu'il renonçât d'a- 
vance à toutes les successions qn'il pourrùit 
attendre de si famille. D'autres motifs vous 
invitent encore à faire ce règlement ; et st 
l'on veut s'en instruire , on na qu'à intcri:ogcr 
un Anglais qui connoît les intérêts de son 
pays ; il vous dira que l'Angleterre auroit 
épargné beaucoup de sang et des sommes 
immenses , si son roi n'avoit pas été électeur 
de Hanovre. IL importe à tout état de n'avoir 
qu'un intérêt, et ta Pologne sn aura néces- 
sairement deux, dès que son roi posséder» 
•E 2 

■ ■ - n,o,i7P(ibvGt)0^le 



8 DU GOUVERNEMENT 

une province en dehors. On vous associera 
à SCS querelles , parce qu'on regardera cette 
politique corame un. moyen de vous distraire 
de vos affaires domestiques, et de vous asservir. 
Les flatteuis de U cour crieront de toute leur 
force qu'il est de voire honneur de défendre 
les intérêts de votre roi , et les Polonois soot 
sans douce trop généreux pour ne pas se laisser 
tromper par les raîsonneraens de la flatterie , 
quand elle empruntera le langage de la ma- 
gnanimité. 

Les revenus que la république accordera au 
roi , doivent être très - médiocres. Que les 
Confédérés , monsieur le Comte , se gardent 
de faire la faute des Anglais qui ont mis entre 
les mains du prince des richesses capables de 
le corrompre , et qui , en le rendant trop puis- 
sant , doivent alfoiblir peu à peu les droits 
du parlement. Ce seroit un grand bonheur 
pour vous , si vous pouviez réduire votre roi 
à vous donner des exemples de désintéresse- 
ment , de modestie , de tempérance et de mo- 
dération. Plus la liste civile du prince sera 
petite , plus la loi qui l'aura réglée s'apprû- 
clicra de la perfection. Il seroit encore à pro- 
pos que les revenus royaux ne fussent point 
établis sur des terres ou des domaines qu'on 
abandonneroit au roi : le produit de ces terre» 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



DE P & L O G N E. . 6g 

ioit tantôt aagmemer et tantôt diminuer , et 
cette variation deviendra un mal pour la répu- 
blique. Dans le premier cas , le roi sera plus 
riche que la Pologne ne le désire ; dans le 
second , il faudra suppléer à ce qui manqnc 
aux revenus ordinaires ; vous serez généreux 
malrà-propos , et la porte est ouverte à mille 
abus. Il sera bien didîcile de n'avoir pas une 
première condescendance ; et dès qu'on en a 
une , il est impossible de ne pas en avoir 
cent. VoHs verrez que les terres de la cou- 
ronne , plus malheureuses que les autres , 
auront toujours éprouvé quelqu'accident au- 
quel il faudra toujours remédier. Je voudrois 
donc que le roi eût un. revenu fi>te et réglé, 
qui lui seroit payé par le trésor de la nation. 
On pourroît dès ce moment aliéner les do- 
maines royaux , pour les employer à une 
foule d'établissemens qui vous manquent , 
et sans lesquels votre_ république ne sera ja- 
mais florissante. On poiirroit paitagcr quel- 
ques-unes de ces terres en portions modiques 
dont on gratificroit la noblesse qui auroit 
montré plus de zèle dans le moment de la 
réforme, et qui dès-lors seroit plus intéressée 
à favoriser les lois nouvelles , et à concilier 
Ici intérêts des Diétines avec ceux de la Diète. 
généialc. 

E 3 

Do,T«jhyGoo^le 



70. DU GOUVÏRNïMENT 

Vous iicntci , monsieur le Comic , que je 
ne pais entrer sur cette matière dans tous les 
deiails qu'elle demande: Je dois me borner a 
proposer des vues générales , parte que les 
circonstances où Ton se trouvera dans le mo- 
ment que les troubles cesseront , et qu'il 
faudra-etablir une nouvelle constitution , dé- 
cideront de ce qu'on pourra faire de plus ou 
de moins .favorable. Dans cène tourmente , 
il ne faut point perdre de vue les grands 
principes ; mais en paroissant les abandonner, 
il faut s'en éloigner le moins qu'il sera pos- 
sible , et se préparer des moyens de rentrer 
dans la roule dont on a paru sccattcr. 

Les Anglais ont eu grand ton d'abandonner 
à le;ir roi t aduiinisiration des finances ; ils ont 
tcnié sa cupidité et celle de ses ministres , 
et en oi^tfait des inicndans infidelles. Si tout 
maniement d argent coirotnpl Iss hommes, 
ayons du moins la prudence de ne le pas 
confier àceux qui, pont notre intérêt, doivent 
avoir les mains les plus pures, qui , par leur 
dignité et leur pouvoir , ont la plus grande 
influence dans l'état , cl peuvent se promettre 
l'impunité. J'espère que les Polonais seront 
plus sages que les Anglais. Ils trouveront 
encore d'autres avantages dans ta mcihodc que 
je propose : l'un de ne p^s exposer le toi à 



D,o,l7PCihyGt)t)*^lê 



DE POLOGNE-, 71 

des reproches , l'autre de ï)Ouvoir mettre pins' 
aisément les finances de la république sur un 
pied convenable à ses besoins et à sa dignité, 
sans s'écarter cependant' de la plus exacte 
économie. 

Une loi expresse doit défendre à la Diète 
générale de jamais acquitter les dettes du roi, 
8OUS quelque prétexte ou raison que ce puisse 
être. Il ne doit pas liii être permis d'acquérir 
des fonds, et de faire un patrimoine particulier 
à ses successeurs. L'argent qu il aura amassé 
ou placé , par un agiotage indigne de loi , 
dans les banques étrangères , ne passera point 
à son successeur; la république en héritera- 
Le revenu accordé à la couronne doit être 
substitué ou sacré, c'est-à-dire , qu'un, prince 
en montant sur le trône, ne sera pas tenu 
de payer les dettes de son prédécesseur. On 
sent aisément l'esprii de ces lois , et les avan- 
tages qu'elles se proposent. Le roi, contraint, 
malgré sa grande fortune , d'avoir de l'ordre , 
de l'économie , donnera peut-être l'exemple de 
la modestie à ses sujets , ou du moins ne les 
corrompra point par son luxe. S'il est avare, 
il le sera sans danger pour la république ; s'il 
est prodigue, sa prodigalité ne sera fâcheuse (^ ne 
pour lui et ses créanciers. Pour débarrasser le 
princcdu soin dcpourvoirausortdc ses.cnfans, 
E 4 

D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



JK DU GOUVERNEMENT 

que la république donne et assure un pairi- 
mninc médiocre aux mâles , et une doc aux 
filles : la famille royale se trouvera ainsi dans 
]a dépendance éternelle de la nation. Four te 
<lire en passant, il scroit à propos d'établir 
dans Tordre de la succession une règle pareille 
a ce (juc nous appellotis ta loi ialique. Des 
femmes ne sont point faites pour régner sur 
un peuple qui veut être libre , puisque la na- 
ture les destine., dans le sein même de chaque 
famille , à être soumises à un mari. 
Je n'ai indiqué jusqu'à présent que la moitié 

'de l'ouvtDge que tts Confédérés de Bar doivent 
se proposer. Que serviroii , je vous prie , de 
ne do,nner a un roi héréditaire qu'un revenu 
médiocre, si on lui laissoit la prérogative de 
disposer à son gré "des grâces, des faveurs et 
des récompenses de la république, droit dont 
vos lois même électifs ont abusé de la ina- 
nièie la plus étrange et la plus funeste ? Le 

• prince ne manq^ucroit pas (le s en servir pour 
débaucher les citoyens et les attacher à ses 
intérêts. La liberté à peine établie , ne pourroit 
donc subsister que pendant quelques années. 
Les l'o louais mériteroient donc.de la perdre ' 
puisque sans défiance pour l'avenir , ils 'au- 
loient eux-mêmes fourni au roi des chaînes 
pour les garrotter. Qu'ils n'imitent pas les 



Dpi r^dhy Google 



I>E POLOGNE. 73 

Anglais, qui se plaignent continueUemcnt des 
entreprises de la cour ei de la corruption du 
parlement , et qui aiment mieux être dans 
des ^larmes continuelles , que de convenir 
des vices de leur gouvernement , et de les 
corriger. 

. Il vaut mieux suivre rcxeraplf que les Suédois 
vous 00c, donné. Dignités ecclésiastiques, ci- 
viles et militaires, starosties, biens royaux > 
tout doit être conféré, si vous le voulei, au 
nom du prince , et donné véritablement par 
la Diète généj"alc ou par le sénat. Quand il 
vaquera une des premières places dans l'ordre 
ecclésiastique , militaire ou civil , la Diète 
présentera au roi trois candidats, parmi les- 
quels il choisira celui qui lui sera le plus 
agréable. A l'égard des dignités inférieures , le 
s.énat fera également la présentation de trois 
candidats. La loi ne manquera pas sans doute 
d'inviter le prince à rendre sa prérogative plus 
respectable en récompensant le mérite le plus 
distingué, c'est-à-dire, en choisissantle citoyen 
qui sera à la tête de la liste qu'on lui présen- 
tera. Mais comme il seroit imprudent d'espérer 
que le conseil- de la loi fût exactement suivi , 
et qu'il pourroit arriver que le prince eût 
l'esprit gauche, le cœur dépravé, et qu'il ne 
consultât que ces caprices trop familiers aux; 



no,-7«jhyGt.)t)'^k' 



74' ou COUVERHEMENT 
grands , îl leroit à propos de statuer que quand 
un candidat scroit recommande pour ta troi- 
sième fois par la Diète ou le sénat , il seroit 
do bon plaisir du roi de le préférer à ses 
concurrens. 

Outre que par cet arrangement an enlève 
à la couronne le moyen le plus cffi'jace d'aug- 
menter, son autorité, en changeant en cour- 
tisans des hommes qui doivent être libres, on 
attachera encore les Pulonnis à leur devoir. 
N'ayant désormais de giacc, de faveur, d'a- 
vancement à attendre que de la nation , l'es- 
pérance et la reconnoissame Ks poricront 
également à aimer et (iefendrc les droits et 
les lois de leur patrie. N'en doutons pas , 
après que le temps aura effacé les préjugés 
et détruit peu à peu les hahitudes vicieuses 
qu'une longue anarchie a fait naître , les séna- 
teurs , les ministres, les nonces, les officiers 
qui s'acquittent aujourd'hui si mollement de 
leurs fonctions , deviendront des hommes 
nouveaux. Leur exactitude développera une 
émulation générale qui ne laissera parmi vous 
aucun talent inutile. On sera intéressé à avoir 
de la vertu , et l'amour de la patrie prendra 
enfin la place de cet esprit de cour et de 
flatterie qui déshonore les grands à Varsovie , 
Cl la petite noblesse dans les provinces. 



Dioii ..ci hy Google 



DE r O L O G H 1. 75 

Mais , dira-t-on , qui voudra d'une cou- 
ronne ainsi dégradée ? Je réponds qu'il faut 
porter dans le cœur tous les vices d'un esclave, 
pour dire que ta couronne est dégradée par 
des lois qui ne font que la rappeler aux idées 
primitives de son établissement et du droit 
fondé par ta nature entre les hommes. Puis- 
que les Suédois ont eu le bonhear de tivuver 
un roi , pourquoi les Polonais , qui habitent 
une terre plus ferûlc et plus peuplée, scroicnt- 
ils exposés à un refus ?Je ne crois pas qu'on 
fasse sérieusement cette objection : mais si 
par hasard un prince ne veut pas d'une royauté 
ainsi tempérée et modifiée , j'en félîtiierai ta 
Pologne ; car c'est un grand bonheur de n'?.- 
voii pas pour roi un homme assez incon- 
sidéré pour n'estimer que te despotisme , et 
. croire qui! lui est utile de n'avoir aucune 
barrière contre ses passions. Qui de nous , 
foîbles humains , quand il s'étudie et connoîti 
les bornes de la maison humaine et la fragilité 
de nos vertus les plus (ublimcs , ne trem- 
blcroit pas à la vue d'une fortune dont le 
poids doit l'accabler ? 

Quoique ce chapitre commence à être long, 
je n'ai pas tout dit, M. le Comte;et avant que de 
parler des autres branches de ta puissance exé- 



Do,T«jhy Google 



•j6 DU GOUVERNEMENT 

cutrice , pcrmcttez-raoî de faire encore qucî- 
ques réflexions sur les rè glciiiens dont je viens- 
d'avoir l'honneur de vous eniretenir. 



CHAPITRE VI. 

Jîèjlexions relatives auxjois qiion a proposées ai» 
sujet de la royauté. 

J.L me semble que les lois que je propose 
relativement à la royauté, ne peuvent que 
plaire à la nation poloBiise. Pourquoi senci- 
Toit - elle quelque répugnance à ôicr à ses 
princes des prérogatives et des droits dont ils 
ont constamment abusé ? Par quelle erreur 
trouve- t-elle donc facile et commode de re- 
courir au destructif veto ou aux redoutables 
Confédérations, pour les opposer à la puis- 
sance avec laquelle le roi corrompt tout, et 
domineroit impérieusement, si vons ne vous 
jetiez dans l'anarchie pour échapper au des- 
potisme ? On regarde communément en Po- 
logne le roi comme un ennemi doinestiquc, 
dont il faut toujours se défier; pourq^ioi dono 
s'y feroit - on un scrupule ou une difficulté- 
d'établir un nouveau système , pour rendre sa 



Dpi ..ci hy Google 



DE POLOGNE, 77 

dignité et son nom moins suspects et plus 
chers à ses sujets ? Le grand-père du roi Sta- 
nislas disoit qu'il préféroit une liberté agitée 
à une servitude tranquille ; mais il auroit 
sans doute mieux aimé vivre dans une répu- 
blique dont les lois auroient uni la liberté et 
le calme. Je rcgardcrois comme un crime de 
penser, monsieur le Comte, que les arran-- 
gcmens que je viens de mettre sous vos 
yeux , fussent rejetés par les bons citoyens que 
Tamoar de la patrie a placés, à la tête de la 
Confédération, et qui depuis long-temps a'cx- 
poscnt, pour défendre la liberté,. à des maux 
et à des dangers qui lasseroient un courage et 
une patience qui ne seroient pas héroïque». 

Il est temps que la Pologne ouvre les yeux 
sur les vices de son gouvernement, et juge 
que, pour n'être plus exposée aux malheurs 
qu'elle éprouve aujourd'hui , il faut enfin re- 
courir à d'autres remèdes que cenx qu'elle a 
.employés jusqu'à ce moment. Vos palliatifs, 
le veto et les Confédérations , ont agrandi les 
plaies de l'état , et peuvent enfin ies rendre 
incurables. La Pologne reçoit aujourd'hui une 
leçon qui doit la rendre capable de faire un 
recour sur elle-même. Si elle attend de plus 
grandes calamités pour se corriger, il est à 
craindre que le vaisseau , si souvent battu par 



no,-7«jhyGt)t>»^le 



jS nu GOUVERNEMIMT 

la tempête , démâté et qui fait eau de toutes parts, 
ne 6oit tubmcTgé au premier coup de vent. 

Vous comptez que vous serez toujours en 
état de vous défendre, et que vous tronvercz 
toujours en vous-mêmes tes sentiment qui ont 
fait prendre les armes à vos pères , pour venir 
au secours de la république. Mais l'amour de 
la liberté, l'amour de la patrie , la constance , 
le courage , la patience , toutes les vertus ont 
des bornes dans le cœur humain. On a vu les 
Grecs , on a vu les Romains se lasser enBn 
d'une liberté qui leur coûtoit trop de peines 
et de travaux. Ces républicains si fiers alioient 
au-devant du joug, et tlattoient bassement la 
main qui les opprimoil. Je crois que les Po- 
lonais sont bien éloignés de cette bassesse; 
je suis persuadé qu'ils méritent encorÈ les 
éloges que vous leur donnez; mais ne corn- 
mencez-voas pas cependant à entrevoir quel- 
qu'altération dans leurs mœurs ? Sont - ils 
encore ce qu'ils étoient sous Jean Sobieski ? 
Un commencement de décadence, si on le 
néglige, n'annoncerolt-il pas de plus grandes 
disgrâces ?Je le vois., monsieur le Comte, vos 
compatriotes comptent trop sur le pouvoir de 
réquilibre qui gouverne, disent-ils , l'Europe, 
et qui ne permettra pas qu'on les opprime. 

Mais j'ai pris la liberté de vous prouvée 



Dpi ..ci hy Google 



DE POIOCNE. 79 

que cette politiqne de réqnîlibre n'est qu'une 
chimère. Permettez - moi de von» le répéter, 
n'est-il pas visible que les états gouvernés par 
les passions, les préjugés et lei fantaisies des 
personnes qni sont à la tète des affaires , n'ont 
depuis long-temps qu'une politique de mode , 
et oc suivent aucun principe certain ? Quand 
nous serions aussi convaincus aujourd'hui 
qu'on l'étoit dans le siècle dernier, de la 
nécessité d'entretenir un équilibre entre le» 
natious , comment défcndroit - on , comment 
protègcroit-on cette égalité de puissance, puis- 
que tous les peuples épuisés par leur luxe , 
leurs mœurs, leur système d'argent et de 
commerce cc leurs nombreuses armées, n'ont 
besoin qoc de la paix ? à peine ont-ils com- 
mencé les hostilités , que , se repentant de 
leurs entreprises, ils ne songent qu'à finir la 
guerre. D'ailleurs, ne pourroit-il pas arriver 
qu'un prince , en apparence peu puissant , 
dérangeât par ses talens supérieurs tout le 
système de l'équilibre , et forçât ses voisins à 
ne songer qu'à lui ? La Pologne ne doit-elle 
pas enfin se détiampcr en voyant avec quelle 
indifférence l'Europe est témoin de ses mal- 
heurs ? Ne doit-eilc pas trembler en voyant 
qu'elle ne se soutient aujourd'hui que par le 
eecoors de la Porte, qu'on a eu tant de peine 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



So' DU COUVEHNEMENT 

à retirer de cette longue paix qui Tavoil en- 
gourdie ? SI les Polonais ne corrigent pas 
leurs lois quand il leur sera permis d'avoir 
une Diète libre , il est évident que la Russie , 
qui conservera ses mêmes espérances, ne re- 
noncera pas à ses projets ambitieux. Si elle 
tente encore de vous asservir , qui vous répon- ■ 
dra que l'Europe ne se trouvera pas dans une 
situation telle , qu'aucune puissance ne sera 
en état de vous secourir ? Tant que la Pu- 
logne ne pourrra être d'aucune udlité à ses 
alliés, pourquoi espérera- t-clie qu'ils, auront 
la générosité de se sacrifier à ses intérêts ? 
Enfin, monsieur le Comte , il en faut revenir 
aux grands principes; toute nation qui ne se 
soutient pas par ses propres forces , ne se 
soutiendra pas constamment par celles de ses 
allies. 

Je me persuade que les grands seigneurs de 
Pologne, ayant un plus grand intérêt que les 
, autres citoyens à jouir de leur liberté, sont 
aussi plu« intéressés à donner au gouverne- 
ment une stabilité et une force qui protègent 
leur fortune. Leurs terres doivent ne pas pro- 
duire la moitié des fruits qu'elles produiroîent, 
s'ils comptoieni assez sur les lois pour y faire 
des établisscmcns utiles; et elles sont rava- 
gées , dès ijû'unc Confédération fournit à la 
noblesse 

no,-7«jhyG'.H>*^le 



DE ÏOLOCNE. 8ï 

.noblesse iadigente un prétexte pour piller et 
tiiitiner. Mais si la nation dissoute passe sous 
Une domination étrangère, que deviendra citte 
grandeur dont on cït si jaloux. ? Le vainqueur 
confondra tout, ou pluiôt sa main s'appesan- 
tira principalement sur les grands dont toutes 
les piéicntion's choqueront les siennes. Seroil* 
■ il possible que l'cipérancc vague de monter 
sur le ttône , et dont tout seigneur polonais « 
dit-on, nourrît son ambition et son oisiveté, 
fût un raodf pour quelques-uns de s'opposer 
à rhérédtté de la couronne et aux modi&ca- 
tions qu'on doit mettre à la prérogative tovale? 
Un piaste qui aspire à devenir roi, ne sait 
pas ce qu'il désire. Ses égaux , qui le volent 
av.cc douleur au-dcssns d'eux, deviennent ses 
ennemis; il est condamné en quelque sorte 
à ne régner que sur des conjures. On se 
consolide n'être pas roi , pourvu qu'un autre 
Polonais ne le soit pas; et c'est pour s'exclure 
réciproquement, que les grands appellent or- 
tlmalrcment un étranger, lis croient que ces 
élections les font respecter en Europe : erreur. 
Une couronne donnée par l'Intrigue ou ache- 
tée par l'argent , ne sert qu'à multiplier lei 
haines et les rivalités qui vous divisent , et 
qui ont excité vos yoUiiis à ne vous laisser 
que les vaines apparences d'une élection libre. 
Mably. Tome VIU. F 

.■ n,o,i7P(ibvGt.)0^lc ■ 



Ss DU GOUVERNE M E.Nf 

Ne seroit-il donc pas utile aux grands ,dc se 
débarrasser des soins caisans que leur donne 
une couronne étecrive, et des malheurs qu'clU 
entraîne après soi ? 

Sî les graiids vouloieht conserver les préros 
gatives royales, parce qu'il leur seroit plus 
avantageux et plus cj3mmode d'attendre des 
faveurs et des distinctions du roi que de la 
nation, ils n'oseroient pas l'avouer- Ce seroit 
convetiir qu'ils craignent les regards et le ju- 
, gement du public, et qu'ils croient qu'il leuç, 
sera plus aisé de mériter des grâces du prince 
par leurs, aissiduités et leurs Qatteries , que de 
s'en rendre dignes auprès de leur» compa- 
triotes , par des talctis distingués et des ser- ' 
vices réels, J'oserois prendre la liberté d'avertir 
quelques - uns de vos grands qui ont plutôt 
l'ambition d'un courtisan que d'un citoyen, 
de se respecter davantage et d'avoir plus de 
confiance en eux-mcrties. Ce sont les vices de 
leur gouvernement qui les oppriment. C'est 
l'anarchie d'une république qui ne peut avoir 
aucune règle , ni former aucune entreprise 
utile , qui 'les condamne à se livrer à l'oisiveté 
dans leurs terres ou à la cour. Il ne faut que 
des circonstances plus heureuses, pour qu'ils 
trouvent en eux des talens, qu'ils ignorent. 
Qu'on s'honore eo faisant Iç bien public , et 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



DE C O L O C S E. S3 

je vous réponds que le» grands obtiendront 
plus aisément la faveur* des citoyens , qu'ils 
n'obiicnnent âujciurd'hoi celle de la cpur. 
D'ailleurs , ces grands peuvent - ils ignorer le» 
avantages d'une haute naissance et d'uni 
grande fortune ? La considération dont il» 
jouissent à la faveur de leOr nom , leur don- 
nera toujours un grand créditdâns les Dictinear 
de leur palatinat ^ dans la république entière 
et dans la Diète législative. I.cs nations les 
plus libres n'ont - elles pas obéi à ce préjugé? 
qui scmblcroît dcvoirctre réservé aux monar-' 
,chies ? Que ces grands soient donc fortement 
' convaincus que sans avoir un mérite égal à 
cçlut d'nn simple gentilhomme , ï\s obticnJ 
dront par préférence lés principales dignités. 
Pour la noblesse d'un ordre inférieur , ij 
me semble qu'elle tronveroit un avantage es- 
sentiel dans les arrangemens que je propose* 
Elle doit adopter avec plarsrr une constitu-^ 
tion qui ôteroit au roi les prérogatives' de 
disposer à son gré de toutes les dignités et 
de toutes les grâces; puisque la médiocrité 
de son état et de sa fortune ne lui permet 
pas d'approcher de la cour, ou de se rendra 
assez recoraraandablc pour se faire craindre et 
acheter. Il ne s'agira pour ces gentilsUemmci 
^conrtus , que de se faire aimer ce eatijtoeï 
F » 

. no,-i«jhyGt.)t)»^le 



84 , UU GOUVERNEMENT 
dans leur palaiinac. Au Heu de ne se servir - 
de leur cspcit que pour .faire furtunc , par des 
moyçns bas et rampdns , une nouvelle carrière 
s'ouvrira pour eux; ils montreront du zèle 
dans leurs Diétincs j et ce zèle développera 
. des lalens. Â peine un gentilhomme ob&cur 
aura-t-<ii obtenu, à force de mérite, d'être 
mis dans la liste des candidats que les Dié- 
tincs recommanderont à la Dièie , et quela 
Diète présentera au roi pour obtenir des di- 
gnités , que toute la petite noblesse espé- 
rera de sortir de son obscurité. On voit sans 
peine quel bien iWmense il doit résulter de 
cette espérance. Une émulation générale ani- 
mera toutes les parties de la république. 
L'envie de se rendre utile et de se distinguer 
qu'auia tout petit gentilhomme , deviendra . 
un aiguillon pour les grands; ils ne se négli- 
geront plus, ils cherçheronc à s'instruire ; et 
avant que d'obtenir une place, ils voudront 
avoir acquis les connoissanccs nécessaires 
pour la remplir. De-là la gloire et le bonheur 
d'une nation, Jc' prie de se rappeler qu'une, 
des principales causes qui rendirent les vertus 
et les talens si communs dans la république 
romaine , c'est la rivalité qui se mit entre les 
plébéiens et les praticiens. 

Un peuplcne doit compte à personne d£ft 



no,-7«jhyGt)t)^le 



PE POLOGNE. S5 

changemcns qu'il fait dans son gouvernement ' 
« SCS lois. Le droit naturel établit ce principe ; 
mais l'ambition des cours de l'Europe en a 
malheureusement établi un autre, qui ne per- 
mettra peut-être pas aux Polonais de suivre 
les conseils d'une sage politique. Toutes les 
puissances so'nt occupées à s'observer mu- 
tuellemcnti toutes tiennent à leurs préjugés, 
aucune ne veut se corriger de' ses erreurs ; et 
pour ne rien perdre de sa considcration , on 
voudroit que ses voisins fussent également in- 
corrigibles. En méditant une reforme , vous 
ferez naître dès sentlmcns divers, suivant les 
différcns intérêts qu'on prend à votre répu- 
blique. Quelques puissances craindront de 
perdre l'influence qu'elles ont acquise dans 
vos affaires, si elles voient que vous com- 
menciez à établir parmi vous un ordre et une 
règle qsi vous feroientrcspectcr. Les autres 
vous seconderont , dans rcspérance de vous 
avoir pour alliés et de profiter de vos forces. 
Cet objet important mérite quelques observa- 
tions particulières, et avant que de reprendre 
ce qu'il me reste à dire sur la puissance exé- 
cutrice . je vous prie , monsieur le Comte, de 
me permettre d'eftminer , dans le chapitre 
suivant, les intérêts des puissances de l Eu- 
rope , lelativcment a la léforme de vos lois. 
F 3 

no,-7«jhyGt)t>»^le 



^6 DU G O U V £ R N E M E F 



CHAPITRE VII., . 

Comment la réforme du gouvernement Polonais 
doit cire vut par Us cours de l'Europe. 

J.L est juste de çoramcnccr' par la Russie, 
dont vous vous plaignez amèrement, et quî 
n'a que trop d'amis et de serviteurs parmi 
vous. Par une extrême imprudence , ou par 
pise suite nëccssairc de vos divisions et de 
votre foiblessc , vGa$ n'avez que trop souvent 
souffert, ou plutôt imploré sa médiation et sa 
garantie dans vos diiTérends. La conduite de 
cette puissance à votre égard , depuis le règne 
de Pierre premier, vous instruit de ses vues 
et de ses projets. Ce ne sera jamais que malgré 
elle qu'elle renoncera a l'ambition de vouç 
subjuguer , ou du moins de rcgarde'r votre 
pays comme une de ses provinces, et votre 
roi cominc son lieutenant. 

Je vous prie de remarquer que la Russie s'est 
formée dans le temps que tous les états de 
l'Europe , épuisés par leur luxe, des guerres 
continuelles ctdcs armées iropnombreuses,nc 
pouvoient plus jouir de leur première considé- 
ration. La nouvelle grandeur de Pierre pre- 
niier, ses forces de vatT, la discipline de sçs 



n5,-7«jhyGot>*^le 



P E r O L O G N E. 87 

troupes , ses succès cotUrc les ■Suédois , et 
Tordre qu'il avoit mis dans ses finances, le 
placèrent naturcllcracnc dans le. nombre des 
principales puissances ;.ctfifeni rçcherchcr son 
amitié. Ce prince , qui auToit dû *e bornée , 
sagement à, policer rintéricur de son empire 
et à le peupler, s'abandonna à soa ambition. 
Ne pouvant s'agrandir qu'ans dépens de la 
Porte, de la Suède ou de la Pologne, il vit 
qu'il étoil iséparc' des Turcs par des déserts ', 
que des conquêtes en Suède le retiendroicni 
dans -le Nord, et qu'en s'avançant' au con- 
traire en Pologne, il e'approcHeroit des puis- 
sances qui donneoi le printipal mouvement 
aux affaires de l'Europe, et dont il vouloif. se 
faire respecter. Il ne douta point que l'empire 
qu'il avoit acquis dans le Nord ne lui valût la 
plus haute considération dans k Midi. IJne 
seconde raison , monsieur le Comte, qui le 
porta à s'étendre dfc votre côté, ce fut' votre 
anarchie même ; il se flatta qu'elle favorîseroit 
^és entreprises , et qu'il auroît meilleur niarchê 
dçs Polonais que des Suédois et des Turcs. 

S'il m'est permis de dire librement max 
pensée, j'avouerai quil est surprenant que la 
Pologne ne soit pas déjà devenue nne pro- 
vince de Russie, Au lieu de cette incons- 
tance , de cette étourderie , de cctta avidité 
F 4 . 

no,-7«jhyGt.)t)'^lc 



6» DU GOUVSRNtHENT 

dont tous les peaples de l'Europe sont les 
dupcK depms pics de deux siècles, si la cour 
de Pétcrsbourg eut employé la conduite ad- 
mirable des Romains . qui savoîent si bien 
mettre à profit les passicins, les vices et les 
vertus de leurs alliés et de leurs ennemis , si 
bien cacher lear ambition , si bien préparer 
leurs couquctcs , et se faire d'abord aimer 
des peuples qu'ils vouloient asservir ; je ne 
vois point comment les Polonais auroient pu 
échapper- BU danger qui les idenaçoit. 

Tout ce qui se passe aujourd'hui est une 
preuve que cette cour n'a point renoncé à 
ses projets d'agrandissement, les Confédérés 
doiventdonc être sûrs qu'elle tentera loutpour 
s'opposer à la réforme qu'ils voudront faire 
dans leur constitution. Mais si elle s'épuise 
.dans cette guerre ; si elle dérange ses finances , 
si elle perd ses meilleures troupes, et que la 
Porte , comme elle a déjà fait à Pierre premier 
sur les bords du Piuth , lui impose la lot 
de ne plus se mêler de vos affaires -doraesti- 
ques . que vous importe sa mauvaise volonté? 
N'osant plus agir à force ouverte, ni inonder 
vos'palalinats de ses troupes, ce ne sera que 
par des intrigues et des cabales qu'elle traver- 
sera vos projets. Espérez donc , il vous sera 
encore permis de faire de grandes choses. Ou 



o,ga7^ah;-GoO<l\c 



D E ï O L O C N E. 89 

diroit que la politique Russe n'arien calculé, 
, n'a rien prévu , et ne cherche qu'à étonner 
par la hardiesse et la singularité de ses en- 
treprises, sans examiner et prévoir quelle eu 
sera la fin. Il me semble qu'on ne peut s'em-r. 
pêcher de mal augurer de ses affaires; et à 
moins de quelques hasards e^itraordipaiies sui 
lesquels il n'est jamais permis de compter, 
elle doit succomber avant que d'atteindre le 
bot qu'elle se propose par cette gutfrrc. Ses 
finances seront plutôt épuisées que. celles du 
giand-seigneur. Il est vrai que les Turcs , après 
une paix de trente ans qui paraît les avoir 
énervés , n'ont plus ces soldats que Montécu- 
cuUi estimoit. Les janissaires ont perdu leur 
ancien courage; et sous les généraux inexpé- 
rimentés qui les commandent, cette campagne 
et la suivante seront peut-être encore -malheu- 
reuses : mais s'il reste quelque sentiment de 
superstition , d'honneur et de gloire dans 
l'empire Ottoman , ses disgrâces même ne 
doivent-cUes pas l'irriter et réclaircr ? Il peut 
y rcparoître un général : ces soldats qui, ne 
fiavcat aujourd'hui que fuir , s'aguerriront; les 
fautes qu'on a faites servinant de leçon , et 
^ndis que la Porte reprendra son ancien es- 
prit , la Russie ne pourra enfin lui opposer 
que de nouvelles recrues. Ajoutez à cela que 



no,-7«jhyGt)C>'^le 



9« DU GOUVERNEMENT 

les troupes de la Confédération répandues 
dans toute la Pologne et la Lîthuanie , où elles 
font la petite guerre , cmpcchcot la Russie do 
réanir ses forces et de les porter toutes contre 
les Turcs. 

Si mes conjectures ne' sontpas vaines, la 
cour dé Pétcrsbourg ne verra point diminuer 
SCS succès, sans être ncg'ïgce de ses alliés. Ils 
la serviront mal dans le déclin dt ses affaires , 
parte que c'est une politique très - ancieiine 
dans le mopde, et assez généralement reçue 
en Europe, de n'être atiaché à ses amis qu'aux 
tant qu'ils sont heureux , de les mal servir 
quand leur fortune estdouteusc, et même de 
les trahir dans l'adversité. Mais ne nous en 
tenons pas à ces maximes générales. Je vous 
prie , monsieur le Coîntc , faites attention que 
l'Angleterre, plus divisée que jamais par les 
fections qui partagent le parlement , et occù-' 
pée de ses colonies , prêtes à secouer le joug , 
ne sera point en état de servir les vues de la 
Russie, Certainement elle n'enverra pas dans 
la Méditerranée une armée navale , pour 
secoiider les efforts inutiles de l'escadre russe, 
La cour prévoit qu'elle aura besoin de ses 
forces en Amérique, et les Anglais connois- 
scnt d'ailleurs trop bien leurs intérêts , pour 
BoyfFrir patiemment qu'on sacrifie le riche 

no,-7«jhyGt.)t>*^le 



DE POLOGNl. 91 

commerce qu'ils font dans Icï Echelles du 
Levant à celui du Nojd, Il n'est pas même 
vraisctnb-lable cjuc le ministère puisse servir 
ia Riis.sie par des négociations. Si son crédit à 
îa Poiic n'csipas.perdu, il doit être du nioîns 
fort ébranlé , depuis que le gouvernement a 
pcrmii à des Anglais de s'embarquer sur l'es- 
cadre de Russie, soit comme officiers , soit 
comme simples matelots , pour la guider ec 
l'aider dans ses opérations. Je ne sais point 
iquel est l'état des négociations auprès du di- 
van; j'ignore quel en est Tesprit; mais j'ose- 
rois avancer qu'il est plos aisé à la France de 
porter le grand seigneur à continuer la gucrrlf 
pour réparer ses disgrâces et rétablir sa répu- 
tation ; qu'à l'Angleterre de l'çngager à faire 
une paix honteuse. 

Quoique le Danemarck, autre allié de 1» 
Russie, affecte bcau,coup de- zèle en sa faveur, 
remarquez avec soin que ce zèle est infruc- 
tueux, <t soyez sûr que la conr de Goppen'f 
hague fait des vœus secrets pour la liberté des ■ 
Polonais. Outre 4''Plèrêt général et commuii 
d'humilier une puissance qui affecte sans 
prt et sans retenue l'empire du- Nord , 
(illc n'a point oublié ses longues (Querelles 
pour les duchés de Holstein et de Sleswick. 
EUc "conaerve ses haines ou du moinç je^ 

. ■ ' ' no,-7«jhyGtH5^le 



g« DU GOUVERNEMENT 

défiances, et le 'traité qu'elle 3, fait arec lâ 
Russie ne la rassure pas cntlçrcmcnt. Elle doit 
craindre qu'en montant sur le trône , le grand 
duc ne ratifie pas les conventions stipalccs 
par sa mère ; à moins que le mauvais état de 
ses affairei'ne l'oblige d'oublier les préten- 
tions de sa maison , de négliger un établisse- 
ment considérable dans l'Empire, et de se 
contenter des fiefs peu importans qu'on !ni a 
cédés. Pour peu que le Danemarck soit ins- 
truit du crédit rôécliocrc qu'ont aujourd'hui 
les traités' les plus solennels. Il doit trembler 
pour ce qu'il a acquis , et désirer avec ardeur 
que la réforme d« votre gouvernement, dont 
il n'a rien à craindre , vous mette en état d'ar- 
rêier les progrès de la Russie et d'intimider 
son ambition. 

La prçjive que le roi de Prusse n'est pas 
sincèrement l'ami de la czarinc , c'est qu'il 
se contenue de lui parler de son attachement 
sans agir ;M1 pourroit ,,avcc ses forces et la 
supériorité de soq génie , décider la question, 
et ii ne le fait pas : il me scnriblc qu'on peut 
tirer de-là une foule de conséquences.. Il est 
donc évident qu'il est aussi peu attaclié aux 
intérêts de la Russie qu'à ceux de la Pologne. 
Ce prince se souvient des maux que les Rus- 
ses lui ont faits dans la dcmièrc guerre; il 



D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



DE POLOGNE, gS 

n a pas oublié que le premier acie de souve- 
raineté de la Czarine régnante a été de se 
déclarer son ennemie, en rompant brusque- 
ment l'alliance éfoîtc que son mari avoit 
faîte avec lui. Un prince ambitieux, qui jouis-. 
BOit de la gloire de n'avoir pas succombé sons 
l'cfFort de l'Europe conjurée , qui touchoit 
enfin au moment de se. venger en faisant Ul 
. loi à ses ennemis , et qu'bii prive de ccttt 
satisfaction , peut-il en perdre le souvenir ? 
La politique peut bien prescrire à ce prince 
de l'eindre des sentimens qu'il n'a pas , mais 
sûrement elle n'efPaccra point dans son cœur 
le ressentiment du tortqu'on lui a fait; soyes 
persuadé que les passions conservent toujours 
leur empire. 

Si les Russes sont enfin battus, si l^s Turcs, 
comme je l'espère , reprennent leur ancien 
courage , je suis sûr, monsieur le Comte , que 
le roi de Prusse verra cette révolution avec 
plaisir, et ne se brouillera point avec là Porte, 
dont il aura tôt ou tard besoin contre la cour 
de Vienne et même contre la i?.ussie. Je crois 
. encore que ce prince ne doUtiriroit pas patiem- 
ment que vous vous rendissiez redoutables 
à vos voisins. Quelqu'habile qu'il soit à la 
guerre , quclquadresse qu'il ail à demclcr les 
iBSSOits de celte intrigue cachée qui gouverne 



D.Qiil'.dby Google 



94 nUGOUVinNEHENt 

et agite l'Europe , je serois assez porté à pcri-* 
scr qu'il ne s'opposera point à la réforme d* 
votre gouvernement, si vous paroisscz vous 
' contenter de recouvrer votre indépendance^ 
11 n'a rien fait jusqu'à présent qui fasse soup- 
çonner qu'il pense que les principes' d'un bon 
gouvernement soient le fondement de la pros- 
périté durabVe des états. II est accoutumé à 
ne compter qoe sur ses talens , et, cn'effet, 
ils suffisent aux succès et à la gloire de son 
règne; et il ne verra dans vos nouvelles lois 
que la fin de vos troubles et le commencement 
d'une ttaaquillîté civile et domestique. 

Si les Turcs, toujours mallieuieux , étaient 
obligés de demander la paix, j'avoue que je 
ne vois point comment la Pologne pourroÏB 
se défendre contre la Russie, ci ne pas con- 
sentir aux conditions humiliantes qu'elle vous 
imposerpit. Je ne devine point d'oà vous- 
poarricz attendre qtrelquc secours. Puisqu'on 
vous néglige aujourd'hui, parce qu'on eraint 
de faire des efforts inutiles pour vohs empê- 
cher de succomber ; quand vous aurez suc- 
combé , vous tcndra-t-on 1^ main pour vous 
relever ? Mais j'écarte, monsieur le Comte,- 
ces tristes idées; et, comme j'ai eu l'honneuF 
de vous le dire ,11 y a tonte apparence que 1& 
divap s'irritera en5n dans ses disg^races^ ot' 



D,o,l..(iby Google 



tt É T O L O C N È.' g5 

que la cQur de Pécersbourg sera obligée la 
première de poser les armes. Dans ce cas y 
bicd loin de s'opposer à la réforme de vos 
lois , elle feindra d'approuver ce qu'elle ne 
pourra empêcher. Ne doutez pas que la PorWi 
ne favorise puissamment les vncs des Confé-* 
fédérés , ne fût-ce que pour humilier davantage 
ses ennemis, et élever une espèce de trephéo 
à ses, victoires. 

De toutes les puissances voisines'de la Po-* 
logne , la plus difEcile à manier , c'est sans 
doute là cour de Vienne. Sa politique en gé- 
néral est plus lente , plus réfléchie et plus 
constante que celle des autres cours, et selon 
les apparences, clic doit cet avantage au gou- 
vernement féodal de l'Empire , qui lui donne 
de grands titres et peu de pouvoir. Avec des 
vassaux qui ont de grands droits , quelquefois 
des forces considérables, et souvent des alliés 
très - pùissans , on est obligé de cacher ses 
vues, de séduire, de s'insinuer avec adresse, 
et de préparer avec art l'autorité à laquelle on 
aspire. Quelquefois la polinque autrichienne 
a'eodott, c'est-à-dire , qu'elle semble oublier 
ses principes ; mais elle ne les abandonne pas, 
et ne fait lien qui y soit contraire. 

Tout le monde sait que Charles - Quint 
avcHt, si je puis parler ainsi, anc ambitioq 



rjo,T«jhy Google 



96 DU CO.DVER.NEMENT 

vague , qui , sans objet fixe et dctermînê 
d'agrandissement , se por'toit à lit fois à toutes 
les entreprises dont il esptroit drcr quelque 
utilité. Il paroît que ce prince a formé le ca- 
ractère de l'ambition de sa maison. Ses pre- 
miers successeurs l'imitèrent; mais l'expérience 
ayant enfin appris à ces princes qu'il vaut 
mieux finir une affaire que d'en entamer dix, 
ils ont mis plus d'ordre dans leur politique ; 
et en s'occupant entièrement de leurs intérêts 
présens , ils songent à ceux qu'ils peuvent 
' avoir un jour, et se gardent de rien faire qui 
puisse y être contraire. 

Si la maison d'Autriche , monsieur le Comte, 
n'a pas profité des désordres de votre anarchie 
pour vous subjuguer, ou du moins pour avoir 
chez vous le crédit donc -la Russie y jouit, 
vous ne le devez qu'aux afTaires imporiaotes 
dont elle a été occupée, depuis deux siècles, 
dans le rflîdî de l'Europe. Mais je ne voudroîs 
pas répondre qu'elle ne regardât pas vos divi- 
sions et tons les vices de votre gouvernement 
mmme autant de moyens et de titres pour 
vous soumettre un jour à sa domination. Si 
ma conjecture est fondée , ne doutez point 
que la cour de Vienne ne fût très-fâchée de 
vous voir sortir de votre anarchie, et ne crût 
cette entreprise contraire à ses intérêts et à ses 
espérance». Je 

B,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



BE POLOGNE.' 97 

Je ne sais à quoi Ton doit attribuer l'indif- 
férence avec laquelle elle est témoin de la . 
guerre des Turcs et de la Russie. Est-ce une 
suite de ses liaisons avec la France qui vous 
'favorise ? La maison' d'Autriche voit-elle avec 
jalousie Tasccndant que la Russie a pris dans 
vos affaires ? Ou pour conserver une alliance 
nécessaire contre la Porte, ne veut-elle pas 
servir l'ambition d'une puissance qui ne pour- 
roit , en vous subjuguant , s'approcher de la 
Hongrie et de l'Empiie , sans devenir son 
ennemie ? Après avoir ouvert au conseil de 
la Confédération de Bar un asyle à Epéricz, 
pourquoi votre ministre à Vienne ne pent-il 
entamer aucune négociation ? Il n'est pas sur- 
prenant que n'ayant aucune connoissance des 
personnes qui gouvernent les. cours , et ne 
lisant pas même les gazettes , je sois embar- 
rassé ; mais vos Confédérés ne doivent pas 
l'être , et ce scioît à eux à résoudre tous ces 
problêmes. Quoi qu'il en soit, je crois que 
vous devez tout tenter pour tenir d abord l'ira- 
pératricc-reine dans cette espèce de neutralité 
qu'elle montre, et ensuite pour la rendre favo- 
rable à vos projets de réforme. 

Ce dernier point me paroît si important, 
que je ne balancerois point, à la place des 
Polonais , d'otf.ii^a couronne au duc de Saxe» 
Mably. Tome VIJI. . G 



gS pu GOUVERNEMENT 

Tcschcii ; et ce choix vous concilicroit tous 
les pattisans de la maison de Saxe. Si cette 
piopositton cioit reçue avec froideur , on 
pourroit élever sur le trône le futur mari de 
l'archiduc liesse qui est àmatier. J'irois même, 
permettez>inoi , monsieur le Comte, de dire 
tout ce que je pense, j'irois jusqu'à prendre 
un archiduc pour roi. Vous me répondrez 
sans doute que le duc de Saxe-Tcschen n'aura 
vraisemblablement point d'cnfans , et qu'ainsi 
vous VOUS' trouvcrei encore exposés aux in-, 
convénîens d'un nouvel interrégne et d'une 
nouvelle élection. Vous remarquerez que cette 
perspective ouverte à l'ambilion entretiendra 
parmi vous l'esprit de cabale , d'intrigue et de 
.parti, qu'on ne peut trop se hâter de détruire, 
que le gouvernement , toujours ébranlé , ne 
prendra aucune consistance, et qu'on perdra 
Foccasion la plus favorable de faire Tine ré- 
forme. Passant ensuite au choix d'un archiduc, 
dont je viens de vous parler, vous me direz 
que vos compatriotes sont accoutumés à 
craindre la maison d'Autriche. Je connois 
^ les sentimens qui accompagnent une pareille 
crainte dans la multitude ; et je sens que les 
Polonais , en général , doivent être d'autant 
moins disposés à prendre le parti que je pro- 
pose ,' qu'ils ne doutent pc%it qu'un archiduQ 



hyGt)t>*^le 



DE POLOGNE. 99 

n-e parvînt bientôt , avec le secours de sa mai- 
son , à' s'emparer d'un pouvoir arbitraire. 

Je réponds à ces objections, qu'il seroit 
aisé , en plaçant le duc de Saxc-Tcschen sur 
le trône , de nommer éventuellement son suc- 
cesseur , dans le cas où il n'auroit point d'en- 
ïant mâle. Cette double élection préviendroit, 
si je rie me tronjpe , les inconvéhicns que 
Vous redoutez, et ce ïeroit même un moyen 
de vous attacher quelque maison , dont les 
secours pourroient dès aujourd'hui vous être 
utiles. Il est vrai que l'idée d'un archiduc 
k-oi de Pologne offre d'abord quelque chose 
"d'effrayant à des hommes assez jaloux de leur 
liberté pour aimer le veto et les Confédéra- 
tions; aussi n'est-ce qu'à la dernière extrémité 
qu'on peut recourir à un pareil expédient, 
et dans le cas 6ù ce seroit le seul jnoyen 
pour attacher la cour de Vienne à vos întérêtSi, 
Cependant il ne faut pas se faire des terreurs 
paniques : dans une affaire dt cette impor- 
tance, c'est la raison et non pas les préjugés 
qu'on doit consulter. Il me semble que si 
j'avois l'honneur, monsieur le Comte, d'être 
votre compatriote , et de délibérer à Epériez , 
dans le conseil de la Confédération , je pro- 
poseroîs yolonders de placer «n archiduc 
sur le trône, pourvu que ce fût aux condi- 
G a- 

D,o,l7PCihyGt)t)^le . 



lOO DU GOUVERNEMENT 

lions que jVi établies dans un chapitre prc- 
cédénc. 

Sans doute qu'on formeroit à Vienne de 
grandes espérances sur la.fortune de ce prince. 
On se flatteroit qu'il augmcnteroit d'abord 
son autorité par une politique lente cl cons- 
tante, et qu'il se serviroît ensuite de son pou- 
voir pour travailler à l'agrandissement de sa 
maison qui l'auroit favorisé et servi dans ses 
entreprises. Mais tout cela ne doit paroîtrt 
qu'un beau rêve qui peut amuser la ville de 
Vienne, mais incapable d'effrayer la Pologne. 
En attendant tout ce pouvoir à venir , je ga- 
gerois que l'irtipcratrice - reine , dont toute- 
l'Europe admire les vertus, aura plutôt la po- 
litique d'une mère qui veut éiablÏT solidement 
ses cnfans, que celle d'une princesse ambi- - 
lieuse que le despotisme seul peut satisfaire. Elle 
conseillera à son fils de ne pas trahir ses ser- ^ 
mens , et de se rendre agréable à la nation 
qui l'aura adopté. Si elle craint que son lîls , 
encore jeune , ne soit porté à confondre , 
comme la plupart des princes , l'aotorité cl 
la gloire , elle l'invitera cUt-mênae à se mo- 
dérer et à ne faire naître aucune dé&ance. Elle 
lui apprendra que la voie la plus sûre de pré- 
parer les progrès de son ponvoir, c'est de 
paroîtie saii&fait de celui que les lois lui coiw 

no,-7«jhyGt)t)*^le 



DE. POLOGNE. lol 

Sent. Pour mieux instruire son fils et l'accou- 
tumer à son état, elle se gardera avec soin de 
blesser les opinions des Polonais. 

Cependant cette princesse, dont on se dé- 
fie aujourd'hui, ne régnera pas éternellement, 
■pt la Pologne doit sentir qu'il n'y aura plus' la 
même intelligence entre votre roi et la cour 
de Vienne. Un frère n'a point les sentimens 
d'une mcre , et selon les apparences , l'em- 
pereur sera moins occupé de la fortune de son 
frcre que de la sienne; cl s'il n'est' pas ambi- 
■ tieux pour lui, je ne crois pas qu'il le devînt 
en faveur de votre roi. En vérité, monsieur 
le Comte, peut-on s'alarmer sérieusement en 
voyant l'agrandissement et l'élévation des dif- 
férentes branchesd'une'maison , qnand on 
connoîtun peu les passions humaines et l'cin- 
pîre avec lequel elles gouvernent les cours? 
Les successeurs de Charles-Qnint et de Ferdi- 
nand çurent-ils entr'eux cette union qui auroit 
fait trembler l'Empire et l'Europe entière ? Je 
ponrrois vous citer une foule d'exemples , pour 
vous prouver que des princes d'une même 
inaison ont souvent des intérêts très-difFércns. 
Mais permettez - moi seulement de vous de- 
mander si quelque chose pouvoit être plus 
ridicule que toutes ces déclamations puéiiles 
par lesquelles on tcntoit d'alarmer l'Europe au 
G 3 



to4 DO GOUVERNEMENT 

pércTont- de s'en servir utilement contre la, 
Russie, si cette puissance ne renonce pas 

à l'ambition dont elle inquiète ses voisins, ' 
Compte?, de votre côté sur les secours ei les 
diversions de la Suède; mais elle ne se pi- 
quera poini , car sa situation ne lui permet pas 
entoie celte politique sublime ; elle ne se 
piquera point de Id gloire d'-obliger des in- 
grats et une république en désordre , qui n'est 
pis en cta; d'avoir une volonSé, de prendre 
«ne résolution certaine et de se défendre elle- 
même : elle attendra, pour vous servir , que 
votre alliance puisse lui être avantagense- Dès 
aujourd'hui son histoire et ses lois peuvent 
vous être de la plus grande utilité , et vous 
pourrez y puiser les plus importantes leçons. 
Les Suédois ont été aussi malheureux que les 
Polonais avant la célèbre révolution de Gus- 
tave Vasa; et ce qu'ils ont fait depuis peut 
vous, instruire de ce que vous pouvez et devez 
faire. 

La France est l'alliée naturelle de la Po- 
logne , et comme la Suède elle ne peut que 
gagner à voir augmenter vos forces et votre 
puissance. Il seroic inutile , monsieur le Comte, 
de rapporter ici toutes les raisons qui l'ont 
empêchée de se déclarer ouvertement en votre 
faveur ; il suffit de voie sur la carte , par quelles 



d'oii ..ci hy Google 



DE POtOGNE. lo5 

vastes provinces la Pologne et la France sont 
séparées , pour juger que nous ne pouvions 
point vous aider par nos armes ; mais nous 
avons engagé le grand-seigneur à prendre votre 
défense, et c'est vous avoir rendu le service 
le plus important. Si la France entend ses 
intérêts, ,ei sans doute elle les entend, elle 
invitera -puissamment la Porte, son alliée na- 
turelle, à se venger de ses disgrâces et recou- 
vrer son ancienne réputation. Elle secondera, 
les désirs que vous avez de changer vos lois 
et de donner une nouvelle forme à votre gou- 
vcrnerticnt. Plus vous lui ferez connoîtrc vos 
intentions à cet égard , le zèle et les espérances 
des Confédérés, plus vous augmenterez l'ar- 
deur que nous avons de vous être utiles. Si 
vous devez cacher vos projets ei vos espé- 
' tances à la cour de Vienne , vous ne pouvez 
au contraire les montrer avec trop de con- 
. fiance au ministère de Versailles. Il lui im- 
porte que la Pologne, dont la prospérité ne 
peut jamais lui donner aucune inquiétude , 
sorte de son anarchie et devienne une puis- 
sance sur laquelle on soit en droit de compter. 
Il lui importe d'avoir dans le Nord un allié 
qui puisse faire des diversions utiles, et qui 
par sa position soit eu état d'attaquer les puts" 
fiances qui tenteront de nout nuire. 



Dpi ..ci hy Google 



lo6 DU GOUVERNEMENT 

Vous devez ne rien craindre , et même ne 
rien espérer desautres puissances. L'Angleterre, 
ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le 
dire , s'est fait des affaires trop sérieuses avec 
ses colonies , pour vouloir se mêler des vôtres. 
Le beau temps des Provinces-Unies est passé; 
à force de s'être mêlées des querelles des rois, 
d'avoir été les dupes de la politique de l'équi^ 
libre , et fait dans lEurope un rôle trop 
ct^nsidérable pour leurs forces , elles sont 
tombées dans un état d'épuisement et de foi- 
blessse dont personne ne se doutoit , et que 
ravaDt-dernicjc guerre a fait co.nnoîue à tout le 
monde. La Hollande a pris en&n par nécessité, 
les principes de conduite quelle auroit dû adop- 
ter par, sagesse après la paix de Wcstphalie. 
Elle rie s'occupe aujourd'hui que de son com- 
merce ; après l'avoir fait fleurir en menaçanï 
de SCS armes ceux qui autoient voulu le 
troubler, elle veut le conserver prudemmciu 
pardestomplaisances. Pour naviguer librement 
dans la mer Baltique, elle observera la plus 
exacte neutralité au sujet des affaires du Nord. 
Que leur importe que vos lois soient sages ou 
non ? ce qui les touche uniquement ou préfé- 
sablement à tout, c'est le bled que les Polonais 
yendent à Dantiick , et qu'elle achète pouw 
pourrir une partie de ses liabltans. ^ q^. \s,. 
ijçycndrc dans toute l'Euroçc^.^ 

D,o,l..(ibyGt)Ogle 



DE POLOCME. 10^ 

VEspagne, le Portugal et les princes dluUo 
ne vous seront, je crois, d'aucun secours. 
La plupart de ces puissances paroissent ne 
point porter leurs regards jusques dans le Nord, , 
Occupées de leurs intérêts présens , elles ne 
veulent pas s'inquiéter à prévoir et à prévenir 
Jes événemens que la fortune' peut auiener, e( 
. qui , selon les apparences , n'influeront jamais 
beaucoup dans leurs affaires. Le pape , qui 
exerce chei vous unç vraie magistratnre par 
son nonce , devroit ne pas oublier combien 
il seroit avantageux pour lui que votre répu- 
blique devînt ce qu'elle devroit être. Mais je 
me suis déjà trop écarté de l'objet qui doit, 
principalement m'occuper ; çt il est temps, 
IQonsieur le comte , de revenir à la réforme de 
votre gouvernement, et de vous entretenir des 
moyens que vous deve? employer pour établir 
dans votre république . une puissance çxçt 
çutrice. 



no,-7«jhyGt)C>»^le 



DU GOUVERNEMENT 



CHAPITRE VIII, 

De [a puissanfc exécutrice relativement au iénat 
et aux miniitres uu grands ojjiciers de la 
couronne. 

Xjk traitant jusqu'à présent de la puissance 
cxécutiice, je n'ai parlé que du roi, et n'ai 
songé qu'à réparer la faute que vos pères ont 
fnitc de lui confier l'exécution des lois et toute 
l'adminisiration des affaires publiques ; vos 
maUieujs ont été une suite nécessaire de cette 
imprudence. Mais après avoir repris une auto- 
rité dont vous n'auriez jamais dû vous dessaisir, 
ne croyez pas qu'il ne vous reste plus rien à 
faire. Vous avez vu les raisons ^ui m'ont déter- 
miné à penser" qu'il vous importe d'avoir un 
roi héréditaire ; et avant que de vous exposer 
mes idées sur la manière dontvous devez former 
le sénatqui doitle conseiller, l'instruire et !e gui- 
der, pernùcttez-mot d'ajouter que pou rétablir so- 
lidement votre tranquillité, vous devez déclarer, 
de la manière la plus forte et la plus solennelle, 
que la personne du roi estinviolable et sacrée, 
S"il est permis de lui dcpiander compte de 
sa conduite , de le juger et de le punir , n'cst-il 
pas certain que vous conscrvciez dans votre 



Dioii ..ci hy Google 



DE POtOCNE. log 

nouveau gouvernement la plupart des vices de 
l'ancien ? î^e nous flattons pas : les passions 
et les préjugés avec lesquels on est familiarisé 
par une longue habitude , ne diïparoissenc 
point en un instant , cl ils nous gouvernent 
encore à notre insçu , quand nous croyons 
de bonne foi en cire débarrassés. Dans un 
pays tel que le vôtre, où plusieurs citoyens 
jouiront d'une fortune prcsqu'égalc à celle du 
prince , soyez persuadé , monsieur le Comte, 
qu'ils regretteront pendant long- temps leurs 
espérances chimériques , mais flatteuses de 
monter sur le trône , ou du moins le droit 
qu'ils croyoicnt avoir de le vendre ou de le 
donner. _ïl subsistera un certain mal-aise , une 
certaine inquiétude , et par conséquent une 
fermentation sourde et secrète , qui , en vous 
empêchant, de jouir du bonheur que les nou- 
velles lois vous promettent , travailleront sans 
cesse à Faire revivre tes anciens abus. Si le sort 
du prince n'est pas incontestablement affermi, 
on voudra qu'il réponde des caprices de la 
fortuue, des injustices ou des négligences de 
ïe^ officiers; on ne lui pardonnera même pas 
des distractions ou des fautes iuséparables de la 
foiblesse humaine ; on lui fera des crimes de 
tout', dans 1 espérance de rétablir l'ancien 
«lésoidre , et de s'emparer eocore de la cou> 

no,-7«jhyGt.)t)^le 



lia DU GOUVERNEMENT 
révolution ; il sufHroit de faire connoître la 
nature de nos passions , qui s'irritant et {)aF 
i'cspérance de réussir et par les obstacles qui 
les contrarient , nous pouisént souvent au-delà 
du terme que nous nous proposions , et nous 
obligent de soutenir toujours une entreprise 
injuste par une nouvelle injustice. 

Je crois qu'il est facile de démontrer qu'une 
république ne peut être sagement administrée , 
qu'autant que la puissance législative nomme 
elle-même les ministres qu'elle charge de 
l'exécution des lois , et conserve le droit de 
Itur faire rendre compte de leur conduite et 
dé les juger. Je vous prie de vous rappeler 
combien vos pères , en abandonnant au roi 
ic privilège de nommer aux places qui confèrent 
13 dignité de sénateur, ont accumulé de maux 
.sur leurs tètes. Vous voyez combien les Anglais 
5e trouvent mal de ne pas choisir eux-mêmes 
les conseillers et les ministres du prince. S'il 
est foiblc ou peu éclairé, il ne sera entouré, 
malgré ses bonnes intentions , que par des 
intrigans qui le tromperont; tandis que d'autres 
intrigans feront des efforts continuels pour 
les chasser et s'emparer de leurs places; ainSi 
le gouvernement sans caractère altère sans 
cesse celui de la nation. Si le prince a des 
■lumières , on lui déguisera la vérité , et la. 
flatterie 

n,o,i7P(ibvGt)0^le 



n t ta L o c N E. 1 jp , 

flaUeric le gocivchicrapar ses p^ssiojis , sani 
qu'il s'en aperçoive. S'il est dur, aiQbidcuif et 
injuste , il n'aura daps so;n conseil que de* 
complices de son injustice ct;dc som ambition. 
S'il est timide , ses ministres seront sanf 
énergie. C'est ainsi qu'avec le» lois d'un peuple 
libre, les Anglai* sont presque toujours les 
dupes de la cour, oublient et perdent insen- 
siblement leurs principes : àforpede se vendre, 
ils ne mériteront plus qu'on se doiinc la peine 
de les acheter. * 

Les sénateurs ne doivcflt avoir aucune part 
à la puissance législative. S'il leur est permis 
de se confondre dans la Dictcavec les nonces, 
et d'y délibérer, vous s£ntei que sons prétexte 
de la connotssance des affaires courantes , ils 
y auront trop de crédit ^ et que lautorité dont 
ils' doivent rester revèlM> après la séparation 
de l'assemblée législative , achèvera de les 
rendre les maîtres de la pluralité des suffrages. 
Bientôt vous n'aurez donc que des lois favo- 
lables à l'ambition du sénat , et contraires à la 
liberté du corps qui représente la nation. 

Si je borne le sénat à être le minisire et 
l'organe des lois , je lui abandonne toute la 
puissance exécutrice. Rieji ne doit le gèncr , 
ni suspendre l'exécution de ses décrets. Son 
autorité s'étendra égalcmonl sur ioatei-_ie« 

Mably. 7omt VUL H 

no,-7«jhyGt.)t5'^lc 



Il4 Çtl GOUVÎRNËMEtfT 

branches dé l'administration , soit au-dedâns ,' 
8oit au-ddhorS ; il convoquera les Diètes et • 
les Diétincs extraordinaires, quand des besoins ' 
ou des dangers imprévus l'ctigeront ; et leS 
tiniversaux qu'il expédiera en celte occasion , 
conûendront les motifs de cette résolution et 
les objets sur lesquels on délibéreta, afin que 
les palatinats soient à portée de donner des 
instrucdons à leilrs noncei', et de faire con" 
Tioitre le vœu général des citoyens. Les c^rdrcs 
oa décrets du sénat seront exécutes Comme 
des lois , sauf aux personnes qui seroicnt 
lésées de protester rcspcctucnsemcnt et de 
porter leurs plaintes à la Diète générale pour 
demander une réparation légitime. Pendant 
long-temps vos lois, qui n'auront pas proscris 
tous les abus et tout prévu , paroîtront ne vous 
pas suffire ; car les Confédérés auront sans 
doute la prudence de ne pas accablerou révolter 
la république , en voulant- à la fois corriger 
tous sti vices et poorvoir à tous ses besoins. 
Quand la loi paroîtra se taire, ou que le sens 
en sera équivoque , le sénat aura le droit de 
faire des réglemens ou des interprétations pro- 
visoires, qui n'auront force de loi que jusqu'à 
la prochaine Diète , qui les rejettera ou les 
adoptera à son gré. Il est de la plus grande 
importance pour une république qui se forme , 



no,-7«jhyGt)t>*^le 



DE rOLObNÉ. llS 

itpour la vôtre sur- tout, qui est accoutumée 
depuis si long- temps à l'anarchie , qu'aucune 
indécision ne suspende le cours et le jugement 
des affaires. Si les réglemens provisoires sont 
sages , la puissance Législative profitera des 
lumières du sénat pour mieux connoître le» 
besoins de la nation. Si elle les aonnlle on 
les modifie , les lois nouvelles qu'on publiera 
instruiront les sénateurs et aideront à fixer leur 
politique et son caractère. 

Il faut tâcher d'établir pour l'examen et 
l'expédition des affaires * des formes doht il 
ne soit jamais permis de s'écarter; car les 
hommes , avec des passions si vives et une' 
raison souvent si foible et si incertaine r> ont 
besoin d'une méthode pour trouver la vérité, 
et 5ur-tout pour tie s'eg point écarter. Si la 
Diète est assez sage pour s'imposer à elle-même 
des lois et des formes propres à prévenir toute 
erreur , il lui sera aisé de donner au sénat une 
constitution at des réglemens qui le mettront 
dans la «jécessité d'étudier, de connoître et 
.d'aimer ses devoirs. On établira des conseils 
selon les différens besoins de la république , 
et ils feront au sénat le rapport de toutes les 
affaires dont il doic décider. Le chancelier 
rcçueilleia les voix ; et en cas de partage-, celle 
4u roi sera comptée pour deux, et départager} 
H 3 

no,-7«jhyGt.)t)^le 



Il6 DU C O U V E K N E M £ N T 

le sénat, dont l'activité ne doit jamais être 
suspendue. Le résultat des délibérations sera 
porté sur les registres , et souscrit par les 
sénateurs qui auront été de l'avis dominant. 
Le grcificr ou secrétaire du sénat aura soin 
d'inscrire de sa main 'au bas de l'acte le nom 
de tous les sénatcnrs présens à la délibération , 
et qui n'ont pas été de l'avis qui a prèvaln. 
Ces registrei seront communiqués à la Diète , 
quand elles les demandera ; et les nonces 
pourront s'instruire à la fois de l'assiduité des 
sénateurs , et du degré d'estime que la nation 
doit aux talens , aux lumières et .à la probité 
de chacun d'eux. Quand les actes du sénat 
ïcrbnt expédiés et rendus publics , ils ne seront 
signés que du roi ci du ministre au département 
duquel ils sont relatifs. Si ces actes avoicnt 
passé contre l'avis du roi et du ministre, nî 
l'un ni l'autre ne se fera cependant un scrupule 
de cette signature , qui n'est pas une marque 
d'approbation , mais qui déclare seulement 
que l'acte est authentique. 

Jamais la politique ne conseillera de conférer 
une autorité àvic; elle craindroit de corrompre 
ceux qu'elle veut employer à faire le bien. En 
eÉFct , quel moyen lui resteroit-il pour empê- 
cher' que le citoyen qu'elle aura revêtu d'une 
autorité perpétuelle, n'oublie pas qu'il ne doit 



D,o,l7PCihyGt)t>*^le 



DE r o I. o G K e: 117 

être qu*im simple citoyen chargé de la censure 
de ses semblables et de la défense des loi» ? 
Tantôt il abusera de son crédit pour se rendre 
plus puissant , et tantôt il ne s'en servira qo'avec 
■110C mollesse qui n'est guère moins funeste 
pour la société. Plus la Pologne a été exposée 
jusqu'à présent à ces abus , plus elle doit 
prendre de précautions pour les déraciner. 
Songez .. monsieur le Comte , et rappelci , je 
voos prie , à la Confédération , qac vos ministres 
ou vos quatre grands ofBcicrs sont parvenus 
par une longue suite d'usurpations , à disposer 
arbitrairement des affaires de leur département. 
Qu'en devoit-il résulter ? Le sénatn'a conservé 
aucun droit , parce qu'il ne lui restoit aucun 
pouvoir ; et les sénateurs, contons d'uh titre 
et d'une considération qui forçoientles arbitres 
ou les tyrans de la république à les ménager, 
se -crurent au-dessus des lois qu'ils méprisèrent,, 
et négligèrent la patrie et leurs devoirs. A 
peine dans les assemblées les plus nombreuses, 
aprèi les convocations les plus solennelles, et 
dans les circonstances les pins critiques et les 
plus importantes, compte -t- on à Varsovie 
cinquante on soixante sénateurs. Si j'osbis le 
dire, cette indifFércQcc des plus grands per- 
sonnages de la république me persuadèrent 
qnc Tamour de la patrie n'en qu'un sentiment 
H 3 

Do,T«JhyGt)t>gle 



llB DU G O U V E K If E Kf E N T 

bien foiblc en Pologne, et qu'il n'a pas formé 
toutes ces Confédérations qui se sont vantées 
de s'armer pour défendre la liberté. 

Il e&t fôcheux que la dignité de sénateur 
soit attachée à de certaines places ou à de 
certaines charges qui sont données à vie , et 
qu'il soit absolument impossible de feire à cet 
égard le moindre changement. J'espère que 
des évêques , des palatins et des castellans 
nommés désormais par la. nation , s'acquitte- 
ront de leurs fonctions avec plus d'exactitude , 
de fidélité et de ièlc que leurs prédécesseurs , 
qui n'ont dû trop souvent leur élévation qu'à 
leur argent, à des intrigues, des bassesses ou 
des QattericS' Mais à vous parler franchement, 
monsieur la Comte , je ne compterois guère 
sur ces espérances , si l'on ncgligeoit de mettre 
dans le gouvernement un ressort capable de 
porter désormais les sénateurs au bien , et de 
leur donner un nouVel intérêt et un nouveau 
caractère. Il dst d'autant plus nécessaire de 
rompre les habitudes de paresse, d'indifférence 
et d'inertie , contractées sous le gouvernement 
actuel, qu'il n'est pas possible de vous débar- 
rasser de votre malheureux sénat , et d"y intro- 
duire de nouveaux évêques, de nouveaux 
palatins et de nouveaux castellans ; je vous 
paiLc , monsieur le Comte , avec une franchise 



n,o,i7PdhyGt.)t>*^le 



DE POLOGNE. ng 

qui seroit bien tidicule, si vous et les autres 
chefs de la Confédération de Bar , vous n'étiez 
pas capables d'entendre les vérités les plus- 
fâcheuses quand elles sont utiles à votre patrie. 
Il f^ut donc que les lois qui établiront une 
nouvelle constitution dans le s«nat , tendent 
i développer des vci(us et des tatens qui méri- 
tent aux sénateurs la confiance et l'estiaie du 
public. Qui produira cette heureuse révolution? , 
- Vaniour de la patrie , de la liberté et de la 
gloire ? 

