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GENERAL LIBRARY
UNIVERSITY OF MICHIGAN.
THE
Hagerman Collection
OW BOOKS RILATINtt TO
NISTORY AND POUTICAL SCIENCE
BOI
JAMES J. HAGERMAN OF CLASS OF *61
IN
OP
Profcssor Charles Kcndall Adams
IN
1883.
I
COLLECTION
DES MÉMOIRES
MILATirS
A UHISTOIRE DE FRANCE,
MÉMOIRES DE MADEMOISELLE DE MOJSTPENSIER,
TOME II.
DE l'imprimerie DE A. BEUIf»
COLLECTION
DES MÉMOIRES
A. L'HISTOIRE DE FRANCE,
AVEC DES NOTICES SUR CBIQUE AOTEUR,
ET DEi OBSERVATIONS SUK CHAQl'E OUVRAGE,
PiB M. PETITOT.
PARIS,
FOUCADLT, UBRAIRE, RDE DE SORROWNE. N». 9,
i8a5.
« •.
«; '.
MÉMOIRES
DE
W^ DE MONTPENSIER
SECONDE PARTIE.
[1647] A.PRès Pâques, il j eut une assemblée au
Palais-Royal , à cause de la femme d'un ambassadeur
de Danemarck. Le prince de Galles mena au bal ma-
demoiselle de Guise à ma prière, au lieu de mademoi-
selle de Longueville qui le prëtendoit. Le comman-
deur de Jars , qui est serviteur de la reine d'Angle-
terre, engageoit autant qu'il le pouvoit le prince de
Galles à faire le galant de mademoiselle de Guerchy ^
il souhaitoit fort qu'il dit qu'elle ëtoît plus belle que
mademobelle de Châtillon : il n'eut pas cette com-
plaisance pour le goût du commandeur de Jars. Ce
prince avoit oublié dans ce bal-là de me rendre une
courante, comme c'est la coutume : je dis au prince
Robert, d'un ton qui lui fît juger que je le trou-
vois mauvais, que c'étoit bien là le trait d'un habile
homme *, et tout aussitôt il m'en fit toutes les excuses
imaginables.
Peu de temps après la cour partit pour Compiègne,
et de là elle alla à Amiens ; et le désir d'être impéra-
trice , qui me suivoit partout , et dont reflet me pa-
roissoit toujours proche, me faisoit penser qu'il étoit
T. ^i. i
a [1^47] MÉMOIRES
bon que je prisse par avance les habitudes qui pou-
voient être conformes à l'humeur de l'Empereur. J'a-
vois ouï dire qu'il ëtoit dévot j et, à son exemple , je
la devins si bien, après en avoir fait l'apparence
quelque temps , que j'eus pendant huit jours le désir
de me faire religieuse aux Carmélites : dont je ne fis
confidence à personne. J'étois si occupée de ce désir,
que je ne mangeois ni ne dormois 5 et j'en eus une
inquiétude si grande, qvie, jointe à celle que j'ai natu-
rellement , l'on appréhenda fort que je ne tombasse
dangereusement malade. Toutes les fois que la Reine
alloit dans les couvens (ce qui arrivoit souvent) , je
demeurois seule dans l'église, et, occupée de toutes
les personnes qui m'aimoient et qui regrettoient ma
retraite, je me mettois à pleurer. Ce qui paroissoit
en cela un effet du détachement de moi-même en
ëtoit un de la tendresse que j'ai seulement : je puis
dire que pendant ces huit jours-là l'Empire ne m'étoit
rien. Ce n'étoit pas sans avoir quelque vanité de
quitter le monde dans une pareille conjoncture, qui
feroit dire que ce n'étoit que la connoissance parfaite
que j'en avois qui me faîsoit l'abandonner malgré
l'espérance d'un établissement si considérable et dont
j*étois satisfaite ; l'on ne pouvoit pas m'accuser d'avoir
pris cette résolution par aucun dépit. Confirmée de
jour à autre dans ce dessein , je me déterminai d^en
parler à Monsieur : j'allai chez lui , et il étoit au jeu ;
je ne fis qu'une visite, et remis la communication de
mon dessein à un autre jour. Le lendemain il vint chez
moi , et j'étois à la messe. Après avoir manqué plu-
sieurs fois l'occasion de l'entretenir, il vint enfin un
soir chez moi , où je le priai de m'entendre sur une
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1647] ^
affaire dont j'avois à lui rendre compte. Il me tira
aussitôt à part; et sur l'ouverture que je lui fis du
bon mouvement qui m'étoitvenu, je lui demandai la
permission d'examiner cette pensëe et de Texëcuter ,
si elle continuoit avec les sentimens qui lavoient fait
naître. Il me dit que cela venoit de ce que l'on ne tra-
vailloit pas assez à mon grë à me marier avec TEmpe-
reur. Je lui répondis que cela ne pouvoit pas être,
puisque je ne m'en souciois plus : que j'aimois mieux
servir Dieu que d'avoir toutes les couronnes du
monde. A quoi j'ajoutai mille discours de cette sorte,
desquels enfin il se mit en colère , et s'en prit aux per-
sonnes qui me voyoient le plus , et me dit : « C'est
(( madame de Brienne et ces bigotes qui vous met-
« tent cela en tête; vous ne leur parlerez plus, et je
a prierai la Reine de ne vous plus mener avec eUe
« dans les couvens. » Lorsque je le vis prendre ma
déclaration de cette sorte , la crainte que j'eus qu'il
n'en fit du bruit me détermina à le supplier de n'en
plus parler, et je l'assurai que je ne ferois que ce
qu'il me commanderoit. Aussi n'a-t-on jamais mieux
obéi que je fis en cette occasion-là : à trois jours de
là je ne pensai plus à ce que j'avois dit à Son Altesse
Royale, Madame de FouqueroUes (0, qui l'avoit dé-
(i) Madame de Fouquerolles : Jeanne^Lambert d^Hcrbigny, dont
nous avons déjà parle. Elle étoit très-propre h détourner Mademoiselle
de se iàire carmélite. On a vu qu^elle avoit eu une intrigne avec le comte
de Maiilevrier, et que les billets qui avoient été trouvés chez madame de
Monibazon avoient causé h la cour une grande rumeur. On trouve dans
le tome XII d^un recueil de manuscrits in*folio, appartenant à la biblio-
thèque de FArsenal , numérote a83i , des Mémoires sous le nom de cette
dame. Voici comment elle est supposée y raconter la manière dont elle fit
connoissance.avec Mademoiselle. EUe dit qu'avant la mort de Louis xiii ,
I.
4 [^^4?] MÉMOIKES
couvert, servit à m'en détourner 5 et Mondevergue ,
qui me parloit incessamment de ce mariage, et qui
s'ëtoit aperçu de ma dévotion , disoit quelquefois :
c( Je suis le diable qui vous tente. » A la fin Ton eut
à la cour quelque soupçon de Tintention que j'avois
eue de me retirer du monde \ et sur ce que j'appris
qu'on en avoit raillé, je raillai aussi, et me défendis
d'y avoir seulement pensé.
^tanc devenae yeuye , elle se brouilla avec son père ; et elle ajoute : a Je
K desirai faire la rëvérence à Mademoiselle, qui e'toit alors fort jeune ; et
(c ce fut un de mes parens qui m^ mena. Or , comme je paroissois fort
(c retirée , je ne manquois pas de faire valoir à Mademoiselle les (re-
« queutes visites que je lui rendois. Mes premiers soins eurent un suc-
ft ces si favorable pour moi, que cette jeune princesse me prit en amitié',
c attribuant ce que je faisois pour moi-m^me à un effet de raffection que
« j*avois pour elle. Dans ce temps-là, monsieur son pèreétoit dans le plus
(C fort de ses disgrâces , si bien qu'elle n'étoit visitée que de peu de per-
< sonnes : ce qui fit que je redoublai mes assiduités , desquelles vérita'
« blement elle ne me devoit guère être obligée, puisque je ne pouvois
«c avoir d'occupation meilleure , ni plus honorable ; mais comme elle
(C ne le pou voit discerner , elle mVn témoignoit beaucoup de ressenti -
H ment. Je me montrai être gaie ou triste selon les événemens des af-
« faires de son père , pour qui elle a toujours eu une tendresse non pa-
<c reille : ce qui m'attiroit d'autant plus son amitié qu'elle ne voyoit pas
a que j'étois née si grande comédienne , que , quelque sentiment que
« mon visage fit paroitre, j^en avois tout le contraire dans le cœur, et
« que les choses m'étoient indifiërentcs quand j'y témoignois le plus
« d'affection. J'agis toujours de la même manière ; et m'accommodant
fc an temps , je me conformois toujours le mieux que je pouvois à tout
fc ce que je jugeois qui lui pouvoit plaire. Monsieur revint à la cour, le
ic Boi mourut , et la Reine vint k Paris : de sorte que les assiduités que
fc je lui rendois furent interrompues par celles qu'elle rendoit à la Reine ;
(C mais je ne laissois pas de la voir aussi souvent que je le pouvois.
« J'étois aussi en grande amitié avec toutes celles pour qui elle en avoit,
« attendant le moment que je serois auprès d'elle mieux que personne
« ponr bâtir ma faveur sur leur ruine.... » Il est difficile de croire qu'une
femme parle ainsi d'elle-même. Nous aurons bientôt occasion de donner
nos conjectures sur le véritable auteur de ces Mémoires, qui ne sont
certainement pas de madame de FonqueroUes.
DB MADEMOISELLE XUB MONTPSIfSIER. [1647] ^
Pendant que le temps de la campagne se passoit ,
notre armée n ëtoit occupée qu'à regarder Farchiduc
reprendre une partie des places de Flandre que Mon-
sieur y ayoit prises les années précédentes avec les
armées du Roi. Cette oisiveté qui entretenoit Thu-
meur mélancolique de Saujon , qui y étoit et qui y fai-
soit sa charge de capitaine aux gardes , lui donna lieu
de s'entretenir l'esprit d'une vision qu'il n'eut pas
plutôt conçue qu'il la fit paroitre , et dont je ne dois
pas omettre le récit, puisque c'a été le fondement
d'une affaire qui a fait assez parler à la cour et dans
le monde. Yilermont, gentilhomme de mérite, capi-
taine aux gardes, fut fait prisonnier durant cette cam-
pagne-là à une sortie où il se trouva, pendant que le
duc d'Âmalfi (Picolomini) assiégeoit Armentières. Ce
général lui permit de s'en revenir sur sa parole. Avant
que de partir il lui donna à dîner ; et comme c'est une
chose ordinaire d'entretenir les étrangers en termes
civils et avantageux de leur pays, le duc d'Amalfi,
qui est estimé un des plus honnêtes et des plus galans
hommes de notre siècle , parloit de la cour de France
et parla de moi en des termes avantageux , et voulut
faire connoitre que j'étois dans son pays en la même
estime et affection avec laquelle il venoit de s'expri-
mer. Pour finir cet éloge il dit : « Nous serions trop
u heureux d'avoir en ce pays une princesse faite comme
tt celle-là.» Yilermont, qui étoit obligé pour venir à
la cour de passer par l'armée , s'entretint avec Saujon,
qui étoit son ami , de sa prison , des civilités qu'on
lui avoit faites, et des nouvelles du pays d'où il venoit.
Il lui conta ingénument et sans dessein les propos qui
avoient été tenus à la table du duc d'Amalfi. Saumon
6 [1^47] MEMOIRES
s'imagina qu on ne devoit pas les négliger, par le grand
profit qu'il -se figuroit qu'on en pouvoit tirer : aussi
fit-il incontinent connoître, par le fondement qu'il en
fit, la mince portée de son jugement. Gomme il fai-
soit son compte sur ce discours en l'air, il m'écrivit
par Vilermont, que je ne connoissois que de vue, et
qui n'étoit jamais venu chez moi , afin de nous obliger
d'entrer en conversation l'un avec l'autre ; il me manda
que Vilermont avoit souhaité de me faire la révé-
rence -, que c'étoit un homme d'honneur et de mérite;
que la belle action qu'il avoit faite pendant cette
campagne-là le prouvoit bien 5 qu'il s'étoit jeté dans
Armentières, où éloit sa compagnie-, qu'il passa pour
cela déguisé au travers de l'armée des ennemis ; et'
que si je voulois l'écouter, il me diroit beaucoup de
choses particulières que je serois bien aise de savoir.
Après avoir lu cette lettre, je fis la meilleure chère
que je pus à Vilermont, et je m'enquis de lui de ce
qull pouvoit m'apprendre du pays d'où il venoit.
Après m'en avoir dit beaucoup de bien , il me rendit
eùmpte des sentimens qu'avoit témoignés à mon sujet
le duc d'Amalfi , et des souhaits qu'il avoit faits ; et
ajouta de plus, à ce que je viens de dire , que ce duc
lui avoit demandé si l'on me marieroit au prince de
Galles : à quoi il avoit répondu que non. Quoique ce
discours ne méritât pas la moindre réflexion , néan-
moins les termes mystérieux de la lettre de Saujon
conférés avec ce que j'avois déjà reconnu de son es-
prit songe-creux et visionnaire, je jugeai que c'étoient
là les importantes affaires qu'il avoit à me dire , et
qu'il vouloit me faire comprendre par sa dépêche.
Pendant que l'on perdoit en Flandre, on ne gagnoit
DE MADEMOISELLJS DE MONTPESSIER. [1647} 7
pas en Catalogne. La Moussaye arriva à Amiens, en-
voyé par M. le prince pour apporter la noavelle.de
la levée du siège de Lérida. Ceux qui étoient bien
aises d'empêcher que M. le prince ne tirât de cette
action Thonneur qui lui étoit dû, comme s'il n*y en
avoit pas à acquérir dans les disgrâces aussi bien que
dans les prospérités de la guerre , voulurent que ce
fût un malheur capable de le décrier et de rabattre un
peu de sa fierté. Le cardinal Mazarin, qui étoit le plus
flatté de cette fausse opinion, y trou voit pour son in-
térêt particulier plus de joie que personne. Depuis
le refus qu'on avoit fait à ce prince de la dépouille
de son beau-frère, dont le cardinal avoit profité sous
main, ce ministre redoutoit toujours le ressentiment
qu'il voyoit bien que le prince en pouvoit conserver:
de sorte qu'il vouloit se servir de cette oceasion pour
afibiblir le crédit de son ennemi dans le public,
comme il faisoit toujours bien aisément dans le ca-
binet. 11 alloit#u devant de tout ce qui pouvoit être
imputé à la juAification de M. le prince , parce qu'il
savoit *bien qu'il ne s'étoit vu dans la nécessité d*a-
bandonner ce siège que parce qu'on l'avoit laissé
dans la nécessité de tout ce qu'il falloit pour l'entre-
prendre et pour l'achever. Tous ces artifices ne pu-
rent prévaloir contre la vérité, qui fut bientôt connue
de tout le monde , qui trouvoit que c'étoit une sagesse
au-dessus de l'âge de M. le prince d'avoir su si bien
prévoir le péril où on l'avoit engagé d'exposer l'armée
du Roi , de l'avoir conservée par une retraite qui , en
lui faisant manquer la conquête de Lérida , lui faisoit
remporter une victoire sur son humeur et sur son
inclination, qui lui coûtoit plus que toutes les fatigues
8 [1^47] MÉMOIRES
de ses campagnes passées. Il ayoit à la vëritë si chè-
rement acquis la réputation d'une incomparable va-
leur, qu'il eût fallu, pour la rendre seulement douteuse
daiis le monde , qu'il eût levé autant de sièges qu'il
•avoit pris de places , et qu'il eut perdu autant de ba-
tailles qu'il en avoit gagné. Aussi ce que ses ennemis
voulurent en cela tourner contre sa gloire n'a servi
qu'à la relever davantage , et à faire dire qu'il étoit
bienheureux , parce qu'il ne manquoit à toutes les
preuves qu'il avoit données de son courage , qu'une
occasion d'en donner de sa prudence pour être estimé
le plus grand capitaine de son siècle , et qu'il n avoit
pas perdu le temps de la faire parokre. J'étois pour-
tant de ceux qui appeloient cela disgrâce. Quoique
j'eusse alors de l'aversion pour sa personne et pour
sa maison , la dévotion où j'étois dans ce voyage-là
fit que néanmoins je n'en eus pas de joie, et jusque-
là que je ne pus prendre plaisir à le voir insulter, et
ne voulus pas apprendre les chansonMuë l'on en fit ,
et je ne les ai sues que long-temps après
Depuis la nouvelle de la levée du siège de Lérida,
Ton ne fit pas grand séjour à Amiens, d'où la cour
revint à Paris. Quoique le dessein d'être religieuse
m'eût quittée , la dévotion qui s'étoit séparée de cette
envie m'étoit demeurée, et je me l'étois rendue si sé-
vère que je n'allois point au Cours, je ne mettois
point de mouches ni de poudre sur mes cheveux. La
négligence que j'avois pour ma coiffure les rendoit si
mal propres et si longs, que j'en étois toute déguisée ;
j'avois trois mouchoirs de cou qui m'étouffoient en
été, et pas un ruban de couleur, comme si j'eusse
voulu avoir Fair d'une personne de quarante ans ^ et je
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1647] 9
pense même que Ton m'auroit fait plaisir de me le
dire, quoique je fusse très-éloignée d'en avoir Tâge.
Je n'aTois de satisfaction qu'à lire la vie de sainte
Thérèse, et de parler ou d'entendre parler d'Alle-
magne -, il y avoit une telle réforme dans ma manière
de vivre et de m'habiller , que vous ne vous étonnerez
pas que cela n'ait pas continué. Ce qui m'abandonna
le dernier fut ma pensée pour l'Allemagne. Monsieur
en écrivit à M. le duc François de Lorraine qui étoit
à Vienne, qui voulut bien s'en entremettre*, toute
sorte de médiation m'étoit bonne, sans examiner
quelle elle pouvoit être. La qualité de celui-ci ne me
faisoit point douter de sa capacité ni de son crédit :
ainsi j'en attendois beaucoup. Ce fut l'abbé de La Ri-
vière qui m'en parla le premier , et qui fut ravi de
m'amuser de ce qui pouvoit me plaire pour être bien
auprès de moi, parce que je ne l'aimois pas naturel-
lement. Ce qui lui faisoit le plus de peine , c'est que
je disois librement à Monsieur tout ce que j'apprenoîs
qu'on disoit dans le monde de son ministère, où je
n'apprenois rien à son avantage, parce qu'il étoit sou-
vent soupçonné de trahir son maître , et que personne
que moi n'osoit le faire remarquer à Son Altesse
Royale. Cet incident me mit dans une grande amitié
avec Madame, que je négligeois assez auparavant^ et,
contre ce que j'avois accoutumé, je lui rendois de
grands soins et de fréquentes visites sans m'ennuyer
avec elle. Je savois que l'amour de Monsieur pour
mademoiselle de Saujon ne lui plaisoit pas : j'en avertis
la demoiselle , et la grondai de ce qu'elle ne faisoit
pas là-dessus ce qu'elle devoit» Ce furent des répri-
mandes inutiles, parce qu'elle avoit pris là-dessus
10 [^^4?] MEMOIRES
UQ si mauvais pli, que la manière suffisante dont elle
recevoit ce que je lui disois m'en rebuta : de sorte
que je m'abstins de lui parler à mon ordinaire ^ et je
ne lui parlai presque plus ; en quoi je ne fis pas plaisir
à Monsieur, qui devint aussi mal satisfait de moi que
Madame en étoit contente. A ce propos je dirai ici
ce que j'ai remarqué , et qui m'a été confirmé par
Monsieur même, qui est que l'on ne sauroit être par-
faitement bien avec lui et avec Madame ensemble ,
quoiqu'il lui témoigne et qu'il ait effectivement beau-
coup d'amitié pour elle , et qu'il vive dans sa maison
avec la même facilité d'humeur et de complaisance
qu'un bon bourgeois vit dans sa famille.