Les Té.fortnateurs ne produiront aucun bien , 
s'ils se cQntcntent de louer magnlËquement 
ces vçrtus , et d'en qrdoiincr impérieusement 
Ifi pratique. La législation demande plus fl'ai'ï 
et cQmme le laboureur prépare avec soin 
ses champs , et commence par détruire 
tout ce qui pourrait étouffer, sa seincoce, de 
même le légisUtcm , pour faite naître les vertus 
qu'il désire , doit travailler d'abord à écarter 
les obstacles qui s'y opposent. Autant que 
j'ai pu roc. mettre au fait de votre administra- 
tion , il me semble que tout le mal vient de 
vos quatre ministres, le grand chancelier , le 
grand général , le grand maréchal et le grand 
tiésoriec; et ce que je dirai de ces officiers de 
la couronne ; conviendra également à ceux du 
4ttché de Lithuanie. La puissance despotique 

n,o,i7PcihyGt)t)'^le 



130 DO GOUVIKNEMENT 

dont ils se sont tous emparés dans les diifé- 
Tcntes parties de leurs départcmcns , a détruit 
le poavoir des Diètes', avili le sénat, et jeté 
les sénateurs dans une apathie qui .ne devroit 
se trouver que dans le divan dn grand-scigncur. 
J'ose vous prédire que si vous laissez subsister ce 
despotisme , vous ne ferez qu'une réforme 
inutile. 

Il ne suffit point , je crois, que les grandes 
dignités dontjc viens de ptrlcr.ioient conférée^ 
désormais par la Diète générale , pour qu'on 
puisse espérer de voir daus l'administration un 
changement favotable. Les abus accrédités 
depais'long-temps.' c'est la marche des choses 
humaines, se sont enSn convertis en alitant de 
droits ; et ces droits dont on est si jaloax , 
sont plus propres à corrompre vos gt-ands 
officiers , que toutes les lois à les contraindre 
- de ne faire que le bien. La force de l'habitude 
les entraînera, et.il l^ur sera encore trop 
aisf d'être injustes pour qu'il» ne continoent 
pas à l'être. Ils ont une (:o(ir qui les corrompt 
elle IcQr persuadera que c'est vous qui êtes 
injustes en voulant diminuer ou régler leur 
aatoriié, et qu'ils sedégradéroients'ilsn'éloient 
plus les maîtres de teur fortune, de leurs amis 
CE de leurs ennemis. Ils combattront vos lois 
nouvelles avec d'autant plus de succès , qua 



'no,-7«jhyGt.)t)^le 



DE VOtOGNE. m 

ï'csprit national est accoutumé à leur» préten- 
tions. On croira que leurs plaintes et leurs 
demandes sont légilimes ; et îl n'en faudra pas 
davantage pour renverser l'édifice que vooS 
aurez élevé sur de mauvais fondemtns. - 

Dans cette occasion, monsieur le Comte, 
il ne s'agît pas d'user de ménagement. Au Heu 
de yos quatre ministres perpétuels , et dont je 
défie toutï la politique humaine de jamais rien 
foire de bot) , ni même de supportable , voici' 
ce t^e-, j'imaginerais, Je ^voudroîs d'abord que 
la ici fondamentale , aprèi avoir exposé avec 
autant de, force que de vérité les abus moivs- 
trueax qaî résultent de vos ministres à vie ,■ 
prouvât de ta manière la plus évidente ^u'il est 
impossible de faire aucun bien sans changer 
entièrement cette forme d'adrainistratidn: En 
conséquence, elle ordonnera que les charges' 
de ministres , au lieu d'être conférées à vte , 
ne seront plus données que pour qoatre ans , 
etnc pourront être confiées Qu'ides sénateurs. 

Ces- quatre ministres , au 4îeu de gouverntr 
seule lefet ffffiires de leur département , prési- 
deront' désormai)) uti conseil composé -de six 
sénateurs, et dans lequel tout se décidera, il» 
pluralité des voix. Ce conîeil examinera toute» 
les,a£Faires qui y fbn,t relatives , et'cn fCrSli 
rapport ai sénat asKJtfrblé, '<|ui décidera ilé- 



hyGt.)t5^le 



lat DU couve. RN^MENT 
Guitivemcnt. Lej quiire consciU des quatra 
ministres l'assembleront séparément deux foii 
■ par semaine, à des jour» et des heures mar- 
quées , avec la f»cuUé de s'assembler plus 
ÊDuveqt quand l'importance ou la multiplicité 
d«9 affaires l'exigera. Le même sénateur ne 
pourra jamais être en même -temps conseiller 
dans deux conseils différens- Je voudiois qu'à 
chaque Diète générale , qui continuera à W 
tenir tous les deux ans , les trois plus anciens 
conseilicrç dp chaque conseil vissent finir leur 
magistrature , « que les nonces noramasient 
leurs trois successeurs. Tous les quatre ans 
les ministres abandonneront leur place , et je 
soubailcrois que la Diète ne pût choisir leurs 
successcursquc parmi les sénateurs qui auroicnt 
été hpporés d'une pljtce do conseiller dans un 
(ons^ii, Les ministres et lc3 conseillers ne; 
pourront rentrçr dans yn conseil qu'après une 
intcrstic'c de dfuj^ an». La loi doit défendre de 
1:^ manière la pjus forte et la plus expresse d<) 
continuer cçs magistrats dans leurs fonctions. 
On doit être pcrsuadç que, si cette règle SQuSrotl 
quelqu' exception en faveur dy mçritc , et danj 
quelques ïonjoncturps difficiles, les amliitieux, 
et les intrïgans en pro&teioienc biçntôt, pqu|;- 
s'emparer d'une autorité perpétuelle. 
Vous voyoz, moiisieiii le Çomtç, que jft 



no,-7«jhyGt)t)^le 



DE r O L p C N E. ' lai 

remonte jusqu'à la racine du pouvoir arbitraire 
•pour la couper i mais je ne veux pas prévenir 
vos réflexions, et je continue. Je demanderois 
qu'un ministre en sortant de charge , rcnirât 
dans la classe des simples sénateurs; car si on lui 
léserve le droit d'entrer comme conseiller 
honoraire dans le conseil qu'il aura présidé, 
il pourra fair<ï des cabales pour y conserver, 
une autorité qui gcricroit les délibérations , at 
substitueroit bientôt l'esprit de parti à l'amour 
de H patrie. Peut-être même que pendant le 
temps de son ministère ou de sa présidence , 
il noueroit des intrigues pour avoir un succes- 
seur qui n'eût qu'un vain nom , et se faire 
ainsi une magistrature perpétuelle. Je crains 
prodigieuaement l'intrigue : on ne sauroit 
prendre trop de précautions contre ses ruses 
destructives de tout bieo ; parce que rien 
n'est plus aisé , même pour un sot , que d'être 
un habile intrigant. Je voudrois encore que 
l'on pût être ministre deux , trois , quatre cl 
même cinq fois ; il est important pour le bien 
public, qu'étant parvenu à la dignité la plus émi- 
ncnte de l'état , on ait encore quelque chose à 
désirer. Il est des amcs que lercposfatigucjofFreE- 
leur un aliment toujours nouveau; attachez-les 
à la république par une espérance Taisonnable 
4e rçysiir , afin qu'elles n'cnfantenl pas des 



n,o,i7P(ibvGt)t>*^le 



124 ^ ^ GOUVEKNEMENT 

projets pernicieux. Qu'on désire d'avoir plu- 
sieurs fois ia même dignité , et des - lors îi se 
formera de grands magisttats. En exerçant une 
première magistrature, on songera à mcFÏrer 
une seconde fois les suffrages de la nation; et 
l'activité inquiète des esprits qiy pourroicnt 
nuire à la république , tournera toute à son 
pro&t en développant les talens. la loi sera 
-très-sage qui accordera des distinctions assez 
considérables aux ipinistres et aux conseillers 
de leurs' conseils , pour que les sénateurs 
. souhaitent fortement de parvenir à ces hon- 
neurs , et commencent à travailler de toutes 
leurs forces à s'en rendre dignes. Il me semble 
quc'dès qu'un grand nom ou de grandes richcs- 
ECt ne tiendront plus lien de tout, la Pologne 
doit prendre une face nouvelle : le mérite ne 
sera plus condamné à languir dans l'obscurité ; 
une sortede paresse qu'on reproche aux Polonais 
disparpîtra; les esprits s'éclaireront; et la ré- 
publique, en voyant à sa tête tous les hommes 
distingués qu'elle ne connoît pas aujourd'hui, 
se fera enfin des principescertains ctfixesrela- 
tiverrient à chaque partie de l'administration. 
J'assigne un terme très-court aux magistra- 
tures , pour ménager l'impatience des ambitieux 
qui tes désirent, et empêcher que leurs cabales 
et leurs intrigues ne troublent l'ctal. D'ailleurs 

no,-7«jhyGt)t>*^le 



DE POLOGNE. lîS 

les magistrats ne doivent avoir le temps ni de 
s'accoutumer à l'autorité dont ils sout revêtus ,- 
ni de former des projets ambitieux, soit au- 
dedans, soit au-dchors, ni de se lasser de 
leurs fonctionSp II esc dif&cile aux personnes 
qui se sentent une certaine fierté , ou ""qui ont 
des talcns supérieurs , d'exercer un grand 
pouvoir sans désirer de le conserver : le bien 
de la république exige donc que vous ne leuc 
laissiez aucun mo]fen de réussir ; et dès-lors 
leur ambition se soumettra aux règles , et se 
nourrira des espérances que vous aurez fait 
naître. 

Observez , je vous prie , qu'il est difficile de 
sacrifier toute sa vit au bien public. Il n'y a 
que de grandes amcs (et elles sont rares aujour- 
d'hui, même dans les nations les plus libres) , 
qui soient capables de cet effort; mais on peut, 
sans être un héros , lui donner quatre ans de 
sa vie , et pendant ce temps si borné ne se 
point reîâcher de ses devoirs. Permettez -moi 
de le répéter, cet ordre ne scroic pas plutôt- 
établi, que la paresse et l'ignorance dispa- 
roîtroicnt. Les talens se dévclopperoient et 
les vertus se multiplieroient, parce qu'on sera 
sans cesse aiguillonné par une ambition honnête 
et généreuse. Dans quelque degré d'élévation 
qu'on se trouve, il restera toujouis un honneur 



hyGt)t>'^ie 



iaS Du GOUVERNEMENT 
plus élevé auquel on aspirera. Les simples 
sénateurs souhaiteront d'obtenir une place de 
conscîHcr dans les conseils. Ces conseillera 
s'appliqueront à se rendre dignes du ministère. 
Les ministres s'acquitteront de leurs devoirs 
de manière à méiiier d'être encore élevés aux 
mêmes honneurs. Je vois par-tout les fruits 
hcureuK de Icmulalion. Il ^udra nécessaire' 
ment que les ministres prennent l'esprit de la 
nation, au lieu de lui donner le leur. Ainsi le 
même esprit et le même caractère se perpétue- 
ront. Je vois naître le respect pour les lois , ei 
le gouvernement acquerra en peu d'années la 
confiance des citoyens. 

Quaild j'ai eu l'honneur , monsicdr le 
Comte , de vous exposer quclqnes-unes de 
ces idées dans nos entretiens ; je me rappelle 
que vous m'avci dit que vous aviez parmi vous 
des gentilshommes distingués par leur nais-* 
sancc , leurs charges et leur fortune , qui, à 
la faveur de votre anarchie j s'éiant empares 
de toute l'autorité dans leur palatinat et leur 
Diétine , disposent des places de nonces, et 
s'opposeront à tout projet de réforme , si 
on ne les gagne par quelque distinction qui 
étende leurs espérances et leurs vues. Il vous 
a paru qu'en ouvrant aux nonces l'entrée des 
conseils dont je viens de parler , les réfor- 



D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



b Ê r 6 L 6 G *i É. la) 

inateura seroient sûrs des suffrages' de toute 
cette noblesse. Le seul inconvénient que j'y 
voie , c'est que , pour lui plaire , vous ne vous 
exposiez à choquer les préjugés et l'orgueil 
des sénateurs , qui me piroissent beaucoup 
plus à craindfe. Ce n'est qu'un doute que 
je vous propose i et 11 n'appartient qu'aux per- 
sonnes qui , comme vous et les chefs de I& 
Confédération de Bar , connoissent parfaite- 
ment les mœurs , le génie et les affaires de 
Votre république, et tous les détails de l'ad- 
ministration dans vos provinces , de peser 
les avantages et les désavantages de cet éta- 
blissement. 

.. Si vos ndnces , cOmifie les députés ail par'- 
Icment d'Angleterre , jouissoient d'urlc pré- 
. rogative qui dût dufer pendant plusieurs-années 
ou Diètes consécutives , il ne faudroit en- 
aucune façon souffrir qu'ils entrassent dan» 
les conseils des ministres en qualité de con- 
adllcrs. En effet, il seroit très-dangereux que 
des hommes qui ont part à la puissance légis- 
lative , eussent encore line influence principale 
dans les opérations de la puissance exécutrice. 
Ce seroit confondre deux autorités qu'il im- 
porte de tenir séparées , si on veut qu'après 
$'ctre embarrassées, elles ne se détruisent mu-i 
taelLement. l.esr divisions qui eu nattroient 



D,o,l7PCihyGt.)t)^le 



IsS DU eoUVEKNEMENT 

néccssairtment dans vos conseils , et qui de là 
se répaiidroienl dans toute la Pologne , vous 
ramèncroiem peut-être -à cette anarchie que 
vous voulez détr.nirc , et dont les idées ne 
l'eHaccrout .que lentement dans les e&piiti. 
. Tantôt le sénat se scrviroît des nonces agrégés 
a son ordre , pour ditiei ou gcner les opé- 
. xations de la Diète. Tantôt les nonces you- 
droient dominer impérieusement dans les dc- 
Jibérations du sénat , parce qu'ils se sentir 
roient appuyés de toute* les forces et de 
tout le crédit de leur ordre. Ainsi ^ au lieu 
d'avoir une république vraiment libre et fon- 
dée sur des principes certain» , votre poli- 
tique fiotteroit encore au gré de vqs passions, 
vous n'auriez qu'un gouvernement rague . 
qui', penchant tour-à-tour vers l'aristocratie 
ou la. démocratie , ne prendroit aucun,.çarac- 
tère décidé. 

Puisqu'à chaque tenue de la l?iètc géné- 
rale , vos Diétines sont une nouvelle élection 
de nonces , nn usage qui est très-pernicieux 
en Angleterre ne vous exposeroit , selon les 
apparences , à aucun danger. Mais on peac 
demander si les nonces qui auront été agrégés^ 
au sénat , doivent y être incorporés pour tou- 
jours ; ou s'il importe , quand le temps de 
leur magistrature sera expiré , qu'ils rentrent 
daoi 

n,o,i7PcihyGt)t)*^le 



DE T O L O -C H t. .H9 

dans l'ordre dont ib sont sortis,, Je lat dé- 
clarcrois pour le dcTniet parti. Le sénat , com- 
j»osé de tous les évêqucs , de tous les pala- 
tins et de tous les castellatis , n'est déjà que 
trop nombreux. En y agrégeant encore les 
gentilshommes à qui leur mérite aviroit ou- 
vert l'entrée des conseils , il arriveroit que 
les personnes les plus distinguées par leurs 
talens et leur réputation , passeroient de la 
dasse de la puissance législative dans celle 
<le la puissance exécutrice. Lel première , qui 
est la plus importante , se trouveroit privée 
des citoyens les plus capables de l'éclairer et 
de la guider , et s'afibibliroit de jour en jour. 
L'autre , au contraire , dont il faut continuelle- 
ment se défier , augmenieroît trop son crédit 
et sa considération , pour obéir modestement 
aux lois, et se contenter dudrottde les faire ob- 
server pat les citoyens. 

Chaque conseil doit avoir ses re^sttcs par- 
ticuliers , où seront portées toutes ses déli- 
bérations ; et rien n'eat plus utile pour per- 
pétuer dans la république le même "esprit , 
les mêmes principes et les mêmeG maximes^ 
On recourra à cette espèce d'oracle dans des 
circonstances difficile» , ou quand il s'agira 
de délibérer sur des affnircs à-peu-près pa- 
reilles^ Ces conseils différens se réuniront 
Mably. Tomt VlJf. I 



l3o D.U GOUVEUKEMEKT 

rcguliêremeTit tous les dix jours pour coii- 
férer ensemble , ou plus souven: , si les alTaiies 
l'exigent, ou que le toi le demande. C'cs^t 
ce conseil composé des quatre dcpancmcns , 
qui doit être l'amc de la puissance exécutrice, 
et qu'on appellera proprement lesénat. Aucun 
conseil ou comité particulier n'aura droit de 
faire un règlement ni donner un, ordre , sans 
l'avoir porté au sénat pour y être examiné; 
et tout y sera décidé à la pluralité des voix. 
Cette méthode est nécessaire 'pour faire res- 
pecter davantage la puissance exécutrice, et. 
entretenir entre toutes ses parties l'harmonie 
et l'unité , sans lesquelles vous serez exposes 
à des contradictions déshonorantes, et qui 
détruiroient la confiance des citoyens. Le loi 
présidera à toutes les assemblées du sénat , 
et tous les sénateurs qui se trouveront à Var- 
sovie y seront appelles , ou plutôt auront droit 
d'y prendre place. Deux mois avant l'ouver- 
ture des Diétines , les conseils commenceront 
à dresser les mémoires qu'ils présenteront à 
la Diète générale. On y rendra compte de la 
situation présente de la république, des succès 
qu'auront eu les ëtablissemcns nouveaux , des 
abus qui se seront glissés dans quelque partie 
de l'administration , et des- moyens qu'on 
' croiratpropresàperfecliounerqndquc branche 



Do,T«jhy Google 



n, E POLOGNE. litl 

du gouvernement. Ces differcns mémoires 
ii'écant que l'ouvrage pariiculicr de chaque 
conseil ,■ et ne contenant que des instructions 
soumises aux lumières et à l'autoiitê de la 
Diète , il scroit inutile et peut-être dangereux 
qu'ils fussent communiqués au sénat. La puis- 
sance législative les examinera avec moins 
de prévention et de partialité ; et si elle les 
icjette sans en faire usage , elle ne choquera 
pas la vanité ou la délicatesse du corps entier 
de la magistratuie. Le roi et les conseils con- 
voqueront tous les sénateurs avant l'ouverture 
de la Diète ; et s'ils n'ont pas des excuses 
légitimes d'absence", ils seroin obligés de se 
trouver au scnat pendant tout le temps que 
les nonces seront assemblés. A l'cgard des 
convocations extraordinaires du sénat , elles 
dépendront de la nature des affaires de la. 
république , de même que la convocation dés 
Diètes extraordinaires. 

Les sénateurs évcques rendront un assez 
grand service à la patrie , si au lieu de scan- 
daliser la capitale , d'y intriguer et de ne se 
mêler que du temporel, ils aiment à résider 
dans leurs diocèses , et s'appliquent princi- 
palement à y faire respecter la religion , et 
détruire les superstitions grossièics qui la 
déshonorent. On dit qu'à cet égard vous avez 
I2 

n,o,i7P(ibvGt)t>*^le 



iSs DU GOUVEnNEMENT 
besoin d'une grande Téforiue ; mais il seroit 
dangereux de la tcatet , si les ecclésiastiques 
n'en sentent pas eux-mêmes la nécessicc. Et 
comment connoîtront-ils cette nécessité , tant 
'que plongés dans une ignorance profonde de 
leurs devoirs , ils trouveront si commode et 
si doux d'être riches et puîssans aux dépens 
des vices des laïques ? Quand les Polonais 
conservoient encore les mccurs àzs Sarmates , 
les palatins et les castetlans avoient une dignité 
utile à la république , aujourd'hui ce n'est plus 
qu'un titre d'ostentation ; et ils sont encore 
moins instruits des affaires de leur palatiuat 
ou de leur castcllanie , que les évêques de 
celles de leur diocèse. Il y a Heu d'espérer 
qu'étant nommés par la nation , ils prendront 
un nouveau caractère , sur-tout s: on a soin 
de leur attribuer , sous le nom de droit et 
de prérogative , des fonctions qui soient utiles 
à la république : mais ce changement heureux , 
tant la force de l'habitude est puissante ! ne 
s'opérera que sous les successeurs des palatins 
et des castellans actuels. 

Ne scroit-il pas à propos de régler l'âge au- 
quel on pOurroit être recommandé au roi pour 
un palatinat et une casteltanie ? Vos grands sei- 
gneurs , monsieur le Comte , sont , dit-on , 
moins jaloux de leur liberté que de leur dcs- 

n,o,i7PcihyGt.)t>*^le 



DE PGLCTCHE. t53 

potisme. Si par malheur ceux qui composenC 
aujourd'hui le sénat , pleins des préjugés bi- 
zarres de votre gouvernement actuel, pcri- 
soient que leur dignité est dégradée par' le$- 
conscils dont je viens de parler, par quels 
moyens pourriez-vous les engager àconsettttr à 
cctéiablissemeni? Voudiont-ils ne se regarder 
dans Icursprovincesetlcurs districts que comme 
les ministres et les organes de la puissance 
exécutrice , dont ils sont menibres ? Les y 
contraindre par la loi , et en faire un devoir 
rigoureux , ce seroit rendre toute réforme im- 
praticable. Espérer d*y réussir par les voies 
douces de l'insinuation , ce seroit faire trop 
d'honneur à la raison , qui aime mieux 
obéir nonchalamment a»x passions , que le* 
gouverner. Les réflexions que je prends la 
liberté de vous présenter sont désolantes ; mais 
il faut les faire , et se dire en (tiême-tcmps 
que la sagesse , le courage et la patience 
viennent à bout de tout par de sages tem- 
péramens , et peuvent produire des miracles. 
La loi doit se garder de rien ordonner aux 
palatins et aux casteUai^ ; elle doit les inviter 
simplement à faire observer les lois dans 
l'étendue de leur ressort , et à instruire le 
sénat de tout ce qui s'y passe. Qu'on flatte 
U vaaîitc des palatins en leur attribuant une 
1 a 



'1S4 DU GOUVERNEMENT 

înapcciion géni-rale sur les officiers du pala- 
tin at , pour empêcher qu ils ne s'écartent des 
règles de la justice. Accordez-leur une auto- 
rité considérable dans les Diéiïncs ; elle ser- 
vira à y établir une police plus exacte , et 
à lier plus éttoilemenc les provinces , la 
Dicte généTale et le sénat, A mesure que 
le gouvernement se perfectionnera, on pourra 
régler avec plus d'exactitude le pouvoir des 
palatins , et 1 étendre ou le restreindre selon 
les' besoins de la république. Les castellans 
veillent sur la partie militaire , ils com- 
mandent à la guerre la noblesse de leur dis- , 
trict , et dans cette partie si prodigieusement 
négligée par les Polonais , combien ne peu- 
vent-ils pas rendre de services à Peta;? Quel 
bonheur , si l'on pouvoit parvenir à établir 
une discipline sage et capable de mettre a 
profit 'ce courage national dont vos Confé- 
dérations sont la preuve ! Il faut donc, si 
je ne me trompe, accorder aux castellans tout 
le pouvoir dont ils ont besoin pour faire des 
soldats ; mais ménager en même-temps l'or- 
gueil et 1 indocilité d'une noblesse que les 
réformateurs n'offenseroient pas impunément. 
Il ne m'appartient pas de dire avec quelle 
prudence il faut manier et arranger ces dif- 
férentes autorités ; j'ignore cent détails de 



Dpi ..ci hy Google 



D E....- P;0 L O C N E. l35 ., 

VOS jnccurs , de vos préjuges et de vos cou- 
tumes , qui me seroient nécessaires pour ne 
me pas tromper; d'ailleurs , il faudra consulter 
les circonstances dans lesquelles la révolu- 
lion se fera : peut-être permettront-elles de se 
livrer à des espérances qui aujourd'hui patoî- 
iroicnt chimériques. 

J'ai eu l'honneur , monsieur le Comte , de 
vous exposer plusieurs des raisons qui m'ont 
engagé à demander aux Confédérés de Bar 
rétablissement des conseils ministériels ; mais 
. il s'en faut bien que j'aie tout dit : permettez- 
moi encore quelques réflexions sur ce sujet. 
Je prie vos collègues d'observer que , si tout 
le sénat en corps traite les affaires sans avoir 
des conseils ou des comités qui les préparent, 
et aient un intérêt particulier à chercher et à 
montrer, la vérité, rien ne sera approfondi. 
L'ancien esprit qui a perdu la république 
subsistera tout entier. Les sénateurs , sans 
émulation et sans lumières , continuant à servir 
l'état avec la même négligence qu'on leur 
reproche aujourd'hui, le sacrifieront à leurs 
intérêts paiticulicrs. La Pologne n'aura aucun 
principe fixe , et des résolutions prises au 
hasard ou relativement à des conjonctures mo- 
biles et a des événcmens passagers , se con- 
trarieront souvent , et ne feront pas, respecter 

D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



l35 DU ffOQTERlfcEKfEIït 

le sénat. Dès que la puissance exécutrirt 
sera méprisée , n'espérc2; point que la puis- 
sance Icgislartîve ne tombe pas cUe-nême dans- 
]e plus grand mépris. £.es conseils que je: 
propose r et .dont ramovitc se balançcrn, cm- 
pêcbe[<)ntquequelq;ues sénateurs neprennent. 
«ne aorte d'ascendant , et ne portent toute 
VadmiRietFatieKi àxr côté qui leur seroit pcr- 
sonnelteracnt te plus avantageux. Qu'arrt- 
veroit-il d'un vice que j;c veu« prévenir ? 
Çue plueieuFTS partres de l'état seroient sa:- 
erîBées à une seuJe ; défaut considérable quK 
entraîne nécessairement une foule d'^abus , et 
finit même toujours par ruVnci" la branche 
du gouvernement qu'on avoit voulu le plus- 
favoriser. 

Si le sénat en cerps traite toutes les affaires, ■ 
H les examines» avec isoins d'attention. H' 
■cra pLu» eccupé de son autorité et de son 
ambition que de ses ôevoir» : car il est naturel 
qu'une assemblée noiD'bTeuse se regarde comn>e 
le corpj entict de ta nation ^ et se flatte plu» 
aisément de l^mpanité qu'iin conseil composé 
seulement de si» eu sepE personnes. J'ai tou- 
jours remarqué qae dans les- Fépubiiquts oh le* 
magistrats s'ont pafi été séparés en diEfcrcntes- 
classes , et charges de veiller en parriculicr 
aux diSérens besoins de la société ^ ils ont 



n,o,i7PcihyGt)t)^le 



DE POLOGNE. , tSj 

toujours fini par former une sorte de conju- 
lacion contre la puissance législative. Ils ont 
profité des abus et des désordres qu'ils avoient 
fait naître , pour la rendre odieuse et mépri- 
sable , et ils ont élevé leur pouvoir sur ses 
ruines. N'en soyea pas surpris , la puissance 
exécutrice a un prodigieux avantage sur la puis* 
sance législative. L'une est toujours présente; - 
elle agit toujours , elle est entourée de cette 
appareil de dignité qui imprime le respect et 
la crainte ; l'autre disparmt en quelque sorte 
et est oubliée quand les assemblées de la 
nation se séparent. Alors les légistetcurs se 
trouvent confondus dans l'ordre des simples 
citoyens , tandis que les magistrats pa- 
loissent en quelque sorte leurs maîtres. Les 
difFérens conseils ou comités que je propose 
se balanceront récîprcvquemeot et se tiendront 
en. équilibre. £b attendant la censure de la 
Dièie , les magistraK craindront celle de leurs' 
collègues. J'cspè[c cnGn que toutes les par- 
lies du gouvernement se perfectionnant à la 
fois , la Pologne sera btent&t en état de 
satisfaire tous ses besoins , et sera aussi Ho- 
«issante - qu'elle a été jusqu'à présent mal- 
keuTCuse. 



Dpi ..ci hy Google 



140 DU GOUVERNEMENT 

Je réponds , monsieur le Comre , que je 
ne conteste aux sénateurs aucun de leurs- 
droits ni aucune de leurs prétentions; etje- 
Ics prie de faire attention que bien loin d'avilir 
leur dignité par l'établissement de mes conseils, 
je leur rends au contraire leur premier lustre ;, 
car ce n'est poiut une vaine prétention , mais 
uu droit et un pouvoir réel , qui font la 
\raic grandeur d'une dignité el d'un emploi. 
Dans l'état actuel des cboses , le sénat n'est 
rien , el je lui restitue l'exercice de l'autorité- 
dont il a été dépouillé par le rot et les ministres. 
Si je proposois aux sénateurs de devenir les 
conseillers des ministres , sans toucher aux pré- 
rogatives du ministère , ib auraient peut-être 
raison d'être révoltés comre une politique qui 
mcnageroit si peu leur délicatesse , et qui 
scToit si contraire aux règles sublimes de l'éti- 
quette et de la prééminence des rangs. Mais- 
je les prie d'apercevoir que par mon arran- 
gement , les quatre charges de ministre en 
Pologne et eo Uthuanie , sont en effet sup- 
primées ; et que les fonction» , le crédit el 
l'autorité qui leur sont aujourd'hui attribués 
par un abus et un usage invétérés, sont trans- 
portés au sénat. 

Les sénateurs . qui voient augmenter le» 
prérogatives de leur ordre., n'oai donc récllt- 



Dpl ..ci hy Google 



ni ï> o i. o c N E. 141 

ment aucune raison de se plaindre. Pourquoi 
s'opposeroieni-ils à rcxécuiîon d'un projet qui 
remet entre leurs mains un pouvoir dont ils 
sont dépouillés depuis lon^-temps ? Si tel est 
Tempire des mots sur notre imagination , qu'on 
soit choqué que des conseils composés d'cvê- 
ques , de palatins et de castellans , soient prc- 
sidés par des gentilshommes qui poiteroicnt 
les noms de ministres , ou de grand général , de 
grand -maréchal , de grand-chancelier et de 
grand - trésorier , rien n'est plus aisé que de 
■donner d'autres dénominations aux nouveaux 
présidens des quatre conseils. Ce ne seront plus 
-des ministres : on les apelleia le sénateur prési- 
dcntdu conseil de la guerre , le sénateur prési- 
dent du conseil de la police , le sénateur pré- 
sident du conseil de la justice , le sénateur 
président du conseil des finances. Dès que 
ces places de présidcng des conseils ne pour- 
ront être, remplies que pat des sénateurs , 
que chacun d'eux aura droit d'y aspirer et 
l'espérance d'y parvenir , il me semble que 
la vanité la plus jalouse des étiquettes ne 
peut plus avoir d'alarme ni même de scrupule. 
Je ne devine point pourquoi les sénateurs pen-, 
seroicnt déchoir et se dégrader, en ajoutant 
à leurs litres , aujourd'hui chimériques ; le 
droit de gouverner réellement la république 



D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



] j| I DU C O O V E R N Ê Si E K T 

Puiscjut vous mettez une différence entre vos 
casteLlans, que les uns sont appelés les grands, 
les autres" les petits, rien n'est plus aisé que 
de ne les pas confondre , et de ménager en- 
core dans cette occasion les délicatesses de 
la vanité. Les premiers , si vous le voulez, 
auront senls le droit d'entrer dans les conseils , 
■et pour consoler les autres de cette loi mor- 
liGante , vous pouvez ordonner qu'ils seront 
s°uls présentés au roi , pour remplir les 
grandes castellanies qiii vaqueront. Ce règle- 
ment sera très-propre à augmenter 1 émula- 
lion. Les petits castcUans seront autant de 
candidats pour le ministère. On n'y parviendra 
qu'après de longues épreuves . et peut-èitc 
s'en trouvera-t-on assez bien pour porter un 
jour une loi qui ordonnera de n'entrer au sénat 
que par une castellanie subalterne. 

Il n'est pas , je crois , plus difficile de ré- 
pondre d'une manière satisfaisante au reste 
de l'objection que l'on m'a faite. Je conviens 
que les charges de ministres ont été données 
à vie à ceux qui les possèdent ; et que cette. 
lègSe , qui voos est chère , a été une forte bar- 
. riêrç contre votre roi , qui se seroit rendu 
tout-puissant , s'il eût été le maître dc' retirer 
ses bienfaits et de casser les officiers qu'il 
avoi: créés; mais dans les arrangemcns nott- 



D,o,l..(iby Google 



D ï POLOGNE. 143 

vcaûx que vous méditez , cette perpétuité des 
charges ne vous est plus nécessaire ; et je 
ne vois point commenc on ne peut, sans inji-.s- 
tice , les redemander aux seigneurs qui en sont 
aujourd'hui revêtus. 

La puissance législative , qui ne doTt se pro- 
poser que le bien public , est toujours la 
maîtresse de retirer ses bienfaits , si elle les 
a accordés imprudemment, ou si de'nouvcaus ■ 
besoins et de tiouveUcs circonstances les ont 
en quelque sorte dénaturés. Si ielégisiateur s'est 
trompé , ou si de nouvelles lumières lui pré- 
sentent un plus grand bonheur , quels sont 
les citoyens îmbécilles ou méchans , qui prc- 
tcndroient qu'il lui est défendu de se corriger 
ou de faire -un plus grand bien ? Si de nou- 
veux besoins exigent de nouvelles lois , pour- 
quoi voulez-vous que le législateur ne puisse 
abroger les anciennes , et qu'il respecte supers- 
titieusement les abus qu'elles ont fait naître , 
et qui doivent perdre la république , si on les 
favorise !* Non , monsieur le Comte , la puis- 
sance législative ne coonoîi point de puissance 
rivale qui la contraigne et la gêne dans ses 
opérations. Toujours libre , elle n^abuse ja- 
mais de sa liberté, quand ses résolutions lui 
sont dictées par la sagesse et la prudence,, 
c'est-à-dire, par le bien et le salut de la rcpu- 



Dpi.?d-hy Google 



144 ïï" godvernement 
bUquc. Elle peut tout , parce que tout lui asl 
soumis , et qu'il est de sou essence et de 
son devoir de changer et d'annuller ses règle- 
mciis , qu'elle n'a portés et dictés qu'avec la 
clause nécessaire et toujours sous entendue de 
les révoquer ou de les modifier quand un plus 
grand bien l'exigera. 

La puissance législative ne doit jamais être 
arbitraire. Elle devient injuste , non pas quand 
elle use de ses Forces pour nous rendre heu- 
reux , mais quand elle en abuse pour agir au 
hasard et par caprice , et fait le mal sous pré* 
texte de faire le bien. M'atheur aux peuples 
chez lesquels la puissance législative corrompue 
se joue de ses lois , et Veut éublir l'ordre 
contre les règles de la nature ; ils sont dans 
la décadence ; ils courent à une perte cer- 
taine , ai ui»c révolution heureuse ne vient à 
leur secours. Ce seroit un abus criant de 
.dépouiller aujourd'hui vos ministres , sans 
leur reprocher aucun délit, sans leur faire 
leur procès dans les formes judîcïairea , 
et seulement pour gratifier à leurs dépens 
quatre autres gentilshommes , dont la répu- 
blique ne se trouveroit pas mieux. Mais 
il n'est question de rien de pareil dans le 
plan que je propose. On ne substitue pas des 
hommes à des hommes , mais une forme d'ad- 
ministration 

D,o,l7PCihyGt)t)^le 



bE POLOGNE. 1^5 

iBÎnîstraiion trés-avantageusc à une consûtu- 
tion très-perntcieus£. Si les ministres actuels ne 
peuvent sV opposer sans nuire à la patrie , dont 
Jcs intérêts doivent leur être plus chersqueics 
Xenxs propres , il n'est pas douteux que la puis- 
sance législative ne fasse bien de retirer ses 
bienfaits , et de porter la loi que je demande. 

Qu'on ne croie pas cependant qu'en con- 
séquence de ces principes rigides , justes et 
incontestables ^ que nous tenons de tous les 
grands philosopïies , et de tous les grands 
politiques de l'antiquité, je souhaite qu'on 
agisse avec dureté. Quand le législateur veut 
sincèrement le bien , il se prête à nos fot- 
blesscs , ménage nos préjugés , négocie pour 
ainsi dire avec nos passions , les flatte pouf 
les apprivoiser , et console avec bonté les 
malheureux qu'il est obligé de faire. Le temps 
dç la réforme doit être , si je puis parler ainsi « 
un temps de jubilé et d'indulgence ; la poU-- 
tique l'ordonne , parce qu'elle veut rendre 
agréables ses nouveaux établissemens et les 
faire aimer. Tous les anciens délits doivent 
être oubliés, les grâces doivent être prodiguées 
pour éteindre les ressenijmeng , les rivalités 
et les haines. Que les bons citoyens ne son- 
gent qu'au bien de la patrie , et une certaine 
pudeur retieudrales méchans. Qu'on se réçon- 

Mably. Tmi VIII. K 

no,-7«jhyGt)t)^le 



146 DU G O U V E R N E M 1 NT 

cilic , que tous les esprits se rapprocheat 
pour établir des lois qui fasse le bonheur 
de tous. 

Si , par une suite de la monstruease et des- 
potique anarchie où vdus êtes plongés de- 
puis long-temps , la Diète géaéraiç ne peut 
sans danger parler et ordonner avec la ma- 
jesté et l'empire qui lui conviennent , et que 
les ministres abusent sans honte et sans re- 
mords de l'autorité et du crédit de leurs places , 
pour faire des cabales et s'opposer au yceu 
de la nation-, les réformateurs , vous , mon- 
sieur le Comte , et vos coUégues , vous devez 
préférer les voies de l'insinuation à celles de 
l'autorité. Montrez d'une manière pathétique à 
CCS ministres ingrats et înfidelles ce que la 
patrie , déchirée et mise en lambeaux , mais 
prèle à se montrer plus brillante et plus heu- 
reuse que jamais , attend de Icar pitié cl de 
leur générosité. Faites-leur voir quelle gloire 
va les récompenser du sacritice qu'on espère 
d'eux ; et quau contraire un opprobre éter- 
nel les attend , si , par une résistance injuste 
aux vœux de la nation , ils en perpétuent 
les calamités , et en deviennent en quelque 
iOrtc les auteurs, faites-leur sentir que leur 
fortune ne sera jamais assurée au milieu des 
agitations et d«s désordres de la république. 



D,o,l7PCihyGt)t>^le 



DE POLOGNE. 147 

Si CCS motifs puissaos éloicnt matheareusemcnt 
sans effet, car la prudence ordonne de s'at- 
tendre à tout , appaycz-vous du crédit des 
puissances ainies qui s'intéresseront à votre 
sort , et dont vous devez dès aujourd'hui vous 
ménager la protection. Enfin , ayez recours , 
dans votre négociation , aux scols moyens 
qui sont capables de toucher des hommes 
bas , vains et intére&sés. Achetez leur abdi- 
cation , ne marchandez point ; pluâ vous serez 
généreux , plus vous vous vengerez en les 
abandonnant à l'iguorainie publique. Ce ne 
sera jamais trop chèrement que vous vous , 
débarrasserez de ces ministres vils qui consi- 
dèrent dans leur puissance leurs intérêts, et 
noa pai ceux de la patrie. 

Miis je m'arrête .trop long-temps sur cette 
matière. On me reprochera peut-être de perdre 
mon teni'psà combattre des chimères. En effet, 
monsieur le Comte , ce .que voi^s m'ave? dît 
cent fois des qualités patriotiques de vos mi- 
nistres actuels , doit donner les plus, flatteuses 
espérances,. 



hyGtJO'^IC 



148 DU GOUVERNEMENT 



CHAPITRE X. 

Que la réformateurs doivent d'abord se borner 
à établir les lois canstilulives ou fondamentales 
de la république. 

V-J'est , je croîs , monsîenr le Comte , aux 
arrangemens dont je viens d'avoir l'honneur 
de vous entretenir dans les chapitres précé- 
dens , que le zèle des réformateurs doit se 
borner , quand la paix vous permettra enfin 
de donner une forme nouvelle à votre gou- 
vernement. Je ne suis point au fait de tous 
les vices qui désolent votre malheureuse pa< 
trie ; je sais en gros que rimpnnitc doit les 
avoir prodigieusement multipliés. Les lois par- 
ticulières qui règlent le sort et l'état de la 
noblesse et de ses sujets , doivent être sou- 
vent obscures et équivoques ; c'est leur 
moindre défaut. Souvent , peu d'accord eiitr^ 
elles , elles doivent se contrarier ; elles sont 
injustes et barbares , et leur injuste barbarie 
étouffe dans vos sujets, l'industrie qui dcvroit 
les rendre heureux , et qui , en augmentant 
votre fortune domestique , aagmenteroit celte 
de la république. 



D,o,l..cihyGt)OJ^IC 



DE POLOGNE. l^g 

Soas un gouvernement qui réunit à la fois 
ïous les inconvéniens du dcspoûsmeetde l'anar- 
chie , vous n'avez peint de classe d'hommes 
qui n'ait les plus graves et les plus justes 
motifs de se plaindre de voslois ou de vos 
coutumes. Tous les gentilshommes s'appel- 
lent frères ; et cependant , à quelle humiliation 
n'est pas condamnée cette noblesse indigente 
qui sert les grands , «t qui s'en venge- sûr leurs 
serfs et leurs juifs ? Si on entroit dans l'exa- 
men des différentes branches de votre admi- 
nistation , quelle étrange confusion , pour me 
servir du terme le plus doux , n'y remarque- 
roit-on pas ! Quel spectacle ne vous présen- 
teront pas vos finances ! Puisque vous aimez 
les richesses autant que les autres peuples cle 
l'Europe, quel ordre avcz-vous établi pour 
qucla république eût un revenu proportionné 
à ses besoins ? Quelles précautions avez-vons 
prises pour que les mains chargées du trésor 
public ne fussent pas infidcUes ? Pourquoi 
la Pologne dévastée n'a-t-ellc tout au plus que 
le tiers des habiians qu'elle, pourroi^ avoir ? 
Par quels secrets pourroit-on lui rendre son 
ancienne fécondité ? Vous n'avez parmi vous 
aucune de ces manufactures qui servent an 
luxe et l'encouragent. , et je vous en féli- 
citerois , si vok grands seigneurs n'avoient 
K. 3 

no,-7«jhyGt)t)^le 



L 



l5 DU COUVEBNEMENT 

pour la magniEccnce et le faste un goiât qui 
ne peut s'allier avec des mccurs républicaines , 
et qui les rend pauvres , quoiqu'ils possèdent 
toutes les richesses de la république. Dans 
quel état sont les arts les plus grossiers et les 
plus nécessaires aux hommes? La Pologne, 
dit-on , maiiqueroit de tout, si les juifs , qui 
se sont rendus vos maîtres par leurs usures 
et leur industrie , ne pourvoyoient pas à tous 
vos besoins. On ajoute que vos ecclésiastiques 
ne connoissent ni la religion ni la morale ; et 
cest-là certainement une grande plaie pour 
l'état. Pourquoi le foible ne pcut-il jamais 
obtenir justice contre le puissant ? On re- 
proche plusieurs vices à vos tribunaux , et 
c'est sans douté parce que lenr constitution 
est défectueuse , et qu'ils n'ont pas l'autorité 
ou la force nécessaire pour faite exécuter leurs 
décrets , que vous avez en quelque sorte con- 
servé parmi vous l'usage des guerres privées, 
qui ont autrefois désolé l'Europe , et qui 
supposent un gouvernement sans principes ou 
sans force.- Vous voyez dans quel état déplo- 
rable sont vos troupes : vous n'avez aucune 
discipline ; vous devez être tous soldats , et 
personne ne l'est parmi vous. Pourquoi expo- 
ser , par votre foiblesse , vos voisins à des 
tentations dangereuses ? Ne craignez- vous 



D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



DE POLOGNE. l5t 

poiiil qu'ils n'abusent un jour de la facilîié 
de vous conquérir ? Tandis 'qu'ils ont formé 
chez eux, une science militaire et des armées 
régulières , par quelle fatalité n'avcz-vous point 
tenté de les imiter? Pourquoi avez-vous dé- 
daigné ou négligé de veiller à votre conser- 
vation , en vous faisant respecter au-deliors 
par vos qualités et vos talens militaires? 

Voilà, monsieur le Comte ; des objets bien 
dignes de Tattention d'un législateur, et des 
citoyens qui désirent avec passion le bon- 
heur de leur patrie. Cependant , je serois 
fâché que les Confédérés, consultant un zèle 
trop vif et prématuré pour le bien public , se 
hâtassent de vouloir tout changer ec tout ré- 
former. Il est digne de leur sagesse de fermer 
les yeux sur beaucoup de choses , et de s'en 
tenir d"abord à établir avec solidité les prin- 
cipesd'un gouvernement d'où doit naître l'a- 
raourdu bien , de la régie et de l'ordre. La Po- 
logne est un corps couvert de plaies , mais n'en 
soyez point effrayé: après avoir purifié et renou- 
velle la masse du sang, il faut espérer que 
CCS plaies se fermeront pour ainsi dire d'elles- ■ 
mêmes. Je craindroîs que les réformateurs , 
en voulant embrasser trop d'objets à la fois , 
ne multipliassent les difficultés qui ne sont 
déjà que trop nombreuses , et ne succcia- 
K4 



iSa DU COUVIRNEMENT 

basscnt enfin sous le poids de leur entre- 
prise. C'est au temps à mûrir les événemens ; 
et la politique, après avoir jeté le germe du 
bien , doit attendre avec patience et avec tous 
les soins que demande le bien public , que 
les événemens le développent et le fassent 
fructifier. 

Je ne sais point l'admirateur de ces polî^ 
tiques étourdis et présomptueux , qui , san;i 
eonnoîtrc les hommes , prétendent les gou- 
verner. Jls ignorent que nous avons des pas- 
sions et des habitudes qui sont plus fortes 
que tous leurs raisonnemcns et tout leur pou- 
voir. It MUS choquent par les changemcns 
brusques èi subits auxquels nous ne sommes 
pas préparés , et nous les aurions désirés , 
nous les aurions demandés, si on nous ctit 
laissé le temps de nous familiariser avec l'ordre 
et le bien. Veut-on nous corriger sans ména- 
gement ? nous commençons par haïr le réfor- 
mateur ; et cette haine , qui nous attache plus 
- fortement à nos opinions et à nos habitudes, 
triomphe enfin du législateur mal-adroit, et 
qui s'aperçoit trop tard que ses bonnes inten- 
tions n'oMt servi qu'à le couvrir de ridicule 
et à nous rendre incorrigibles. Je crois avoir 
Tçmarqué dans l'histoire , que les états qiti 
(c sont formés et perfectionnes avec Ic-ntcui; »• 



no,-7«jhyGt)t>»^le 



DE POLOGNE. l53 

ont acquis plus de consistance. Alors chaque 
établissement nouveau trouve les esprits- pré- 
parés à le recevoir , et les dispose à adopter 
d'autres nouvcautcÉ qui , se mêlant et ée 
confondant avec les anciennes coutumes , 
forment un corps dont les différentes parties' 
ne sont plus en contradiction. Je n'cxcpte 
de cette règle générale que l'ancienne Sparte ; 
mais Sparte avoit un Lycurguc pour la con- 
duire : et qui peut se flatter d'avoir un pareil lé- 
gislateur ? Mais Sparte n'étoit qu'une ville où 
trente bons citoyens pouvoicnt faire une révo- 
lution. IL me semble que de cet exemple on 
ne peirt rien conclure pour une république 
telle que la Pologne , qui renferme plusieurs 
grandes provinces. 

Il n'en faut point douter , monsieur le 
Comte , l'établissement des lois fondamentales 
qui régleront enfin la forme du gouvernement, 
agitera avec assc^ de force des esprits accou- 
tumés à la licence de l'anarchie et du despo- 
tisme, pour qu'on doive craindre daugmenter 
la fermentation. Avec quelque prudence , 
quelque sagesse . quelqu'habîleté que vous. 
conduisiez votre entreprise , je craindrai qu'elle 
n'échoue , si, aux lois fondamentales et cons- 
titutives vous voulez joindre des lois parti- 
culières , propres à corrigçr chaque vice dç 



D.OII.PCihyGpCJ'^IC 



l54 BU COUVEBNEMENT 

la république. Si on vouloit faire à la fois 
tous les réglemens dont vous avez besoin, 
ce seroic entreprendre un ouvrage peut-être 
au-dessus des forces de l'espiit humain , et 
qui seroit ccrtainemenl inutile, l.cs citoyens 
les plus raisonnables et les mieux intentionnés 
seroient effrayés de tout ce qu'on leur pro- 
poseroit, et dans leur découragement ils pren- 
droicnc le parti de rester tels qu'ils sont. Il 
faut donc leur laisser le tçmps de se recon- 
noître , de se calmer, et de s'accoutumer à 
une nouvelle situation. Contenteivùus d'abord 
de leur montrer le bien , cl de les mettre 
sur la voie qui y conduit. 

D'ailleurs , faites attention , je vous prie , 
qu'on ne peut attaquer directement les abus 
les plus considérables , sans efFarouchcr les 
citoyens qui trouveront un avantage.à les con- 
jervcr. Cette multitude innombrable se li- 
guera, elle conjurera contre la patrie , et 
ses efforts réunis empêchcroient sans doute 
qu'on ne pût fixer les principes du gouverne- 
ment. Combien de législateurs n'ont pu ré- 
, parer la faute qu'ils avoient faite de montrer 
ou de laisser entrevoir toute l'étendue de* 
projets qu'ils méditoient ! L'histoire de France 
en otfrc un exemple remarquable. Les états 
généraux s'ciant trop pressés , sous le roi 



no,-7«jhyGt.)t>*^le 



DEPOLOGNE. l55 

Jean , de vouloir corriger tous les abus et 
forcer les mauvais citoyens à devenir hon- 
nêtes gens , se rendirent suspects et odieux, 
et par-ià même mnltiplièrcnt les obstacles qui 
s'opposent toujours au bien. Tous ces hommes, 
permettez-moi cette expression populaire, qui 
pèchent en eau trouble , et qui sont perdus 
si rétït est bien administré, conjurèrent la 
ruine des réformateurs , et leurs intrigues 
réussirent. En un mot, il est certain que les 
Polonais rejectcroicnt aujourd'hui avec indi- 
gnation telle loi que dans dix ou douze ans 
ils désireront et recevront avec acclamation , 
si on ménage leurs préjugés , si on. les con- 
duit avec celle prudence qui sait tout prépa- 
rer et qu'on les encourage à ne pas craindre 
et même à chercher la vérité. 

Je ne suis point assez téméraire pour vou- 
loir prescrire des règles de conduice aux per- 
sonnes qui sont à la tête de la Confédération 
de Bar ; je connois leur sagesse , et elle inc 
donne _le6 plus justes espérances. Mais, vous 
ravouerai-je ? je crains dans les gens vcr- 
mcox l'amour même et le zèle quils ont pour 
le bien ; je crains qu'il ne les porte à des 
démarches précipitées. Je vous ennuierai peut- 
être , monsieur le Comte , mais je ne puis 
m'empècher de dire et de redire que moinu 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



l5€ DU GOUVERNEMENT 

les lois ont de Force dans une république, 
plus les réformateurs doivent avoir de cir- 
conspection. Dans le moment de la réforme , 
il est absolument nécessaire que. chaque ci- 
toyen , pour s'affectionner au gouvernement , 
se trouve plus à son aise ; il faut donc se 
garder de vouloir le pousser au bien avec 
trop de célérité et de chaleur. Il faut st garder 
eur-tout de rien faire qui puisse laisser soup- 
çonner qu'on ait intention de revenir sur les 
anciennes injustices et de les punir. Qu'on 
ne cherche point à tromper et surprendre les 
esprits par des finesses et des ruses. 

Je sais qu'avec le secours de quelques ex- 
pressions oude quelques tours adroits, le légis- 
lateor.peut déguiser l'esprit de la loi pour la 
faire adopter plus facilement ; mais peut-on 
compter sur une loi qui craint de se montrer ? 
Un consentement ainsi extorqué ne produiroit 
aucun bien. En revenant de leur erreur oa 
de leur surprise ; les Polonais haïroient leur 
nouvelle loi , mépriseroient leur législateur , 
et rctomberoient dans leur anarchie , avant 
que l'habilude et le temps eussent affermi les 
fondemcns de votre nouvelle constitution. 

Faute de méditer profondément sur l'ori- 
gine et les liaisons de nos vices, combien de 
fois n'esc-il pas arrivé que des lé^slateurs ont 



no,-'7«jhyGt)C5'^le 



DE POLOGItE. iSf 

fait très-inutUement des lois que dans la suite 
on leur auroit demandées avec le plus vif 
empressement ! Ils s'en prenoicnt aux branche» 
de l'aibic , mais c'étoit sa laciae qu'il falloit 
attaquer : car tant qu'elle subsistera , elle 
fournira des sucs pour de nouveaux rejetons. 
Des lois qui ne produisent aucun bien, pro- 
duiront nécessairement un grand mal.parce- 
qu' elles accoutumeront les citoyens à mépriser 
le gouvernement , ou du moins -à n'avoir 
aucune confiance eu lui. En attaquant quel- 
que abus particuliers , il me semble que les 
réformateurs ne doivent proposer que les rè- 
gleracns qui seront reçus sans répugnance par 
la plus grande partie de la nation. Qu'ils se 
consolent de ne pas faire tout le bien qu'ils 
désirent , en pensait qu'il se fera un jour. 
Qu'ils ne craignent point que leur réputation 
en souffre , et qu'on les accuse d'avoir Isissé 
leur ouvrage imparfait ; les gens éclairés dé- 
mêleront la sagesse de leur conduite , et leur 
rendront justice : c'est leur tuifrage seul qu'il 
faut mériter et qui peut flatter. 

Il ne suffit pas de ménager avec douceur 
les préjugée les plus chers à la noblesse Polo- 
naise ; il faut encore éviter de vous rendre 
suspects aux puissances étrangères , qui sans 
doute, ainsi que je l'ai dit dans un chapitra 



]58 DU C O U V E It N E M E >J T 

précédent , feront attention aux chahgemens 
que vous ferez. Par exemple , si elles voient 
que vous voulez mettre vos milices sur un 
certain pied, et vous rcodrc redoutables ivos 
voisins, ne doutez point que celles qui aiment 
votre foiblcssc , ne s'opposent de toutes leurs 
forces à vos projets. Elles feront des menaces , 
noueront des intrigues avec quelques-uns de 
vos plus grands seigneurs , qui ne résisteront 
point au plaisir d'être recherches par des têtes 
couronnées. Ces puissances achèteront des 
amis et des partisans par leur libéralité , et 
n'oublieront rien , en un mot, pour former 
dans l'intérieur de la république des partis et 
des factions qui rendroient inutiles tous les 
soins des Confédérés. Je crains- que vos alliés 
naturels .c'est-à-dire, les puissances qui sont 
intéressées à voir augmenter vos forces mili- 
taires , et qui voudroicnt déjà les employer 
à leur service , ne veuillent vous inspirer à 
cet égaid une diligence pvécipitée. Il faut se 
garder de se rendre à leurs séduisantes in- 
vitations. Représentez-leur que vous avez dc4 
voisins qui vous condamnent à une extrême 
circonspection^ Ajouteique vous devez d'abord 
vous occuper pins de vous-même que des 
étrangers; qu'il est prudent d'établir son bon- 
heur domestique avant de eongei aux en* 



D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



DE P O L O G N 1. l5g. 

nerais qui peuvent vouloir le troubler ; et 
que vous, ne différez la réforme de toute la 
partie militaire que pour la faire dans la suite 
avec plus de succès. 

Ou n'cnireroil pas dans ma pensée , si on 
croyoit ^ue je conseille la pusillanîmiié et la 
mollesse , quand je dis qu'on ne doit publier 
qu'avec mie prudente lenteur les lois qu'il 
faut opposer aux abus dont la Pologne est 
désoiéc. Je sens à merveille que si on les 
tolère , ils parviendront peu à peu , et par 
des efforts redoubles , (car les pasâions ne 
se lassent point J à ruiner l'ouvrage des ré- 
formateurs , c'est-à-dire , à corrompre la puis- 
sance législative et les magistrats chargés du 
soin de faire exécuter les lois. Je sais 
que de moindres vices ont conduit à leur 
ruine des républiques infiniment plus sages 
que ne le sera jamais la Pologne. Mais, 
ces considérations , qui me présentent un 
.avenir incertain , ne sont pas capables de me 
faire renoncer. aux principes ae prudence c"; 
de lenteur que je viens d'établir. Il est vrai 
qu'avec les ménagcmens que je demande , les 
Polonais , encore attachés à plusieurs de leurs 
TÎccs , .resteront exposés à retomber dans 
l'abîme d'où on les aura retirés. Mais n'est- '1 
pas évident, monsieur le Comte, que sios 



D,o,l7PCihyGt)C>'^le 



iGo DU GOUVERNE M ENt 

CCS mêmes ménagemens vous ne pourrez pas 
même commencer à les mettre sur la route 
qui peut seule les conduire au bonheur ? il 
vous est aisé de juger ce qu'une saine poli^ 
tique vous ordonne dans ces circonstances. 
La crainte de ne pouvoir point atteindre subi- 
tement au bien que vous désirez , doit-elle 
vous empêcher d'en jeter les fondemens ? ' 

Apiès avoir préparé une république floris- 
sance par l'établissement de la puissance légis- 
lative et de la puissance exécutrice, il s'en 
faut bien que je condamne les Confédérés à 
une honteuse e( indiscrète inaction. Au lieu 
de publier des lois , ils doivent apprendre k 
la nation quels sont les réglemeiis qu'elle doit 
désirer j qu'elle doit demander, qu'elle doit 
. faire. Je voudrais qu'étant l'aine invisible de 
toutes les pensées ei de tous les mouvemens 
de la république , ils parussent ne point agir , 
tandis que par leur ordre ou par leur inspira*- 
tion , les bons citoyens de chaque palatinat et 
les conseils ministériels du sénat demanderoient 
à la Diète législative les lois particulières dont 
la république a besoin. La réforme se fcroil 
alors sans précipitation ,ct les esprits scroient 
d'autant plus disposés d'obéir aux lois , qu'elles 
nC paroîtroient accordées qu'aux prièies des 
citoyen). On dit ordinai^'ement qu'un abîme 
appelle 



DE POLOGNE. iGl 

appelle une abîme : ii'est-il pas également 
vrai que la réforme d'un abus invite à en 
jiroscrirc un autre ? Les esprits éclairés par 
l'expérience du bien, doivent être plus em- 
pressés à le chercher. 

Pourquoi n'indiqucrolt-on pas dans l'édit 
même qui établiroit la forme du gouverne- 
ment , les nouvelles lois dont la Pologne a 
besoin ? 11 me semble qu'avec un peu d'aïc 
on peut tracer à la nation la route qu'elle 
doit tenir pour arriver au bonheur. En se 
contentant de présenter ainïi les objets les 
plus intéressans pour la société, on instruiia 
la noblesse , pn l'éclaircra sans la révolter. 
Peut-être même , monsieur le Comte, que la 
publication de ce mém&ire , que les Confé- 
dérés m'ont fait l'honueur de me demander, 
ne seroit pas entièrement inutile : mais je 
voudrois principalement , qu'exposant dans 
un ouvrage particulier les motifs qui ont réglé 
tous les pas et toutes les démarches de la 
Confédération , vous rendissiez en quelque 
sorte immortel dans votre patrie l'esprit qui 
l'a inspirée. C'est alors que je ne craindrois 
plus que ce reste delevain pour lequel j'ai de- 
mandé grâce, fermentât dans la république , 
et la fît retomber dans ses premiers malheurs. 
Je souhaite que vous approuviez les réflexions 
Mably. Tome VIII. L 

D,0,l7PCihyGt)t5'^IC 



l6l DU GOUVERNEMENT 

que vous venez de lire -; mais si je me suis 
trompé , je souhaite que vous combattiez mes 
erreurs , et que les Confédérés se conduisent 
par d'autres principes :car personne ne désire 
plus vivemeut que moi lé bonheur de votre 
patrie. 

Je vais joindre ici quelques remarques sur 
chaque branche de l'administration, et exa- 
miner plus particulièrement ce qu'on peut faite 
dans le moment de la révolution , sans blesser 
les préjugés des Polonais et les intérêts des 
puissances étrangères. 

CHAPITRE XI. 

Du déparltment du grand-ikanceiiet , ou du 
conseil de Justice.^ 

L^U£LQu'iNjuSTES que nous rendent nos 
passions , nous conservons, dans le fond de 
notre cœur une soi te de respect pour la justice; 
son nom ^suffit quelquefois pour arrêter 
et suspendre nos emportemens les plus im- 
pétueux. Les brigands eux-mêmes l'invoquent 
cntr'eux ; et je n'ai jamais entendu parler que 
d'un seul homme qui , au lieu de pallier ses 
injustices, fnt assez dépravé et assez impudent 
pour en plaisanter cruellement devant les 



D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



D K P-O L O G N E. l63 

personnes qu'il opprimott. On sera toujour) 
sûr de plaire auK citoyens, quand on parlera 
d'établir enir'eux les règles de la plus exacte 
justice. 

Dans le préambule de Tédit qui établira 
un conseil de justice , il ne scroit peut-cire 
pas intiiile de rappeler ces vérités triviales, que 
ce n'est que pour avoir des juges dans leurs 
différcns, ctn'ètrc pas obligés dcrcpousser une 
. injure par la Force , que les hommes se sont 
réunis , et ont consenti à rcconnoître une 
autorité publique , des juges et dcsg|;ibunaux. 
Il sera bon de prouver en peu de mots, quo 
la bonne administration de la justice peut 
seule entretenir entre les citoyens la paix , 
l'union et la concorde ; que sans son secours 
on n'est jamais en sûreté contre la tyrannie 
de ses supérieurs, la violence de ses égaux ■ 
et les artifices de ses inférieurs; et qu'enfin 
l'amour des lois et le respect pour le gou- 
vernement, c'est-à-dire , la force de la répu- 
blique , ne se rencontrent qu'à ta suite d'uB« 
justice sagement admirListrée. . ' 

£n conséquence , il sera ordonné à tous 
les juges de se conformer daiis leurs jugeraens 
aux règles les plus exactes de la justice, et de 
n'être ni plus sévères ni plus indulgens que U ' 
loi. Après avoir observé qu'il s'est vraisembla- 
L 3 

D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



164 DU GOUVERNEMENT 

blement glissé plusieurs abus dans les tribu- 
naux, et q»ic les lois civiles doivent avoir 
plusieurs vices puisque la république a éprouve 
de si grands malheurs , il sera ordonné au 
chancelier et à son conseil , de faire un exa- 
n;en profond de tout ce qui intéresse l'admi- 
nistraiion de la justice, tant civile que crimi- 
nelle , et d'exposer leurs remarques dans des 
mémoires qui seront remis aux Diètes sui- 
vantes, pour qu'elles statuent sur cet objet 
important. On promettra d'avance d'annuUer , 
de changjM" . <lc modifier quelques lois an- 
ciennes qui ont été l'ouvrage de la force bu" 
de l'anarchie . d'éclaircir. celles qui sont obs- 
cures ou équivoques , et de publier enfin, le 
plutôt qu'il sera possible, celles qu'on croira 
nécessaires d'après les demandes ou les repré- 
scntF.tions du conseil de justice, et les difFc- 
reqtes instructions que les Diéiines donneront 
à leurs nonces. Si je ne me trompe , un pareil 
préambule d'édit invitera sans doute tous les 
Polonais à réfléchir sur leurs lois ; et en dé- 
couvrant une foule de vices monstrueux , 
ils désireront avec empressement un nouveau 
code. 

Cette manière noble et franche de procéder 
me paroît infiniment plus avantageuse que • 
je ne sais quel usage, dont quelques-uns de 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



DE P O L O G N t. 10 > 

VOS compatriotes m'ont fait Thonncur de me 
parler, quand je les ai entretenus de la cir- 
conspection avec laquelle les réformateurs 
dévoient agir pour ne pas efTarouclicr les es- 
prits , et de la nécessité cependant où vous 
étiez de préparer des remèdes contre les abus 
qui pourroient encore renverser les principes 
du nouveau gouvernement. On signe, m'a- 
t-on dit, une ordonnance ou règlemerit à porté 
close ; on s'engage sous la foi publique et 
le sceau du serment, de ne point révéler ce 
qu'il contient; on le dépose dans les archives 
de la république , et en l'indiquant dans les 
codes des lois , on dit seulement : secuudum 
scriplum ad arehivum pcrreclum. Voilà, m'ajou- 
toit-on, un moyen tout trouvé et très-com- 
mode pour faciliter les opérations des réfor- 
mateurs , et dérober tonte sorte d'établissement, 
non-seulement à la cqnrioissancc des étran- 
gers , mais des Polonais itiêmcs , et de cette 
manière l'on n'esciteia aucune agitation dan- 
gereuse dans les esprits. 

Pcrmettcï-moi de le dire, ce procédé téné- 
breux et mystérieux ne convient qu'à un lé- 
gislateur qui veut établir la tyrannie. Pour 
corriger votre gouvcrncraeut , faut-il employer 
un moyen qui n'est pas moins vicieux que 
Je liberitm vda ? Quoi , des lois secrètes , des 
L 3 

D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



l66 DU GOUVERNEMENT 

lois inconnues , des lois qui ne sont pas pu- 
bliées à la face du ciel et des hommes ! Dans 
les temps malheureux de nos guerres de reli- 
gion , nos cours souveraines ont eu des re- 
gistres secrets , où l'enregistrement des loii 
ctoit dressé avec des clauses toutes différentes 
que dans les registres publics. A quoi scrvoit 
cette fraude ? A ruiner toute confiance, cl à 
perpétuer le fanatisme , les haines et la guerre. 
Qu'importe à vos compatriotes d'avoir de» 
lois qu'ils ignorent? Loin de pouvoir s'associer 
avec la liberté , un pareil usage la détruit néces^ 
snirement. Avec des lois inconnues , comment 
sait-on si on est coupable ou innocent ? Cette 
incertitude n'cst-clle pas le comble du malheui 
pour nn citoyen; ne doit-elle pas lui rendre 
odieux le gouvernement , dont le principal 
objet est d'assurer noire repos et notre tran- 
quillité en méritant notre confiance? 

C'est sans doute un bien que Tuniformîtc 
des lois et des coutumes dans une lépubli- 
que; mais qnelque grand que soit ce bien , 
il ne faut pas l'acheter trop chèrement. Je 
souhaitcrois donc qu'on remarquât dans le 
préambule du même édit, que malgré l'avan- 
tage qu'on trouYcroit à établir le même droit 
et une parfaite uniformité de coutumes dans 
toutes lc> terres de la république, les Diètes 



no,-7«jhyGt.)t>*^le 



DE POLOGNE. 167 

doivent cependant être dispogées à laisser sub- 
sister quelques dilférenccE dans les lois et les 
procédés de quelques palatinaia, quand ce 
sera une chose utile pour eux, et qui ne 
porter» aucun préjudice aux autres provinces. 
Par cette conduite modérée , on préviendra 
sans p«ine les esprits en faveur des lois nou- 
velles qu'on méditera : on les attendra avec 
impatiecce ; et la réforme est à moitié faite 
quand on ne la craint pas. 

Il ne suffit pas que les lois , dont dépend 
la sûreté dés citoyens, soient claires et justes; 
il est encore indispensable qu'on puisse en 
implorer commodément la protection contre 
un citoyen qui ne consulte que sa cupidité 
'ou sa vengeance. Pourquoi donc navertiroit- 
on pas dans le même édit les Diétines, qu'il 
leur sera permis d'établir dans leur ressort une 
cour supérieure de justice, où toutes les af- 
faires seront jugées définitivement ?Je n'ima- 
gine point par quelle raison un pareil procédé 
déplairoit à la noblesse polonaise , puisqu'on 
n'ordonneroit rien , et qu'on ne fcroit qut 
permettre. 11 y a sans doute des hommes in- 
j^ustes , qui Craignent des juges et des tribùnaux^ - 
trop voisins ; mais personne n'osera avouer 
une pareille crainte. L'érection de ces nou- 
velles cours de justice , auxquelles il faut ac- 
L4 

Do,-*cjhyGoogle 



103 DU coi; VER NE MENT 

corder libéralement tout le pouvoir et toute 
la force dont elles ont besoin pour faire exé- 
cuter leurs j'igcmens , est peut-être le seul 
moyen de se passer des anciennes , qu'on peut 
supprimer, mais, si on ne m'a point trompé 
■ sur la nature des abus monstrueux qui y 
régnent, qu'il est certainement impossible de 
réformer. Je ne m'arrctctai pas; monsieur le 
Comte , à prouver qu'il faut assigner un terme 
aux procès, et puisque l'infaillibilicé n'est pas 
le partTige des hommes, borner autam qu'on 
pourra les appels , qui font courir inutilement 
ies plaideurs de tribunal en tribunal, et je 
passe à des objets plus importans. - 

S'il étoit possible que les bourgeois des 
villes de la couronne, eussent quelque part' 
à l'administration de la justice , et devinssent 
ainsi membres de la république, dont ils ne 
5ont que les malheureux sujets ; s'il étoit pos- 
sible d'ôlcr aux seigneurs lajustiicé souveraine 
dont ils oppriment les habiîans de lj:urs terres; 
s'il ctoic possible d'ériger des tribunaux où les 
paysans esclaveSpus.sent réclamerav'cc quelque 
silcccs les lois de riiumanité ; ce seroit sans 
doute rendre à la Pologne les services les plus, 
importans. Mais il n'est pas temps de penser 
à de pareils établisscmens; il n'est pas même 
permis de laisser paroître qu'on ait de scca- 



D,o,l..cihyGtK>gle 



DE POLOGNE. 1 G() 

Mabics iJôes : ce seroic révolter des préjuges 
trop anciens et trop acciédités. 

Il seroit trés-?.isé de prouver que les nou- 
veautés dont je parle , feroient fleurit les villes 
de la couronne , où des étrangers se sont em- 
parés de toute l'industrie , et se font des for- 
itnies considérables aux dépens de vos grands 
îcigheurs , toujours pressés d'avoir de l'ar- 
gent , et toujours dupes dans leurs marchés. 
Après voue avoir pîUés , ces banquiers vont 
jouir ailleurs des fruits de votre paresse et 
de leur activité. De nouvelles sangsues se 
succèdent , et là république reste toujours 
accablée de besoins , au milieu des richesses 
que votre sol vous donne, et qu'il vous pro- 
digucroit si vous- vouliez le féconder. 