Saujon qui ne voyoit point de réponse à sa lettre,
et à qui il ennuyoit de ne pas savoir de quelle ma-
nière je m'étois laissée prendre à l'appât de l'entre-
tien du duc d'Amalfi, eut impatience d'en venir ap-
prendre lui-même des nouvelles. Il fit un voyage à
Paris pour quelques affaires de l'armée , par l'ordre
des généraux^ dont je crcns qu'il les sollicita, afin
d'avoir un prétexte de venir. 11 ne concevoit pas que
l'on pût, sans manquer de bon sens, perdre un mo-
ment de temps à profiter de ce que Vilermont lui
avoit rapporté. La dévotion où il me trouva, les ser-
mons que je lui fis sur le bon état où se doivent
lAettreles gens de guerre, qui sont plus souvent ex-
posés que les autres au péril de la mort, l'étonnè-
rent tellement qu'il ne me parla de rien : ce qui lui
en ôta encore le moyen fut que je ne lui nommai
pas seulement le nom de Vilermont.
La cour fit vers l'automme un voyage à Fontaine-
bleau , où je recommençai à prendre goût pour les
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1647] '^
divertissemens : de sorte que j'étois avec plaisir aux
promenades ^ aux divertissemens et aux comédies.
Cela ne servit qu'à modérer l'excès de l'austëritë où
je m'ëtois réduite : il resta toujours dans mon cœur lea
sentimens de la dévotion qui m'avoient pensé con-
duire jusques aux Carmélites. Monsieur, frère du Roi^
ne fut point du voyage parce qu'il n'étoit point encore
guéri de la rougeole qu'il avoit eue dans Tété , à la*
quelle succéda une fort grande dysenterie qui le mit
en danger. Incontinent que la nouvelle en fut ap-
portée à Leurs Majestés , la Reine s'en alla en toute
diligence à Paris ; le Roi et M. le cardinal Mazarin de-
meurèrent à' Fontainebleau : il n'y eut que moi qui
accompagnai la Reine. L'on ne fut pas long-temps dans
l'appréhension d'an mauvais événement de la maladie
de M. le duc d'Anjou -, nous ne fûmes obligées que
d'être deux jours à Paris pour y voir l'amendement,
après lequel la Reine reprit le chemin de Fontainebleau
avec la même diligence qu'elle en étoit partie. Madame
y vint ensuite , où notre amitié et mes rigueurs pour
mademoiselle de Saujon continuèrent comme aupara-
vant : aussi Monsieur n'en étoit^il pas plus content là
qu'à Paris. L'abbé de La Rivière, qui s'en apercevoît,
me disoit quelquefois que si je voulois je serois admi-
rablement bien avec Monsieur , parce que je ne lui
déplaisois qu'en certaines choses de peu de consé-
quence , auxquelles je.pouvois et je devois prendre
garde. Je lui demandai ce que c'étoit : il me répondit
que je n'avois qu'à les bien étudier, et que quand je
les connoitrois j'eusse à m'en corriger. Entre les di-
vertissemens que l'on eut à Fontainebleau , il y eut un
bal pour Tsmiour du prince de Galles, qui y vint faire
la [164^] MÉMOIRES
un tour. L'afikire d'Allemagne , qui pour lors étoit pu-
blique et pour laquelle on croyoit que la cour agissoit
de bonne foi , refroidit un peu les empressemens du:
prince de Galles, et Ton dit qu'il faisoit Tamant dés-
espéré : je n'étois pas tendre là-dessus. Il ne fut que
trois jours à son voyage , et la cour revint à Paris, où
l'hiver se passa à l'ordinaire en bals et en comédies ;
et le seul M. de Guise fut la matière de l'entretien de
toute la cour, par le voyage qu'il fit alors à Rome pour
solliciter la dissolution de son mariage avec la com-
tesse de Bossu , afin de pouvoir épouser mademoiselle
de Pons.
[1648] La cour, qui n'avoit eu d'autre intention que
de me tromper dans l'espérance qu'elle m'avoit tou-
jours donnée de me marier avec l'Empereur, et qui
savoit qu'il étoit prêt de conclure un autre mariage
que les nouvelles du monde rendroient bientôt pu-
blic, se vit obligée de m'en faire part, et de commencer
par là à se dégager de la parole qu'on m'avoit donnée.
Pour ne montrer leur fourbe que le moins grossière-
ment qu'ils pourroient , labbé de La Rivière , qui dans
cette comédie jonoit un personnage considérable, fut
le premier qui me vint dire que les nouvelles d'Al-
lemagne alloient mal, que l'on parloit de marier l'Em-
pereur avec une des archiduchesses du Tyrol , et me
donna à entendre que ce dessein venoit de la cour d'Es-
pagne : qu'il ne falloit pas essayer de le pouvoir rompre.
Le dépit que j'en eus me fit rechercher avec tant de cu-
riosité la vérité de ce fait, que je découvris que le car-
dinal Mazarinetl'abbédeLaRivièrem'avoienttrompée;
qu'ils ne m'avoient fait voir de belles apparences à cet
établissement que pour m'entretenir d'un vain espoir i
DB MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1648J l3
qu ilsn avoient en effet jamaistravaillé aux moyensd^en
faire réussir le dessein. Quoique je fusse persuadée
que ces gens-là n agissoient point de bonne foi , je ne
laissai pas d'être sensiblement saisie de colère contre la
cour -, et c'étoit un ressentiment qui me faisoit d'autant
plus de peine que je n'avois pas moyen d'en donner des
effets. Pendant que j'étois ainsi leurrée à toute heure de
tousles établissemens qui me pourroient être propres ,
Saujon revint de l'armée , qui ne me parla de rien ; il
me venoit voir souvent , et un jour entre autres qu'il
y étoit , un gentilhomme qui est à moi nommé La Tour,
que j'aime fort, avec qui , parla confiance que j'ai en
lui, je m'entretenois de mon chagrin contre la cour,
me demanda si Saujon ne m'avoit point montré de
lettres : je lui dis que non. Je le vis sur l'heure, je
l'appelai : il m'en fit voir une qu'on lui avoit écrite de
Flandre, qui portoit que le bruit avoit succédé aux
souhaits qu'ils avoient faits ensemble 5 que Ton y par*
ioit de l'espérance que l'on avoit de me voir mariée
avec l'archiduc; que l'on ne doutoit point qu'il ne de-
vint souverain du pays ; et ce correspondant lui ftiar-
quoit que par les grandes habitudes qu'il avoit auprès
des plus considérables de ceux qui gouvernoient pour
le roi d'Espagne , et même auprès de ceux qui étoient
le mieux dans l'esprit de l'archiduc , il lui en pouvoit
mander des nouvelles assurées. Saujon me montra
deux ou trois lettres qui étoient sur le même ton : il
m'entretenoit souvent du bonheur qui pourroit être
attaché à cette condition future, et me faisoit com-
prendre la beauté (}e l'établissement par celle du pays.
Je comprenois bien ce qu'il disoit , non pas qu'il fût
capable de faire réussir un tel dessein. Pour me le
l4 [164SJ MÉMOIRES
rendre encore plus indubitable, il me demanda per-
mission de se défaire d une compagnie qu'il avoit au
régiment des Gardes , pour se pouvoir plus librement
attacher auprès de moi. Après s'en être défait, il me
dit sur la fin du carême qu'il vouloit penser à trouver
un prétexte pour faire quelques voyages en Flandre :
je trouvois cette vision assez creuse -, de plus il me di-
soit que je verrois combien il avanceroit l'affaire. Cette
chimère lui dura long-temps dans l'esprit : il en par-
loit souvent^ et comme j'aime les fous, soit gais, soit
mélancoliques, et que je ne croyois pas que cette ac-
tion pût devenir sérieuse, je l'écoutois. J'allai à Saint-
Denis passer la semaine sainte aux Carmélites , où
j'avois accoutumé de me retirer aux bonnes fêtes : il
envoya savoir de mes nouvelles sur ce qu'il apprit que
je m'étois heurté la tête , afin de m'écrire pour me
mander qu'un ordinaire par lequel il attendoit des nou-
velles ne lui avoit point apporté des lettres. Je n'avois
jamais pris cette affaire dans une autre intention que
celle que je viens de dire. Quant à Saujon , je ne sais
quelle conduite il eut : je le vis le lendemain que je
fus revenue de Saint-Denis , et je fus tout étonnée
que le jour d'après Vilermont me vint voir, et me dit
que Saujon venoit d'être arrêté. Je ne counoissois point
de crime dans tout ce qu'il avoit fait -, j'en demandai
la raison à Vilermont, qui me dit que je la savoisbien*,
et après l'avoir cherchée , la connoissance que nous
avions de l'humeur qu'il a de se faire de fête mal à
propos nous fit juger à tous deux en même temps
que ce seroit sa prétendue négociation : ce qui me fit
craindre aussitôt qu'il n'en eût fait plus qu'il ne m'en
avoit dit. Je m'en allai d'abord chez la Reine, où je
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l648] l5
rencontrai Comminges parent de Saujon , qui m'an-
nonça avec surprime la même nouvelle que m'avoit dite
Vilermont , dont je témoignai de rëtonnement et ne
fis pas semblant d'en rien savoir : ce qu'il ne crut ce-
pendant pas.
Je fus à la vërité encore plus ëtonnëe que la Heine
ne m'en parlât point, et de ce que de là j'allai au Luxem-
))oarg, OUI Monsieur ne m'en dit rien. Pour Madame,
qui je crois u'avoit point de part au secret de cette
conduite, elle me témoigna que, selon l'opinion qu elle
avoit que Saujon ëtoit mon serviteur, elle étoit fâchée
de sa disgrâce. Je voulus voir en même temps la sœur
de Saujon , qui étoit alors fille d'honneur de Madame
et présentement sa dame d'atour \ et elle n y étoit pas.
J'y retournai le lendemain, et j'allai dans sa chambre.
Aussitôt qu'elle me vit elle s'abandonna à de grands
cris de douleur, m'adressa ses plaintes , et se prenoit
à moi de la prison de son frère , quoiqu'elle ne m'en
dit rien. J'en fus assez surprise : néanmoins je trouvai
le moyen de la laisser un peu consolée , et au bout
de deux jours on ne parU plus de cette affaire que
comme d'une bagatelle. Saujon n'a voit encore eu jusque
là que la maison du prévôt de L'Isle pour prison , et
l'on ne lui disoit riea du crime dont l'on prétendoit
l'accuser. Je trouvois de l'injustice de ce qu'il étoit
traité de la sorte : j'en parlai à l'abbé de La Rivière,
pour qu'il en parlât au cardinal Mazarin. La Rivière
me dit seulement que Saujon étoit fort criminel ; et à
quelques jours de là il me vint voir, et sans me parler
du prisonnier il se mit assez hors de propos , ce me
semble , à m'entretenir d'Allemagne et des partis qui
m'y pouvoient être propres ] et pour me lai^i^er une
l6 [1648J MÉMOIRES
impression favorable de sa conversation , il me dit que
Monsieur n'avoit jamais été plus content de moi qu'il
rétoit alors , et que j'étois tout-à-fait bien avec lui :
ce que je croyois assez aisément, parce que je savois
bien n'avoir rien fait qui l'obligeât au contraire. Ces
deux seuls points firent tout l'entretien que l'abbé de
La Rivière eut avec moi ; je ne sus que juger de son
dessein, sinon qu'il vouloit me dépayser par là, pour
m'ôter de l'esprit qu'il se voulût mêler de l'aflfeire de
Saujon : en quoi je me confirmai par un message que
je reçus peu ap^ès de la part de Saujon , qui me fit
savoir qu'on ne l'avoit pas oublié. Il me manda que
le lieutenant criminel avoit été l'interroger : qu'il lui
avoit' demandé s'il avoit été en Hollande, et s'il y écri-
voit quelquefois. Il répondit affirmativement à ces deux
questions*, et pour mieux satisfaire à la seconde, il
avoit ajouté qu'il y avoit un frère capitaine d'infanterie
à qui il écrivoit tous les ans une fois ou deux^ qu'il
lui âvoit demandé s'il avoit été en Flandre , et qu'il
lui avoit répondu qu'il y avoit servi deux ou trois
campagnes-, et que l'interrogatoire avoit fini là. M. le
cardinal Mazarin l'envoya quérir , et lui fit d'abord
toutes les promesses imaginables pour lui faire dire
que je savois ce qu'il avoit fait : ce qui étoit si faux
que je n'ai jamais pu savoir ce que portoit sa lettre que
l'on avoit surprise. Saujon nia que j'eusfse aucune con-
noissance de sa lettre. Cette conversation dura quel-
ques heures sans que le cardinal Mazarin pût tirer de
Saujon que la vérité, quoique celle-là ne lui fût pas
agréable, puisqu'elle me justifioit absolument*, elle ne
rétoit pas encore en une autre manière : Saujon n étoit
niagiéable ni éloquent. Â son retour de chez le prévôt
DB MADEMOISELLE DE MO!ITPEllSI£R. [l648] 17
de L*Isle, il envoya chercher son frère pour me mander
par loi ce qne M. le cardinal Mazarin lui aVoit dit, et
qu'il croyoit que la Reine et Monsieur me feroient une
réprimande là-dessus \ qu*U me demandoit pardon d'en
être la cause, et me supplioit de considérer qu'il avoît
fait cela à bonne intention. Cette affaire me devoit
faire'songer toute ma vie à n'avoir point de commerce
avec des gens imprudens ni des visionnaires. Pai une
trop grande bontë naturelle qui me fait croire que
tout le monde a toujours les intentions aussi droites
que moi, et par la suite de ces Mémoires vous verrez
comme j'ai encore été attrapée par des gens impru-
dens. La sincérité avec laquelle j'agis , et mon inno-
cence en cette renconlre , me persuadèrent qu'elles me
tireroient de ce pas-là. Ainsi je n'eus nulle inquiétude
detoutceque M. lecardinalMazarinavoitditàSaujon,
et je traitai cela de bagatelle. Je me promettois bien
plus des bontés de la Reine et de Monsieur que je ne
leur en trouvai. J'allai au Palais-Royal ensuite de l'avis
de Saujon, comme je faisois tous le^ jours : on ne me
dit mot. Comme je sortois de chez mademoiselle de
Beaumont, qîii est une personne libre et à qui j'ai tou-
jours permis d'agir de cette manière avec moi , elle
me cria :« Princesse, l'on dit que Saujon vous vouloit
« enlever pour vous mener épouser l'archiduc.» Je me
mis à rire , et nous traitâmes cette affaire-là, elle et moi,
de ridicule, comme elle l'étoit; et cela tout haut dans
la chambre de la Reine.
Je m'en allai* au palais du Luxembourg dans la ré-
solution d'en parler à l'abbé de La Rivière , puis à
Monsieur: il soupa chez M. le cardinal Mazarin*, il
revint si tard que je ne l'attendis point. Pour La Ri-
T. 4i- ^
l8 [164^] MÉMOIRES
vière, il me fit des excuses de ce qu'il ne venoit point
me parler: qu'il étoit occupé pour les affaires de Son
Altesse Royale Monsieur. Le lendemain le jeune Sau-
jon me vint voir, et me dit que son frère avoit encore
eu une conversation avec M. le cardinal Mazarin , et
que la conclusion avoit été que puisque Ton ne pou-
voit tirer de lui ce qu'on désiroit, la Reine et Mon-
sieur verroient ce qu'ils auroient à faire avec moi.
J'aUai au Palais-Royal , et Ton ëtoit encore au con-
seil 5 je fis cependant une visite, résolue de tirer quel-
ques ëclaircissemens de cette affaire. Comme j'y re-
tournai, l'abbë de J^ja Rivière, qui sortit des premiers
du conseil, vint à. moi, et me dit : a 11 n'est plus
« temp^ de vous celer la colère où la Reine et Mon-
« sieur sont contre vous -, ils vous le témoigneront
« bientôt, et vous n'en ignorez pas le sujet. » Je lui
répondis que je ne sa vois pas ce que j'avois pu faire
qui pût déplaire à la Reine et à Monsieur ^ que si ma
conduite méritoit un aussi mauvais traitement que
celui dont il me menaçoit, j'espérois que la Reine
prendroit son temps pour me dire ce qu'il lui plairoit
auVal-de-Grâce en particulier , et Monsieur dans son
cabinet 5 et que je n'étois pas d'un âge à me faire des
réprimandes devant le monde. Comme nous en étions
là. Monsieur m'appela^ j'entrai dans la galerie de la
Reine. Mademoiselle de Guise , qui étoit avec moi ,
me suivit 5 Monsieur lui ferma la porte au. nez avec
assez de furie : ce qui m'eût dû effrayer si ma cons-
cience m'eût causé quelques remords. J*étoi& fort
tranquille*, je me sentois innocente de l'accusation
formée contre moi. J'avançai vers la Reine ^. qui me
salua d'une mine en colère *, elle dit à M. le cardinal
DE MÀDEMOISfiLLE DE MONTPENSIER. [l648] 19
Ma2ariii : « Il faut attendre que son père soit venu. »
Je me mis dans Une fenêtre qui étoit plus ëleyëe que
le reste de la galerie , et j'écoutai là avec toute la
fierté qu'on peut avoir quand elle a la raison de son
côté : ce qui est beaucoup avoir par dessus les per-
sonnes qui ont tant d'autres prérogatives au-dessus
de nous. Comme Monsieur fut venu, la Reine eom-
mença d'un ton assez aigre : a Nous savons , votre
a père et moi 9 les menées que vous avez avec Sau-
^ jon , et les grands desseins qu'il avoit. » Je répondis
que je n'en avois nulle connoissance : que j'avois bien
de la curiosité de savoir ce que Sa Majesté vouloit
dire, et qu'elle me feroit bien de l'honneur de me
l'apprendre. Sur quoi elle repartit que je ne Tignorois
pas , puisqu'il étoit en {prison pour l'amour de moi , et
que j'étois la cause de l'état où il étoit. Je répliquai
que pour être mon serviteur cela ne donnoit ni 4e la
prudence ni du bonheur , et que quoique Saujon le
fût, il pouvoit bien manquer de lun et de l'autre.sans
que j'en fusse cause. Elle poursuivit : « Nous savons
« que Saujon vous veut marier à l'archiduc y qu'il
« vous dit qu'il aura les Pays-Ba» en souveraineté , et
<( force autres chimères dont vous vous êtes laissée
« persuader comme d'uqe vérité : l'archiduc est le
« dernier des hommes , et lé plus méchant parti qui
a se puisse trouver. )>
Gomme je ne disois mot, la Reine me disoit : a Ré-
« pondeZh » Je lui obéis, et lui répondis qu'elle fai--
soit bien de l'honneur à Saujon , s'il avoit été capable
de se persuader un tel dessein, de le mettre en prî*
son comme un homme raisonnable , et que les Petites-
Maisons étoient un lieu bien plus propre si le Ëiit étoit
2.
20 [l64^] MÉMOIBES
vérifie ; que d'entreprendre de faire ce qui n'appar-
tenoit qu'au Roi son frère , il falloit être fou 5. que pour
moi, jen'avois pas passé jusquàçette heure pour folle
dans le monde , et qu il faudroit que je le fusse bien
pour laisser le soin de mon établissement à M. de
Saujon; et que je devois bien espérer, après celui
qu'elle avoit eu d'établir la reine de Pologne, qui
n'étoit ni de ma qualité ni en rien égalje à moi , qu'elle
feroit paroitre en ma personne la reconnoissance des
obligations qu elle avoit à Monsieur , et qu'ainsi je me
reposois entièrement sur elle^ de ma fortune ^ que je
savois combien elle étoit obligée , pour l'amour de lui ,
à m'en procurer une grande , et conforme à ma qualité
et à la reconnoissance qu'elle devoit avoir pour Mon-
sieur. Sa Majesté fut assez étonnée de la manière dont
je répondois -, elle disoit à Monsieur et à M. le cardi-
nal Mazarin : a Voyez avec quelle assurance elle sou-
« tient qu'elle ne sait rien de toute cette affaire. » Je
disois : « L'on en a beaucoup pour soutenir la vérité
ce quand on la dit. » Elle me reprochoit et me disoit :
(( Il est fort beau qu'une personne qui est attachée à
« votre Service , pour récompense vous lui mettiez la
(c téte.sur l'échafaud !»
Gomme j'avois ouï dire que pour le service de la
Reine et de Monsieur plusieurs avoient péri de cette
manière, et que cela me vint dans l'esprit à ce pro-
pos , je répondis : « Au moins ce sera le premier. »
Soit en reproches , soit en questions de pareille nature »
cela dura assez long-temps ; je me lassois d'y répon-
dre, et, si je l'ose dire , j'avois pitié de la Reine et de
Monsieur, de les voir agir ainsi. La Reine disoit:
« Répondez donc à ce qu'on vous demande. » J'obéis,
DB MADEMOISELLS DE MOHTPEIfSlER. [1648] %l
et lui dis que comme je n'avois jamais été interrogée ,
je nesavois pa$ répondre à ce qu^eUe me demandoit.
M. le cardinal Mazârin, qui étoit de sang-froid et qui
écoutoit cela , remarquoit tout ce que je disois , et en
rioit. Cette dernière parole se pouvoit remarquer : 1»
Reine et Monsieur avoient été interrogés plusieurs
fois par M. le chancelier -, Ton pouvoit croire que je
leur répondois à dessein des choses aussi fortes que
celles qu'ils me disoient, et encore plus, puisque la
vérité étoit contre eux, et qu'U n'y avoit que des
suppositions contre moi. La conversation me parut
longue : les répétitions qui ne nous sont pas agréables
paroissent toujours telles, et effectivement elle dura
une heure et demie : ce qui m'ennuya ] et comme je
vis que si je ne m'en allois cela ne finiroit point, je dis
à la Reine : « Je crois que Votre Majesté n'a plus rien
« à me dire. » Elle me répliqua que non ^ je fis la ré^
vérénce , et sortis assez victorieuse de ce combat ,
mais fort en colère. Comme je sortois , l'abbé de La
Rivière voulut me pjirler ; je déchargeai ma colère
contre lui, et m'en allai chez moi, où la fièvre me
prit : ce qui ne m'empêcha pas de sortir le leudemaia
pour aller voir madame de Guise , qui avoit eu nou-
velle de la prison de M. de Guise , que les Espagnols
avoient fait arrêter à Naples , comme il alloit pour le
révolter. : et même, cela étoit fait , et il en étoit le
maître s'il avoit eu autant de prudence que de cou*
rage, et un peu de bonheur-, il eût pu soutenir celte
conquête , qu'il avoit acquise avec beaucoup de gloire.
En tout ce qu'il a fait en sa vie , tout lui a toujours
manqué, hors le courage.
Au retour de cette visite je me vins mettre, au lit^
22 [l648] MÉMOIRES .
et la crainte que j'eus que beaucoup de gens ne me
vinrent voir plutôt par curiosité que pour me plain-
dre me fit donner ordre à ma porte que je ne vou-
lois voir personne,, et je fis dire que je me trouvois
mal : ce qui étoit véritable. L'on peut juger combien
une telle affaire dopne de douleur à une personne de
mon humeur-, et la pensée que ces bruits-là cou-
rôient dans les pays étrangers, avec les mauvais sen-
timens de la Reine et de Monsieur à mon égard , m'ac-
cabloit de chagrin et de mélancolie. Il se trouva que
Tordre que j'avois donné à ma porte fut suivi d'un
pareil de Monsieur à madame la comtesse de Fies-
que, qui étoit une manière de prison qui ne me fâ-
cha pas, puisque je m'y étois mise moi-même volon-
tairement. Monsieur commanda aussi à madame la
comtesse de Fiesque d'ôter d'auprès de moi une pe-
tite femme de chambre que j'avois , à qui Saujon par-
loit souvent; il l'accusoit d'être de cette intrigue. J'en
fus fort touchée par l'éclat que cela feroit, parce que
je n'avois pour elle ni amitié ni confiance ; et même
je l'ai chassée deux ans après, parce qu'elle s'étoit
mariée paf amour. Le trouble que toutes ces circonsn
tances me causèrent alla jusques à me donner la fiè-
vre double-tierce, dont j'eus plusieurs accès. M. l'abbé
de La Rivière me vint voir avec Soin pendant mon mal ;
ses visites ne le diminuoient pas. : j'étbis persuadée
qu'il y avoit beaucoup contribué. La suite des temps
et des êvénemens m'a assez fait connoître que toutes
les personnes qui m'ont voulu rendre de mauvais of-
fices auprès de Monsieur y ont réussi j d'autant plus
aisément que Son Altesse Royale faisoit la moitié du
chemin: à la moindre ouverture elles étôient obligées
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1648] 23
à poursuivre , plutôt pour lui plaire que pour la mau-
▼aisé intention qu'eUes ont eue pour moi.
Soit que l'abbé de La Rivière se repentît de Fem-
barras qu'il m'avoit causé, et du mauvais pas qu'il
avoit fait faire à son maître , il me vint dire que Son
Altesse Royale trouvoit bon que je visse le monde dès
que ma santé me le permettroit. Je me servis, de cette
permission ; je fus visitée de toute la cour , qui étoit
dans des sentimens fort avantageux pour moi. L'on
blâmoit fort la Reine et Monsieur ; et l'on ne pouvoit
comprendre à quelle intention ils en avoient usé ainsi
envers moi , puisque le blâme en tomboit sur eux. L'on
me connoissoit trop bien pour, croire que je fusse ca-
pable de m'étre mis dans la tête un dessein aussi chi-
mérique et aussi ridicule que celui qu'ils débitoient
pour justifier leur procédé.* Je n'avois jamais rien fait
en ma vie qui pût faire croire que j'eusse eu une pen-
sée si à mon désavantage ; aussi ma douleur n'étoit-
elle point fondée sur ce que l'on pouvoit croire de
mes intentions : elle rouloit sur le peu de tendresse
que Monsieur faisoit connoître avoir pour moi. Quand
le fait auroit été véritable , il l'auroit dû cacher. Si
j'avois été capable du doux plaisir que donne la ven-
geance contre des personnes qui me sont aussi proches
que la Reine et Monsieur , j'en aurois pu prendre de
voir la confusion dont cette affaire les couvrit ; je vis
cela avec confusion moi-même, et songeois à ce que
j'avois l'honneur de leur être avec un esprit de charité
et de respect.
Gomme j^eus vu quelques jours le monde, et que
ma santé étoit bonne , je ne m'avisai pas que je de-
vois voir la Reine et Monsieur. Gçt oubli-là fit peut
a4 [164^] MEMOIRES
être croire à Tabbë de La Rivière que dans le monde
l'on attribueroit cela à quelque mépris de ma part , et
que j'agissois avec hauteur, quoique ce ne fût pas ma
pensée. 11 me demanda quand je voulois voir Mour
sieur et la Reine ; je répondis que ce seroit quand il
leur plairoit ; que je recevrois cet honneur^ avec joie.
11 me manda d'aller au Luxembourg le lendemain
matin. J'y allai : l'on ipe fît descendre mystérieuse-
ment à un degré qui donne dans Iç cabinet des livres
de Monsieur \ Tabbé de La Rivière me vint prendre à
mon carrosse 9 et me mena en haut. 11 y a deux cabi-
nets , un petit par où l'on passe , où demeurèrent
madame la comtesse de Fiesque et mon écuyer ^ j'en-,
trai dans celui de Monsieur, qui changea de visiage et
me parut fort interdit. 11 voulut me faire une répri-
mande , et commença du ton dont on les fait ; il sentit
qu'il étoit plutôt obligé à me faire des excuses qu'à
me gronder 5 il prit ce pàrti-là, sans toutefois le croire
prendre. Je m'assure que qui lui demanderoit ce qu'il
me dit lorsqu'il me gronda le prendroit comme moi
pour manière d'excuse. Je pleurai fort : je ne sais si
ce fut d'embarras ou de tendresse ^ il vaut mieux
croire que ce fut l'un que l'autre. Les larmes vinrent
aux yeux de Son Altesse Royale -, ensuite M. de La
Rivière me mena chez Madame. Je traversai la galerie,
la chambje et l'antichambre de Monsieur ; il y avoit
beaucoup de gens qui regardoi^nt : ce qui est assez
ordinaire. Madame et moi nous eûmes peu de dis-
cours.
Je m'en allai chez la Reine : c'étoit au Palais-Royal,
où je fus bien regardée encore. J'entrai avec assez de
fierté , et l'adversité n'a guère diminué celle qui m*^st
DE MADEMOISELLE DE MONTPE5SIER. [l648] %S
natnrelle , quoique j'en aie beaucoup eu depuis ce
temp»-là. La Reine sortoit du lit : quoique j'aie tou-
jours entrée à toutes les heures chez elle , à cause de
ce que je suis et de ce que j'ai toujours ëtë avec elle
depuis la régence , et qu'elle a vécu avec grande fa-
miliarité avec moi , au lieu de m'approcher comme
f ayois accoutumé, je demeurai à la porte, où M. le duc
d'Anjou me vint embrasser et me dire : « Ma cousine,
a j'ai toujours été pour vous , et j'ai pris votre parti
ce contre tout le monde. » La Reine ne me disoit mot ;
elle s'avisa de médire : «Asseyez -vous, vous devez être
« foible après avoir été malade. » Je lui répliquai que
ma maladie ne m'avoit point affoiblie , et que j'avois
assez de force pour me tenir debout. Je ne sais si elle
ne crut point , lorsque je parlai de ma force, que j'é-
tois bien aise de la faire souvenir que j'en avois assez
eu à soutenir les persécutions qu'elle m'avoit faites ,
et si eUe ne crbyoit pas que j'avois dit cela avec quel-
que esprit de picoterie, et même je ne justifiai pas
mon intention -, elle rougit. Comme elle fut habillée
et prête d'aller à la messe , je lui présentai ses gants ;
elle me tira à part, et me dit peu de mots : je me sou-
viens fort bien qu'ils n'étoient pas des plus obligeans ,
mais je ne les puis redire. Si j'eusse eu en pensée dans
ce temps-là'que je me trouverois un jour en dessein
d'écrire mes aventures , et si j'eusse cru même qu'il
m'en fat arrivé autant que j'en ai eu depuis et aussi
dignes d'être écrites , j'aurois bien retenu ces propos,
et c'étoit à quoi je songeois le moins dans ce temps-
là. Sa Majesté alla à la messe , et je me retirai. Le len-
demain M. le cardinal Mazarin me vint voir , et me
témoigna être fort fôché de tout ce qui s'étoit passé ,
%6 [1648] MÉMOIRES
et fit son possible pour me persuader qu'il n y avoit eu
aucune part. Pour moi , je lui laissai croire que j'en
étois toute persuadée : ce qu'il crut aisément 5 il se
flatte assez d'avoir ce don-là.
Depuis tout cela j'allois de temps à autre rendre
mes devoirs à la Reine , mais non pas si souvent que
j 'a vois accoutumé ; je ne croyois pas que la présence
d'une personne qu'elle avoit si fort maltraitée lui pût
être agréable. Je compris en ce temps-là (ce que je
fais encore mieux présentement) que l'on se passe ai-
sément de la cour quand on^onnoît n'y être pas selon
sa qualité , et avec^'éclat que l'on y doit être. J'allois
souvent à ma maison de Bois-le-Vicomte , où j'étois
trois ou quatre jours ; je fis un voyage un peu plus
long : j'allai à Montglat, où je fus reçue avec joie et
magnificence du maître et de la maîtresse du logis.
J'allai à Pons chez madame Bouthillier ; c*est une des
plus beUes maisons de France : elle eèt située à mi-
côte , on y voit des fontaines, des canaux, et la rivière
de Seine au bas des^ jardins , qui sont en terrasses ; les
avenues sont belles', et la maison bâtie par un surin-
tendant. C'est pour laisser juger des beautés du de-
dans , des meubles et de la magnificence avec laquelle
je fus reçue. J'y restai trois jours, et j'y dansai forte-
ment 5 je me promenai à cheval ; il y avoit un bateau
le plus joli du monde : j'y allai peu , je crains l'eau.
Madame Bouthillier avoit pris avec elle une de ses pa-
rentes nommée mademoiselle de Neuville (0 , jeune ,
jolie et spirituelle , qui me fit fort bien l'honneur de
son logis : c'est madame de Frontenac présentement.
(0 Mademoiselle de Neuuille : Anne Phclippcaiix. Elle eponsà
Henri' Biiade , comte de Frontenac.
DE MADEMOISELLE DE MONTPEKSIER. [1648] 27
Dès ce moment j'eus de Famitié pour elle , dont elle a
depuis senti les effets ; elle dit qu'elle en eut aussi
pour moi : elle m'en a donné des marcpes*. Vous la
verrez ma compagne dans mes triomphes passés et
dans mes disgrâces présentes.
Après un jour ou deux de séjo\ir, je m'en revins au
Bois-le-Vîcomte ; je passai par Senart, pour y faire la
fête de Notre-Dame de la mi-août; labbesse étoit de
la maison de La Trémouille , et fort mon amie : c'étoit
une religieuse de grande vertu et de beaucoup de
mérite.
Un jour après que je fus au Bois-le-Vicomte , la
nouvelle vint de la bataille de Lens que M. le prince
avoit gagnée. Comme Ton savoit Taversion que j avois
pour lui , personne ne me Fosa dire : Fon mit sur ma
table la relation qui étoit venue de Paris \ au sortir de
mon lit , je vis ce papier sur ma table : je le lus avec
beaucoup d'étonnement et de douleur. Gommé je ne
devois pas mêler mon aversion à un si grand avantage
pour FEtat, je ne savois comment démêler Fun de
Fautre. Dans cette rencontre je me trouvois moins
bonne Française qu'ennemie ; je me sauvai , et je cou-
vris mes pleurs par les plaintes que je fis de quelques
officiers de ma connoissance qui avoient été tués. Et
comme le bon naturel est louable , principalement
aux grands qui sont accusés de n'en guère avoir, et
surtout aux grands de la maison de Bourbon , je m'at-
tirai une louange, au lieu d'un blâme que je méritois.
Je ne sais comment je pouvois être sensible aux vic-
toires de. M. le prince : il en gagnoit si souvent que
je devois m'y accoutumer. Mais Fon ne s'accoutume
pas à ce qui déplaît.
28 [l64^] MÉMOIRES.
Monsieur me manda de revenir à Paris pour me
réjouir avec la Reine : ee commandement me déplut
fort. Le traitement qu'elle m'a voit Tait étoit encore si
récent, que ce qui lui donnoit.de la joie ne m'en don-
noit guère ; joint à cela celui qui avoit gagné la ba-
taille, vous pouvez juger comment je m'en souciois.
J'obéis cependant et m'en vins à Paris , et le jour de
Saint-Louis je trouvai la Reine qui s'en alloit aux Jé-
suites ; je lui dis que j'étois revenue sur la bonne nou-
velle , et que je croyois qu'elle me feroit bien l'hon-
neur de croire que j'y prenois la part que je devois. Ce
n'étoit pas beaucoup dire : je n'étois pas trop obligée
à en prendre à ce qui la regardoit. Le lendemain, jour
assez remarquable , j'allai au Te J)eum avec elle à
Motre-Dame ^ je me mis auprès. du cardinal Mazarin :
et comme il étoit en bonne humeur , je lui parlai de
la Ubeité de Saujon , pour laquelle il me promit de
travailler auprès de la Reine, que je laissai au Palais-
Royal , et ni/'en allai diner.
Je ne fus pas plus tôt arrivée à mon logis que l'on me
vint dire la rumeur qui étoit dans la ville ; que le bour-
geois prenoit les armes, et faisait des barricades sur
ce que l'on avoit arrêté ie président de Blancmenil
et M. de Brousse!. Ce dernier étoit bien plus aimé que
l'autre , et parmi le peuple ils l'appeloient leur père.
C'étoit un homme de bien et de vertu, au reste de peu
d'esprit : quand je l'ai vu , je me suis étonnée comme
il put soutenir si long-temps une telle réputation avec
si peu de capacité. Je m'en allai au Luxembourg *, je
passai le long du quai de la galerie du Louvre , où je
ne trouvai que des compagnies des régimens des Gar-^
des suisses et françaises sous les armes : comme feus
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. {l648] dQ
passé le Polit-Neuf, je trouvai force chaînes tendues.
Le peuple de Paris m'a toi\jours beaucoup aimée,
parce que j'y suis née et que j'y ai été nourrie : cela
leur a donné un respect pour moi et une inclination
plus grande^ que celle qu'ils ont ordinairement pour
les j)er^nnes de ma qualité ^ de sorte que dès qu'ils
voy oient mes valets de pied , ils abattoient le$ chdnes.
Après avoir fait ma visite chez Madame , je m'en allai
au Palais-Royal, où tout* le monde étoit en grande
rumeur , étonné de ce mouvement peu considérable
par lui-même , et seulement par les suites qui en pou-
voient arriver, et par les exemples des choses passées,
dont toutes nos histoires sont remplies. Pour moi qui
n'en avois jamais vu , et qui n'étois pas en âge de £aire
aucune réflexio», toutes les nouveautés me réjouis*
soient ^ et comme j^ n'étois pas fort satisfaite de la
Reine ni de Monsieur dans ce temps-là , ce m'étoit un
grand plaisir que de les voir embarrassés. De quel-
que importance que pût être une affaire , pourvu
qu elle pût servir à mon divertissement , je ne son-
geois qu'à cela tout le soir ; et les jours qui suivirent
je ne m'amusois qu'à regarder tous les gens qui avoient
des épées qui n'avoient pas coutume d'en porter , et
qui les portoient de mauvaise grâce. Voilà à quoi je
m'amusois pehdant que toute la .France trembloit,
quoique j'eusse grand intérêt à sa conservation. Les
régimens des Gardes suisses et françaises dont j'ai
parlé demeurèrent toute la nuit où j'ai dit , et dans
la rue devant les Tuileries, de peur que le bourgeois
ne se saisît, dç la porte de la Conférence.
Sur le soir de ce jour-là , les bourgeois étoient en
armes dans tous les quartiers, avec des corps-de-garde
3o [164^] MÉMOIRES
dans tous les carrefours ; et une entreprise terrible,
c'est qu'ils en avoient posé un à la barrière des Ser-
gens de Saint-Honorë , où il y avoit une sentinelle qui
n'étoit qu à dix pas de celle de la garde du Roi. Le
lendemain je ftis éveillée par le tambour qui battoit
aux champs de bonne l^eure, pour aller prendre la
tourdeNesle, que quelques coquins avoient prise. Je
me jetai hors du lit, et courus à la fenêtre pour les
voir partir -, ils eurent bientôt fait cette expédition :
des gens aguerris font bientôt quitter prise à des co-
quins. Toutefois ils blessèrent quelques soldats , les-
quels suivirent leur compagnie qui revenoit à son
poste. Je voyois ces blessés par la fenêtre avec grande
pitié et frayeur-, je n'en avois jamais vu : le malheur
des temps cpii ont suivi m aguerrit* à voir des morts
et des blessés, sans m'ôter les premiers séntin^ens-de
pitié que j'eus pour ceux-là.