Les villes -mêmes des seigneurs offriroieni 
bientôt un nouveau spectacle à leurs maîtres. 
Cies bourgeois qui ne sont aujourd hui que 
de misérables 'arrisrins, occupés de quelques 
arts grossîcTS' qu'i-ls pratlqucm très-grossîcrc- 
niient', et qui ne diffèrent de vos .serfs que par 
la' liberté qu'ils ont de charigcrde demcnrc 
et de potter ailleurs tcur-misèie et leur mal- 
adresse , ne seroient plus abrutis par cette' 
pauvreté €t cette craint* , qui, leiJr étant tout 
seniimcnt , ne' leur pcrmettcrit "'jjas d'cspércv 
u*i sort un ipcu moins mallleUrcux. 



hyGooj^lc 



I 



170 DU COUVE HHEMENT 

Vos campagnes , qui oflFreni par-tout l'image 
de la tyrannie, de ta peur et de la dévasta^ 
lion , preodroient une forme nouvelle. Elles 
ne seroicnt plus habitées par des espèces de 
brutes , si les lois daignoicnt traiter les paysans 
comme des hommes. L'activiié et l'industrie 
naîtroient de tous côtés. La Pologne ne lan- 
guiroit plus sOus l'empire des juifs, qui sem- 
blent porter avec eux le malheur qui les suit. 
Si on m'a fait , monsieur le Comte , une rela- 
tion fidcllc , ce n'est point la noblesse , ce 
sont les juifs , qui sont véritablement les 
maîtres de la Pologne. Vous êtes devenus 
les tributaires de leur avarice et de leurs usures. 
Ils vous ont forcés à ne pouvoir plus vous 
passer d'eux. Ils ont habilement profité de la 
stupidité grossière où vous avez jeté votre 
peuple , pour se rendre nécessaires. Ils abusent 
de vos besoins et de votre ignorance pour 
. Sr'enrichir à vos dépens. Ils sont vos enne- 
mis ; ils vous abandonneroientsi vous n'étiez 
pas leurs dupes ; et sans que vqus vous en 
doutiez, ils vous punissent cruellement des 
injustices fréquentes que vous leur faites 
éprouver. 

Il seroil ttcs-facile de faire voir de la ma-: 
nière la plus évidente , combien la république 
flcviendroit en peu de temps puissante .et 



Dioil ..ci hy Google 



DE FOLOGNE. 17I 

heureuse, si elle înLéressoit à son s,orf les 
bourgeois , les paysans et ces- juifs dont je 
viens de dire tant de mal. On démontreroit 
sans peine à la noblesse, qui possède toutes 
les terres , qac sa fortune augmenteroit con- 
sidérablement' 3.'il étoit permis aux bourgeois 
et aux juifs mêmes d'avoir des possessions, 
de vastes terrains , aujourd'hui inutiles à leurs 
possesseurs, donneroient de nouvelles riches- 
ses à la république. La servitudij frappe les 
hommes et les terres de stérilité ; et la liberté , 
en multipliant vos habitaps , donncroit un 
nouveau prix aux productions de la terre , 
feroit naître les arts dont vous avez besoin , 
et vous fourniroit les forces nécessaires pour 
vous défendre contrevos ennemis et vous faire 
respecter. 

Tout cela est évident ; mais par malheur 
il est encore plus évident que la Pologne au- 
jourd'hui est trop loin de ces vérités, pour les 
comprendre. Je ne parle pas de la grande no- 
blesse, elle est assez élevée pour croire qu'il 
ne lui importe pas de tenir le peuple dans 
la misère , le mépris , l'opprobre et l'oppres- 
sion; mais je parle de cette petite noblesse 
qui trouve trés<Qmiïiode de piller les bour- 
geois, les paysans et les juifs , et se venge - 
|SUF eux d< I9 bassesse avec laquelle elle se 



no,-7«jhyGt)t)^le 



173 DU GOUVE-RNEMENT 

prostitue aux pieds des grands. Si le peuple 
s'élcvoit un peu , apri^s qu'on auroit rompu 
SCS ch:iîiies , elle craindroit de se voir con- 
fondue avec lui. Si cette noblesse pouvoit soup- 
çonner que les réformateurs eussent à cet égard 
des vues coiitraires à ses préjugés , je ne doute 
point qu'elle ne se servît de ses forces, aux- 
quelles ccriainemcni rien ne pourroit résister ,. 
pour conserver au gouvernement tous ses 
vices anciens. La prudence ne permet donc 
pas de laisser entrevoir , dans le moment de 
la réforme, les projets salutaires qu'on dcvroit 
former en faveur des bourgeois , des paysans 
et des juifs. 11 faut même cacher les vœux 
que tout bon citoven doit faire à cet égard, 
et attendre que le gouvernement , établi 
sur de plus sages principes , ait eu le temps 
d.'cc!aircr- les esprits , d'afFoiblir les pré- 
jugés, et de faire aimer le bien public, Que 
fâudra-t-it faire alors ? Il seroît inutile de 
m'éteiidre actuellement sur cette matière. Les 
Polonais , instruits par leur expérience , ju- 
geront beaucoup mieux que moi de ce que 
IcuF pernicttroncles circonstances, et du parti 
qu'ils en pounont tirer. 

C est avec la même sagesse quîi faut mé- 
nager les abus de la jurisdiction ecclésias- 
tique. IL scroit téméraire de tenter quelque 



Dpi ..ci hy Google 



DE POLOGNE. 173 

thangement à cet égard , avant que d'avoir 
dissipé l'Ignorance qui confond !a religion 
et la supersticion , et autorise la morale la 
plus relâchée. En voyant que la cour de Rome , 
autrefois si redoutée des souverains , dont elle 
ébranloit le trône , ne conserve aujourd'hui 
.dans les pays catholiques qu'un reste lan- 
guissant de jurisdiction qui ne lui donne au- 
cvin pouvoir , on seroit porté à croire que 
les circonstances sont favorables à la Pologne , 
pour recouvrer à son tour l'indépendance qui 
appartient à tonte société , et ne plus souf- 
frir que- le, nonce du S. Père eût an tribunal 
à Varsovie, et y exerçât une véritable magis- 
trature. Mais si les Polonais sont persuadés , 
comme on me l'assure , de l'infaillibilité du 
pape , et croient qu'il peut les damner ou 
les sauver à son gré; si aux grandes vérités 
de l'évangile, vos docteurs en théologie sco- 
lastique ont substitué une fouie de pratiques 
puériles et minutieuses , la Confédération 
doit craindre de se rendre méprisable et 
odieuse, en voulant hàccr une réforme que 
des théologiens ineptes , et le peuple qu'ils 
égarent, prendroient pour une hérésie et une 
impiété. 

Je vous prie , monsieur le Coince , de même 
que vos collègues, d'observer que la juridic- 



'n,o,i7PcihyGt)C>»^le 



174 DU GOUVERNEMENT 

tion du noVice de la cour de Rome est moins 
fâcheuse pour la Pologne , que l'auOnté qu'y 
exercent vos propres ecclésiastiques. Si vous 
voulez attaquer à la fois ces deux abus . la 
cour de Rome et vos prélats réuniront leurs 
forces , et jamais vous n'en pourrez triompher. 
Il faut commencer par priver vos ecclésias- 
tiques de la protection du S. Père. Il faut 
séparer les intérêts de ces deux puissances 
unies, en apprenant aux laïques que la Po- 
logne doit avoir ses libertés , et à vos évêqucs 
qu'il est temps qu'ils jouissent de la même 
indépendance que ceux de plusieurs autres 
états. Dès que cette doctrine salutaire com- 
mencera à s'établir , la cour de Rome , qui 
craindra pour son autorité , ne sera pas dis- 
posée à soutenir de son crédit le clergé de 
Pologne; et la puissance législative pourra 
publier alois les lois qu'elle jugera les plus 
siiulatres pour le bien de la religion et tes 
progrès des moeyrs. Mais j'ajoute que cette 
révolution doit se préparer en répandant des 
lumières 'qui dissiperont peu à peu l'erreur 
et les préjugés. Montrez les vérités , non pas 
à la fois, niais les unes après les autres , et 
vous arrîvcrei heureusement au terme que 
vous vous proposez. On dit que les théolo- 
giens de profession sont de toiu les hommes 



D,o,l7PCihyGt)C>'^le 



JttE POlbCNÉ. 175 

les plas routiniers et les plus opiniâtres, mais ils 
n"en sont pas moins complaisans pour le gou- 
vernement et les grands ; et à force de dis- 
puter sur tout , ils trouvent enfin , quand il 
le faut , des raisons pouf défendre et soutenir 
lout ce qui leur plaît. 

Nous avons en français plusieurs excellens 
ouvrages sur les droits et les bornes des deux 
puissances ; s'ils étoient traduits en polonais , il 
n'est pas possible qu'après avoir peut-être un 
peu scandalisé , ils ne parvinssent enfin à 
persuader les bons esprits. Je recommandcroîs 
principalement la lecture des écrits de l'abbé 
Flcury. Ses discours sur l'histoire ecclésias- 
tique sont un des plus beaux ouvrages de 
notre langue; tout y respire la vérité , la can- 
deur et l'amour de la justice et de l'ordre , 
son histoire , qui nous peint avec tant de 
détails la naissance et les progrés de la re- 
ligion , qui nous la présente telle qu'elle a 
été enseignée par Jésus- Christ et les apôtres , 
est très-propre à nous prévenir contre les er- 
reurs que les passions des hommes ont 
voulu joindre à l'ouvrage de Dieu. Nous 
avons encore plusieurs ouvrages de Bossuet , 
de Nicole , &c. Peut-on craindre de s'égarer 
avec de pareils guides ? Quand les Polonais 
verront que la polotique de la cour de Rome 



D,o,l..(iby Google 



Ij6 DU COIÎVERNEMLNT 

est absolument étrangère au pouvoir purement 
spirituel que Jésus-Christ adonné à S. Pierre 
et à SCS disciples , ils pourront croire qu'on 
peut blâmer Tavarice et l'ambition de quelques 
papes sans être impie ni licréiiqne , tl que 
ii les prctcniions de la cour de Rome sont 
injustes , il n'est pas défendu à en s"couer 
le joug, et de ne plus reconnoicie dans le 
nonce une magistrature qui ne se soutient 
que par les abus qu'elle favorise. Après cette 
révolution , les es pi ils s'éclaireront sans effort, 
et vous n'auriez j'Ius une morale que la po- 
litique doit proscrire, cl dont vous trouverez 
la censure dans les PrcvinciaUs. 

Tous les ans on choisit en Pologne de nou- 
veaux juges pour tenir les cours de justice; 
cet usaje est trcs-iitilc, et il n'est question 
que d'établir , s'il est possible, des règles 
certaines, pour que le cboix des magistrats 
ne soit pas Touvragc de la cabale et de Tin- 
trtguc. Peut-être y réuîsiroit-on sans beaucoup 
de peine, s'il s'ftablissoit dans chaque pala- 
tinat , r.:;iii que je lai proposé, une cour 
de justi..e , et que les Diétines fussent char- 
gées d en nc^r.imer les magistrats. Je désire- 
rois même qirc les bourgeois dt la ville eussent 
<j«eU^uc pr.rt à cette nomination , et que les 
piiacipaux cfliLÈers du palatir.at n'y en eussent 
aucune 

D,o,l7PCihyGt)t>*^le 



fil P O L O C N 1. 177 

kiicuTie. Ma raison , c'est que les hommes 
sont portés à favoriser les grands, et que des 
magistrats , si on leur permet quciqu "inclina- 
tion particulière, doivent pencher en faveur 
des petits et des foibles. Vous semez d'ailleurs , 
monsieor le Comte , qu'un pareil établissement 
Tetireroit vos bourgeois de Ictat abject dans 
lequel ils languissent , et que vous pourriez 
en&n espérer d'avoir parmi vous ce que nou! 
appelons le tiers-étàt , et qui par-tout est 
destiné à faire la grandeur et la gloire des 
nations , pourvu qu'on ne s'applique pas à 
l'avilir. 

S'il anivoit que , sous prétexte d'avoir des 
juges plus éclairés , et trompé par ce qui se 
passe dans quelques pays de l'£urope , on 
proposât de rendre perpétuelles les magistra- 
tures de vos cours supérieures , il faùdroit 
rejeter ce projet comme pernicieux et contraire 
au bien public. Dans la forme actuelle , si 
les'juges sont pervers ou mal intentionnés, 
l'inconvénient est court et passager ; et on se 
console du mal présent en espérant d'avoir 
bientôt des juges plus instruits et plus justes. 
La corruption ne se perpétue point dans ces 
tribunaux toujours rcnouvcUés; comme dans 
ceux où les mêmes juges exercent leur magis- 
trature pendant toute leur vie. On ne s'y 

Mably. Tome VlU. M 

D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



I7S DU COUVEBNïMEMT 
fera point une jurisprudence de routine qui 
n'est piopre qu'à luiner l'autorité des lois. 
Des magistrats qui ne sont en place que pen- 
dant un an ou deu:t , n'ont pas un esprit de 
corps, auquel on sacriBe toujours les intérêts 
de la justice; et n'imaginent point des pré- 
tentions ou des . prérogatives particulières , 
qui jettent toujours quclqu'enibarras dans les 
affaires généraJes de la république. , 

Si -les lois sont simples et claires, il n'est 
pas besoin de beaucoup d'étude pour faire 
un ,bon juge : si elles sont embrouillées et 
obscures , elles ouvrent jiar-là même une librç 
carrière à la fraude cl à la chicane ; et j'pserois 
vous répondre que les magistrats ne devien- 
dioieat pas plus habites en vieillissant dans 
leur tribunal : accoutumés à se laisser tromper ■ 
par des sophismes , ils parviendroient à croire 
que le vrai et le faux sont également pio- 
bables. Aujourd'hui tout gentilhomme Polo- 
nais est appelé par sa naissance à défendre 
sa patrie le sabre à la main; il est soldat , 
il croit devoir l'être, et cette opinion est très- 
utile à la sûreté et à la liberté de la république. 
Si la magistrature n'éioit plus une fonction 
passagère , il y auroit bientôt des Polonais 
qui ne se croiroient plus soldats; il en résul- 
teroitune séparation entre les fonctions civiles 



Dpi ..ci hy Google 



SE POLOGNl. 17g 

M Itfi fonctions militaires ; séparation qui 
dégrade nécessairement tous les talcns poli- 
tiques , et ne produit presque jamais que des 
hommes médiocres. Les républiques ancien- 
nes, qu'il faut toujours avoir devant les yeux 
quand on veut faire de grandes choses , avoient 
des hommes admirables, c'est-à-dire, des 
citoyens qui avoicui étudié ■ tous les besoins 
fil tous les devoirs de la société; ils s'y étoient 
également exercés ; et ces connoissances qui 
f'aident mutuellement, étendutent leur génie. 
Nous autres moderne» , nous n'avons que des , 
■ talcnsébauchés , dont nous ne savons pas tirer 
parti pour l'avantage général de la société. 
Bornés par notre ignorance , nous ne somn^es 
utiles à la patrie , que quand par hasard elle a 
besoin du métier que nous avons appris. " 

Les affaires étrangères , j'entends par cette 
expression la conduite de la république à 
l'égard de ses alliés et de ses ennemis natu- 
rels , forment une autre branche de l'admi- 
nistration du chancelier. Jusqu'à présent la 
Pologne a eu peu de relations au-dehors ; on 
négligeait son alliance , parce qu'on n'en at- * 
tcndoit aucun secours. De son côté, toujours 
condamnée à l'inaction pai ses mauvaises lois , 
et trop divisée par ses querelles domestiques 
pour prendre part aux événemens de l'Kuiope.. 
M 3 



iSo DU GOUVERNEMENT 

elle ucgligcoit d'envoyer des ainbassadcnis 
qui n'auroîent joui d'atïcunc considération ; 
et se flattoit que cette politique de l'équilibre 
dont on parloît tant , et qui dans la vérité 
n'est rien, lui scrviroit de sauve-garde. Maia 
tout prendra une face nouvelle aprè3 la rcfornie 
de votre gouvernement. Les Polonais devien- 
dront une puissance respectable , dès que leurs 
lois tes mettront en état de connoître leurs 
forces et de s'en servir. Il n'y aura point de 
peuple qui ne recherche votre alliance, et ne 
tienne un ministre à Varsovie. La république 
Sentira elle-même combien il lui importe d'être 
instruite des passions , des vues et des entre- 
prises des principales cours , et elle y enverra 
des ambassadeurs. Il s'agira de nouer et den- 
irctenir des négociations , de former les ligues , 
soit offensives, soit défensives, et de conclure 
des traités. Puisqu'il en peut résulter de grands 
biens et de grands maux, la Pologne doit 
donc apprendre à calculer ses espérances et 

I ses craintes , et se faire des principes sages 
dont elle ne s'écarte jamais; car on ne sauroit 

■ croire combien une conduite constante et 
uniforme inspire de confiance à nos amis et 
de crainte à nos ennemis. Puisque la for- 
tune amène des conjonctures bizarres et ex- 
traordinaires, OÙ l'état le mieux constitué ne 



■ D,o,i..cihyGoogle 



DE POLOGNE. iSl 

peut se suffire à lui-même et a bcsoîo d'avoir 
des alliés , il faut donc se former des hommes 
habiles dans la partie imponanle des négo- 
ciations : et c'est , je crois , un motif bien puis- 
sant pour engager les réformateurs à former 
dans le sénat un conseil particulier , qui ne 
Goitchargéqucdcs affaires étrangères. Je nima- 
gine point ce qui pourroit s'opposer à cet 
établissement. 11 n'est besoin ici d'aucune 
adresse pour préparer les esprits à celte nou- 
veauté. La nation sera sans doute flattée de 
n'ctrt plus, oubliée en Europe \ et toute la 
grande noblesse verra avec plaisir qu'on ouvre 
une nouvelle carrière à son ambition. 

Soit qu'on laisse au chancelier la direction 
des affaires étrangères , soit qu'on en fasse un 
' nouveau département , il est d'autant plus 
nécessaire que des lois prescrivent des règles 
générales de conduite à Tégard de cette branche 
de l'administration , qu'elle sera nouvelle et 
pour ainsi dire inconnue des Polonais. Rien 
n'est plus diBicile que de ne se pas tromper, 
lorsqu'un peuple change de situation , et se 
trouve dans la nécessité de se faire de nou- 
veaux principes , avant qnc d'avoir eu le temps 
de les étudier. On croit ne consulter que les 
lumières les plus pures de la raison , et sans 
qu'on s'en aperçoive on ne suit encore que ses 
M 3 



l8a DU GOUVERNEMENT 

passions et ses anciens préjugés. S'est-on égaré 
dans une fausse robte ? il esi rare d'apercevoir 
son erreur, et plus rare encore de la reparer; 
on s airachc de plus cri plus à un mauvais 
système qu'on suit par routine , et cette romine 
pernicieuse paroitra enfin la politique la plus 
avantageuse. Il est très- vraisemblablt que la 
conduiic des premiers négociateurs Polonais 
servira de modèle à leurs successeurs. Si ces 
réflexions sont vraies, vous voyez, monsieur 
le Comte , combien les réformaeeurs doîvciït 
s'appliquer à inspirer de bons principes à lear 
nation, et à diriger ses premières démarches. 

La loi ordortnera donc au sénat de ne pas se 
livrer témérairement à des espérances sédui- 
santes , et de ne contracter d'abord que des 
alliances passagères , pour se donner le temps 
de discerner ses vrais amts. Elle déclarera de 
la manière la plus expresse, que la république, 
contente des terres qu'elle possède , renonce 
actuellement et pour toujours , à tout projet 
ambitieux de reculer sts frontières, et de ren- 
■ trer dans les provinces quelle a autrefois 
possédées. Elle ordonnera aux administrateurs 
des affaires étrangères , sous peine d'être re- 
gardés comme ennemis de la patrie , de ne ee 
point proposer d'autre fin dans les négociations, 
les alliances et les traités , que la conservation 



Dpi ..ci hy Google 



DE POLOCPTE. lS5 

de la république. On leur recommandera de 
cultiver la paix avec soin , de ne rien négliger 
pour mériter rcstimc et Taniinc des états voiiins, 
et d'interposer leur médiation dan« toutes les 
affaires de vos alliés. Qu'on ne croyc pas que 
ce ne loient-là que des propos de parade que 
je conseille pour tromper les étrangers, et le' 
empêcher de trouWer les opérations des Con- 
fédérés dans la réforme qu'ils méditent. Je puis 
protester , et les écrits que j'ai publiés en font 
foi , que malgré la mode je regarde là justice , 
la vérité et la modération , comme les seuls 
vrais principes de la prospérité politique , et 
l'injustice , la fraude et l'ambition , comme 
autant de causes de la ruine des états : on 
aura beau manier les vices avec art , on ne les 
dénaturera pas. 

Le conseil des affaires étrangères ne donnera 
aucune instruction ni aucun ordre aux agens 
de la république , sans en avoir fait le rapport 
au sénat. Le président du conseil rendra compte 
à chaque Diète générale de la situation respec- 
tive de k république , de ses voisins et de ses 
alliés. Il ajoutera un tableau des principales 
affaires de l'Europe , et des mouvemens dont 
elle peut être menacée. Je ne saurois- souffrir 
le mystère qu'on met dans les négociations ; et 
l'oscrois assurer à ces polidques qui s'cnvclop- 
M 4 

D,o,l7PCihyGt)t>^le 



l34 DUOOUVESNEMENT 

pcntavcc tant de soin etdc mystère pour cacher 
leur marche et leurs vues ultérieures , qu'on 
les devine presque toujours; et quand on ne ' 
les devine pas, qu'on se défie de leurs ruses et 
de leur adresse, que toute leur peine est perdue, 
ou plutôt ni servi qu'à embrouiller les affaires 
et ks rendre quelquefois impraticables. Tooi 
les traités seront conclus par le roi et le sénat, 
et ratifies par U Diète générale; et cette rati- 
fication sera nécessaire pour leur donner le 
caractère d'engagcmenl et la force de loi. On 
se récriera peut-être , monsieur le Comte, que 
j'expose votre république à une leutcur incom- 
mode. Soit, mais je la préserve d'une étour- 
derie qui n'est pas Incommode, mais funeste 
et ruineuse. La règle que je propose est néces- 
saire , si on désire que la Pologne ait une poli- 
tique uniforme et constante , et que le sénat 
yestc soumis à la nation. 



CHAPITRE XII. 

Du département du grand-maréchal , ou du conseil 

de police. 

ijES fonctions dn grand -maréchal se bornent 
à la police de Varsovie. Sa juridiction ne 
i'étend qu'àxiois lieues de cette capitale, et 



no,-7«jhyGt)t)»^le 



DE POLOGKE. I3J 

elle cesse tlès qucle roi est absent. Ce ne scroit 
pas la peine de substituer un conseil pariicuiier 
an grand- maréchal , si on ne lui attribuoît pas 
laconnoissanccde tout ce qui peut être compris 
sons la dénomination de police générale de la 
république. 

Plus les Polonais ont négligé jusqu'à présent 
cet[c partie importante de l'administration , 
plus il est nécessaire de faire de grands efforts 
pour réparer cette négligence. Je vous en de- 
mande pardon , monsieur le Comte , mais il 
est nécessaire que je sois instruit de la vérité, 
et je vous prie de ne me rien déguiser. J'ai ouï 
dire à des étrangers que la police de votre patrie 
ne vaut guère mieux que celle de la Tartarie. 
Est -il vrai que dans nne république, où l'on 
suppose toujours l'amour de la liberté et de la 
patrie, 'on n'ait pris cependantaucunsoindece 
qui intéresse le public ? J'ai de lapeine à croire 
qqc votre noblesse étant souvent obligée de 
voyager pour visiter ses terres et se rendre à 
ses Diétincs on à la Diète , vous n'ayez cepen- 
dant point de chemins. On m'a peut-être trompé 
en me disant que dans vos villes même les 
plus considérables, un voyageur manque des 
choses les plus nécessaires : vous êtes 
obligés de voyager avec armes et bagage, et 
pour retraite dans la nuit, vous ne trouvez qtic 



Do,T«J4iy Google 



l86 DO GOUVERNEMENT 
le repaire impur d'un juif ou la malheurense 
maison d'un paysan. Cette incurie sauvage , 
{ car de qucUc autre expression pourroit-on 
se servir ? ) supposeroit d'étranges mœurs. Je 
ne conçois rien à cette indifférence de la no- 
blesse pour les commodités les plus commanes. 
A quoi faudroit-il attribuer cette stupidité de 
vos juif», chargés d'héberger les voyageurs, 
et qui malgré leur avidité , n'osent avoir aucune 
industrie ? Est- ce que s'ils tiavailloient à pré- 
parer des auberges commodes aux passans , 
ils né seroient payés ni de leurs peines ni de 
leurs avances ? 

Quoi qu'il en soît, je dcsirerois que le con- 
seil de police fût chargé de la construction des 
chemins , de la navigation des rivières ; et que 
dans chaque palatinat il y eût des bureaux par- 
ticuliers chargés d'exécuter ses ordres. Je 
voudrois sur-tout que les réformateurs invi- 
tassent le nouvcaa ministère à cheicher le» 
moyens les plus propres pour empêcher que 
désormais l'arrivée d'un gentilhomme dans un 
village ou dans la ville d'un seigneur, n'y fût 
regardée comme un fléau. Mais je me trompe, 
monsieur le Comte , ce n'est point de cette 
manière qu'il faut s'y prendre pour opérer une 
réforme ; tout seroit perdu , si votre petite 
noblesse pouvoit soupçonner qu'on voulût dé-^ 



, D,o,i..cihy Google 



D E P O L O G N E. 187 

truire son droit de gîte qui lui est si commode. 
L'édit qui établira le conseil de police , doit 
ordonner simplement de veiller à la sûreté des 
voyageiirs , et de proposer à la prochaîne Diète 
ce qu'on aura pensé de plus favorable pour 
parvenir à cette fin. On fera alors des lois contre 
les brigands et les voleurs , dont personne , 
avec quelque pudeur, ne peut embrasser la 
défense; et on prendra en même -temps les 
mesures les plus efficaces pour que ces lois ne 
soient pas inutiles. Vous sentez que votre 
petite noblesse . craignant d'être confondue 
avec les brigands , renoncera par nécessité h. 
son droit de gîte ,' et que bientôt la Pologne 
ressemblera à la plupart des autres pays de la 
chrétienté ; on y voyagera avec les mêmes 
commodités. Il me semble que les seigneurs 
et la noblesse riche doivent favoriser cesétablîs- 
semens ; car il leur importe de se débarrasser 
de tout cet attirail d'équipages qui les accom- 
pagne dans leurs voyages, et de protéger leurs 
sujets, qui ne sont jamais vexés sans que le 
seigneur lui- même n'en gouffre. 

Vous m'entendez qirelquefois parler, mon- 
sieur le Comte , avec une sorte de mépris , de 
cette politique qui ne comptant que sur l'ar- 
gent, regarde ic commerce étranger comme sa 
principale alFaire. C'est sans doute un graud 



no,-7«jhyGt)t)»^le 



ïSS DU GOUVERNEMENT 

ma) que cet esprit mercantile, quand il s'em- 
pare d'une nation ; car il y détruit le germe de 
toutes les vertus. Mais , tant il est vrai que notis 
sommes destinés à chercher en tout un juste 
milieu et 4 nous y tenir, il y a un excès opposé, 
qui n'est peut-être pas moins dangereux; c'est 
de laisser périr entre ses mains la plupart de 
SCS richesses, et de ne savoir pas en profiter 
pour entretenir une honnête abondance dans 
la société. 

On ne peut qu'être prodigieusement étonné , 
quand on voit qu'ayant à peu de chose près 
tout ce qui peut vous êlrc nécessaire , vons 
n'avez cependant ni arts, ni manufactures, ni 
ouvriers. Les juifs ne sont point membres de 
la répnbliqce; vous les regardez comme vos 
esclaves, et j'ai déjà pris la liberté de vous le 
dire , ils sont les maîtres de la Pologne. S'il • 
leur prenoit fantaisie de ne vous plus vêtir, 
vous seriez nus , jusqu'à ce qu'il plût à des 
Allemands ou à des Hollandois de vous ap- 
porter , à grands frais , des étoffes et toutes les 
choses dont vous avci besoin. Que résulte-t-il 
de cette situation ? Une indigence générale 
qui n'est pas moins funeste que les trop grandes 
richesses. Vos grands seigneurs sont pauvres 
au milieu de tous ces vastes domaines dont ils 
ne savent pas tirer partie et voilà ce qui les a 



Dpi ..ci hy Google 



DE POLOGNE. 1 Sg 

forces à se vendre à la coût ponr satisfaire leur 
luxe. Votre petite noblesse a beau se croire 
souveraine, ne pouvant; suffire à ses besoins, 
elle se prostitue dans les emplois les plu» 
bas ; et quand elle reçoit quelques ducats pour 
subsister, peut -elle avoir cette fierté républi- 
caine qui a rendu vos ancêtres si illustres , et 
qui doit faire la force de la Pologne ? Pour le 
reste des habitans , ils ne sont comptés pour 
rien. Une crainte servile a étouffé en eiix toutes 
les passions par lesquelles la nature nous des- 
tine à développer nos facultés naturelles. 

11 est temps de "Sortir de cette léthargie , et 
le conseil de police , auquel il est important 
de donner des occupations dignes de lui , rcn- 
droit à la nation un service bien signalé en 
trouvant les moyens d'établir les différentes 
manufactures qui vous sont nécessaires , qu'il 
appelle chez vous des étrangers *qui vous for- 
meront des ouvriers ; mais qu'il soit persuadé 
que l'homme ne s'attache pointa un pays où iî 
ne peut avoir aucune possession. Ne craignez 
pas de donner d'abord trop d'encouragement 
à l'industrie; mais un temps viendra où il fau- 
dra lui mettre des entraves, pour l'empêcher 
de produire enfin chez vous tous les malheurs 
où elle a précipité les peuples , qui ne se lassans 
point d'étendre leur commerce , n'ont d'autre 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



igo BU GOUVERNEMENT 

règle de conduite qu'une malheureuse cupidité 
qui doit les perdre. 

Il me semble qu'on peut charger le conseil 
de police d'un soin encore plus précieux pour 
la république. Les mœurs publiques doivent 
être soumises à son inspection. Quoiqu'on 
m'accuse, monsieur le Comte , d'aimer à me 
repaître d'idées chimériques , et d'aspirer à 
une perfection dont les peuples modernes ne 
sont plus susceptibles, ne. croyez pas que je 
vous propose d'établir chez vous la censure des 
Romains : il y a long-temps que lEurope n'est 
plus digne d'une pareille magistrature. Je me 
bornerai à dire que l'intendance de l'éducation , 
qui prépare des citoyens à la république , doit 
appartenir au conseil de police. Il seroit inutile 
de m'étendre sur l'importance de former le cœur 
et l'esprit des enfans dans une nation libre ; 
c'est une vérité dont tous les pères de famille 
sont convaincus. Dans le moment delà réforme, 
il suffira peut-être de faire des réglemeos 
généraux, et de charger les Diétjncs, chacune 
dans son ressort , de veiller d'une manière 
particulière à l'éducation , et de choisir, parmi 
les gentilshommes les plus distingués par leur 
méiite, quelques commissaires pour examiner 
la police des collèges , donner de l'émulation 
^ux professeurs , la faire passer dans leur» 



Dpi ..ci hy Google 



D E P O L O C N E. igi 

élèves , et dresser d«s mémoires au sujet des 
ctablissemens qu'on pourroît faire , et que 
chaque Diétine fera approuver par la Diète 
générale. On voit que par cette conduite le 
conseil de police intéressera un plus grand 
Bombre de personnes à ses succès , et pré- 
viendra les inquiétudes , la déHance et les soup- 
çons que les nouveautés ne manquent presque 
jamais de faire naître. 

Il est temps que la philosophie pénètre enfla, 
dans la Pologne, et bannisse de vos univer- 
sités de misérables études qui sont plus dange- 
reuses que Tignorancc. L'écriture sainte , qui 
ne noBS a pas été donnée pour nous apprendre 
la physique , ne vous paroîlra pas moins res- 
pectable , quand on vous anrs persuadé que le 
soleil ne tourne plus autour de la terre. L'étude 
vous rendra la religion plus chère ; et si je 
n'avoiî pas déjà dit dans ce mémoire combien 
la superstition produit de mal, j'inviterois les 
réformateurs à prier instamment les évêques 
de faire tous leurs efforts pour qu'on enseigne 
dans leurs diocèses une saine théologie. On 
doit, si je ne me trompe, ne rien négliger 
pour faire fleurir l'étadc du droit naturel, de 
votre droit public , et de tout ce qui peut faire 
connoîtrc la. situation de l'Europe , ses lois, 
le gouvernement et les intérêts des différentes 



Do,T«Jhy Google 



Iqa DU COUVEIINIMCNT 

puissances, de même que les engagcmcDS réci- 
proques qui les lient. Ces connoissances sont 
indispensable* dans une république qui traite 
avec ses voisins , et où chaque citoyen a part 
au gouvernement. La médecine , la physique, 
les mathématiques, l'histoire , l'éloquence, les 
bcUcs-lcttrcs méritent d,'avoir leur école; mais 
pour abréger je n'en parlerai pas. Peut-être 
que chei les jésuites vous ne trouverez pas 
les maîtres que vous pouvez désirer; et dans 
ce cas le conseil de police dcvroit appeler des 
étrangers qui. se formcroicnt parmi vons des 
successeurs. 

Après avoir travaillé à faire des citoyens par 
une bonne éducation ; il faut tout mettre en 
usage pour empêcher que les jeunes gens , en 
entrant dans le monde, n'y trouvent des mœurs 
qui détruiroicnt en un instant les principes de 
modcsiic , de retenue , de tempérance et de . 
désintéressement, qu'on leur aura inspirés. Je 
vous propose , monsieur le Comté, une chose 
nécessaire , mais qui n'est pas aisée. Je connois 
la force de nos habitudes; et quoique les 
Polonais se vantent d'avoir dans leur caractère 
notre flexibilité française , je .doute fort qu'ils 
ne se moquassent pas d'un conseil de police 
qui leur ordonneroit de prendre de nouvelles 
moeurs. Une pareille révolution est l'ouvrage 



Dioii ..ci lîy Google 



DE POLOGNE. igd 

du temps. Les lois coasticudves. dont j'ai eu 
riionneur de vous entretenir , la prépareront ; 
mais que pouvcz-vous attendre de ces lois , si , 
toujours combattues par vos anciens vices , 
elles n'exercent qu'un empire douteux, et ne 
se soutiennent elles-mêmes qu'avec peine ? Les 
réformateurs doivent aller à leur secours , et 
hât:r le progrés des bonnes mœurs , en pros- 
crivant le lux.e , qui a tant contribué à votre 
décadence , et qui entraîne- à sa suite tous les 
vices. 

Sans lois somptuaires , dont le propre est 
de rendre les richesses moins nécessaires et 
l'amour de la gloire plus actif , n'espérez point 
d'établir parmi vous une liberté solide. Si vos 
anciennes Diètes ont publié quelques-unes de 
CCS lois salutaires, n'oubliez rien pour les retirer 
de l'oubli dans lequel elles sont tombées. Il me 
semble qu'à cet égard on peut agir sans aucun 
ménagement ; car si on ne m'a point trompé ■ 
par de fausses rcllttons , la fortune de votre 
grande noblesse n'est plus ce qu'elle étoit 
' autrefois. Les grands ne tiennent que par vanité 
à un luxe qui les incommode ; et en secret , ils 
regardcroient comme une faveur la loi qui les 
autoriscroit à ne pas achever de se ruiner. 
Pour consolider votre ouvrage, tâchez de trouver 
.quelque moyeupour empêcher qu'il ne se forme 
Mably. nme VIII. ' N 

no,-7«jhyGt)tK^lc 



194 DU GOUVERNEMINT 

de ces furtunes imtneniet que redoute régalïté 
Tépublicainc , et qui corrompent également leurs 
possesseurs et les pauvres qui les envient. Un 
Suédois me disoit : A'ds rickases sânl trés-mé- 
diocres , et ce premier avantage nous en procurt 
un second ; kous n'avons point de pauvres , et J'en 
Aii^re bien peur raffermissement de nos lois. Je 
voudrois qii'un Polonais pût tin jour en dire 
Autant. Ne désespérez de rien , sionsieur le 
Coniie; ce conseil de police , auquel on lie 
peut d'abord attribuer qu'un poui'oir bien 
jnédiocre , sera encouragé par ses premiers 
succès , et il étandia sans peine ses droits et 
£3: juridiction à meiurc que vos mceurs se per- 
feelionncroni. Ce conseil sera , ii je puis parler 
ainsi, votre baromètre politique : suivant qu'il 
«'élèvera ou qu'il baissera , il vous annoncera 
des biens ou des maux. 



CHAPITRE, XIII. 

Dit départetiient du grand-général ou' du conseil 
de guerre. 



D. 



'ans la bièw où les Gbnfédénîi doivent 
proposer et établir un nouveau gouvernement; 
je crois qu'il scroit très-sage d'éviter avec soin 
tout ce qui ponrroil faire penser que la rcpu*- 



n,o,i7PcihyGt)t>»^le 



DE FOLO.CNE. igj 

blîqnc veut se tendre redoutable par sei forces 
militaires. A qaoi sert d'avertir les étrangers 
qu'on veut former une puissance qui peut les 
inquiéter? Faites encore attention , je vous prie , 
qu'il est impossible d'augmenter le nombre de 
vos troupes , sans éiabiir des impôts d'autant 
plus sûrs de déplaire , que votre nation est 
accoutumée i ne rieti payer à la république , 
et que sa fortune aura beaucoup souflert par 
la guerre à. la fois étrangère et domestique 
qu'elle supporte. Voircpetitenoblesse est avare 
par nécessité ; et vos grands seigncuri , que le 
luxe , leur négligence et leurs valets appauvris- 
sent, ont trop de besoin* pour songer à ceux 
de l'état. D'ailleurs la prudence ne vous fait- 
elle pas une loi d'assujettir à une bonne disci- 
pline les anciennes troupes . avant que d'en 
créer de nouvelles ? Celles que vous lèveriez 
aujourd'hui se modèlcroicnt sur les anciennes. 
Elles en prcndroient le génie et les vices ; et 
il seroit d'autant plus difficile dans la suite de 
corriger ces nriliccs , qu'elles seroient plus 
nombreuses. Il sera au contraire plus aisé de 
mettre sur un bon pied les anciens corps ; et 
ceux qu'on lèvera dans des circonstances plus 
favorables , se conformeront sans peine à la 
discipline qu'ils trouveront établie. 
' Les troupe-s sont aujourd'hui aussi mal gou- 

N 2 

D,0,l7PCihyGt)t)*^le 



196 DU GOUVERNEMENT 

vernécs en Pologne , qu'elles l'ctoit il y a trois 
siècles dans toute l'Europe, Les princes de 
Nassau en Hollande et les rois de Suède , dont 
la réputation durera cteTUcllcment, ont rétabli 
l'art militaire parmi les modernes. On a profité 
de leur exemple; et tandis que toutes les nations 
ont commencé à discipliner leurs soldats et 
faire la guerre avec cette méthode savante 
qu'on admire chez les anciens , la Pologne 
seule n'est point sortie de son ancienne bar- 
barie. Ce sera beaucoup , monsieur le Comte , 
siles réformateurs peuvent faire agréer des lois 
favorables à la discipline; mais quand cette 
discipline vous égaleroit aux troupes prus- 
siennes , ne croyez pas que ce soit-là le plus 
haut terme de perfection où vous deviez aspirer. 
Le roi de Prusse a fait tout ce que peut faire 
un roi ; et votre république , Hne fois bien 
constituée, doit faire tout ce que peut faire 
une république. Chez les peuples qui ne sont 
pas libres , les soldats n'auront jamais ce cou- 
rage patriotique qu'on trouve chez les Grecs 
et chez les Romains , ce courage loUr - à - tour 
patient, actif, lent, impétueux, et toujours 
égal dans les différcns besoins et les diîFérenteï 
extrémités de la guerre. Des hommes arrachés 
de leurs maisons , ou ramassés au hasard dans 
la lie du peuple , ne font la guerre qu'à regret , 



D,o,l7PCihyGt)t>^le 



DE POLOGNE. 197 

on ne portent les armes que parce qu'ils ne 
sont bons à rien. Quel intérêt peuvent-ils donc 
prendre à la chose publique ? C'est cependant 
cet intérêt seul qui élève l'arae ; et sans une 
amc élevée, dans quelqne condition que Ton 
soit, et malgré tous les soins de la politique , 
on n'est jamais qu'un homme médiocre. 

C'est une maladie ^.es plus fâcheuses de 
l'Europe , que ces grandes armées que les états 
ont la manie d'entretenir pour se faire craindre ; 
et qui ne leur donnant qu'une vanité ridicule 
ou une ambition puérile , ne servent qu'à les 
afïbiblir et Jes embarrasser. On diroit qu'on 
veut suppléer par le nombre des soldats aux 
qualités militaires des armées ; entreprise in- 
sensée ! L'histoire n"esi-clle pas pleine de 
grandes armées qui ont été dissipées par une 
poignée de Grecs , de Macédoniens , ou de 
Romains? Cinquante mille hommes bien disci- 
plinés suffiront à la sûreté de la Pologne , et 
lui coûteront peu. Deux cents milla soldats, 
■ tels que tout le monde en connoît, seront forts 
chers, et la défendront mal. Il est fâcheux 
pourmoi, monsieur le Comte , de vous rappeler 
des choses désobligeantes que quelques-uns 
de vos compatriotes m'ont laissé entrevoir. Je 
ne veux rien croire : cependant, s il étoii vrai 
que dans le moment présent la Pologne n'eùl 
Ni 

D,o,l7PCihyGt.)t>*^le 



jgS DU GOVNERNEMENT 

piE un seul homme de gueire cq état de vous 
former une armée , les réformateurs ne dc- 
vroient-ils pas proposer à la Diète d'attacher 
à son service quelques otEciers étrangers de 
réputation ? Si vous voulez établir vous-mêmes 
votre discipline miliiaire , vous ne ferez que 
des progrès très - lents , parce qu'il faudra 
réparer les fautes de votre incxpé'ricnce , et 
qu'en les rép^ant vous en ferez peut - être 
encore de nouvelles. Je désireroîs que dès 
l'instant de la réforme toutes vos troupes fussent 
nationales ; mais si c'est une chose impossible , 
ne confiez point votre salut et votre sûreté à 
cette canaille de déserteurs et de vagabonds qui 
n'ont point de patrie , incapables de discipline , 
et qui méprisent assez leur vie pour la vendre 
indifféremment à tout le monde. Il me semble 
que , pour compléter le nombre des troupes 
que la republique est en usage d'entretenir , 
vous pourriez traiter avec les Suisses. Ce sont 
les hommes de l'Europe les plus susceptibles 
d'une bonne discipline; il est de l'intérêt de 
leurs magistrats de la faire servir chez une 
nation libre , d'où les officiers et les soldats ne 
rapporteroicnt pas dans leurs cantons des pré- 
jugés et des habitudes quipcuvent corrompre , 
ou du moins altérer les mœurs convenables au 
gouvernement helvétique. 



Dpi ..ci hy Google 



DE rOLOCNE. - 199 

Si les Polonais veulent être véritablement 
libres chez eux , et défendre leur liberté contre 
les entreprises des ennemis domestiques et 
contre les injures des étrangers , ils doivent 
former une nation militaire. Je suis intimemen^ 
persuadé que malgré les établissemcns les 
plus sages pour affeimir l'empire des lois et 
s'opposer à la naissance du pouvoir arbitraire, 
un peuple finira toujours par être esclave , si 
chaque citoyen ne se croit pas destiné à être 
soldat. On sait quel a été le sort de toutes ces 
nations lâches, paresseuses ou inconsidérées, 
qui , pour se débarrasser des fatigues ou des 
périls de la guerre, ont confié à des mercenaires 
le.soin de les défendre. Ces soldais ont; abusé 
de leurs armes et de leur force ; ils n'ont re- 
connu d'antre maître que la puissance exécutrice 
a qui il en a fallu abandonner la direction ; et 
ils sont devenus des oppresseurs , ou plutôt les 
instrumeus de l'oppression. Quand les Romains- 
né furent plus en quelque sorte que des mer- 
cenaires , ils se vendirent à des Marins , des 
Sylla, des César et des Pompée , et firent des 
tyrans. Au lieu de l'ordre militaire qui régne 
en Suisse , supposez des corps toujours sub- 
sistans de soldats mercenaires , et vous en 
verrez fuir la liberté, le calme et le bonbeur. 
La Pologne jouit déjà à moitié du bien que 
N4 



800 DO GOUVERNEMENT 

je désire , puisque la 'noblesse qui foime seule 
le corps (te la nation ou de la république , 
regarde les armes comme sa profession , et se 
croit obligée de monter à cheval et de faire 
la guerre , quand elle est commandée. Pour le 
dire en passant , c'estpeut-être ce génie militaire 
qui a le plus contribué aux progrès de votre 
anarchie , parce qu'il n'étoit soumis à aucune 
règle certaine ; mais c'est lui aussi qui a con- 
tribué , plus que tout le reste , à vous soutenir 
contre tous les vices de cette même anarchie. 
Dans le moment de la réforme , il faut donc se 
garder avec un soin extrême de porter quelque 
règlement , qui par des immunités , des fran- 
chises ou des privilèges particulicïs, tcndroii à 
séparer les fonctions civiles des fonctions mili- 
taires , et faire oublier que tout Polonais doit 
être soldat. II est aisé de ne tomber à cet 
égard dans aucune erreur ; mais, je l'avoue , 
rien ne me paroît plus difficile que de tirer 
partie de ce génie militaire pour assurer le 
bonheur de la république. 

Pleins de leurs anciens préjugés, les gentils- 
hommes croiront vraisemblablement qu'on 
attaque l'indépendance et la liberté dont ils 
sont si 'jaloux , si l'on tente de les discipliner, 
et de soumettre le service militaire à des règles 
constantes. Vos gen« de qualité, m'a-t-on 



Do,T«ihy Google 



DI POLOGNE. sot 

dit, ontdes compagnies nobles (^aWsn ont j&tnaia 
vues. Ils ont ces compagnies , parce que c'est 
un* distincùon , mais le commandement en est 
abandonné à quelque subalterne qui n'a aucune 
autorité. On se croit militaire parce qu'on a 
un brevet inutile dans sa poche et un uniforme 
sur le corps. Peut-être a- t-on vu quelquefois 
des grands généraux de Pologne etde Lithnanie, 
qui ne s'étant jamais trouvés dans une armée , 
ni même dans un camp de paix, auroient été 
embarrassés à conduire cinquante hommes. 
C'est ici qu'on a besoin d'une politique extrê- 
mement habile à manier les esprits. On rre 
peut se prescrire d'avance aucune méthode; 
car qui peut prévoir qu'elle sera précisément la 
disposition des esprits dans les circonstances où 
vous vous trouverez ? Les hommes paroissent 
quelquefois perdre leur caractère dans les gran- 
des révolutions. Je ne sais quel enthousiasme 
s'empare d'eux ; mais on se trompe si on le 
croit durable ; et on l'éteint , si au lieu de le 
ménager on veut le forcer et l'augmenter. Peut- 
être qu'il est alors plus utile d'agir par insinua- 
tion que d'ordoiincr en législateur. On seroit 
bien avancé , si l'on pouvoit persuader à quel- 
ques grands seigneurs qu'il est ridicule de faire 
nn métier qu'on ne veut pas apprendre, et les 



Dioiir^cihyGocj^le 



•Ol DU GOUVERNEMENT 

engager k donner l'exemple d'un service ré* 
-gulier. 

Mais quand le nouveau gouvernement aura 
acquis une certaine autorité , quand , apiè» 
s'être familiarisé afec l'empire des lois , on aurat 
appris à penser avec plus de justesse et d'élé- 
vation , pourquoi cette fière noblesse ne se 
fcroit-ellc pas un point d'honneur d'obéir à 
celte même discipline qui l'effraie aujourd'hui? 
£n imaginant quelques distinciions Qattenscs 
pour les gentilshommes qui se distingueroient 
dans leur palaùnat par leur application aux 
exercices militaires , ou qui feroient quelques 
campagnes en qualité de volontaires dans des 
guerres étrangères , pourquoi ne feroit-onpas 
naître un nouveau génie dans la nation ? Les 
récompenses de la république , qui appartien- 
nent aujourd'hui aux iutrîgans , ou dont on 
fait un commerce scandaleux, pourquoi la Diète 
ne les fera - t- elle pas donner aux militaires le( 
plus distingués ? Les palatinats sont pleins de 
dignitaires qui n'ont que des titres sans fonc- 
tions; et il seroit sans doute très - avantageux 
d'annoblir leurs chargea par quelques devoirs 
ou quelqu'inspection militaire. Les palatins et 
lescastellans sont les capitaines de leur palaiina: 
et de leur castellànie ; ils négligent aujourd'hui 



D,0,l..cihyGdOglC 



DE POLOGNE. aoS 

cette partie importaate de leur administration ; 
et dans le nouveau système du gouvernement , 
rien n'est plus aisé que de les corriger de cette 
négligence , et de les obliger à rassembler tous 
les ans la noblesse pour la passer en revue , et 
l'accoutumer à la discipline et à la subordina- 
tion militaire. 

Enfin le temps viendra peut-être, où l'on 
pourroit ordonner qu'un gcncithoramenescroit 
susceptible des honneurs, des dignités, des 
charges et des récompenses de la republique, 
qu'après avoir servi un certain nombre d'années. 
Les romains ont eu autrefois cette loi, et un 
établissement qui leur a été si utile , ne le scroit 
pas moins aux Polonais. J'ajoute même que 
c'est alors que votre république sera solidement 
affermie , ne craindra plus les passions ennemies 
de votre liberté , et se fera respecter des étran- 
g-ers. Dès que les circonstances le permettront, 
liâicz-vous d'ordonner par une loi soiennellc, 
que la jeune noblesse de chaque palsiinat et 
de chaque district, inscrite dans le rôle mili- 
taire , s'assemblera tous les ans pendant uu ou 
deux mois , et sous les ordres de ses oflicicrs , 
3c façonnera a tous les exercices et à toutes les 
manœuvres de la guerre. Ces cQinp:;gnies, 
répandues sur toutes les terres de la république, 



Dpi ..ci hy Google 



904 ^^ COUVIKNEMENT 
formeroientenfia une cavaUtîe invincible dans 
vos plaines. 

Vousmcdtrez peut-être, monsiearle Comte, 
qu'il est bien extraordinaire pour une personne 
de mon état , d'oser vous parler guerre pendant 
•i long- temps. Mais je prendrai la liberté de 
vous répondre , comme le chancelier de 1 Hô- 
pital au duc de Guiïe : ((Je ne sais point com- 
ï) ment ilfaut conduire unearmécg'Jgner une 
tt bataille , choisir et disposer un camp et 
)) prendre une ville; mais j'ai appris comment 
)) on doit former des soldats et des capitaines , 
»i quand il faut faire la guerre , et dans quels 
11 lieux même il faut la porter, relativement à 
») la fin qu'on doit se proposer »>. En effct.ces 
connoissances sont communes à tous les 
hommes, quelque soit le genre de vie qu'ils 
aient embrassé. 

Vous avez eu la bonté , monsieur le Comte , 
de me communiquer vos vues au sujet d'un 
corps de trente ou quarante mille homrbes 
d'infanterie qu'il seroit aisé de former , en 
demandant à chaque village -un soldat pris dans 
ie nombre de ses habitans , et qu'il entretien- 
droit à SCS dépens. Votre projet est digne d'un 
citoyen qui aime sa patrie , et éclairé par la 
plus sage politique. Hâtez-vous de communi- 



D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



ntrOLOGHE. ' 9o5 

quer votre idée à vos collègues. Ce projet peut 
êti c mis à exécution dans te momeni même de 
Ift réforme. Il ne blesse en rien les préjugés de 
la noblesse, et vos voisins le verront exécuter 
sans inquiétude. Vous ne montrerez par cet 
établissement qu'une milice destinée à entre- 
tenir la sûreté publique , faire respecter les 
lois et prêier main- forte à la justice contre les 
brigands et contre les rebelles qui refuseront 
de se soumettre à ses jugemens ; mais dans le 
fond vous formerez une infanterie nationale , 
dont il sera facile de rassembler les di£Fcrentea 
brigades répandues dans vos palatinats , et qui 
s'étant exercée pendant la paix , sera capable 
entcmpsde guerre de servir utilementla patrie. 
Cette milice n'est qu'un mal dans plusieurs 
pays , parce qu'elle n'est qu'une corvée qui 
nuit à l'agriculture , et rend le sort des paysans 
plus malheurcDx, En Pologne elle peut servir 
au contraire à rendre plus douce la servitude 
de vos serfs et à donner même une sorte de 
considération à cette classe d'hommes abrutis 
et malheureux. Après vingt ans de service 
pourquoi n'accordcroit - on pas à ces soldats 
U liberté civile et les terres nécessaires à la 
subsistance d'une famille ? Vous verriez se for- 
merdans votre république des paysans libres, 
et l'espérance de la libetté relireroit les autres 



Dioil ..ci hy Google 



6a5 DU COUVSRNEMEKT 

de cette stapiditédans laquelle ils languissent, 
et qui les empêche de pi endre le rauindré intérêt 
au sort de la république. 

Je vois avec chagrin un vice énorme dans 
votrcconstitution. Je veux parler de ces espèces 
de souveraiHetés que se sont faites quelques 
seigneurs. Ils ont des forteresses , ei,y tiennent 
une garnison qui ne dépend que d'eux. Vos 
îois ont toléré Cet abus, ou parce qu'elle» ne 
pouvoicnt le réprimer, ou parce que vous avez 
regardé ces châteaux et ces soldats des parti- 
culiers comme des forces qui ne, coûtoicnt rien 
à la république, et dont elle pourroît cependant 
se servir dans le besoin. Mais la société est 
menacée des plus grands dangers , quand un 
citoyen est assez fort par lui- même pour ne 
pas craindre la loi. L'ordre des choses est ren- 
versé , la puissance publique est dissoute , et 
tout est perdu , dès que le tntoyen que la répu- 
tliquc doit défendre s'est rendu assez puissant 
pour la protéger. J'avoue que dans le moment 
de la réforme je ne vois aucun remède à ce 
mal. Quels criï , quelles plaintes , on plutôt 
quel soulèvement n'exciteriez - vous pas ? Si les 
réformateurs ne sont pas plus habiles que moi, 
ils doivent prudemment fermer les yeux et 
feindre de ne rien voir. 

Espérez que dans le redoublement de zèle» 



D,o,i..cihyGoogle " 



■ ti % FOLOCNE. 907 

d'amour de la patrie et d'amour dt la liberté 
qu'inspirera un nouveaa goovcrncment , la 
république n'éprouvera pendant quelque temps 
aucune disgrâce de la part de ces citoyens 
souverains ; leur vanité craindra de blesiet 
l'opinion publique , elle sera contenue. Maïs, 
que l'avenir vous inquiète ! Vous connoissez , 
monueur le Comte , le cours, la marche , les 
ruses et tous les prestiges des passions humaines; 
concluez - en que cette vanité dangereuse ne 
âisparoitra point , tant qu'elle sera nonrrie pas 
l'appareil de la force et de la grandeur. Songes 
'k ce qu'elle osera , quand elle pourra se pro« 
mettre l'impunité. S'il arrive en&n des circoaa- 
tances qui pcTroettent de réprimer cet abus , ne 
pierdei pas un moment et courei au remède : 
tâchez même de hâter ces circonstances. Après 
que l'anarchie aura fait place à un bon gouvctv 
aement , on pcot se flatter que ces grands 
•■'a[>ercevrofit qu'ils ont -moins besoin d'être 
puissans' par leurs propres forces, soit pour st 
défendre «onirc leurs ennemis, ioit pour jouk 
d'an pliîs gi'ind crédit. Leur orgueil s'apptivoi- 
ttra, «t ils seront moins anachés à des iroupos 
qat leur seront inutiles , cl qui leur coûtent 
bcaocoiïp. 

■ C'est an grand mal que ta noblesse de Pologne 
^ecic aà lan-g dè«es privilèges les plus précieus, 



no,-7«jhyGt)t)^le 



toS DU GOUyERNEMEMT 

de ne servir qu'un certain nombre de jours. J« 
pardonne cette barbarie à nos anciens Français , 
chez qui le gouvernement féodal avoir détruit 
toute idée de bien public. Que des vassaux 
qui , malgré la foi et l'hommage , avoient tani 
de motifs de haïr leurs suzerains , ne les servis- 
sent qu'à regret, et disputassent sur le nombre 
de jours de service qu'ils leurs dévoient, je 
n'en suis point étonné. Mais les Polonais n'ont 
jamais connu nos lois ni nos coutumes féodales. 
Leur république n'est qu'une association des 
possesseurs des terres ; un intérêt commun a 
dû toujours les réunir ; chacun en particulier a' 
dû sentir combien il lui iraportoit de repousse» 
des domaines de la république un ennemi 
étranger qui veut les envahir. Dans cette situa- 
tion , compter les JQurs de son service , c'est 
trahir ses propres intérêts. En ne défendant pas 
la cause publique, j'abandonne le soin de ma 
fortune particulière', parce que j'affoiblis'la 
puissance qui doit me protéger , et que je n'ai 
formée que dans la vue de lat défendre et de 
me maintenir dans mes possessions. Je seroîs 
tenté de rechercher par quel caprice , quel 
jeu , quelle erreur des passions , les Polonais 
ont été conduits à des préjugés que naturelle- 
ment Hs auraient dû toujours ignorer; mai» 
cette discussion m^eDtrameroit trop loin , et 
d'ailleurs 

no,-7«jhyGt)t>*^le 



DE POLOGNE. 90g 

d'ailleurs , monsieur le Comte , l'avenir doit bien 
plus vous occuper que le passe. 

Je voudroîs donc que la noblesse Polonaise 
connût asse^ ses intérêts pour né jamais mar- 
' cliander et calculer avec la patrie , et crût , aa 
coDtrairc , lui devoir tous les services dont elle 
a besoin. Ce n'est point en ordonnant, bru talc 
ment de se dévouer à la patrie que vous fercx 
des citoyens zélés. Votre loi révoltante n'étouf- 
fera point dans les coeurs cet amour de nous- 
mêmes, quine consulte quescspropresintcrêts. 
Soyez persuade que cet amour-propre est im- 
mortel ; mais songez qu'un peut le diriger et 
l'ennoblir à tel point qu'il produira des Codrus 
cl des Décius. Une patrie qui sait se faire 
aimer , produit des héros , parce qu'elle élève 
nécessairement les amcs. Que toutes vos lois 
tendent donc à cette fin. Cependant je regarde 
comme un bien que vos gentilshommes exigent 
une solde quand ils portent leurs armes dans 
des provinces étrangères; Il faut tâcher d'as-^ 
socicr cette manière de penser avec l'amout 
de la patrie, que vous tâcherez d'inspirer. Elle 
empêchera que la république ne s'abandonne 
à l'ambition de faire des conquêtes. Rien n'est 
plus avantageux pour un peuple guerrier que 
de se garantir de cette passion si propre à si' 
Mabl)'. Tome VUI. O 



■ D,o,i..cihy Google 



41ù Du GOUV RNEirfENT 

duirc notre orgueil , et qui ne manque jamait 
de i;ompie les ressorts d'un gouvernement 
libre , soii qu elle écbouc , soit qu elle réussisse 
dans ses entreprises, 

Quelques-unes de vos frontières touchent à 
des peuples qui se font un mérite de vivre de 
vol Cl de brigandage , et souventils font des 
incursions sur vos terres. Ny a- 1- il point 
d autre moyen de se préserver de ces ravages , 
qu en tenant une armée dans les provinces qui 
y sont exposées ? Si les paysans de ces contrées 
étoient des hommes libres , s'ils avoient des 
possessions , s'iU défcndoient leurs biens, il 
ne seroii peut-être pas impossible d'établir 
parmi eux un tek ordre et une [elle discipline , 
en les soutenant par la garnison de quelque 
château , qu*ils se lissent craindre des brigands 
qu'ils redoutent. Que vous importent des déserts 
et des terres en triches ? Soyez généreux d'un 
bien inutile qui vous est à charge. La Pologne 
est punie d« la faute qu'elle a faite de violer 
les droits de la nature , en ne traitant pas en 
hommes les paysans qui cultivent ses terres; 
elle ne jouit pas de leurs forces , et peut-être 
doit-elle les regarder comme des ennemis. L'essai 
heureux que vous feriez ^dans ces provinces, 
vous instiuiroît de ce que vous devez exécuter 



Dioii ..ci hy Google 



DB POLOGNE. >ll 

datis l'intérieur de I& république; et eu faisant 
des hommes libres, elle acquerroit des richesses 
et des deteiiseurs. 

La Diète générale aura seule le droit de dé- 
clarer U guerre, et déjuger des circonstaiKtea' 
où il faudra remplir les engagemens d'une 
alliance défensive. L'Europe n'est pleine que 
de puissances inquiètes et ambitieuses qui ne 
peuvent rester en repos ; mais étant de l'intéréc 
de votre république de se borner à sa propre 
conservation , elle doit s accoutumer à se peu 
mêler des affaires des étrangers , et se borner 
à l'alliance de ses amis naturels , c'est-à-dire, 
des puissances qui doivent [a. défendre , et 
qu elle peut à son tour servir par des diversions. 
Les grandes puissances , disent les politii^ues, 
doivent toujours patoître à la tête des affaires 
qui troublent l'Kurope. Cette maxime peut 
être excellente pour les états despotiques , que 
le repos de la paix engourdit nécessairement; 
mais elle est ruineuse pour les états libres, 
j;atce quils ont en eux-mêmes un principe 
d action et de mouvement qui les attache à la 
patrie. Si je remontois , monsieur le Comte , 
à l'histoire des anciennes monarchies et dei 
ancieunes républiques , cette vérité vous pa- 
roitioit évidunic. Mais pour nous eo tenir à 
O a 



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tia su GOUVEKNEMENT 

ce qui est sous nos yeux , voyez dans quel 
avilissement une paix de trente ans a fait tomber 
la puissance Ottomane. Il en a coûté cher aux 
Provinces-Unies pour avoir voulu faire un 
rôle considérable dans les guerres de leurs 
voisins. L'Angleterre même , si favorablement 
placée pour être heureuse, ne devroit-elle pas 
comidencer à ouvrir les yeux sur ses vrais in- 
térêts , et se repentir d'une ambition qui va la 
mettre enfin dans la nécessité de montrer les 
bornes de sa puissance , qui l'a distraite des 
soins qu'elle devoit à sa liberté , et lui a fait 
acheter bien chèrement le titre frivole de pro- 
tectrice de l'équilibre ? 

Si la guerre est heureuse, monsieur le Comte , 
elle corrompt ; si elle est malheureuse , elle 
avilit. Je désirerois donc qu'une loi solennelle 
ordonnât aux Polonais de ne prendre les armes 
que pour défendre leurs possessions ou celles 
de leurs alliés naturels; et d'examiner sciicu- 
sement après chaque guerre , si la nécessité 
des circonstances , les ressources extraordi- 
naires auxquelles on aura peut-être été obligé 
de recourir , la prospérité , en un mot , ou le 
malheur n'ont point altéré les principes du 
gouvernement et de la liberté. La première 
Diète qui succédera à la paix doit être occunéo 



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DE POLOGNE. 3l3 

de ce soin. £lle doit nommer alors des magis- 
trats extraordinaires et les revêtir d'un pouvoir 
extraordinaire et nécessaire pour affermir les 
lois ébranlées , et corriger les abus qui prépa- 
reroicnt une décadence. 



CHAPITRE XIV. 

Du déparlement du grand-trésorier , ou du con- 
seil de Jinancei. 

^^OELiEs quepuissentétre les dispositions des 
Polonais pour la réforme de leur gouveroc- 
ment, je ne sais s'il seroit sage , quand on la 
fera , d'établir les nouveaux, impôts dont la 
république peut avoir besoin pour consolider 
SCS opérations. Je l'ai déjà dit bien des fois , 
il faut ne laisser aucun prétexte de le plaindre : 
tout le monde, au contraire, doit se trouver 
plus à son lise par rétablissement des nou- 
velles lois. Votre gouvernement donnera \na- 
ûlement tes plus belles espérances , quand 
on se verra condamné à payer de nouvelles 
contributions. A moins qu'en Pologne on 
n'aime moins l'argent que dans le reste de 
l'Europe , ce qui ne rac paroît guère vrai- 
Ëcmblable , après ce qu'on ma dit de vos moeurs 
O 3 



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114 ^ ^ GOUVtRNEMEKT 

domestiques , soyez persuadé qu'on se plain- 
dra de l'impôt le plus léger , on murmurera , 
et il n'en faut pas davantage pour opposer 
aux réformateurs des obstacles insurmontables. 
Je voudrois qu'on se persuadât que l'état n'x 
plus besoin d'argent. Chimère ! me direz- 
voTJs ; et j'en conviendrai , si les grands qui 
sont à la tête de la nation sont incapables 
de tout sacrifice. Maïs s'ils étoicnt assez génér 
reux pour ne pas demander des salaires , 
s'ils poussoient la générosité jusqu'à oublier 
leur fortune domestique et s'occuper du bien 
public , ils auroient des imitateurs,- L'avarice 
donneroit par vanité ce que les lois tcnteroici>t 
inutilement de lui. arracher ; car l'exemple , 
plus fort que les lois , nous entraine malgré 
nous. Me dîrei-vous encore que ce que je 
demande est impraticable et ne suRîroit poînl 
aiiT! besoins nouveaux de la république ? Je 
vous répondrai toujours sur le même ton. At- 
tendez , pour lever des impôts , que le pu- 
blic les juge indispensables , et que le bon- 
heur dont il commencera à jouir lui persuade 
qu'il n'achètera pss trop chèrement celui qu'on 
lui promet. Ce ne sera pas alors le législa- 
teur qui lèvera des contributions , ce sera 
le citoyen qui les offrira , parce qu it en sentir^ 
ta neccâsue. 



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Dï polocni. ai5 

Vous avez eu la bonté , monsieur le Comte, 
de me faire part de ditFérens projets qu'on a 
imaginés pour augmenter tes revenus de la 
républiq.uc. Tantôt il est question d'unir le's 
starostîcs au trésor public , qui les afFermeroit; 
tantôt on veut les joindre à ditférenies magis- 
tratures et à dilfétentes diç;uités , pour tenir 
lieu des appointcmens ou des gages que leur 
donne l'état. On propose encore de les vendre 
au profit de la république , et on se flatte 
de tirer de cette vente des sommes contîdé- 
lablcs et d'établir un revenu fixe , en sou- 
mettant CCS terres starostales à une rcdcvpncc 
annuelle. Permettez-moi de faire quelques ré- 
flexions sur ces ditFérens projets. 

Les deux premiers systèmes entraîneraient 
à leur suite les plus grands abus. Qui ne voit 
pas que les terres des starosties , données 
à Terme par l'état, ne produiroieni pas la moitié 
de ce qu'elles doivent produire ? Si c'est la 
Diète générale que vous chargez de l'adju- 
dication de CCS domaines , vous jetterez dans 
cette assemblée une pomme de discorde , et 
cependant vous ne sauriez trop vous appliquer 
à y concilier les esprits. Qui vous répondra 
que les nonces , déguisés sous des noms em- 
pruntés , ne seront pas en effet les fcrraicra 
04 ^ 



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al6 DU GOUVERNEMENT 

de la république ? Pour établir cet abiis , v 
combien de faussetés et d'intrigues n'aura- 
t-on pas recoait ? Quand une fois il sera éta" 
bit ,ce qui ne tardera pas , ne prévoyez-vous 
pas que ce grand intérêt des fermes de la ré- ■ 
publique sera l'arae de toutes vos Diètes ? A 
quelles lois salutaires pourrcz-vous donc 
vous attendre ? Supposez que le conseil des 
finances fasse cette opération ; alors je pren- 
drai la liberté de vous dire que vous y éta- 
blissez la corruption. Si vous ne croyez pas 
les Polonais tout differens des autres peuples , 
Ce conseil aora ses protégés , cl on leur sa- 
crifiera l'état ; car il n'est pas possible que 
des hommes puissans n'aient pas des amis , et 
dans les circonstances présente», il seroit ifop 
dur et trop farouche de leur défendre de les 
préférer. Si vous ne connoissez pas encore 
ce que nous appelons vulgairement une para- 
gointti , un pot-de-vin ou, le tour du bâton, 
vous ne tarderez pas à faire cette belle décou- . 
verte; et je vous laisse à penser ce que vous 
devez en attendre. 

Le second arrangement ne vaut pas mieux 
qne le premier. J'ai eu souvent l'honneur , 
monsieur le Comte , de vous entendre dire 
qu'en attachant des starostics aux places 



D,o,i..cihyCoogle 



DE POLOGNE. 8I7 

\t$ plus importantes de I2 république , on 
s'ccartcroit de la maxime constante de vos 
pères, qui n'ont jamais voulu que les grands 
chargés de quelqu'admînistration vendissent 
leui s services, et fussent traités comme des mer- 
cenaires. On attendoit , pour les récompenser 
par le don de quelque starostie , que vous 
appelez U pain des biem méritam , qu'ils eus- 
sent donné des preuves de leur zèle, de leur 
fidélité et de leurs talens. Certainement cette 
manière de récompenser est puisée dans les 
règles de la plus sage politique , et les réforma- 
teurs doivent faire" tous leurs efforts pour la 
conserver précieusement. Si Ton voit, au con- 
traire, vos que nouveaux ministres et vos séna- 
teurs soient payés de leurs soins par des siaros- 
tics, les esprits seront révoltés. On croira que 
la réforme n'est qu'un prétexte honnête, dont 
quelques hommes puissans se servent ponr 
couvrir le dessein odieux, de s'emparer de 
la fortune publique. On ne considérera bien- 
tôt dans les places que les émolumens qui y 
sont attachés. Il suffira dctre avare pour t'en 
croire digne , et on s'en ouvrira le chemin 
par des intrigues. 

Je trouve de grands inconvéniens dans le 
troisième système. Vous ne vendrez point les 



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ai8 nu GOUVERNEMENT 

staroslics , sans refroidir le zèle de vos bons 
citoyens , qui sont accoutumés à les regarder 
comme les récompenses de leurs services. 
Dans le siècle où nous vivons , vï ne fant pas 
s'attendre à trouver des Fabricius , des Emile . 
des Scipions. En pariant du point où vous 
eies.je n'ose pas même me flatter que, quel- 
ques parfaites que soient un jour vos lois , 
elles puissent jamais inspirer un amoui assez 
vit de la patrie pour produire encore de ces 
grands hommes. U n'est que trop vraisem- 
blable que les Polonais aujourd'hui ne pren- 
dioient aucun intérêt à l'établissement d'un 
gouvernement qui nauroît aucune grâce pé- 
cuniaire à donner : la Diète , dont il est si 
important d'augmenter la considération , ne 
jouira que d'un crédit médiocre , et la puis- 
sance législative qu'elle exercera sera donc 
peu respectée. Les idées d'anarchie , à peine 
oubliées , ne reprendront-elles pas leur prcr 
nûère force ? Commeni le nouveau gouver- 
nement parviendroit- il donc à s'affermir? 
comment même réussiriez-vous à l'établir? Je 
cioirois qu'il est indispensable , dans ces 
commencemcns de reforme , de laisser sub- 
sister toutes les nnjjicimes récompenses , et 
même d'en imaginer de nouvelles , s il est 



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DE .POLOGNE. 9lg 

possible , afin de multiplier les espérances , 
et d'attacher {es citoyens à uns Oiète qut sera 
devenue le canal des grâces et des incompensés. 
Prenez-y garde , la politique qui vous ordonne 
d'avoir toujours devant tes yeux le modèle 
idéal de la pcrfcciion , vous ordonne égale- 
ment de vous prêter avec condescendance à 
la foiblessc de vos mœurs. Vous aurez fait tout 
ce que vous devez faire , quand voui aurez 
mis votre patrie sur la route du bonheur , 
et écarté avec soin tout ce qui pourroit l'in- 
viter à l'abandonner. 