Comme toutes les histoires et les Mémoires de force
gens qui écrivent disent tout ce qui se passa , comme
M. le chancelier alla au Palais, et fut ensuite contraint
de se sauver à Fhôtel de Luynes , et toutes les autres
circonstances des barricades, je n'en dirai pas davan-
tage , si ce n'est que je me trouvai au Palais-Royal dans
le temps que tout le parlement y venoit voir le Roi.
.Après que l'on eut résolu de leur rendre les prison-
niers , ils sortirent fort iSèrement , et d'un air à faire
croire qu'ils s'en prévaudroient , et qu'ils connois-
soient les gens avec qui ils avoient affaire : dès lors ils
comimencèrent à fronder M. le cardinal , et même pen-
dant qu'ils parloient au Roi je me trouvai auprès d'un,
que je ne coniioissois point pour lors , qui m'en parla
fort librement^
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1648J 3l
Ce fut là Torigine des troubles qui ont suivi , et où
Fautorité du Roi a commencé à être attaquée. Cela
doit bien fsâre connoitre aux rois , quand ils sont en
âge de gouverner, et, quand ils n y sont pas , aux
personnes entre les mains de qui Fautorité est en
dépôt, qu'il faut peser tout exactement, même les
moindres choses, (et en examiner les suites. Trop de
clémence dans un temps est aussi blâmable que trop
de rigueur dans un autre-, et quand Fon a embrassé
Fun de ces deux partis, il ^eroit quelquefois plus né-
cessaire de le continuer que d'en changer : Fun et
Fautre , en beaucoup de rencontres importantes dans
tous les empires du monde , ont causé de mauvais effets.
Je ne suis ni assez capable pour en décider , ni d'hu-
meur à le faire : il faut laisser à de plus habiles gens à
donfier leurs avis. Dieu les veuille inspirer à les don-
ner de manière qu après avoir été- suivis ils puissent
à. l'avenir profiter à toute la chrétienté, et surtout à
nos rois !
Quoique le mot de Froiide ne soit venu que sur une
bagatelle , il faut que je mette ici son origine., Un jour,
dans ce commencement de troubles que le parlement
s'assembloit souvent, Bachaumont, cokiseiller , par-
loit d'une affaire qu'ii avoit ; il, dit de sa partie : Je le
fronderai bien -, et comme chacun étoitassisà sa place ,
Fon commença h parler contre M. le cardinal, sans
cependant le nommer ,; quoique Fon le fit assez con-
noitre. Barillon Fainé commença à chanter : .
Un vent de fronde
S'est levé ce matin :
Je crois qu'il gronde
Contre le Mazarin.
3a [1648] MÉMOIRES
Un vent de fronde
S'est Ijevé ce matin.
Peu après , Leurs Majestés sortirent de Paris sous
prétexte de faire nettoyer le Palais^Royal , et allèrent
à Ruel. Le château de Saint-Germain étoit occupé par
la reine d'Angleterre, dont le* fils, M. le prince de
Galles, étoit allé en Hollande. Monsieur ne sortit
point de Paris, ni moi non plus *, j'y allois seulement
deux ou trois fois la semaine faire ma cour , et je
prenois mon temps les Jours d^ conseil. Je voulois
voir M. le cardinal pour lui parler de la liberté de
Saujon : ce n étoit pas tant par sa considération que
par la mienne, parce qu'il me sembloit que tant qu'il
seroit çn prison l'on me croiroit mal à la cour , ou bien
l'on m'accuseroit d^abandonner les gens attachas à
moi. Gomme on étoit persuadé que celui-là l'étoit, il
m'étoit dur d'entendre ces deux raisons, et surtout
la dernière. Etre mal à la cour, quoique cela soit fâ-
cheux , comme c'est un malheur et non pas un défaut,
Ton s'en console plus aisément , puisque le temps fait
qu'on se raccommode. Saujon avoit été transféré de
chez le prévôt de L'Isle au château de Pierre-Encise à
Lyon , quelque temps avant que la cour partit de Paris.
Pendant que la cour étoit à Ruel , le parlement s'as-
sembloit tous les jours pour le même sujet qu'il avoit
commencé : c'étoit pour la révx)cation de la paùlette,
et il continuoit à frôndèr M* le cardinal ; ce qui avoit
plus contribué à faire aller la cour à Ruel que le net-
toiement du Palais-Royal. L-absence du Roi augmenta
beaucoup la licence et la liberté avec laquelle l'on
parloit dans Paris et le parlement. Ce corps fit même
DE MADEMOISELLE DE MONTP£!SSIER. [l648] 33
quelques démarches qui déplurent à la cour ; de sorte
quelle fut obligée d'aller à Saint-Germain, d'où la
reine d'Angleterre délogea, et Tinta Paris. Monsieur,
qui couchoit quelquefois à Ruel , y étoit pendant ce
temps-là , et manda à Madame de quitter Paris , et
d'emmener avec elle ses deux filles qui étoieht très-
petites, ma sœur d'Orléans et ma sœur d'Alençon.
Madame la princesse manda M. le duc d'Enghien son
petit-fils^ et je me trouvai assez embarrassée d'être la
seule de la maison royale à Paris à laquelle on ne
mandoit rien. Comme l'on ne doit jamais balancer à
faire son devoir , quoique notre inclluation ne nous y
porte pas , je m'en allai à Ruel ^ et j'arrivai comme la
Reine alloit partir pour Saint-Germain. Elle me de-
nranda d'où je venois : je lui dis que je venois de Paris,
et que sur le bruit de son départ , je m'étois rendue
auprès d'elle pour avoir l'honneur de l'accompagner ;
et que quoiqu'elle ne m'eût pas fait l'honneur de me
le commander, il m'avoit semblé que je ne pouvois
manquer à feire ce à quoi j'étois obligée , et que j'es-
pérois qu'elle auroit assez de bonté pour l'avoir
agréable. Elle me répondit par un souris que ce que
j'avois fait ne lui déplaisoit pas, et que c'étoit beau--
coup pour moi, après la manière dont on m'avoit
traitée , de voir que l'on me soufTroit. Quoique mon
procédé méritât bien qu'ils en eussent un obligeant
pour moi pour réparer le passé, je témoignai à Mon-
sieur et à l'abbé de La Rivière que je n étois pas con-
tente que l'on eût envoyé quérir jiisques aux petits
enfans, et qu'à moi l'on ne m'eût dit mot. La ré|>onsc
ne fut que de gens fort embarrassés. Quand l'on man-
que envers des personnes qui ne manquent jamais ,
T. 4^» 3
34 [l648] MÉMOIRES
leur conduite nous coûte beaucoup de confusion , et
pour Tordinaire dans cet état Ton tient des discours
meilleurs à être oubliés qu'à être retenus. Pendant ce
voyage, je ne fis ma cour que par la nécessité qui m'y
obligeoit. J'étois logée dans la même maison que la
Reine : je ne pouvois manquer de la voir tous les jours;
ce n étoit pas avec le même soin et la même assiduité
que j'avois fait depuis la régence : aussi n'y avois-je
pas les mêmes agrémens. Il faut laisser quelque temps
Saint*Germain pour parler de mademoiselle d'Eper-
non, et puis j'y reviendrai trouver la cour.
L'onavoit fait parler à M. le cardinal du mariage du
prince Casimir , frère du roi de Pologne , qui en est
maintenant roi, avec mademoiselle d'Epernon (■).
Dès lors il en étoit présomptif héritier, autant qu'on
le peut être d'un royaume électif-, il y en avoit beau-
coup d'apparence , et la suite a fait voir qu'^e étoit
bien fondée. J'avoue que^orsque je sus c^tte nou-
velle , j'eus la plus grande joie du monde. Quoique
l'Empereur fût marié, il avoit un fils qui étoit roi
d'Hongrie , d'un âge proportionné au mien, et prince
de bonne espérance. Ainsi la proximité de l'Allé-
magne et de la Pologne me faisoit croire que nous
passerions nos jours quasi ensemble , ma bonne amie
et moi. Je la trouvois hautement vengée de mademoi-
selle de Guise et de M. de Joyeuse ; il n'y avoit en
cette affaire aucune circonstance qui ne me plût, et
l'on en peut juger de la manière dont je lui en écri-
vois-, et si je ne la détournois pas d'être carmélite,
la conjoncture étoit la plus favorable du monde. Le
prince Casimir demandoit à M. le cardinal une Fran-
(i) MadMtnoiêêHe d'Epernon : Annc-Loaite-Chriitine.
DE MADEMOISELLE DE MONTPBNSIER. [1648J 35
çaise , et M. le cardinal souhaitoit avec passion le
mariage de M. le duc de Candale (<) avec une de ses
nièces : à quoi M. d'Epernon ne consentoit pas vo-
lontiers pour lors. Gomme c est un homme qui a beau«-
coup d'ambition /lorsqu'il eut vu sa filleTeine , il eût
consenti volontiers au mariage de son fils. La dévo-
tion de mademoiselle d'Epernon rompit ce dessein,
et elle préféra la couronne d'épines à celle de Pologne.
Quoiqu'elle ne rebutât point cette proposition et qu'elle
la reçût comme un grand honneur, elle feignit d'être
malade , et se fit ordonner les eaux de Bourbon , afin
de se mettre dans le premier tj)uvent de carmélites
qu'elle trouveroit sur le chemin. Elle savoitbien qu'en
pas un couvent du gouvernement de monsieur son
père on ne l'oser oit pas recevoir. Madame d'Epernon
la mena à ce voyage sans savoir son dessein ^ elles pas-
sèrent à Bourges, où le lendemain elle s'alla mettre dans
les Carmélites, qui savoient bien dès Bordeaux qu'elle
ydevoitaller. Elle y prit l'habit, avec une des demoi-
selles de madame d'Epernon, laquelle sitôt qu'elle
eut appris cette nouvelle, alla au couvent : les larmes
ni les prières ne purent rien obtenir sur mademoiselle
d'Epernon. Elle m'avoit écrit là veille d'une de mes
terres où elle avoit passé , et ne me mandoit riea de
l'exécution de son dessein, dont elle s'étoit pourtant
fiée à moi ; ce qui redoubla mon déplaisir lorsque
je la sus aux Carmélites, de voir que sa confiance
pour moi étoit diminuée : je craignis qu'elle ne cessât
aussi son amitié. Ellç m'écrivit dès qu'cdle fatà Bourges
d'un style monastique , (4eia de sermons et de com-
(i) Le due de Candale : Loais-Charlet Gaaton de Nogaret , Irère de
mademoiselle d?EperEon.
3.
36 [^^4^] MÉMOIRES
plimens , qui ne me paroissoient pas aussi tendres et
aussi francs qu'à son ordinaire. Elle me mandoit qu elle
venoit dans lé grand couvent à Paris , quoiqu'elle eût,
paru toujours en avoir un grand éloignement. Je lui
écrivis pour lui témoigner mon déplaisir , et pour tâ-
cher de la persuader de se mettre dans le petit cou-
vent, ou dans celui de Saint-Denis ou de Pontoise;
je n aimois pas la maison qu'elle avoit choisie. Je ne
devois pas m'étonner qu'elle eût changé de résolution :
quand l'on renonce au monde, c'est-à-dire à sea
proches , à ses amis , à une couronne et à soi-même ,
le reste. n'est rien. L'ayêrsion que j'avois pour ce lieu
venoit de ce que madame la princesse y alloit souvent,
et c'en étoit là le fondement, quin'étoit pas trop bon.
Cependant mademoiselle d'Epernon ne pouvoit pas
être mieux : c'est une grande maison , un bon air , une
nombreuse communauté remplie de quantité de filles
de qualité et d'esprit, qui ont quitté le monde qu'elles
connoissoient et qu'elles méprisoient : et c'est ce qui
fait les bonnes religieuses. .Quand mon aversion ftxl
passée , je trouvai qu'elle y étoit fort bien et pour elle
et pour moi, puisqu'elle étoit carmélite, quoique je
l'eusse mieux aimée dans le monde. Comme Paris est
le lieu où l'on demeure quasi toujours , au moins l'on
la peut voir souvent.
Lorsqu'elle fut arrivée , elle m'envoya prier de l'aller
voir 5 j'y allai dans un esprit de colère et d'une per-
sonne outrée d'une violente douleur, et bien résolue
de lui témoi^er mon ressentiment sur tous les sujets
que j'avois de me plaindre d'elle. Lorsque je la vis ,
je ne fus touchée que de tendresse ^ et tous les autres
sentimens cédèrent si fort à celui-là qu'il me fut im*
DK MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l648] 87
possible de le lui cacher , puisque mes larmes et l'ex-
trême douleur que j avois m»'empécbèrent de lui pou-
voir parler : elles ne discontinuèrent pas pendant '
deux heures que je fus ayec elle, sans lui pouvoir
dire une parole. Elle reçiat cela avec la dernière
cruauté : peut-être que les autres trouvèrent cela fer-
meté \ l'amitié que j'avois eue pour elle fait que je
ne la puis nommer autrement. Elle me plaignoit de
plaindre ainsi son bonheur , et me reprochoit que ce
n'étoit pas l'aimer que d'en user ainsi; puis elle me
fit des sermons qui ne me touchèrent point : je n'en
pus profiter , je m'affligeai seulement. Cette dureté
ne me rebuta point : j'y retournai deux jours après,
ce fut la même vie ; et je crois que si je n'eusse quitté
Paris pour suivre la cour , il y auroit toujours eu la
même douleur en moi et la même dureté en elle. Le
temps m'a fait connoitre dans la suite le bonheur dont
ellejouissoit^ mes déplaisirs m'ont fait sentir qu'elle
étoit plus heureuse que moi , et que c'étoit à moi à
avoir de la joie pour elle , et à elle de la douleur de
me voir au«si avant dans le monde , et aussi peu tou-
chée de ce qui regarde Dieu. Quant à l'amitié que j'ai,
pour elle , elle durera autant que ma vie.
Pendant que la cour étoit à Saint^Germain , on fit
force allées et venues pour s'accommoder avec le par-
lement. Ils envoyèrent. des députés qui conférèrent
avec M. le cardinal, en vertu d'une déclaration que.le
Roi donna. Elle est si célèbre que quand il n'y au-
rait que les registres du parlement qui en feroient
mention , ce seroit assez pour me dispenser d'en dire
davantage. L'on disoit alors (et je l'ai encore ouï dire
depuis ) qu'elle auroit été fort utile pour le bien de
38 [1^4^] MÉMOIRES
FEtat et le repos public , si elle fût demeurée en son
entier. Il est à croire qu'elle n'est pas tout-à-fait con-
forme à l'autorité du Roi , puisqu'il sembloit qu elle
avoit été obtenue quasi par force , et donnée à dessein
d'apaiser les troubles dont l'on étoit menacé si on
l'eût refusée. Les connoisseurs et les politiques juge-
ront mieux que je ne pourrois faire si on a eu raison
de l'enfreindre.
Madame accoucha, pendant le séjour de Saint-Ger-
main, d'une fille que Ton appela mademoiselle de Valois;
comme elle est délicate , elle ne put venir à Paris avec
la cour, qui partit la veille de la Toussaint pour s'y
rendre. Un jour avant la Reine et Monsieur avoient
eu un grand démêlé sur le chapeau de cardinal qu'elle
avoit promis à l'abbé de La Rivière : en quoi elle l'avoit
trompé. en faveur du prince de Conti. Ce n'est pas
que la justice ne fût tout-à-fait du côté du dernier :
aussi Son Altesse Royale n'auroit-elle pas préféré les
intérêts d'un de ses domestiques à ceux d'un prince
de son sang. Le cardinal Mazarin, qu'on accusoit dans
ce temps-là d'avoir dit qu'il n' étoit pas esclave de sa
parole, en avoit usé comme un homme qui ne l'étoit
pas, à ce que disoit Monsieur, qui prétendoit quil lui
en avoit manqué. 11 dit à M. le prince que Monsieur
ne vouloit point que son frère fût cardinal ; de sorte
que cela l'anima contre Monsieur. 11 se joignit à la
Reine et au cardinal , et c'aurait été un grand sujet de
division dans la cour , si Monsieur avoit été d'une
autre humeur. Sa bonté naturelle le fit passer par
dessus toute considération pour le repos et le bien de
l'Etat. Il fut seulement quelques jours sans voir la
Reine , pendant lequel temps tous les mécontens lui
DX MADEMOISELLE DB MOMTPENSIER. [1648] Sq
firent la cour à Tordinaire ; et , à dire le vrai , il y en
avoit peu d autres. Quoiqu'il fût lieutenant-gënëral
de rStat , Ton prëvoyoit bien ce qui arriveroit. Pen-
dant ce temps-là ceux qui négocioient alloient les soirs
en cachette du Palais-Royal à celui d'Orléans , et on
les nomma oublieurs {O, parce qu'ils n alloient que
la nuit.
La déclaration dont j'ai parlé fut fort avantageuse
aux prisonniers , parce qu'il y avoit un article qui
portoit qu'ils ne le seroient que vingt-quatre heures
sans être interrogés, et que les coupables seroient
punis, etlesinnocens mis en liberté. G'étoit terrible-
ment borner l'autorité du Roi , et c'étoit bien là un
article passé en minorité. Quoiqu'il faille rendre la
justice à tout le monde , il est des crimes qui ne vont
pas à la mort, et qui toutefois doivent obliger le Roi
de retenir les gens en prison , sans rendre compte des
sujets pour lesquels on les y met. Comme il ne doit
compte de ses actions qu'à Dieu , il étoit bien rude
que l'on voulût par cette déclaration le contraindre à
le rendre au parlement. Je suis née d'uae qualité si
peu propre à approuver cet endroit de la déclaration ,
qu'il est vraisemblable que les gens qui y sont infé-
rieurs l'approuvent, par la pente naturelle que chacun
auroit à être maître. Il me semble que l'autorité d'un
seul tient tant de la Divinité , que l'on devroit avec
joie et respect s'y soumettre par son propre choix ,
(1) Allasion 2i ces garçons pAtissiers qui , sur les hait hearet dn soir ,
Tont Phirer par Paris crier des oublies, qui sont nne espèce de pAte fiiite
de farine, d?eeafs et de miel , qn^on fait cntieentic dcuL fers 1 1
Ces onblieors Ont évà chaiiés depau qndqnes aouénk {th^dê
4e 1735.)
4o [^^4^] MÉMOIRES
quand Dieu ne nous y auroit pas fait naitre. Pour moi,
je comprends fort bien que si j'ëtois née dans une
république , je serois toute propre à la révolter si je
pouvois, quand même ce ne seroit pas pour moi\
tant j'estime la monarchie. Saujon se trouva fort bien
de la déclaration. L'on envoya les ordres du Roi à
M. l'abbé d'Ainay , lieutenant du Roi en Lyonnais ,
et qui commande à Lyon en l'absence de son frère
M. le maréchal de Villeroy. L'ordre portoit que Sau-
jon s'en iroit ei\ l'une de ses maisons : ce qui auroit
été fort difficile. Saujon étoit un gentilhomme qui
n'avoit que la cape et l'épée.
Pendant que la cour fut à Paris , elle n y eut pas
tout le contentement qu'elle pouvoit désirer -, cela
obligea M. le cardinal de conseiller d'en sortir : ce qui
étoit nn dessein un peu hardi lorsque Ton considéroit
l'incertitude de l'événement. Comme Monsieur et
M. le prince ëtoient les gens les plus intéressés au
bien de TEtat, il voyoit que selon toute vraisemblance
ils en dévoient être les maîtres , et que ce qui pour-
roit arriver de ce conseil tomberoit plutôt sur eux
que sur lui. La suite a fait voir que l'on eût pu se pas-
ser de ce voyage, qui a été cause de tous les fâcheux
troubles qui ont suivi , et de l'absence de M. le prince,
qui est à compter pour beaucoup. Monsieur et M. le
prince disoient que le cardinal eut beaucoup de peine
à les faire consentir à ce dessein ; ils y consentirent
enfin , et ils disent aussi s'en être bien repentis de-
puis : ils Font dû faire , ils en ont bien pâti tous deux.