Un jour viendra peut-être , monsieur le 
Comte , et je l espère , où ce projet de la vente 
des siarosties pourra être exécuté sans danger; 
c'»st quand le temps aura etface peu à peu les 
traces et les habitudes de votre (touvcrnement 
actuel. Lorsque tes lois inspireront plus d'amour 
et de respect que de crainte, lorsqu'un nouvel 
esprit animera la république , alors, selon le 
besoin des circonstances, et pour faire quelqut^s 
établissemens nécessaires sans mettre la géné- 
rosité des Polnnais à une trop forte épreuve, 
il sera permis de proposer la vente ou l'aliéna- 
tion de quelques starosties. Je ne voudrois pas 
même alors qu'on aliénât à la fois tous les 
kénéjices de la république. Je craindruis que la 



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BSO DU GOUVERNEMENT 

commotion ne fût trop grande, ou que dans 
onc affaire de cette importance les personnes 
chargées de l'administrer ne fussent exposées 
à des tentations plus fortes que leur vertu. Il 
est du moins certain qu'en maniant de grandes 
richesses , on se conduiroit avec moins d'éco- 
nouiie; car le propre de l'abondance est de 
rendre moins attentif. Qu'on n'ait point une 
inipaiience imprudente; on doit être persuadé 
qu'on n'aura pas plutôt vendu quelques sta- 
tostîes, dont le produit sera (îdeUemcnt em- 
ployé à des établisscincns utiles , que cette 
ressource paroîtra trop facile et trop commode 
pour ne pas y avoir recours dans les besoins 
de la république. 

Mais , me dira - t- on , en attendant ce 
moment désiré , que fera la république , qui 
a des besoins , et qui manque de fonds ? Je 
répondrai : Qu'elle apprenne patiemment à 
s'en passer, la nécessité est un grand maître , 
elle ouvre des ressources inconnues. Par une 
suite de votre situation piésentc , vous êtes 
condamnes à faire encore pendant long-temps 
des fautes ; et votre conduite sera très-sage, 
quand vous prendiei le parti qui aura le moins 
dinconvéniens. Si votre république naissante 
pc sait agir qu'en répandant de l'argent , «lie 



no,-7«jhyGt)C5^le 



DE POLOCKE. BBt 

sera bientôt épuisée. N'avez-vous pas remarqué 
que ce qu'on appelle le crédit public , et que 
la politique regarde comme un grand bien, a 
toujours multiplié les besoins de l'état, rendu 
les passions plus imprudentes , et jeté enfin le 
gouvernement dans la plus extrême foiblessc ? 
J'aime assez qu'une nation qui se forme , soit 
exposée à des épreuves ftcheuses; elles élèveron 
son caractère, retarderont la décadence, fniît 
de nos lois imparfaites et grossières , et peut-être 
la préviendront. Aux récompenses pécuniaires, 
à ces salaires que demandent les âmes com- 
munes , que la Pologne substitue les récom- 
penses qui intéressent Thonneur et qui flattent 
l'amour de la gloire. Si cette politique un peu 
trop *ioble ne répondoit pas assez à vos espé- 
rances , on ponrroit subvenir aux dépenses les 
plui indispensables , en vendant quelques 
parties du domaine de la couronne. Ces terres 
doivent appartenir à la république , puisque 
le trésor public sera chargé , suivant les ordres 
de la Diète générale , de payer au roi la somme 
que vous croirez nécessaire pour l'entretien de 
sa maison. Cette aliénation me paroît nécessaire 
pour ne pas exposer le gouvernement aux 
inconvéniens et aux tentations dont je viens de 
parler au sujet des starosties ; et elle suffira 



Dpi ..ci hy Google 



aaa nu gouvernement 
pour rérompcnser la peiiic noblesse qui aura 
monlréduièlc , et attirer chez vous les étrangers 
dont vous avez besoin pour établir Indiscipline 
militaire dans vos troupes, ctforincrlcs collèges 
et les autres établisscmens destinés à l'éducation 
de la jeunesse. 

Enfin . monsieur le Comte, s'il est absolu- 
ment nécessaire de lever quelque nouvel impôt , 
on pourroit avoir recours au projet du papier 
timbré , dont vous m'avez fait l'honneur de me 
parler, et établir quelques droits sur la con- 
sommation des villes. La noblesse possède 
toutes les terres , et la contribution que je 
propose Talarmcroit infiniment moins qu'un 
impôt territorial. Les Polonais seront trop 
heureux , si l'embarras de pourvoir à leurs 
besoins accoutume le gouvernement à la plus 
grande économie. La loi doit donc ordonner 
au grand- trésorier ou à son conseil, de moijis 
s >npliquer à l'art d'améliorer les Ënanccs>qu'à 
celui de s'en passer. Qu'on voie dans l'histoire 
ce que des nations pauvres ont fait de grand ; 
qu on examine si les nations qui ont regarde 
l'srgent comme le nerf de la guerre n'ont pas 
toujours clé foibies , languissantes et malheu- 
reuses. On tirera de cette étude des lumièiés 
bien favorables i U doctrine bizarre, mâi:^ viaie 



Dpi ..ci hy Google 



bt r û L O à K t. ssS 

que je présente. En un mot , si Ton ne s'ciudie 
p^s à faire beaucoup de choses avec peu 
d argent , il- est démontré qu'avec beaucoup 
d'argent on ne fera bientôt que peu de choscï , 
ou rien. 

La perception des deniers publics doit se 
faire de la manière la plus simple et sans le 
secours des traitans ; de la finance, qui ne 
doit être qu'une manutention économique et 
fidclie , ils en fcrnient bientôt un art tyranni- 
que , difficile et mystérieux , où eux seuls 
comprendroient quelque chose. Ils ne man- 
queroientpasde profiler de l'ignorance publique 
pour tromper les citoyens; et en augmentant 
les besoins du gouvernement, ils se rendroient 
les maîtres de ses opérations. Je crois qu'un 
état est bien à plaindre , quand on est obligé 
de regarder les financiers comme ses colenpcs. 
Un ministre dont la mémoire nous est chère et 
précieuse, leur a donné ce titre, comme Ci- 
céron l'avoit donné autrefois aux fermiers de la 
république romaine Je me souvien s qu'on blâma 
beauco^ cette expression; elle est juste cepen- 
dant; cIlcTcodoitaveccxactitudeunevérité qui 
n'étoit malheureusement que trop vraie ; et 
nous ne devions blâmer que les ministres pré- 
cédens, dont l'administration imprudente avoit 



Dpi ..ci hy Google 



224 DU GOUVERNEMENT 

donné aux financiers un pouvoir et un crédit 
dont il n'étoit plus possible de se débarrasser. 
LaPolognc n'évitera cet écucil qu'en travaillant 
sans cesse à diminuer ses besoins , et en se 
faisantune loi de ne jamais faire d'entreprises 
au-dessus de ses forces. 

Il seroit heureux qu'après avoir demandé la 
somme nécessaire à la république , on pût régler 
aune manière fixe ce que chaque palatînaten 
payeroit proportionnémcnt à ses richesses- Il 
faut laisser aux Dictines postcomiiiales la liberté 
d'établir dans leur ressort la perception que 
chacune d'elles jugera la moins onéreuse. Le 
trésorier particulier de chaque palatinat rendra 
compte à la Diétine d^ sa gestion , et fera 
passer tous les six mois le contingent ou la 
contribution de son palatinat dans les coffres 
du grand- trésorier ou du conseil de finance, 
qui sera lui - même obligé de rendre compte au 
sénat et à la Diète générale des sommes qu'il 
aura reçues et de celles qu'il aura payées : 
le tout fondé sur les reçus, quittances et autres 
pièces justificatives de cette natnre. ^ 

Les sommes surabondantes qui resteront 

dans le trésor, seront employées sur-le-champ, 

par ordre de la Diète, à construire des ouvrages 

publics , faire des établissemens utiles , dont la 

Pologne , 



Do,T«Jhy Google- 



DE POLOGNE. S 3â 

Pologne, est, dit-on, totalement dépourvue, 
ou donner des gratifications aux gentilshommes 
sans fortune qui auront bien mérité de la 
république , et aux bourgeois mêmes , qu'il 
faut aider à sortir de leur stupidc misère pour 
s"élever à une industrie utile. Il ne doit pas 
être permis à l'économie d'accumuler et d'en- , 
tasser les épargnes, parce que ce trésor ruincroit 
infailliblement l'esprit d'écotiomic qui l'auroit 
formé. Je sais tout ce qu'on peut dire contre 
ia doctrine que j'expose ; mais je sais aussi 
que la politique est toujours la dupe des pas- 
sions qu'elle ménage , ou dont elle ne se défie 
pas. Un trésor exposeroità de grandes tentations 
ceux qui en auroicnt l'administration ; ils suc- 
combcroient , et pour cacher leurs fraudes , 
envelopperoient de ténèbres les affaires de ia 
république. Si par hasard il étoit gardé par 
des mains pures , la Pologne auroit bientôt 
de l'ambition ; en faisant des entreprises au- 
dessus de SCS forces , ses revenus ordinaires 
ne lui suffiroientplus; elle feroitdcs emprunts, 
il faudroit établir un crédit public; et ce crédit 
qu'on regarderoit comme un bien , ne lardcroit 
pas à vous faire tomber dan^ une extrêJie 
langueur , et d'autant plus fâcheuse , qu'on 
Mably. Tome VIII. F 



Dpi ..ci hy Google 



226 DU GOUVERNEMENT 

s'apcrccvroit trop tard des inconvénicns , pcar 
pouvoir 6u vouloit y. remédier. 

Aucun impôt nou,vcau ni aucune augmenta- 
tion d'impôt ne pourront être établis sans une 
loi de la Diète générale. Toute augmentation 
sera répartie proporciannellcment à la pre- 
mière imposition , c'est - à - dire , au marc 
la livre , entre tous les patatinats. Le sénat 
ou le conseil de finances ne payera que 
les dépenses qui intéressent la généralité ou 
le corps entier de l'état. Dans ce nombre il 
faut mettre la liste civile du roi, ou les revcv.us 
qui lui seront attribués ; les sommes néces- 
saires pour subvenir aux frais qu'exigent les 
différons conseils , et que sous auc«n prétexte 
on ne pourra augmenter sans un ordre de 
la Diète ; les appointemen» donnés aux am- 
bassadeurs ou ministres dans les cours étran- 
gères ; la paye de l'armée ; les gratifications 
accordées par la Dièie , soit à des particulier» , 
soit à des palatinats ou districts qui auroîent 
éprouvé quelque malheur; et enfin les sommes 
que la Diète aura destinées à des établissemens 
nouveaux. Moins la généralité ou le corps 
entier de la rcpublic^ue demandera d'argent 
aux citoyens , plus son adniinistration sera 
parfaite. J'aurois honte de répéter ti souvent 



D,o,i..cih;Googlc 



Cl p. OLOCMB. »3) 

Ctttc trivialité , s'il ne paroissoii pas que 
c'cstunc vérité presque généralement inconnue 
dans rEnropc. Je souhaitcrois qu'on mû d'au* 
tant plus d'ordre dans la régie des finances 
dont le sénat sera chargé-, que c'est sur cd 
modèle que les Diétîncs et les palatinats régle- 
ront radministration de leurs tinances parti- 
culières : voui verrez par-tout ou la même 
sagesse ou les mêmes abus. 

Outre la somme que chaque Diétlne lèvera 
pour la contribution qu'elle devra à la répu- 
blique , il lui sera permis d'exiger les impôts 
particuliers qu'elle croira nécessaires , soit 
pour payer les gages des commis employé» 
à son service , soit pour faire ou réparer les 
chemins , construire des ponts , et faire des 
établisse mens utiles dans son ressort. Cette 
administradon dont jouiront les provinces, y 
conservera l'image de l'indépendance dont elles 
lont si jalouses , y développera les talciis, et 
excitera entr'elles une émulation avantageuse. 
Quand il s'agira d'cntrfcprendrc de» oivrages 
auxquels plusieurs palatinats doivent a'inté-* 
Tesser, il leur sera libre de convenir entr'eux 
de la somme que chacun payera, relativement ' 
à ses richesses , à son étendue et à l'avantage 
plus ou moins grand qu'il en retirera. Après 
P a 



Dpi ..ci hy Google 



428 DU GOUVERNEMENT 

les articles convenus de part cl d'ai.'tre,, s'il 
s'élcvoit quelque contestation cntreles Diétints 
contractantes , elle sera portée à la Diète géné- 
rale , qui jugeia souverainement. Dans l'éla- 
blîssctnent des impôts , il sera défendu à chaque 
palatinat de rien ordonner qui puisse nuire 
aux iniérèts , franchises et libertés des autres 
palatinais. Par exemple , il ne pourra, établir 
aucune douane sur sa frontière ; un tel établis- 
sement gêneroit le commerce de ses voisins. 
En général, le commerce ne peut être trop libre 
dans l'intérieur de chaque état; mais les réfor- 
mateurs doivent èire d'autant plus attentifs à 
empêcher qu'on n'y mette des entraves, qu'il 
est question de former parmi vous le commerce , 
et que vos compatriotes , si on ne m"a pas 
trompé , toujours dupes des juifs et des étran- 
gers , n'ont pas à cet égard la moindre idée. 
Les contestations nées à ce sujet entre différehs 
palatinats seront également jugées par la Diète 
générale. 

Ce mémoire devient bien long .monsieur le 
Comte; cependantje ne puis me dispenser de 
placer encore ici quelques réflexions. Je crains 
que les établissemens que j'ai proposés ne 
soient pas adoptés , ou qu'après l'avoir été , ils 
ne subsistcntpas long-temps , si les réformateurt 



n,o,i7PcihyGt)C5^le 



DE POLOGNE. SQ^ 

ne prennent pas dans tous les détails de leur 
politique les précautions les plus sages pour 
donner un nouvel esprit à leur patrie. Vos 
lois anciennes ont voulu établir une égalité 
parfaite entre tons les gentilshommes ; iU 
s'appellent frères ; leurs droits sont égaux ; c'est 
à la charge dont un gentilhomme est revêtu, 
etnonàsa naissance plus ou moins illustrée, 
plus pu moins ancienne, qu'on doit des respects. 
Mais , il en faut convenir, vos mœurs vous ont 
prodigieusement éloignés de cette précieuse 
égalité. On ne peut se déguiser qu'il ne se soit 
formé parmi vous une grande et une petite 
noblesse. L'anarchie du gouvernement et la 
fortune trop considérablç de quelques-unes de 
vos maisons ont fait parmi vous un ordre de 
seigneurs qui, dans une république , ont une 
trop haute idée de leur pouvoir personnel , 
pour daigner avoir la simplicité et la modestie ■ 
convenables à des républicains. Tout est parti 
et faction parmi eux; et il est d'autant plus 
difficile de déraciner ces vices capitaux , que 
la Pologne est d'ailleurs remplie d'une noblesse 
indigente qui est entraînée par le mouvement 
que lui donnent les grands, et dont la bassesse, 
dit- on, et le penchant à la servitude ,.ne sont 
P 5 



Do,T«jhy Google 



aSo DU GOUVERNEMENT 

pas moins contraÏTCs à U liberté que le despO' 
tismc même de vos seigneurs. 

Je sens combien il est nécessaire de faire 
prendre un nouveau génie à la noblesse Polo- 
naise , et tout -ce que j'ai dit jusqu'ici tend k 
et but ; mais je ne suis point assez instruit d« 
vos mœurs familières et domestiques , pour 
hasarder de dire ce que les réformateurs doivent 
(cnier. It est vrai que les arrangemens nouveaux 
de La nouvelle constitution donneront on nouvel 
intérêt aux Polonais ; mais cela suffit - il pour 
bannir toute crainte et s'abandonner à 'de 
grandes espérances ? Dirai-je qu'heureasement 
ou malheureusement , une étude triip sérieuse 
des révoluiions qu'ont éprouvées les peuples , 
m'a appris que rien* n'est plus rare ni plus 
difficile que la réforme des nations? Que j'achè- 
terois chèrement cette sottise avec laquelle 
j'entends tous les jours déraisonner sur cette 
matière , et qui croit toujours saisir le bien qui 
fuit à glands pas devant elle ! Tout le monde 
nt dcvroit-il pas savoir que le caractère qu'une 
nation tient de ses anciennes lois et de set 
anciens usages , lutte encore pendant long-tempi 
contre les nouveautés que la politique lui' a 
fait adopter ? Nos anciennes habitudes ont et 
doivent avpir une force prodigieuse sur notre 



Dioil ..ci hy Google 



Di poLOC^E. aSi 

esprit : vous les croirez détruites , et elles ne 
sontque cachées et déguisées. Dans ce combat 
perpétuel des anciens préjugés ec des lois nou- 
velles, la victoire ne sera point înceriaine, si 
la politique savante et profonde des réforma- 
teurs a employé pas assidue ment, constamment 
et sans distraction tous les moyens possibles 
pour réprimer et contenir les vices que de trop 
grandes richesses et un t.op grand pouvoir 
d'une part , et de l'autre une trop grande pau- 
vreté et une certaine bassesse donnent à la 
nobtesse ou trop élevée ou trop dégradée. 

Mais , en supposant qu il se fasse une heu- 
reuse révolution dans les mœurs Polonaises. 
je craindrois encore, monsieur le Comte, que 
votre republique ne languît dans une foiblesse 
extiéroe, ou du moins ne sût pas tirer parti dç 
ees forces , tant qu'elle ne voudra composer 
qu'une république de gentilshommes. Voyez, 
je vous prie , dans quel anéantissement votre 
noblesse tient ses malheureux sujets, lis ne 
prennent ccrtaineroent aucun intérêt ni à votre 
prospérité , ni à vos adversités ; et s'ils n'étoicnt 
pas abrutis -pAr leur ignorance et le poids de 
leur servitude , ils seroicnt ouvertement vos 
ennemis , et vous éprouveriez des guerres 
d'esclaves que le désespoÎT 2 rendus quelquefois 
P 4 



D,0,l7PCihyGt)C5'^le 



Ï03 DU COUVE rkeme>:t 

si terribles. Votre noblesse , réduite à ses 
propres forces , a beau régner sur un pays aussi 
vaste que l'Allcniagnc , clic ne formera point 
une puissance égale à un des cercles de l'Em- 
pire ; et cette vérité propre à vous effrayer , 
doit vous instruii-e de ce que doivent tenter 
les réformateurs. Qui ne voit pas que la noblesse 
sent le contre - coup du malheureux état où 
elle tient ses paysans ? On ne viole point im- 
punément les lois de ta nature. Que demande- 
t-on à cette noblesse ? De gouverner son 
patrimoine par les règles les plus propres à 
laugraenter. La terre veut être cultivée par' 
des mains libres. Que la Pologne regarde avec 
compassion des hommes qui voudroient la 
servir et la défendre , et les propriétaires des 
terres verront augmenter leurs richesses ; et 
leur digr^icé seia véritablement grande, parce 
qu'ils seront les chefs d'une république res- 
pectée. 

Mais il ne suffit point d'établir parmi vous 
un ordre de paysans libres , et qui aient quel- 
ques possessions, pour former un état puissant. 
Sans cette classe d'hommes précieux , connus 
ailleurs sous le nom dç bourgeoisie ou de 
tiers - état , jamais vous ne connoîtrcz aucune 
industrie , et vous manquerez même des arts 



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DE POLOGNE. s33 

les plus grossiers et les plus nécessaires. Ce 
n'est en effet que dans cette classe intermédiaire 
que se développe le génie qu'une fortune trop 
grande ou trop misérable étouffe dans les autres 
citoyens. Ne sachant pas employer les pioduc- 
tionsde vos terres, vous êtes pauvres au milieu 
de vos richesses , et vous dépendez également 
des étiangers et de vos juifs. Mais n'espérez 
pas d'avoir un tiers -état parmi vous, tant 
• qu'une loi barbare ne permettra qu'au?i seuls 
gentilshOFmmes de posséder des terres. Si vous 
voulez enfin avoir des bourgeois aussi utiles 
que les vôtres sont actuellement méprisables 
et à charge à la république , permettez- leur de 
se faire un patrimoine parmi vous et d'acquérir 
des possessions. Au lieu de ces étrangers qui 
s'établissent aujourd'hui dans vos villes pour 
vous pressurer , profiler de votre mauvaise poli- 
tique et vous abandonner avec dérision quand 
leur fortune sera faite , vous verrez accourir des 
colonies d'étrangers, qui, faisant des étabUsse- 
mens durables dans vos provinces , vous enri- 
chiront de leur industrie, et feront disparoîire 
cette sorte de solitude et de déva-station dont la 
Pologne est affligée, 

Vous ne manquerez pas , monsieur le Comte , 
de me diic que vous êtes fort étonné dé la doc- 



Dioii ..ci hy Google 



a34 DU GOUVERNEMENT 

trine que je vous prêche ; car vous êtes accoiï- 
turaé à''m'entcndre blâmer le commerce ; et 
souvent d'une manière as&cz dure. J'aurai rhon-^ 
neur de vous répondre que le commerce est 
nécessaire à tous les peuples qui ne sont paS 
sauvages , et qoi veulent sortir de leur barbarie. 
Je le louerai lorsque sans faste et sans luxe il 
sert (ks besoins simples et n'iirite pas nos 
passions. Le commerce qui doit être encouragé 
pour parvenir jusqu'à un certain terme qui est ' 
louable , veut être arrêté dans ses progrès , dès 
que , passant ce terme , il fi'est propre qu'à 
relâcher les liens de la société par la corruption 
qu'il introduit dans les moeurs. Si on ne l'arrête 
pas alors , tous ses progrès deviendront de jour 
en jour des vices plus grands', qui précipiteront 
la ruine de l'état. Un jour viendra , et j'ai déjà 
pris la liberté de vous le dire , qu'il faudra voui 
prècautionner contre cette politique funeste qui 
pense qu'on ne peut trop favoriser et étendre le 
commerce; mais aujouid hui vous avez besoin 
de le faire naître parmi vous. 

Les gentilshommes Polonais ne seroient-iU 
pas plus grands et plus heureux , si des bour- 
geois , qui ne leur contesteront jamais la préémi- 
minence , jouisscient d'une fortune honnête et 
solide sous la protection des lois, ctpouvoicnt, 



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DE POLOGNE. 7^5 

à la faveur de leurs possessions , regarder la 
Pologne comme leur patrie ? Ce n'est que 
par lenrs secours que vous parvieodrei s 
secouer le jong de vos juifs , à qui vous 
devriez peut-être permettre de posséder des 
terres , pour les corriger de leurs usures abo- 
minables. Tanc que ce peuple errant n'aura 
pour fortune que son industrie , il sera votre 
ennemi. Oui , monsieur le Comte , il vous est 
pernicieux de condamner en quelque sorte 
CCS malheureux juifs à vous tromper et à vous 
voler par subtilité. Voilà des idées qu'on ne 
peut pas prudemment laisser parohrc dans le 
temps de la réforme ; mais elles ne doivent, 
pas être ignorées des réformateurs, quand le 
gouvernement formé comm^cera à prendre 
une certaine consistance; instruisez -les de ce 
qu'ils doivent faire. Invitez -les à pro6ier des 
circonstances favorables qui se présenteront , 
ou plutôcapprcnei-leur à faire naître ces heu- 
reuses circonstances. 

Au château de Chanlôme , ce 3i août 1770* 



Do,T«Jhy Google 



Do,T«jhy Google 



AVERTISSEMENT. 

* j p mémoire quon vient de lire , fut envoyé à la 
Confédération de Bar , dont le comeil ou la gé- 
néralilé séloit réfugié à Epériez , petite ville de 
Hongrie. M. le Comte Wielkorski radrena en 
même-temps à quelques-uns de ses collègues qui 
négociaient en dijérentts cours , ou qui étaient 
restés dans leur patrie pour veiller à ses intérêts et 
servir les Confédérés. L'ouvrage de M. l'abbé de 
Mablyfut examiné avec soin , et chacun adressa à 
M. le comte Wielhorskises remarques,ses dijicultés 
etscs doutes. Tous ces écrits furent communiqués à 
Fauteur , qui les étudia , les médita , et fit un 
second mémoire qui contient tous les éclaircisse~ 
mens qu'on pouvait désirer sur le projet de réfor- 
mer le gouvernement et les lois de la république de 
Pologne. 



Do,T«Jhy Google 



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DU GOUVERNEMENT 

ET DES LOIS 

DE POLOGNE. 

SECONDE PARTIE. 

ÉCLAIRCISSEMENS 
A M. LE COMTE WIELHORSKI, 

CHAPITRE PREMIER. 

Des objections proposées contre U mémoire pré' 
cèdent et auxquelles il est inutile de répondre. 

Je, viens de lire, monsieur le Comte, avec 
toute rattcnûon dont je suis capable , les dif- 
fércns écrits qui vous ont été envoyés par Us 
personnes à qui vous avez communiqué le 
mémoire que vous m'avez fait l'honneur de 
me demander sur la réforme de votre gouver- 
nement et de vos lois; et je me hâte de vous 



Do,T«ihy Google 



840 DU C O U V E E K t M E N T 

remettre les cclaircisscmcns qu'on paroît dé- 
sirer , ce qui dissiperont peut - être tous les 
doutes qu'on m'oppose. Je crois avoir remar- 
qué dans quelques - uns de ces écrits , que 
l'auteur n'y considère assez souvent le bien 
public que relativement à ses intérêts particu- 
liers. On n'y juge dej vices et des désordres 
de la république , que par le mal qu'on a 
souffert dans sa personne ou dans ses terres. 
Que résulte-t-il de cette erreur, qui n'est que 
trop générale parmi les hommes ? C est que 
chacun propose de commencer la réforme des 
lois par la suppression des abus qui l'incom- 
modent davantage; chacun croit que le gou- 
vernement seroit parfait , si l'on proscrivoît 
le vice dont il se plaint. Qu'on me permette 
de le dire , je n'ai point d'éclaircissemens à 
donnera des personnes qui ne soupçonnent 
pas que la législation demande plus d'art et de 
méthode. 

Ilfaudroit faire des volumes, si je voslois 
entrer dans l'examen de plusieurs articles cu- 
rieux , mais plus propres à faire connoîlre les 
principes de votre ancien gouvernement, que 
ceux qu'on doit se proposer et suivre dans la 
réforme que médite la Confédération. Je n'ai 
pas les connoissances nécessaires pour entre- 
prendre 



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DE POLOCfft. 941 

prendre un pareil ouvrage ; et quand je les 
aurois , je ne croîs pas que -ce fût ici l'occasioa 
detaicr mes connoissances. A quoi scrviroit 
de prouver qui vous avez toujours formé unÇ 
nation tibtc , et qu'il n'est pas vraisemblable 
que les Sarmates , dont vous descendez , et qui 
n'éloient pas moins jaloux de leur liberté que 
tousics peuples du Nord et de laGermanie, aient 
commencé par con&er à leur général un pou* 
voir absolu ? Quel seroit le fruit de ces sa* 
vantes recherches ? en seriez - vous plus «n 
droit de corriger les vices de votre gouvcr- 
cemenc ? Quand vous auriez obéi autrefois à 
une vraie monarchie , quand vous auriez dam 
les mains les traités passés entre la nation et 
le prince , si depuis vous ttes renirés dans votre 
liberté primitive .je ne conçois point comment 
aujourd'huivousn'êtespas les maîtres de dresser 
i votre gré vospàcta tonvenla , et tégler les con- 
ditions auxquelles vous consentez à vous don- 
ner un roi. Si vos pères n'ont pas d'abord été 
libres, il est du moins certain qu'ils le sont 
devenus par une suite de révolutions; et sans 
qu'on puisse vous reprocher la moindre injus- 
tice , vous .êtes en droit de profiter de cette 
liberté pour établir parmi vous la forme de 
gouveTnemcntquevousjugerczlaplussaluiairç. 
Mably. Tomt VIII. Q 

no,-7«jhyG*.)t>»^le 



aïs «UG0I7VERNEMENT 

^. Abandonnons toutes ces , discussions ïnn- 
«les , monsieur le Comte , poor nous en tenir 
à la réforme de vos lois et de votre gouver- 
nement. Il jie s'agit pas de savoir quelle a 
été la condition de vos pères , mais d'établir 
la vôtre et celle de votre postérité. Il faut 
arrêter le cours des malheurs qui désolent 
votre patrie, et lui assurer un avpnjr beuteujt, 
-Me suis-je trompé dans le choix des movcna 
■que j'ai indiqués pour parvenir à cette double 
fin ? Voilà ce qui vous intéresse , ci ce qu'il 
suffit d'examiner. 



, ,, ; . CHAPITRE II. 
En quoi et comment les lois Polonaises sont 



iczeuses 



J. AI dit dans mon mémoire que la Pologne 
dcvoit ses malheurs à ses mauvaises lois; et 
l'on me répond dan? la plupart des écrits que 
vou^ avez eu la bonté de me communiquer, 
que le roi, le sénat et l'ordre éq.ues,trc ont des 
devoirs très-sévércs à remplir, et que tons ce» 
deypirs sont clairement désignés et formelle- 
ment prescrits par Jcs lois. De-là on conclut 
jXuc .l£S lois sont bonnes, et qu'on ne doit 



D,o,l..cihyGtK>gle 



DE rOLÔGNÉ. 243 

attribuer qu'à la dépravation dcS mœurs tous 
les désdvàiei dont les Polonais sont les vic^ 
timcs. Fort bien : je sens à merveille qne de 
bonnes in<xurs , en portant le roi , les séna- 
teurs et tQUfllcs citoyens au bien, suppléeroient 
à ce qui manque aux lois , et vous rendroient 
tous égi^Iemcnt heureux. Mai* recherchons, 
je vous prie, pourquoi les Polonais ont ces 
mauvaises mccurs dont on se plaint, et aux- 
quelles. on attribue tout le mal. Je demande 
pourquoi l'en désobéit ouvertement et sans" 
pudeur à ces lois dont .on loue la sagesse ? 
N'est-ce point-parce qu'ayant été jetée* au 
hasard et sans ordre , elles ne sont point étroit 
tcmcnt liées entr'eÛcs,? Au lieu de se pieier 
une force mutuelle., ne se nuisent-elles pas, 
ne se- contrarient -elles .point. ? Partent- elles , 
du même principe .tstidcnt- elles au même 
tut , veillent- elles k la fois à la sûreté et à 
l'innocence, du citoyen , ont-eîles pris, en un 
jnotvdes rocsures efficaces pour aiiérmir leur 
em[ûre ?.ll faut nécessairement que les lois 
pblona^ises aientplusieurs défauts , puisqu'elles 
n'ont pu- prévenir la dégradation de* mreurs 
dont oa se plaint, on que les personnes qut 
loiiffiitla;ïagessc de vos lois , conviennent qu il 
.'y:%:d£Ei.ofÎBCs sans cause. 

D,o,i..cihyGoogle 



t44 Dù eavvtTiJii.tstttt 

Mais quand vol lois , auxquelles on peut 
feire de» repTOchc» si graves y formeroient un 
sysccme cnder , exact et régulier de morale ,- ne 
serois-je pas en droit de les regarder comme 
l'ouvrage d'un Ugislateur ignorant , qui sa 
contentant d'ordonner le bien et de défendre 
le mal, auroit néglige les mesures nécessaires 
pour s'assurer d<! l'obéissance des magistrats 
■ et des citoyens ? On a encouragé , me dit-on . 
les bons par des récompenses , et intimidé 
les méchans par des punîdons. C'est quelque 
chose : mais si on voit que l*cs gens de mérite, 
n'ont presque jamais été honorés d'aucune 
récompense, et que les méchans ont presque 
toujours échappé au châtiment, ne dois*je pat 
blâmer vos législateurs de n'avoir pas donna 
aux lois la protection dont elles ont besoin, 
et d'avoir laissé une libre earrièrc aux pas- 
sions et aux mauvaises mœurs. Vous voyei, 
monsieur le Comte , que ces lois particulières 
dont on se vjmte, ne sont d'aucune udlité; 
parcQ^que des lois d'un ordre supérieur n^ont 
pas établi une puissance publique qui en ren- 
dît la pratique nécessaire : en voulant élever 
un édifice , on a oublié les fondations. 

Ces lois d'un ordre supérieur , c^cst ce qu'on 
appelle les lois fondamencales. Si elles sont 



Do,T«jhyGooj^le 



DE POLOGNX. 945 

vicieuses,' si elles ne sont pas proportionnées 
à la nature du cœur hamain cl de la société. 
Ton est en droit de les regarder comme les 
causes de tous les désordres de l'état. Or, je 
le demande , et qu'on iQe réponde de bonne 
foi , en réglant la forme de leur gouverne- 
ment, en formant une puissance publique, 
les Polonais ont-ils confiera chaque magistrat 
une force ou un pouvoir dont il lui fût im- 
.possible d'abuser, tandis qu'il contiendroit les 
citoyens dans les bornes des devoirs qui leur 
' sont prescrits F Vos lois n'ont-elles pas rendu 
le roi trop puissant, pour qu'il puis.se remplir 
exactement l'obligation qu'on lui prescrit d'ou- 
blier ses intérêts personnels pour ne s'occuper 
qpe du bien public ? Ses prérogatives , au con- 
tr^re , ne sont-elles pas assez grandes pour 
exciter en lui une vanité, une ambition et 
même une avarice qui , en le rendant injuste , 
doivent troubler toute l'harmonie politique? 
Ne lui a- t "■ on pas laissé assez de grâces et 
de faveurs à répandre, pour qu'il achète (les. 
courtisans qui Etchèveront aisément de le cor-^ 
rompre , après avoir été eux - mêmes encore 
plus aisément corrompus ? Une législation qui 
ne sait pas que nos passions acquièrent plus 
de force À mesure que nous avons plus de 



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34^ i)u gou-vehnemcnt 

pouvoir, qui ignore que la sagesse est rare- 
ment assise sur le trÔDc', et que les courtisans 
sont toujours prêts à tout sacrifier à leur for- 
tune , est une législation bien aveugle , et 
devient cUc - même une source intarissable 
d'abqi. 

En plaçant dans le sénat vos évêqucs , vos 
palatins et voa castcllans , la loi a-t-cUc pris 
. des mesures pour que leur dignité fût la ré- 
compense du mérite ,- et non pas le prix de 
la -faveur ? A-t-cllc partagé leur pouvoir de 
façon qu'ils ne fussent que ses organes ? A-t- 
elle pris les moyens nécessaires pour leur faire 
pimcr les devoirs auxquels elle vouloit les as- 
sujettir ? Non, sans doute , puisque touce la 
..Pologne se plaint de leur extrême négligence, 
et que le corps entier du sénat est devenu 
piesqu'inutilc à la république.- Peut- on ne 
paS'Iîllmer un législateur qui, n'ayant pas eu 
■ l'espiit de se deûer. de Tavatice et de l'ambi^ 
, lion, des tuinistres , leur a en quelque sotte 
perioii dç devenir des tyrans , et expose des 
• /âtoyens qu'elle déclare libres , à tous les ca- 
..priées d'un pouvoir daspotique ?En voyant ce 
;:qui se passe dans vos Diètes et vos Dictines , 
oa juge que votre législateur a cru que; pour 
,', conserver la liberté il ctoit nécessaire de réqniv 



Dpi ..ci hy Google 



DE roLOCNE. a47 

, les <îtoyens dans des grandes assemblées.; 
mais pourquoi a-l-îl négligé les Tèglcmens qui- 
r:ndroient ces assemblées utiles ? Pourquoi 
n'a - t - il pas préparé les Polonais par une 
bonne éducation, à ne pas confondre la li- 
berté et la licence ? Ce sont ces. précautions. 
' entièrement oubliées parmi vous , qui font - 
cependant la sagesse des lots ; parce qu'elles, . 
en assurent l'ex-écution. Voilà , en un mot , 
les principes et les bases d'une bonne Icgisla-, 
' tion ; et dès que je ne les trouve pas t!ans un, 
peuple , je siiîs en droit d'accuser les lois dç 
produire elles-mêmes tous les désordreset les 
malheurs qu'il éprouve. 

Rassemblez tout ce que les philosophes les 
plus profonds ont écrit sur les devoirs des 
rois , des magistrats et des citoyens ; de toutes 
ces excellentes maximes , faites un code su- 
blime de lois ; publie£-le aVec la solen- 
nité la plus propre à frapppr-;.les esprits, et- 
je vous prédis bardimcnE que , malgré toute 
votre prétendue sagesse , voDs n'aurez :bientôt 
qu'une lépubli'que misérable. A peine «era-t-, 
on revenu de ce premier éco'nnement' qu'aura 
produit la publication de vos lois , que. chacun : 
songera i se mettre plus à son aise, .liCî.pas- 
ùons auxquelles on n'a.ura,pâs donné 4«.iu>u< 
Q4 



D,0,l7PCihyGt)C>»^le 



f 48 DU GOUVERNEMENT 

veaux intérêts , en les liant sagement au bien 
public, regarderont autour d'elles, et cher- 
cheront quelles ressources on leur à laissées- 
pour se satisfaire d'abord. Elles essaieront 
leurs forces avec uqe sort» de pudeur; un 
premier succès les rendra plus hardies , et les 
lois ébranlées seront promptement négligées, 
et ensuite avilies. C'est alors que se montrant 
à visage découvert , les coupables , par leur 
nombre , s'assureront de l'impunité. La puisr 
sancc législative en sera corrompue. Ne pou-r 
vaut plus protéger l'aDSCérité des anciennes 
lois , on leur en substituera de nouvelles et 
plus indulgentes ; mais on n'y obéira pas \ 
parce que les passions , plus libres, seront de 
jour en jour plus entreprenantes. Les magis^ 
trats chargés de la puissance exécutrice seront 
entraînés par le torrent des mauvaises mœurs, 
et profitaront des abus nouveaux pour étendre 
le pouvoir donl ils sont revêtus , et s'élever 
sur les ruines de la puissance législative. 

Je n'annonce point des malheurs chiraéri-: 
qucs, et j« suis persuadé, monsieur le Comte, 
que les défenseurs de la sagesse de vos lois 
penseront comme moi , quand vous aurez eu 
la bonté de leur faire passer ces réflexions. Je 
les prierai encore de comparer la constitution 



D,0,l7PCihyGt)C5^le 



BE rOLOCNE. «49 

^Jiûque des peuples les plus célèbres par leur 
sagesse et leurs succès, à celle de; républî- 
({ucs qui ont été les plus malheureuses et les 
plus méprisée!. On verra que ces états dif* i 
fièrent moins entr'cnx par leurs lois civiles ou , 
leurs règlement- particuliers , que par leurs 
lois fondamentales ou la forme de leur cons- 
titution. Tous les deux ont prcscritdes règles 
de justice , de bienveillance et de sagesse aux 
citoyeiu, mai« avec un SQCcès qui devoit être 
très-différent. Pourquoi ? C'est que chcï les 
nus , la* puissance législative s'étant déliée 
d'elle - même , ayant pris de sages précau- 
tions contre les foiblesses et les erreurs sî 
naturelles aux hommes, conservoit toute sa 
force, ne pouvott en quelque sorte s'égarer, 
ou dit moins étoit toujours prête à réparer . 
SCS fautes. Chfîz les autres, au contraire, ne 
l'étant point prescrit une méthode sûre pour 
«imcr et chercher la vérité, elle étoit la dupe 
de ses propres caprices ; et loin d'éclairer et 
de guider constamment tes citoyens , elle étoit 
enfin forcée eUe-mêrae d'obéir à toutes leurs 
passions. Là des magistrats distribués en dif- 
férentes classes, et dont le pouvoir se balan- 
çoit , n'avoieni et ne poiivoient avoir d'autre 
ambition que de .servir utilement la patrie : ici 



Dpi ..ci hy Google 



s5o DU GOUVERNE UENT 

voti$ fl-oaverez des magîstrair qui jouissent 
trop long-.teinps d'un pouvoir trop étendu, et 
qui pouvant espérer de se rendro les maîtres 
de la république , la corrompent par leurs in- 
trigues , pour la dégoûter de sa liberté et la 
rendre esclave. 

Je me' .suis arrêté sur cette mfitière , mon- 
sieur le Comte , peut - être beaucoup pins 
long-tcrtips que je n'aurois dû : mais puis- 
qu'il est question de refondre votre ■gouver- 
nement et vos lois , il est de la plus grande 
importance de ne laisser subsister aucdn donte 
sur la nature et la dignité des lois , et de con- 
noître ce qui doit servir de fondement à une 
bonnelégislation. Il importe de savoir ctd'êtrc 
.convaincu qu'avec une foule de bonnes lois par- 
ticulières, on peut fort bien n'avoir qu'une 
mauvaise république. Qu'il scroitihalheorcux 
pour vos réformateurs , qu'après avoi'r pris 
beaucoup de peine pour corriger leur natio» 
et la rendre heureuse , leur travail ne produisît 
en effet aucun- bien réel t je passe à un autre- 
qbjet. 



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liE rOLOCNÏ. 251 

C H A P I T R E I ï I. 

Pe la manière de présenler Us lois en réformant 

uTlt république. 

,X ^ «< semble, dit le rcdactcur des réflexions 
qui vous sont venuM d'Epéricz, que Itprojit 
de réforme doit être fait comme par pièces déta~ 
chées , qu'en présenterait aux citoyens suivant tes 
circonstances , et qu'en pourrait rassembler poiar 
former un tout régulier. Cette proposition est 
vraie , si on ne l'applique qu'aux lois pirti- 
cnlièrcs qui seront nécessaires pouE réformer» 
quelques coutumes , quelques abus ou quel- 
ques vices, avec lesquels la Pologne neipeot 
être florissante. En effet, je iuîs persuadé que 
le législateur le plus habile à préparer et ma- 
nier les esprits .n'évitera des obstacles sans 
nombre, et peut-être insurmontables, qu'eu 
ne laissant paa apercevoir tous les projets de 
jréforme qu'il médite. Je l'ai déjà dit danp 
mon premier mémoire ; c'est un fijincipe ini- 
contestable en politique que le légisbiteur. doit 
se prêter aux circonstances, icti pour. :nou6 
r^pdra meilleurs, i^ç. p^s^emter Us. erreurs:, 



Dpi ..ci hy Google 



eja DU OOUVERHEMINT 

Us préjugés, Ici vices, les caprices auxquels 
nous somnrcs trop fortement attachés. Tout le 
prouve : telle opinion qui est aujourd'hui in- 
surmotitable, dans peu de teippB , dans quel- 
ques jours, s'humilierfi pçqt-êtrcsans peine 
sous le joug d'une loi salutaire. Je conviens 
qu'à cet égard il faut n'agir qu'au jour le jour; 
et c'çst "pour cela qdf j'ai invité la Gonfédé-r 
ration à ne proposer que les lois qui pour- 
Toient être agréables. Mais cette condescen- 
dance doit être l'ouvrage d'une sagesse qui 
embrasse à la fois toutes les parties de l'objet 
qu'elle se propose , et qui les ait arcangéei 
et disposées pour agir de concert, s'aider mu- 
•tueUemeni et tendre au même but. 

Qu'on me permette, de le dire , l'auteur ; 
des léQexions d'Ëpérîcz semble trop s'aban- 
donner aux circonstances. Il espère que de 
ces lots diverses et dictées suivant les conjonc- 
tures , on pourra , en les rassemblant, former 
un tout régulier. Vaine espérance \ je crains 
.que ces lois éparses et décousues ne puissent 
jamais former un corps raisonnable de légis- 
lation , si elles ne sont détachées du plan ré- 
gulier et général que les réformateurs se seront 
fait avant que de les proposer par parties à 
^ Diète. Voulei-vous que le légîslatear fh* 



Dpi ..ci hy Google 



DE rOLOGNE. s53 

semble à ces personnes qu'on rencontre dans 
toutes nos sociétés , et qui sur l'apparence da 
moindre bien ,- nous proposent libéralement 
cent nouvelles lois ? Les sots en admirent la 
sagesse; mais elles paroissent ridicules anx 
gens sensés, parce qu'elles ne^peavent point 
s'associer avec le reste de la législation. N'est" 
il pas vrai que la plupart de ces lois partU 
culières n'ont qu'une bonté relative ? Telle 
d'entr'elles sert dans un système , qui nutroit 
dans l'autre. Tant que je n'aurù pas un 
plan fixe et arrêté de législation , Comment 
jugerai-je que la loi que je porte aujourd'hui 
ae nuira pas à celle que je croirai important 
de publier demain ? 

Un législateur doit sans doute connoîtrc lea 
vices, les abus, les préjugés qu'il doit pros-* 
trire quand les conjonctures seront favorables 
à sti entreprises ; mais s'il ne se propose pas 
une fin générale à laquelle il rapporte toutes 
«es démarches , ne s'exposc-tril pas à attaquer 
4es défauts légers qui tiennent quelquefois 
à des choses très - utiles ? Si je ne suis pas 
parfaitement instruit de la rpute que je dois 
tenir, je tomberai dans Charybde en voulant 
éviter Scylla. Dès que le public s'aperçoit de 
l'ciabarras de ses guides , il le^iie sa confiance . 



no,-7«JhyGt)t>*^IC 



3^4 ^U OOVYlKîftHttlt 

et ses soupçons donnent une nonvellc fôrctf 
à ses passions et aux capricei de la foitanc. 
C'est à cette manière de procéder au hasard , 
et pour ainsi dire à bâtons rompus , que tes 
peuples doivent la plupart de ces lois incohé- 
rentes qui ont réduit leur caractère et déformé 
tous les gouvernemens. Dc-là cette fou|e de 
lois qui se sont accumulées les unes sur les 
autres , dont on seroit accablé si on n'avoit 
pas pris le ■ parti de- les ignorer et de les mé- 
priser , et qui doivent produire tantôt séparé- 
ment et fbntôt à la fois ranarcMe et le deS'^ 
potismc. > ' 

Des lois particulières de police , d'ordre el 
d'administration, passons ; jevous prie, mon- 
sieur- le Comte , à la réforme des lois fonda- 
mentales et cotisiitutives d'une république. 
C^stici,' si je ne me trompe , qu'on voit 
évidemment <:ombien il seroit puéril et 
dangereux de ne présenter aux citoyens que 
des pièces détachées de leur- gauvernément. A 
•quoi scrviroit d'attribuer à tapuîssance légis- 
lative la souveraineté suprême qtii lui appaf- 
'tient , et qui doit e'étendfe egalemen-t- sor 
toutes les parties delà république, si dans le 
même instant vous ne réglez avec la plus 
.grande précision les formas et les procédés 
auxquels elle doit s'assujettir , pour que ses 



hyGt)o^le 



BE POLOGNE. a55 

lois ne soient jamais l'oavrage de Ist corrup- 
tion ,- de la partialité ou de rcngouement ? 
Quioiportc d'établir la puissance législative, 
si vous ne placez pas à ses côtés la puissance 
exécutrice pour lui servir de ministre ? ï>e 
quelle utilité nous seront des magistrats , si 
leurs droits , leur dignité, leurs fonctions et 
leurs devoirs ne sont pas établis et réglés 
dans le même moment et par la même loi ? 

Tant que l'ouvrage de la constitution n'est 
pas achevé , j'oserois presque assurer qu'il 
n'est pas même ébauché. En effet, ai vos lois 
fondamentales ne sont pas , pour ainsi dire, 
d'un même jet, il me semble qu'il vous sera. 
impossible de les rassembler pour en formée 
un corps régulier. Pourquoi ? C'est que vouS 
aurez laissé aux passions le temps de se for- 
mer de grandes prétention» et des espérances 
encore plus grandes; je m'expliqlte".' Si Voire 
Diète législative- jouissoic de' la souveraineté 
avant que les prérogatives et les devoirs de 
la puissance 'exécutrice fussent établies , je 
craindrais que les nonces , par une suite de 
cette vanité: ambitieuse qui infecte le cœuif 
humain , n'accordassent ensuite qu'avec beau- 
coup de peine aux magistrats l'autorité dont 
ils ont bcËoiii po.ur faire observer les lois-. 



Do,T«jhy Google 



S56 DU COUVEkMEHXNt 

Pcut-ctie que n'éiaot pas cnùèrement défaÎM 

de leurs préjugés et de leurs habitudes anar- 
chiques , ils refuseroieut de former une puiS'» 
eance qu'ils Eeroicnt obligés de craindre et 
de respecter après la séparation de lai Diète. 
Si vous commencez par créer d'abord ces 
magistrats , soyez sors qu'ils seront d'avance 
lef ennemis de la puissance législative qui 
doit avoir te droit de les juger. Tout le pou- 
voir que vous voudrez accorder à la Diète 
générale , ils le regarderont comme ub vol 
fait à leur magistrature. Ils auront assez de 
force ou d'art pour empêcher qu'on ne donne 
aux nonces la souveraineté pleine et entière 
dont ils doivent jouir. Les réformateurs seront 
obligés de fiéchir; et en courbant les lois, 
ils donneront de l'ambition à la puissance exé- 
cutrice , et lui fourniront des prétextes pour 
lutter avec avantage centre la puissance de la 
Diète. Ne eroyft pas , monsieur le X^omte , 
qu'en vous parlant des entreprises de nos 
passions , je me livre à des terreurs cbiméri-- 
ques. Vous savez qu'elles ont dénuit les gou- 
vernemens les plus sages, c'est-à-dire, les 
plus propres à donner des moeurs aux citoyens. 
Quels ravages ne feroicnt-elles donc pas dans 
çn pays où depuis long.'temps l'anarchie leur % 
tout 



D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



DE POLOGNE. aS^ 

tout permis ? Que les Confédérés soient donc 
convaincus que tons leurs projets échoueront, 
s'ils n'établissenc pas dans le même jour et 
parla même loi la forme entière et complète 
de votre gouvernement. 

Les Confédérés ne doivent donc rien négliger; 
ils doivent donc tout tenter dès ce moment 
pour prépaver leurs concitoyens à la révolu- 
tion qu'ils méditent. Leurs peines ne seront 
point perdues, puisqu'on vous mande , mon- 
sieur le Comte, dans toutes ]es dépêches que 
vous recevez, soitduconseifde la Confédération, 
soit de Varsovie même, qu'il n'y a point de 
Polonais qui , en souffrant beaucoup des dé- 
sordres et des malheurs de la république , ne 
commence à soupçonner, que son gouverne- 
ment est très-vicieux, et n'ait besoin d'une 
réforme considérable. Profitez de. ces heu- 
reuses dispositions , que vos malheurs ne 
soient pas perdus pour vous et pour votre 
postérité. Je croîs que vos correspondans ne 
■veulent point vous tromper ou vous consoler 
par de fausses espérances. En effet , si la leçon 
terrible que la Pologne reçoit n'étoit pas ca- 
pable de lui ouvrir les yeux et de la corriger, 
il faudroit convenir qu'il n'y a qu'une ruine 
entière qui puisse linscruirc de ses erreurs, 
Mably. Tome VIII. R 



Dpi ..ci hy Google 



258 DU GOUVERNEMENT 

II est vraisemblable que plus vos compa- 
triotes auront souffcit, plus ils seront dociles 
et complaisani dans le rétablissement de la 
paix, à l'égard des hommes qui n'auront pas 
abandonné la république pendant la tempête, 
et qui par leur fermeté l'auront empêchée ■ 
de faire naufrage. Mettez-vous en étal des 
aujourd'hui de profiter de la joie à laquelle 
on se livrera dans ce moment , et de l'espèce 
d'enthousiasme ou d'engouement qui l'accom- 
pagne , non pas pour ébaucher, mais pour 
faire une véritable révolution. Si les Confé- 
dérés, dans ces circonstances, portent à l'as- 
semblée de la nation un plan entier et complet 
de gouvernement , on l'acceptera selon les 
apparences par acclamation ; car la joie qu'on 
éprouve en échappant à de grands malheurs, 
n'est ni scrupuleuse, ni- sévère, ni soupçon- 
neuse. Mais si , ne connoissant pas le pris 
d'une conjoncture si favorable, ils la laissent 
échapper, qu'ils craignent de n'être plus les 
maîtres des esprils. l/n instant de paix, de '^ 
calme et de bçnheur , peut faire oublier tout 
le passé à des hommes peu exercés à s'oc- 
cuper de l'avenir. Alors les habitudes an- 
ciennesi reprendront leur empire , et je ne 
voudroii' point répondre qu'à force de joie 



Dpi ..ci hy Google 



' O L O G N ] 



'et de paresse , les Polonais ne revinssent à 
croire qu'un gouvernement qui a été mis à 
de si fortes épreuves , et qui les a sauvés , ne 
fût très-sage- et doit être précieusement con- 
servé. N'eu doutez pas, monsieur le Comte, 
ïoutc nouveauté choquera vos compatriotes, 
et ils voudront être encore ce qu'ils ont été 
jusqu'à présent. Ce n'est point ici une pro- 
phétie aventurée; et il me seroit oisé de jus- 
tifier mes craintes, si je voulois prouver par 
des exemples , que ce qui est arrivé tant de 
fois dans le mpnde peut également arriver en 
Pologne.' 



hyGtJCl'.^lc 



DU GOUVERNEME^ 



CHAPITRE IV. 

Du libcrum veto el des Confédérations. 

Kjomme le liberum veto, ajoute le même 
■iii«moîre , est la source de notre anarchie, c'est 
pour détruire ce mal primitif qu'il faut employer 
tous les moyens possibles; et lorsqu'une fois cet 
éhus sera anéanti , la puissance législative re- 
prendra vigueur, et nous recouvrerons la faculté 
d'agir. Je conviens qu'avec le liberum veto 
l'on ne peut rien cspéier de bon, et je crois 
même l'avoir démontré; mais je doute qu'en le 
dètruîsani , on rende à la puissance législative 
la faculté d'agir, et qu'elle ne s'en serve que 
pour faire le bien. Je nie que ce veto soit la 
source de tous les maux que vous éprouvez; 
il n'est au contraire lui-même que l'effet ou 
la suite d'un vice plus ancien, qui perdoit 
votre république ; et si vous ne remontez pas 
jusqu'à cette cause qui l'a produit, il me 
semble qu'il est inutile de le proscrire ; car 
en le proscrivant, vous n'appliquerez à vos 
maux qu'un palliatif et non pas un vrai re- 
mède. Cette cause qui l'a déjà produit le rc^ 



. D,o,l7PCihyGt)0^le 



DE POLOGNE, qSi 

produira encore, ou fera naître d'autres abus 
qui ne seront pas moins funestes à votre 
liberté. 

Je ne vous annonce point , monsieur le 
Comte, des malheurs chimérîqaes. Votre ami 
justifie lui-même mes alarmes, et c'est avec 
bien de la sagesse qu'il dit que ce seroit 
l'imprudence la plus blâmable de substituer 
la pluralité des suffrages au veto , avant que 
d'avoir dépouillé le roi de la prérogative de 
disposer à son gré de toutes les dignités et 
de toutes les grâces de la république. Il est 
visible; en effet, qu'un pi;ince qui pourroit 
corrompre et gagner par ses bienfaits le sénat, 
les grands et tout l'ordre équestre , ne tarde- 
roit pas , à la faveur des suffrages qu'il auroit 
achetés, d'avoir pour lui la pluralité des voix, 
de s'emparer de toute la puissance publique, 
et, si je puispatler ainsi , de vous opprimer 
légalement. Mais en voilà assez sur cette ma- 
tière , et je vais examiner si la suppression 
des prérogatives royales et du vélo sufEt, ainsi 
que s'en flatte l'auteur du mémoire d'Epériez, 
pour rendre votre république florissante,, 
. Je suppose que ces deux nouveautés soient 
établies en même temps et par la même lot; 
et je vous avoue que cet établissement, tant 
R 3 



D,o,l7PCihyGt.)t)^le 



a62 DU GOUVERNE Nf EN T 

je suis timide, ne suffira point pour me ras- 
surer. Le roi ne pourra plus vous corrompre; 
mais ît ne s'ensuit pas dc-là que la puissance 
législative puisse se montrer avec dignité dans 
la Diète , et agir avec cette justice qui la fera 
respecter, si vous ne donnei pas à cette as- 
semblée une nouvelle forme , et ne la réduisez 
pas au seul droit de faire des lois. Voyez, je 
vous prie , ce qui se passe en Suède, Les 
états , en voulant se mêler de trop de choses 
et usurper les fonctions des magistrats , entre- 
tiennent dans la république une incertitude 
et une fluctuation qui ébranlent les sages 
principes du gouvernement , et retardent les 
progrès de la législation. Que les Confédérés 
n'en doutent pas; votre Diète, monsieur le 
Comte, abusera, comme le roi, de son pou- 
voir, si vous ne la soumettez pas elle-même 
à des lois et à des règles qui gênent ses ca- 
prices , et la forcent à faire le bien. Que vous 
importe d'avoir abaissé le roi , si vous laissez 
n vos ministres leur autorité ? Serez-vous plus 
libres sous leur oligarchie, que vous ne le 
seriez sous le pouvoir arbitraire d'un seul ? 
Vous voyez, monsieur le Comte, qu'eu dé- 
truisant seulement la prérogative royale cC 
le velu, vous ne trouverez point le calme, 



Dioii ..ci hy Google 



DE r o L o c; N E. aG3 

Totdrc et la prospérité que vous désirez. 
Il ne faut point se flatter; les Polonais con- 
serveront encore malgré eux les mœurs, Içs 
préjugés et les habitudes qu'un mauvais gou- 
vernement, et aussi ancien que leur républi- 
que, leur a donnés : il est même certain que 
la sQppression de la prérogative royale et du 
veto donnera à ces habitudes une nouvelle 
force et une nouvelle vigueur. Il ne suffit 
pas que le roi ne dispose plus à son gré des 
dignités et des terres ou starostîes de la ré- 
publique, pour que les cabales, les factions 
et les intrigues disparoissent. Je prie d'exa- 
miner avec soin ce qui doit nécessairement 
arriver, si vous ne donnez pas à votre Diète 
générale et à vos Dîétines un nouvel esprit 
par une nouvelle composition. Pourquoi ces 
assemblées, accoutumées à la plus parfaite 
anarchie, confércroient-elles les charges, les 
emplois et les starostics aux citoyens qui en 
sont les plus dignes, si on ne les anime pas 
par un nouvel intérêt qui serve à rompre leurs 
anciennes habitudes , et diriger leurs pas- 
sions vers le bien public ? Soyez-en sûr , les 
Diétines seront plus inconsidérées et plus tu- 
multueuses que jamais ; et les nonces de 
la Dicte , fiers d'avoir entre leurs mains un 
R4 



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264 DU GOUVERNEMENT 

pouvoir inconnu , ne pourront jamais s'en- 
tendre , et termineront à coups de sabre ce 
que la raison la plus tempérée et la plus 
juste doit seule décider. 

Dans le système actuel de votre gouverne- 
ment, tout se dirige à un point; c'est le roi 
qu'on peut braver , si on ne lui demande 
rien , et qu'il faut gagner par ses complai- 
sances ou intimider par ses forces , si on 
désire ses faveurs. Après avoir détruit cette 
idole , sans avoir mis à sa place une puis- 
sance reconnue et légitimée par les lois, il 
me semble qu'il faudroit bien peu connoître 
la marche des passions humaines, pour ne 
pas prévoir que vos principales maisons , 
gâtées par l'antique considération dont elles 
jouissent, ne voudront pas hériter du pouvoir 
qu'on aura arraché au roi , et dont la Diète 
générale ne saura pas jouir. 

Non , monsieur le Comte , dans ces cir- 
constances l'ambition des grands ne seroit 
point oisive; elle rempUroic la Diète d'intri- 
gues et de cabales, comme elle en remplissoit 
la cour. Au milieu de ce chaos , vous verriei 
vraisemblabiemcnt se former parmi vous. une 
monstrueuse oligarchie. Vous verriez la na- - 
lion se partager entre plusieurs maisons puis- 



Dpi ..ci hy Google 



DE POLOCHE. 365 

tantes, qui ont des clîens , des créatures, 
des flatteurs et une foitune trop considérable 
pour préférer les intérêts de la république à 
leurs intérêts particuliers. Elles ont profité 
, des longs désordres de votre gouvernement, 
pour acquérir une considération qui leur est 
chère , et à laquelle la plupart de vos gentils- 
hommes sont trop accoutumés pour qu'elle 
leur soit odieuse on suspecte. 

Plus il y a d'inégalité dans la fortune de 
la noblesse , moins elle doit avoir de sen- 
dment de la liberté. Les riches conserveront 
encore long-temps leur orgueil , leur am- 
bition , leur despoùsme ; et les pauvres ne 
prendront pas subitement les sentimcns élevés 
que doit avoir un républicain. J'ajouterai que 
l'usage de vos fréquentes Confédérations a 
familiarisé les Polonais avec les voies de fait ■ 
et même avec la guerre civile , qu'on ciaint 
peut-être trop dans de certains pays , mais que 
certainement la Pologne ne craint pas assez. 
Voilà, monsieur le Comte, les mœurs, les 
abus, les préjugés et les habitudes qui m'in- 
quiètent pour votre république. Si je ponvois 
vous entretenir ici de tous les maux que je 
crains , tous vos compatriotes jugeroient sans 
peine , qu'il ne vous suffit pas de proscrire 



D,o,l..cihyGtK>gle 



266 DU GOUVERNEMENT 

le veto , et de ne plus avoir un roi qui vous 
corrompe par ses bienfaits ; mais que les réfor" 
niatcurs doivent former un plan qui embrasse 
toutes les parties cîe l'état. S'ils ne le font pas , 
on pcui vous prédiic liaidiment que vous vous 
trouverez cn6ndaiis Iccas de la république ro- 
maioe , lorsque ses citoyens trop puissans, trop 
foibles.trop riches et trop pauvres pour aimer 
leur liberté et respecter l'empite des lois , ne 
formèrei'.c que des partis et des. factions, et par 
lassitude de leurs maux , aimèrent enfin le 
joug modéré d'Auguste . qui les préparoit au 
despotisme sanguinaire de ses successeurs. 

Au lieu de regarder la suppression du vetff 
et de la prérogative royale comme le premier 
et l'unique objet de votre politique , au lieu 
de penser qu'après cette double opération, 
l'établissement des lois ne trouvera aucun 
obstacle , et que vous n'aurez qu'à jouir 
de votre bonheur , je voudrois au contraire 
que les réformaiturs crussent n'avoir tien fait, 
tandis -qu'ils n'auront pas établi la puissance 
exécutrice sur de bons et soli.oeï principes. 
Qui ne voit pas que plus uiî pays a été aban- 
donné à une liberté licencieuse , plus les 
magistrats doivent être jaloux d'exercer un 
pouvoir arbitraire ? Qui ne voit pas que le 



no,-7«jhyGt)C5^le 



DEro,LOCNE. ' S67 

législateur et les lois seront mépuisés , si , 
loin de les seconder, leurs ministres travaillent 
à s'élever sur leurs ruines ? Non , monsieur 
le Comte ; je 1 espère , vous persuaderez cette 
vérité à vos collègues , que ce n'ejt que par 
la vigilance , le courage, la patience des ma- 
gistrats , qu'on parviendra à faire disparoître 
ces mœurs*, ces abus et ces habitudes dont 
je viens de parler. Les magistrats seuls pouvant 
donner de la majesté à la puissance législative 
et faire respecter les lois , la Diète seroit 
donc inutilement débarrassée de l'absurdité 
du veto et de la, corruption de la cour, si 
par Tacte même qui établira son pouvoir , 
elle- ne régioit les droits, les devoirs et ics 
fonctions de la puissance exécutrite. 

Si cette puissance est partagée en différens 
collèges de magistratures , chargés de veiller 
aux différens besoins de la société ; si les 
bornes qui les séparent sont placées avec sa- 
gesse ; si ces corps perpétuels sont sans cesse 
renouvelles par de nouveaux magistrats , si les 
forces qu'on leur confiera ne sont ni trop 
étendues ni trop resserrées ; une sorte d'éton- 
nemcnt salutaire suspendra l'ambition des 
grands , et une confiance éclairée retirera la 
petite noblesse de l'humiliation où elle lan- 



DiQu ..ci hy Google 



8 68 DU GOUVERNEMENT 

guit. Les passions intimidées apprendront à 
se déguiser , et ce déguisement les préparera 
peu à peu à obéir au frein des lois. A mesure 
(]uc les motifs d'aimer le bien se multiplie- 
Tont , les mœurs de jour en jour, moins mau- 
vaises /permettront défaire de jour en jour 
Renouveaux progrès, et la république jouira 
enfin du bonlicur qu'elle aura mérité, je con- 
clurai de ces raisonnemcns que l'abolition du 
veto , la réforme de la prérogative royale , la 
souveraineté de l'ordre équestre assemljlé en * 
Diète , la dignité des Diéiines et l'établisse- 
ment de la puissance exécutrice distribuée 
en dîEFérens collèges ou conseils , et exercée, 
par des magistrats dont, la magistrature soit 
courte et passagère , doivent marcher de front , 
et ne former que les différens articles de la 
même loi. 

Je vous demande pardon , monsieur le 
Comte , de m'étre aiTeté si long-temps sur 
cette matière ; mais il me semble que quand 
on combat des préjugés anciens, et qu'il est 
quesûon pour un peuple de se faire une nou- 
velle politique, on ne doit point se piquer 
d'une brièveté que vous aimez ; parce qu'un 
mol suffit pour vous faire connoître une vérité, 
et que vous en démêlez promptemsnt louiea 



Dpi ..ci hy Google 



, ^ DE POLOGNE,. 269 

les conséquences ; mais tous les Polonais n'ont 
pas le bonheur de vou^ ressembler. Je vois , 
en lisant un des mémoires que vous avez 
eu la bonté de me communiquer, que ce 
que j'ai ditdes Confédérations n'a pas. persua- 
dé tous meslecteurs.Je me doutois que l'usage 
des Confédérations dcvoit plaire extrêmement 
à des hommes qui ne trouvoient pas le vtlo 
déraisonnable ; aussi n'ai-je point proposé de 
les proscrire par une loi expresse. Je n'ai 
songé qu'à les faire oublier , en mettant la 
république dans le cas de n'avoir plus besoin 
de recourir à cette ressource funeste. Bien 
loin d'approuver ma condescendance , on la 
blâme: on veut conserver précieusement l'usage 
des Confédérations et l'autoriser par une loi 
expresse : on prétend que le droit que les 
gentilshommes auront de se confédérer, en- 
tretiendra Tamonr de l'indépendance , et que 
dans les extrémités malheureuses où la suc- 
cession des temps et les caprices de la fortune 
jettent les peuples les plus sages , votre répu- 
blique se servira des Confédérations comme 
d"un dernier moyen pour sauver sa liberté. 

Je conviens avec l'auteur du mémoire , que 
les Confédérations ont souvent été utiles à 
la Pologne ; mais je le prie de rcclKrchcr avec 



Do,T«JhyGtX>gle 



SJO DU GOUVERNEMEMt 

moi quelle en a été la cause. C'est parce que 
votre gouvernement extrêmement vicieux vous 
exposoit sans cesse aux maux de la tyrannie , 
et que ne vous offrant aucune manière légale 
de vous y opposer , vous ne pouviez conser- 
ver votre liberté que par la voie de la force 
et de la vioience. Un vice , comme je l'aî 
dit , pouvoit alors remédier à un autre vice : 
de deux maux il faut choisir celui qui paroît 
le moindre ; et je conviens que si on vous 
eût proposé de renoncer aux Confédérations 
avant que de vous donner des lois salutaires , 
Vous auriez eu raison de répondre avec ce 
palatin- .aïeul , je crois , de votre roi Stanislas, 
que vous préférez une liberté inquiète'et agi- 
tée à une Servitude tranquille. Mais ce pa- 
latin' dont les Polonais admirent le courage, 
s'il eût pu se flatter dt jouir d'une liberté 
sûre et tranquille sous la protection d'un 
sa2;e gouvernement , croyez-vous qu'il eût ai- 
mé les Confédérations , et autorisé par une 
loi la guerre civile dont , selon les apparences, 
on n'auroicplus eu besoin? 

Si la réforme qu'on médite assure la liberté 
des Polonais , si elle doit fournir à la Diète 
législative et à vos magistrats mille moyens 
faciles -de s'opposer aux atteintes qu'on pour- 



Dpi ..ci hy Google 



DE POLOGNE. 27 1 

Toît porter à la liberté , et de conserver la 
république au milieu des secousses auxquelles 
nos passions exposent éternellement les so- 
ciétés, ne seroit-il pas insensé (l'expression 
n'est pas trop forte ) de vouloir autoriser le 
préjugé des Confédérations , au lieu de les 
faire oublier ? C'est pour jouir tranquillement 
des douceurs de la pais, que les hommes se 
sont réunis , et ont formé une puissance pu- 
blique qui peut intimider par des forces su- 
pcricurcs'tout citoyen qui ne voudroit pas obéir 
aux lois. Pourquoi donc veut-on aijioïiscr. la 
guerre civile par une loi expresse ? 

Je prie Tauteurdu mémoire que j'examine, 
et les personnes qui pensent comme lui , 
d'étudier L'histoire de vus Confédérations. Ils . 
en trouveront sans doute plusieurs qui n'ont 
été formées que pour venir au secours de la 
liberté en danger ; mais je suis persuadé que 
la plupart des autres leur paroîtront l'ouvrage 
de quelques hommes inquiets , emportés et 
ambitieux , qui se faisoient un jeu de sacri- 
fier la patrie à leurs intérêts particuliers. 
Je vous avertis , monsieur le Comte , que ce 
n'est point d'après la connoisaance que j'ai 
de votre histoire que je parle ainsi ; je 1 ai 
lue , mais ne l'ai pas étudiée ; c'est d'après 



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57» DU COUVERNEMENT 

les rcilexionS générales que j'ai faîtes sur les 
passions humaines , et sur les formes diffé- 
rentes qu'elles prennent Snivant la nature diffé- 
rente des gouvernemcns. En effet , ne setoit-il 
pas prodigieux que les lois qui permettent 
de conjurer contre la puissance publique pour 
venir au secours de la liberté, n'eussent ja- 
mais porté qu'à des entreprises avouées par 
la justice et. lamour du bien ; tandis que nous 
savons , tandis que nous éprouvons tous les 
jours que nos passions abusent de tout , et 
triomphent si aisément de notre foible raison? 
J'ai dit dans mon mémoire , qu'il ne falloit 
point par une. loi expresse défendre les Con- 
fédérations , et les déclarer des crimes contre 
l'état; car je craignois en attaquant un pré- 
jugé trop ancien et trop répandu , de lui 
donner une nouvelle force. J'ai espéré de le 
faire oublier , en offrant aux citoyens des 
voies légales et pacifiques pour protéger .leur 
liberté. Je me suis flatté qu'un gouvernement 
qui inspireroit de la confiance , et par con- 
séquent beaucoup d'amour pour la patrie et 
beaucoup de respect pour les lois et le boii 
ordre , fcroit tomber en désuétude les Confé- 
dérations , et ne pcrmettroit plus aux ci- 
toyens de se porter aux dernières extrémités. 
Sans 



D,o,l..cihyGOOJ^IC 



DE POLOGNE. 273 

Sans cette espérance, monsieur le Comte, je 
vous aurois demandé une loi expresse pour 
déclarer ennemis publics tous ceux qui au- 
roient signé une Confédération. Je vous la 
demanderois encore aujourd'hui; car je suis 
persuadé, maigre les raisoimcmens qu'on m'op- 
pose , que les Confédérés de Bar eu scnti- 
roicntrimportaoce , et ne se feroient aucune 
difficulté de la publier. On a beau me dire 
qu'une Confédération doit , par honneur , 
protéger les Confédérations , et qu'il seroic 
- indécent , et même ridicule , que dans le mo- 
ment qu'elle sauve la république , elle con- 
damnât sa conduite , j'ai déjà répondu à cette 
objection. Les Confédérés de Bar diront que 
par amour de la patrie , ils se sont servis 
d'un remède dangcrepx , terrible , mais né- 
cessaire dans votre anarchie , et qu'ils veu- 
lent apprendre à la république à n'en plus 
avoir besoin. 



Mably. Tome MU. 



D,o,l..cihyGtK>gle 



DU GOUVERNEMENT 



CHAPITRE V. 
De l'hérèdilè de la Couronne. 



No 



1 ous voici parvenus , monsieur le Comte, 
à l'objet le pluS' important de votre législa- 
tion , ou du moins à un article sans lequel je ne 
prévois pas que vous puissiez assurer le bon- 
heur de votre postérité ; je veux parler de 
la grande question qui concerne la couronne. 
Doit-elle rester élective , ou vous est-il utile 
de la rendre héréditaire ? En supposant que 
, votrepatriesoittcllement attachée à réligibîlité, 
qu'on ne puisse lui proposer l'hérédité sans 
révolter les esprits , la question est décidée , 
et je me tais; car personne n'est plus con- 
vaincu que moi qu'il seroit insensé de pré- 
senter une loi qu'on doit rejeter avec indi- 
gnation j et qui , rendant odieux les réfor- 
mateurs , ne leur laisseroit aucune espérance . 
de porter quelque soulagement à vos maux. 
Heureusement il s'en faut bien que les choses 
en soient réduites à cette, extrémité. Vos amis 
particuliers en- jugent ainsi , et je vois , 
d'après les difFércns écrits qui vous ont, été 
envoyés de la part de la Confédération , que 



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DE ?OLOCNE. 275 

la Pologne est partagée sut cette grande affaire. 
_^ je me bornerai à faire ici quelques réQexions 
nouvelles sur les avantages et les inconvé- 
nicns attachés à chaque parti ; et je ne doute 
pas que les Confédérés ne fassent , autant que 
le permettra l'opinion publique, tout ce qui 
sera le plus utile à leur patrie. . 

l^s lois les plus jiruden'.es , dit un mémoîrfi 
venu d'Epcriez , la plus clairement énoncées cl 
tes plus positives auront beau borner l'autorité 
d'un roi héréditaire , il rompra à la Jih toutes 
les barrières qu'on lui oppose. Les exemples , 
ajoute-t-on , nous font trembler. JVous voyons 
quantité de nations ou de royaumes qui, ayant 
admis une fois Vhérédité , ont été forcées dans la 
suite de reconnoître un maître tout-puissant et 
absolu , quoiqu'ils eussent pris toutes les mesures 
possibles pour conserver leur liberté. 

Je conviens que rhérédité du trône a pres- 
que toujours conduit au despotisme ; mais 
je nie que ce despotisme soit une suite né- 
cessaire de l'hérédité. Pour me convaincre que 
je suis dans l'erreur, il faudroit me prouver . 
. que la prudence humaine n'a et ne peut avoir 
aucun moyen pour concilier la liberté des 
citoyens et l'hérédité de la couronne. Je saii 
que des princes héréditaires , regardant leui" 
S a 



D,0,l..cihyGt)Ogle 



SfjS DU C 0-U VEHNE MENT 

nation tomme le patrimoine de leur maison , 
doivem avoir beaucoup plus d'ambition que 
des rois, électifs , dont les enfans restent con- 
fondus dans la foule des sujets. Mais je de- 
mande si cette ambition , qui est très-grande , 
ne connoît et ne doit plus connoîtrc aucune 
borne. Après avoir étudie le jeu, ta force et 
la ruse des passions humaines , a-t-on décou- 
Ycrt que l'hérédité qui les esalce dans le cœur 
d'un prince héréditaire , en ait changé la na- 
ture ? Ses espérances , il est vrai , sont propres 
à exciter son ambition ; mais ses craintes le 
sont-elles moins pour les comenit ? Non ^ 
monsieur le Comte , la nature y a pourvu. 
Un roi , quoiqu'hércditairc , a les mêmes pas- 
sions que le -dernier de ses sujets. Dans l'un 
comme dans l'autre, elles se combattent, se 
balancent , se tempèrent , se modifient de 
la même manière; et si la politique, peut 
tenir dans la soumission un peuple entier dont 
les forces paroisscnt si reitoutablcs , pourquoi 
ignorcroit-cUc l'art de contraindre un prince 
héréditaire à se contenter du pouvoir qu'on lui 
auroit abandonné ? 

C'est inutilement , dit-on , qu'on a fait le* 
lois les plus prudentes pour borner l'autorité 
d'un roi héréditaire. Mais je voudrôis qu'on me 



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DE POLOGNE. 3-]f 

ticdt quelques-unes de ces lois , et je suis bien 
sûr que j'y découvtirnis quelqu'îraprudencc 
grossière. L'Hérédité, ajoute-l-on, a toujours 
rompu toutes les barrières qu'on avoil opposées 
au pouvoir arbitraire. Je répondrai que ces bar- 
rières n'étoient qu'une légère palifisadc facile 
à franchir. On dit encore que les nations 
aujourd'hui les plus assujetties , ontpris toutes 
les mesures possibles poUr conserver leur U- 
tcrté : ne serois-il pas plus vrai de dire qu'elles 
ont fait au contraire Xoui ce qu'il falloit pour la 
perdre ? 

Je vous prie , monsieurleComte , d'examiner 
rhistoire des peuples quiontètésubjuguéspar 
des rois héréditaires; et bien loin qu'ils aient 
■ fait tout ce qu'exigeoit la prudence pour con- 
server leur liberté et fixer des bornes inébran- 
lables à la prérogative royale , vous verrez 
que leur gouvernement s'est presque, toujours 
formé au hasard, et que, n'ayant jamais eu 
l'esprit de se défier des passions , ils ont cru 
qu'il suHisoil de faire un régicmeht pour qu'il 
fût observé. "Vous verrez que, toujours con- 
duits plus par l'espérance trompeuse du bien 
que par la crainte salutaire du mal , un éternel 
engouement les a poités au-devant du joug. 
Vous verrez, en un mot, que ce despotisaie 
S 3 



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270 nil GOUVF. R-JEMENT 

dwnt tant de nations se plaignent , est plutôt 
leur ouvrage que cctuides princes auxquels 
elles obéissent. 

Puisque deç lois grossières, incohérentes, 
et qui TIC forment point un système régulier 
et proportionne à la nature des hommes (telles 
que sont , par exemple , les lois d'Angle- 
terre ] , ne laissent pas cependant de s'op- 
poser depuis long-temps aux progrès des abus 
que doit produire l'iiérédité ; pourquoi des 
Jois sages, habilement combinées entr'ellcs , 
et capables de diriger et de gouverner nos pas- 
sions , ne pourroîent-elles pas contraindre des 
princes héréditaires à respecter la liberté pu- 
blique ? Si les Anglois sont encore libres, 
malgré les moeurs, les lois et les usages qui 
favorisent la prérogative royale et hâtent la 
corruption du parlement , pourquoi ne pour- 
roit-t-on pas imaginer sans beaucoup de peine 
des lois plus sages , qui préserveroient la 
Pologne des- dangers dont l'Angleterre est 
menacée ? Il est vrai que les Anglois n'ayant 
rien qui les invite et les prépare à réparer 
dans leur gouvernement les parties que le 
temps ou des circonstances malheureuses peu- 
vent afFoblir ou déranger , leur constitution 
doit devenir un jour plus mauvaise Mais 



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DE POLOGNE. «79 

i! rac semble que sans trop exiger de la po- 
litique des Polonais , on doit s'attendre qu'ils 
trouveront le moyen de prévenir cette déca- 
dence insensible et d'autant plus funeste", 
qu'on ne l'aperçoit que quand il n'est plus 
temps d'y remédier. Je ne dois pas m'arrêtcr 
à indiquer ici en détail les réglemens ou 
'les mesures que la prudence leur conseille; 
je ne ferai que répéter ce que j'ai déjà dit 
dans mon mémoire , et je m'en rapporte aux 
lumières des Confédérés. Sûrement ils ne tra- 
hiront pas tes espérances dt leur natioti , et 
ils affermiront sa liberté , en n'accordant à 
aucun magistrat une autorité qui lui donne 
la conEance d'en usurper une plus grande. 

On n'entreroit point dans ma pensée, si . 
l'on croyoit que je conseille l'iiérédité de la 
couronne comme un établissement très-sage 
en lui-même, et dans tous les cas préférable 
à votre élection. Je connois trop la foiblessc, 
la sottise des homines, et les désordres qui en 
doivent résulter, pour ne pas savoir que plus 
une magistrature est importante , plus il est 
nécessaire de ne la conférer que pour un 
temps très-court; et que votre élection est 
par conséquent préférable par sa nature à 
rbérédité qac je propose, et qui rcvéïiroiB 
S4 



"Do,T«jhy Google 



sSo DU GOUVERNEMENT 

non pas un homme seul , mais une famille 

entière d'une magistrature perpétuelle. 

Si je ne me trompe , c'est sous un autre 
point de vue et d'une manière moins abs- 
traite qu'il faut examiner cette question. Par- 
tons, raoDSicur le Comte, de votre situation 
actuelle. Avec les mœurs dont les Confédérés 
se plaignent , avec l'immense disproportion 
qu'il y a dans les fortimcs de votre noblesse, 
avec la vaste étendue de vos provinces , avec 
vos idées du veto et des Confédérations , la 
Pologne rie peut point se flatter de remonter 
aux prinijipes de ces ancienoes républiques 
que nous admironsv Elle n'est pas même ca- 
pable d'établir une aristocratie tempérée. A 
l'exemple de vos pères, voudricz-vous aujour- 
d'hui substituer à la royauté un sénat composé 
de vos palatins ? Vous ne tarderiez pas, comme 
eux , à vous en repentir ; car vos grands autre- 
fois aimoicnt la liberté, et aujourd'hui m'a- 
t-on die, ils n'aiment que le despotisme. 

Venons au fait. Si les cabales, les factions 
et les pards dont la Pologne est le théâtre, lui 
permettent de placer sur le trône le citoyen I« 
plus digne de cet honneur par ses vertus et ses 
lumières; si les Polonais, incorruptibles 'sonç 
iacitpal)l99 de vendre leurs suffrages ; s'ils 



Do,T«jhy Google 



DE POLOGNE. 381 

peuvent résister aux sollicitations des princes 
étrangers ; s'ils sont aspez forts poui en im- 
poser aux puissances voisines qui voudront 
disposer de leur couronne; dans ce cas, ils 
peuvent conserver l'élection. Mais si cette 
élection , toujours vicieuse , doit être toujours 
l'ouvrage de la violence et de la corruption, si 
elle ne sert, comme je l'ai die dans mon mé- 
moire, qu'à renouveler sans cesse les abus, 
les vices et les désordres qui affligent la Polo- 
gne et qui la perdront, je crois qn'il est abso- 
lument nécessaire de recourir au remède 
unique de l'hérédité. 

Je prie les Confédérés, monsieur le Comte', 
d'examiner avec soin s'ils peuvent, en n'éta- 
blissant pas l'hérédité, se flatter d'arracher 
des mains tiu roi les grâces et les faveurs ds 
la république, donc il abuse, et dont la 
distribuiitfn renouvelle continuellemenr les 
haines, les rivalités, les partis et les conju- 
rations des grands. Tant que la couronne sera 
élective, aucun de vos seigneurs, car c'est 
leut maladie , ne permettra qu'on dégrade 
une dignité à laquelle il aspire , C4 dont il 
espère d être un jour revêtu. Tandis que votre 
roi électif continuera d'abuser de sa pitroi^a- 
tive , n'cst-il pas évident que les era!;Jy , ly-xl 



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L 



fiSs DU COUVERNEMEMT 

attachent toute la noblesse subalterne à leurs 
intérêts opposés^ continueront à se conduire 
par les mêmes intrigues que vous voulez bannir 
de votre république ? Au milieu de cette fer- 
mcniation générale, qui doit sans cesse donner 
une face nouvelle aux affaires, pourroit-on , 
je ne dis pas établir des règles constantes du 
bien public, maïs seuler»ent penser qu'il doive 
y en avoir ? Si les réformateurs piofiloicnt 
d'un moment de faveur ou d'enthousiasme, 
pour faire adopter quelques règlemeus par la 
première Diète libre que vous aurez, j'ose 
vous répondre que ne changeant point l'es- 
prit national, ils tomberont bientôt dans le 
mépris. 

Donner la couronne à un piaste, c'est pour 
ainsi dire, allumer la guerre civile dans la 
république. Un Polonais peut bien se con- 
soler de n'êtte pas roi , mais non pas de 
devenir le sujet de son égal, qu'il regardera 
alors par vanité comme son inférieur. Si les 
passions sont secondées dans ces circonstance! 
par un grand courage et de grands talcns , 
l'état ébranlé recevra des secousses violences : 
si cette ambition, dégradée dans des âmes 
communes, dégénère en basse jalousie et en 
folle vanité, le corps entier de la natiou sers 



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DE POLOGNE. SûJ 

infecté du venin sourd et lent tîc l'intrigue, de 
la fraude, du mensonge; et je ne crois pas 
qu'il y ait une maladie plus incurable ni plus 
dangereuse pour une république. 

La loi, pour éviter ces inconvéniens, or- 
donnera- 1- elle de ne prendre qu'un prince 
étranger pour roi ? C'est inviter les puissances 
étrangères a venir cabaler parmi vous et vous 
désunir par leurs intrigues ; c'est introduire 
dans votre patrie la plus funeste des corrup- 
tions ; c'est vous apprendre à vendre votre 
suffrage , et tout continuera à être vénal parmi 
vous. Mais je demande quel avantage la Po- 
logne se promet, en mettant à la tête de ses 
affaires un premier magistrat qui n'a^jra ni les 
mœurs, ni le génie , ni les principes, ni même 
les préjugés de la nation. Dès-lors les Polo- 
nais seront condamnés à n'avoir aucun carac- 
tère. L'intérêt des familles les plus puiss^ptcs 
sera d'élever sur le 'trône un prince qui leur 
doive sa fortune, et qu'elles haïront bientôt, 
parce qu'elles ne le trouveront jamais assez 
reconnoissant. Elles entretiendront au-dehors 
des correspondances et des négociations tou- 
jours suspectes et souvent criminelles. 

Si la loi permet de placer sur le trône un 
prince qui ait au-dehors des états héréditaires, 



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204 -DO GOUVERNEMENT 

la Pologne éprouvera néccssairernent tous les 
jnconvéoiens dont j'ai parlé dans mon mé- 
moire, pour la dèiourner de se donner à la 
maison de Saxe. Si ta loi vous ordonne de 
choisir un prince qui ne possède aucune sou- 
veraineté patrimoniale, je dirai que, trouvant 
très-doux de vous laisser corrompre par les 
libéralités et les bienfaits d'un prince riche , 
vous parviendrez bientôt à éluder et violer 
^sans scrupule une loi destinée à prévenir la 
corruption. Qui ne prévoit pas d'avance, que 
J'avacice trouvera centsophisroes pour démon- 
trer de ia manière la plus évidente , combien il 
vous importe de profiter des richesses d'un 
roi qui vous promettra de faire beaucoup de 
bien, et qui ne fera que du mal? Pourquoi 
l'avarice seroit-ellc moins éloquente en Po- 
logne que dans le reste dé l'Europe ? N"a-t-elle 
pasjiersuadé par-tout que l'argent doit être 
ie nerf et l'ame de la politique, et que les 
opérations les plus savantes et les plus sages 
doivent tendre à ie multiplier ? Un roi riche , 
quoique électif, aura presque l'autorité d'un 
Toi héréditaire. En obéissant par complaisance, 
on s'accoutumera insensiblement à moins 
aimer sa liberté ; on la pcrdroil enfin , 51 
chaque interrègne ne doriiioil naÎESance à dfi 



Dpi ..ci hy Google 



DE POLOGNE. sSS 

nouveaux partis , de nouvelles haines , de 
nouveaux intérêts de famille, et ne sembloit 
faire prendre une nouvelle force au caractère 
national. Mais au lieu de la liberté , ces vices 
ne produiront qu'une anarchie qui se perpé- 
tuera après rélection du roi. Elle peut ne pas 
effrayer un Polonais , parce qu'il y est accou- 
tumé ; mais s"il rentre pour un moment en lui- 
même , il jugera sans doute qu'il y a un terme 
fatal pour tous les vices, et qu'il arrive enfin 
des conjonctures où ils perdent néccssaîrc- 
menE le peuple qu'ils ont corrompu, et qui 
les aime. 

Les maux qui résultent de l'élection sont 
des maux présens : ils** sont certains , ils sont 
inévitables ; ceux qu'on peut craindre de l'hé- 
rédité sont éloignés, il est possible d'y remé- 
dier , et certainement le goût des Polonais 
pour la monarchie ne s'opposera à aucune des 
mesures que vous conseillera la politique la 
plus soupçonneuse et la plus prévoyante. Le 
parti que la "raison vous ordonne de choisir 
en cette occasion n'est donc pas douteux. Je 
dis que les maux de l'élection sont présens et 
certains; comment pourroit-on en douter, 
puisque les désordres dont je viens de parler 
-ne sont pas des désordres que l'élection doive 



n,o,i7PcihyGt)t)*^le 



286 DU GOUVEIINEMENT 

produire peu à peu ci d'une manière lente et 
insensible, comme les maux que vous craignez 
de l'hérédité ? Ce sont des désordres dont.votre 
république se plaint depuis que la famille des 
Jagclions est éteinte, et qui subsisteront jus- 
qu'à ce qu'une nouvelle famille ait acquis 
parmi vous le même crédit et inspiré la 
même confiance, 

je dis au contraire , que les maux dont Thé- 
rédilé vous effraie sont éloignés et incertains ; 
et si on se rappelle tout ce que j'ai dit sur 
cette nouvelle constitution, on se convaincra 
aisément de cette vérité. En effet, comment 
votre roi héréditaire oseroit-il attenter à votre 
liberté, après que vous lui aurez ôté tous les 
moyens de gagner les ambitieux par des di- 
gnités, et que sa modique fortune ne lui per- 
mettra pas d'acheter des avares? Personne, 
monsieur le Comte, n'est plus persuadé que 
moi du poQvoir des passions; mais je sais aussi 
qu'elles ne sont ac;iives , agissantes et opi- 
niâtres qu'autant qu'elles sont nourries et sou- 
tenues par quelqu'cspérancc de succès. Je ne 
doute point que la maison que vous aurez 
élevée sur le trône , ne forme d'abord de 
vastes projets dont l'exécution ruineroit votre 
liberté ; mais à chaque instant votre roi s'ap- 



Do,T«JhyGtK>gle 



• Dl TOLOCNE. sSy 

pciccvra des entraves qu'on lui aura mises : 
par-toût il trouvera une barrière entre le des- 
potisme et lui. S il veut la franchir avec 
audace , sa folle témérité ne sera point à 
craindre , parce qu'elle soulèvera tous les 
esprit! : s'il est prudent et veut vous tromper 
par la ruse, l'adresse, le temps et l'insinuation, 
son ambition elle-même s'affbiblira , parce 
qu'elle n'agira pas ouvertement, et que peu à 
peu il s'établira une routine d'ambition timide 
qui deviendra la politique générale de vos 
rois. 

J'ajoute que vos rois héréditaires n'auront 
que les pensées et les projeta d'un magistrat 
dont la magistrature est courte ei paisagère. 
Réduits à présider les conseils de la répu~ 
bliquc , et ne pouvant point avoir d'autre 
volonté que le sénat, ce sera le sénat qui vous 
gouvernera, et non pas yos rois. Il me semble 
que les réformateurs doivent être tranquilles 
sur l'avenir, et compter sur la fidélité des dif- 
fércns conseils qu'ils auront établis pour l'ad- 
ministration des affaires. Que pourroit-on en 
craindre puisque se renouvellant en partie à 
chaqne tenue de Diète, c'est-à-dire, tous les 
deux ans , ils ne pourront jamais former le 
projet d'usurper pour eux-mêmes le pouvoir 



Dioil ..ci hy Google 



ïSS ti U GOUVÉltîïEMF. XT » ■ 

arbitraire , ou de le conférer au prince ? L'in* 
tcrvallc d'une Diète à l'autre est trop court , 
pour méditer, projeter, préparer et consom- 
mer, nnc révolution. Je demande quel motif 
auront CCS conseils de se vendre au roi ; je 
demande par quel moyen le roi les achètera. 
Par qnelle fatalité ces difFércns conseils, char- 
gés chacun d'une branche différente de l'admi- 
nistratioD, et qui doivent être les uns pour les 
autres des censeurs^, ne seront-^ils composé» 
que de traîtres? Par quel aveuglement pro- 
digieux plusieurs Diètes .consécutives se trom- 
peront-elles coasiarament .dans leur choix ? 
Quand on se trompe de bonne foi, il me 
semble qu'il n'est pas possible qu'on se 
trompe toujours. Commeiit arrivera-t-il que 
ces conseils forment une conjuration , sans 
qu'on en aperçoive aucun indice ? cl com- 
ment Totre Diète sera-t-elle assez aveugle , 
assez stupide et à la fois assez corrompue , 
pour renoncer à sa liberté ? Que toutes ces 
absurdités se réunissent pour vous perdre , j'y 
consens, \tais ne vous rcste-t-îl pas une der- 
nière ressource dans vos Diétioes? Ne con- 
damneront-elles pas leurs nonces qui auroient 
trahi la patrie , et leur réclamation générale 
ne sera -t- elle pas capable de rétablir la 
liberté. Sans 



Do,T«jhy Google 



' DE.rOLOGNK. 1)89 

Sans doute, monsieur le Comte, que- l'hé- 
rédité de la couronne produiroit enfin en 
. Pologne le despotisme et la servitude qu'elle 
a produits dans plusieurs autres pays , si vo^s 
youï contentiei de vous précautionner contre 
les suites funestes de Tavarice et de l'aoïbidon. 
Il en faut convenir, la sécurité que la sagesse 
du gouvernement et des lois inspire à tous les 
citoyens, devient elle-même un principe de 
corrnptioD et de décadence. On oublie que la 
liberté est un bien fragile qu'on n'obtient qu'à 
force de soins , et qu'on ne conserve qu'autant 
qu'on craint de le perdre. La nation la plus 
libre et la plus jalouse de ses droits, s'endort 
quelquefois ou s'assoupit à force de bonheur. 
11 se forme une rouille qui ralentit , détraque 
et use les ressorts du gouvernement; il-survicnt 
cependant des affaires importantes et des cir- 
constances malheureuses , où un peuple auroit 
besoin de la vertu qu'il a perdue ; neia re- 
trouvant pas, il a recours aux ressources, les 
plus extraordinaires ; et soit qu'elles réus-r 
siisent ou non , Tcspric nadonal s'aUérf , et.se 
perd cniîn sans retour. , :* 

Quelque fréquente» qu'aient élé ces révolu- 
tions , il faut cependant se garder de croire 
qu'elles soient inevitably. Qui empêche qu'oa 
Mahly. Tomt YUI. X 



no,-7«jhyGt)C>»^le 



sgO DU COUVEKNlHZNt 

ne porte nne loi qui ordonne expressémeat 
que ibus les cinquante ans, à chaque noa- 
veau lègDC, après chaque guerre étrangère, la 
natioii sera convoquée extiaordinatrement ; 
qu'on créera des n[iagistrats extraordinaires , 
soni les noms de dictateurs' ou de consuls , et 
levctus d'un pouvoir nouveau, pour examiner 
les atteintes portées au gouvernement, et réta- 
blir la forme ancienne, cd réparant les. abus 
^ue le temps, la sécurité, la fortune, le bon- 
heur , le malheur et les passions , en un mot , 
peuvent avoir introduits sous le nom de cou- 
tume , de prérogative et de privilège , et dont 
la négligence des magistratures ordinaires 
n'aura pas enapêché les progrès ? Une expé- 
rience malheureusement trop commune nous 
prouve qu'on se familiarise aisément avec les 
abus. A peine le premier nous plaît-il, qu'il 
en entraîne un second à sa suite qui plaît 
également : ils s'accumulent , et de-là cette 
dégradation insensible qui nous jette enfin 
dans des vices extrêmes auxquels il n'est plus 
possible de remédier , parce qu'il en coàterok 
*irop pour s'en séparer. C'est contre ces acci- 
dcns que la politique doit se prémunir, et on 
ne les auroit point éprouvés , si les législateurs 
avoient soin de donpcr à leur gouvernement 



D,o,i..(iby Google 



D,E tOLOG^IE. igl 

des moyens de se corrigei . de se rétablir et de 
se reproduire , pour ainsi dire , par set propre! 
forces. 

Il me semble que l'hérédité, accompagiièit 
de tomes lei précautions que je propose , ne 
peut inspirer aucune alarme. Mais en suppO' 
sant que ces précautioni soient inutiles , il 
faudra du moins convenir qu'il s'écoulera 
plusieurs générations avant que le despotisme 
soit établi. Après cela, je demande hardiment 
s'il scroît sage de préférer en ce moment une 
anarchie certaine à une tyrannie douteuse et 
reculée. Pour vous délivrer des jalousies ; des 
haines , des rivalités , des brigues , des parti» ,- 
des factions , des intrigues qui vtons désolcnE 
depuis si long-temps et peuvent vous conduire 
enfin k la servitude , la politique ne vou» 
ordonnc-t-ellc pas d'avoir recours à un éta-J 
blissement qui vous donneroit le temps de 
respirer, et qui subsisteroit au morns pendant 
quelques siècles? Plus l'hérédité vous eiFraic, 
moins vous aurez dans la suite de raison de }x 
redouter. Cette crainte même , je la regarde- 
comme un bon augure pour l'avenir. Elle 
préparera les esprits à recevoir plus facrlemchl' 
les lois que les Confédérés croîfom les plui . 
nécessaires. Elle vous rendra plus attentifs à 
T 2 

Dpi ..ci hy Google 



tga DU COUVEHNEMINT 

toute! les démarches de votre roi , et vous en 
contracterez l'habitude. En voyant votre libcitc 
en danger, vous prendrez, sans vous en aper- 
cevoir, les moeurs et le génie convenables à 
votre gouvernement. Il est donc du devoir de 
tous les citoyens qui aiment' véiîtablemeat. 
leur patrie > d'employer toutes leurs forces , 
toute leur industrie , tons leurs talcns , tous 
les moyens praticables , pour établir rhéré- 
dite. Il n'y a pas jusqu'à l'intrigue , que je 
bais, ou plutôt que je méprise, dont on ne 
doive se servir ; elle s'ennoblira par la fin à 
laquelle elle sera employée. Ne crai^nei point 
de vous égarer sut les traces de Lycurgue, qui, 
sans autre droit que celui que donne l'amour 
de la justice et de la patrie, fit une conjuration 
avec trente de lies concitoyens , pour forcer sa 
république à être heureuse. 

Je suis d'autant plus frappé des inconvéniens 
attachés à votre couronne élective, qu'après 
avoir cherche quelque remède aux maux qui 
en résultent, je n'ai rien imaginé qui ait pa 
jne satisfaire." J'ai étudié cette matière avec 
toute l'attention dont je suis capable, et je 
vous avouerai qu'après les plus sérieuses rê- 
^flexions , je n'ai pu trouver que- des lois pa- 
reilles à celles qu'on public tous ies jours 



Doj-^«jhy Google 



DZ POLOGME. «93 

ïnntUement dans la plupart des états. Elles 
seroient bonnes si o» avoit la complaisance 
d'y obéir, mais il ne faut pas s'y attendre ; je 
inc suis aperçu que mes règlemeni seroient 
méprisés , et que rél(;ctîon -coniinueroit 3 
causer beaucoup plus de trouble et de fermen- 
tation, que mes lois ne pourroicnt apporter 
de calme et de concorde.Je suis bien long sur 
*^ cet article ; mais je le regarde comme le foB- 
demcnt de tonte votre nouvelle législation, et, 
je vous prie , monsieur le Comte , que je m'ar- > 
rêtc encore à répondre à quelques objections 
qu'on m'a faites , et qu'il est important d'exa- 
miner. 

On dit que l'hérédité fera ombrage aux puis- 
sances étrangères, et je conviens que la Russie 
la verra établir avec chagrin ; mais ce chagrin 
même qui vous instruit de vos intérêts , est 
un nouveau motif pour que vous fassiez cet 
établissement. La courdc Pélersbourg voyaiït 
sans doute qu'après cette révolution elle ne 
pourroîtplus conserver son influence dans vos 
affaires , vous accoutumer à fui obéir, et se 
préparer une conquête aisée à la faveur de vos 
divisions , s'opposera de toutes ses forces à 
l'hérédité de votre couronne. Si elle réussit k 
terminer la guerre présente , en forçant 1* 
T 3 



. Do,T«JhyGtK>gle 



794 °" GOUVERNEMENT 

grand-scigncur à vous abandonner, j'avoue' 
que tous vos projecs.de réforme s'évanouiront, 
et que la Ruseîc ne vous permettra pas de vous 
corriger des vices auxquels elle doit l'empire 
qu'elle exerce i>ur vous. Maïs la Pologne, 
monsieur le Cumte , n'est pas réduite à cette 
maUicureuse cxuémité. Après une paix do 
trtnie ans, quia dû dégrader la milice des 
Turcs, je me suis attendu aux disgrâces qu'ils 
éprouvent; mais j'espère qu'instruits par leurs 
défaites même , ils retrouveront cet ancien 
courage que MoniècucuUi icdoutoit. J'espère 
encore que vous en profiterez , et que pour 
consoler la Russie de ses pertes et favoriscT 
ton ambition , vous ne conserverei pas un 
gouvernement qui vous empêche de connoître 
vos forces et de les réunir contre vos ennemis. 
Les cours de Vienne et de Berlin ne sont 
pas vos ennemies comme la cour de Russie, 
mais elles'ne sont point vos amies : jusqu'à 
présent elles ne vous ont fait ni bien ni mal. 
Elles ont sans doute leurs raisons pour aimer 
yotie anarchie : il est si commode pour elles 
d'avoir un voisin dont elles n'ont rien à 
craindre, et qui n entrant point dans le système 
de l'Europe , leur permet de tonrncv toute leur 
Wubiùon d'uij côté qui leur paroît plus avan- 



D,o,l7PCihyGt)C>'^le 



DE POLOGNE. sgS 

tageux : je crois qac ces puissances dcsireDt de 
voir subsister vos troubles, ou du moins la 
caose qui les produit. Soyez donc persuadés 
que rhérédité de votre couronne leur déplaira. 
■ Elles- s'opposeront à tous vos projets de ré- 
forme, mais on peut les gagner. Il est très- 
vraisemblable que vous mettriez la coux de 
Vienne dans vos intérêts, en élevant sur le 
trône un prince qui lui sercit agréable ; je ne 
répéterai point ici ce que j'ai dit dans mon 
mémoire. 

Si le roi de Prassc est seul à s'opposer à 
votre réforme , est-il vraisemblable qu'il emploie 
la voie de la force, qui seule est redoutable? 
Ce prince paroît moins pressé qn' autrefois de 
faire la guerre. Les années se sont accumulées: 
content de régner sur l'Europe par lacrainte et le 
respect qu'inspire sa réputation , il ciaindroit 
peut-être de compromettre sa gloire. Sa santé, 
dît-on , ne lui pcrmettantplusde commander en 
personne ses armées , il sent que sous ufi autre 
général elles perdroientla m oiiiédc leurs forces. 
On pourroitdonc traiter avec lui ,, et acheter son 
consentement, en lui abandonnant quelqnes 
terres qui sont à sa bienséance , et qui ne vous 
sonten aucune manière nécessaires pour former 
uncrépubliqae heureuse et respectable. Pour- 
T. 4 

Do,T«Jfr..GtK>gle 



ig6 DU GOUVEHNEMINT 

quoi les ^Confédérés ne sondcrôient-îls pas ses' 
disposicions à cet égatd, s'ils peuvent se flatter '' 
de sfi conduire avec assez d'habileté et de secret 
dans celte negocation , pour ne se compro- 
meitre ni en Pologne ni à la cour de Berlin? 
Si les trois puissances dont je parle , sont d'ac- 
cord pour vous tenir dans la -malheureuse 
situation où vous êtes, j'avoue que je ne vois 
gucune rcssoarce contre ce malheur. Vos 
allies naturels ne scroicnl peut-ctre.pas en état 
de vous servir. D'ailleurs, votre alliance n'étant 
d'aucun secours,vous ne devezpas vous attendre 
qu'on défende vos intérêts avec chaleur. Ré- 
duits à vous-mêmes, que pouvcï-vous faire? 
Vos propres divisions vour perdront, et le 
désespoir de quelques bons citoyens ne sao- 
vcia pas la patrie : ils s'enseveliront inotile- 
ment sous ses ruines. 

On mojjjectc que la nation voyant naître e 
s'élever sous ses yeux des princes héréditaires, 
s'accdaiumera à un respect et une soumissioa 
Jmcompatibiés avec la liberté. Je conviens 
qu on respectera une maison privilégiée à qui 
appartiendra la couronne , et qci représentera 
la majesté de Ja république ; mais je nie que 
ce respect propre à contenir lès grands dams le 
devoir , détruire l'anarchie, donner de là force 



Do,T«jhy Google 



BZ rOLOGNC' «97 

aux lois, et unir toutes les parties de la société 
jusqu'à présent divisées, puisse dégénérer en 
une soumission servile.Ce qui nuit à la liberté, 
ce ne sent ni les respects ni les hommages que 
la loi prescrit, et qu'on rend par étiquette à la 
personne du prince , mais les faveurs qu'on 
attend de sa libéralité, et qu'on veut acheter 
par des flatteries et des bassesses. Ce qui 
nuiroit , ce seroil des forces qu'il pouiroit 
employer arbitrairement pour favoriser l'in- 
justice, et contraindre rinnocence et la vérité 
à se taire. 

Si un roi héréditaire , ajoute-t-on , n'a point 
d'états au-dchors, il sera pauvre, et ses enfins 
eadetsseront tovjours àla charge de larépvbliqur. 
Ils ne pourront subsister qu'aux df.pem des autres 
citoyens tnjouissant des starosties^ Ils rempliront 
toutes les charges au préjudice des citoyens ver~ 
tueux ; et ta famille royale , en devenant plus nom- 
breuse , changej-oit la forme du gouvernement. Je 
réponds qu'un roi qui n'aura point d'étals 
hércditaÎTes hors de hi Pologne, ne sera pas 
pauvre , soit qu'on lui -conserve ia plupart dej 
domaines attaches actuellement à la couronne 
pour les faire valoir à ion profit, soit qu'on 
prenne le parti plus sage de lui iaire une 
liste civile proportionnée à ses besoins , et qui 



Do,T«jhy Google 



tgS DU GOUVEINEMÏKT 

le mettra en état d'avoii unç maison conve** 
nable à la dignité d'un, homme qui vit des» 
subsides de son peuple. Ce n'est pas la pau- 
vreté, mais les richesses qne la politique doit 
craindre dans un roi; et s'il est obligé d'être 
économe , soyez sûr qu'il ne sera pas ambi- 
tieux , et que sa cour ne sera point une école 
de mauvaises mœurs. 

Je dis en second Heu qne les princes ne 
seront point à charge à la république ; car 
je suppose qu'elle aura soin de les accoutumer 
à la modestie , et la médiocrité de leur fortune 
sera d'un bon exemple pour vos grands sei- 
gneurs. Pourquoi ne reticudroit-on pas un 
dixième sur le revenu du roi, pour former un 
trésor qui serviroit à doter ses enfans ? Quand 
il en coûteroit quelque chose à la république, 
à peine s'appcrcevroit-ellc de cette charge. 
Je prie les Polonais- de considérer tout ce 
que leur coûte leur anarchie, et combien Us 
doivent s'enrichir sous un bon gooverncment. 
Cette sorte d'inertie pesante qui engourdit 
aujourd'hui leur patrie, disparoîtra prompte- 
mcnt : une grande partie de vos .terres n'est 
point cultivée faule d'habitans, et l'industrie 
qui les peuplera les rendra fécondes. 'Vous 
deviendrez riches en apprenant à connokrc vos 



Do,T«Jhy Google 



HZ POLOGNZ. fl99 

richesses; et les artfi utiles que vous ignorez, 
parce que vos lois ne les protègent pas, por- 
teront la vie et l'abondance dans tous les 
palatinats. 

Puisque le roi ne conférera plus les charge» 
et les starosties, pourquoi les princes les enva- 
liiroicn.t-ils? Ç-'ils veulent les .obtenir, ils tâ- 
cheront de les mériter en &e faisant estimer de 
la république. Je ne vois point comment en se 
multipliant les branches de la maison royale 
çhangeroient la forme du gouvernement ; elles 
auront au contraire des intérêts opposés qui 
ne leur permettront pas de se réunir. Quand 
on est parvenu à donner des bornes fixes à l'au- 
torité du roi, comment pourroit-on craindre 
les entreprises des princes de sa maison? Sou» 
des rois qve votre constitution aura mis dans 
rheureuse impuissance d'abuser de leur pou- 
voir, les princes seront invités.par leurs pas- 
sions mêmes à n'avoir que des pensées de 
républicains. Ils jouiront de la liberté, ils eu 
cqnnoîtront le prix, et ne voudront pas sacri- 
fier un bien présent à l'espéiancc incertaine 
d'une suf^cession dont leur postérité même ne 
jouira peut-être jamais. 

Ou souhaiteroit encore, monsieur le Comte, 
que j eusse examiné qu'elle doit être la préroi 



Do,T«jhy Google 



$0a DU GOUVEKNEMENT 
gatîve du roi quand il commandera les armées , 
et comment on n'empêchera qa'ïl ne s'empare 
de toute la puissance militaire, dont il ne tar- 
dcroic pas à se servir ponr se mettre au-dessus 
des lois. J* aurai donc l'honneur de vous dire- 
qu'il scroii à propos qu'il ne prit le comman- 
dement de l'armée . que qiiand la Diète on te 
sénat l'cncbargeroic; et même on lui donncroit 
alors UD général qui commanderoît sous ses 
ordres. On pourroit encore gêner son ambiiion, 
en le faisant accompagtier par deux membres 
du conseil de guerre et du conseil des affaires 
étrangères, qui rcndroieni compte à leurs col- 
lègues des opérations militaires et politiques. 
Si vos troupes étoient composés de déserteurs 
«t dtf mercenaires ramassés au hasard, il fau» 
droit être sûr qu'incapables 6c s'intéresser 
;ta sort de la république , elles aime- 
roicnt autant lui faire la guerre qu'à ses enne- 
mis. Cependant ne craignez rien ; un loi qui 
ne sera le maître que de la garde de décoraùon 
que vous lui donnerez, ne tentera point de 
gagner la bienveillance de vos hiiliccs ; ou 
s'il est assez présomptueux pour le |entcr, le 
conseil de guerre sera toujours assez habile, 
pour tromper ses espérances. Mais si vos 
armées sont composées comme elles doivetit 



■ n,ailrPcilîyGt)C>»^le 



DE r o L o e H c; Sol 

rêtrc dans un .état libre , soyez persuadés qae 
le prince ne les débauchera jamais. Un roi qui 
n'a pas fait les officiers de ses troupes, et qui 
ne paye pas les soldats , n'acquiert point aisé- 
ment une autorité dangereuse, • 
Quels que soient les projets de réforme que 
méditent les Confédérés, ils doivent dès cç 
moment préparer les discours qu'ils pronon- 
ceront à la Diète, et dresser les édits qu'ils 
lui présenteront, pour qu'elle leur donne force 
de lois. Si vous négligez ce travail, rien ne 
sera prêt quand la paix entre la Porte et la 
Russie amènera le moment de rétablir l'ordre. 
Vous serez pris au dépourvu, comme les Sué- 
dois le furent à la mort iiT,attendue de Char- 
les XII. Les grands hommes qui vouloicnt 
établir chez eux un nouvel ordre de choses , 
n'avoient pas eu le temps d'achever If Ur ou- 
vrage- De-là vient que l'exccTlent gouverne- 
ment de la Suède a quelque peine à s'atfcrmir 
sur ses fondcmens. L'esprit ancien qu'on a 
négligé d'atcaqucr et de détruire , se défctid 
encore , et résiste aux. progrès du nouvcaLi 
génie que la nouvelle constitution doit faire 
naître. Oue les Confédérés, monsieur le Comte, 
ne- s'exposent point aux mêmes inconvéniens , 
en ne présentant à la Diète^u'une législation 



T:,o,i..(iby Google 



$0i DU OOUVKttNEM'EftT 
ébauchée. Voui seriez moins excusable que 
les Suédois. Leur roi fut tué dans le moment 
qu'on s'y attendblt le moins , et son âge lui 
permcttoît de vivre eocore plusieurs annécï. 
Xe temps presse, au contraire, les Polonais, 
Japaix doit dans peu succéder à la guerre; et 
si vous ne profitez pas du temps précieux qui 
vous reste pour achever l'ouvrage de vos lois , 
vous manquerez à ce que vous devez à votrft 
patrie et à votre gloire. 

Il faut même préparer dès aujourd'hui les 
esprits à la révolution que les Confédérés mé- 
ditent. Vous sentez, monsieur le comte, que 
cette préparation tient à mille détails dont il 
est impossible qu'un étranger qui ne connoît 
que très-imparfaitement vos mœurs et vos 
usages patticuliers , parle avec une certaine! 
justesse. Tout ce que je puis dire, c'est que 
dans ce moment on ne doit rien négliger pour 
faire Comprendre à vos compatriotes que leurs 
malheurs tiennent à la grossièreté de leurs lois, 
et qu'ils ne deviendront heureux qu'en les 
réformant. Ménagez-vous la confiance et l'a- 
mitié des gentilshommes qui ont le plus de 
crédit dans leur palatinat. Plus on s'appro- 
■ chera de cette paix qui permettra^ enfin' de 
convoquer une Diète libre, plus vous dever 



Do,T«Jhy Google 



DE POLOGNE. Sc5 

redoubler vos efforts pour que les DîéiineS 
choisissent des nonces qui vous soient agréa-? 
bics. S'il est d'usage dans ces assemblées de 
nommer des comités pour étudier plus parti- 
culièrement les affaires et en dresser le rapport, 
il est de la plus grande importance de vous 
attacher ces commissaires. Si les comités sont 
inconnus parmi vous , il faut dès aujourd'hui 
en préparer l'établissement, et au moment de 
la paix il sera facile aux Confédérés de Bar dé 
s'Emparer de la principale autorité , et de diri- 
ger la Diète. 

Toute leur conduite , qu'on me permette 
cette expression, doit être une négociati(jn 
continuelle. Il faut ne rien oublier pour calmer 
les haîncs , les jalousies et les rivalités qui dé- 
chirent la république , et concilier les intérêts 
de vos grandes maisons. Par une conduite juste 
et modérée , il faut inviter vos ennemis à vous 
moins haïr, et leur faire croire que vous avez 
oublié les Injures et les torts qu'ils vous ont 
faits. En augmentant vos forces, votre crédit 
etvotre considération , il faut inviter ces Con- 
fédéré* timides et secrets qui n'osent encore se 
montrer et ne font que des vCeux pour vous , à 
se déclarer ouvertement vos amis. Je ne puis 
m'empêcher de vous le dire , monsieur le 



no,-7«jhyGt)C>»^le 



3o4 DO CODVE&NEMEHT 

contic , je vois dans lai Confédération tioe 
sorte d'ioactîon , de moicsse , de lenteur, qui 
D>st propre ni à vous faire craindre tle vos 
ennemis, ni à inspirer àt la conBance à vos 
amis. A force d'aUcodrc des circonstances plus 
favorables pour agir , craignez quelles n'ar- 
rivent jamais ; c'est en agissant qu'il faut les 
faire naître. Pour mieux expliquer ma pensée , 
je vais terminer cet éclaircissement par quel- 
ques remarques sur les négociations que je 
croirois nécessaire d'cntamei: avec les puissan- 
ces étrangères. 



Dpi ..ci hy Google 



: O L O G M E. 



CHAPITRE Vl. 

Des nègociatiom que les Confédérés doivent en- 
tamer dans les cours étrangères. Avantages qui 
en résulteront pour les Confédérés^ 

■ \JjiEi.QU^ mal que la Porte fasse la guerre , 
c'est cependant, dans les conjectures pré- 
sentes, la puissance sur laquelle la Pologne 
doit le plus compter. Elle s'est ouvertement 
déclarée en, votre faveur , et sans elle vous 
seriez aujourd'hui opprimés par les forces 
réunies de la Russie. Plus cette diversion vous 
est nécessaire , plus on a raison d'être étonné 
que vous n'aytz pas un ministre à Constanti- 
nople pour veiller à vos intérêts. Ne savci- 
vous pas combien le divan est peu instruit 
des affaires de la chrétienté; combien on le 
Wompe par de fausses relations , et que lin- 
triguc et la corruption décident de sa poli- 
tique ? L'Europe , qui a ses raisons pour aimer 
la paix , ne demande qu'à oublier la Pologne ; . 
elles Confédérés , il faut l'avouer, secondent 
cette indiiFérence ; en ne songeant pas assez à 
faire du salut de leur patrie l'affaire générale 
. Mably. Tome VIII. V 



Dpi ..ci hy Google 



5o6 DU COUVEnNE\(INT 

de tous les étais'. Cette conduite trop indolente 
de leur part diminue leur Liédit; et puisqu'ils 
paroisscnt s'oublier euTt-mêmes , je craindrcis 
que tout le monde ne fiuît par les oublier. Je 
voudrois que la Conrédération parût toujours ' 
agissante, pour dounsr plus d'inquiétude à 
ceux de vos compatriotes qui trahissent leur 
patrie, et plus. de confiance à ceux qui vous 
aiment secrètement , et n'osent se montrer. On 
s'accoutDmera à la regarder comme exilée en 
Hongtie : et de jour en jour, monsieur le 
Comte, on sera moins empressé à vous donner 
des secours, parce qu'on craindra de vous 
servir inutilement. Quoi qu'il en soit , il est 
question de réparer le passé , et d'examiner ce 
que vous devez entreprendre, et ce que vous 
pouvez raisonnablement espérer des étrangers. 
Rien n'est plus pressé , rien n'est plus im- 
portant que de faire tous vos efforts pour 
empêcher que le grand-seigneur n« ^e prête 
aux conditions de paix qu'on lui propose. Il 
faut sans cesse lui représenter que ses armées, 
dégradées par une paix de trente ans et con- 
traire à tous les principes que doit avjjir une 
puissance despotique , ont besoin d'une longue 
gucire pour recouvrer leur courage , leur dis- 
cipline cï leur réputation. Dites que la Russie 



Do,T«jhy Google 



fit .ï OL O G N I. 3o7 

s'épuise , dérange ses finances , .perd ses 
meilleures troupes .-et qii*onIa vaincra enfin, 
ït on a conti'eUe la patience magnanime 
que le czarPiçrre premier opposaà Charles XII, 
et qui lui donna la victoire à PuUava. It faut 
ajouter qu'une paix, honteuse n'a jamais fait 
le salut d'un état , parce que Titijustice des 
hommes est telle, qu'on abuse toujours de 
sa supériorité sur un ennemi qui s'est fait mé- 
priser. Dans les plus grands malheurs , une 
grande puissance qui ne veut pas s'avilir cl 
s'accoutumer à sa honte , c'est-à-dire , pré- 
parer sa ruine . ne doit songer à la paix que 
quand cUc a faii assez long-temps la guçrrc 
pour rendre à ses soldats leur courage et 
leur discipline , développer des talens dans 
ses généraux , et qu'elle a enfin fctabli sa 
réputation par quelqu'avantage qui lui donne 
l'envie et l'espérance de se venger. La Porte 
a de grands trésors ; que né tente-t-clle donc 
" la fidélité des généraux Russes par les mêmes 
moyens qui ont si souvent réussi auprès des 
visirs et des bâchas*? On diroit que le divan 
n'ose ou ne sait pas penser ; c'est aux Confé- 
dérés a penser pour lui , et de vous servir 
de son stupide orgueil, pour réveiller ses 
autres passions , et les porter à faire les 
Va 



Dpi ..ci hy Google 



3o8 DU GOUVERNEMENT 

entreprises qui vous seront les plus utiles. 
Un article cssejiticl ^t capital dans cette 
négociation , doit être d'obtenir des secours 
en argent, qui vous mettent en étal d'aug- 
menter vos forces en Pologne ; car je vois 
avec beaucoup de chagrin que la Confédé- 
ration ne puisse pas tenir en sûreté son con- 

, seil dans un de vos paîalinats. Quclqu'igno- 
rans que soient les Turcs , il est impossible 
qu'ils ne comprennent pas combien il leur 
importe que vous lassiez en leur faveur une 
diversion puissante , et qui forceroit la 
Russie à rappeler dans ves provinces une 
partie des corps qui leur font la guerre. Si 
ces demandes sont d'abord rejetées , il ne 
faut pas se rebuter •: on est bien fort quand' 
on propose à la puissance , même la plus des- 
potique et la plus aveugle , des choses qui 
lui sont véritablement utiles'. A force dcpré- 
«cnter u,n objet sous différentes faces et avec 
des motifs nouveaux , bpns ou mauvais , il 
n'importe , on parvient enfin à persuader ces 
cours, où tout se décide par des intrigues 
et des intérêts particuliers. Rien n'y est fixe ; 
tout change continuellement de situation; et 

, tandis qu'on ne daigne pas vous écouter, il se 
préparc déjà de nouvelles circonstances qui 
yqus feront rechercher. 



*Do,T«jhyGoogle - 



DE POLOGNE. Sog 

Si les Confédérés obtenoient des subsides 
de la Porte , ce scroit une preuve qu'elle n'est 
point abattue par ses disgrâces , et veut con- 
tinuer la guerre. Vo^re réputation augmentc- 
roit , ce qui est de la plus grande importance ; 
et V0U9 verriez que les Polonais , qui craignent 
la Russie , qui se défient des Turcs , et qui , 
ne sachant quel sera enBn le sort de la Con- 
fédération , n'osent se déclarer, scroicnt plus 
'hardis. Si \os troupes étoicnt mieux payées , 
il vous seroit vraisemblablement aisé d'éta- 
blir une discipline plus régulière. Elles se 
fcToIent craindre davantage des Russes , et 
moins de vos citoyens ^ sur lesquels elles exer- 
cent , dit-on , quelquefois des violences qui 
peuvent rendre oditux le pouvoir qui Ifcs 
emploie. Tout ce qui esl utile aux Confé- 
dérés , devient avan tageux pour la Porte ; c'est 
sur ce principe que doit être établie la négo- 
ciation qiit je propose. Quelques Polonais , 
monsieur le Comte , voudroient que les sub- 
sides du grand-seigneut vous missent en état 
de lever un corps de troupes assez considé- 
rable pour faire quelqu'încursion dans les pro- 
vinces' de Russie. Cette puissance si nère 
d'avoirune escadre dans la Méditerranée, per- 
drait , disent-ils , unC partie, de sa réputa- 
V 3 



no,-7«jhyGt)C>'^le 



3lO DU C O U V E R y E M E N T 

Ucion , parce que la vôtre augmcnteroit ; et 
voyant son <CTritoirc ouvert à vos armes, ne 
prétcndroitp'lus dicter imporicuscment l^s con- 
ditions de la paix. Mais qu'arrivcroit-il , si par 
hasaid les cvénemcnsnc répondotent pas à vos 
espérances ? La Porte croiroil qne vous l'avez 
trompée ; et indignée d'avoir été votre dupe , 
clic n'auroit plus pour vous les sentimens d'un 
allié fidcllc et constant, je puis être dans 
l'erreur ; mats il me semble que pour affermir 
une alliance , il ne faut promettre à son allié 
que ce qu'gn geut vraisemblablement, exé- 
cuter. Or , je le demande , ne seroit-il pas 
imprudent d'opposer à la discipline scrvile et 
'" machinale des Russes , des soldats nouvel- 
lement levés , qui ne savent ni obéir ni mar- 
cher ensemble? La petite guerre dnit être la 
guerre des Confédérés; que leurs soldats par- 
tagés en pelotons ne soient nulle pan , se poi- 
tent"ct se fassent craindre par-tout par leurs 
surprises : craignez de formeruncorps d'atmce 
dont la défaite vous laisseroit peut-ètrC sans, 
ressource. 

La cour de Berlin est la seule de l'Europe 
où'vous êtes excusables de n'avoir pas négocié. ' 
Si l'indépendance de la Pologne entroîl d^ns 
le syatèuie du roi de Prusse , il n'auroit pas 
manqué de vous en instruire. Puisqu'il ne vou & 



no,-7«jhyGt)t>»^le 



DE POLOGNE. 3ll 

a point prévenus , quels auroicnt été le (ruit 
et l'objet de vos négociations ? Ce prince, 
peut-être plus habile politique encore que 
grand capitaine , à calculé ses intérêts , et 
sait d'avance la conduite qu'il doit tenir, soît 
que la fortune conserve ou change la situation 
présente de l'Europe., On ne peut se flatter 
ni de réblouir ni'df le tromper ,, parce qu'il 
CSC lui seul son conseil , el qu<ï l'intrigue 
bornée dans sa cour , comme elle doit l'être, 
à des objets minutieux , n'ose point s'élever 
jusqu'à lui. 

Dans unç guerre QÙ les aroiis de la reli- 
gion catholique sont attaqués et cogipromis , 
il me semble cjuc vous ne pouvez vous dis- 
penser d'avoir un ministre à Rome ; c'est par- 
là que vous auriez dià commencer. Je sais quç 
celte cour ii'csc plus ce qu'elle aȎtc autre- 
fQ,is : elle n'a aucune influence dans les affaires 
de l'Europe - elle , obéit au contraire à des 
impressions étrangères , et pour étayer un 
pouvoir en décadence , c'est aux vertus de 
l'évangile et non aux ressorts de ce qu'on ap- 
pelle la politique , qu'il faut avoir recours ; 
enfin il n!est plus temps de publier des bulles 
et de prêcher .des croisades pour venir au se- 
cours de la religion. Aussi ne prétendez pas 
' V 4 



Dpi ..ci hy Google 



^13 DU GOUVERNEMENT 

que le ministre de la C on fédéra tion supplie 
le S. Père d'ordonner aux princes de sa com- 
munion de se déclarer contre les diaidcns de 
Pologne et contre les puissances qui les pro- 
tègent ; mais il auroit pu vous ménager la 
faveur du saint-iiége. Si vous l'aviez recher- 
chée, avjc empressement , il efli été bien diffi- 
cile que le pape n'eût pas donné aux Confé- 
dérés quelque marque d'estime, de bienveillance 
et de protection ; et vous, monsieur le Comte , 
qui conaoissez mieux que personne tout le 
crédit et toiu le pouvoir qu'il conserve dans 
"votre religieuse patrie", vous jugerez mieux 
que tout autre quel immense avantage les 
Confédérés en auroient tiré. 

Là négligence des Confédérés a donné le 
temps à vos ennemis de négocier à Rome ; 
et heureusement pour vous le nonce aposto- 
lique a été plus habile et plus courageux qac 
son. maître. Après avoir obtenu par les solli- 
citations de vos amis qu'il ne seroit point 
rappelé, il est temps que vous agissiez par 
vous-mêmes. Mais notre minisire , ,m'ont dit 
ici plusieurs Polonais', ne sera pas reçu avec 
la dignitcTronvenablcà son caractère. Qu'im- 
porte ! les grandes affaires tiennent-elles , je 
vpus prie , à ccç petites forpiaUtés d'étiquette ? 



no,-7«jhyGt)C>»^le 



DE POLOGNE. 3l5 

D'ailleurs , j'oserois vons répondre , d'aptes 
les lumières que vous m'avez communiquées , 
qu'il sera secondé dans toutes ses démarches 
par les ministres de la maison de Bourbon. 
Après vous avoir concilié l'amitié du grand 
Turc , pourquoi ne vous concilieroît-on pas 
celle du S. Père ? Si votre agent est , comme 
il doit l'être , homme de qualité , on-auia 
sans dôme pour lui les égards dus ^ sa nais- 
sance et à son rang, Mais , ajoutoit-on , il ne 
pourra pas faire une dépense convenable à 
sa dignité. Tant mieux ; ses demandes en 
auront plus de poids , et l'on jugera qu'il' 
donne aujc'besoins de sa pairie ce qu'il re- 
fuse à son luxe. Les catholiques de Pologne 
sauront que vous négocici à Rome ; et cela 
seul , quand vous n'oblienclricz presque rien, 
ne laisseroit pas de donner beaucoup de con- 
sidération aux Confédéré» ; parce qu'on es- 
pérera qu'ils obtiendront davantage. Le nonce 
du saint - siège , qui se sentira souteftu par 
, vos négociations , agira avec plus de zèle à 
Varsovie. Son exemple décidera de -la con- 
duite du clergé , et les confédérés n'ignorent 
pas quel est son crédit. Quelques-uns de vos 
prélats qui n'osent prendre auctiu parti, ou 
qui eti changent tous les jours, oseront ne 



D,o,l..cihyGtK>gle 



3l4 eu GOUVERNE M F. NT 

plus blâmer le cour.-^gê de rtvcquc de Cracovic, 
et s'associer même aux vues notHcs , grandes 
et patriotiques de l'évê.|uc,de Caminicck : alors 
clianoincs ^ curés , moines , tout pariera en 
votre faveur. 

Quoiqu'il soit presque certain que vous ne 
réussirez pas à obtenir aujourd'hui les se- 
cours dont vous avez besoin , il n'est pas 
moins vrai qu'il faut tâcher d'intéresser toute 
l'Europe en votre faveur. Il n'y a aucune 
des puissances qui ne peuvent profiter de 
votre foiblessc pour s'agrandir ,^ui pour son 
honneur ne doive au moins vous consoler 
et vous montrer des égards. On vous fera 
(Tes promesses , et elles serviront dès aujour- 
d'hui à entretenir le courage de vos amis, 
qui , pcut-ètie lassés de ce qu'ils souffrent , 
vous abandonneront si la Confédération ncleur 
donne pas au moins des espérances. Agissez 
sans cesse dans toutes les cours; cette con- 
duite inquiétera vos enncm.is et partagera leur 
attention. Enfin le moment de la paix viendra, 
et vous vous serez fait des médiateurs qui 
s'intéresseront à vos affaires , et favoriseront 
en Pologne les réformes que méditent les 
Confédérés. 

Par exemple , je voudrois qne vous çussicï 



Do,T«jhy Google 



DE POLOGNE. 3l5 

à Londres un miiîistre qui son Icroit les 
dispoiitions de la cour; cl s'il n'en pouvoit 
rien attendre , ce qui n'est que trop vrai- 
3cnibl.i.blc dans les tirconstances prcscnips , 
il sff lieroit seciètemcnt avec le parti de 
l'opposiiion. On prouveroit que l'alliance ou 
la liaison, de l'Anglctcvrc avec la Russie 
contre la Porte , est contraire à l'ancienne 
et sagQ politique des Anglais , qui , dans tous 
les traités d'alliance défciisive qu'ils ont con- 
clus jusqu'à présent avec. les conrs de Pé- 
tersbourg et de Vienne , ont formellement 
stipulé qu'ils ne leur donnetoicntaucun secours 
contre les Turcs. On ferait voir , et rien n'est 
plus vrai, que le comnacrcc des Echelles -du 
Levant est plus avantageux à l'Angleterre qne 
celui de la Livonic , de Pciersbourg et 
•d'Arcbangcl , et que par conséquent il n'est 
pas».' sage d'indisposer la Porte pour obliger 
la Russie. Pourquoi le parti de l'opposition, 
qui ne cherche que des moyens de rendre le 
ministère odieux ou ridicule pour le perdre 
et s'élever sur ses ruines 7 ne fcroit-il pas 
valoir ses raisons importantes ? L'incérct qu'il 
prendrolt à vos affaires , et les débats du 
parlement si2r votre indépendance, vous (|on- 
Qcroiciit une sorte de considération en £u- 



. n,o,i7PcihyGt)t)^le 



3l6 DU GOUVERNEMENT 

TOpe , et ccrtaincraeilt chagrincroicnl vos en- 
nemis. Pourquoi ne croiroit-on pas a Londres 
qu'il est indigne de la dignité du peuple anglais 
de contribuer à l'oppression d'un peuple 
libre ? En Etattant l'orgueil de l'Angletcîre , 
on peut la pousser plus loin qu'elle ne vou- 
droit aller. Puisqu'elle a pensé que 'rien n'est 
plus be^u pour elle que de maintenir , con- 
server ei protéger l'équilibre des puissances 
dans le midi de l'Europe , pourquoi ne croiroit- 
elle pas qu'il manque quelque chose à sa gloire, 
et qu'elle doit jouer le même rôle dans le 
Nord ? Un négociatear qui met enjeu les pas- 
sions , est bien plus sûr de réussir que celui 
qui ne veut parler qu'à la raison. Si le parti 
de l'opposition cmbrassoit vos fntcrèts , le 
crédit des Confédérés augmentcroic en Po- 
logne. S il prenoit le dessus et s'emparoit du 
rainistÈTC , vous vous seriez fait des amis puîs- 
- sans. Peut-être que les circonstances ne per- 
mettront pas à ce nouveau ministère de vous 
servir après sa fortune, avec le même zèle qu'il-- 
vous scrvolt auparavant, maïs il n'oseroit pas 
du moins abandonner ouvertement vos intérêts 
et seconder la Russie, 

Il me semble , monsieur le Cqmte , que 
lien n'cstpirepourvos affaires, que cette espèce 



D0,T«JhyGt)Ogle 



nE POLOGNE. 3l7 

d'inacùon à taquelic paroissent s'abandonner 
les chefs de la Coiifidéraiion. J'espère quîls 
me pardonneront , ouplùtôlje suis sûr qu'ils 
aimerontla liberté avec laquelle je m'exprime. 
On a trop l'air de se tenir sur la défensive cl 
de ne prendre aucun pani. Il faut voir , notis 
verrons^ il faut allendre- , il viendra d'autres 
circonstances ; avec ces beaux, mots qui imitent 
la prudence i on laisse la fortune maîtresse de 
tout. Ne craignez pas de faire des démarches 
inmiks : qu'il en réussisse une , ei vous serei 
dédommagés de vos peines : les politiques les 
plus heureux ont presque toujours été ceux qui- 
ont multiplié les moyens de réussir ; rien n'est 
plus fâcheux que de n'avoir, comme on dit, 
qu'wne corde à un art. /Comptez jusqu'à un 
certain point sur la manière dont on traite 
la politique en Europe ; mais qui vous répondra 
que la négociation qui raisonnablement de- 
voit laisser le moins d'espérance, ne sera pas 
celle qui réussira le mieux? Il yatant de ha- 
sards dans les affaires de ce monde ; elles sont 
subordonnéesà tant d'intrigues, d'intcrêts par- 
ticuliers et de passions qui se contrarient et se 
succèdent perpétuellement ; elles sont ma- 
niées par des hommes quelqueffois si igno- 
rans et quelquefois si pervers , qu'on échoue 



Dioii ..ci hy Google 



SlS DU GOUVEHNEMENT 

presque "aussi souvent dans des négociation» 
raisonnables, qu'on réussit par des préten- 
tions et des demandes insensées. 

J'ai dit dans mon mémoire que le Danc- 
marck a un intérêt particulier de désirer l'a- 
baissement de la Russie ; et il seroit inutile 
de répéter-ici les motifs qu'il aura de n'être 
point tranquille tant que l'ambition d'un czar 
de la maison de Holsteîn ne sera pas réprimée. 
Si la cour de Copenhague étoit sûre que la 
guerre des Turcs vous rétabUia dans tous 
vos droits, elle oscroit peut-être se déclarer 
en votre faveur , ou du moins elle ne ba- 
Janccroitpas à vous donner des secours secrets. 
Cette négociation demande beaucoup d'art 
et de sagesse; car avec une puissance' qui 
craint de' se compromettre, il faut bien se 
garder de lui faire des propositions trop har- 
dies ; elles ne serviroient qu'à l'intimider da- 
vantage. Votre ministre , si vous. m'en croyez , 
4oit paroître d'abord ne traiter que l'afFaîtc 
des dissidens , et se contenter des bons offices 
du roi de Danemarck auprès du roi de Prusse 
et de l'impératrice tic Russie. En peignant 
les malheurs de votre _patris , vous serie'z eu 
étaf de juger de la manière dont le ministère 
(le Copenhague es: affecté à cet égatd. Vous 



Do,T«jhy Google 



ne POLOGNE. . 3i9 
marclicviez pas à pas. Vous parleriez de l'équi- 
libfe du midi de l'Europe , pour avoir oc- 
casion de parler de celui qu'il scroit à sou- 
haiter d'établir dans le Nord, Vous ferez sentit 
les suites fâcheuses de rasscrvisseinent dé 
la Pologne , et combien il importe à tout le 
Nord qu'elle pût sortir de son anarchie et 
former une tavrière contre la Russie. Vous 
voyez , monsieur le Comte , que vous vous 
insinueriez par cette marche dans l'esprit du 
■ ministère danois ; peu à peu vous le pré- 
parericïà vous écouter avec plus de confiance, 
et cette confiance, plus ou moins grande, vous 
mettra a portée de vous exprimer avec moins 
de circonspection. Vous n'obtiendrez pas sans 
doute des sccaurs dans ce moment; maïs vous 
vous serez fait un amî qui vous servira avec 
zçle quand il faudra travailler 'à la réforme 
de votre gouvernement : c'est le point capital 
de vos négociations , et vous ne devez jamais 
le perdre de vue,' 

La Suède vous offre moins de difficultés; 
vous trouverez dtfs amis dans le parti des 
.. chappeaux dévoués à la France et ennemis de 
la Russie. Si vous agissez en votre nom , il 
est-vraisemblable que vous n'obtiendrez rien; 
pour le bien de son gouvernement, il Itiî 



Do,T«jhy Google 



320 DU GOUVERNEMENT 

importe d'entretenir la paix, et ses finance» 
d'ailleurs ne lui permettent pas de faire la 
guerre. Mais pourquoi ne vous feriez -vous 
pas ses agens auprès de la Porte ? Les Turcs 
sont si stupides , qu'ils ont peut-être oublié 
leurs anciennes liafcons avec la Suède , et 
ignorent qu'elle est leur alliée naturelle. Je 
voudrois donc que votre ministre à Constan- 
linoplc rappelât ces vieilles idées au divaii. 
Apprenez à cette' puissance que les ckappeuux , 
qui ont le plus grand crédit dans l'adminis- 
tration de leur république , ne demandent 
pas mieux que de faire la guerre à la Russie ; 

, mais que les embarras d'un gouvernement 
nouveau , auquel tous les esprits ne sont pas 
encore accoutumés , les empêchent de mettre 
un certain ordre dans leurs finances , arrêtent 
leur courage et retardent leur vengeance. 

. Calculez ce qu'il en coùtcroît pour faire deux, 
ou trois campagnes en Finlande et armer 
une escadre dans la Baltique ; n'oubfiez rien 
pour fqire goûter ce projet dux ministres du 
grand - seigneur ; plus cette diversion seroit 
fâcheuse ponr la Russit , plus vous devez 
étudier les moyens nécessaires pour la faire 
entreprendre. * 

Mais , monsieur le Comte , il me semble 
, avoir 



, Do,T«jhyGoogle 



DE POLOGNE. 3ai' 

tivoif eu riionncur.de vous entendre dire que 
l'ambassadeur d'Espagne à la cour de France. 
M. le comte de Fuentès , n'étoît_ pas insen~ 
sîbic à la situation de votre patrie. Il faudroit 
profiter (3e cette oiivcrture pour négocier à 
Madrid. J'insiste là-dessus, et je vous învi- 
térois volontiers à négocier dans toute la 
tCrrt; car il vous importe de paroîtrc tou- 
jours agissans , et de faire connoîtrc à tout 
le monde la justice de votre cguse^ Plus vous 
agirez, plus vous sentirez augmenter votre 
ardeur , et par les espérances qy'on vous lais- 
ieira entrevoir , et par les obstacles même 
que vous rencontrerez. Vous trouverez en 
v'ous-mêuies des ressources auxquelles vous 
n'auriez jamais pensé dans l'inaction. Que 
vous en coûteroit-il d'envoyer un ministre à 
la cour d'Espagnfe ? Nos amis, direz -vous, 
pourroicnt ne pas approuver celte déniarchc. 
Mais je prendrai la liberté de vous répondre 
qu'il faut se garder de' trop dépendre de ses 
amis : c'est quelquefois les inviter à prendre 
trop le ton de prolecteurs. Ne les consultez 
point sur IcS projets que vous croirez utiles 
à vos affaires. Quelques-unS de ces alliés vous 
en détourncroient , parce qu'ils craîndroicnt 
que \ous ne les jetassiez dans quelque cm- 
Mably. Tomt Vlll, , X 



Do,^«JhyGtX>gle 



Ssa DOCOUVÏRUBMENT 

barras; et les autres, parce qu'ils voudrôîent 
par vanité que vohs ne dussiez qu'à eux seul» 
votre salut. ' . 

Votre ministre prouvera au conseil de 
Madrid qu'il doit voir avec inquiétude les 
Russes dans la Méditerranée ; que la Russie , 
ennemie de la France par les alliances qu'elle 
a contractées avec ses ennemis naturels, a 
envoyé des troupes jusqucs sur le Rhin , etquHl 
importe à tous les princes du Midi de ren- 
fermer cette puissance dans les limites do 
Nord. L'Espagne n'a pas perdu le souvenir 
du rôle qu'elle a fait autrefois dans l'Europe :• 
elle sera flattée que vous ayez recours à elle. 
Dites-lui que les liens qui l'unissent. étroite- 
ment à la France, sont un motif pour vous 
accorder la même bienveillance que la cour 
de Versailles vous montre. Faîtes voir qa'e.U 
France , qui est votre alliée naturelle , vous 
protège , parce qu'il est de son intérêt de 
vous voit dans une situation henreusc dont 
elle pourra profiter. Représentez que l'Es- 
pagne, qui ne peut attendre pour elle-même 
aucun secours de la* Pologne , doit avoir 
cependant la même politique , puisque U 
maison d'Autriche est trés-puissante en Italie, 
et que la coui de Madrid y doit protéger le 



Dioil ..ci hy Google 



DE POLOGNE. 323 

roi de Napics et le duc de Parme. Vons 
obtiendrez sûrement les mêmes sccoqts qae 
vous avez obtenus de la France, -et il est 
vraisemblable qu'ils seront plus abondans. 
En un mot , monsieur le Comte , car je' suis 
pressé d'en venir à ce qui regarde la cour 
de Vienhe , il n'y a point de puissance à 
laquelle les Confédérés ne doivent s'adresser. 
Limportance de l'objet servira d'excuse à ce 
refrain éternel doitt je vous rebats les oreiUes. 
Si CCS négociations ne vouS procurent dans 
ce moment aucun des secours dont vous avez 
besoin , soyez sûr qu'elles donneront de la 
réputation aux Confédérés ; vous ranimerez 
■ la confiance de vos .compatriotes , et aurez 
des amis qui seconderont la reforme' que 
qnc vous voulez fjire dans votre gouverne- 
ment. 