Monsieur avoit la goutte depuis quelque temps , et
deux jours avant le départ la Reine alla tenir conseil
pliez lui : ce fut là que la dernière résolution de ce
DE MADEMOISELLE DE MOISTPENSIËR. [1649] 4'
voyage se prit [1649]. ^'^^ trouva que la nuit du jour
des Rois étoit propre pour ce dessein , pendant que
tout le monde seroit en débauche , afin d'être à Saint-
Germain avant que personne s'en aperçût. J'avois
soupe ce jour-là chez Madame , et toute la soirée j'avois
été dans la chambre de Monsieur , où quelqu'un de ses
gens me vint dire en grand secret que l'on partoit le
lendemain : ce que je ne pouvois croire à cause de
l'état où Monsieur étoit. Je lui allai débiter cette nou-
velle par raillerie-, le silence qu'il garda là-dessus- me
donna lieu de soupçonner la vérité du voyage. Il me
donna le bon soir un moment après , sans avoir rien
répondu. Je m'en allai dans la chambre de Madame;
nous parlâmes long-temps là-dessus : elle étoit de la
même opinion que moi , que le silence de Monsieur
marquoit la vérité de ce voyage. Je m'en allai à mon
logis assez tard.
Entre trois et quatre heures du matin, j'entendis
heurter fortement à la porte de ma chambre ; je me
doutai bien de ce que c'étoit: j'éveillai mes femmes, et
envoyai ouvrir ma porte. Je vis entrer M. de Com-
minges -, je lui demandai : « Ne faut-il pas s'en aller ? »
Il me répondit : « Oui, mademoiselle-, le Roi, la Reine
« et Monsieur vous attendent dans le Cours, et voilà
a une lettre de Monsieur. » Je la pris, la mis sous
mon chevet, et lui dis : « Aux ordres du Roi et de la
a Reine il n'est «pas nécessaire d'en joindre de Mon-
« sieur pour me faire obéir. » Il me pressa de la lire ;
elle contenoit seulement que j'obéisse avec diligence.
La Reine avoit désiré que Monsieur me donnât cet
ordre, dans l'opinion que je n'obéirois pas au sien , et
que j'aurois été ravie de demeurer à Paris pour me
4^ [1649] MÉMOIRES
mettre d'un parti contre elle ; car contre le Roi , je
ne vis jamais personne qui avouât d'en avoir été : c est
toujours contre quelque autre personnage que le Roi.
Si elle ne s'étoit pas plus trompée en tout ce qu'elle
auroit pu prévoir quen cette crainte, elle auroit été
plus heureuse et auroit eu moins de chagrins. Jamais
rien ne fut si vrai que ce que j'ai pensé cent fois
depuis.
Au moment que M« de Comminges m^ parla, j'étois
toute troublée de joie de voir qu'ils alloient faire une
faute , et d'être spectatrice des misères qu'elle leur
' causeroit : cela me vengeoit un peu des persécutions
que j'avois souffertes. Je ne prévoyois pas alors que
je me trouverois dans un parti considérable , où je
pour rois faire mon devoir et me venger en même
temps : cependant, en exerçant ces sortes de ven-
geances , l'on se venge bien contre soi-même. Je me
levai avec toute la diligence possible, et je m'en allai
dans le carrosse de Comminges-, le mien n'étoit pas
prêt, ni celui de la comtesse de Fiesque. La lune
finissoit, et le jour ne paroissoit pas encore ^ je re-
commandai à la comtesse de Fiesque de m amener
au plus tôt mon équipage. Lorsque je montai dans le
carrosse de la Reine , je dis : « Je veux être au devant
« où au derrière du carrosse ^ je n'aime pas le froid ,
« et je veux être à mon aise. » Cétoit en intention d'en
faire ôter madame la princesse , qui avoit accoutumé
d'être en l'une des deux places. La^Reine me répon-
dit : « Le Roi mon fils et moi nous y sommes , et ma-
ie dame la princesse la mère. » Je répondis ; a U l'y
K faut laisser: les jeunes gens doivent les bonnes
(i places aux vieux. » Je demeurai à la portière avec
DE MADEMOISELLE DE MOIiTPEI^SIER. [1649] 4^
M. le prince de Gonti ^ à Fautre ëtoit madame la prin*
cesse la fille , et madame de Senecay. La Reine me
demanda si je n'avois pas été bien surprise ; je lui dis
que non, et que Monsieur me Tavoit dit, quoiqu'il
n'en fût rien. Elle me pensa surprendre en cette men-^
terie , parce qu'elle me demanda : <( Gomment vous
« étes-YOus donc couchée ?» Je Ipi répondis : r J*ai
«*été bien aise de faire proyision de sommeil, dans
<c Fincertitude si j'aurois mon lit cette nuit » Jamais
je n ai vu une créature- si gaie qu'elle étoit ; quand
elle auroit gagné une bataille , pris Paris , et fait
pendre tous ceux qui lui auroient déplu , elle ne
l'aufoit pas plus été: et cependant elle étoit bien
éloignée de tout cela.
Gomme Fon fut arrivé à Saint-Germain ( c'étoit le
jour des Rois), Fon descendit droit à la chapelle pour
entendre la messe , et tout le reste de la journée se
passa à questionner tous ceux quiarrivoient, sur ce
que Fon disoit et faisoit à Paris. Chacun en parloit à
sa mode, et tout le monde étoit d'accord que personne
ne témoignoit de déplaisir du départ du Roi. L'onbat-r
toit le tambour par toute la ville , et chacun prit les
armes. J'étois en grande inquiétude de mon équi-
page -, je connoissois madame la comtesfte de Fiesquc
d'une humeur timide mal à propos, et dont je crai-
gnois de pâtir, comme je fis: elle ne vouloit point
sortir de Paris dans la rumeur , ni faire passer mon
équipage : ce qui m'étoit le plus nécessaire *, quant à
elle , je m'en serois bien passée. Elle m'envoya un car-
rosse, qui passa parmi les plus mutins sans qu'on lui dit
rien : le reste auroit passé de même. Ceux qui ëtoient
dedans reçurent toutes sortes de civilités, quoique
44 ['649] MÉMOIl^ES
ce fût de la part de gens qui n en font guère ^ et cela
me fut rapporté. Elle m'envoya dans ce carrosse un
matelas et un peu de linge. Comme je me vis en si
mauvais équipage , je m'en allai chercher secours au
château neuf, où logeoient Monsieur et Madame , qui
me prêta deux de ses femmes de chambre : comme
elle n'avoit pas toutes ses hardes non plus que moi , le
tout alla plaisamment. Je me couchai dans une fart
belle chambre en galetas bien peinte , bien dorée et
grande , avec peu de feu , et point de vitres ni de
fenêtres : ce qui n'est pas agréable au mois de janvier.
Mes matelas étoient par terre , et ma sœur , qui n'avoit
point de lit, coucha avec moi. 11 falloit chanter pour
l'endormir , et son somme ne duroit pas long-temps ;
elle troubla fort le mien : elle se tournoit, me sentoit
auprès d'elle, se réveilloit, et crioit qu'elle voyoit la
bête ; de sorte que l'on chantoit de nouveau pour
l'endormir , et la nuit se passa ainsi. Jugez si j'étois
agréablement pour une personne qui avoit peu dormi
l'autre nuit , et qui avoit été malade tout l'hiver de
maux de gorge et d'un rhume violent! Cependant
toute cette fatigue me guérit. Heureusement pour moi
les lits de Monsieur et de Madame vinrent : Monsieur
eut la bonté de me donner sa chambre-, il avoit cou-
ché dans un lit que M. le prince lui avoit prêté.
Comme j'étois dans la chambre de Monsieur , où l'on
ne savoit point que je logeasse , je me réveillai par le
bruit que j'entendis -, j'ouvris mon rideau : je fus fort
étonnée de voir ma chambre toute pleine de gens k
grands collets de buffle, qui furent fort étonnés de me
voir, et que je connoissois aussi peu qu'ils me con-
noissoient. Je navois point de linge à changer, et
DE MADEMOISELLE DE M01STPE>'SIER. [1649] 4^
Ton blanchissoit tna chemise de nuit pendant le jour,
et ma chemise de jour pendant la nuit; je navois
point mes femmes pour me coiffer et habiller : ce qui
est très-incommode-, je mangeois avec Monsieur qui
fait très-mauvaise chère. Je ne laissois pas pour cela
d'être gaie, et Monsieur admiroit que je ne me plai-
gnois de rien. Pour Madame , elle n étoit pas de même :
aussi suis-je une créature qui ne m'incommode de rien,
et fort au-dessus des bagatelles. Je demeurai ainsi dix
jours chez Madame, au bout desquels mon équipage
arriva, et je fus fort aise d'avoir toutes mes commo-
dités. Je m'en allai loger au château vieux , où étoit la
Reine-, j'étois résolue , si mon équipage ne fût venu ,
d'envoyer à Rouen me faire faire des hardes et un lit :
et pour cela je demandai de l'argent au trésorier de
Monsieur ; et l'on m'en pouvoit bien donner , puisque
l'on jouissoit de mon bien : si l'on m'en eût refusé, je
n'aurois pas laissé de trouver qui m'en eût prêté.
Saujon , qui étoit hors de Pierre-Encise , étoit venu
à Orléans voir son frère -, et sur le bruit de la sortie du
Roi et de la guerre , il s'étoit approché de Saint-Ger-
main. Il envoya son frère demander perniission , au.
lieu de venir à la cour, d'aller à l'armée servir à sa
compagnie qui étoit à Saint-Denis -, j'en parlai à Mon-
sieur qui en parla à M. le cardinal , et il le fit trouver
bon à la Reine : de sorte que Saujon revint à Saint-
Germain, et y fut 'bien reçu; puis il s'en alla à- son
quartier. 11 revenoit de fois à autres à Saint-Germain;
ensuite il alla à Pontoise , où il commandoit cinq ou
six compagnies de son corps , et c'étoit en ce temps-là
une place considérable.
Saujon hors de prison^ je navois plus de sujet ap-
46 ['649J MÉMOIRES
parent de bouder contre la cour et de m'en plaindre 5
de sorte que comme j'avois fort demande sa liberté à
M. le cardinal , je fus obligée de lui en faire de grands
remercîmens , et à la Reine, qui avoit d'autant plus de
joie de me témoigner de la bonté et de me faire des
amitiés, qu elle savoit bien que cela ne faisoit pas plai-
sir à madame la princesse , qui étoit lors assez mal
avec elle , parce que le prince de Conti , qu'elle a
toujours mieux aimé que M. le prince, quoique leur
mérite fût différent, étoit allé à Paris avec M. de Lon-
gueville : ce qui faisoit croire à la Reine qu'elle avoit
plus de zèle pour le parti de Paris que pour celui du
Roi. Cela m'en donna pour les intérêts de la cour :
j'étoîs toujours opposée à elle. Ce départ alarma assez
d'abord , et ce n'étoit pas pour le regret qu'on eût du
prince de Conti ni de M. de Longueville, ni la
crainte du mal qu'ils pouvoient faire. M. le prince
étoit allé visiter Charenton , qui n'éloit pas encore oc-
cupé par les gens de Paris, et où l'on avoit intention
de mettre du monde; il arriva très-tard, et l'on crai-
gnoit qu'il ne fût de la partie , et que les autres ne
l'eussent éié joindre. Son retour et sa conduite pen-
dant toute cette guerre justifient bien que son inten-
tion étoit contraire à celle de son frère. Les occa-
sions de combat ne furent pas fréquentes pendant
oette guerre: elle dura peu, et l'on fut long-temps à
Saint-Germain, sans que les troupes qui dévoient
assiéger Paris fussent venues. L'on n'eut jamais des-
sein de l'assiéger dans les formes ; la circonvallation
eût été un peu trop grande , et l'armée trop petite.
L'on se contenta de la séparer en deux quartiers, l'un
à Saint-Glond et Tautre :à Saint-Denis : c'étoit celui de
DE MADEMOISELLE DE MONTPET^SIER. [1649] 4?
Monsieur , et Tautre de M. le prince. L'on prenoit
quelquefois des charrettes de pain de Gonesse et quel-
ques bœufs y et Ton venoit le dire en grande hâte à
Saint^Germain : Ton faisoit des prisonniers , et c'é-
toient gens peu considérables. La. grande occasion fut
à Charenton, que Ton prit en deux heures ; Monsieur
•
et M. le prince y étoient en personne : ils y assistèrent
tous deux à leur ordinaire , et celui qui le dëfendoit
s'appeloit Clanleu. Il avoit été à Monsieur , et Tavoit
quitté : il ne vouloit point de quartier. M. de Châ*
tillon y fut blessé , et mourut le lendemain au bois
de Vincennes, et M. de Saligny, tous deux de la
maison de Coligny. 11 arriva une aventure assez re-
marquable , et qui paroit plutôt un roman qu'une vé-
rité. Le marquis de Cugniac, petit-fils du vieux ma-
réchal de La Force, qui étoit dedans, voulut se sauver
et se jeter sur un bateau *, la rivière étoit gelée , et un
glaçon le porta de l'autre côté de Teau, et même
plusieurs ont dit qu'il le porta jusqu'à Paris.
Après cet exploit , les deux armées furent, assez
long-temps en, bataille entre le bois de Vincennes et
Piquepus, et personne ne se battit. L'on eut une
grande joie à Saint-Germain de cette expédition : il n'y
eut que madame de Châtillon qui fut affligée. Son afflic-
tion fut modérée par l'amitié que son mari avoit pour
mademoiselle de Guerchy, et même dans le combat
il avoit une de ses jarretières nouée à son bras : comme
elle étoit bleue , cela la fit remarquer , et en ce temps^
^ là l'on n'avoit pas encore vu d'écharpe de cette cou-
leur. La magnificence n étoit pas grande à Saint*£er-
main : personne n'avoit tout son équipage ^ ceux qui
avoient des lits n'avoient point de tapis^ries , et ceux
48 [^^49] MÉMOIRES
qui avoient des tapisseries n avoient point d'habits ,
et l'on y étoit très-pauvrement. Le Roi et la Reine
furent long-temps à n'avoir que des meubles de M. le
cardinal. Dans la crainte que l'on avoit à Paris de
laisser sortir les eflets du cardinal , sous prétexte que
ce fût ceux du Roi et de la Reine, ils ne vouloient
rien laisser sortir , tant l'aversion étoit grande. Cela
n'est pas sans exemple que les peuples soient capables
de haïr et d'aimer les mêmes gens en peu de temps,
et surtout les Français. Le Roi et la Reine manquoient
de tout, et moi j'avois tout ce qu'il me plaisoit , et ne
manquois de rien. Pour tout ce que j'envoyois quérir
à Paris, l'on donnoit des passeports, on l'escortoit;
rien n'étoit égal aux civilités que l'on me faisoit.
La Reine me pria d'envoyer un charriot pour em-
mener de ses bardes 5 je l'envoyai avec joie , et l'on en
a assez d'être en état de rendre service à de telles
gens, et de voir que l'on est en quelque considéra-
tion. Parmi les bardes que la Reine fit venir, il y avoit
un coffre de gants d'Espagne ; comme on les visitoit ,
les bourgeois commis pour cette visite, qui n'étoient
pas accoutumés à de si fortes senteurs , éternuèrent
beaucoup, à ce que rapporta le page que j'avois en-
voyé , et qui étoit mon ambassadeur ordinaire. La
Reine, Monsieur et M. le cardinal rirent fort à l'en-
droit de cette relation , qui étoit sur les bonneurs qu'il
avoit reçus à Paris. Il étoit entré au parlement à la
grand'cbambre , où il avoit dit que je Tenvoyois pour
apporter des bardes que j'avois laissées à Paris ; on lui
dit que je n'avois qu'à témoigner tout ce que je dési-
rerois , que je trouverois la compagnie toujours pleine
de tout le respect qu elle me devoit ^ et enfin ils lui
DE MADEMOISELLE DE MOTTTPENSIER. [1649] 49
firent mille honnêtetés pour moi. Mon page disoit
aussi <pi'en son particulier 'on lui en avoit beaucoup
fait, U ne fut point étonné de parler devant la Reine
et M. le cardinal : pour Monsieur, il Tavoit vu sou-
vent, et lui alloit parler de ma paît.* Il eut une longue
audience , il fut fort questionné. : il avoit vu tout ce
qui se passoit à Paris, où je ne doute pas qu'on ne l'eut
aussi beaucoup questionné ^ et pour un garçqn de
quatorze ou quinze ans, il se démêla fort bien de
cette commission. Depuis, Monsieur et toute la cour,
ne l'appeloient plus que l'ambassadeur ^ et quand je
fus à Paris, il alloit voir tous ces messieurs, et étoit
si connu dans le parlement qu'il y recommandoit
avec succès les affaires de ses amis.
M. le duc de Beaufort étoit sorti pour aller au de-
vant d'un convoi 5 il trouva le maréchal de Gramont
à Juvisy , qui étoit allé pour le charger : il y eut un-
petit combat où M. de Nerlieu, de la maison de Beau-
veau , colonel de cavalerie , homme de grand mérite ,
fut tué par M. le duc de Beaufort. En une autre ac-
tion , il donna un coup d'épée à M. de BrioUes , qui
commandoit le régiment de Condé cavalerie , et laissa
son épée dans la cuisse de Briolles., parce qu'il sur-
vint du monde et fut obligé de se retirer. Briolles
étoit un fort honnête homme, et qui étoit de mes amis.
M. de Beaufort s'avisa d'écrire à M. de Nemours, et
donna sa lettre à un soldat des gardes de la compa-
gnie de Boiseleau, et il demanda permission à son
capitaine de la prendre. Le capitaine craignoit de se
brouiller-, il dit au soldat qu'il prît sa lettre, et qu'il
n'en pfenoit point de connoissance , à ce qu'il m'a dit
depuis. M. de Nemours me tira à part dans la chambre
T. 4ï 4
.50 [1649] MEMOIRES
de Madame, me montra Ja lettre de M. de Beauforl,
qui ne contenoit que des propositions fort avanta*
geuses pour lui, avec intention de lui persuader d'aller
à Paris. 11 lui envoyoit une lettre pour Son Altesse
' Royale à même intention , et toute ouverte : elle le
chargeoit d'en communiquer avec moi. Il m'a tou-
jours témoigné beaucoup de confiance et d'affection ;
cependant, en cette rencontre, M. de Nemours et
moi nous n'étions pas fort aises d'en recevoir des
marques : si on l'eût su , cela nous auroit*pu nuire. La
lettre pour Son Altesse Royale étoit. dans des termes
fort respectueux de sa part et de tout le parti pour
l'exhorter. d'aller à Paris, et il lui disoit tout ce qui
pouvoit l'y obliger. Sur les dispositions où nous
voyions Son Altesse Royale, nous résolûmes, M. de
Nemours et moi, de brûler les lettres, et nous nous
jurâmes l'un l'autre qu'il n'en seroit jamais fait aucune
mention.
M. de J^emours commençoit alors à faire le galant
de madame de Châtillo'n*, cet amour avoit commencé
dès le premier voyage de Saint-Germain , et la galan-
terie de son mari , qui avoit commencé en ce temps-là
pour Guerchy , fit que celle de M. de Nemours lui
déplut moins. Auparavant rien n'étoit égal à leurs
amours, etc'étoit par lui qu'ils s'étoient mariés. Quoi-
qu'ils fussent tous deux de grande qualité ( elle étoit
de la maison de Montmorency, et lui de celle de Co-
ligny"), ils rl'étoient pas riches tous deux, et leurs
parens s'y opposoient-, de sorte qu il l'enleva.. Ainsi
l'on devoit croire que l'amitié succéderoit à l'amour :
la belle intelligence devoit dureç toujours. Cela n'au-
roit .pas été , si la mort n eût prévenu l'un des d'eux.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1649] ^^
L'on remarqua que le jour que Ton Talla consoler de la
mort de son mari, elle ëtoit fort ajustée dans son lit:
ce qui confirma que Taffliction n étoit pas grande ,
parce que quand elle Test l'on n'a soin de rien. M. de
Ghâtillon étoit beau , bien fait de*sa personne , et brave
au dernier point : comme je le connoissois peu , je ne
dirai rien de son esprit .
Il courut un bruit dsins ce temps que Saint-Mesgrin
ëtoit amoureux de madame la princesse , et lui ren-
doit ses devoirs avec soin ^ ce n'en étoit pas une mar-
que : l'on ne manque pas de les rendre aux personnes
de cette qualité. La Reine alloit tous les jours aux li- .
tanies à la chapelle., et elle se mettoit dans un petit
oratoire au bout de la tribune où les autres demeu-
roient; et comme la Reine demeuroit long -temps
après qu'elles étoient dites, celleis qui n'avoient'pas
tant de dévotion s^amusoient à causer, et l'on obsçrva
que M. de Saint-Mesgrin parloit à madame la prin-
cesse. Pour moi, je n'en voyoisrien : j'étois dans l'ora-
toire avec la Reine , où le plus souvent je m'endor-
mois, parce que je n'étois pas une demoiselle à si
longues prières ni à méditations. Je pensois que des
amis de M. deSaint-Mesgrinl'avertiroièntdesnpprimer
ces conversations, et que ^i elles venoienJt à la con-
noissance de M. le prince , cela ne lui plairoit pas ,
quoique madïime sa femme fût fort sage et qu'il s'en
souciât très-rpeu. M. de Saint-Mesgrin prit ce parti*là ;
et l'on n'en parla pas davantage.
Je voyois souvent madame la princesse de Cari-
gnan, femme de M. le prince Thomas de Savoie. Elle
est sœur de feu M. le comte de Soissons. C'est une.
femme laide qui a cependant bonne mine, l'air et le
4.
5a [^649] MÉMOIRES
procédé d'une grande princesse : elle est libérale jus-
que9 à la prodigalité -, elle a un train et un équipage
fort grand; tout ce qu'elle a est, magnifique. Elle a
de l'esprit, mais point de jugement : ce qui fait qu'elle
parle beaucoup, et dit peu de vérités -, cela va à un tel
excès qu'elle fait des contes même au-delà du vrai-
semblable. Comme elle a été en Piémont et en Espa-
gne, en liberté et en prison, c'^est de ces lieux où
elle invente tout ce qu'elle dit ; du reste , c'est une
assez bonne femme. Elle avoit beaucoup d'amitié
pour moi : ce qui empêchoit qu'elle ne se fâchât quand
je lui riois au nez de toutes les menteries qu'elle me
disoit. Elle avoit avec elle sa iille la princesse Courci ,
et qui a de l'esprit et beaucoup plus de retenue et de
jugement que sa mère, et qui étoit aussi fort de mes
amies. Quand j'avois envie de me réjouir , j'éntrete-
nois la mère 5 et quand je voulois parler sérieusen&ent,
je m'adressois à sa fille. Madame de Carignan a tou-
jours ses poches pleines de confitures-, et la Reine me
faisoit la guerre que je ne l'aimois que pour qu'elle
m'en apportât, sans que j'eusse la peine d'en charger
mes poches.
Quand l'on parla d^ paix, je m'ea souciois peu : je
ne songeoi« en ce temps-là qu'à mes divertissemens.
Je me plaisois fort à Saint-Germain, et j'aurois sou-
haité y pouvoir passer toute ma vie. Le bien public
n'étoit pas alors trop connu de moi non plus que celui
de l'Etat, quoique par la naissance on y ait assez d'in-
térêt-, mais quand on est fort jeune et fort inappli-
quée, on n'a pour but que le plaisir de son âge. 11
•y eut plusieurs conférences à Ruel avec M. le prince
«t k cardinal Mazarin : comme le détail en est su de
DE MADEMOISELLE DE MOiSTPKNSIEil. [lG4c^] iÀ
tout le monde, je ne m'embarquerai ici en aucune
grande aGTaire/ parce que je n en ai pas une parfaite
connoissance ; et pour ne m'en pas dpuner la peine,
je dirai seulement que je ne crois pas qu'elle fût fort
avantageuse.au Roi. Je fus des premières qui allai
à Paris dès que la paix fut faite (0 ; je demandai
congé à la Reine et à Monsieur d'y aller : madame de
Carîgnan y vint avec moi. Comme je n'y avois aucune
affaire, je n'aurois pas demandé congé si je n'avoi&
eu un beau prétexte, savoir de visiter la reine d'An-
gleterre sur la mort du Roi son mari , auquel le parle-
ment d'Angleterre avoit fait couper le cou il n'y avoit
que (Jeux mois. L'on nen porta point le deuil à la
cour, c'est-à-dire comme ou l'auroit dû; il n'y eut que
les personnes et point les équipages , faute d'argent :
la raison est bien pauvre. Quand j'ai parlé ci-devant
de la misérable situation où l'on étoit , j'avois oublié
de dire que nous étions à Saint-Germain en l'état où
nous voulions mettre Paris : l'intention étoit de l'af-
famer, et néanmoins les habitans y ayoient tout en
abondance, et à Saint-Germain l'on manquqit souvent
de vivres ; les troupes qui étoient aux environs pre-
noient tout ce qu'on y apportoit. Ainsi l'on étoit quasi
affamé : ce qui faisoit dire souvent que M. le cardinal
ne prenoit pas bien ses mesures , et que c'étoit ce qui
empéchoit les affairés de bien réussir.
Je partis donc des premières pour Paris -, j'allai des-
cendre au Louvre, où logeoit la reine d'Angleterre,
que je ne trouvai pas si sensiblement touchée qu'elle
auroit dû l'être par l'amitié que le Roi son mari avoit
(i) Dès que la paix fut faite ; Cette paix pea solide fut signée le
II mari.
54 [1^49] MÉMOIRES
pour elle, et de qui elle étoit parfaitement bien trai-
tée 5 elle ëtoit maîtresse de tout, joint à cela que le
genre de sa mort me sembloit devoir ajouter beaucoup
à son affliction. Pour moi, je crois que c'étoit par fotce
d'esprit qu'elle paroissoit ainsi : Dieu en donne d'ex-
traordinaires dans les occasions qui le sont aussi, afin
que l'on se soumette avec résignation à ses volontés 5
sans cela il y en a auxquelles il seroit difficile de ré-.
sister> et quelquefois aussi l'accablement et la contin
nuation des déplaisirs abattent tellement et accoutu-
ment si fortaux^ouleurs, que l'on devient insensible.
C'est encore un effet de la providence de Dieu, dotit
la bonté soutient notre faiblesse , et qui ne laisse pas
de nous être méritoire devant lui : ainsi il n'iitaporte
pas d'en être blâmé devant les hommes. Je trouvai
chez la reine d'Angleterre son second fils le duc
d'Yorek -, il venoit de Hollande d'auprès de sa sœur la
princesse d'Orange, où il avoit été depuis qu'il s'étoit
sauvé des prisons où l'on l'a voit tenu depuis long-
temps en Angleterre. C'étoit alors un jeune prince de
treize à quatorze ans, fort joli, bien fait, et beau de
visage; il étoit blond et parloit bien fi-ançais: ce qui
lui donnoit un meilleur air qu'au Roi son frère. Rien
né défigure tant une personne, à mon gré, que de ne
pouvoir parler ; il parloit fort à propos, et je sortis
de la conversation que nous eûmes ensemble fort sa-
tisfaite de lui. Dès que je fus en mon logis, tout le'
monde me vint voir, les plus grands et les plus petits;
les trois jours que je fus à Paris, ma maison ne dés-
emplit point. Comme je n'étois venue à Paris que
pour voir la reine d'Angleterre , je lui rendois aussi
tous les jours mes visites ; je rendois les mêmes au
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1649] 55
Cours : c'est une promenade que j'ai toujours aimëe,
et que j'aimerai bien encore quand je retournerai à
Paris. Le duc d'Yorck y venoit avec moi ;ce qui lui
donnoit une grande joie.
Quand je fus de retour- à Saint-Germain, la Reine
me questionna fort sur ce que j'avois vu , fait et dit
à Paris : dont je lui rendis un compte très-fidèle , et à
Monsieur aussi. Tous les jours on ne voyoit que nou-
veaux venus à Saint-Germain ; tous les gens du parti
contraire vinrent saluer Leurs Majestés quand l'am-
nistie fut vérifiée , hors M. de Beaufort et M. le coad-
juteur de Paris , maintenant M. le cardinal de Retz.
M, de Vendôme étoit à Saint-Germain, et M. de Mer-
cœur; l'on commençoit déjà de parler de le marier
avec une dés nièces de M. le cardinal.
Après tous les. devoirs rendus au Roi par le par-
lement, le corps de ville et toutes les autres compa-
gnies souveraines , les autres corps vinrent remercier
le Roi de leur avoir donné la paix. On parla d'aller à
Compiègne : ce qui me fit demander la permission
d'aUer encore faire un petit tour à Paris avant le dé-
part de Leurs Majestés, que je voulois accompagner.
Monsieur y vint comme j'y étois ; il y, fut très-peu, et
s'en alla faire un tour à Blois. Pendant le séj.our que
j'y fis, je mourois d'envie de voir madame de jChe-
vreuse, laquelle étoit revenue depuis quinze jours
dç Flandre. Lorsque je partis de Saint-Germain on
m'avoit défendu de la voir, et c'étoit ce qui m'en don-
noit le plus d'envie ; jç lui envoyai faire compliment
et lui témoigner le déplaisir que j'avois de l'ordre
qu'on m'avoit donné , puisqu'il m'empêchoit de la
voir; que si ejle vouloit aller à Montmartre, où elle
56 [^^49] MÉMOIRES
avoit deux filles et mpi ma tante , nous nous y rencon-
trerions; que j'en aurois bieade la joie, et que je ne
croyois pas être obligée à la fuir si je la rencontrais.
Elle me manda qu elle s y en alloit ; je ne manquai
pas de m'y rendre : elle se trouva mal, et manqua au
rendez-vous. Mademoiselle de Chevreuse y vint, qui
me conta tous les divertissemens de Flandre-, elle
étoit fort satisfaite de la beauté de cette cour-là. Pour
moi, qui ai bien entendu parler à Monsieur du temps
de l'infanJte Isabelle, cela ne me surprenoit pas. Cette
cour-là n'est pas présentement comme elle étoit en
ce temps-là. Elle me parla de l'archiduc, et m'en dit
plus de bien que je n'en avois entendu dire à plusieurs
gens qui venoient de Flandre ; elle me dit aussi que
l'on me souhaitoit fort en ce pays-là -, et pour. Iprs il
y avoit plus d'apparence qu'il n'y en a eu depuis que
M. l'archiduc auroit pu- être souverain des Pays-Bas.
Véritablement cet établissement m'a toujours fort
plu , et j'ai écouté avec plaisir les personnes qui me
disoient que l'on me souhaitoit. en ce pays-là, et que
celui qui y commajidoit seroit souverain comme éloit
l'archiduc Albert.
De Montmartre je m'en allai chez la reine d'Angle-
terre, 011 je trouvai des gens de la Reine qui s'en al-
loient à Saint-Germain ; je les chargeai de lui dire
comme j'avois trouvé par hasard mademoiselle de Che-
vreuse à Montmartre, et que je n'avois pas cru de
mon devoir de m'enfuir; que si c'eût été sa mère, je
l'aurois fait ; que pour elle , il me sembloit que cela ne
tiroit à aucune conséquence , vu que nous avions
toujours été amies. J'en dis autant à Monsieur, qui le
prit fort bien.
DE MADEMOISELLK DE MONTPE^VSIER. [1649] ^7
M. de Beaufort pendant la guerre de Paris aToit fait
le galant de mademoiselle de Lougueville « et cctoit
mi parti fort avantageux ^ c'est une fort grande héri-
tière du côté de feu madame sa mère , qui étoit de
fionrbon, et sœur de feu M. le comte deSoissons mort
sans enfans. Elle auroit bien fait de lépouser : c'est
un prince fort bien fait de sa pei^oime, qui a beau-
coup de cœur et de mérite ; il vaut bien un suné , et
même celui de sa maison. Ainsi personne ne s eton-
noit ni de ces bruits ni de ses soins auprès d^Ile ; on
étoit seulement surpris que madame de Montbazon
le souiTrit. Beaucoup de gens croyoient que comme
il la voyoit souvent, et que c'est une fort belle per-
sonne, elle le ménageoit pour Tépouser quand son
mari seroit mort. D un autre côté il alloit fort souvent
chez madame de Ghevreuse ; et comme mademoiselle
sa fille étoit fort bellc^t riche héritière , Ton croyoit
aussi qu'il lui en vouloit. Ainsi M. de Beaufort étoit
regardé comme le bon parti à qui toutes les princesses
en vouloient. Madame de Nemours désiroit avec
toutes les passions imaginables mademoiselle de Lou-
gueville pour l'avantage de son frère , et par la crainte
qu'il n'épousât madame de Montbazon ^ de sorte que
tout ce qui engageoit son frère à cette recherche lui
donnoit de grandes joies. Comme j'étois à Paris, M. de
Beaufort me dit qu'il vouloit me donner les violons :
j'acceptai volontiers cette offre. Madame de Nemours
et mademoiselle la princesse Louise vinrent souper
avec moi. Nous envoyâmes chercher mademoiselle
de Longueville^ elle n'éloit pas chez elle, et elle s'ex-
cusa ensuite , et dit qu'elle étoit malade ; puis elle vint
chez moi. Les violons jouèrent dans les Tuileries :
58 [l^9] MÉMOIRES
nous étions sur la terrasse qui règne le long du corps
de logis, et tous les hommes étoient dans le jardin ;
pas un ne monta où nous étions. M. de Beaufort me
manda qu'il me prioit de proposer de les faire passer
dans un parterre de l'autre côté du logis, et que je
les entendrois de la salle -, je crus , et avec raison, qu'il
seroit bien aise que cette sérénade sertît à mademoi-
selle de Chevreuse aussi bien qu'à mademoiselle de
Longueville : l'hôtel de Chevreuse avoit vue sur ce
parterre -, l'on peut juger par là de l'attachement du
chevalier. Pour moi, qui ne lui ai jamais vu aucune
inclination pour le mariage, je me doutois bien que
toutes ces galanteries n'auroient aucune suite, à mon
grand regret ; je souhaitois aussi bien que madame de
Nemours que l'affaire de mademoiselle de Longue-
ville s'achevât. Pendant que jious étions dans cette
salle, M. de Beaufort s'y cacha aerrière une porte, pour
entretenir mademoiselle de Longueville qui alloit et
venoit 5 je fis semblant de ne le point voir, quoique je
le visse bien. Si j'eusse pu demeurer davantage à Paris,
ces sérénades auroient pu durer davantage , et on
auroit pu même avoir quelques bals; cependant la
Reine m'envoya quérir : il fkllut partir dès le lende-
main. La cour partoitle jour d'après pour Compiègne :
de sorte que je me rendis à Saint-Germain comme il
m'étoit prescrit. Madame y demeura: elle étoit indis-
posée ; peu de temps après elle vint rejoindre la cour,
et Monsieur en fit de même.
Dès qu]il fut arrivé , l'abbé de La Rivière me vint
trouver 5 il me dit que la reine d'Angleterre faisoît
toutes les instances possibles auprès de Monsieur pour
l'obliger de consentir au mariage du Roi son fils et do
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l64g] Sg
TOoi, et que milord Germain ëtoit arrivé pour Tea
prier encore de sa part ; que je devois songer à prendre
une résolution là-dessus ; que Monsieur m'en parleroit.
Pour lui, il m'en parla sans mêle conseiller ni m'en dis-
suader, et me dit le bon et le mauvais : le dernier
prévaloit sur l'autre. Monsieur me parla sur ce sujet,
et me dit : « La reine d'Angleterre m'a fait la propo-
« sition que vous a dite l'abbé de La Rivière: voyez
« ce que vous avez à dire là-dessus. » Je lui répondis
que je lui obéirpis en tout , et qu'il connoissoit bien
mieux ce qui m'étoit propre que moi; que je me re-
mettois à son déisir , que je n'avois point d'autre vo-
lonté que la sienne. Peu de jours après , le roi d'Aur
gleterre envoya milord Perron faire des complimens
à Leurs Majestés, et leur demander la permission de
venir en France. Ce milord me fit de grands compK-
mens, et Germain et lui me firent soigneusement leur
cour. La Reine me témoigna fort désirer ce mariage,
et M. le cardinal deinéme , et il m'assura que la France
assisteroit puissamment le roi d'Angleterre 5 qu'il avoit
beaucoup d'intelligences , et même des provinces qui
lui étoient encore soumises; qu'il étoit maître du
royaume d'Irlande tout entier. La Reine me dit qu'elle
m'aimoit comme sa fille-, et que si elle ne trouvoit
cette condition avantageuse pour moi , elle ne me la
proposeroit pas , parce qu'elle ^ me souliaitoit toute
sorte de bonheur ; que je connoissois la reine d'An-
gleterre, qui étoit la meilleure personne du monde,
et qui avoit tout-àrfait de l'amitié pour moi ; que son
fils en étoit passionnément amoureux, et qu'il nesou-
haitoit rien davantage que de m'épouser. Je lui ré-
]x>ndis qu'il me faisoit beaucoup d'honneur de me
• •
6o [1649] MÉMOIRES
vouloir , et que quoique les aifaires du Roi ne lui
permissent pas de lui donner un secours aussi con-
sidérable qu'il lui en falloit pour le remettre en ses
Etats, que je ferois néanmoins tout ce qu'elle et Mon-
sieur ordonneroienl. La Reine me railloit devant mi-
lord Germain, Ton mefaisoitlaguerre,êt jerougissois.