La maison d'Autriche mérite certaine- 
ment , et par le bien et par le mal qu'elle 
peut vous faire , que vous apportiez une at- 
tention extrême à toutes ses démarches , et 
que vous tâchiez de pénétrer ses intentions. 
Jusqu'à présent ly , ministre que vous tenez 
à Vienne n'a rien pu découvrir de certain. 
Toute la conduite du conseil impérial est 
équivoque. Il semble en quelque sorte ne 
' X 3 



Do,T«jhy Google 



S34 nu GOUVEllNEMENT 

plus tenir à son ancienne alliance avec la 
Russie; car il ne Talde pas, et cependanT on 
diroit qu'il craint de se compromettre avec 
cette puissance, Que pcnsc-t-il des désastres 
' de la Porte ? Croit-il que l'amitié des Russes 
lui sera désormais moins .nécessaire ponr 
contenir les Turcs, autrefois si redoutables. 
Mais la cour de Vienne est trop cLiairée pour 
ne pas connoîuc les jeux de !a fortune , et 
que la foicc succède quelquefois à la foi- 
blcEse , comme la foiblcsse succède qucU 
quefuis à la force. Veut-elle profiter de ces 
circonstances pour recouvrer Belgrade ? Veut- 
elle laisser à la czarine la gloire de triompher 
seule des ^Turcs ? Que signifient ces armées 
qu'on assemble en Hongrie , et qu'on ne 
fait pas agir ? Quelles prt^iositions fait-on à 
Constantinopie ? Quelles sont ses relations 
avec la cour de Berlin ? De quel ceil voit-on 
la Pologne ? On refuse de traiter avec le 
ministre de la Confédération , mais on donne 
un asyle lu conseil des Confédérés. Ce sont- 
là , je l'avoue, autant d'énigmes que je ne 
me -flatte point de pouvoir expliquer. On 
seroit tente de croire qu'il y a à Vienne deux 
esprits, deux mobiles politiques, dorit l'un 
invite à agir, et l'autre retient dans le repos. 



Dioii ..ci hy Google 



DE P O L O G N>E. S î5 

Peut-être que ccitc cour , toujours attachée 
aux principes d'une politiqu* lente et me- 
surée , ne s'est point encore fait de systêinc 
certain relativement aux troubles qui agitent 
la Pologne. On ne veut pas favoriser les 
projets de la Russie, parce qu'on prévoit 
qu'elle ne peut 'établir son empire sur les 
Polonais et s'approcher ainsi de rAllcmagne, 
sans en devenir rcnncmié, de même (Jue de 
la maison impériale. On ne -se déclare point 
contre les Turcs, parce que leur conduite les 
rend méprisables dans ce moment , et que 
leur guerre cependant affoibîit insensiblement 
les forces de la cour de Pétersbourg, et re- 
tarde^ les succès de son ambition. On diroit 
que le conseil de Vienne attend des circons- 
tances on des événemcns que je ne devine 
point, pour combiner avec plus de précision 
et de sûreté les projets qu'il médite en secret, 
ou pour manifester avec moina de danger ceux 
qu'il a déjà formés. 

Quoi qu'if en soit, c'est dans le moment 
où il délibère encore, qu'il est important pour 
les Co^lfédérés de tenter et de nouer ime 
négociation. Quand cette puissance aura fait 
un pas en avant, et peut -être contraire à 
vos intérêts , il sera plus difficile, et je diroit 
X 3 



Do,T«JhyGtK>gle 



Ssô DO GOUVERNEMENT' 

presque impossible de la ramener où voiîs 
voulez. Je Bcns à merveille qu'elle met un 
grand prix à cet air de mystère et d'incerti- 
tude qu'elle affecte , et que vou5 Quêtes pas 
dans une posture assez avantageuse pour de- 
mander une réponse cathégorique et la forcer 
à s'expliquer. Ce que vous ne pouvez pas 
exiger par la crainte , il faut l'obtenir par la 
voie conciliatrice de la donccur et des bien- 
faits ; et ce seroit ici le temps , monsieur le 
Comte , d'ea venir à l'exécution du projet 
détaillé dans mon mémoire au sujet de votre 
couronne , c'est-à-dire , de l'offrir an duc de 
Saxc-Teschen ou à un archiduc. Si ce projet 
est agréé par la cour de Vienne , non-seu!c-^ 
-ment vous échapperez au joug de la Russie, 
mais la Confédération recevra dés aujourd'hui 
des iccours abondans , pourra exécuter sa . 
réforme , et forcera tous ses ennemis à n'y 
mettre aucun obstacle. 

~ Si vous proposez vous-mêmes vos vues, 
je crains qu'on n'y fasse aucune attention, 
ou qu'on ne les rejette même comme un pro- 
jet chimérique ; et voici les raisons qui rac 
font penser de la sorte. On croira que vous 
offrez ce qu'il n'est pas en votre pouvoir de 
donaci , et l'on craindroit de s'engager dan a 



Dpi ..ci hy Google 



Dl POLOGNE.. 3a7 

une entreprise qui paroîtrolt peut-être dan- 
gerense pour toute l'Europe, et seroit vrai- 
semblablement accompagnée de beaucoup de 
troubles en Pologne. La Confédération est 
pouf ainsi dire exilée à Epcrici, n'ayant point 
assez de force pour être sans danger dans un 
de vos palatinats ; comment, vous objectc- 
ra-t-on , ose-t-cUc disposer de la couronne ? 
comment est-elle sûre qu'aucun gentilhomme 
ne prononcera le veto ? Vous aurez beau dire 
qu'elle est plus forte qir'on ne croît , que vouj 
avez dei amis qui sont Confédérés dans le 
cœur , ' et qui n'alfendent qu'une occasion 
favorable pour se déclarer , on ne comptera 
pas SUT des amis circonspecti qui n'ont pas 
le courage de s'associer à votre fortune. On 
jugera que puisqu'ils ne veulent rîen hasar- 
der en faveur de la patrie , il seroit impru- 
dent de hasarder quelque chose pour eux. 
D'ailleurs, en supposant qu'on vous écoute, 
on vous chicanera sur la prérogative royale. 
On ne sera point content des retranchemens 
qi]e vous vous proposez de faire dans la pré- 
rogative royale, c'est-à-dire, qu'on vous em- 
pêchera de pourvoir efficacement à votre 
sûreté ; et parce qu'on sera maître de votre 
X 4 



D,o,l..(iby Google 



3^8 D D G O U V E B X E M E ,N T 

secret , on vous contraindra de souscrire k 
toutes les propositions qu'on vous fera. 

Dans ccue extrémité fâcheuse, comment 
les Confédérés peuvcni-ils donc donner quel- 
que poids à leurs propositions et se faire 
entendre ? Il me semble que vous pourriez y 
réussir par le canal ou la médiation de la 
France ; et puisque vous exigez , monsieur 
le Comte , que je vous fasse part de toutes 
les idées qui me passent par la tête , voici 
quelle est la négociation dont je voudrois que 
' vous fussiez chargé par vos commcttans. 

Vous exposeriez dans un mémoire , que 
vos compatriotes ne se sont d'abord confé- 
dérés que pour se soustraire au joug de Ja 
Russie, et rendre à leur -patrie son indépen- 
dance; mais qu'éclairés enfin par rexpérience 
de cette longue suite de malheurs qiie la Po- 
logne a éprouvés dans son anarchie, ils. ne 
se contenloicni plus de vouloir recouvrer 
tine liberté toujours incertaine ,, toujours ora- 
geuse, et qu'ils vouloicnt l'affermir solide- 
ment , en laissant à leurs enfans une nouvelle 
constitution qui Ici mettroit en état de vivre 
heureux. Ne vous bornant point à exposer 
les vues générales que vous vous proposez, 
votis cnttcriçz sans aucun déguisement dans 



;:,o,i .ici hy Google 



DE POI.OGNE. Sag 

un détail circonstancié des lois et 4,68 lèglc- 
jnens que vous méditez au sujet du roi , du 
jéaat , -des ministres , des coostils , de Ut 
Jiièle générale et des Diétincs. Vous démon- 
Xreriez ensuite tous les avantages qui doivepc 
nécessairement résulter d'une pareille rçformc. 
On cammenccroit enfin à voir un ordre cons- 
tant dans un paya où tout gentilhomme n'a 
connu d'.autre règle de ses devoirs que ses 
faprices et ses passions. Vos magistrats n'au- 
roient plus nne autorité dont il leur est im- 
possible aujourd'hui de se servir. Vos finances 
seroient soumises à un^ règle et à un ordre 
constans, et vous mettroient enfin à portés 
de subvenir à tous les besoins de la répu->. 
bliquc. Vous parviendriez , sous- cette sage 
politique , à avoir des milices disciplinées. 
En un mot, vous ne seriez plus un état inu- 
tile dans l'Europe, ou plutôt une puissance 
qui, étant incapable de prendre une résolu- 
tion , 4'3gii" et de se mouvoir régulièrement, 
n'est qu'à charge à ses alliés. 

Vous ajouteriez que la Pologne étant pat 
sa positiqn topographique l'alliée naturelle 
de la France , le ministère de Versailles doit 
regarder comme son propie bien les. forces 
des Polonais., et qu'il en dïsposeroic à son 



Do,T«jhy Google 



33o DU GO U,V ERNEMEHT 

gré pour faire des diversions dans le nord 
ou du côté de l'Allemagne , et qu'il lui im- 
porte par conséquent de favoriser l'entreprise 
de la Confédération. Vou» ne confieriez ce 
mémoire que sous le sceau du plus grand 
secret , en rcmarquaiH que si quelques états 
pouvoicnt soupçonner que vous pensez à ar- 
ranger votre gouvernement de manière à vous 
rendre une puissance considérable , vous crain- 
driez de voir naître de toutes parts des obs- 
tacles insurmontables à l'exécution de vos 
projets. Les Confédérés ne déguiseront point 
que les habitudes et les préjugés de plusieurs 
Ae leurs compatriotes leur donnent de l'in- 
quiétude; mats ils assureront qu'ils sont cer- 
tains d'être secondés par tous les citoyens 
qui sont las des troubles de la république 
et ne désirent qu'une tranquillité durable. 
Vous ajouteriez que toutes les difficultés dîs- 
paroîtront, quand votre réforme sera pro- 
tégée par des puissances respectables, dont 
les ambassadeurs négocieront avec d'autant 
plus de succès auprès de la nation , qu'elle 
est accoutnrace, depuis long- temps à n'agir 
que par les impressions qu'elle reçoit du 
dehors. 

Nous voudrions, diroicnt les Confédérés, 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



D I POLOGNE. 33* 

que la France pût se priver en notre- faveur 
de l'un de ses princes qui font ses délices 
et SCS espérances; ce seroit avec la joie la 
plus vraie et la plus unanime que nous relè- 
verions sur le trône. Mais pnisqo'une pareille 
élection alarmeroit plusieurs puissances , et 
que l'cloigncincnt des Heux ne permettroit pas 
à la France d'en défendre aisément la légi- 
timité , nous voulons du moins tenir de SeS 
mains le prince qu'il nous importe le plus 
d'avoir parmi nous , et dont la maison , à 
portée de nous donner des secours et de pro- 
téger nos droits, favorisera de tout son crédit 
l'établistement de nos nouvelles lois. Nous 
avons projeté de demander un archiduc ou 
*e duc de Saxc-Teschen à ta cour de Vienne. 
Mais comme cette proposition pourroit avoir ^ 
peu d'antorité dans notre bouche, qne l'im- 
pératrice et l'emperenr croiroicnt peut-être 
que nous voulons les surprenAre par des es- 
pérances trompeuses . et qn'ils craîndroient 
même de se brouiller avec leurs alliés et de 
se faire des ennemis en s' associant à nos 
projets, nous osons prier le ministère de Ver- 
sailles de vouloir bien se charger du soin 
d'entamer cette négociation , qui anra sûre- 
ment un heureux succès dès qu'elle sera com- 



Dpl ..ci hy Google 



3j2 du GOUVFRMEMf. NT 

nicncéc sous ses auspices. Les difficultés 
fc'aplanironi , et la cour de Vienne n'hésitera 
point dès qu'elle sera sûre d"êttc approuvée 
et soutenue par la France. Pourquoi le mi- 
nistère de Versailles se refuseroit-ilà la de- 
mande que nous prçnons la liberté de lui 
faire, et que nous lui faisons avec la plus 
grande confiance ? Car il est aise de prouver 
qu'elle ne doit être inquiète en aucune ma* 
nière , en voyant monter un archiduc ou le 
duc de Saxe-Tesclien eut le trône de Pologne. 
Par la nouvelle forme de gouvernement qu'on 
se propose d'établir , le roi ne sera et ne peut 
être que l'orgine de la nation; et la nation , 
accoutumée depuis long-tempS" à se délier 
de la maison d'Autriche , ne recOnnoîtra pour 
SCS vrais alliés que la France et ses amis. 

Si le traité de Versailles , direz-vous , a 
établi une alliance sincère et durable entre 
les deux cofcrs , pourquoi la FraHce ne sai- 
siroit-elle pas avec plaisir l'occasion de pro- 
poser et de terminer une affaire qui ne peut 
^ être qu'ogréable à l'Autriche , et qui resserrera 
les nccuds de ■ l'amitié ? Si cette alliance, au 
contraire, est suspecte aux pul^ances qui l'ont 
contractée, ou plutôt, si, par une suite maU 
heareuse de cette fatalité qui semble impri- 



Dpi ..ci hy Google 



DE POtOCKE. 533 

mer une cenaine foiblesse à tous les ouvrages 
des hommes , les deux cours alliées prévoient 
avec douleur que rien ncst permanent, que 
tout finît , et que les anciennes rivalités , plo- 
tôt assoupies qu'étsintcs , peuvent encore cau- 
ser de nouveaux difFérens , ne seroît-il pas 
lieureux pour la France de se préparer dès 
aujourd'hui un allié qui n'oubliera jamais qu'il 
lui doit, ses lois et son gt>uverneaiexil, et 
les forces de même que le bonheur qui en 
résulteront ? 

Voili , monsieur !c Comte ,' un projet de 
mémoire et de négociation bien grossier et 
bien succinct; mais il seroit inutile d'entrer 
dans le détail de toutes les difficultés que 
vous pourrez éprouver. L'essentiel dans toutes 
les affaires qu'on doit traiter , c'est de prendre 
bien son poste; c'est le cas de dire, dimi~ 
dium facli qui bcnè capit habet. Vos luroièrc^s et 
votre expérience , de" même que celles de vos 
amis, suppléeront a tout ce qui manque ici. 
Vous verrez aisément combien il est avanta- 
geux aux Polonais d'avoir la France pour 
médiatrice et pour arbitre dans les affaires 
qu'ils traitcrontavcclamaison d'Autriche. Cette 
puissance voudra sans doute vous imposer la 
loi, décider de votre gouvernement «du pou- 



n.oir.PcihyGtXJ'^le 



334 ^^ COUVEfcNEMENT 

voir que vous devez abandonner an roi; mais 
vous ne serez point obligés d'obéir à ses vo- 
lontés, parce que le ministre François dé- 
fendra vos droits et vos intérêts et qu'il lui 
importera que vous soyez véritablement libres; 
et que la maison d'Autriche , en acquérant 
une nouvelle couronne, n'acquière pas un 
trop grand pouvoir. 

Je me trompe beaucoup, ou lés négociations 
dont je viens d'avoir l'honneur de vous en- 
tretenir dans ce dernier chapitre , doivent pro- 
curer de grands avantages à la Coafédération. 
£Ues tendent toutes à deux points capitaux 
pour vous , et qu'il ne vous est pas permis 
de perdre un seul moment de vue sans trahir 
vos intérêts les plus précieux; l'un , de mettre 
les Turcs en état de faire désormais la guerre 
plus heureusement qu'ils ne la font, l'autre 
d'augmenter en Pologne votre considération 
et te nombre de vos amis , et de vous ménager 
des protecteurs puiss ans et respectables, quand 
il sera temps de proposer et de faire agréer 
par une Diète générale une nouvelle forme 
de gouvernement. Il n'est en effet pas possible 
qa'en vous voyant toujours agir , vos amis 
ne vous soient plus attachés , que les per- 
sonnes indécises ne se décident en votre £a- 



no,-7«jhyGt)C>»^le 



DE POLOGNE. 53ç 

veut, et que vos ennemis ne vons ménagent. 
Oa aura le courage de se déclarer oflver- 
lement pour vous , si loin de vous oublier 
vout-mêmc, vous ne négligez aucnn moyen 
de réussir. ^ 

Je vous prie, monsieur le Comte, de con- 
aidérer la situation critique des Confédérés. 
S~'ils ne font pas des efforts continuels pour 
la rendre plus heureuse , ils doivent néces- 
sairement dccheoii-; vos partisans vous abao" 
donneront, on de jour en jour vous seront 
moins attachés , si des succès nouveaux ne 
viennent de temps en temps ranimer leur 
confiance. Je ne puis trop le redire, votre 
attention ne doit pas se borner à la guerre 
présente ni aux moyens d'intimider ou du 
moins d'inquiéter les Russes. Il faut également 
vous occuper du moment qui rétablira la paix, 
et du grand objet de la réforme de votre gou- 
vernement. Si vous réussissez dans ces négo- 
ciations, et sur-tout dans celles de Rome et 
de Vienne, il est aisé de- juger qne les Confé- 
dérés pourront établir sans beaucoup de peine , 
tout ce qu'ils jugeront le plus mile à la patrie. 
Rien ne leur résistera quand ils seront secondés 
du nonce de la cour de Rome et des niînis- 
ircs de l'empereur , de la France , de l'Es- 



no,-7«jhyGt)C>»^le 



33G DU COUVEHiNEMENT Df POLOGNE. 

pagne , de la Suède et du Danemarck. Il csc 
temps de vous faire un système suivi de con- 
duite , si vous ne voulez pas' toujours dé- 
pendre des événemens et des- caprices de la 
fortune. 

Au ihâUdU de Liancourt, ce ^ juillet 17J i. 



no,-7«jhyGt)C>'^le 



OBSERVATIONS 

SUR 

LE GOUVERNEMENT 

ET lES LOIS 
riES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. 



Mably Ttmi VUI. 



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3'40 -DES ÉTATS-UNIS 

l'honneur de vous faire pan de mes remarques ; 
j'espère que vous voudrez bien m'apprcndre ce 
que j'en dois penser. 

Tandis que presque toutes les nations de 
l'Europe ignorent les principes constitutifs de 
la société, et ne regardent les citoyens que 
comme les bestiaux d'une ferme qu'on gou- 
verne pour l'avantage particulier du proprié- 
taire , on est étonné, on est édifié que vos 
treize républiques aient connu à la fois la 
dignité de l'homme, et soient allées puiser 
dans les sources de la plus sage philosophie 
les principes humains par lesquels elles veu- 
lent se gouverner. 

Heureusement pour vous , les rois d'An- 
gleterre , en donnant à vos pères des chartes 
pour l'établissement de vos colonies , se lais- 
sèrent conduire par leurs passions et leurs pré- 
jugés : ils n'avoient que des idées d'ambition 
et d'avarice. En se débarrassant d'une foule de 
citoyens qui les gênoient , ils voyoient déjà 
se former de nouvelles provinces qui doivent 
augmenter la majesté de l'empire britannique. 
' Us se flattoient en même-temps d'ouvrir une 
nouvelle source de richesses pour le commerce 
^e la métropole ; et ils voulurent vous faire 
prospérer pour jouir, plus que vous-mêmes, 



Dpi ..ci hy Google 



d'améiiiq.ue. 341 

des avantages de votre prospérité. VoHs aurier 
-été perdus «ans ressource , si ces princes avoient 
été instruits de la politique maliieurcuse de 
Machiavel , pour vous donner des lois favo- 
rables à leur ambition. Leur ignorance vous 
servit très -utile ment ; ils s'abandonnèrent à la. 
routine qui gouyernoit TAngleterrc , et éta- 
blirent parmi vos pères des règles et des lois 
d'administration qui, en vous rappelant que 
vous étiez les encans d'un peuple libre, vous 
invitoient à vous occuper de vos intérêts com- 
muns. Pendant .Içug - temps vous avez été 
sacrifiés aux iatérêts de la mère - patrie , et 
vous avez regardé ces sacrifices comme un 
tribut qu'il étoît juste de payer à la protection 
qu'elle vous accordoit et dont vous aviei 
besoin. Après la dernière guerre qui fit per- 
dre aux Français tout ce qu'ils possédoient 
dans votre continent , vous comprîtes que 
vos maîtres s'ètoiènt affbiblis par leurs con- 
quêtes mêmes ; vous sentîtes enfin vos forces ; 
tandis que la cour de Londres , ne s' apercevant^ 
point du changement arrivé dans vos intérêts 
et les siens , voulut appesantir son joug déjà 
trop rigoureux , et cependant il vous étoit per- 
mis d'espérer un sort pins heureux , et de for- 
mer une puissance indépendante. 

Y 3 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



S4« »Ï9 itATS-ONÏS 

En nE? consultant à votre égard que l'avarice 
■et l'ambition , on vous contraignît à vous rap- 
peler que vous étiez Anglais, et la forme du 
gouvernciàentà laquelle vous étiez accoutumés 
depuis votre naissance arcndu le peuple capa- 
ble d'entendre les hommes de mérite qui, par 
leurs lumières , leur prudence et leur courage , 
ont éïé les auteurs de votfc heureuse révolu- 
tion. Puisque l'Anglcterte, ont-ils dit, s'est 
crue en droit de proscrire ta maison de Stuart 
pour élever sur le trône la maison de Hanovre , 
pourqtiôi rioiis seroit-il défendu de secouer le 
joug de Georges Jll , dont •!« ministère plus 
intraitable et plus dur que JaTcqucs II, abus* 
cruellement de "notre générosité et de notre 
zèle ? Les état^'J unis d'Amérique se sont conduits 
avec bien plus de magnanimité quç les Pro- 
vinces-Unies des Pa^'s-Basv Loin de mendier 
de tous côtés, comme elles , un nouveau maître, 
vous n'avez pensé qu'à élever parmi vous un 
trône à la liberté; vous êtes remontés dans 
tontes vos constitutions dux] principes de la 
nature , vous avez établi corn-me lin axiome 
certain , que toute autorité pofitique tire son 
origine du peuple : que lui seul a le droit ina- 
liénable de faire des lois , de les détruire ou 
de les modîBer , dès qu'il s'aperçoit de soa 



D,0,l..cihyGt)O^le 



d'amêriq,ui. 345 

errear/oa aspire à un plus grand bien. Von» 
connois&ez ia dignité des hommes, et en con- 
sidérant plus les masistrats de la société que 
comme ses gens d'affaires-, vous avez uni et 
attaché étroitement tous les citoyens les uns 
aux aQtr«6 et au bien public , pat le sentiment 
actif de ramour de la patrie et de la liberté. 
Paissent ces idées n'être point le fruit d'un 
engouement passager ? Puissent-elles subsister 
long- temps parmi voni ? Puissent-elles influet 
dans toutes vos délibérations, et affermir. de 
jour en jour les fondcmens de votre république 
fédérativc. 

C«t un grand avantage pour les Améri- 
cains, <ju* les treiÉe états n'aient pas confondu 
leurs droits , leur indépendance et leur liberté 
pour ne former qu'une seule république qui 
aùrôit établi les mêmes lois et reconnu les 
mêmes magistrats. J'aurois cru remarquer dans 
cette conduite des cotonies une certaine 
crainte, une défiance d'elles-mêmes , qui au- 
roient été d'un mauvais augure , et sur-tout 
une profonde ignorance de ce qui fait la véri- 
table puissance de la société. Dans cette vaste 
étendue de pays que vous pcrssédez , comment 
auroit - on pu affermir l'empire des lois ? 
Comment les ressorts de l'administration ne se 
■ ^-4 



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544 ^'" ixATS-uNis 

Bcroient-iUpas relâchés en s'éloignant du centre 
qui les auroit mis en mouvement ? Comment 
la vigilance auroit-elte pu s'étendre également 
par-tout, pour prévenir les abus, ou les forcer 
à disparoître ? Vous auriez vu nécessairement 
le courage se ralentir , les meeurs se dégrader , 
l'amour delà liberté faire place à la licence , et 
^bientôtvous ri'auriczpluscu qu'une republique 
languissante ou agitée par des séditions qui 
l'auroient démembrée. Le parti contraire qu'ont 
pris les colonies de former une république fédé- 
raûve , en conservant chacnne son indépen- 
dance , peut donner aux lois toute la force 
dont elles ont besoin pour se faire respecter. 
Le magistrat pem-êcre présent par- tout : voa» 
l'avez éprouvé pendant Ips sept années que les 
Anglais vous ont fait inconsïdérénientla guerre 
pour vous assujettir; il s'est établi entre les 
Etats-Unis une émulation qui leur a donné le 
même courage et la même sagesse. Réunies par 
le lien du congrès continental .aucune de vos 
provinces ne s'est démentie , et toutes se sont 
prêté un secours mutuel. 

Je souhaite que ce premier sentiment d'union 
et de concorde avec lequel vous êtes nés jette 
de profondes racines, et s'affermisse dans vos 
cœurs ; que le temps et l'expérience des biens 



Dpi ..ci hy Google 



D'AMiRIÔ,UE. 445 

dontvons allez jouirvous convainque que vous 
ne pouvez point être heureux aux dépens les 
uns des autres. Un avantage inestimable que 
j'attends de votre fédération, c'est qu'elle vous 
préservera de cette malheureuse ambition, qui 
porte tous les peuples à regarder leurs voisins 
comme leurs ennemis. Tranquilles et sous la 
protection du congrès continental , pleins de 
sécurité les uns à l'égard des autres , vous 
n'aurez entre vous aucune jalonsîc , aucune 
envie , aucune haine , etvous offrirez en Améri- 
que le même spectaale que les Suisses présen- 
tent à l'Europe , qui n'est pas assez sage pour 
les admirer. 

Le congrès continental, ce nouveau conseil 
amphyciioniquc , mais formé sous de plus 
heureux auspices qne celui de l'ancienne Grèce , 
sera le centre commun où tous les intérêts 
particuliers iront se confondre pour n'en former 
qu'un général et toujours le même. Les délé- 
gués des états à cette auguste assemblée y ac- ' 
■ querront nécessairement des vues plus étendues 
et plus sociales; et à IcQr retour , ils les com- 
muniqueront à leurs concitoyens. Puissent 
toutes les provinces qui sont circonscrites dans 
des limites déterminées comme Massachussets, 
Connecùcut, Rhodes - Istand, New -Jersey , 



Dioib^clhy Google 



S46 DES ÉTATS-UNIS 

Delawarre , Maryland , n'être travaillées que 
d'un seul défaut qui honore les nations ; je 
veux parler de cette heureuse abondance de 
citoyens , qui , en faisant l'éloge d'un gouver- 
nement , ne laissent pas quelquefois de lui 
être à charge. Que ces états, monsieur, que je 
viens de nommer , renouvellent le spectacle 
que donna autrefois la Grèce dont les colonies 
heurcuseï se firent par-tout une nouvelle patrie ! 
J'espère que , loin d'abuser de la multitude de 
leurs concitoyens pour faire des conquêtes , ils 
les enverront dans vos provinces , qui n'ont, 
pour ainsi dire , aucune borne dans le con- 
tinent , et dont les terres désirent des cul- 
tivateurs; ces peuplades resserreront plus étroi- 
tement les liens de votre union et de vos 
intérêts. 

J'aime à vous rappeler, monsieur , tout ce 
qui peut contribuer au bonheur de l'Amérique. 
Vous avez 'acquis votre indépendance avant 
que de connoître l'ambition , et sûrement vous 
n'imiterez point les nations de l'Europe qui se 
sont dépeuplées et affoiblies en établissant 
leurs colonies les armes à la main. Vous con- 
noisscï trop les droits des hommes et des nations 
pour que des erreurs cruelles , l'ouvrage des 
fiefs et de la chcv?!cric , puissent vous tromper 



Dpi .;cihy Google 



B'AMiRlQ_UE. S47 

comme ellesont trompé les Espagnols, les Por- 
tugais, les Anglais et les Français. Je remar- 
querai même avec plaisir que vous vous trouvez 
aujourd'hui dans une situation plus heureuse 
■que les anciennes républiques dont nous ad- 
dirons le plus la sagesse et la vertu ; et que 
vous pourrez avec moins de peine imprimer 
à vos établissemens un caractère de stabilité 
qui rend les lois plus chères et plus respec- 
tables. 

Vous !c savez , monsieur , les républiques 
anciennes étoient, pour ainsi dire, tenfermécs 
dans les ïnufs d'une même ville , et ne pos- 
sédoient qu'an territoire très-raédiocre. Tous 
les citoyens pouvoient aisément se trouver 
aux délibérations .publiques : ces assemblées 
nombreuses , en qui résidoit la puissance lé- 
gislative, etcontre qui pcT-soiine n'avoii droit 
de réclamer, étoient eilposées à des mouve- 
mcns convulsifs de passion, d'engouement et 
d'enthousiasme qui dérangeoient- souvent tout 
l'ordre public. Au milieu de ces caprices, les 
lois n'acquéroient point assez d'autorité pour 
fixer le caractère des citoyens ; et la répu- 
blique ne dût souvent son snlut qu'à la fortune 
ou à quelque grand homme qui vint au secours 
du peuple , et profita de sa conaCcrnation 



Do,T«jhy Google 



L 



348 DES ÉTATS-UNIS 

pour l'empcchcr d'abuser encore de son poa- 

voir. . \ 

Chez les Américains , au contraire . la maltU 
tude sera moins -hardie , moins impérieuse ej 
par conséquent moins inconstante ; parce qae- 
l'étenduc des domaines de chaque république , 
et le -nombre de ses citoyens ne lui permettent 
pas de les rassembler tout à la fçis dans le 
même lieu. Vous avez adopté la méthode mo- 
derne de diviser les pays en cantons ou dis- 
tricts, qui délibèrent à part de leurs intérêts, 
nomment eux-mêmes et chargent de leurs 
-pouvoirs les citoyens qu'ils jugent les plus 
dignes de les représenter dans l'assemblée 
législative de la république ! Il vous est dés lors 
beaucoup plus aisé d'y mettre l'ordre. Les 
représentans ne seront jamais en assez grand 
nombre pour que leur assemblée puisse dégé- 
nérer en cohue. Ils craindront l'opinion pu.- 
•blique*; ils sauront qu'ils auront à répondre 
de leur conduite à leurs comraettans. S'ils se 
trompent , l'erreur ne produira qu'un mal pas- 
sager, parce que leur commission n'est qu'an- 
nuelle : elle servira même à éclairer leurs suc- 
ccsscars qui répareront leurs fautes sans beau- 
coup de peine. 
Je vois avec plaisir . monsieur , que dans 



hyGtJCJt^lC 



D*AHéRIQ,UE. 349 

toutes vos constitutions , vous avez religien- 
sèment respecte les'droits que vous avez recon- 
nus dans le peuple. Elles ont même mis sous 
leur protection tous les hommes qui ne sont 
pas encore membres de la république , parce 
qu'ils n'en paient point les charges et ont 
vendu le travail de leurs mains k des maîtres. 
Ces hommes , sous le nom d'esclaves , si 
méprisés chez les anciens , et qui aujourd'hui, 
en Europe , avec le titre de la liberté , languis- 
sent dans nn véritable esclavage; vous avci 
eu rhabileté de lei attacher au sort de la 
républiqiK en leur fournissant un moyen de 
sortir de leur état et d'acquérir un pécule et 
une industrie qui les élèveront à la dignité de 
citoyens. 

C'est par une stiite de principes d'humanité, 
que vous avez adopté chez vous , par une loi 
particulière etauthentique, la jurisprudence des 
jurés, qui est tout ce que les hommes ont ima- 
giné de plus sage pour établir entre les forts 
et les foibles une sorte d'égalité , on plutôt 
une véritable égalité. Vous avez assuré à chaque 
citoyen cette première sûreté et la plus essen- 
tielle de ne pouvoir être opprimé par un en- 
nemi puissant. Le magistrat lui-même ne peut 
point abuser de son pouvoir pour servir des ' 



*JhyGt.)t5'^IC 



55o BÏS ÉTATS-UNIS 

passions particulières , en feignant de travailler 
à la sûreté publique. On «diroit que dans la 
plupart des états de l'Europe, la jurisprudence 
criminelle n'a été inventée que pour permettre 
au gouvernement de sauver les coupables qui 
lui sont chers , ou de faire périr ses ennemis 
innoccns par le ministère même d'une justice 
qui se prostitue à ses volontés. Vous ne con- 
noissez point , et j'espère que vous ne connoî- 
trei jamais cc^ procédures clandestine» et se- 
crètes , capables d'e£Frayer assez l'innocence 
pour la troubler , l'interdire et lui Ôter le sang- 
froid dont elle a besoin pour se défendre. Vous 
vous souviendrez toujours que c'est en voulant 
vous priver de la sûreté bienfaisante de vos 
jurés, pour vous soumettre aux tribunaux de 
Londres, que l'Angleterre a tenté d'établir sur 
vous sa tyrannie. Vous voyez enfin que c'est 
à ççtte jurisprudence salutaire que les Anglais 
doivent le reste de liberté dont ils jouissent, 
et cet esprit national qui lés soutient dans leur 
décadence. Tandis que les grands et les riche» 
se vendent lâchement aux ministres, que de- 
viendroit la nation , si le peuple , priré de la 
protection des jurés , pouvoit être opprimé par 
des jugemens arbitraires ? Il perdroit son cou- 
rage et sa fierté . la dernière ressource de l'An- 



hyGt)w^le 



n' A M i » I Q. u t. 35 1 

gletcrre. Les Etats-Unis d'Amérique n'auront 
jamaîi rien à craîadre à cet égard , s'ils n'ou-' 
blicnt jamais que les auteurs de leurs premièrea 
constitutions ont recpmiaandé à la puissance 
législative de corriger les lois qui sont trop 
tévères, qoi Qétrissent l'ame ou refTarouchcnt, 
et qui n'étant pas proportionnées à la nature 
des délits, ne peuvent que jeter dans l'erreur 
les citoyens peu éclaires, incapables de l'être, 
et qui n'ont point d'autre morale que celle que 
leur donnent les lois : ils confondroîent la na- 
ture de leurs devoirs , et ne sauroient point 
quels sont les vices dont ils doivent s'éloigner 
avec le plus de soin. 

Après vous avoir exposé mes espérances , je 
ne dois pas , monsieur , vous cacher mes 
craintes. Je conviendrai avec vous que la démo- 
cratie doit servir de base à tout gouvernement 
qui veut tirer le meilleur parti possible dts 
citoyens. En effet , il est assez prouvé , par une 
expérience constante, que, ce n'est que par ce 
moyen que la multitude peut s'intéresser au. 
bien de la patrie , et en la servant avec autant 
de zèle que de courage , s'associer en quelque 
sorte à la sagesse de ses conducteurs. Mais 
vous conviendrez , je crois , avec moi , que cetto 
démociatie veut être maniée , tempérée etéta- 



D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



352 DES iïATS-UNl'S 

blic avec la pins grande pradence.Je vous prie 
d'observer que la multitude dégradée par des 
besoins et des emplois qui la condamnent à 
l'ignorance et à des pensées viles et basses , n^a 
ni les moyens ni le temps de s'élever par ses 
méditations jusqu'aux principes d'une sage po- 
litique. Se laissant donc gouverner par ses pré- 
jugés , elle ne jugera du bien de l'état que par 
ses intérêts particuliers , et ce qui lui sera utile 
lui paroîtra sage. 

Le peuple ne peut se croire libre , sans être 
tenté d'abuser de sa liberté', parce qu'il a 
des passions qui cherchent continuellement à 
se mettre plus à leur aise. On se forme des es- 
pérances qui préparent les esprits à être moins 
dociles , on ne peut s empêcher d'envier le 
sort de ses supérieurs , et on voudroit s'élever 
jusqu'à eux , ou les rabaisser jusqu'à soi. Qu'ar- 
rîve-t-il de-là ? Les citoyens de la première 
classe ont aussi leurs passions qui , si je puis 
parlerainsi , se gcndarmentcoutre la prétendue 
insolence du peuple. On l'accusera de former 
des projets suivis d'agrandissement , tandis 
qu'il ne fait encore qu'obéir aux circonstances: 
il falloit l'appaiscr , çt on i'irriie. Pour con- 
server son crédit, on cherche à l'augmenter; 
et telle est l'illu^ston des passions , qo'cn as- 
pirant 



Do,T«jhy Google 



■b*AMéRi5.uÉ. ZSé 

Cirant bientôt à la tyrannie , on croit n* 
travailler qu'à raffermissement de l'ordre et 
du repos public. Les esprits s'irritent; une 
première injustice en rend une seconde né- 
cessaire , les injures surviennent. Là ven-» 
geance seule sert alors de. politique. Les ré- 
volutions se succèdent , et c'est la fortune 
seule .qui décide alors du sort de la répur 
blique. Jane crois pas m'abuser , monsieur ; 
par des craintes vaincs i ce qui est arriva 
constamment chez tous les peuples où la li- 
berté des citoyens n'a pas été établie et mé-' 
nagée avec autant de sagesse qu à Lacédemone, 
doit instruire les législateurs à n'employer la 
démocratie dans une république qu'avec und 
extrême précaution- 

On me dira peut-être que les lois américaines 
sont calquées sur les lois d'Angleterre , dont 
t«nt d'écrivains ont loué la sagesse ; j'en con-- 
viens , et je voudrois , pour votre bonheur < 
pouvoir n'en pas convenir. On voii , mon- 
sieur , dans vos lois l'esprit des lois anglaises; 
mais je vous prie de remarquer la prodigieuse 
différence qu'il y a entre votre situation et 
celle de l'Angleterre. Le' gouvernement An-» 
glais s'est formé au milieu de la barbarie d«* 
fiefs. Oh croyoit que Guillauinc le conquâ-» 
Mably. Tome VIII. t 



Dpi ..ci hy Google 



556 DLS ÉTATS-UNIS 

été plus sage de lui propôset 'simplement de 
s'affranchir du joug de la cour de Londres , 
pour n'obéir qu'à des magistrats que la mé- 
diociité de leur fortune rendroît modestes et 
amis du bien publie ; en réglant ses droits 
de façon qu'il ne pût craindre aucune injus- 
tice , il auroit fallu principalement s'occuper 
à mettre des entraves à raristoctatie , et faire 
des kiis pour empêcher les riches d'abuser de- 
leurs richesses , et d'acheter une autorité qui 
ne doit pas leur appartenir. 

Je croirois que les constitutions américaines 
vous mettent dans le même cas où les Romains 
se trouvèrent après avoir chassé les Tarquins. 
Pour intéresser le peuple à la cause de la 
liberté , les patriciens lui firent les plus magni- 
fiques promesses. Us s'emparoient de toute la 
puissance publique; tandis que les plébéiens , 
de leur côté, se Qattoient de ne plus- obéir 
qu'aux lois. Les uns abusèrentdc leurs forces , 
les autres étoicnt trop fiers pour y consentir, 
et de ces intérêts opposés naquirent toutes 
les dissentîons de la place publique. 

Vous me direz , sans doute , monsieur , 
qu'il n'est pas malheureux pour les Etats- 
Unis d'Amérique de ressembler aux Romains , 
dont la république a offert le specUclc le 



D,o,l7PCihyGt.X>>^L' 



plus admirable et établi son empire sur tout 
U monde aloi^a connu. Je prendrai la liberté' 
de vous répondre qu'en effet, il n'y a point 
aujourd'hui de peuplé qui ne pût aisément 
se consoler de leur ressembler dans leurs 
fautes, s'il pouvoit leur retsemblcr dans tout 
ce qu'ils ont fait de grand, de sage et de 
magnanime. Mais , par malheur , nos mceurs 
modernes ne nous permettent plus d'avoir de 
pareilles espérances, et ces mœurs ont passé 
jUsqu'en Amérique, L'amour de la patrie , 
de la liberté et de la gloire n'abandonnoit 
point les Romains , même dans les momens 
on leur enffportement paroissoit extrême ; et 
leurs passions s'étoicnt accoutumées à s'asso- 
cier avec la justice et la modération. Il y a 
long-temps que la politique de l'Europe , fon- 
dée sur l'argent et le ccramerce , 3 fait dispa- 
Toîrra les vertus antiques; et je ne sais si 
une guerre de sept ans a pu les faire renaître 
en Amérique. Quoi qu'il en soit , je crains 
que les riches ne veuillent former un ordre 
à part , et s'emparer de toute l'autorité , tan- 
dis que les autres, trop €ers de l'égalité dont 
on les a flattés, refuseront d'y consenlir; et 
de-là doit nécessairement résulter la dissolu- 
tion da gouvernement qu'on a voulu établir, 
Z 3 



Do,T«jhy Google 



S5S DES iTATS-U-N'IS 

Si cette révolution se fait d'uns manièi'e tran- 
quille , insensible , et comme par distraction , 
ce seroit une preuve que les âmes c'auroient 
aucune énergie ;.il est vrai que la lépablique 
ne seroit exposée à aucune sédition, à aucun 
orage; mais de quelle noblesse, de quelle 
générosité les citoyens seront-ils alors capables? 
et sans ces qualités , peut-il subsister un« 
vraie liberté ? 

Si ce changement éprouve , au contraire , 
quelque résistance , quelles cabales , quelles 
intrigues , quelles menées sourdes ne faut-il 
pas craindre ? J'en vois résulter la haine , la 
jalousie , passions qui ne mesOrent point 
leurs démarches , et qui traînent à leur suite 
mille autres vices qui sont les avant-coureurs 
d'une tyrannie , tantôt audacieuse et tantôt 
timide. 

Je m'arrête, monsieur, en entamant une 
nouvelle question , je craindrois que ma lettre 
ne devînt trop longue. Dans celle que j'aurai 
l'honneur de vous- écrire demain, je prendrai 
la liberté de vous faire part de mes réflexions 
ou de mes scrupules sur les lois de Pensil- 
yanie , de Massachnssets et de Géorgie. Pour- 
quoi vous dissimulcroîs-je mes craintes et 
mes doutes,- puisqu'ils vous prouveront l'in-. 



Dpi ..ci hy Google 



tcrêt que je prendi au sort derAmérique, 
et que je dois aux sentimens dont voui 
voulez bien m'honoier. 



APitssy,U i^ juillet 1783. 



Z4 



Do,-/«Jhy Google 



Ji tS iTATS-UNIS 



CHAPITRE II. 

Réfiextgm iur la lois de Peniilvanie , de Massa -r 
cktiiiels et' de Géorgie. 

A E croîs , monsieur , que pour procéder 
d'une manière sûre , je dois d'abord p'atta- 
cher à l'examen des lois fondamentales ; et 
j'entends par ces mots la forme que chacune 
de vos républiques a donnée à son gouver- 
licmenc. C'est de-là en effet que chaque 
peuple tire son caractère et parvient à le fixer, 
pi cç gouvernemem pourvoit à tous ses be-^ 
poinfi , si toutes les parties en sont faîtes les 
unes pour les autres , si elles tendent tontes 
^ la même fin , et qu'au lieu de s'embar- 
rasser et de te nuire , elles se prêtent un 
secours mutuel, je suis sûr que de /jour en 
jour la prospérité de la république s'affermira 
davantage. Pourquoi? C'est que les passions, 
après avoir fait des efforts inutiles pour se 
soustraire à l'autorité des lois et les violer 
(mpunément , prendront pcu-à-pcu le parti 
^Ç se soumettre pour se trouver elles-inêinçi 



Dpi ..ci hy Google 



I 

» ' A M i n I Q, u E. * 36i 

plus à Icnr àisc. Le citoyen aura alors les 
moeurs de son gouvernement , et la société 
sera aussi parfaite qu'elle peut Têtre. 

.Mais si la puissance législative , qui est 
Tamc de l'état ou le pivot sur lequel tourne 
toute la machine politique , n'est pas établie 
sur de justes proportions , quels désordres , 
au contraire , n'en doit-il pas résulter ? La 
Pensilvanic a confié le droit de faire les lois 
i une chambre composée des hommes libres 
de la république-, et choisir pour y représen- 
ter les habitans de leur ville ou de leur „ 
contté , et porter en leur nom les lois, et 
faire les rcglèmcns qu'ils jugeront les plus 
salutaires. Il est ordonné que,.les représen- 
tans seront choisis parmiirfcs hofnraes les plus 
recommandables parleur sagesse et leur vertu. 
Fort bien ! Mais je vous avoue-, monsieur , 
que je ne compterai sur cette loi' de style 
qu'autant que le législateur aura pris les me- 
sures nécessaires pour qu'on y obéisse fidel- 
Ument. 

- Si par leurs mœurs les Pènsllvahiens sont 
disposés à se conformer à ce règlement ; si la 
probité leur est chère , s'ils sont disposés à 
la récompenser ; je demande pourquoi le 
législateur ordonne que l'élection des repré» 



D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



36a DIS iTATS-UNI» 

«cntans se fera au scrutin. Cette forme d'élec- 
tion qu'on croît nécessaire me fait conjec- 
turer que la Peo^ilvanie est bien loin d'avoir 
l'esprit qui doit animer une démocratie. Je 
-pense que d'une part , il y. a déjà des hommes 
assez puissaos dans Leurs villes et leurs comté% 
pour qu^on doive les ménager ; et que de l'autre, 
.-on auroitde la peine à y trouver des électeurs 
qui osassent dire ouvertement leur avis. Dans 
toutes les républiques bien gouvernée» , je 
vois, mopsicur, qu'onavoulojjuc les citoyens 
eussent le courage de prononcer à haute voix 
leur sentiment : c'est les accoutumer à n'en 
avoir que d'honnétcs. Les plus sages politi- 
ques de l'anj^qui té ont blâmé l'usage du scrutin, 
et on peut se rapp^r ce que Cicéron en dit 
dans un temps où la république Romaiite étoît 
partagée par des partis qu'il étoit si dangereux 
d'offenser. Quand la vérité est obligée de se 
montrer en secret et sous un masque, le men- 
songe est bientôt prêt à se montrer cË&onté- 
ment. Si le scrutin annonce la décadence d'un 
état libre , on ne doit pas l'employer à sa 
naissance. S'il est nécessaire, concluez - en 
qu'il faut resserrer ICs droits de la démocratie. 
Personne , est-il dit , ne pourra être élu 
représentant d'une ville ou d'un comté , à 



Dpi ..ci hy Google 



&'amériq,de. 365 

moins qu'il n'y ai t résidé pendant les deux années 
-quiprécéderont l'élection. Cette loi, il est viai , 
CfitplussagequeccUe d'Angleterre, qui permet 
d'être député au parlement de la part d'une 
ville ou d'un comté qu'on n'habite pas; mais 
une épreuve de deux ans ne suffit pat pour 
gagner ma confiance : pendant un si court 
espace de temps , un homme dépravé peut , 
tans beaucoup de peine , cacher ses mœurs 
et montrer des senùmens qu'il n'a MbJ'cxi- 
gcrois qu'an candidat eût passé UH^j]uel- 
qu'oi&ce public de sa ville ou de son comté , 
.qui l'eût mis à portée de hjxe connoître sa 
probité et ses lumières. Les homines en généial 
s'estiment que ce qu'on leur &it acheter un 
peu chèrement ; et il importe beaucoup que 
la puissance législative soit composée de ci< 
toyens accoutumés à se respecter, et qni aient 
UDc haute idée de l'emploi-augustc dont ili 
sont chargés. 

Tous les Etats-Unis d'Amérique ont exigé 
une certaine fortune „ soit daos les représen- 
tant, soit dans leufs électeurs : la Pensilvanie 
seule admet Indifféremment à ces prérogatives 
tous les habitans qui , pendant un an , auront 
payé les charges de l'état. Il semble que par 
cet arrangement le législateur fasse plus 



'DioiI ..ci hy Google 



364 DIS ÉTATS-CNll 

.d'attention au mérite qu'à la fortune ; et rie» 
au premier. aspect ne paroit plus juste; mais 
n'y a-t-il pas , monsieur , des circonstances 
où le plus grand bien n étant qu'une chimère , 
on doit se contenter par sagesse d'un établis- 
sement moins parfait ? Si une république <st 
assez heureuse pour ne connoître encore ni 
les richesses ni la pauvreté , on peut , on doif 
même y établir la loi de laPcnsilvanie, parce 
qu'cUfti^ choquera point les maurs publiques, 
et scrM^vorable à la démocratie. Mais si la 
fortune' â déjà mis entre les citoyens des diffé- 
rences qui ne permettent plus que les condi- 
. lions soient' confondues , au lieu d'aspirer à 
une pure démocratie , ne faudroit-il pas alors 
ne lui accorder que les privilèges et les droits 
•nécessaires poui rendrt l'aristooratie plus cir- 
conspecte et l'empêcher de se livrer à l'ambi- 
tion qui Ini est naturelle ? Peut-être le parti 
le plus sage dans ces circonstances seroit-il 
d'imiter la politique de Solon , qui , pour ne 
-pas révolter les riches, exigca-qu'on jouit d'un 
certain revenu pour avoir droit de parvenir 
aux magistratures. 

Un des plus dangerçux écucils de la poli- 
tique , c'est de vouloir confondre et unir des 
etablissemens bons en eux-mêmes, , et consi- 



no,-7«jhyGt)C>»^le 



d'améhiq.uï. S65 

dérés séparément, mais qui ne peuvent s'as- 
aocier. La loi de Pcnsilvanie favorise sans 
ménagement la démocratie ; mais cette par- 
tialité même n'est propre qu'à effaroucher les 
riches qui ne consentiront jamais à n'avoir 
pas d'autres droits et d'autres prérogatives que 
la multitude on les pauvres. 

Permettez -moi , monsieur, de vous de- 
mander si vous croyez que les mœurs et Ici 
■ préjuges que vous avez ccmtractés sous la do- 
mination AngUjse vous permettent d'aspirer 
i une pure démocratie , gouvernemcni excel- 
lent avec de bonnes mœurs , mais détestable 
avec les nôtres. Pour moi , je croirois que 
l'Amérique est poussée à l'aristocratie par une 
force supérieure qui détruira les lois qui vou- 
droient s'y opposer. La politique , qui doit 
s'occuper de l'avenir en réglant le moment 
présent, fera donc une faute insigne si elle 
veut établir entre les citoyens une égalité de 
droits , contraire à tous leurs préjugés , et qui 
par conséquent ne peut subsister. Plus le 
législateur prendra des mesures pour réussir , 
moins il doit se flatter de réaliser ses espé- 
rances : ses efforts ne serviront qu'à irriter des 
passions intraitables qui précipiteront la répu- 
blique ou dans l'anarchie ,ou dans l'oligarchie. 



Dioiir^cihyGocj^le 



366 nES ÉTATS-UN^IS 

.Je ne crains point de me tromper en disant 
que la démocratie demande beaucoup de 
mceurG ; et j'ajoute que , quelques sages et bien 
prdportiennées CDtr'elles que soient sci lois 
constitutives, elle ne peut subsister que daas 
une république telle que celle de l'ancienne 
Grèce, oniouslcscitoycns se connoissoient, se 
servoient mutuellement de censeurs, ctétoient 
continuellement sous les yeux et sous la main 
des magistrats. Cette doctrine que jeprcnds la 
liberté de vous exposer, je l'ai puisée dans 
Platon , dans Aristote , dans tous les polidques 
anciens ; et il me semble que cette savante 
théorie n'est que trop bien prouvée par toute 
l'histoire. Dans ce moment j'ai sous les yeux la 
carte de vos possessions , et jenepuis songer, 
sans une sorte d'effroi , à la vaste étendue du 
territoire que renferme la Pensilvanic .Une fau t 
qu'un homme adroit, hardi, entreprenant, qui 
n'ait rien à perdre et beaucoup à espérer dans 
le trouble, pour y causer ou du moins pour 
y préparer une révolution. Mais sans parler 
de CCS aventuriers qui , de leur autorité privée, 
s'érigeront en tribuns du peuple , qui me ré- 
pondra que quelque riche commerçant , en 
affectant une politique populaire , ne profitera 
pas des inquiétudes , des haines , des-jalousies 



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I> ' A M É A I Q. U E. S67 

toujours renaissantes dans une démocratie où 
les fortunes sont si disproportionnées , pour 
attiserlc fea de la discorde civile, essayer soa' 
pouvoir et établir sa tyrannie. 

On me dira peut - être que je me fais des 
cliimèies pour avoir le plaisir de les combattre; 
mais je vous prie, monsieur, de relire ï'his* 
toirc de Florence ; et vous craindrez , si |e 
ne me trompe , qu'il ne s'élève en Pcnsilvania 
des Médicis', qui passeront de Icar banque 
ou de leur comptoir sur le trône. A quoi ne 
peuvent pas conduire l'ambition , le génie , 
l'argent et la faveur populaire ? Il ne Oiudroit 
qu'un pareil exemple pour rompre tous les 
liens de votre confédération. Je suis fâché de 
m' arrêter si long-temps sur ces tristes objets ; 
mais si la politique , instruite de la force 
des passions et des caprices de la fortune , 
ncveutpas se tromper , elle doit être très-facile 
à craindre, et plus difficile encore à espérer. 

tt Le peuple , dit la loi de Pcnsilvanic , a 
■ droit de s'assembler , de consulter pour le bien 
commun , de donner des instructions à ses 
représentans , et de demander à lalégislature, 
par la voie d'adresses , de pétitions , ou de 
remontrances, le redressement des torti qu'il 
cioit lui être faits ii. 



Dpi ..ci hy Google 



36S DES ÉTAtS-UNl« 

Je voQs avoue , monsieur, que j'ai peine 
à comprendre la pensée de cette loi. Que - liî 
peuple ail droicde consulter sur ses intérêts, et 
de donner des instructions à ses represeotans, 
quand il astnsscnibîé pour les nommer, rien 
n'est plus juste ni plui raisonnable , rien n^est 
n'est séditieux. Mais je demande si le peuple 
a droit de s'assembler, toutes les fois qu'il lui 
en prendra fantaisie , sans ètic asCrËÎat à au- 
.cune règle , à aucune police , et sans être sous 
les yeux d'un magistrat ? Si c'esi-là l'esprit de 
la loi , il faut convenir , monsieur , qu'à 
force d'être populaire , elle est véritable- 
ment anarhique. Les lois ne peuvent tendre 
trop respectable la puissance législative ; et 
-je vois ici tiu'on J'expose aux caprices d'une 
assemblée tumultueuse que ramassera un 
brouillon , un mécontent qui aura assez d'é- 
loquence pour entraîner les esprits. Ces 
adresses , ces pétitions , ces remontrances 
peuvent être utiles et même néccssaties en 
Angleterre, où les.parlemcns sont septénaires, 
et trahissent quelquefois les intérêts de la 
nation ; tandis que le roi et ses ministres ont 
une autorité tropi prépondérante dont il est à 
propos de. se défier , et qu'il est sage d'inti- 
mider. Mais en Pcnsilvante elles ne sont 
bonnes 



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d' A M i R l" Q. U ï. 36g 

■feonnes à rien , parce que l'asseiiiblée législa- 
tive s'y renouvelle tous les ans , de même 
que les magistrats chargés de la puissance 
exécutrice. Si je ne me trompe , les lois en 
Angleterre doivent tenir le peuple attentif à 
ses intcfcts , parce que sa liberté a de puissans 
ennemis ; mats , au contraire , cUcs doivent ap- 
prendre au peuple de Pensilvanic à avoir un 
peu de patience , et sur-tout à ne jamais agir 
que sous la direction d'un magistrat , parce 
que l'anarchie ne lui peut être d'aucune utilité. 
' Je vous découvrirois moins librement mes 
pensées , monsieur., si vous aimiez moins la 
vérité , ou si mes erreurs étoient capables de 
vous tromper. Je doute que vous approuviez la 
constitution de -Pcnsilvanie V quand au lien 
de rendre lapoiaiance législative bussi respec- 
' table V aussi gtàade , aussi complète qu'elle 
doit rêire , elle lui refuse la faculté de rien 
ajouter ni de rien changera sa première cons-. 
dintton. Voilà , je l'avoue , une étrange loi. 
Les législateurs as&emblés à Philadelphie pour 
jetet les foiLdemeaa d'une république naissante 
pouvoient-îls ignorer que rien ne peut borner 
lapuifsxnce légielaiivc ? Cette assemblée se 
croyoit-èUe infaillible ? De nouvelles circons- 
Miibly. Tomt YIII. A a 



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373 DES ilATS-UNIj 

demande comment cette distinction aristocra- 
tique peut, si je puis parler ainsi, s'amalgamer 
avec les principes tout démocratiques des 
Pcnsilvaniens. La vanité qui est dans le cœur 
de tous les hommes , est de toutes Ics-passions 
la plus agissante et la plus subtile. Je gagerois 
que ces Francs -tenanciers regarderont leur 
privilège comme une sorte de dignité qui les 
sépare , et doit les séparer des citoyens qui 
ne possèdent pas des terres. Après les avoir 
dédaignés, ils ne voudront point se confondre 
avec eux. Voilà deux ordres de familles. De 
ce que les unes jouiront d'une prérogative 
particulière , elles .concluront qu'elles doivent 
former un ordre à part. Je vois se former une 
noblesse héréditaire que. les lois; américaines 
proscrivent. Je vois: dos combats continuels 
entre Taristocratie que tes passions établiront, 
et la démocratie que. Us, lois protégeront ; et 
pour que la république en sortit av£c, avan- 
tage , ou du moins s^s sx perdre ,:il taudroit 
que les citoyens eusscptfiles vertus: des beaux 
temps de Romp , -,c'c:5t-à,-dir«i crussent. qu'il 
y a quelque chose ;d« gpJus, précieux que 
l'argent. j . ■■ . -_- ;■ :,.b " ' . 

ti S'il arriyoit, qu'ruoe- ou pLuâlcurs liiits , 



Dpi ..ci hy Google 



d'amériq.uï. 373 

un ou plusieurs comtés négligeassent ou re- 
fusassent d'envoyer des représcntans à l'as- 
semblée générale, les deux tiers des membres 
des villes ou comtés qui auront élu et envoyé 
les leurs, auront tous les pouvoirs de l'as- 
semblée générale , aussi pleinemeht et aussi 
amplement que si la totalité étoît présente , 
pourvu toutefois que lorsqu'ils s'assembleront, 
il se trouve des députés de la majorité des villes 
et comtés »). *" . ■ 

Voilà , je l'avoue, monsieur, une des lois 
les pins extraordinaires qu'on puisse trouver 
dans le code d'un peuple qui s'assemble pont 
former sa constitution. Je demanderois volon- 
tiers aux législateurs sur quel fondement ila 
ont soupçonné , ou prévu que quelque ville 
eu quelque comté pourroil cire capable d'une 
pareille négligence , ou d'une mauvaise volonté 
si criminelle. Si cette loi leura paru nécessaire, 
il faut qu'il y ait déjà dans l'esprit des citoyens 
un préjugé , une erreur, un vice qui sépare 
leurs intérêts de ceux de la république et y 
préparc Un schisme fatal. Il falloit donc en 
même - temps y remédier ; il falloit dons 
prendre des mesures pour empêcher que la 
puissance publique ne fût dégradée. Car les 
villes ou les comtés qui n'auront pas envoyé 
Aa 3 



D,o,l7PCihyGt.)t>»^le 



574 DIS Itats-unis 

leurs reprëscntans à rassemblée générale lé- 
gislative, prétendront sans doute ne pas obêÎT. 
i des lois qui ne seront pas leur ouvrage. 
Vice énorme ! il suppose une indifférence mons- 
trueuse pour la patrie , et annonce dans une 
démocratie Tentière dissolution de la repu» 
tliquc. 

A la bonne heure , que les portes de l'as» 
semblée législative soient ouvertes à tout le 
monde : ce sera une école où les citoyen» 
pourront aller s'instruire. Il est bon qu'on 
imprime tous les tiiiit jours le journal de ses 
sessions : la démocratie est ennemie du mystère, 
et elle a besoin qu'on l'éclairé ; mats il est 
peut-être dangereux que tous les bills qui 
auront un objet public soient imprimés pour 
être soumis, à l'examen du peuple. C'est peut- 
être le plus sûr moyen de rendre tout problé- 
matique. Qui ne sait combien le peuple est 
ignorant, imbécillc et sujet à la prévention; 
quand il auroit mcipe autant d'esprit et de. 
lumières que le peuple de l'ancienne Athènes. 
Le légïslaieur n'anroit-il pas dû se borner à 
prescrire que le,s raisons et les motifs qui dé- 
termineront à porter une loi seront complète- 
ment et clairement développés dans le préam- 
bule des ordonnances ? Cette précaution suffi- 



no,- .«jhy Google 



■d'amer I(i,tJE. 575 

toit pour porter les représentani à ne pas agit 
téméraircmcDt , et prémunir le penple contre 
les lophismes des citoyens inquiets et maU 
înientionnés. 

Pastons à la puissance exécutrice , sans la- 
quelle il scroit inutile de faire des lois. Les 
Pensitvanicns l'ont confiée à un conseil com- 
posé de douze magistrats , qui doivent être 
aomtnés par tes mêmes électeurs qui auront 
choisi les représentans de la villci de Phila- 
delphie , et des onze comtés qui forment cette 
tcpflblique. -Ce conseil aura à sa tête un pré- 
sidcQtou son vice-président ; et l'un et l'autre 
seront élus tous les ans au scrutin par l'as- 
Bemblée générale et le conseil réunis , mais il 
seront toujours choisis parmi les membres du 
conseil. 

. J'oscroîs blâmer , monsieur , et cela sans 
crainte de me tromper , que la formation du 
conseil exécutif ne soit pas l'ouvrage de l'as- 
semblée générale. Pourquoi, je vous prie , 
confier à vos électeurs de 21 ans , à une 
multitude toujours ignorante et portée natu- 
rellement à aimer les magistrats indulgens , 
le soin de choisir des hommes destinés à 
veiller à l'observation des lois , et manier les 
intérêts 'les plu5 importans , et les affaires 
A a 4 



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3,7 6 DE» ÉTATS-UNIS 

les plus délicates de la lépnbliquc ? Qai peut 
être ceasc plus capable de ce choix -que les 
leprésentans si incéiesscs à ce que leurs lois 
soient conservées avec la plus grande fidélité? 
Je croîs d'ailleurs que c'est le moyen le plus 
favorable pour établir entre la puissance légis- 
lative et iapuissance exécutrice , naturellemenc 
' jalouse l'une de l'autre dans tout gouvernement 
libre , et presque toujours enneaiies dans la 
démocratie, cet accord et cette harmonie qui 
font le bien de l'état. Il me semble que sans 
blesser leurs principes , les législateurs de Pen- 
silvauie pouvoient accordera l'assemblée gé- 
nérale la faculté de choisir les membres du. 
conseil exécutif parmi les représentans qui la 
composent. Il en seroit résulté plusieurs avan- 
tages. Le comté dont le représentant auroU 
été élu seroit flatté de cet honneur ; car les 
hommes ne négligent rien de tout ce qui peut 
itiLércsser leur amour-propre-. Il se seroit foimé 
une soite d'émulation entre les comtes : ils 
auroient été attentifs à n envoyer à lassemblce 
générale que des citoyens dignes de concourir 
pour les places du conseil. Le corps déposi- 
taire des lois auroit été composé des hommes 
les plus estimables , et par cet intérêt commua 
de gioiie et d'émulation , le caractère uop 



Dpi ..ci hy Google 



d'amériq^uï. 377 

jnconsidéïé et trop intrigant de la démocratie 
auroît du moins été un pCQ tempéré. 

Ce n'est pas tout, monsieur , je pourroîs 
observer qu'il est très-difficile que ce nombre 
de douze conseiUerssufiiie à toutes les affaires 
-de l'adminisiratidn. Je dcmanderois encore 
pourquoi , dans un goiiverncmcnt où , sous 
prétexte de son extrême liberté , on ne se 
donne pas plus de peine à penser et à réflc- 
c'iiir que sous le gouvernement le plus des- 
potique , les législateurs assemblés à Phila- 
delphie n'ont prescrit aucune règle , aucune 
police, aucun régime sur la manière de traiter 
les alFaircs , soit dans J'assembléc générale , 
soit dans le conseil exécutif? Les phîlosophei 
prescrivent à leurs disciples la route qu'ils doi- 
vent tenir pour chcrclicr et trouver la vérité: les 
législateurs ne doivent ils pas être également 
attentifs à établirdcï formes pour conduire à la 
justice et au bien public, puisqu'ils ont affaire à 
des hommes souvent peu instruits , et que les 
pas^iions peuvent égarer les plus éclairés. 

Après vous avoir exposé tant de doutes et 
de scrupules, j'ai vuavec le pins grand plaisir 
dans la constitution des Pensilvaniens qu'ils 
n'aient pas confié la puissance exécutrice , 
comrai la plupart des Etats-Unis , à un conseil 



D,o,l..(iby Google 



37S . DES ÉTATS-UNIS 

qui dût se renouvcller entièrement toutes 
les années. Le conseil compcsé de magistrats 
triennaux verra sortir tous les ans les quatre 
plus anciens , qui seront remplacés par 
quatre nouvelles élections, (t Au moyen de 
cette rotation CQntinuelle , dit la loi , il y 
aura plus d'hommes accoutumés à traiter les 
afiaires publiques ; il se trouvera dans le 
conseil un certain nombre, de personnel 
instruites de ce qui sy sera fait l'année d'au- 
paravant , et par - là les affaires seront con- 
duites d'une manière plus suivie et plus uni- 
forme*}. Je conviens que la Pensilvanie aura 
moins d'écarts et plus de tenue dans ses prin- 
cipes , que les republiques qui n'ont établi 
qu'un conseil dont tous les membres sont 
snnueU : mais cela ne suEBt pas pour me 
rassurer. Les magistrats d'une république 
naissante , et qui travaille à former son ca- 
ractère , n'ont-ils pas besoin d'une plus longue 
autorité pour y établir des maximes , des 
principes constans , et lui donner , pour amsi' 
dire , l'allure la plus favorable à son bonheur ? 
Peut-on penser, monsieur, sans frayeur, à 
cet amas d'hommes qui composent les sociétés ? 
Tous ont des passions très -actives et diffé- 
rentes. Les uns cependant sont incapables 



D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



de penser, et c'est le grand et le très-grand 
nombre : les autres ne sont propres qu'à 
combiner cntr'elles les idées qu'on leur a 
données ; et au milieu de tout cela , il s'élève 
quelques hommes de génie , qui cependant 
be pcnietont pas toujoars de même. Que 
■deviendra donc une république si elle n'a 
pas en elle-même un corps toujours subsis- 
*tant , qui conserve religieusement le dtpôt 
des lois , de rapoiitiquectdacaractèrc national, 
comme les Vestales conscrvoient le feu sacré 
de Vesta? Analysons, je vous prie, monsieur, 
les histoires de Lacédcmonc et de Rome , et 
vons verrez , je crois , évidemment que ces 
deux républiqnes n-ont dû les vertus , la 
politique, la sagesse , la constance et 'le ca- 
ractère , en nn mot , que nous admirons , 
qu'à rétablissement de es sénat perpétuel 
qui en étoît l'ame. Par - là l'aristocratie et 
la démocratie étoicnt tenues en équilibre , 
et il en résultoit une forme mixte qui con- 
servoit les avantages des deux gouverne- 
mens, sans avoir aucun de leurs vices. J'ai 
vu avec beaucoup de plaisir dans la consti- 
tution de New-York , que cette répuplique 
s'est fait un conseil composé de S4 membres , 
dont les quatre plus anciens sortiront tous 



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S8o DES ÉTATS-UNIS 

les ans , et seront suppléés par une nouveire 
élection de quatre candidats , qui sans etfort 
prendront naturellement l'esprit du corps dans 
lequel ils entrent , et le transmettront à leurs 
successeurs en sortant de place. 

Malgré la sévérité amicale avec laquelle j'ai 
examiné les lois de Pcnsilvanie , je suis pé- 
nétré du plus profond respect pour les légis- 
lateurs qui les ont portées. On voit en mille' 
endroits une connoissance profonde des droits 
de la nature et du cœur humain; mais je 
le répète, dans un moment où vous étiez enfin 
forcés de ne plus reconnoître l'autorité de 
l'Angleterre , et qu'il falloit se hâter de for- 
mer une conslituiionpour prévenir l'anarchie , 
et déconcerter les vues criminelles des parti- 
sans que les Anglais avoient parmi vous , on 
n'a pas eu le temps d'arranger de la manière 
la plus parfaite toutes les parties du gouver- 
nement. Les législateurs peuvent revenir sur 
leurs pas ; l'amour de la patrie les y invite , 
et je ne doute pas qu'ils ne donnent à la 
Peusilvanie le gouvernement le plus conve- 
nable à sa situation présente , en s'occupant 
cependant de l'avenir. 