M. de La Rivière me vint encore voir sur ce sujet, et
me dit que Germain s'en alloit quérir le roi d'Angle-
terre en Hollande où- il étoit , et qu'il demandoit une
réponse positive , parce que ses affaires Tobligeoient
de passer en Irlande promptement-, et que si je con-
sentois à la proposition, le roi d'Angleterre» viendroit
à la cour ; qu'il y seroit deux jours , qu'ensuite il m'é-
pouseroit 5 qu'après le mariage il y seroit encore autant,
pour me donner le plaisir de passer devant la Reine ;
et qu'après cela je m'enirois avec lui à Saint-Germain,
où étoit retournée la reine d'Angleterre depuis que
la cour en étôit partie *, qu'il s'en iroit en Irlande : que
pour moi , je demeurerois à Paris si je voulois , cpmme
j'avois accoutumé. Je lui disque cette dernière condi-
tion étoit impossible : que j'irois en Irlande avec le
Roi s'il le vouloit, et que s'il ne le vouloit point, je
demeurerois avec la Reine sa mère , ou bien' en quel-
ques-unes de mes maisons *, qu'il n'étoit pas de la
bienséance que je fusse dans le commerce du monde
et dans les divertissemens pendant que le Roi seroit
à l'armée, ni que je m'engageasse à la dépense à la-
quelle les personnes de ma qualité se trouvent obli-
gées , lorsque je devrois me passer de tout pour en-
voyer au Roi de l'argent -, que je ae pourrois être sans
inquiétude de le voir embarrassé dans une guerre
telle que celle-là -, et qu'enfin si je l'épouçois , il fau-
DE MADEMOISELLE DE MONTPEMSIF.R. [1649] ^^
droit bien à la longue prendre des résolutions bien
plus difficiles à suivre , et que je ne pourrois jamais
m^empécher de yendre tout mon bien et de le hasarder
pour reconquérir son royaume \ et qu'il faut avouer
que ces pensées m'cffrayoient un peu , et qu'après
avoir toujours été heureuse et nourrie dans Topulence,
ces réflexions m'épouvantoientfort. 11 meditquej'avois
raison : que je devois pourtant songer qu'il n'y avoit
point d'autre parti pour moi dans l'Europe -, que l'Em-
pereur et le roi d'Espagne étoient mariés -, que le roi
de Hongrie étoit accordé avec l'infante d'Espagne;
pour l'archiduc, qu'il ne seroit jamais souverain des
Pays-Bas ; que je ne voulois point des souverains
d'Allemagne ni d'Italie -, qu'en France le Roi et Mon-
sieur étoient trop jeunes pour se marier ; que M. le
prince l'étoit il y avoit dix ans , et que sa femme se
portoit trop bien. Je me mis à rire , et lui répliquai :
« L'Impératrice estgrosse, et elle mourra en couche. »
Après avoir bien raisonné , et m'être fort inquiétée
(cette aifaire en valoit bien la peine), je lui di§:
« Si Monsietir veut que j'épouse le roi d'Angleterre,
« et qu'il soit persuadé que ce mariage soit inévitable,
<i j'aime mieu'x épouser ce prince lorsqu'il est mal-
« heureux , parce qu'en cet état il m'aura obligation ;
« et quand il rentrera dans ses Etats il me consi-
« dérera , parce que j'en aurai été Is^ cause , par les
« secours qu'il aura reçus de ma maison, et à ma
« considération. »
Le lendemain nous partîmes pour Amiens. J'infor-
mai ma belle-mère de toute cette affaire , parce que je
savois bien qu'elle ne la souhaitoitpas, et qu'elle mo
serviroit auprès de Monsieur pour l'empêcher: ce
6^ [ï649] MÉMOIRES
qu elle fit. Milord Germain me vint voir à Amiens : ii
me pressa fort de lui dire mes sentimens, et me fit
mille belles protestations de la part du roi d'Angle-
terre. Je connus par son discours que la Reine et
Monsieur , qui ne vouloient pas se brouiller avec la
reine d'Angleterre , avoient dit de moi : « C'est une
« créature qu'il faut gagner ; elle ne fait que ce qu'elle
« veut, et nous n'avons point de pouvoir sur elle, n
Il est vrai qu'ils avoient raison sur le sujet du mariage
d'avoir cette pensée : j'ai toujours cru que depuis que
l'on avoitl'âge de raison l'on devoitl'employer en cette
rencontre comme la plus importante de la vie, parce
qu'ily va de tout son repos, et qu'ainsi il falloit plutôt
songer à ses intérêts qu'à ceux dé ses proches. Comme
je vis que Germain entroit en tiers en matière avec
moi ( ce qui ne se pratique pas d'ordinaire avec des
filles quand il s'agit de les marier^ , je songeai à me
tirer d'affaire avec la reine'd' Angleterre 5 je lui dis que
je l'honorois infiniment, et que si je Tosois dire, je
l'aimois de même ( et je disois vrai) ; que sa considé-
ration étoit la plus forte que j'eusse en cette occurrence,
et qu'elle me feroit passer par dessus toutes les diffi-
cultés qui se rencontroient en l'état où étoit le Roi son
fils-, que pour la religion, c'étoit un obstacle que je
ne pouvois surmonter-, que si le Roi avoit quelque
amitié pour moi , il devoit lever cette difficulté , et que
je me faisois bien d'autres violences de mon côté. Il
me dit que dans la situation où étoit le roi d'Angle-
terre, il ne pouvoit ni ne devoit se faire catholique,
et m'allégua de fort bonnes raisons, qui sont trop
longues à dire, et dont voici la principale : que s'il se
faisoit à présent catholique, c'étoit s'exclure lui-même
DE MADEMOISELLE DE MONTPEVSIER. [1649] 63
pour jamais de ses royaumes. Nous disputâmes long-
temps là-dessus, puis il prit congë de moi, et me fit
connoitre que ce que je lui avois dit lui faisoit espérer
que les difficultés que je faisois ne seroient pas de
longue durée. Depuis que la Reine et Monsieur m'eu-
rent parlé à Gompiègne , je fus fort en inquiétude ,
et j'avois l'esprit très-embarrassé , sur le point oii j'é-
tois de conclure une si grande affaire et de si longue
durée. Gela ne dura pas long-temps : on ne m'en parla
plus , ni même du roi d'Angleterre , qu'après être re-
tournée à Gompiègne un jour avant son arrivée.
La disgrâce qui arriva à l'armée du Roi, commandée
par le comte d'Harcourt , donna assez de sujet de s'en-
tretenir. M. le cardinal Mazarin , qui est homme de
grands desseins , avoit fait attaquer Gambray par une
fort petite armée qui n'étoit pas fournie des munitions
nécessaires pour le siège d'une place de cette consé-
quence, qui est des meilleures de la frontière , et où
les ennemis avoient une forte garnison, et en cam-
pagne ime armée bien plus forte que la nôtre : ce qui
rendoit cette entreprise ridicule à ceux qui n'étoient
pas assez du secret pour savoir s'il avoit quelque in-
telligence dans la place : ce qui ne parut pas par Tévé-
nement. Lesennemis-forcèrent undesquartiersduRoi,
et jetèrent un secours considérable dans la place ^ de
sorte que le comte d'Harcourt fut obligé de lever le
siège. Geux qui excusoient le cardinal Mazarin di-
soient qu'il avoit entrepris ce siège contre toute ap-
parence , sur ce que le comte d'Uarcouit n'avoit jamais
si bien réussi que dans des aventures de cette nature.
Il est Vrai qu'à la guerre , aussi bien qu'en toute autre
occurrence , chacun a son talent.
64 ['^491 MÉMOIRES
11 arriva environ ce temps-là une assez plaisante
affaire à Paris. M. de Jarzë avoit tenu quelques dis-
cours de M. de Beaufort qui lui avoient déplu ; de
sorte qu'il le menaça , et Jarzé dit qu il ne le craignoit
point, et qu'il lui disputeroit le haut du pavé même
dans les Tuileries. Ensuite de quoi M. de Beaufort
alla chez Renard , où Jarzé soupoit avec M. de Can-
dale, Le Freton , Fontrailles, Ruvigni et les comman-
deurs de Jars et de Souvré , et quelques autres dont
je ne me souviens point. 11 prit le bout de la nappe ,
jeta tout par terre, et renversa la table ; l'on mit l'épée
à la main : il y eut une grande rumeur, et personne
de mort ni de blessé. Les offensés résolurent de se
battre contre M. de Beaufort : ce devoit être hors de
Paris, parce qu'il y étoit trop aimé, et ils dévoient
craindre d'être assommés par les harangères-, de sorte
qu'ils vinrent tous à la cour , où ils firent cette plai-
santerie qui fut assez bien reçue. Peu de jours après
Monsieur alla à Nanteuil : il manda M. de Beaufort et
tous ses amis , et il y mena les autres et les raccom-
moda. On avoit cru que cela causer oit de grands
combats ^ et je ne sais si M. le cardinal n'eût pas été
bien aise d'être débarrassé de quelques gens par cette
voie , lorsque Son Altesse Royale pacifia tout.
Comme le roi d'Angleterre fut arrivé à Peronne , on
envoya un courrier pour en avertir Leurs Majestés.
Lors la Reine me dit : « Voici votre galant qui vient. »
L'abbé de La Rivière me tint le même discours. Je
lui répondis : « Je meurs d'envie qu'il me dise des
« douceurs , parce que je ne sais encore ce que c'est ;
« personne ne m'en a jamais osé dire : ce n-est pas à
« cause de ma qualité, puisque l'on en a bien dit à
DE MADEMOISELLE DE M09TPENSIE1I. [1649] ^^
« des reines àe tna connoissance : c'est à cause de
« mon humeur , que Ton connoît bien éloignée de la
« coquetterie. Cependant , sans être coquette , j'en
« puis bien écouter d'un roi avec lequel on veut me
« marier : ainsi je souhailerois fort qu'il m'en pût
« dire. » Le jour de son arrivée , Ton se leva matin
pour le prévenir; il ne devoit que dîner à Compiègne,
et il falloit aller de bonne heure au devant de lui.
J'étois frisée: ce qui ne m'arrivoit pas souvent -, j'en-
trai dans le carrosse de la Reine, elle s'écria : « On voit
« bien les gens qui attendent leurs galans. Comme
« elle est ajustée ! » Je fus toute prête de répondre :
Ceux qui en ont eu savent bien comment on se met,
et les soins que Toii prend pour cela -, et même j'aurois
pu dire que le mien étant pour épouser , c'étoit avec
raison que je m'ajustois : cependant je n'osois rien
dire. Nous allâmes à une lieue au /devant de lui. A sa
rencontre on mit pied à terre : il salua Leurs Majestés,
et moi ensuite ; je le trouvai de fort bonne mine , et
meilleure qu'il n'avoit quand il partit de France -, si
son esprit m'eût paru correspondre à sa mine , peiit-
être m'eût-il plu dès ce temps-là. Comme il fut dans
le carrosse , le Roi lui parla de chiens, de chevaux,
du prince d'Orange , et des chasses de ce pays-là ; il
répondit en français. La Reine lui voulut demander
des nouvelles de ses affaires : il n'y répondit point.
Comme on le questionna plusieurs fois sur des faits
fort sérieux, et qui lui importoient assez, il s'excusa
de ne pouvoir parler notre langue. Je vous avoue que
dès ce moment je résolus de ne pas conclure le ma-
riage ; je conçus de lui une fort mauvaise opinion ,
d'être roi à son âge , et n'avoir aucune connoissance
T. 4'- 5
66 [^^49] MÉMOIRES
de ses affaires. Ce n'est pas que je n'eusse par là du
reconnoitre mon sang : les Bourbons sont gens fort
appliqués 2^tl bagatelles et peu solides; peut-étrcl
moi-même aussi bien que les autres , qui en suis de
père et de mère. Aussitôt après être arrivi^s, on dîna;
il ne mangea point d'ortolans : il se jeta sur une pièce
de bœuf et sur une épaule de mouton , comme s'il
n'eût eu que cela. Son goût me parut aussi bon en
cela qu'il le témoigna avoir sur ce qu'il pensoit pour
moi. Après le dîner la Reine s'amusa , et me laissa avec
lui; il y fut un quart-d'heure sans me dire uu seul
mot. Je veul croire que son silence venoit plutôt de
respect que de manque de passion ; j'avoue le vrai
qu'en cette rencontre j'eusse souhaité qu'il m'en eût
moins rendu. Comme l'ennui me prit, j'appelai ma-
dame de Comminges en tiers pour tâcher de le faire
parler : ce qui réussit heureusement. M. de La Rivière
me vint dire : a II vous a regardée tout le temps du
<t dîner , et vous regarde encore incessamment. » Je
lui dis : (c II a* beau regarder avant que de plaire , tant
« qu'il ne dira mot. » Il me dit : « C'est que vous
« faites finesse des douceurs qu'il vous a dites. — Par-
ie donnez-moi, luidis-je; venez auprès de moi quand
« il y sera, et vous verrez comment il s'y prend. »
La Reine se leva ,. je m'approchai du roi d'Angleterre ,
et pour le faire parler je lui demandai des nouvelles
de quelques gens que j'avoisvus auprès de lui ; à quoi
il répondit sans me dire aucunes douceurs. L'heure
de son départ venue , on monta en carrosse , et on
l'alla conduire jusqu'au milieu de la forêt, où l'on mit
pied à terre, comme à son arrivée; il prit congé du
Roi et vint à moi avec milord Germain, et me dit :
DE MADEMOISELLE DE MO^iTPENSlER. [1649] ^7'
<( Je crois que milord Germam , qui parle mieux que
(( moi , vous aura pu expliquer mes senlimens et mon
« dessein -, je suis votre très-obéissant serviteur. » Je
lui répondis que j'étois sa très-obéissante servante^
Germain me fit beaucoup de complimens : ensuite le
Roi me salua, et s'en alla.
La venue du roi d'Angleterre me fit perdre ma-
dame de Carignan, qui m'étoit un grand divertisse-
ment. La Reine lui manda par madame de Brionne,
qui étoit fort de ses amies , qu'au dîner du roi d'An-
gleterre elle seroit à table et non pas sa fille, et qu'en
cette occasion-là il n'y de voit avoir que des princesses
du sang ^ elle en fut offensée au dernier point , et s'en
alla prômptement. J'eus le bonheur pourtant de n'être
pas brouillée avec elle \ toute la cour le fut , hors
moi : aussi cela n'auroit pu être à mon égard qu'in-
justement. Je suppliai la Reine de me dispenser d'être
à ce dîner , plutôt que de m'engager à dire à madame
de Carignan ce que je savois bien qui lui déplaisoit
fort. La Reine ne vouhit jamais m'accorder cela, quoi-
que je le lui demandasse avec beaucoup dHnstance.
M. le prince, qui n'avoit point voulu commander l'ar-
mée cette campagne , étoit allé à son gouvernement
de Bourgogne , et y demeura assez long-temps : ce
qui alarma la cour ; U revint néanmoins : de quoi.
M. le cardinal Mazarin, qui l'a toujours beaucoup
craint, fut fort réjoui. 11 alla au devant de lui , et il
fut reçu avec de grands honneurs , dans Ja pensée
qu'on avoit qu'il ne fût mécontent de ce que.la Reine
voidoit donner à M. de Vendôme la charge d'amiral f
en faveur du mariage de mademoiselle de Mancini,
nièce de M. le cardinal , avec M. de Mercœur. On
5.
68 [i^49] MÉMOIRES
crut que M. le prince ëtoit homme à se repaître de
vent: ainsi onThonoRoit fort; mais comme Fhonneur
qu on lui faisoit lui ëtoit dû , il ne s'en tint pas aussi
fort obligé.
Le Roi revint à Paris (0; tous les corps de ville sor-
tirent pour aller au devant de lui jusques près de
Saint- Denis. Çëtoit une confusion de peuple non
pareille \ jamais je ne me suis tant erinuyëe : il fit le
plus grand chaud du monde ; nous étions huit dans
le carrosse de la Reine , et nous fûmes depuis trois
heures après midi jusqu'à huit heures du soir à venir
du Bourget à Paris , où il n'y a que deux petites lieues.
Les cris de vi^^e le Roi! étoient continuels, et les
peuples les poussèrent avec plus de joie parce qu'il y
avoit long-temps qu'ils n'a voient vu Sa Majesté , et
que son retour après une guerre sembloit les obliger
à témoigner davantage leur joie. Quoique cela m'en
donnât beaucoup, je n'en étois pas moins étourdie;
aussi j'en avois fort mal à la tête. Après l'arrivée de
Leurs Majestés, Monsieur amena M. de Beaufort saluer
le Roi : c'étoit le seul qui avoit été en cette guerre
qui ne fût.point venu à Compiègne ou à Saint-Germain
depuis la paix ; tout le monde courut pour voir la mine
qu'il feroit, et comme il seroit reçu. La fête de Saint-
Louis arriva peu après : le Roi alla ce jour-là à cheval
aux Jésuites de la rue Saint-Antoine ; les princes et
seigneurs qui étoient lors à Paris l'accompagnèrent ,
tous bien vêtus, avec de belles housses sur leurs che^
vaux. Cette cavalcade étoit fort politique , et belle à
voir. M. le cardinal fit une action qui étonna assez,
(i) Le Roi reuint a Paris ; Cette entrée eut lieu le i8 août. Le prince
«le Condé et le cardinal Mazarin étoient dans le carrosse da Aoi.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1649] ^
lui que Ton accosoit de n'être pas hardi : il alla trouver
le Roi aux Jésuites, passa toute la ville dans son caiv
rosse peu accompagné, et personne ne lui dit un seul
mot. J arrivai aux Jésuites un peu après la Reine : je
n'avois pu la suivre parce que le matin j'avois été aux
Carmélites voir mademoiselle de Saujon, qui s y étoit
retirée. Lorsque j'entrai aux Jésuites, la Reine me dit :
« L'Impératrice est morte ^ c'est cette fois qail faut
<( faire toutcequeFonpourrapourquevouslasoyez. )»
Je la remerciai très-humblement, et je fus assez aise
de cette nouvelle. Lorsque Ton. fut revenu au Palais-
Royal, M. le cardinal eut une longue conversation
avec moi sur la mort de l'Impératrice; il me dit qu abr
solument il feroit cetteaffaire, et qu'il enverroit cher-
cher Mondevergue pour l'envoyer en Allemagne,
parce qu'il savoit que je serois bien aise que ce fût lui
qui fît ce voyage. J'en fus contente.
Monsieur revint le lendemain de Limour-s : aussitôt
qu'il fut arrivé je le fus voir; il me parut fort affligé
d'avoir perdu Saujon, et me témoigna être fort con-
tent de ce que je l'avois été voir , et de ce que j'avois.
fait mon possible pour la faire sortir ; il me dit qu'abr
solument il l'en falloit tirer, et que pour cela ses
frères présenteroient requête : je l'approuvai fort. On
mit l'affaire au parlement. Pendant ce temps-là Son
Altesse Royale venoit souvent conférer avec moi ; ce
qu'il faisoit avec grande joie,, parce que j'avois de
l'empressement pour faire sortir Saujon. Je m'imagi-
nois que cela seroit utile à la fortune de son frère,
que je croyois plus mo^n serviteur en ce temps-là que
je ne le crois présentement. Quand l'arrêt fut donné
pour la faire sortir , elle ne le voulut pas : de sorte
70 [^^49] MÉMOIRES
qu'il fallut que j allasse moi-même aux Carmëlites la
quérir. Avant que de sortir, elle se jeta à genoux de-
vant le Saint-Sacrement, et fît des vœux, à ce que
m'ont dit les religieuses, avant mon arrivée. Celui
qu'elle fit devant moi est extraordinaire : c'étoit de
n'être jamais religieuse dans un autre couvent que
celui-là. Depuis les Carmélites jusqu'au Luxembourg,
elle ne fit que pester contre ceux qui la tiroient du
couvent. Elle fut au Luxembourg cinq ou six semaines
dans sa chambre : elle persistoit toujours à vouloir s'en
retourner; elle coupa ses cheveux et coucha sur des
claies : c'étoit un zèle extrême. On fit venir le père
Léon, carme mitigé, fort habile homme, qui étoit allé
prêcher à Auxerre pour la dissuader d'être carmélite-,
puis messieurs de Saint-Sulpice survinrent: tous cesca-
suistes ensemble lui persuadèrent qu elle pouvoit plus
faire de bien dans le monde que dans le couvent. On
lui offrit la charge de dame d'atour de Madame, qu elle
accepta 5 et ensuite elle revint tout comme une autre,
excepté qu'elle n'étoit habillée que de serge, etn'a-
voit que du linge uni iet une coiffe, parce qu'elle
n'avoit point de cheveux. Cela me fit souvenir de
madame d'Aiguillon lorsqu'elle étoit mademoiselle
de CombaUet, qui avoit fait une pareille équipée.
A mesure que les cheveux de Saujon revenoient, elle
les montroit; puis elle reprit la soie et la dentelle ; et
en continuant d'être dévote , elle s'est mêlée des af-
faires autant qu'elle a pu , et n'a pas négligé le bien.