La forme du gouvernement établie dans 
la république de Massachussets est calquée 



n,5ii7PcihyGt)C5^le 



d' A M i R I Q, U E. " 38 1 

sur le gouvernement d'Angleterre, mais elle 
est beaucoup plus sage. Ce qu'on appelle 
parlement chez les Anglais est appelé chez 
vous , monsieur , cour générale. Elle est 
composée d'un sénat qui représente la chambre 
haute d'Angleterre , et d'une chambre de 
représentans , qui jouit des mêmes droits que 
la chambre des Communes à Londres. Cha- 
cune de ces deux chambres peut dresser des 
biiis à part; on se les communique mutuel- 
lement , et ceux qui sont adoptés à la plu- 
lalité des suffrages par les deux chambres , 
sont adressés au gouverneur qui les approuve 
en y mettant sa signature , ou qui les ren- 
voie en exposant les raisons qui l'ont empêché 
d'y donner son consentement. Cependant si 
les deux chambres persistent dans leur réso- 
lution , et que les bills , dans ijn second 
examen , soient encore approuvés , non pas 
simplement à la pluralité des voix , mais par 
les deux tiers des membres présens , alors 
les biils rejetés par le gouverneur ont force 
lie loi. 11 en est de même si le gouverneur 
tarde plus de cinq jours à faire connoître son 
sentiment : par son silence , il est censé tout 
ipprouver, - 

Il me semble que cette admiaistratioD est 



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38a DES ÉTATS-UNIS 

bien plus sage que celle d'Angleterre. Ua 
gouverneur annuel , qui devant bientôt rentrer 
dans la classe des simples citoyens , ne peut 
avoir aucun intérêt d'augmenter sa préroga- 
tive. , qui est éclairé par un conseil qu'on 
lui a donné , qu'il n'a pas choisi et ne peut 
disgracier à son |ré; un magistrat, en an 
mot, qui n'a par sa fortune aucun moyen 
d'acheter les suffrages de la cour généraile , 
ni d'en corrompre Ici membres en tentant 
leur ambition par des titres et des dignités , 
n'est point l'ennemi de la liberté publique, 
comme un roi d'Angleterre à qui set passions 
donnent des intérêts contraires à ceux delà 
nation ; qui mine sans cesse et lourdement 
lés droits des grands et de la commune ; 
et qui, en avançant peu-à-pcu vers le pouvoir 
absolu par le moyen de la corruption , énerve 
les âmes , affoiblit le sentiment de la liberté , et 
trouvera enfin un moment .où en agissant avec 
vigueur et dureté , il étonnera et consternera 
les Anglais, comme. Henri VHI , et leuc ap- 
prendra à plier sous le poids de json sceptre. 
D'ailleurs , je fais attention^ qu* le roi d'An-t 
gletcrre ayant la prérogative du vxlo , gêne, 
arrête , captive la puissance législative qui 
ce peut pas poiter les Lois oécesïïîres à .sa 



D,o,l7PCihyGt)t)^le 



aûreté. Le parlement obligé de négocier ne 
peut agir avec la simple et noble fermeté qui 
lui convient. Réduit à une défensive qui 
doit à la longue le perdre , il ne peut y 
icooDcer sans exposer L'état aux plus grands 
désordres , et remettre sa destinée au sort toa- 
jours incertain des armes. Le gouverneur de 
Massachusscts ne fait, au contraire , que des 
remontrances à la puissance législative: c'est 
un ressort qui n'en retarde l'action que pour 
la rendre plus laluiaire , en prévenant toute 
précipitation, toute surprise et tout engoue- 
ment. La cenwre que les deux chambres de 
la. cqur générale exercent l'une sur l'autre, en 
pouvant rejeter mutuellement leurs biils , est , 
si je ne me trompe , favorable à la stabilité 
du gouvernement. Elle arrête le goût des 
nouveautés , elle inspire aux citoyens un plus 
grand atia<ïhement et un plus grand respect 
pour les lois; et l'examen qu'on attribue au 
gouverneur de Massachusiets n'est propre 
qu'à assurer tous ces avantages. 

Peut-être aurez^-vous le cbagiàn , monsieur, 
de voir la'.Pcnsilvanie se liwer à tous les 
caprices de la démocratie , tandis que le gou^ 
varnenHtiit -de Massachussets s'afTcrmirà;; sur 
ces 'piiucipeS'. VouS'avez eu 1^ sagesse , ea 



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384 BES ÉTATS-UKIS 

formant une lépublique nouvelle qui secouait 
le joug d'un maître dur et qui vous immo- 
loit à SCS intérêts mal-entendus , de ne présen- 
ter aux esprits que des lois qui se lient sans 
cîTort à toutes les idées auxquelles ils étoient 
accoutumés , et qui , loin de blesser les an- 
ciennes habitudes , ne servent qu'à rendre 
la liberté plus agréable et plus tranquille. Vos 
concitoyens n''ont point éprouvé le soubre- 
saut que les Fensilvaniens ont souffert dans 
la révolution de Icui gouvernement. Sur une 
base démocratique qui assure à lamnltitude sa 
liberté, sans lui donner des espérances trop 
audacieuses , vous avez établi une aristovatie 
qui , par sa nature , est moins remuante , plus 
égales clle-mcme, et que les mœurs de TAmé- 
riquc , trop semblables à celles de l'Europe , 
rendent aujourd'hui nécessaire. Tandis que 
la Pensilvanic , emportée loin de ses opi- 
nions , de SCS lois et de ses habitudes famîliè-' 
res , peut s'enivrer d'une liberté démocratiquç 
dont elle ne connoit pas les ressorts , et qu'elle 
confondra vraisemblablement -avec laUccnce, 
la république de Massachussets |.plus mesurée 
4lans ses opérations , parce qu'^K/i n'aura à 
concilier que des intérêts moins Jojiçoséa , 
affermira son gouvernement et ^on' caractère 



no,-7«jhyGt)C>^le 



D ' A M É R I ^ U E. 385 

' Jt ne doute point que les personnes qui 
tic pensent qu'à la dignité et aux droits cbm-i 
miins que. tous les hommes tiennent de la 
tiature , ne préfèrent le gouvernement de Pcn- 
silvanie à celui.de Massachussets. Mais' je 
ne suis pas mojns. persuadé qu'elles change- 
ront de seiitiig,çn5, si abandonnant leurs spé- 
cul^ions métaphysiques, elles étudient l'espiit 
humain, si borné dans la plupart des hommes. 
Il semble , en effet , par la manière dont la 
nature leur dispense inégalement ses faveors, 
qu'elle prépare elle-même la subordinatli>a 
dont la société ne peut se passer. C'est donc 
en se conformant à ses lois, que nous devons 
établir les nôtres , et ne pas donner le pouvoir 
df conduire à ceux qu'elle a destinés à être 
conduits. Qu'on descende dans notre cccur 
pour ydémêlerle germe de toutes les passions 
qui cherchent continuellémentàscdévelopperj 
qu'on étudie la fc^ce de nos habitudes qui 
obscuicisteut les lumières de notre raison ^ 
et finissent par nous rendre chers des abus 
que nous aurions crus intolérables; et l'on 
sera convaincu que^ politique la plus sage 
est celle qui se. prête le plus aux besoins 
des circonstances pour en tirer le meilleui 
paru possible. Je ne puis trop le répéter ; 4 
Mably. Tomt VIII. Bb 



D,0,l..cihyGt)Ogle 



$SS DES ÉTATS-UNIS 

mesare que les mceiirs se relâchent , les loù 
et le pouvoir doivent être plus resscriés , a 
le gouvememenc confié à moins de mains, 
ËD effet , monsicar , ne voit-on pas claire- 
Hicnt dans toutes les révolutions des éiats 
qu'une démociatie corrompue les conduii 
malgré eux à l'aristocratie , et que ce gon- 
'V<:Tncmeat à son tour devient oligarchique 
pour finir par la monarchie ? Voilà où nom 
viène la marche des passions , si on-Ies tais» 
faire ; et c'est à les retenir dau^ leur cours, 
(t à Ic^ diriger vers «ne fin utile , ç"e&t-à-diKi 
bonnète, que consiste tout l'art de la législation, 
- C'est à vous , monsieur , qui connoisso 
les progrès qufi les vices d'Europe ont faîK 
dans vos états , djE juger du gouvernem*' 
qui leur convient le mieux. Pour moi , ]t 
H-ai.que des lumières fort incertaines sur «ne 
çïatière. J'ai ouï di^e que les Pcnsilvaniens 
iont beaucoup plus culrivateurs que coinm"' 
çans , et ne connoisscnt point ces fortunes 
disproportionnées et trop grandes qu'on n' 
rencontre que trop dans la république^' 
Massachussets. Soit; mais cela safîit-il p""' 
jusdfier leur démocratie ? Je sais que l'agncul- 
turc donne deS mceurs bcaucoupplus simpi'' 
étjiJiis pures queic commerce; maisjevô'* ^'" 



D,o,l7PCihyGt)t>»^le 



d'Amérique,' 387 

1« poTt -de Philadelphie ouvre une porte fxv<w 
rable à l'industrie et au commerce. Si les li- 
chesses qac donnent les tcncs sont agréablei 
et chères aiiKP^iisilvanicns, pourquoi néglige- 
ront-ils de Us augmenter en suivant l'exemple 
des Bostoniens? Je demande quelles mesures les 
lois ontpriscs pe^ui les arrêter sur le bord du pré- 
cipice. Je demande , en second lieu , si dan^ un 
gouvernement tout populaire , il est possible 
d'tn prendre. Ce seroit un miracle du premier 
-ordre , si un peuple qui cultive péniblement Ij 
terre pour^' enrichir, quiaurabî-entôtdes ateliers 
et des ©uvri-ers pour travailler et façonr^r l«8 
matières premicies , afin de favoriser. Tagri- 
culture même et de hâter ses progrès , est 
cs-pabie de ne pas se laisser entraîner par 
le sentiment dontilsera affecté. C'est àlaloî, 
c'est au gouvernement à venir à son secours. 
Jic demande encore quelles seront alors les 
Fe&saurc-es de la démocratie. Je m arrête long- 
temps sur cet article , monsieur, parce que 
je désire de tout mon cœur , que la Pensil- 
vanie s< donne, oii adopte des principes poli- 
tiques- plus proportionnés à ses bcsoini, aux 
ckconstaoces présentes et aux malheurs dont 
e-Ile est menacée. 

J'en reviens à MassacUussets , monsieur , 
Bb s 



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5^90 Dïl ÉTATJ-ONrS 

•Ccue colonie est nouvelte , elle occupe m 
grand tcrFÏtoÎTe, et l'on me dit que le nombii 
de ses habitans ne mon.'j pas â quarante mille. 
Quelles heureuses circonstances pour ctablii 
une république chez un peuple qui n'est 
encore occupe qu à chercher ses richesses 
dans le défrichement des 'terres voisines de 
SCS habitations ! Tontes ses idées doivent na- 
turellement se porter du côté de ragricullure, 
qui donne seule aux homnies l'abondance, 
conserve la simplicité de leurs mœurs, et dis- 
pose leur ame au* grandes choses. Aussi a- 
l-o» vu celle colonie si foible, et plus exposa 
que toute autre aux malheurs de la ■guerre, nt 
se jjoint démentir , et donner l'exemple du 
courage et de la prudence. 

Si j'avois été- assez heureux pour être un 
cuoyen de Géorgie , je crois que dans Vasse^- 
blée qui en rédigea; la constitution , j'aurai* 
fait ujus me's eiForts pour affermir plus solide 
ment cet esprit de modération , de modesiiti 
dont ii me semble que mes concitoyens, ffl^'' 
gré leurs mœurs , ne connoissent pas asseï It 
prix. (* Mes frères, mes amis, aurois-je ait. 
rendons grâces à la providence d'avoir con- 
duit l'Amérique à l'heureuse révolution (j"' 
assure son indépendance , avant le temps q"' 



Dpi ..ci hy Google 



D' A M É R 1 Q. U e; 391 

dcyenus trop nombreux et tiop riches, il naus 
auroit peut-être été impossible d'assurer notre 
liberté sur des fondemens incbranlabfcs. Nous 
nous trouvons en assez petit nombre pour 
pouvoir nous entendre; et nos mœurs, que 
des besoins inutiles n'ont pas corrompues , 
nous permettent encore d'établir dans notre 
république naissante les wrais principes de la 
société , d'élever une barrière entre nons et les 
vices qui ne permettent pas de prendre la 
route qui conduit au bonheur, ou qui la foni 
lucntôt abandonner. Les hommes n'ont de- 
véritables richesses que les productions de ia^ 
terre ; vûulons-nous être solidement heureux ? 
apprenons à nous contenter des fruits que 
nous devons à notre travail; ils nous suffiront 
et ne nous manqueront jamais. Prenons îles 
mesures pour que rien ne soit capable d'al- 
térer celte pjécieusc vérité que nous connois- 
sons encore, mais que l'exemple contagieux, 
de nos voisins peut bientôt nous faire oublier^ 
Je vois avec chagrin, continuerois-je*, que 
vous ordonniez de graver sur le sceau de la^ 
république une belle maison. J'aimerois mieux. 
qu'il ne présentât qu'une maison simple et 
modeste , qui rappellcrqit à notre postérité des; 
mceuts saus- Inxe et saus ^te qui ont fondé- 
Bb 4 



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3g9 DES ÉTATS-UNIS 

cet état et qu'ils doivent imiter. Je verrai aved 
plaisir, dans l'empreinte de ce sceau, nn champ 
de blé , une prairie couverte de gros et de 
menu bétail , une rivière qui la traversera. 
A ces images qui peignent votre caractère , 
pourquoi voulez-vous ajouter un vaisseaw qui 
vogue à pleines- voiles ? Songeons qu'il sera, 
pour nous la boîte de Pandore : craignons de 
nous familiariser avec ces idées d'une fausse 
prospérité , et que nous n'imprimerions que 
trop facilement dans la raison encore peu 
formée de nos cnfans. Plût-à-Dieu que jamais 
aucun vaisseau^en nous apportant des besoins 
et des plaisiisinco'nnus, ne vienne nous dégoû- 
terd'une simplicité qui peut suffire à notre bon-' 
heur! Plût-à-Dieu que nous fussions enfoncés 
dans les terres, ctque nous n'eussions à craindre 
de tous côtés que le voisinage des sauvages, 
bien moins dangereux que la mei qui baigne 
nos côtes! Pourquoi cherchons-nous à favo- 
riser les ports de Savannah et de Sunbury, en 
permutant à l'un d'envoyer quatre représentans 
à la chambre d'assemblée , et à l'autre deux 
pour représenter et favoriser leur commerce? 
Gardons-nous de suivre l'exemple de cette 
malheureuse Europe qui a voulu établir sa 
force, sa puissance et son bonheur sur des 



D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



Xt*AMéKIQ.t)E. SgS 

richesses qui dcvoJent l'affoiblir et l'appauvrir. 
Si nous regardons le commerce comme l'objet 
et la fin d'un état florissant, il faut dès ce- 
moment renoncer à tous Les principes d'ane 
bonne pùliùque , ou nous attendre qu'après 
les avoir établis, ils seront bientôt renversés. 
Si nous voulons encourager les vertus dont 
nous avons besoin , et les faire aimer à nos 
enfans, accardons des honneurs, des récom- 
penses , des distinctions aux cultivateurs tes 
plus habiles et les plus laborieux , etquî, pour 
apprendre à défendre leurs possessions , se 
délasseront des travaux de la charrue par les 
exercices glorieux de la milice. Ne songeons 
point à attirer parmi nous une grande multi- 
tude d'hommes ; ils ne vaudroient pas une 
poignée de bons citoyens qui ausont de l'ame 
et de la vertu»». 

Je m'arrête à regret, monsieur, et je me 
contenterai d'ajouter ici quelques remarques 
sur la constitution de la Géorgie. Il me semble 
que. cette république tient un milieu entre la 
politique de Pensilvanie et celle de, Massa- 
chusscts. Il ne suffit point d'y payer les taxes 
de l'état pour être élevé à la dignité de repré- 
tani , mais la fortune qu'on exige est trop 
modique pour ne pas s'accordec avec la démo- 



D,o,i.?dhy Google 



$94 DIS ilATS-U. NtS 

ctatie. D'un autre Coté , tes législateurs s'é- 
loigoent de Ta istocraiic eu n'étabUssaot point 
comme cea^. de Massri.ùui,scts deux chambres 
pour exercer la puissance Ugislaùve : on yoû 
que l'égalité leur est chère , puisqu'ils ne 
veulent pas regarder comme citoyen tout 
habitant qui n'aura pas renoncé d'une manière 
authentique à ces titres particuliers qu'une 
petite vanité a imaginés , et qui semblent desi- 
gner en Angleterre une sorte de noblesse. Je 
m'informerai avec empressement de toutes les 
nouvelles qui pourront intéresser la Géorgie. 
Si on me dit qu'elle s'oppose à'ia corruption, 
non pas par des lois vagues , mais par des \ 
«tablisscmens qui. favorisent et protègent les ! 
mœurs , j'augurerai bien de sa fortune. On 
verra disparoitte les défautG qu'on peut repro- 
cher à ses lois actuelles, où ces débuts n'au- 
ront aucune influence fâcheuse. 

Les lois portées par la chambre des reprt- 
Bcntans seront soumises à l'examen du gO"' 
vcmcur et de son conseil chargés de » 
puissance exécutrice. Leurs remontrances 
seront portées à la puissance législative pa' 
«n comité qui exposera les changcmcns qu* 
demande ic gouverneur, et les motifs qui '^* 
rendent nécessaires. Pendajit cette confércBce 



D,o,l..cihyGtK>gle 



d'amékiq,ue. SgS 

des deux pouvoirs, le comité sera assis et 
couvert, et les représentans auront la tête nue, 
à l'exception de roraieur de la chambre. Voilà 
le monde renversé , et il est extraordinaire 
que les agens, les commis, les gens d'affaire^ 
de la république paroissent devant leur maître 
souverain avec les marques de la prééminence 
et de la supériorité. Je sais* fort bien qu'un 
chapeau de plu» ou de moins ne prouve rien 
chei un peuple assez vertueux pour aimer 
également les lois et la liberté. De ce vain 
cérémonial t on conclura simplement qu'on a 
voulu apprendre aux représentans le profond 
respect qu'ils doivent au. ministres des lois., 
iorsqu'en se séparant, ils seront rentrés dans la 
classe des simples citoyens. Mais chez un 
peuple corrompu,- ou la vanité et l'ambition 
ne travaillent qu'à saper les fondcmens de l'é- 
galité , il n'en faudroit pas davantage pour tout 
perdre. Les plus légers prétextes suffisentàdes 
passions pour se faire des prétentions qui de- 
viendront insensiblement des droits qu'on 
défendra par toutes sortes de moyens. 

A Passy, 6 août 17S3. . 



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Sgfi DES ÉTATS-UNIS 



LETTRE III. 

Remarques sur quelquts objets importans, relatifs 
à la législation des Etals-Unis d'Amérique. 



XL Seroît inutils , monsieur , d'entrcr-dans un 
examen particulier des lois par lesquelles les 
autre^ Etals-Unis d'Amérique ont établi chez 
eux la puissance publique; je toihbcrois né- 
cessairement dans des Tepédiion^ inutiles et 
fastidieuses : il me semble que ce que j'ai eu 
l'honneur de vous écrire dans ma lettre précé- 
dente, en vous entretenant des trois répu- 
bliques que j'ai étudiées d'une manière' plus 
particulière , peut s'appliquer à toutes les 
autres. J'ajouterai que si les citoyens de Mas- 
sachussets, de Pensilvanie et de Géorgie tra- 
vailloient dans un nouvel examen de leurs 
constitutions , à mieux proportionner les lois 
aux besoins des circonstances dans lesquelles 
ils se trouvent ; s'ils s'occupoient autant de 
l'avenir que du moment présent ; si leurs 
réglemens établissoicnt on équilibre plus juste 
entre la puissance législative et la puissance 
exécutrice ; si l'ambition du peuple , moins 



Dpi ..ci hy Google 



■»'amériq_ue, 397 

%xcitè& par les' droits et les espérances que lui- 
donne la démociaùe , ne devoit jamais avoir 
besoin de faire des efforts convulsifs pour dé-- 
fendre sa dignité ; si les riches voyoient devant 
eux assez d'obstacles pour ne pas oser choquer 
leurs inférieurs ;' CCS républiques scrviroient 
de modèle aux autres qui scroient à Icnr tout 
plus retenues dans leur conduite , et profite- 
roient sans doute des exemples mis sons leurs 
yeux. Cependant, s'il s'y élevoit encore quel- 
ques troubles, les antres s'offriroient comme 
médiatrices ; la réputation de leur sagesse 
donneroit du poids à leur négociation , et peu- 
à-pen les bons principes s' établir oient dans 
toute la confédération. 

, Les trois républiques , dont j'ai eu l'honneur 
de vous parler , sont les seules qui aient sentit 
le prix des. mœurs et d'une bonne éducation ,- 
ou du moins qui en aient parlé. Les législateurs 
de Massachussets ne songent pa^'seulenîeni à 
étendre les lumières de notre; çspjrit.; iU 
veulent encore qu'on grave profondémcol 
dans le cceur des enfans les principes de l'hu- 
manité et de la bienveillance générale, de la 
charité publique et partictiUèje j de l'industrie, 
de la frugalité, de l'honnêteté, de l'exactitude 
dans les procédés , de la sincérité , de toute» 



Dioil ..ci hy Google 



400 DES iTAÏS'UNIS 

rager les citoyens i ne pas roDgir de leitt 
sJtnpUcité. 11 faut, pat des lois somptuaires et 
favorables aux mcears , prévenir le progrès da 
taxe, diminuer tes besoins de la mollesse et de 
la vanité, passions qui no connoissent point 
de bornes, qui perdent cnEn les monarchies 
mêmes, et détruisent en un instant les répu- 
bliques. C'est par cette discipline publique et 
générale que sera véritabUmjent acbevée Té- 
ducaûon de vos enfans. 

La Caroline Septentrionale et la Géorgie 
entrevoient l'utilité de l'éducacion, et ne disent 
pas un mot <ics mœurs ; est-ce que ces deux 
états n'en connoissent pas le pouvoir ? Quid 
leges sine moribtu uana proficiunt ? On voit avec 
plaisir que les législateurs de Pensitvanie se 
pont occupés de cet objet; mais en louant les 
-vertus, il falloit prendre des mesures pour les 
faire aimer. C'etoit une chose d'autant plus 
importante , que plus un gouvernement es£ 
démocratique, plus les raceuisy doivent avoir 
d'empire. Le peuple, plutôt conduit par ses' 
habitudes que par ses lumières, qui sont tou- 
jours foiblcs et mêlées d'une- foiile de préjugés, 
s'y laisse emporter par la fougue de ses pas- 
, sioDS et de ses opinions , et ne counoît point 
ces différcns tempéiamens auxquels les prin^ 
cipaux 



D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



D ' A M É R r Q. U E. -^ 4u l 
cipaux citoyens d'une aristocratie sont accou-. 
tumés pai leurs propres intérêts. Mais la 
Pensilvanie ne pourvoira utilement aux mœurs 
publiques qu'autant qu'elle s'appliqueraàcor- 
rigcr les principaux citoyens des vices quiv 
doivent leur être les plus naturels. Pour y 
travailler avec quelque succès , il faudroit 
certainement ne pas borner l'autorité du con- 
seil des censeurs à examiner si la constitution 
a été conservée sans la moindre atteinte. 

Ce conseil qui doit s'assembler tous les 
sept ans , paroît d'abord assez favorable à la 
tranquillité publique. On a espéré sans doute 
que cet établissement donneroit de la patience 
aux citoyens qui auroicnt de jusres sujets Je 
plaintes , et que l'espérance de voir -bientôt 
réparer les torts qu'on leur auroit faits, les 
empècheroit de cabaler , d'intriguer, ou dé 
prendre des partis vrolens. Mais je demande 
quelle sera la conduite, quel sera le pouvoir 
de ces censeurs donc la PensUvanîe attend' la 
perpétuité de SCS lois et de son gouvernement:, 
s'ils ne sont pas secondés par les inceurs géné- 
rales de la TCpublique ? llp éprouveront sans 
doutcle sort des censeurs romains, qui, après 
avoirrendu de si granijs scrvicesàleur patrie, 
lui devinrent inutiles , quand la corruption 

Mably. tcmc VIIL Ce, 



no,-7«j'h,Gt)C>»^le 



)p}T BES ÉTATS-UNIS 

^ui faisoit mépriser les' lois les obligea a se 
taire. Si on vouloir que le conseil des censeurs 
de Pensilvanic pût remplir les devoirs dont il 
est chargé , il aurolt nécessairement fallt» 
joindreaupoTivoir dont il est revêtu le soin de 
pressentir les abus , d'être attentif aux symp- 
tômes qui annonccroient quelque vice nou- 
veau, et de venir au seco.urs de quelque cou- 
tume honnête, de qnelqu'nsage. louable et dc^ 
quelque vertu qui paroîcroit s'altérer et s'affoî- 
blir. J'avoue même que malgré ces précaution» 
je ne serois pas entièrement rassuré. Pour pea 
qu'on ait réfléchi sur la nature, ie cours, la. 
marche et les progrès des passions , on voit^ 
qu'elles ont besoin d'être soumises à une cen- 
sure vigilante , attentive et perpétuelle. Si la 
Pensilvanie ne coraiDence pas par prendre ie» 
mcEuTS sous sa protection, les encourager,, 
écarter ce qui peut leur nuire, je craindrai 
qu'an conseil qui ne s'assemble qoe tous le* 
sept ans pour réparer les tors faits à la consti- 
tution, et la raffermir sur ses principes, ne 
soit de tous lés conseils le plus inutile : il sera, 
tii-même emporté par le torrent des mceur» 
p:ubliqaes. 

Quoique je ne doute point, monsieur, que 
vous, ne soyez persuadé que sans, le secoms 



n^iir^cihyGooi^le 



,D* A M è R 1 Q. b K> 40J 

iâes mœurs ^ toutes les' lois sont superflues, 
permettez- moi d'être un peu long sur cet 
article. Je prierai les Etats-Unis de faire 
attention quiils ont d'autant plus besoin des 
secours de la morale et des ctabUsscmcns par 
lesquels. elle sait rendre agréable et chère aux- 
citoyens la pratique des vertus les plus néces- 
saires , que vous ne .pouvez presque tirer 
aucun avantage de la rcUgjon, que la politique 
djC tous le» peuples; a cependant regardée 
comme un des plus pui^sans' ressorts qui font 
mouvoir le cœur hxiraAîn, et dirigent, notre 
esprit. 

'Vos pères ont jeté les premiers fondemens 
de vos colonies dans le temps que l'Angleterre 
occupée, ainsi que le reste de l'Europe, des 
controverses théologiques, étoît déchirée par 
des guerres de ;religion. Ils fuirent d'une 
patrie oà régnoit le fanatisme, et pleins d'une 
juste horreur contre l'absurde tyrannie qu'on 
cxerçoit sur les consciences, ils regardèrent 
comme le' comble du bonheur la liberté de, 
servir et d'honorer Dieu de la manière que ■ 
chacun croiroit la plus raisonnable. Cette ma- 
nière de penser devint le" premier pripcjpe dç 
la doctrine et de la conduite de vos pcrcs;,et 
leurs enfans la succèrent, pour ainsi dir« ,_avec - 
C c 2 



n,o,i7P(ibvGt)0^le 



404 des: ÉTATS-UNIS 

le lait de leUrs -nourrices. Il paroSt par vos 
constitutions qae cette 'liberté indéfinie de 
conscience -forme encore l'opinion publiqut 
et générale de vos républiques. Maïs les cir- 
constances ne sont plus les mêmes : vous 
n'obéissez plus aux Anglais qui pourvoyoitni 
à votre sûreté; vous êtes obligés de vous gou- 
verner aujourd'hui par vous-mêmes; et pcDl- 
ctra qu'en accordant les mêmes droits à tootci 
les sectes diiîérentes et qui se sont accon- 
lumécs et familiarisées les unes avec les autrts, 
il auroit été nécessaire de restreindre un pd 
voire extrême tolérance pour prévenir les abu! 
qui en peuvent résulter. 
■ Puisque la religion exerce sur l'esprit dts 
hommes le pouvoir le plus absolu,: il seroit 
sans douic de l^ plus grande utilité que ton! 
les citoyen* d'un état, réunis par on menit 
coite , obéissent aux mêmes lois divine > 
tomme ils obéissent aux mêmes lois po'i' 
(iques ; par-là , la religion joindroit ses for"' 
à celles du gouverne nicYit pour' lïs reno"^ 
■ heureux. Je sais , monsieur, que les Efets-UmS 
ne peuvent plus aspirer à cet avantage. !-«" 
vangiic qui sert de régie commune et générait 
à'toutcs les sectes qui vous séparent de coi»' 
«nnnion, vous ordonne la paix et l'arnow °^ 



D,o,l7PCihyGt)C>»^le 



D[', A M É. 5 ï <i. U, E- 40-A 

proclia!» ; et le gouvcrn«mcnt qui rapproche 
tant de religions difféFontes , les protège EptitcS 
pour ae conformer aux règles de -la-ish?!^^!!^ 
chréticBjic. Mais:permet.t«-mei d^, TQMft dc,- 
mandor si ye5:répybUqu»«'0îi'tpriï dSP.flTftVyrfîft 
convenables pour qiie' :d!autr;ies rïouVfaui^és, 
religieuses, que. vous ne csiriROÔfi.seit pas encore ,. 
et dont* vous, devez. 3(ouS' défier, ne viennent 
troubler ■votre repoe, etTcnouvellsreri Arâ^>' 
riquc^Ics ttagcdies' s?i»gIaHtesi;doot ljEut«p« 
n'a été que , trop long-temps lc-,tl)éâue«. .■..^. . 

On>nc pcutcertainéincnt point blômorquc: 
vous 3^âz réduit lc»taînis>«« de. là rcHgion à 
Fensoigner;' vous Icar.'^vcz dît avec Jésus-,' 
ChTÏst ,■ qî^ic' Icur-TOyauine n'est point dï ca 
monde; Plût au ticl que les cmpcreuts, le* 
roto, IcS' princes qui erabrassèrentde ûhristia-c 
nismc , ~cxx échange âti biens spirituels, que 
leur. donnaient leç ministres de la religion:,-: aie 
les eu»ïent ^point accablés -dt richesses r -de 
dignitésv "'de grandeurs- temporelles .: c'était 
semer l'ivimie dans U champ du père de &mille/ 
et celte ivraie a en effet étouffé le bonqgmmii 
Le spirituel a obérauiixmpovel. ^ •". '^'- .jôI* 

Les législateurs de la confédération amérW 
caine-sc sont bien préservés de ce défaut-Les 
miniitrc» de* difFéïeetes tcligiona que vom 
Ce 3 



no,-7«jhyGt)C>»^le 



■406 DES ÉTATS-UNIS 

admcttcjt nt? jpm«S6îilT|^e de la protection qnc 
les lôîs^oivent à tout homme poni sa sûitté; 
mais ils' ne sont point citoyens, ;pi>isqu'ils 
n'çiiït' aucune part à l'administratiQn- publique 
OU' ptfliliquc des affaires. D ailleurs, la médio- 
crité di: leurs bonoiraircs attiédit toutes leurs 
passions.- De grandes possessions, ne les In- 
vitent; pas comme en Europe: à- conftjndie 
d'abord et ensuite à préférer leurs'vîntérétstem- 
por-êls^'ccux de la religion : voilà- un 'grand 
bien. Mais poarqu,oi flétrir en qaciqnc-sorte 
deï'hommes chargés d'enseigner la morale ? 
Vous, paroissez. vous défier d'eux,; c'est les 
i«vi«t". à ne pas aimeri.vQs lois. Que voufi en 
jturojhi -îîii'coûté pour marquer. L'c5timc 'que 
voùs.dev-ozi.-sans-dioatt; à plusieurs miatstres. 
d6vdS'|-eH§ions?iJ: Siiffisouide leur pertiieHrc 
deivotet dans voaélcctkns , et'.âejne Ica ex- 
durcudc toute charge publique que sous;pié-; 
tHxtc3dc:ne::les.-potnt distraire .4^5 f^HÇ'iooi 
"SmfbMantes dont ■ils-SQO.t chargés. C^e^-tàinsi 
'^'csi Europe on .s"«6t q 11 elcpicforsi.'dçb errasse 
âesict^lxsiàstîques dont le pouvoiriiiicommo- 
doit, ou qui .joflbHjMjait.tropola; S»m<Qjé d« 
■ Itlir.iiïinistèrc. ^rr?. :[ ■:'. «i-i -■; ';:-3i '•■: ■ 
iiMais'je passt .à. une .obsoryation plus- im-- 
P#Ilflme;?Ne"CFai'g.nei-y©us J'Qint^^JUi8ï»ic^M;^ 



DÔi-r«jhy Google 



d' A M i B I ^i y E.' 4^7 

^uc de ce mêlan'gc de tant de doctrines di- 
verses, il ne naisse une indifférence générale 
pour le calte particulier de chacune de ces 
religions ? Ce culte cependant est nécessaire 
pour ne pas tomber dans un déïsmc , qui ne 
peut rassarer la politique que quand il se 
trouve dans des hommes élevés au-dessus de 
leurs sens et en état de méditer par eux- 
mêmes sur la sagesse de Dieu , et de connoîCre 
ce que la morale exige d'eux. Ces déistes peu- 
vent être vertueux , maïs le culte auquel ils 
ont été accoutumés en naissant leur devient 
peu à peu indifférent ; ils le négligent , et leur 
exemple détruit tout csprit.de religion dam 
cette foule de citoyens qui sont incapables 
d'y suppléer et de se faire des principes. Il 
s'établit alors dans la mul,dcude une espèce 
d'athéisme grossier qui hâttf la ruine de« 
mœurs. Atuehé à la terre , le peuple n'élève 
plus la pensée au ciel, et oublie le souverain 
magistrat de l'univers. 

Pourquoi lis -je dans les lois des Fensil- 
vaniens, (( qu'aucun homme qui reconnoît 
l'existence d'un Dieu ne peut être justement 
privé d'aucun droit civil comme ci^toyen , ni 
attaqué en aucune manière à raison de ses 
tcutimeos en matière de religion , ou de Ix 
Ce 4 



Dioii ..ci hy Google 



4oS DES ÉTATS-UNIS 

forme partrcuUère de son culte »» ? En s'ti 
tenant à la religion chrétienne, peut -01 
craindre raisonnablement qu'elle n'offre p 
asset de sectes parmi vous pour conientc: 
tout le monde ? Voulez-vous , sous prciait 
de peupler plus promptement" vos terres, y 
appeler les religions les plus étrangères ?jf 
n'use point m'expliquer sur un pareil projet; 
je dirai sciileijient que les plus grands iégis- 
lateurs ont toujours été bien moins occupés 1 
attirer beaucoup d'hommes dans leurs répB-j 
bliques , qu'à y former de bons choyens 
les unir par la même manière de penser. Sod' 
gcz, je vous prie , monsieur, que le caractère d: 
votre confédération n'est encore qu'ébaucht 

■Une guerre deseptansn'apointdonnéàvoséiai! 
unespritnational. Dans ces circonstances, « 
seroit un grand malheur qu'une foule cocu- 
dérablc d'étrangers. vînt se jeter parmi vous, 
vous apporter ses préjugés, et retarder pï'-" 
le progrès des mœurs publiques qui doive' 
unir et lier les citoyens par une conBan" 

-rautucUc, 

Apporter parmi vous de nouvelles îtl^' 
gions , rfcst y jeter une pomme de discordt, 
et réveiller cet esprit de dispute et de caaKO- 
verse que le temps a fait heureusement dtsp*' 



DQITAJhy Google 



d' A M i a 1 Q__ u E. 40g 

roître. Si ces religions nouvelles, font des pro- 
sélytes , comme on a tout lieu de le craindre , 
quand on connoît la sottise du peuple et son 
goût pour les nouveautés les plus extraordi- 
naires et les plus bizarres , par quelle raison 
n'exciteroient-elles pas des haines , des jaloa- 
sics et des querelles améres ? Dans ce-- mo- 
ment la république, il est vrai, n'y prcndroit 
ptut-être que peu de pari; car les Etats-Unis 
ne vont être d'abord occupés que des soins 
de leur commerce et de leur agricnlcure; mail 
quand il se sera établi cKez vous , ce qui n'ar- 
rivera que trop promptement, on ordre dif- 
férent de dignité entre les familles ; quand 
vous aurez une population plus abondante; 
quand vous serci exposés aux dissentions, que 
doivent faire naître les querelles de la démo- 
cratie et de l'aristocratie ; je .voudrois bien 
savoir pourquoi des citoyens avares , ambi- 
tieux , hypocrites et rusés n'associcroient pas 
ces partis naissans aux projets de leur ambi- 
tion. Ce. qui est arrivé en Europe me fait 
craindre pour ce qui doit arriver en Amé- 
rique. Les questions que Luther et Calvin 
agitoient n'auroicnt troublé que les écoles, 
si des hommes puissans , qui tes méprisoient, 
, n'eussent feint de les respecte/ pour se faire 



Dpi ..ci hy Google 



410 DES ÉTATS-UNIS 

des partisans et se rendre assez forts pour 
troubler l'état et élever leur fortune paiticu- 
lière. 

Il me semble que tes législateurs de là 
Caroline méridionale se sont plus écartés que 
tous les autres des principes qu'une saine 
politique se permet quand elle est obligée à 
tolérer plusicars religions. Ils ont ordonne 
que (* lorsque quinze personnes mâles , ou 
«n plus grand nombre, âgées au moins àt 
. vÎDgt-un ans , professant la religion protes- 
tante , convicndroot de se former en une 
société pour l'objet du culte religieux , il* 
seront bien et duemcnt autorises à former 
un corps et une église particulière qui~ sers 
réputée et regardée en vertu des lois , comme 
de la religion de cet état. ») L'esprit d'une 
pareille loi n'est pas, comme dans les autres 
Etats-Unis, de tolérer toutes les religions 
pour prévenir le fanatisme ; au contraire , elle 
n'est propre qu'à le tenir éveillé et lui donnci 
des forces. La religion présente des vérités 
mystérieuses, et les craintes et les espérances 
qn'elledonne doivent foi temcntjoccuper toutes 
les personnes capables de penser. Il faut donc 
Uavailler à calmer les esprits et prévenir ies 
controverses. La loi de la Caroline mctidio-. 



D,0,l7PCihyGt)C5^le 



DAMÉRIQ.UE. 411 

nale fait précisément lont le contraire. Tout 
le monde sait combien les hommes tiennent 
à leurs opinions particulières; combien il est 
doux de les voir adopter et de régner sur la 
raison de ses disciples. Il paroît beau d'être 
le chef d'une secte ; et puisque la Carolirre 
■permet à tout étourdi de vingt-un ans d'as- 
pirer à cet honneur , en profitant de son ima- 
gination , et de l'ignorance de quatorze autres ' 
étourdis ■ comme lui, on doit être sûr qu'an 
lieu d'avoir une religion raisonnable , elle 
n'aura que des enthousiastes et des illuminés. 
Dès qu'une république admet dans son sein 
diverses religions , qui , pour le bien de la paix , 
de. l'union , de la concorde, de la charité, 
jpuûiscnt toutes des racrocs avantages et des 
mêmes prérogatives , je croirois qu'il faut 
nécessairement que les ministres de ces reli- 
gions aient la même liberté d'enseigner leur 
doctrine. Mais je désireroîs que chaque 
église , après avoir exposé ses dogmes et sa 
discipline dans un catéchisme , ne pût ensuite 
y faire aucun changement , sous prétexte de 
s'exprimer avec plus de clarté , ou de pré- 
senter les vérités dans un meilleur ordie; il 
ne doit être permis d'y rien changer. Par-là 
on prévient, dans chaque secte, les disputes 



Do,-;«jhy Google 



4tS DES iTATS-UMS 

et les qQcrclles ; on empêche que les autres 

églises ne s observent scrapulcusement pour 
juger si leurs droits ne sont pas blessés p^i 
ces nouveautés ; les religions s occuperont 
moins les unes des autres; et l'habitude de 
se voir sans mépris , sans inquiétude et sans 
haine, s'affermit davantage de jour en jour. 

Les travers de l'esprit et du cœur humain 
sont si grands , le temps pe'it et doit amener 
des circonstances si variées et si bizarres . 
qu'on ne peut prendre trup de précaotions 
contre le fanatisme, ou contre 1 todifFércnce 
que semble préparer la multiplicité des reli- 
gions. Pourquoi donc le gouvernement n'au- 
roit-il pas lui-même son catéchisme moral et 
politique , qu'on apprendroit aux enfans en 
même temps qu'on les instruiroit des dogmes 
particuliers de leurs pères'ct do culte par lequel 
ils doivent honorer Dieu ? H seroit digne de 
la sagesse ducongrès continental de composer 
un pareil ouvrage- Ce corps respectable de 
magistrats , sur lequel repose toute la pros- 
.périté des treize Etats-Unis d'Amérique , dé- 
clarcroit donc que les saintes écritures étant 
entendues et interprétées d'une manière difie- 
rente par des hommes qui ont cherché la vé- 
rité avec des intentions pures et des lumières 



Dpi ..ci hy Google 



, d'amériq,ue. 4i3 

égalfis, il croiroit outrepasser son pouvoir en 
voulant décider une question sur laquelle la 
providence divine ne se déclare pas d'une 
manière positive cl sensible. Il est juste et il 
est pieux , diroit - il, que toutes Us religions 
d''Atnérique , en adorant les profondeurs des 
jugemens de Dieu , se" tolèrent mutuellement, 
puisque la providence les tolère toutes avec 
la même indulgence. Ne jugeons point nos 
frères dans la crainte de nous juger nous- 
mêmes. En faisant des prières sincères pour 
la révélation et la propagation de la vérité , 
que les Américains observent avec fidélité le 
culte dans lequel ils ont été élevés. S'ils se 
trompent, qu'ils soient persuadés que la bonté 
divine fera grâce à l'erreur d'un homme qui. 
crtoit de bonne foi obéir à la vérité. On peut 
se tromper aisément dans les rapports de la 
religion avec Dieu , parce qu'ils sont enve- 
loppés de mystères; mais les rapports de la 
religion avec la société sont connus de la 
manière la plus évidente. Qui peut douter que 
Dieu n'ait voulu unir tous les hommes par le 
lien de la morale et d,cs vertus sur lesquelles 
est fondé le bonhcitr de chaque citoyen et de 
la s6.ciétc ? 
Je sais , monsiear , ce que la religion dorai- 



no,- .«jhy Google 



J 



4l4 DÈS ÉTATS '-UNIS 

liante en Europe pcDt dire contre un pareil 
catéchisme : aussi n'est-ce point en théolo- 
gien que je parle , et je me borne à dire qu'il 
est une suite nécessaire de- la tolérance donc 
vous ne pouvez vous écarter. Vous sentez que 
toutes vos' religions auroicnt les nnes pour 
les autres l'indulgence que vous désirez. Les 
enfans , imbus de bonne heure de cette doc- 
trine, en conscrvcroient les principes 'pendant 
toute leur vie : les citoyens acroient attachés 
à leur religion ," parce qu'ils en attendroient 
de grands bien-s dans une seconde vie, ei 
n'auroieni point une haine indiscrète contre 
les autres religions , parce qu'elles procure- 
■ roient à leurs sectateurs les mêmes récom- 
penses et le même bonheur. 

Je désirerois que , pour former et fixer le 
caractère national , le catéchisme du congrès 
continental ne s'en tînt pas là. Pourquoi cet 
ouvrage , sans cesser d'être à la portée des 
enfans et des hommes qui doivent leur res- 
sembler pendant tout le conrs de leur vie par 
la pesanteur ou la légèreté de leurs organes et 
de leur esprit, ne deviendvoît-il pas un traite 
complet de morale ? Il dt aisé- d'exposer la 
nature de tous nos devoirs dune manière 
«impie r courte et seasiblc , et chaque hoii"»^ 



Dioii ..ci hy Google 



d' A M i; R 1 Q_ U E. 4l5 

pourra en tirer plus ou moins de consé- 
quence, suivant que la nature lii'i aura donné 
plus ou moins de facultés incellectuellci. Après . 
avoir fait connoître les devoirs de l'homme 
comme homme , on le considéreroit comme 
citoyen , et de ce nouveau rapport, on vcrroit 
naître de nouvelles Vertus , à la tête desquelles 
seroit l'amour des lois , de la patrie et de la 
liberté. Je fcrois voir ensuite , par des images 
et des exemples sensibles , comment ces trois ' 
vertus ont besoin les unes des autres pour 
conserver toute leur dignité. Elles s'égarent et 
se dégradent toujours , ai elles ne sont pas 
toujours unies. Je ne voudrois point, mon- 
sieur , de raisonnemens métaphysiques ; il 
s'agit d'éclairer les simples , et de fournir des 
principes aux philosophes qui voudront for- 
mer des magistrats à la république; discuter 
le pouvoir de nos passions, leur cours, leur 
marche, leur union , remonter à l'origine de 
nos vertus et de nos vices , et nous rendre 
précautionnés contre nous - mêmes , en nous 
montrant combien nous sommes enclins à 
nous laisser tromper par les fausses apparences 
du bonheur et du malheur. 

Je me suis étendu fort au long, monsieur; 
sur ce catéchisme, "dont je ne vous offre 



Dioii ..ci hy Google 



4l6 DES ÉTATS-UNIS 

cependant qu'une légère esquisse ; niais je le' 
demande au congrès continental , non-seule- 
ment parce que je crois que chacune de nos 
républiques en retirera un grand avantage 
pour radrainistration de ses affaires particu- 
lières, mais parce qu'il servira encore à res- 
f serrer leur union , en leur donnant à peu près 
la même manière de penser. J'ajouterai , pour 
mieux faire connoîtrc la nécessité de cet ou- 
vrage , qu'il est très-dangereux d'établir par 
une loi la liberté la plus absolue de la presse , 
dans un état nouveau , qui a acquis sa liberté 
et son indépendance l'avant que d'avoir l'art, 
ou la science de s'en servir. Il est vrai que , 
sans la liberté de la presse, il ne peut y avoir 
de liberté de penser, et que nos mœurs , par 
conséquent, et nos connoissances ne peuvent 
faire aucun progrès. Accordez tout aux savans 
qui étudient les secrets de la nature , qui cher- 
chent la vérité dans les débris de l'antiquité 
et les ténèbres des temps modernes, ou.quï 
écrivent sur les lois , les règleraens , les réso- 
lutions et les arrangemens particuliers de la 
politique et de l'administration ; leurs erreurs 
ne tirent point à conséquence ; leurs discus- 
sions , telles qu'elles soient , aiguisent notre 
entendement , l'accoutument à une marche 
réglée , 



D,o,l7PCihyGt)t)*^le 



D'AMiaiQ.UE. 417' 

réglée, et jettent des lumières utiles à la mO'> 
raie et à la politique. 

Mais les Américains étant trop familiarisés 
avec les idées philosophiques , les opinions 
et les préjugés de TAngleterre , pour s'ea 
détacher subitement, comment pourroit - on 
pspérer qu'ils ne continuassent pas à tirer des 
conséquences dangereuses des erreurs qu'ils 
regardent comme autant de principes . s'ils 
avoicnt la liberté de tout imprimer, avant que 
le congrès continental éûc établi les vérités qui 
doivent former la morale , la politique et le 
caractère de la confédération ? Tandis que 
vos républiques n'ont point encore créé chez 
«lies un conseil, ou un sénat pour leur servir 
de palladivm , conserver et perpétuer le même 
esprit , à quelle inconstance de doctrine , 
à quelles bizarreries , à quels désordres ne 
devriez - vous pas vous attendre , si chaque 
citoyen , qui a quelque talent pour écrire , 
pouvoit impunément entretenir le public de 
«es rêveries , et attaquer les principes fonda- 
mentaux de la société ? 

Ce n"êst pas ainsi que se sont gouvernées 

ces républiques anciennes qui méritent encore 

notre admiration. Elles se défioient de la 

foiblcsse de l'esprit humain ; elles savoient 

Mably Tome VIII, D d 



Dpi ..ci hy Google 



^Jl8 DIS ÉTATS-UNIS 

combien le mensonge établit facilement son 
empire sur les hommes; elles connoissoient 
les passions dont la-muliicnde est agitée dans 
une démocratie, et les passions plus sérieuses 
et plus constantes de l'aristocratie. Dc-là leur 
attention à les diriger ou à les opprimer, et 
à proscrire tout ce qui pouvoit porter quel- 
que atteinte aux mœurs- Si l'impression leui 
avoit été connue, il n^est pas vraisemblable 
qu'elles eussent permis à des écrivains témé- 
raires de publier des paradoxes dangereux 
pour faire du bruit, et de soulever les hommes 
incapables de penser, contre ceux à qui les 
lois confioicnt le gouvernement et le bien 
public. Sparte chassa de son territoire un 
poëie^, qui avoii loué des plaisirs qu'elle mé- 
ptisoit, et ne permit pas d'ajouter à la lyre 
une nouvelle corde qui auroit rendu ses sons 
tendres et efféminés. Rome rcgardoit les vers 
des Sybiltcs comme un livre sacré qu'elle con- 
sultoit dans les circonstances les plus diffi- 
ciles ; mais elle le confioit à des magistrats 
particuliers, et comprit qu'il seroit dangereux 
de le laisser entre les mains d'une populace 
incapable d'en pénétrer le sens et de l'ajuster 
aux maximes de la république. 
Je croît , monsieur , que je ferois connoîtrc 



Dpi ..ci hy Google 



DAMÉKI<LUE. 419 

totite l'importance de ma remarque , en rap- 
pelant ici combien est petit le nombre de» 
hommes capables de penser par eux-mêmes 
et de discuter nne opinion. Le reste est an 
amas d'enfiins qui n'ont aucune idée à eux , ' 
qu'aucune absurdité ne choque ^ et dont l'en- 
tendement est tout entier dans leur mémoire. 
Si le gouvernement est fait pour diriger l'es- 
pèce de pensée de ces hommes, comme les 
pères sont destinés à conduire leurs cnfan's 
dont la raison n'est pas encore développée, 
n'cst-il pas vrai qn'en ne ménageant pas la 
raison yiédiocre, commune et toujours enfan- 
tine de la plupart des citoyens , il ne seroit 
ni moins imprudent , ni moins coupable , 
qu'un père de famille qui -ne garantiroit pâa 
ses enfans des opinions dangereuses par les* 
quelles on pocrroit égarer leur raison nais- 
sante et encore trop foîblc pour discerner la 
vérité , et ne la pas laisser tromper par des 
paradoxes et des mensonges ? 

Si des sophistes, ou des esprits gauches en 
Amérique comme en Europe , attaquent le* 
vérités qui servent de fbndemcnt à la morale 
et à la politique ; si des hommes passionnés 
sacrifient les premiers principes de la société 
à leurs intérêts particuliers; si des écrivains 
Dd 3 



D,0,l7PCihyGt)C5'^IC 



4«0 DES ÉTATS-UNIS 

sans mœurs apprennent aux citoyens à èlts 
sans crainte , sans honte, sans remords et sans 
honneur; si d'autres vendent indiffércmraeni 
le mensonge et la vérité , pourquoi les pas- 
sions , moins hardies en Amérique qu'es 
Europe , y produiroient-eUes des effets raoim 
funestes ? Voyez ce qui se passe dans norrt 
monde : grâces aux livres écrits pour faiic 
aimer le vice , les mœurs ne connoissent çki 
aucune règle; elles ont alfoibli , ou plmoi 
détruit l'empire des lois : les gouvernemcni 
en sont dénaturés , et la politique sans moraii 
erre à l'aventure , et ne quitte une erreur qm 
pour en prendre Une antre. 

Je désircrois donc que tout écrivain m 
obligé de mettre son nom à son ouvrage ;ti 
«'il offensoil les mœurs, la majesté des lo». 
le respect dû aux magistrats chargés de û 
puissance exécutrice , qu'il fût Soumis à k"' 
animadversion . S'il se cachoit sous un no"' 
supposé , pourquoi tic subiroit - il pas ""' 
peine plus considérable ; puisque sa fe'"" 
même est une preuve qu'il connoissoit le '"' 
qu'il a lait, et ne s'est pas trompé ionoctm- 
ment ? 11 seroit juste que pendant quell»'' 
' années , il fût privé de tout droit de citoy" 
dans les élections. 
/ 



D,o,l..cihyGtX>gle 



D*AMéRIQ,UE. 4f> 

Quoique dans toute cette lettre, monsieur, 
je ne vous aye parlé que du poavoir des 
mœurs , de la nécessité de les corriger et d'en 
prévenir ensuite la décadence , si on veut avoir 
un gouvernement et des lois salutaires , j'avoue 
que je n'ai , en quelque sorte , qu'ébauché 
cette importante matière. Si les personnes qui 
eont à la tête des affaires en Amérique désirent 
de plus grandes lumières , elles les trouveront 
dans l'excellent ouvrage que le jdocteur Browti 
publia il y a 35 à «6 ans , sous ce titre : 
(( Mœurs anglaises , ou Appréciation des 
mœurs et des principes qui caractérisent ac- 
tuellement la nation britannique. *> Je ne 
connoia point d'ouviagc plus profond en poli- 
tique; et l'auteur, à la manière des anciens, 
considère dans le moment présent l'avenir 
quil annonce. Cet écrit eut d'abord le plus 
grand succès en Angleterre ; les esprits furent 
effrayés des vérités qu'on leur préscnioit ; 
mais la corruption avoit déjà fait trop de 
progrès pour qu'on eût le courage de se 
corriger, et l'on s'endormit dans ses vices. La 
guerre de 1 756 couvrit cependant de gloire les 
Anglais ; ils dominèrent sur toutes les mers ; 
leurs armes eurent par-tout les succès les plus- 
biillans , et on se moqua alors- des craintei 
Dd 3 



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491 DES ÉTATS-UNIS 

du docteur Brown. Pour ne point s'inquiéter, 
on ne voulut point voir que tant de prospé- 
rité étoit l'ouvrage d'un homme de génie qui 
suspendoit la décadence de sa nation , en 
laissant subsister et en multipliant même les 
causes de sa ruine. Cette gloire épliémère a 
disparu; les Américains ont éprouvé que leurs 
enneinis étoient accablés sous le poids de 
leur av:irc ainbition , et que les mœurs cen- 
surées ]>ai ie docteur Brown les forçoicnt de 
montrer le terme de leur force et de leur puis- 
sance , mais sur-tout de cet orgueil national et 
■patriotique qui servoit encore de contrepoids 
aux vices de la nation. Les législateurs de 
l'Amériqu^Psi je ne me trompe, peuvent tirer 
de l'ouvrage du docteur Brown les instruc- 
tions les plus utiles, en suivant ses principes 
et sa méthode. 

Penncucz- moi , monsieur, avant que de 
finir cette longue lettre , d'examiner encore 
quelques articles des constitutions américaines 
qui semblent ne pas prévoir les abus dont 
vous êtes menacés. Par exemple , approuvez- 
vous la loi qui ordonne que les juges de la 
cour suprême de judicature seront maintenus 
dans leurs offices aussi long-temps qu'ils se 
conduiront bien ? Au premier coup-d'oeil, ce 



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D AMEllIQ,nE. 41S 

tellement paroît sage , mais voici mes scru- 
pules. Je craindrois que les personnes qui 
aspirent à ces magistratures ne trouvassent 
qu'on recule trop leurs espérances, et que, 
pour les servir plus prompieraent , ils ne 
nouassent quelque intrigue. Ils tendront des 
pièges au juge dont ils ambitionnent la place; 
ils lui susciteront des ennemis secrets; car , 
de quels détours, de quelles ruses perfides 
n'est pas capable Tambition d'un intrigant ? 
Si ce magistrat attaqué oppose sa seule pro- 
bité à ses envieux et succombe , tout est 
perdu, et bientôt ses successeurs, persuadée 
du peu, de pouvoir de la vertu , n'opposeront 
plus que l'intrigue à l'intrigue. Oncherchera, 
par des complaisances, à se Faire des amis et 
des protecteurs pui^sans , la justice n'aura 
plus une balance égale ; et cependant rien n'est 
plus funeste pour les mœurs publiques qufc 
les malversations des magistrats dans l'admi- 
nistration de la justice. Les lois perdent alors 
leur crédit; car on trouve facilement des 
moyens de les éluder , en feignant de le« 
rendre plus justes. 

Ma crainte, ou plutôt mon zèle pour vo» 
intérêts , exagère peut-être les dangers : je 
consens donc que l'esprit d'intrigue , si com- 
' Dd 4 



D,o,l7^cihyGtH)^le 



494 DES ÉTATS-UNIS 

mun en Europe, soit toujours inconnu en 
Amérique. Qu'arrivera-t-il de-là ? Les pre- 
miers magistrats seront d'aboid très-atteniifs 
à ienrs devoirs. -Aucun ne sera destitué, et 
en leur voyant conserver leur office jusqu'à 
la mort, on s'accoutumera peu à peu à penici 
qu'il est donné à vie. Les successeurs de ces 
hommes admirables seront flattés d'une opi- 
nion qui favorise leur vanité, et l'aclopterom 
avec empressement. Alors, le mal commence; 
alors , ces magistrats intégres se relâclieni, 
se négligent et sont moins attentif» sur eux- 
mêmes. On pardonnera d'abord de légèrci 
fautes , parce qu'une destitution jusqu'alon 1 
inconnue paroîtroii une peine trop grave. Lei 
délits se muhipliâroni donc; on s'y accoutu- 
mera, et de leurs fautes enfin accréditées, lei 
juges se feront une espèce de privilège, oo 
de droit à continuer de se mal comporter. Ma 
prédiction n'est point vaine , car les juiw- 
consultes, plus avisés que les autres, hommes, 
chemineBit lentement et pas, à pas , et la répu- 
blique ne sera pas assez heureuse pour qo n"' 
injustice éclatante de leur part la force d'i^'f* 
attentive à, ses intérêts, et d'appliquer un i^* 
mède aux abus. 

Puisque j'en suis aux cours de justice , qu » 



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/ 



d'amériq.ue. 4a5 

me soit permis d'ajouter un mot sur les cours 
d'équité. Cet établissement pouvoit être utile 
en Angleterre , quand elle étoit soumise à la 
police des Ëefs , et que les loj^ étoient néces- 
sairement équivoques, grossières et informes. 
Ce qui éloit alors le moins mauvais pouvoit 
passer pour bon. Mais l'Amérique n'est pas 
dans les mêmes circonstances. J'aime beau- 
coup que les juge« suivent la lettre de la loi. 
Si elle leur paroît dans ceruins cas obscure 
ou injuste, qu'au lieu de s'ériger en législa- 
teurs , ils consultent la puissance législative. 
Je crains que les cours d'équité , sous prétexte 
de juger selon l'esprit de la loi , ne la cor- 
rompent et ne la dénaturent en la rendant 
arbitraire. Mes cminies me paroissent d'au- 
tant mieux fondées , qu'il me semble que chez 
tous les peuples de l'Europe les jurisconsultes 
ne se sont appliqués qu'à rendre obscur et 
indécis le sens de la loi : c'est de-là qu'ils 
tirent leur considération. Nous aurions moins 
besoin d'eux, s'ils ne nous conduisoient pas 
dins les routes d'un labyrinthe ténébreux. Je 
le répète encore , si une loi est équivoque ou 
paroît trop dure et contraire aux règles de 
l'humanité, c'est à la puissance législative" 
qu'il faut recourir : cUc seule a le droit de se 



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426 DES ÉTATS-UNIS 

corriger, et il importe à la sûreté et à la tran- 
quillité des ciioycns , qu'aucune cour de jus- 
tice ne fasse à son gré une jurisprudence qui 
peut aisément Régénérer en une tyrannie in- 
supportable , parce qu'elle obéira bientôt à 
toutes les passions des juges. 

Permettez-moi de le dire , monsieur , on 
trouve dans ces constitutions d'Amérique 
plusieurs lois qu'on ne peut s'empêcher 
d'approuver et de condamner à la fois. Par 
exemple , la république de Massachus^cts 
ordonne que tt les armées étant* dangereuses 
en temps de paix pour la liberté, on ne doit 
pas en conserver sur pied; sans le consente- 
lucnt de la puissance législative : elle ajoute 
que le pouvoir militaire doit être tc^ujonrs 
dans une subordination exacte à rauioriiê 
civile. 11 Cette loi voit fort bien le danger , 
mais elle ne le prévient pas. Pourtjuoi ne 
parle-t-elle que du temps de paix ? Est-ce 
que pendant la guerre les armées sont plus 
disposées à être soumises à l'autorité civile ? 
Les personnes un peu instruites auront de la 
peine à se persuader ce paradoxe ; on ne 
trouve que trop souvent dans l'histoire des 
généraux qui ont inspiré leur ambition à leurs 
armées , la fin de cette Loi est vague et tioa-> 



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d'amériq_ue. 4bj 

qucc. 11 n'est pas question de dire que l'armée 
doit être subordonnée à la puissance civile ; 
c'est une vérité triviale, et le législateur doit 
cmployei toutes les mesures et .tous les moyens 
possibles, pour que cette subordination, une 
foi* établie, subsiste et ne puisse se déranger. 
Combien de précantions ne faut-il pas prendre 
dans un état libre , pour que les citoyens 
soient de bons soldats , et cependant n'abu- 
sent jamais de leurs forces ? Négligez-les , il 
xcniîtra des Sylla , des Marius , des César , 
àtB Cromwcl; des Vatstein. 

Ncw-Yorck dit que t* la milice sera par la 
u te et dans tous les temps, soit paix, soit 
guerre i armée , disciplinée et toute prête à 
servir. )) Il est aisé de voir combien cette loi 
laisse de choses à désirer ; la Pensilvanie 
ordonne que <« les Tiommes libres et leurs 
enfans seront armés et disciplinés pour la 
• défense de la république , et que le peuple 
choisira les colonels et les officiers d'un grade 
inférieur, >) Cette disposition a le même dé- 
faut que je viens de reprocher à New-Yorck, 
Il me semble que le législateur ne voit que 
la fin qu'il se propose, sans, s'occuper des 
moyens d'y arriver. J'ai beau étudier la légis- 
Ifition de vos républiques , je n'y trouve point 



D,o,l7PCihyGt)t>»^le 



428 DES ÉTATS-UKIS 

ces rappor(s qui unissent les intérêts et les 
volontés des citoveiis ; je n"y vois point cetre 
harmonie qui tien: toutes les parties de l'eiat 
tjans une sorte d'équilibre et leur donne un 
inênie esprit. 

Vous (levez compter , monsieur , que votre 
peuple , dont les lois ont établi d'une manière 
si claire la souveraineté, sera difficile à ma- 
nier, puisqu'il sentira ses forces. En étant 
armé pour la défense de la patrie, il doit 
être jaloux de sa dignité ; il sera inquiet et 
soupçonneux, parce qu'il verra des citoyens 
qui , ne lui étant point supérieurs par le 
droit , seront cependant trop fieri de Ictir 
fortune pour se confondre avec lui , et ne 
pas affecter une certaine supériorité. C'est-là 
une maladie incurable dans tous les états 
libres où les richesses sont distribuées très- 
ïocgalcmcnt. Si ce levain d'envie, de jalousie 
et d'ambition cesse d'agir, c'est un signe in- 
faillible que le sentiment de la Ubetté afToiblt 
et presque détruit ne subsistera pas lung- 
tcraps. Mais s'il fermente avec trop de force , 
!a république éprouvera des secousses , des 
commotions violentes qui la perdront néces- 
sairement. Quel est donc le régime conve- 
nable avec un pareil tempérament ? Ce sont. 



Do,T«jhy Google 



sî jC' ne me trompe, des lois conciliatrices 
qui , sans rien ôtcr aux pauvres de leurs droits , 
empêcheront que ies riches n'abusent des pas- 
sions que doivent leur donner leurs richesses. 
Le peuple doit, à la médiocrité de sa fortune, 
»inc sorte de modération dont il ne s"écartc 
point, à moins qu'on ne l'irrite par des mé- 
pris ou des injustices. Les richesses, au con- 
traire , donnent à ceux qui les possèdent une 
vanité d'autant plus impérieuse, qu'elle est 
plus forte. Elle veut dominer, et ses espé- 
rances deviennent pouç/clle des droits. Pour- 
quoi donc , à l'exemple de la Géorgie , qui 
n'admet point les substitutions , les autres 
Etats-Unis ne les' proscrivent-ils pas ? Pour- 
quoi les lois ne tendent-elles pas à diviser 
ies fortunes que l'avarice des riches ne cesse 
d'accumuler ? Pourquoi, en rendant le luxe 
méprisable , n'ôte - t - elle pas à la cupidité 
l'aliment qui la nourrit et la rend insatiable? 
Si les constitutions américaines avoient été 
établies sur ces principes , j'aurois vu avec 
plaisir qu'elles auroient connu le danger 
auquel vos républiques sont exposées , et 
qu'elles auroient tenté du moins d'établir 
dans l'état un lien de paix et de concorde. 
Cl d'atFcrmir les fondcmens de la liberté. 



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43o DES ÉTATS-UNIS 

J'observe quelquefois , avec plaisir , les can- 
tons Suisses. Quelques - uns possèdent en 
commun de petites provinces dont ils sont 
souverains; tous ont des forces très-inégales, 
des lois différentes et des religions , par-tout 
ailleurs si ennemies, et qui dans cet heureux 
pays ne s'offensent pas. Ils sont unis entre 
eux par un lien moins fort et moins régulier 
que celui qui associe les treize Etats - Unis 
d'Amérique ;* ils jouissent cependant d'un 
ordre et d'une tranquillité que ceux - ci ne 
feront peut - être qiic désirer. Ce pays n'a 
jamais été troublé que pendant quelques ins- 
tans , et sans laisser des semences de haine, 
d'envie ou d'ambition. Pourquoi cette con- 
fédération est -elle gouvernée 'avec tant de 
sagesse ? Pourquoi la démocratie de quelques 
cantons n'y a-t^elle aucun des caprices ou des 
vertiges qui lui sont si naturels ? Pourquoi, 
l'aristocratie, par sa nature si soupçonneuse 
et si impérieuse , n'est - elle , par exemple , 
dans le canton de Berne, qu'un gouverne- 
ment paternel ? Pourquoi les magistrats s'y 
croient-ils les agens et non pas les maîtres 
de la société ? 

Plus vous rechercherez les causée de celte 
heureuse administration, et plus vous serez 



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a' \ M i n 1 av t. 4S1 

persuadé qu'elle est l'ouvrage du silence 
auquel les Suisses ont condamné les passions 
les plus naturelles au cœur humain. Ils ont 
écarté avec soin les tentations qui pourroicnt 
inviter les magistrats à être ambitieux et in- 
justes. Par-là, le peuple , plein de confiance 
et de sécurité, aime les lois sur lesquelles il 
compte. Sa patrie lui est chère , et il voit sans 
trouble et sans inquiétude les négligences ou 
les petits torts qui sont une suite inséparable 
de la fragilité humaine. Ils habitent un pays 
pauvre qui les préserve de fous les besoin» 
impertinens qui désolent la société , et avi- 
lisent les pays riches. Le service étranger 
auquel ils s'engagent , produit à la fois deux 
biens ; l'un de leur former des soldats malgré 
la paix qu'ils aiment et dont ils jouissent; 
l'autre de les débarrasser des mauvais sujets 
qui ne peuvent se contenter de la simplicité 
des mceurs helvétiques. 

Ces réflexions m'ont conduit à trouver 
étrange que les Etats-Unis d'Amérique pos- 
sédant des terres fertiles, et étant placés de 
la manière la plus favorable pour faire un 
riche commerce , n'aient pas prévu qu'ils 
setoient bientôt exposés à tous les abus qui 
accompagnent oécessairement de grandes rî- 



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452 DES ÉTATS- ÛNlg 

chcsscs. Leurs législateurs dévoient donc 
sentir qne leurs républiques auroient diffi- 
cilement les mceurs qDe detAande la liberté. 
Ils dévoient en conséquence ne se pas con- 
tenter de recommander vaguement la pratique 
de quelques vertus ; îls dévoient ne négliger 
aucune mesure pour les rendre chères et 
familières. 

Il en faut convenir , monsieur , les Amé- 
ricains otit établi leur indépendance dans des 
circonstances malheareuses. Le temps n'est 
plus où les âmes fortes , élevées et coura- 
geuses étoicnt capables à la fois des plus 
violentes înjusùces et des plus grandes vertus. 
Les Suisses, trop pauvres pour avoir les vices 
de notre siècle , et unis par leur pauvreté 
même , se soulevèrent contre des seigneurs 
dont les vexations et les cruautés lassèrent 
enfin leur patience , et ils ne pouvoicnt, dan* 
leur entreprise , se proposer antre chose que 
la liberté et la gloire , tout le reste lem" étoit 
inconnu. Vos colonies , au contraire , déjà 
gâtées par leurs relarions avec la mère-patrie, 
en envioient autant les richesses que la liberté; 
et c'est pour cela, comme j'ai déjà eu l'hon- 
neur de vous le dire, que j'aurois souhaite 
(Qu'une guerre longurf et laborieuse eût subs- 
ûtué 



Dpi r^dhy Google 



t) * A M ê It t Q. W K. 45J 

titué de nouvelles passions et de nouvelles 
idées à celles que vous aviez reçues d'Europe. 
J'en reviens aux Suisses, monsieur, et plus 
j^examine leur confédération , plus je suis 
persuadé qu'ils doivent principalement la per- 
pétuité de leurs mœurs et de leur égalité à 
l'heureuse inscitudon de n'avoir aucune ville 
fortifiée , aucune forteresse où iliaillc tenir des 
garnisons , c'est-à-dire , des soldats merce- 
naires qui ne sont que soldats, et qui jamaîl 
ne sont plus aises que quand ils peuvent 
intimider de paisibles citoyens et leur faire 
sentir leur prétendue supériorité. Il arrive 
de-là que les magistrats n'ayafit point sous 
la main des troupes dont ils disposent, s'ac-* 
coutument malgré eux à des voies de conci- 
liation et de justice. Ils sont plus mesurés 
dans leurs entreprises , parce que leur ima- 
gination , qui ne se repaît pas de projet» 
hardis , résiste facilement à de fausses espé- 
rances. Avec des forteresses' et des garnisoni 
mercenaires , les magistrats se seroicnt sentî 
une force qui les auroît rendus plus conSans 
et par conséquent moins prudens et plus in- 
justes. Sous prétexte de défendre l'entrée du 
payi , on auroît multiplié les forteresses, et 
«n même temps les magistrats plus avidei 
Mably. T0m< Vllt, Ee 



Do,T«Jhy Google 



454 ai. s ÉTATS-UKIS 

plus ambitieux n'auroîcnt pas manqué de faîrv 
oublier aux citoyens leur esprit militaire , ca 
feignsnt de favoriser leur goût pour le repos 
et les travaux de ragriculturc. 

Que seroient devenus ces petits cantons , on, 
sous la protection des bonnes mceurs , règne 
encore la démocratie la plus franche et la plus 
entière? Comme dans les siècles qui honorent 
le plus l'humanité , les citoyens auroient-ils 
condnué à s'assembler sous an vieux chêne 
ou sous un vieux sapin pour y délibérer sans 
artifice de la chose publique '? Il y a long- 
temps que les cantons ou la démocratie est 
tempérée aujourd'hui par les lois et les con- 
tumes d'ane sage aristocratie, obéiront à des 
aristocrates, c'est-à-dire à des tyrans. Berne 
même , dont l'aristocratie n'a aucun des défauts 
qui appartiennent en quelque sorte à ce gou^ 
vernement , n'auroït pas manqué , en asscr- 
vissant ses propres citoyens , de détruire la 
confédéradon helvétique. L'ambition et l'ava- 
licc de cette république n'auroient songé qu'à 
abuser de ses forces. Berne auroit asservi ses 
alliés dont elle respecte aujourd'hui si reli- 
gieusement les droits et l'alliance. 

Vous me direz , sans doute , monsieur , 
^tie toutes vos républiques ont sur les côtes 



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de la mer et à l'embouchure des graDdés ri* 
vières , des villes eC des ports qa'il est néces- 
saire de fortifier ; je sens combien il est im-> 
portant pour vous de défendre l'entrée de vos 
ports par des forteresses et des garnisons 
toujours sobsistantcs , si vous voulez être 
maître chez-vous. Je conçois même que dans 
l'intérieur des terres , vous ne pouvez pas 
vous dispenser d'élever quelques châteaux 
pour vous garandr des courses et des incur- 
sions que les sauvagçs peuvent faire sut 
votre territoire. Ayez donc des forteresses 
et des garnisons , pnisqne vos provinces ne 
sont point naturellement fortifiées comme la 
Suisse ; mais que ces places de sûreté ne 
soient nullement à la disposition des magis- 
trats du pays où elles seront construites. Ils 
en abuseroicnt sans doute , et je ne puis me 
débarrasser de cette crainte. 

Je désircrois donc que toutes ces forces 
fussent confiées à la direction et aux ordres 
du congrès continental. Lui seul par la forme 
de votre confédération , étant revêtu du pou- 
voir de traiter avec les étrangers , doit aussi 
avoir le ponvotr de commander les troupes 
destinées à agir hostilement contr^eux. Ces 
garnisons à qui il seroit défendu de s'immiicet 
Ee s 

no,-7«jhyGt)C5^le 



456 DES ÉTATS-UNI» 

dans les afTatres civiles , et qui ne rccevroicil 
des ordres que du congrès, ne deviendioicit 
jamais une arme entre les mains des maglsinls; 
ainsi ta, puissance civile n'ayant que des moycic 
de douceur et de conciliation pour calmer le 
esprits quelquefois agités , seroit obligée dcsi 
faire une politique conforme à sa situation. Le 
citoyens , de leur côté, n'ayant rien à ciaindw, 
s'accoutumeroient enfin à obéir aux lois, no' 
par crainte, mais par respect et par affeciioU' 
Dc-là naîtroit une sécurité générale. Les richo 
n'abuscroicnt peut-être pas de leurs richess", 
ou du moÎDS en abuseroient plus tard etavii 
moins d'orgueil. Le peuple armé commet' 
Suisse , et qui seroit véritablement la force i< 
l'état, se ferait respecter jusque dans sa sou- 
mission et sa pauvreté. IL me semble qu'aucuc 
de vos républiques n'a rien à craindre du p»' 
que je propose. Est-il possible de penscrq" 
le congrès condoental veuille un jour abui« 
des forces que je lui abandonne, pour usurp" 
nncautorité funeste àla liberté des Etats-Uoi'- 
Ce corps respectable n'est-il pas compose''' 
membres qui auront passé par les emploi"" 
leur république , qui en auront contracte 1^ 
mœurs et les habitudes , et qui doivent biî"' 
tôt rentrer dans la classe des simples citoytJ"' 



Do,T«jhy Google 



t)*AMÉltIQ,UE. 437 

Eo supposant qu'ils fussent assez insensés pour 
former une conjuration , à quoi Icnr scrvi- 
roicnt leurs forteresses , leurs -châteaux et 
leurs garnisons contre les milices de vos treize 
républiques réunies ? 

A Passy i3 août lySS. 



Ee 5 



D,0,l..cihyGt)Ogle 



43s DES ÉTAÏS-uniS 



LETTRE IV. 

Des dangers auxquels est exposée la confédèratt'on 
américaine. Comment se formeront les troubles 
et les divisions- Kiceisiti ^augmenter le pou~ 
voir du congrès continental, 

J.OUTE l'Europe, monsieur , après avoir 
craint que vous ne puissiez résister aux forces 
de la Grande-Bretagne , est enchantée aujour- 
d'hui du courage et de la constance qui ne 
vous ont point abandonnés , et des succès 
heureux que vous avez obtenus. Les prélimi' 
naires de la paix -qui assurent l'indépendance 
de l'Amérique sont déjà signés , et dans le 
iQomentoùj'ai Thonneur de vous écrire, nous 
sommes à la veille de les voir confirmer par 
un traité solennel. Toutes les nations , en 
voyantqu'il s'est ouvert une nouvelle branche 
de commerce à leur industrie , ne songent 
qu'à s'enrichir des dépouilles des Anglais. Je 
rencontre tous les jours de ces politiques à 
argent qui n'envient pas votre liberté , mais 
Içs richesses qui vont fotdre sàr vous det 



Do,T«jhy Google 



n'AMèKÏQ.t)E. 43g 

quatre parties du monde. Ils voient déjà la 
mer couverte de vos vaisseaux , et regardant 
l'or comme le netf de la guerre , de la paix , 
et l'objet de la plus profonde politique , ils ne 
manquent point de vous prédire la plus grande 
prospérité. 

Pour moi , je Tavoue , cette prodigieuse 
fortune me fait, au contraire, trembler sur le 
sort qui vous attend. Après les trois lettres 
que j'ai déjà eu l'honnenr de vous écrire , 
vous n'en, serez pas surpris. Je ne puis m'em- 
pêcher de penser à Platon , qui , pour assurer 
Iç bonheur d'une république , vouloit qu'elle 
ne s'établît point sur les rivages de la mer, ou 
sur les bords d'une grande rivière. Cette po- 
sition , dit-il , l'exposeroit aux dangers du 
commerce. Les étrangers qnine manqueroient 
pas d'y apporter leurs supcrQaités , Taccou- 
tumeroient à des besoins nouveaux. Bientôt 
les citoyens .alléchés par ces nouveautés dont 
ils ne pourroient plus se passer , et conduits 
par des passions inconnues , crôiroient rendre 
un grand service à la patrie , en n'attendant 
pas que les étrangers vinssent leur apporter 
des marchandises. Ils voudront à leur tour 
couvrir les fleuves et les mers de leurs barques 
et de leurs vaisseaux : on encouragera tou^ 
Ee 4 



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440 DES ÉTAT s -UN 1,5 

les arts , toutes les manufactures ; mais p'e*»- 
doutez pas , tous CCS ballots de marchandise» 
importées ou exportées deviendront pour la. 
république la véiîtable boîte de Pandore. 

S'il en falloit croire, monsieur, cette doc- 
trine que nous appelons sauvage et peut-être 
ridicule , pour nous déguiser à nous-mcnacs 
notre propre foiie , quelles fatales conséquences 
n'en faudroit-il pas tirer pour tes Etats-Unis 
d'Amérique ? Sans doute que Platon penseroit 
que vos républiques ne pourroient se promettre 
une prospérité de longiie" durée , quand même 
•lie répareroiint aujourd'hui toutes les négli- 
gences qui ont échappées à leurs législateurs, 
et dont j'ai pris la liberté dç vous entretenir 
dans mes lettres précédentei. En affermissant 
le gouvernement sur une base plus régulière, 
en préparant et disposant avec art les lots , 
de façon quelles se soutiennent mutuellement, 
et se fassent aimer des citoyens , vousarrêtercï, 
vous diroit ce philosophe , vous suspendrez 
vos malheurs, mai:} vous ne les préviendrez 
point, et vous setex enSn les victimes et les 
dupes des tentations auxq\telles vous vofis serez 
exposés. 

C'est un homme intraitable que cePIaton; 
il avoit calculé la force de la raison hiimaine 



Dpi ..ci hy Google 



D^AUÉRI Q,UE. 441 

%t celle de nos passions; il connoissoït la gé- 
nération de nosvices et la chaîne fatale qui les 
lie tous les uns anx autres. Peut-être auroit-il 
eu l'audace de vous dire que ces sauvages qui 
errent lur vos Cornières , sont inoins éloignés 
des principes d'une bonne civilisation , que 
les peuples qui cultivent le commerce et qui 
chérissent les richesses. Les sauvages , ajou- 
tcroic-il , ne raisonneront pas régulièrement 
et avec méthode des droits de l'humanité , 
mais tous les principes en sont profondément 
gravés dans leur amc forte et vigoureuse ; 
ils ne seront effrayés d'aucune vertu dont on 
leur aura fait sentir l'utilité ; ils s'y livreront 
par sentiment, tandis que les nations les plus 
fières de leurs lumières cèdent à l'instinct qui 
les conduit au mal , et trouvent en&n des 
raisons pour le justiher , ou plutôt pour 
l'approuver. 

Passons , si vous le voulez bien , monsieur , 
à une philosophie moins austère et plus pro- 
portionnée aux mœurs présentes : je vais vous 
exposer la doctrine du docteur Brown sur le 
commerce. (( Je crois , dit-il, que si on veut 
bien en étudier la nature et les effets, on 
demeurera convaincu que, soit dans ses corn- 
mcnccmens, soit dans sa médiocrité, il est 



Do,T«jhy Google 



- 44» Ï»ES ÉTATS-UNIS 

très-avantageux à une naùon ; mais qu'arrivé 
à son plus haut période par des progrès ulté- 
rieurs, il lui devient réellement dangereux et 
funeste. D'abord il pourvoit aux nécessités 
mutuelles des nations commerçantes , il pré- 
vient leurs besoins, il augmente leurs con- 
noissanccs , il les guérit de leurs préjugés , il 
y étend les sentimcns de Thumanité ; ensuite 
il procure au peuple des agrémeris , il multi- 
plie le nombre des citoyens , il bat de la 
monnoie , il fait naître les sciences et les arts , 
il dicte des lois équitables , il répand au long 
et au large l'abondance et la prospérité; mais 
parvenu enfin à son troisième et plus haut 
période , il change de nature et produit de 
tout autres effets. H amène les superfluités avec 
l'opulence, il engendre l'avarice , il enfle le 
luxe ; et en même-temps qu'il porte parmi les 
personnes du plus haut rang unrafinement 
de délicatesse qui achève de les amollir , il 
corrompt visiblement les principes de toute 
ïa nation. 

D'abord l'industrie est frugale sans être in- 
compatible avec la générosité. Bornée à ce 
qui intéresse le nécessaire , renfermée dans 
une jouissance modérée des biens de la vie, 
elle emploie volontiers son petit superflu en 



Do,T«jhy Google 



D'AMÉIII Q,tJE. 443 

libéralités et en largesses. Mais à raesare que. 
l'industrie augmente les richesses , elle aug- 
mente aassi le goût de l'opulence : l'amour 
de l'argent étant l'ouvrage de l'imagination et 
non du sentiment , on ne s'en rassasie point; 
on se dégoûte des objets des passions nalii- 
relles : il n'est point d'habitude qui se fortifie 
plus par l'usage que ceU« d'amasser de l'ar- 
gent. Un homme qui l'a contractée s'en oc- 
cupe tout ender ; il y concentre toutes ses 
vues. Rien n'égale à ses yeux la satisfaciign 
de grossir ses trésors. Ainsi, tout marchand 
qui vise à l'opulence doit par -cela même 
devenir industrieux, et ce qui le rend indus- 
trieux doit le rendre avare. Or , ce qui est 
vrai du particulier , l'est aussi du corps entier 
d'une nation qui commerce. Si cette nadon 
trafique pour s'enrichir , si sa dernière fin est 
d'arriver à l'opulence , ctsi, dans- cet esprit, les 
chefs mêmes de cette naiion sont des com- 
me rçans , le caractère prédominant de tout le 
corps sera une industrieuse avarice. On ira 
fouiller dans tous les climats ; on bravera 
toutes les mers pour satisfaire aux besoins de 
l'avarice et du luxe. >» 

A cette autorité si grave , je pourrois joindre 
celle de Canttilon , homme du génie le plus 



Do,->«Jhy Google 



444 "ÏES ÉTATS-UNIS 

pcnéirant et le plus étendu. Il avoit fait lui- 
mciueun très-grand commerce et dé.oclétoas 
les ressorts qui le font mouvoir et agir, tt 
auxquels les commerçms, les banquiers, Ifs 
agioteurs , les spécuiateuis d'affaires obéissent 
£dcncment. On voit , dit-il , que l'argent (Si 
lame de toutes leurs opérations ; qu'ils habi- 
tent un pays, mais' n'ont point de patrie; 
Puc leur cupidité se communique insensib/(- 
ment a tous les citoyens , qui ayant toujoun 
de nouveaux besoins , ne peuvent jamais avoii 
assez de fortune. Considérant ensuite iecom- 
uicrce en homme d'état, il pronve très-biwi 
qu'il ne donne et ne peut donner à un peuple! 
qu'une puissance passagère et momentané' i 
Cette opulence dont il est si fier disparoi:, 
promptement, parce que les frais d'un riclit j 
commerce étant augmentés , on abandon"' | 
ses propres marchandises pour courir apt« j 
celle d'un peuple pauvre où la main-d'oeuïi= i 
est à bon marché. Alors on accuse les aiinii' 
nisiratcurs de sottise ou de négligence , pw« ■ 
que ic commerce est détruit et que Targen! 
devient plus rare , comme s'il étoit en IW | 
pouvoir de changer la nature des choses. 

Cependant j remarque Cantillon , dans '^ 
momens d'opulence dont on a joui, ons"t 



D,o,l..cihyGtK>gle 



D ' A M i R I Q, U- E. 445 

enivré de sa prospérité , on s'eit fait des idées 
chimériques de sa puissance ; on méprise ses 
voisins parce qu'ils sont moins riches; oa 
croit avoir droit de les dominer , ou da 
TDoins.delcs traiter cavalière ment. Soit ambi- 
lion, vanité, ignorance, qualités qui s'associcot 
merveilleusement, on forme , sans qu'on s'en 
aperçoive des entreprises au-dcstus de ses 
forces. De -là Les emprunts et toute cet:£ 
adresse admirable par laquelle on parvient à 
se faire un très-grand crédit. Mais comme les 
hommes ne sont jamais assez sages pour se 
corriger par une expérience , on imagine des 
banques pour que le papier tienne Heu de 
l'argent qu'on n"a pas , et bientôt on soutiendra 
que le crédit est la source de la puissance d'ua 
état. Vaine ressource ! La richesse imaginaire 
des banques disparoit, et Ton songe cn&n à 
ranimer le commerce par la voie des armes, 
sans prévoir que la guerre absorbera plus de 
richesses que n'en peut procurer le commerce 
le plus heureux. Je m'arrête , monsieur, car je 
ne doute point que l'ouvragcjie Canûllon n'ait 
passé en Amérique. 

Si ce que je viens d'écrire, en copiant les 
propres paroles du docteur Brown et en vous 
exposant la doctrine de Cautiilon , doit passer 



Dpi ..ci hy Google 



44^ 11 E "s ^TATS-UNtS 

pour une vérité incontestable , et mille foii 
démontrée parlés faits, pourrois- je n'avoir pas 
quelque crainte sur le sort qui attend les Eiats- 
Unis d'Amérique ? Comment ne scrois-je pas 
inquiet, quand je vois que leur position topo- 
grafique les invite, les sollicite , les presse dt 
se livrer au commerce? Vos villes sont rem- 
plies de citoyens, qui avant votre révolution, 
avoicnt déjà adopté toutes les idées anglaises 
sur le commerce , les richesses et la prospériié 
. des états , ec qui ne sont point détrompées en 
voyant enfin que rAngletcrrc est pauvre au , 
milieu de toutes ses richesses si enviées , et 
qui ne lui ont donné, comme le pr^ve vorre 
guerre , qu'une confiance téméraire et àa 
espérances trompeuses. 

Quelles mesures vos législateurs ont -ils | 
prises pour donner des bornes au commerce ^ 
ef. le fixer dan^ cette heureuse médiocrité 
qui, suivant le docteur Brown , peut encore 
s'associer avec quelques vertus ? Je sa" 
que toutes leurs lois n'auroicnt été qu'une 
barrière impuissante , si on avoil lai*'* 
aux passions la moindre espérance de réus- 
sir ; mais j'aurois du moins vu avec plaisit 
qu'on auroit remonte aux principes d'un^ 
saine politique , et ces règlcmens auroient 



D,o,l.?dhyGtX>gle 



d' A M É a I Q. u 1. 447 

retardé le progrès des vices qne je crains 
avec Platon. 

Bien loin de-Ià , la république de Massa" 
chusscts , faite pour donner l'exemple aux 
autres , ordonne n d'encourager les sociétés 
particulières et les institutions publiques pour 
les progrès de l'agriculture , des arts , des 
sciences , du commerce , du négoce , des 
manufactures et de l'industrie, t) On croit sans 
doute , avec le doctcar Brown , qu'un com- 
merce médiocre produit quelques avantages à 
la société, et sans faire attention au reste de 
sa doctrine , on en a conclu qu'un plus grand 
commerce produiroit encore de plus grands 
biens. Mais il falloit , au contraire, voir avec 
Platon , qne ce commci'ce médiocre , en ré- 
veillant des passions indomptables , étoit le 
germe d'une foule de vices plus forts que la 
politique et les lois. 

En suivant la méthode du doctcar Brown, 
pour qui j"ai , monsieur , la plus grande vé- 
nération , permettez-moi de suivre pas à pas 
la marche où le développement des malheurs 
que je crains pcjor les Etats-Unis d'Amérique. 
Tandis que vos principales villes ne cher- 
cheront d'abord qu'à étendre et multiplier 
leurs relations et leur industrie , la répu- 



-Dioii ..ci hy Google 



448 DES ÉTATS-UNIS 

blique paroîtra tranquille et florissante; parce 
que les citoyens commençant à être un peu 
distraits des intérêts de la chose publique par 
les sains et les travaux de Ijfur commerce par- 
ticulier , n'auront point ce zèle , cette ardeur , 
cet amour du bien public qui est une grande 
Vertu, mais qui excite ordinairement des dé- 
sunions vives , quelquefois des jalousies et 
des espèces de parti que les esprits trop ti- 
mides , t>rennent presque toujours pour un 
commencement de trouble et de lédition , et 
qui , dans la vérité , n'est qu'une fermentadon 
propre à élever les âmes et leur donner de 
la force , du courage et de la constance. De 
leur côté, les cultivaEeurs dans le* campagnes 
no -jentiront encore que les avantages du 
commerce; les productions de la terre acquer- 
ront un nouveau prix. Les laboureurs , en- 
couragés par les fruits de leurs travaux , dé- 
fricheront des terres incultes. Les habitans se 
multiplieront, parce que les cnfans ne seront 
point à charge à leurs pères : il s'établira en 
même temps des manufactures de tout côté, 
et elles seront également utiles au progrès du 
commerce et de l'agriculture. 

Ce tableau ne présente encore rien d'ef- 
frayant aux personnes qui ne sont pas accou- 
tumées 



Dpi ..ci hy Google 



lumces% lire dans l'avenir. Gn ne voit que 
des peuples qui sont dans une p}us grande 
abondance, et qui cultivent avec ardeur les 
arts les plus utiles. Mais examinons, je vous 
prie , les vices naissans et encore foibles qui 
sont cachés sous ces apparences trompeuses. 
11 me semble que l'esprit de commerce doit 
devenir en peu de temps l'esprit général et 
■dominant des habiians de vos villes. Ne pas 
s'y livrer tout entier, ce seroit vouloir sap- 
pauvrîr ift se rabaisser au-dessous des.commer- 
çans dont la fortune croîtra de jour en jour. 
Je crois bien que ces nouveaux enrichis n'au- 
ront d'abord que la grosse et sotte vanité que 
donnent les richesses. Sans dédaigner .les ci- 
toyens qui auront été moins heureux , ils se 
croiront seulement plus habiles. Une pré- 
somption ridicule ne les empêchera pas de 
continuer encore pendant quelque temps à 
être d'assez bonnes gens. Mais à la seconde, 
ou tout au plus tard à la troisième généra- 
tion, pensez-vous que leurs enfans , nés au 
milieu des richesses , n'auront pas les passions 
qu'elles dorincnt nécessairement ? De quel 
ceil verront-ils donc cette égalité que vos lois 
ont voulu établir entre les citoyens ? Ils ne 
comprendront rien à ces droits inaliénables 
Mably. Tome VUL F f 



Dioii ..ci hy Google 



45o DES ÉTATS-UNIS 

de souveraineté que vous avez attribués au 
peuple. Les richesses qui ont été chez tous 
les peuples anciens et modernes la source et le 
principe de cette noblesse dont ont esc sï 
fier, par quel miracle ne partageroicnt-cUes 
pas en Amérique les famitlcs en différentes 
classes ? Pourquoi ces richesses , qui éiabli^- 
sent la différence la plus réelle et la plus sen- 
sible entre les hommes , SouffriroienC - elles 
chez vous que les pauvres jouissent des mêmes 
avantages que les riches ? Votre gouverne- 
ment doit donc , de toute nécessité , se dé- 
former. C'est en prévoyant ainsi la révolution, 
dont vous êtes menacés , urgent fatal , que j'ai '; 
préféré la législation de Massachussets à toutes 
les autres , comme donnant des bornes plus 
étroites à la démocratie, et préparant le pas- 
sage inévitable de la république à l'aristo- 
cratie, sans l'exposer aux mouvemens violens 
et convulsifs qu'cproovera vraisemblablement 
la Pensilvanic , et qui la précipiteront selon 
toutes les apparences, sous le joug de l'oli- 
garchie , ou d'-un seul maître. 

Je reviens , monsieur , aux habicans des 
campagnes; et je crois qu'occupés d'abord' 
de leurs récoltes et de leurs défricheiîiens , 
ils seront assez contens de leur sort ; et pourva 



Do,T«jhy Google 



d'amériq^ue. 45 1 

qu'ils vendent chèrement leurs denrées. Us 
ne penseront guère à ce qui se passera dana 
les villes. Mais tout a un terme dans les 
choses humaines ; et quand ces hommes , 
après avoir un peu négligé tes affaires publi- 
ques, commenceront à tirer de leurs posses- 
sions le meilleur parti possible , peut - on se 
flatter que , fiers de leur loisir , de leur nombre 
et de leur aisance , leurs regards ne se tournent 
pas du côté de la liberté ? Verront- ils avec 
indifférence l'orgueil des villes et les préten- 
tions de leurs citadins ? Ils ne songcoient pas 
à êtie ambitieux ; ils ne songcoient pas même 
qu'ils étoient libres , parce qu'ils compioîenc 
sur l'égalité établie par les lois. Mais dès qu'ils 
verront l'orgueil des riches; quand ils auront 
lieu de craindre qu'ils ne veuillent s'emparer 
de toute la puissance publique, ces hommes 
accoutumés au maniement des armes et qui 
sentiront leurs forces, consentiront-ils patiem- 
ment à devenir les sujets d'une aristocratie ? 
La république romaine fat perdue dès que 
les lois et les mœurs furent en contradiction. 
Il ne vous faudra de même qu'un Grecque, 
c'est-à-dire , un ambitieux adroit ou un ora- 
teur emporté pour soulever les citoyens les 
uns contre les autres , et les jeter dans une 



Ff a 



Do,T«jhy Google 



453 DBS ÉTATS-UNIS 

aiiarcîlic, d'où l'on ne sort trop souvent qm 
pour éprouver les rigueurs du despotisme. 

"Voilà, monsieur, la catastrophe que jt 
redoute. £n vain ferez vous des ^is si ellu 
ne sont ctayées par de bonnes mœurs ? Ei 
vain recommanderez - vous la pratique i 
quelques vertus, si vous n'avez pas Vnià 
les protéger en vous opposant d'avance avK 
courage aux ruses , à la force et aux surpris!) 
des passions ? Celte vérité fait frémir : tlb 
est d'autant plus terrible que peut-cire 1k 
vices , les préjugés et les opinions de l'Europ: 
ont déjà fait d'assez grands progrès en Ami- 
lique pour ne pouvoir plus espérer d'y établ:: 
la liberté sur des fonderaens inébranlable!. 
Que n'avez -vous dans vos républiques pi»' 
sieurs citoyens semblables à ce grand lioinm' 
à qui vous devez tant ! Sage comme Fabiiii 
quand il falloît temporiser , entreprenait' 
comme Marcellus quand il falloît agir, " 
pouvoic êltc un Crorawel , mais touché èc " 
seule gloirequifail les héros , il s'est dém» '"' 
son autorité quand,vous n' avez plus eu bcsBio 
de son épée pour vous défendre , et s'est rett- 
dans ses possessions, cnnousmontrantcnco^ 
les vertus antiques de la république roroa'"*' 
Quoique les circonstances ne vous periat'- 



Dioii ..ci hy Google 



tcnt pas de prévenir les malheurs que je crains, 
vous n'en êtes pas moins obligés de, prendre 
les mesures les plus propres à les retarder ec 
à. préparer du moins une révolution tranquille, 
cl pour ainsi dire, insensible. La probité en 
impose la loi à tous let bons citoyeni. Si des 
obstacles insurmontables ne permettent pas ' 
d'arriver au but que désire la politique , il 
faut cependant essayer d'entrer dans la route 
qui y conduit. N'est-ce rien que de ralentir 
la marche de nos passions, les progrès trop 
rapides de nos vices, de protéger les vertus, 
de les enhardir et de prolonger pendant quel- 
que temps la tranquillité de la république ? 
Pour leur honneur, pour leur gloire, je prie , 
monsieur, je supplie tous les citoyens qui, 
par leur génie et leurs talens , sont destinés 
dans les vues de la providence à prêter leur 
raison et leurs lumières à cette multitude qui 
désire le bien, mais sujette à le chercher o» 
il n'est pas; je les conjure de songer qu ils 
tiennent aujourd'hui dans leurs mains la des- 
tinée de toute leur postérité. S'ils laissent 
échapper le moment favorable où les esprits 
ont encore ce couiage , cette force, celte joie 
qu'inspire une liberté naissante et achetée par 
beaucoup de travaux, il ne sera peut-être, pins 
Ff 3 



Dpi ..ci hy Google 



454 rtt s ÉTATS-UNIS 

temps de tenter une réforme. N'en doutez pas 
Its âmes se rérroidiront dans le calme dcl 
paix , et seront incapables de tout effort é 
néreux ; si les préjugés anglais vons cmpt 
chent aujourd'hui d'établir votre gouverni 
ment sur les meilleurs principes , les habiiudt 
que vous allci contracter vous les rendront d 
jour en jour plus chers ; je l'ai déjà dit , il n 
sera plus temps de revenir sur vos pas. 

Je sais que les gens les plus éclairés, d- 
rencontrant de toute part que des obsiac'ni 
insurmontables au bien qu'ils désJrenf , h 
sont que trop découragés dans leurs etitic- 
prisés et cèdent souvent à la malhcureusi 
tentation de s'abandonner aux événemens 1"' 
décident des lois et des mccurs. Rien , en cif^i 
n'est plus triste pour un citoyen qui a dti 
lumières supérieures que de juger qu'i' ''■' 
peut qu'ébaucher son ouvrage- Ce qu'on 1-' 
permet de faire ne lui paroît pas digne del'"' 
il s'éloigne ' de l'administration des sm'" 
publiques; et parce qu'il craint qu'on 1-t- 
cuse d'avoir fait le mal qu'on ne 'lui a P=* 
permis d'empêcher , il trahit son devoir et If' 
intérêts de sa patrie, L antiquité nous O"" 
plusieuTs grands hommes qui, pai* sages*'- 
obéissant au pouvoir des conjonctures 9"' 



Dpi ..ci hy Google 



n ' A M É tt I Q. O E., 455 

la prudence humaine ne peut changer, n'ont eu 
cjT.ie le choix des fautes; mais réquuable his- 
toire leur a rendu justice , et dans les partis 
en apparence iinprudens qu'ils ont pris, elle 
a retrouvé toutes les lumières et tous les talens 
qu'ils auroient montrés avec plus d'éclat , s'ils 
a voient rencontré des circonstances moins 
malheureuses. Vous avez beaucoup de ci- 
toyens également distingués paf leurs vertus 
et leurs connoissanccs. J'ai eu It bonheur 
d'en conuoître plusieurs , et je mets dans ce 
nombre les collègues qu'on vous a donnés" 
et avec lesquels vous avez si heureusement 
achevé l'ouvrage de votre indépendance. Quel 
que soit le sort qui attend l'Amérique , soyez 
sûr, monsieur, que la postérité rendra justice 
à vos travaux et aux leurs , quand elle verra 
que vous avez pris toutes les mesures pos- 
sibles pour gêner les passions et s'opposer à 
ta naissance ou du moins an progrès des abus. 
Elle ne vous reprochera point les malheurs 
dont elle se plaindra : elle dira de vous ce 
qu'Horace dit de Regulus : Hoc caverat mtns 
provida Reguli , et nous serions heureux si 
les hommes qui leur ont succédé dans l'ad- 
jninistration des affaires avaient eu la même 
prévoyance, le même courage, et avoicnt 
, F f 4 



D,0,l..cihyGt)Ogle 



I 

45S DES ÉTATS- UXIS 

Je crains , je vous l'avoue , monsieur, ut 
soit beaucoup plus fâcheux pour les Améri- 
cains , c'est-à-dire , qu'ils ne soient poussés 
à une révolution beaucoup plus dure que 
celle des Hollandais, et n'y arrivent par unt 
route plus difficile et plus laborieuse. Pout 
justifier mes alarmes, revenons à rexanieriiic 
la marche des passions dans la société. Des 
que -les bourgeois de vos villes , corrompus 
par leur fortune, ne regarderont qu'avec rac- 
pris les habitans de la campagne et les arti- 
sans, n'est -il pas vrai que vos lois auront 
inutilement établi la plus parfaite égahte . 
Ces favoris de la fortune aspireront à formel 
des familles d'un ordre supérieur. S'ils sont \ 
asseï prudens et assez maîtres d'eux-mêmes 
pour amadouer les passions, ne point brus- 
quer les préjugés et cbemincr avec lenieur, 
je vous demande ce qui doit résulter dun' 
révolution qui se sera faite sans effort, sans 
sccausse, sans soij^iEesaut , et garce guc à^ 
fripons n'auront eu à duper que des iiuuc- 

• cilles. Après avoir essaya et tâté.la. p ati"" 
du peuple , l'ambition des riches se conten- 
tcra-t-ellc d'une puissance strcrèieet clanûtS" 

, tïnc ? On cpoit ne rien pouvoir quand on ^^^ 
obligé de cacher ou de dissimuler ce quoo 



Dpi ..ci hy Google 



D ' A M É R I Q_ U E. 45g 

peut ; en un mot , Tambition n'est point 
comme l'avarice qui enterre quelquefois ses 
richesses, et se plaît à présentez l'image de 
la pauvreté. On ne veut pas faire le mal , mais 
on veut pouvoir le faire , et bientôt on le fera. 
Rien n'est plus dur que l'empiTC de l'avarice, 
parce qu'elle est insatiable, et toute la fortune 
de rétat appartiendra bientôt à des hom^nes 
qui seront corrompus parla leur. 

Mais si la révolution ne s'opère point par 
des moyens lents et frauduleux, si les riches, 
au contraire , affectent ouvertement ou mal- 
adroitement l'empire , on doit être sût que 
les ciioytns qu'ils voudront traiter en sujets 
ne le souffriront pas; l'indignation leur don- 
nera du courage; ils réclameront avec force 
les lois et l'autorité inaliénable du peuple. 
Accoutumés à regarder les magistrats comme 
leurs gens d'affaire , ils les traiteront dans leur 
colère comme des valets însolens et infidellcs. 
Si dans ccâ sortes de combats la démocratie 
est triomphante , il est aisé de sentir quelle 
anarchie il en doit résulter. Quelles lois seront 
respectées ? Quelle forme donnera- t- on au 
gouvernement ? S"élèvera-t-il , comme à Flo- 
rence , un Médicis qui s'emparera de la sou- 
veraineté de sa patrie ? Il est impossible de 



Dpi ..ci hy Google 



^fio DES ÉTATS-UNIS 

le prévoir, parce quil n'y a qu'une manière 
pour faire le bien , et qu'il y en a mille pour 
feîre le mal. Si l'aristocratie, au contraire, 
s'élève sur les ruines de la liberté , elle abusera 
nécessairement de son autorité. Plus le peuple 
aura montré de courage, plus elle sera soup- 
çonneuse et hardie par timidité. Peut - être 
dégénérera-t-cUe en otigarchie , et des trium- 
virs se disputeront bientôt la gloire de l'as- 
servir, sous prétexte de'vengerle peuple. 

Mes amis, en badinant, m'appellent quel- 
quefois un prophète de malheur; il est vrai, 
monsieur , que je connois assez les hommes, 
pour ne pas espérer facilement le bien. Mais 
dans ce que viens de dire , il me semble que 
je n'ai rien exagéré. En voyant une législation 
irrégulièrc , comment pourroît-on se trop 
alarmer , puisque Thistoire nous apprend que 
la négligence la plus légère d'un législateur 
su t souvent pour produire les plus grands 
désordres ? Ce n'est pas assez que de prédire 
des révolutions aux Etats-Unis d'Amérique; 
le pis de tout , c'est qu'elles ne se feront poin' 
tans troubles , sans violence , sans convul- 
sions , comme dans les Provinces - Unies des 
Pays-Bas, dont je viens d'avoir l'honneur de 
Vous parier. 



D,0,l..cihyGOOglC 1 



Je VOUS prie de remarquer que cette répu- 
blique . en secouant le' joug de l'Espagne, 
comme vous avez secoué celui de l'Angle- 
terre , s'accoutuma sans peine à obéir à un 
stathouder , c'est-à-dire, à un magistrat dont 
rautorilé presque royale contenoit et lioit 
entr'elles toutes Les parties mal-unies de la 
confédération. Les vertus et les "talens des 
premiers princes d'Orange ont suppléé pen- 
dant long-temps à tout ce qui manquoit aux 
ressorts du gouvernement , et d^ ailleurs , la 
crainte de la maison d'Autriche, ainsi que le 
remarque Grotius , occupoic les nouveaux ré- 
publicains de soins trop importans pour que 
les mauvais effets de leur esprit commerçant 
ne fussent pas suspendus. La paix de West- 
phalic et de grandes richesses changèrent la 
disposition des esprits et commencèrent à 
donner de l'inquiétude. On se défia du sta- 
thoudérat; on crut n'en avoir plus besoin; on 
le proscrivit , parce qu'on ne redoutoit plus 
l'Espagne, et la république auroit été livrée 
dés - lors aux. plus cruelles divisions , si 
Louis XIV ne lui eut inspiré la plus giandc 
terreur. Les partis se rapprochèrent, les de 
WitpériFent, le jeune Guillaume III fut fait 
stathouder , et la HoUande , plcine'^c rcssen-» 



Dpi ..ci hy Google 



46a DES ÉTATS-UNIS 

riment contre la France, et gouvernée par le 
plus habile politique de l'Europe, se trouva 
trop mêlée dans toutes les plus grandes guerres , 
pour ne pas reprendre , en quelque sorte , l'es- 
prit qu'elle avoit eu à sa naissance. 

En effet, après la mort de Guillaume , les 
Provinces-Unies, qui avoicnt encore détruit 
le stathot'dérac, firent le rôle le plus impor- 
tant dans la guerre de la succession d'Espa- 
gne. Les troupes, auparavant trop négligées , 
avoient repris leur ancienne discipline et leur 
courage. Mais la paix dUtrecht ne devint 
pas moins funeste que l'avoit été la paix da 
Westphalie. Des magistrats commerçons, am- 
bitieux , mais avides , oublièrent leur gloire 
en se livrant entièrement aux soins de leur 
commerce. Toute l'Europe ctoit lasse de la 
guerre qui l'avoit épuisée; et dans le calme 
de la paix , les Provinces - Unies s'abandon- 
nèrent au caractère qu'elles dévoient avoir; 
elles déchureut sans s'en apercevoir. La no- 
blesse croyoit que sa dignité tenoit à celle du 
stathoudérat , et voyoit avec dépit que quel- 
ques familles bourgeoises , plus riches et plus 
adroites que les autres , se fussent emparées 
dans leurs provinces de la puissance publique. 
Les autres bourgeois se trouvant dégradés ne 



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d'amériq_i]e. 463 

jiOuvoîent plus aspirer aux magistratures , 
■vouioient se venger et désiroient une révo- 
lution. Le peuple , privé de ses suffrages , 
n'étoit compté pour rien , et n'atlendoit que 
le signal des méc.ontcns pour éclater. Les 
plaintes, les murmures , les haines augmen- 
toient chaque jour, et la guerre de la suc- 
cession autrichienne vint encore au secoDTS 
des Provinces - Unies. Des magistrats qui 
avoient abusé de leur pouvoir pendant la paix , 
furent incapables de s'en servir dans la crise 
violente où ils se trouvoient; on demanda à 
grands cris un stathoudcr; il fut proclamé en 
un instant. On rendit sa dignité héréditaire , 
parce qu'on crut que la république ne pou- 
voît s'en passer. Cette puissance , plus forte 
que celle de tous les partis qui s'étoient for- 
més, étouffa leurs haines, leur donna de nou- 
veaux intérêts , et força les Hollandais à ne 
plus penser qu'aux affaires de leur commerce. 
■ Je prie les Etats-Unis d'Amérique de penser 
qu'étant mwiacés des mêmes divisions , des 
tncmes désordres , ils n'auront pas la même 
ressource. Ce n'est pas , monsieur, que je 
veuille blâmer vos républiques de n'avoir pas 
établi chez elles une magiitraturc pareille au 
statiioudcrai. Je suis bîcij éloigné de cette 



n,o,i7PcihyGt)C>'^le 



464 DES ilATS-UNlS 

pensée , et on ne peut en effet donner trop 
d'éloges à la sagesse avec laquelle vous avez 
borné la puissance de vos magistrats , pour 
qu'il ne puisse pas même leur venir la pensée 
d'en abuser. Vous êtes paifaîiement en sûreté 
de ce côté ; mais il s'en faut bien que vous 
le soyez contre les dangers auxquels l'esprit 
de commerce et une fausse prospérité doivent 
, incessamment vous exposer, et dont je vous 
ai assez entretenu. Vous avez trop senti pen- 
dant la guerre l'avantage de votre union , 
pour que ce sentiment s'efface en vous subi- 
tement; mais pouveî-vous espérer qu'il du- 
rera toujours ? Chaque province confédérée 
des Pays - Bas a été continuellement avertie 
par sa folblesse et la médiocre étendue de son 
teriicoiic, qu'elle devoil toutà son union avec 
les iiuires. En Amérique , au contraire, com* 
bien de vos républiques , quand elles auront 
mis en valeur le pays qu'elles possèdent, ne 
doivent-elles pas se flatter de pouvoir sub- 
sister à part et de former même une puissance 
très-considérable ? Elles regarderont alors le 
bien de l'union comme une espèce de servi- 
tude. Vous voyez, d'ailleurs, monsieur, que 
vous n'avez point , comme les Provinces-Unies 
des Pays-Bas, des voisins qui vous inquiètent, 
dont 



Dpi ..ci hy Google 



, llont ïL faille se défier, qui suspendent ractî- 
yité de vos passions et vous forcent malgré , 
yous à prendre des ipesurcs pour vjatre sûreté. 
Plût à Dieu, monsieur , que le Canada pût 
encore vous inspirer les mêmes alarmes que 
quand il obéissoit à 1^ France ! Mais il est 
.vraisemblable que l'Angleterre , désabusée 
.enfin de l'espérancç de vous soumettre , 
qu'elle n'auroit jamais dû avoir , ne sacri- 
JEera point les avantages que lui promet votre 
cotnnjcrcc , à je ne sais quels' sendmêns de 
vengeance et de vanité qui peut-être sont déjà 
étcipts.. Les Espagnols, d'un autre côté-, ne 
jiOfsèdeat en Amérique que trop de terres 
inutiles pour penser à y fairç des conquêtes. 
Vos autres voisins sont des, sauvages contens 
4e leurs déserts et qui ne vous envient point 
vos possessions. Vous n'avez donc à craindre 
que vous-mêmes; et si les Etats-Unis s'aban- 
.donnent à la sécurité qu'inspire cette position , 
ne dois-je pas craindre pour eux les malheurs 
dont jç viens , monsieur, de vous entretenir? 

On me dira peut-être que si une de vos 
provinces est troublée par des dissentions', 
les étais voisins interposerontlcur médiatïoti', 
,ct parviendront bientôt à rétablir le calme et 
i'barmoûle. Vaine cspéraiicc !,Qui ne connoît 

Mably. Tome VJII. G g 



Dpi r^dhy Google 



466 DES ÉTAtS-tîNlS 

pas le pouvoir que les mots de liberté et de 
tyrannie exercent sur un peuple qui n'est pas 
façonné à la servitude ! Les troubles d'ujae 
seule république seront une espèce de tocsin 
qui portera l'alarme chez toutes les autres. Les 
peuples qui n'auroicnt point encore songé à 
leur situation , qui n'auroicnt pas même de 
justes sujets de plainte, auront alors des soup- 
çons , des inquiétudes chimériques , si vous 
le voulez, mais que la crainte, l'espérance et 
jnille autres passions ne rendront que trop 
réelles. Le feu de la discorde s'étendra, et si 
vous ne trouvez' pas en vous - mêmesun re- 
mède contre ce mal , il ne faut p^s douter que 
tous les nœuds de votre confédération ne 
soient rompus. ' 

Ce remède , monsieur , vos compatriotes 
l'ont SOU3 leur niain. Il n'est pas question de 
créer de nouvelles magistratures , ni d'élever 
paxmi vous un stathouder; il s'agit seulement 
.de donner au congrès continental une auto- 
rité qui le mettra en état de vous être aussi 
utile pendant la paix dont vous allez jouir , 
qu'il l'a été pendant la guerre qui vous a fait 
triompher de vos ennemis. Cette auguste as- 
semblée a été l'anneau, la chaîne qui a tenii 
étroitement unis les treize états ; elle en a ét^ 



D,o,i..cihyGooj^le 



rame; cllca donné à tous un seul et même 
esprit, un seulct m.êrac intérêt. On peut as- 
surer, comme une vérité certaine et évidente i 
que si chacune de vos républiques s'écoit con- 
duite par se» délibérations particulières , il 
n'y auroit eu aucune unité dans vos opéra- 
tions; vos projets se scroient nui, vos forces 
divisées auroîent trahi vos espérances, et faute^ 
de concert, vous auriei vraisemblablement suc- 
combé. Vous devez à ce conseil votre consi- 
dération , ■ votre gloirc_, votre liberté. Vous 
avez vu que toutes ses. délibérations ont été 
dictées par la prudence, la modération. 1« 
courage , la justîcie et la générosité. Puisse 
■cet esprit. subsister toujours parmi vous ! Mais 
il ne subsistera point , si vous ne prenez les 
rocsureS'les plus propres à conserver au con- 
igtès la considération dont il. jouit, et lui 
donner en msmc^tcmps l'autoiiité dont il j 
ibesoin pour cimentée à la fois votf^e union et 
.prévenir IcS ma.lheurs dont je vieps déparier, 
et qui.' ne sont .que trop naturels à votre consf 
■titutîoa: c'est un-é vérité qu'on ne sauroit trop 
Tépéter, 

- Pour préparer ce grand ouvrage, je vou- 
droîs. donc , monsieur , que chaque républi- 
que se fit une loi de aie charger de ses pou- 
/ G g a - 



no,-7«jhyGt)t)^lé 



46S DES iTATS-UNIS 

voirs dans le congrès contïocntal , qne des 
citoyens <iui auroient été employés dans le 
conseil auquel cite a confié la puissance ex.é'> 
cutrice , et s'y seroîent distingués par leur 
probité et leurs talents. Je voudtois que l'opi- 
nion publique établît parmi vous que Icplus 
grand honneur auquel puisse aspirer un cî^ 
toyen , c'est d'être délégué au conseil' de vos 
amphictions. Vous sentez combien cette ma- 
nière de j>eiiser seroit piopre à donner de 
l'émulation aux citoyens et à inspirer autant 
de respect quedeconSanccpour une assemblée 
qui Vous est bien plus nécessaire qu'elle ne 
l'étoit autrefois aux républiques de la Grèce. 

Vos constitutions ont ordonné que ces ma- 
gistrats puissent être révoqaés dans quelque 
temps de l'année que ce soit : permettez-moi 
de vous dem.ander qnel est l'esprit de cette 
loi trop timide, trop soupçonneuse, trop dé- 
fiante, puiiqu'à présent leur magistrature n'est 
qa'annuelle , et ne peut par conséquent être 
dangereuse pour la, liberté. Prcoez-y garde: 
vous ouvrez une porte iTintrigue des con^ 
currens qui n'auioieut pas été préférés dans 
vos élections ; vous vous exposez à de» ca- 
bales qui pourront troubler votre repos. Per- 
mettez'inoi de le dire : rien n'est plus dan* 



Dpi ..ci hy Google 



n' A M É R I Q. tJ E. 469 

gereux pour une république que de dépouiller 
les magistrats par la simple formule qu'on 
retire sa confiance. Les Suédois, dans ces 
derniers temps, s'en sont bien mal trouvés; 
et cette manière despotique de traiter les sé- 
nateurs a été une des principales causas qui 
a fait perdre son crédit au sénat et afibibli les 
ressorts de la constitution suédoise. 

J'ajoilterai que cette loi dont je me plains , 
me fait presque soupçonner, malgré moi, que 
l'intention de chacune de vos républiques est 
peut - être peu conforme à ses vrais intérêts. 
Pourquoi veut - 00 , je vous prie , être, lo 
maître en tout temps de rappeler le ministre 
qu'on a député au cengrès ?Je n'en devine 
point le mQ,tif ; car il seroit insensé qu'un état 
de la confédération américaine craignît que 
son ministre ne trahît sa patrie ou n'aban- 
donnât ses intérêts. Seroit-on peu disposé à 
se conformer aux vues d'une assemblée dont, 
le premier , ou plutôt le seul devoir, est de 
ne s'occuper'quc de l'intérêt général de l'union ? 
Ce seroit bien mal connoître la nature de cette 
auguste assemblée ; ce seroit la confondre 
avec les congrès qui s'assemblent quelquefois - 
en Europe pour ternfiner les différends de 
plusieurs puissances ennemies qui ne veulent 
Gg 3 



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47 O DTLS ÉTATS-UNIS 

Bc réconcilier qu'en se trompant le mieux 
quelles peuvent, cl ne ' cherchent , par une 
paix plâtrée ; qu'à se ménager quelque avan- 
tage dans une nouvelle guerre. Quel est donc 
rcspritde cette loi ? Vos ennemis , monsieur, 
diront que les états de l'union américaine ne 
se sont réservés que par des vues dVmbitîon 
le droit de révoquer arbitrairement leurs mi- 
nistres au congrès. Si ces députés ne sont pas 
assez rusés , assez subtils , assez menteurs , 
assez opiniâtres 'poiïr faire dominer leur opi- 
nion , on" veut pouvoir en tout temps leur 
donner des successeurs plus habiles, capables 
de prendre l'ascendant sur leurs collègues , 
de faire prévaloir leur avis et d'établir une 
puissance prépondérante dans une association 
qui ne peut être utile et subsister que par 
l'égalfté. Politique fausse , 'honteuse et fu- 
neste ! Elle suppdseroit en Amérique la même 
ambitioa qui perdit autrefois le conseil am- 
phîclyon'ique. Dès\que la corruption en eut 
fait le centres de l'intrigue et de la cabale , la 
Grèce ne fut plus capable de réunir ses forces. 
Philippe de Macédoine y domina, et les Grecs 
perdirent leur liberté. 

Que les Etat^-Unis profitent de cette im- 
portante leçon. Que te premier article des 



Dpi ..ci hy Google 



D ' A M i R I Q, u t. 4T\ 

- instructions qu'ils donneront à leurs délégués 
soit de ne travailler qu'à concilier les esprits, 
pt rapprocher leurs intérêts. Qu'on leur or- 
donne même, de faire des sacrifices pour le 
bien de la paix et de la concorde. C'est par 
cette politique bienfaisante et généreuse , que 
toutes les nations devroient adopter, que les 
peuples alliés peuvent rendre de jour en jour 
leur alliance plus étroite et plus utile. En un 
mot , il importe au bonheur particulier de 
chaque république de ne pas vouloir dominer 
dans le congrès .- et de se soumettre , au con- 
traire , aux vues et aux résolutions d'un corps 
qui embrasse les intérêts généraux de la con- 
fédération. Si mes remarques sont vraies , bien 
loin de chercher à diminuer le crédit du con- 
grès , vous devez travailler à augmenter son 
autorité. Menacés des troubles , des divi- 
sions , des désordres domestiques dont j'ai 
parlé, vous ne pouvez vous passer d'une ma- 
gistrature suprême pour lés prévenir ou pour 
les arrêter ; et vous ne pouvez la placer avec 
sûreté que dans iin corps comprise des ci- 
toyens les plus recommandables de chaque 
état. 

Cet objet est trop important pour ne pas 
m'y arrêter encoic. Je prie d'observer avec 
Gg 4 



D,o,l7PCihyGt)C>'^le 



47» DÉS ÉTATS-UNI 1 

attention que les babîtans de rAmériquç 
devant avoir des prûfcssîofts , des droits , dç» 
fortunes; des mccurs , et par conséquent dcïT 
manières différentes d'envisagtr leurs intérêts , 
il est impossihl* que les diverses passions qui 
en résulteront , n'excitent pas des murmures 
et des plaintes. En s'aigrissant , ils feront naître 
des querelles qui doivent- causer des troubles 
funestes , si au lieu d'être arrêtés dans leur 
naissance, on leur permet de fermenter secrè- 
tement dans la cabale et l'intiigqe. Quels dé-!- 
bouchés, si je puis parlerainsi, avez-vous pré-p 
parés à ceshume.urs, pour que leur fermentar 
tion ne cause pas une maladie mortelle aucorpç 
de la société ? Si les citoyens qui croiront 
avoir de justes sujets dt se plaindre, n'ont 
pas des voies légales pour se faire entendre, 
soyez sûr qu'agissant sans règles et par fou- 
gue , ils se porteront aux dernières extrémités. ■ 
C est pour cette raisbn que tous les politiques 
ont extrêmement loué l'établissement des tri- 
buns dans la république romaine. Le peuple, 
sûr d'avoir des proiecteurg, screposoîtsureujf 
du soin de ses intérêts, et ces magistrats po-. 
pulaires avoient eux - mêmes des ménagemens 
à garder. Ils s'étoient fait des règles et des 
procédés qui les empèehoiçnt de se condiiire 



Do,T«jhy Google 



d'. A M É ir I a u !■ 47* 

fivtc riaconsidération et la violence familières 
' à la muhîtude. On peut voir dans le traité des 
lois de CicéroD combien l'éublissenient de ces 
magistrats fut salatairc.Mais ne seroit-il pas dai:i> 
gcreux de le vouloir transporter aujourd'hui 
chez vous? Vous n'avez pas les mœurs des pre- 
miers Romains, et je craindrois que vos tribuns 
pe ressemblassent à ceux des derniers teqips de 
Rome, qui ne fureai que des séditieux qui 
fiacriSàrent la république aux intérêts de leurs 
passions. Ce qui en tiendra lieu , c'est l'auto» 
rite du congrès , si vous lui donnez la forme ' 
et le crédit qu'il doit avoir. En voyant un 
juge au-dessHs d'eux, les riches seroient plus 
mesurés dans leurs entreprises, et le peuple 
moins inquiet et moins soupçonneux. Vespé- 
rance de rétablir le stathoudërat empêcha les 
mécontcns des Pays-Bas de se livrera des 
partis violens. De même, l'espéraïice ou la 
crainte d'un jugement juridique .calmera les 
esprits en Amérique. Si vos raécontens n'ont 
la faculté d'adresser leurs remontrances qu'à 
la puissance législative , ou aux. magistrats 
chargés du pouvoir exécutif, ils^éprouvcront 
le sort des représentans de Genève , et le dé- 
sespoir fera preqdrc des résolutions extrêmes. 
Je ne vois, monsieur, qu'une seule et unique 



Dioiir^cihyGocj^le 



474 DES ÉTATS-UNIS 

ressource ppuries Américams : c'est d'établir 
le congrès continental , joge suprême de tous 
les différends qui pourront s'élever entre les 
divers ordres de citoyens dans les états de 
l'union. Pourquoi vos législateurs se refuse- 
roient-ils à cet arrangement, puisqu'ils ont 
déjà accordé à ce tribunal la prérogative plus 
importante de connoîirc de tous les différends 
qui peuvent survenir entre vos répnbUques à 
l'égard de leurs territoires, on de toW autre 
objet ? Elles n'ont point cru déroger à leur 
. souveraineté ni à leur indépendance , en 
cédant au congrès seul le droit de traiter avec 
les puissances étrangères , et en consentant 
même de ne pouvoir , ;ans son approbation , 
faire cntr'elles des conventions particulières. 
Si les riches se rcFusoient à la loi que je pro- 
pose, ce seroit un signe certain qu'ils for- 
ment déjà des projets d'ambition ou de 
vanité. Je ne le crois pas , monsieur , et 
j'espère , au contraire , s'ils sont persuadée 
que mes craintes ne sont point chimériques, 
qu'ils verront avec plaisir se • former dans 
votre confédération une puissance qui fa- 
vorise l'égalité , qui préservera la première 
classe des citoyens d'une ambition qui fini- 
roit par les perdrç , et la dçrnicie d'une 



Dpi ..ci hy Google 



"abjection el d'une misère dont les riches , 
malgré tous leurs -efforts , sentiroient bientôt 
le C otre-coup. 

Vous ne pouvez donner trop d'autorité à 
votre cobscil araphîctyoniqne , parce .qu'il est 
- impossible qu'il en abuse. Il n'est point dans 
: la nature du coeur humain , que des hommes 
revêtus d'une magistrature passagère , et qui 
doivent bientôt retourner dans leur patrie 
: pour s'y confondre avec leurs compatriotes , 
forment des projets d'usurpation et de tyran- 
; nie. Comment les délégués de plusieurs pro- 
: vinces éloignées les unes des qutrcs , qui ne 
i se connoissent pas , qui souvent n'auront eu 
aucune relation entr'eux , pourroient - ils se 
- fier assez les uns au?c autres pour oser cons- 
pirer de concert et méditer le projet d'asservir 
la confédération ? Je sais, monsieur , que la 
liberté doit être inquiète et scrupuleuse ; mais 
aussi elle doit être sensée , et ne pas craindre 
des chimères. Par quel caprice 'singulier de 
la fortune les treize Etats-Unis nommcroient- 
îls à la fois des scélérats pour les représenter ? 
Autre prodige î Comment s'cnlendroicnt-ils ? 
comment n'auroicnt-ils qu'un intérêt ? com- 
ment leurs vuea et leurs mesures ne se coii- 
traricroienl- elles pas ? 



Do,T«jhy Google 



47& DES £tATS*'UNI3 

Je tn'srrête trop long-temps sur cette ma»- 
tière , et je vons en , demaRde pardan , mon- 
sieur; mais tous les Américains n'ont pas vos 
lumières, et c'est pour en\ qnc j'écris. Qu'on 
me permette donc d'examiner encore la loi 
, par laquelle toutes vos républiques ont arrêté 
qu'on cnverroit tous les ans de nouveaux dé- 
légués au congrès. J'aurois presqu'autant aimé 
qu'on lui eût ordonné de ne rien faire de 
raisonnable. Avant que ce» nouveaux magis- 
trats aient eu le tsmps de se connoître , de 
s'examiner, de s'entendre, leur magistrature- 
inutile expirera. Si vous craignez d'avoir 
parmi vous des principes d'administration 
^ fixes et constans , vou$ ne pouvez pas établir 
une meilleure règle. Qui vol^ répondra que 
le congrès de l'année prochaine ne détruira 
pas tout ce que fait le congrès actuel ? Il ne 
faut qu'un bomme adroit, entêté et éloquent 
pour tout bouleverser. Vous vous expose* 
à tous les inconvéniens qu'éprouve l'Angle- 
terre , qui change de manières, de pro- 
cédés , de politique à chaque règne et même 
à chaque changement qui se fait dans le 
ministère ; de sorte qu'on ne sait bientôt 
ni ce qu'on fait , ni ce qu'on veut , ni ce 
qu'on peut faire. Dans cette fluctuation , on 



Do,T«jhy Google 



.d'amériq,ui. . 477 

fcsc se ^CT au gouvernement , et l'intrigue ac- 
■qiiîert de nouvelles forces. 

J'ai désiré que les magistrats , chargés daoi 
vos républiques de la. puissance exécutrice , 
:Jiissent plus long-temps en place que les lois 
actuelles ne le permjjitent, et qu'on petfec- ' 
tÏQnnât mcme. à cet ^gard le règlement des 
X* cnsilvpniens : parles mêmes raisons, je sour 
liaite acLi^ellcment que les délégués au con- 
grès continental remplissent au moips pen^- 
dant trois ans leurs magistratures , et que 
cette auguste assemblée , par le secours de 
ycette succession que La Fensilvanie a ét^bli.c 
dans la puissance exécutrice , ne cesse jamais 
de se rcnou,veller et conserve cependant le,s 
mêipes maximes. Chaque année -les nouveaux 
magistrats , au Keu,d'y porter leurs fanj^taisies, , 
prendront l'esprit de-ceux auxquels ils suc- 
cèdent. Bientôt les affaires seront administrces 
par des principes constans , et le gouverne- 
ment aura un caractère. Vous ne connpîtrçz 
point cette funeste incertitude qui agiote et 
inquiète Ips citoyeps,qui, ge pouvaqt.çD'ÇQpJçr 
çnrrjcp, ne peuvent s'attacher à Içur patriç, 
et se livrent .maigté eux à des projets perni- 
çiew:t- ^Sû^ez syr que le .modèle dc.jagç^e 
que piéwîïtçroit i'ass.eipblée du , congre» ne 



Do,T«jhy Google 



478 DtS ÉTATS-OMIS 

seroit pas inatilc atix magistrats particulier» 
de vos républiques. Alors, monsieur, si la 
confédération américaine , ainsi que je n'ai 
que trop sujet de le craindre , étoit entraînée 
ou poussée par son commerce et ses mœurs 
vers l'aristocratie ; ce ïera d'une manière in- 
sensible , sans violence et sanfs convïilsion. 
En accréditant peu à peu les prétentions des 
Ticbes , on ne ccsScra pas de protéger les 
droits des pauvres; La coutume établira des 
lempéramcns qu'il est impossible de fixer par 
des lois , mais que l'habitude rendra tolérables 
et consacrera enBn. Les pauvres n'étant pas 
vexés, s'accoutumeront à leur sort ; la subor- 
dination ne choquera plus les esprits . et le 
■peuple à son aise pensera que les distinctions 
-dont les riches jouissent leur appartiennent 
'légitimement. Ainsi, l*iaristOGratîe , jouissant 
■ paisiblement de ses prérogatives, n'aurS en 
Amérique, comme en Suisse, aucun des vices 
'^ui'Iui sont naturels. ' ' ■ ■ -■ 

' Je vpudrois , monsieur, que totii les dix 
' ou douze ans , vous 'célébrassiez , comme 
' votre fêle la plus solennelle, le^ jour od vous 
aVez déclaré que Vous étiez affranchis du joug 
de l'Angleterre. Après avoir rciiâS agraires au 
: Boaveràin' maître de l'univcrs'des favcù» âont 



D,o,l..cihyGtK>glC 



D* A M Ê R I Q. U E.' 47g 

îl VOUS a comblés , que la joie la plus vive 
tègne dans tous les pays de la confédération; 
que des illaminations', des jeux ,■ des danses 
appellent tous les citoyens au plaisir; que les 
magistrats et les riches se confondent avec 
la multitude ; que dans ces espèces de Satnr- 
iiales les grands montrent l'inaage de l'égalité; 
que le peuple y apprenijc à airaci sa patrie et 
ses supériears; que ce.même jour les ambas- 
sadeurs de chaque, républiquç , renouvellent 
avec pompe votre alliance entre les mains du 
congrès ;*que Dieusoit le garant de leurs pro- 
messes et de le'urs sermens , et que l'acte en 
soit dépssé avec cérémonie .dans tous les 
temples de vos différentes communions; que 
les membres du congrès , cédant ensuite leurs 
places aux ambassadeurs qui représentent les 
'souverains , viennent rcndr.e leurs hommages 
à la puissance dont ils ne sont que ministres^, 
et jurent, en invoquant le -nom dç Dieu, et 
en présence du peuple , d'observer religieu- 
-sement les lois ,- de défendre l'union et de se 
soumettre dans tous leurs jugemcns-'auxTèglcs 
de la justice. Npus ayons des sens;, il faut les 
frapper pour nous rendre plus respectables les 
vérités dont noïts avons besoin ,: et .que la 
multitude lie totoptend pas. 



Dpi ..ci hy Google 



i^So D t 8 É T A T S- U N I J 

Je ne doute poiat , nio^isiear , qu'en nia-* 
minant, dans It calme de la. paix , vos lois 
et votre situation, les Etats-Unis de réparent 
de la nraniêre la plus heureuse les inadver- 
tances qui peuvent avoir échappé à leurs prc- 
' miers législateurs. Dans le jnoment qu'éclate 
une révolution aussi importante et aussi ati9r 
ordinaire que la vôtre , ils est impossible qu'aa 
milieu des .craintes, des alarmes ..des pré- 
jugés anciens , et de mille^passions nouvelles -, 
l'esprit humain saisisse des vérités abstraites 
dans toute leur étendue,. et l'ari avçc lequel 
il faut lesarranger entr!clles four tendre, les 
lois plus utiles. Vous allez tout réparer, mais vqus 
:ne pouvez trop vous hâter : le temps accrédite 
'les etrcurS.: profitez du mom^cpt où le copi- 
gierce n^a^point encore inspiré at)X riches des 
•idées d'aiiibition et de vanité , et qu/: vos cul- 
.tivateucs , comptant sur la M^bili^ éternelle de 
vos lois, ne soupçoniient .p4s.même Jju'ea 
puisse .fûtraer ie projet 4e les opprimer. Si 
:les querelles que je crains venaient à éclater 
avant que l'ouvrage .de' votre législation fût 
■ achevé, ilncseroit peut-être pins temps d'ap- 
pliquei: :des remèdes sûre au mal. U faudroit 
<e coutent^r.de quelques .paUjatiis , qui pa- 
roîtrolent calmer.. les egp»E$ par intervalle; 
mais 



D,o,l7PCihyGt)t)»^le 



fa'A M É It I Q, U E. 481 

ïtaais qui, ne les rassurant pas, exposcroient 
l'état à des rechutes tonjouts plus dangereuses 
ïes unes que les antres. 

Si des querelles domestiques éclatent daits 
nn des Etats-Unis , avant que les citoyens 
trouvent dans leurs constitutions une manière, 
an moyen de les terminer k, Tamiable , ou pai 
les règles de la justice, vons sentez, mon- 
sieur , que les partis opposés n'auront que des 
paroles et des promesses à se donner , et 
que SUT de si foibles garans , il est impos- 
sible d'établir une paix durable. Une déEance 
générale s'emparera des esprits : Jes uns espé- 
reront de mettre à l'avenir plus d'adresse dans 
leur conduite , et les autres les observeront' 
avec cette attention soupçonneuse qui s'eiFa- 
rouche aisément et interprète tout en mal : 
la paix, sera donc rompue. Maïs qui vous 
répondra qu"albrs les gens de bien puissent 
encore se faire entendre ? L'esprit de sédition' 
est contagieux chez les peuples. Peut-être 
que quelqnes riches mêmes , par des consi^ 
dérations particulières, trahiront la cause de 
l'aristocratie , pendant que les brouillons les 
plus inquiets domineront dans les délibé- 
rations de la multitude. Ou se fera des in- 
jures , et la haine-, touj'ôuVs înjtiste et lou- 
Mably. Tome VIII. H h 



D,0,l7PCihyGt)C5'^le 



482 DES ÉTATS-UNIS 

jours aveugle , décidera enfin du sort de la 

république. 

Qu'on ne se flatte pas que quelqu'état voisin 
intervienne dans ces différends ce puisse 
alors les calmer par sa médiation. Ces 
médiateurs seront trop suspects pour que 
le parti démocratique veuille s'y fier ; oh 
, ne verra en eux qae des hommes jaloux dcA 
droits de l'aristocratie. Si dans ces circons- 
tances le congrès , sans antre autorité qnc 
celle qu'il possède aujourd'hui , envoie des 
députés pour rapprocher les esprits et réta- 
blir la paix, les écoutera - t - on avec plus 
de respect et de confiance ? On verra que ce 
corps est composé des hommes les plus im- 
poïtans- et des plus riches de la confédéra- 
tion , et il n'en faudra pas davantage pour 
qu'on les soupçonne , qu'on les accuse même 
d'être pins portés à favoriser les prétentions 
des riches que les droits du peuple. N'étant 
point établis juges par la loi , ne paroîssant 
point avec la majesté et l'appareil d'un tri- 
bunal ancien et révéré dont on aime et craint 
également les décrets , ils ne pourront offrir 
que leurs bons offices, foible ressource ! Les 
troubles renaîtront; on' ne fait des dupes 
qu'une fois , et on ne les croiia plus. 



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fi' A M i tt 1 Q, U E. 4S3 

Je m'arrête trop long-temps sur cette ma- 
tière , moiisicur ; je me contenterai de re- 
marquer qu'avec les mceurs que nous avons 

■ en Europe ,'et qui vrais embiablcmcnt ne' sont 
"déjà que trop communes en Amériqac , l'ar- 

■ gcnt doit usurper enfin un empire absolu. 
Oii feroît des efforts inutiles pour s'y op- 
poser; inais peut-être n'csi-il pas impossible, ■ 

■ avec beaucoup de précautions , d'empêcher 
" qite cet empire ne devienne tyrannique. Sï 
-■ des lois impuissantes n'empêchent pas les 
''' commerçaus de s'emparer de toute l'autorité , 

■ si les mœurs publiques ne vienncait pas au 
" eecours du peuple, si elles ne donnent pas 
des bornes certaines à la cupidité, je tremble 
que tous les liens de votre confédération ne 
? soient enfin rompus. Des magistrats commer- 
'■ çans iraprimcroat leur caractère à ta répu- 
î blique : tous les Etats-Unis feront le coni- 
V merce , et voilà le germe de vos divisions et 
de la ruine du congrès continental. Ayant 
nos vices , vous aurci bientôt notre politique'. 
Chacun de vos -états, en nuisant au com- 
merce des autres , croira favoriser le sien, 
tant J*var;ç- est une passion impérieuse et 
sotie 'E/Zç ^^ persuadera qu'il faut faire Li 
guerre p , ,jgmeuter vos richesses :' vous 

If H -Il 1 



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4S4 DES ÉTATSrUNIS 

auru uae Carthage commerçaotc et guer- 
rière à la fois , et son ambition , entée sar 
l'avarice , voudra dominei sdt ses voisins , et 
les traiter en sujet« , peut-être même en cs' 
clavcs. Il Bc formera ane puissance rivak pour 
Ini résister. Vous aurci notre politique iiora- 
pcuse de t'cqDilibre ; les tiaitéi ne conser- 
veront aucune autorité; tontes les aUùnccB 
seront incertaines et Qottantes , qt tons vof 
états oublieront leurs intérêts pour courir 
après des cliiinéies. 

En voilà trop , et je vous cnnaycroi* , mon- 
sieur , si je vouloîs vous prouver que mes 
craintes ne sont pas vaines. Toute l'histoire 
yiendroit à mon seconrt , et vous la con- 
noissez mieux que moi. Je ferots voir com»- 
ment nos vices sont liés les uns aux antres 
^et inséparables; mais je ne vous diiois rien 
de nouveau ; votre étude du cceur humain 
vons a rendu toutes ces vérités fainilières. 
personne , monsieur , ne s'intéresse plusquc 
moi à votre liberté naissante, et à la gloire 
de vos législateurs , à qui on n'aura aucun re- 
proche à faire, si on voit qu'ils ont connu 
tous les écueils contre lesquels: une répu- 
blique peut échouer , et qu'ils. <wit tenté de 
résister à cette fatalité qui semble ^voir mis des 



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d'amériq^ue. 485 

borats à toutes les choses hamaines. Je fais 
les vceux les plus ardens povr votre piospérité ; 
et je vous prie , monsieur, de ne jaiqait oublier 
les assnraaces que je vous donne de mon 
zèle pour vos intérêts, de mon respect et de 
mon attachement. 



Fin du tome huitièm. 



hyGt)t)^le 



TABLE 
DES CHAPITRES. 

PREMIÈRE PARXIE. 

\-iHAPITRE PREMIER. Dt la situation aetutUt 
de la Pologne. Ses inlérêli , ses besoins. De U 
méthode avec laquelle les Confédérés eU Bar 
doivent procéder à la réforme des lois. De f ils- 
hlisstment d'une puissance législative, page i- 

Chap. II. Des moyens nécessaires pour établir une 
puissance législative en Pologne. H 

Chap. III. De la discipline et de Fordre dis \ 
Diétines , relativement à la puissance légû- 
lalive. Si 

Chap. IV. De ta puissance exécutrice relati- 
vement au pouvoir législatif. 47 

Chap. V. De la puissance exécutrice considérée 
dans la personne du roi. 5' 

Chap. VI. Réfiexions relatives aux lots ja'"» 
a proposées au sujet de la royauté. 7^ 

Chap. VII, Comment la réforme du gouvernent^ 
pçlonais doit être vue par les cours de l'Eu- 
rope. 86 



D,o,i..cihyGoogle , 



TABLE. 487 

Ghap. VIII. De la puissance exécutrice relative-^ 
ment au sénat et aux ministres Ou grands of- 
jiciers de la couronne. 108 

Chap. IX, Réflexions relatives aux lois qu'on 
a proposées sur la formation du sénat ou 
de la puissance exécutrice. i38 

Chap. X. Que les réformateurs doivent d'abord 
se borner à établir les lois constitutives ou fon- 
damentales de la république. 148 

Chap. XI. Du défrartement du grand- chancelier , 
eu du conseil de justice. 163 

Chap. XII. Du département du grand- maréchal , 
ou du conseil de police. 184 

Chap. XIII. Du département du grand-général , 
ou du conseil de guerre. 194 

Chap. XIV. Du département du grand-trésorier , 
ou du conseil de Jinances. 3i3 



SECONDE PARTIE. 

VJHAPITRE PREMIER. Des objections proposées 
contre le mémoire précédent, et auxquelles il 
est inutile de répondre. page sSg 

Chap. II. En quoi et comment les lois polo~ 
naises sont vicieuses. 242 



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48S T A B t E. 

Chap. m. De ta manière de présenter Us lois 
en réformant une république. a5i 

Chap. IV. Du libcram veto et des Confédéra- 
tions, 360 

Chap. V. De Ckéridité de la couronne. 274 

Chap. VI. Des négotiations que les Confédéréi 
doivent entamer dans les cours étrangères. Avan- 
tages qui en résulteront pour les Confédérés. 
3u5 

DES ÉTATS - UNIS D'AMERIQUE. 

JL JFTTRF, PREMIÈRE. A M. AdAMS , ministre 
plénipotentiaire des Etats-Unis en Hollande , 
et pour les négociations delà paix générale. SSg 

Letthe II. Réflexions SUT les lois de Pensilvanie , 
de Massachussets et de Géorgie. S6u 

Lettre III. Remarques sur quelques objets im- 
p«rtans , relatifs à la législation des Etats-Unis 
d'Amérique. ' SgS 

Lettre IV. Des dangers auxquels est exposée 
la confédération américaine. Comment se for ~ 
meront les troubles et les divisions. Nécessité 
d'augmenter le pouvoir du congrès contl-- 
nental. 433 

Fin de là table. 



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