Je crois que c'a été pour en faire un bon usage. Elle
n'a pas discontinué ses conversations avec Monsieur 5
elle ne manquoit non plus à se trouver aux heures ac-
coutumées chez mademoiselle de Rare, qu'à son orai-
DE MADEMOISELLE DE^ MOXIYE^fSIER. [l(i49] 7^
80B : et ça été {dotôt Blonsieur qu'elle qui j a manqué.
Elle nmle fort les yeux dans la tête « et re^^rde tou-
jours en haut : ce qui iait qu'elle choque tout ce
qu'elle trouve; et quand elle eu (ait des excuses,
elle laisse à entendre que c'est parce que son esprit
s'applique peu à ce qui regarde le monde. On dis<ùt
qu'elle ne s'étoit mise dans on couvent que pour être
plus considérée , dans la pensée que si on la retirmt ,
elle ponrrmt accuser La Rivière de l'avcnr obligée par
ses manières d'y aller, et partager sa faveur par de
mauvais offices , si elle ne ponvoit la détruire entière-
ment. Elle avoit eu beaucoup de démêlés avec Mon*
sieur depuis qu'il l'aimoit : elle étoit capricieuse , et
point du tout complaisante ; elle en avoit eu un entre
autres sur le sujet du duc de Richdieu à Compiègne,
qui l'entretenoit souvent , quoique Monsieur lui eut
défendu de loi parler. Elle avoit raison de l'honorer :
son père avoit été son gouverneur ; elle ne l'entrete-
noit pas dans la pensée qu'elle étoit fiUe d'un homme
qui avoit mangé de son pain : elle pehsi^t à l'épouser;
elle croyoit surprendre ce pauvre sot comme ma-
dame de Pons (0 a fait depuis, qui le mena à une
maison de campagne où M. le prince et madame de
LongueviUe étoient , qui la lui firent épouser. Mon-
sieur est extrêmement jaloux de sa maîtresse ; quoi-
qu'il ne l'aime qu'en tout bien et honneur (madame
de Saujon : on l'appela ainsi depuis qu elle fut dame
d'atour), il ne vouloit pas qu'elle se mariât, et elle
en avoit bien envie. M. de La Rivière se servoit de
(i) Madame de Pons : Anne Ponssard Du Vigcan , yeuvc depuis un
an de François- Alexandre d^Albret , seigneur de Pons. Elle c'pousa Ar-
nuAd-lean de Vigoerot, duc de Bicbclien, petit-ncTcn du cardinal.
7 a [^^49] MÉMOIRES
cette circonstance quand il Is^ vouloit brouiller avec
Monsieur. Elle n'a jamais été aimée dans la maison :
elle étoit fort glorieuse , et depuis qu'elle a eu du
crédit , elle a continué dans cette humeur. La dévo-
tion ne Ta point corrigée de ce défaut , non plus que
de celui d'être intéressée ^ en toute sa vie , elle n*a
servi personne pour rien , et il ne se peut rien ajou-
ter à l'ingratitude qu elle a eue pour moi , aussi bien
que son frère : j'en parlerai ci-après. Pour la sienne,
elle a été jusqu'au point de me rendre de mauvais of-
fices auprès de Monsieur toutes les fois qu elle a pu;
elle a expliqué mal ce que je faisois pour s'en servir,
et cela avec une méchanceté horrible. Un jour que je
parlois d'elle à Monsieur , il me dit : « Détrompez-vous
u de croire qu'elle soit persuadée vous avoir obliga-
« tioîi : eUe m'a dit souvent qu elle ne vous en a voit
« pas , parce qu'autrefois vous avez voulu l'empêcher
« d'avoir commerce avec moi, et d'y être bien.» Jugez
par là de sa dévotion , puisqu'au moment qu'elle pa-
roît être la plus forte, elle témoigne de l'aversion
pour les gens qui l'ont voulu empêcher de faire ga-
lanterie : à quoi elle avoit beaucoup de disposition.
Monsieur fit un jour le même discours à M. le prince
pendant la guerre, lequel me vint trouver, et rioit à
pâmer, et me dit : « A-t-on jamais. ouï parler d'une
<( telle plainte pour une dévote ? » Pendant que je suis
sur le chapitre de madame de Saujon, je me souviens
que le soir que j'allai la quérir aux Carmélites , Mon-
sieur étoit chez la Reine; il n'y avoit avec eux que
M. le cardinal et moi ; il parloit du peu de disposition
qu'elle avoit à être carmélite , et nous dit : « 11 n'y a
(( que peu de jours que nous avons eu un démêlé ,
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [1649] 'ji
a parce qu elle se fardoit et que je ne le voulois
(( pas. » Cette affaire m'avoit mise dans une grande
faveur auprès de Monsieur : comme ma destinée n a
pas été d'en être autant aimée que j'ose dire le méri-
ter, elle ne dura pas aussi. Alors Mondevergue arriva
à Paris, selon les ordres qu'il en avoit reçus de la
cour, et il se disposa à partir bientôt, comme il le
fit : ce ne fut pas sans que M. le cardinal m'entretint
souvent sur le sujet de son voyage, qui étoit d'aller
faire compliment de condoléance à TEmpereur de la
part de Leurs Majestés sur la mort de sa femme.
Le roi d'Angleterre , qui ne devoit être que quinze
jours en France, y fut trois mois. Comme la cour étoit
à Paris , et lui avec la Reine sa mère à Saint-Germain,
on les voyoit peu. Lorsque je sus qu'il étoit sur son
départ , j'allai rendre mes devoirs à la Reine sa mère ,
et prendre congé de luif La reine d'Angleterre me dit:
« Il se faut réjouir avec vous de la mort de l'irapé-
« ratrice : il y a apparence que si cette affaire a
a manqué autrefois , elle ne manquera pas celle-ci, »
Je lui répondis que c'étoit à quoi je ne songeois pas^.
Elle poursuivit ce discours , et me dit : a Voici un
« homme qui est persuadé qu'un roi de dix-huit anjs
<c vaut mieux qu'un empereur qui en a cinquante , et
<c quatre enfans. » Cela dura long-temps eu manière
depicoterie, et elle disoit : « Mon fils est trop gueux
ce et trop misérable pour vous, w Puis elle se radoucit,
et me montra une dame anglaise dont son fils étoit
amoureux , et me dit : « 11 appréhende tout-à-fait que
w vous ne le sachiez ; voyez la honte qu'il a de la voir
<( où vous êtes, dans la crainte que je ne vous le
a dise. » D s'en alla ^ ensuite la Reine me dit : « Venez
74 ^^* [^649] MÉMOIRES
fL dans mon cabinet. » Gomme nous y fumes, elle
ferma la porte , et me dit : « Le Roi mon fils m'a priée
« de vous demander pardon si la proposition que
« Ton vous a faite à Compiègne vous a dëpïu : il en
« est au désespoir; c'est une pensée qu'il a toujours ,
« et de laquelle il ne peut se défaire : pour moi , je
« ne voulois pas me charger de cette commission ; il
« m'en a priée si instamment que je n'ai jamais pu
« m'en défendre. Je suis de votre avis: vous auriez
« été misérable avec lui , et je vous aime trop pour
tt l'avoir pu souhaiter, quoique ce fût son bien que
<( vous eussiez été compagne de sa mauvaise fortune.
<i Tout ce que je puis souhaiter est que son voyage
<c soit heureux, et qu'après vous veuillez bien de
et lui. y>
Je lui fis là -dessus i||es complimens le mieux
qu'il me fiit possible , et en termes les plus respec-
tueux et les plus reconnoissans que je pus , de la bonté
avec laquelle elle m'avoit parlé. Je pris congé d'elle
pour aller à Poissy, à deux lieues de là, où il y a une
abbaye où saint Louis est né , en laquelle abbaye on
avoit mis deux de mes sœurs pendant la guerre de
Paris. Le duc d'Yorck me dit qu'il venoit avec moi , et
qu'à mon retour je le ramenerois à feint-Germain. 11
prit envie au roi d'Angleterre d'y venir : on me le dit,
je ne voulus pas l'emmener, et je dis qu'il n'y avoit
pas de conséquence pour le duc d'Yorck, parce que
c'étoit un petit garçon. Le Roi pria la Reine sa mère
dY venir : ce qu'elle fit ; de sorte qu'ils vinrent tous
dans mon carrosse , et le long du chemin la Reine ne
parla que de l'amitié avec laquelle le Roi son fils vi-
vroit avec sa femme , et qu'il n'aimeroit qu'elle : ce
DE MADEMOISELLE DE MONTTENSIER. [1649] 7^
qu il confirma , et dit qu'il ne comprenoit pas (0 com-
ment un homme qui avoit une femme raisonnable en
pouToit aimer une autre; que pour lui, il dëclaroit
que quelque inclination qu'il pût avoir avant que
d'être marie , dès le moment qu'il le seroit cela fini-
roit. Je crus bien (et cela étoit assez vraisemblable)
que ce discours étoit à dessein. Je fus peu à Poissy,
parce qu'il étoit tard : je pris congé de la Reine , qui
y demeura. Le Roi me vint mener à mon carrosse , et
me fit force complimens , iïans me dire de douceurs :
ce qui lui auroit été assez inutile, parce que j^avois
donné dans le panneau de l'Empire, et que je ne son-
geois qu'à cela.
Quelque temps après, j'eus une maladie qui me
bannit assez du monde , et qui auroit donné beaucoup
plus d'inquiétude à d'autres qu elle ne rnexi donna :
ce fut la petite vérole. Quoique je ne fusse pas belle ,
les accidens qui arrivent en cette maladie sont si fâ-
cheux, que l'on doit avoir quelque peine dans la
crainte de ce qui en arrivera. Je n'en eus aucun : je
n'avois plus de fièvre lorsque la petite vérole parut, et
je me sentois en assez bon état pour ne craindre point
la mort. Je sacrifiai de bon cœur le peu de beauté
que je pouvois avoir à ma vie, et pour la prolonger
d*un moment je la sacrifierai toujours volontiers.
Cette maladie me traita si favorablement que je n'en
demeurai pas rouge -, devant j'étois fort couperosée :
ce qui surprenoit à mon âge , et vu la santé que j'ai •,
cela m'emporta toutes mes rougeurs. Il y a peu de
gens qui voulussent se servir de tels remèdes pour
(i) Qu^U ne comprenoit pas : Charles ii , cotumc on le sait, fut loin
(le pratiquer ces principes lorsqu'il fut marie' et re'tabli sur le tronc.
9 6 [1649J W^MOIRES.
avoir le teint beau. Toute la cour envoya savoir <Je
mes nouvelles avec tous les. soins imaginables, même
des gens que je ne connoissois pas ^ pour mieux dire,
tout le monde , hors M, le prince , qui n'y envoya pasu
Cela redoubla bien l'aversion que j'avois déjà pour lui.
Ce qui me le fit remarquer, c'est que, pour me dir
vertir pendant ma maladie, j'envoyois chercher tous
les soirs le billet des gens qui étoient venus, ou qui
avoient envoyé à ma porte apprendre de ines nou-
velles. 11 arriva une assez plaisante histoire à la coui;.
Le marquis de Jar^ë devint amoureux de la Heine :
il fut chassé , et tourné en ridicule d'une lettre qu'il
avoit donnée à madame de Beauvais , première femn^
de chambre de la Reine ; elle fut aussi chassée t, et
comme je ne voyois personne en ce temps-là , je ne
m'informai pas du détail de l'atraire \ ainsi je n'en dir^i
pas davantage. Après ma guérison, ma première sor-
tie fut employée à remercier Dieu. J'allai ensuite au
Palais-Royal, où l'on confirmoit le Roi et Monsieur,
son frère. Monsieur et nioi nous fûmes parrain et mar-
raine du Roi , et M. le prince et madame sa mère le
furent de Monsieur. M. le prince viftt à moi avec un
air railleur, et me dit que j'avois fait la malade et
que je ne l'avois pas été. Je ne reçus pas bien cette
raillerie, et il s'en aperçut-, il étoit alors le tQut puisr
sant à la cour, parce que Monsieur le voulait bien 5
s'il l'eût voulu être , M. le prince en eût été bien aise :
il avoit toujours bien vécu avec lui,
[i65o] Cette grande autorité choqua la Reine et
M. le cardinal , et leur fit prendre la résolution de faicç
arrêter M. le prince , M. le prince de Conti et M. de
Longueville. Comme ils n'étoicnt pas toujours t0L«>
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER, [l65o] ^7
tk'ois ensemble, cela étoit assez difficile. Monsieur
ëtoit tout à la cour, et cela se fit avec sa participation ;
beaucoup de gens ont cru le contraire , parce qu'il
navoit pas ëté au Palais-Royal il y avoit deux jours,
lorsqu'ils furent arrêtés. Effectivement il étoit pour
lors indisposé. La Reine les envoya quérir, et leur
manda qu'il y avoit quelques affaires qui Tobligeoient
à tenir conseil extraordinaire. On avoit averti M. le
prince du dessein que l'on avoit: avant qu'il allât chez
la Reine, Vineuil Je vint trouver, et lui montra un
billet par lequel l'on Tavertissoit de prendre garde à
lui. Ce qui assuroit M. le prince, c'est que la veille il
avoit envoyé le président Perrault, qui est à lui,
trouver M. le cardinal , lequel lui avoit dit tous les
avis qu'avoit M. le prince; sur quoi M. le cardinal
lui donna de grandes assurances du contraire, et telles
que Perrault dit à M. le prince qu'il se devoit absolu-
ment fier à tout ce que le cardinal lui promettoit. En-
suite de cela M. le prince alla le soir chez la Reine :
elle étoit au lit ; il se mit à genoux devant elle : elle
lui témoigna prendre confiance en lui , et qu'à l'ave-
nir'elle le traiteroit comme un homme à elle. 11 la
remercia, lui baisa la main , et s'en revint enchanté. Il
avoit résolu il y avoit environ un mois , avec son frère
et M. de Longuevillé, qu'ils n'iroient pas tous trois
ensemble au Palais-Royal, persuadés que cela feroit
leur sûreté : ce jour M. de Longuevillé ne put refuser
de s'y trouver, parce qu'il y devoit mener le marquis
de Beuvron , pour remercier le Roi de ce qu'il avoit
promis la survivance de la lieutenance de roi en Nor-
mandie, et du gouvernement du vieux Palais de Rouen
à son fils *, c'est pourquoi cette seule raison le fit aller
^8 [l65o] MÉMOIBES
au Palais-Royal. Comme ils y arrivèrent, la Reine leur
.fit bonne chère.
J'allai ce jour-là au Luxembourg, où je trouvai
madame de Guëmcné, qui m'entretint fort long-temps
de ce que M. le prince faisoit pour s'autoriser et pour
se faire craindre ; elle ne Taimoit pas , non plus que
moi., et elle me dit que j'en devois parler à Monsieur.
J'allai trouver Monsieur, et je lui fis reproche de
souffrir tout ce que j'avois ouï dire de M. le prince ^
comme j'ëtois dans le dernier emportement contre
lui, et que la conversation d'une personne dans les
mêmes séntimens m'avoit animëe , je lui dis : « Vous
« le devriez faire arrêter : on a bien fait arrêter son
« père. » Il me dit : « Patience , vous aurez bientôt
« contentement. » Comme je l'avois trouvé tout le
jour fort inquiet , je jugeai bien, par le rapport que je
fis de cette inquiétude avec son discours, que l'on
txavailloit au désavantage de M. le prince.
Je m'en allai au Palais-Royal : je trouvai sur le degré
des gens de M. le prince de Conti fort inquiets ; je
leur demandai ce que l'on faisoit en haut : ils me ré- .
pondirent qu'ils n'en savoient rien. Je trouvai la salle
des gardes fermée, et toutes les portes des anti-
chambres de même, contre l'ordinaire. A la porte de
la chambre de la Reine il y avoit deux gardes avec
deux carabines : ce que je n'avois jamais vu ^ alors je
ne fus plus en doute, et je crus ce qui étoit. Tout le
monde dans l'antichambre de la Reine étoit fort en
inquiétude de savoir ce qui se passoit au conseil,
parce qu'il duroit plus long-temps que de coutume ,
et que personne n'en étoit sorti. Enfin il finit, et l'on
dit à la Reine que j'étois dans sa chambre; elle m'en-
DB MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65oJ 79
voya. quérir , et me dit : « Vous n êtes pas fâchée ?» Je
lui dis que non , et cela ëtoit bien vrai ; elle me dit :
(f N'en parlez pas davantage. » Peu après elle me tira
il pari , et nous nous entretînmes comme des gens
ravis de se voir vengées des personnes qui ne nous
aimoient pas. 11 ny avoit rien de plus injuste que
Taversion que j'avois pour M. le prince ; elle a bien-
changé depuis. J'eus la curiosité de demande!: à la
Reine si M. de La Rivière avoit su cette affaire; elle
me répondit : « Vous êtes bien curieuse. — 11 est vrai,
« madame, lui dis-je ^ je puis me passer de le savoir»
« — ^ Je crois, dit-elle, qu'il ne la su que ce matin.
<c — Ah ! madame, le mauvais signe pour lui, puisque
« la confiance qu'on y prend n'est plus qu'un ména-
u gement de six heures ! C'en est fait, ou je suis fort
« trompée ; ne me le celez point. — 11 est vrai , me
« dit la Reine^ j'avois prié Monsieur de ne lui ea
« point parler : il est arrivé fort plaisamment , lors-
« qu'on a été assemblé dans la galerie pour aller au
<( conseil , que M. le cardinal lui a dit : Venez dans
« ma chambre, je veux vous dire un mot. Il a trouvé
« le passage plein de gardes ^ il est devenu pâle , et a
a cru qu'on le vouloit arrêter. Il a demandé : Est-ce
« pour moi , monsieur, ce que je vois ? M. le cardi-
a nal me dit qu'il avoit eu fort envie de rire. Pen-
« dant tout cela (0 Guitaut a arrêté M. le prince, et
« Comminges M. le prince de' Conti et le duc de
« Longueville ^ ils sont descendus par le petit degré ,
« et sont sortis par le jardin, où un de mes car-
« rosses les attendoit , avec les gendarmes et les che-
« vau-légers du Roi. )> Pendant qu'elle me faisoit ce
(i) PendaiU fout c^ia : Celte arrestation eut liea le 18 janvier i65o.
8o [l65o] MÉMOIRES
rëcit, Miossens , qui commande les gendarmes, revint,
lequel lui conta comme M. le prince avoit verse, et
qu'il s'étoit voulu sauver, et que M. le prince lui avoit
dit : « Ah! Miossens, vous me rendriez un grand ser-
« vice si vpus vouliez ; » et qu'il lui avoit répondu :
w Je suis au désespoir de ce que mon devoir ne me
« le peut permettre. » On envoya ordre à madame la
princesse de sortir de Paris, et à madame de Longue-
ville de venir au Palais-Royal 5 à quoi elle n'obéit
point. Elle se sauva avec mademoiselle de Longueville
en Normandie -, elle croyoit y trouver beaucoup de se-
cours : c'étoit le gouvernement de son mari. M. de
Beuvron , pour les intérêts duquel il avoit été pris, la
reçut d'abord dans le vieux Palais de Rouen : et dès
qu'il eut des nouvelles de la cour, il la pria d'en sor-
tir : il lui fut bien sensible de se voir chassée par des
gens qui lui avoient tant d'obligations. Madame la prin-
cessedemeura quelques joursaux Carmélites, puis elle
s'en alla à Chantilly, où elle emmena avec elle madame
sa belle-fille et M. le duc d'Enghien son petit-fils. Tout
le monde les alla voir -, pour moi, je n'y allai point,
j'y envoyai 5 ma visite ne leur auroit pas été agréable:
ils savoient bien les sentimens que j'avois là-dessus
par ma conduite en tout ce qui les rcgardoit.
Le lendemain que les princes furent arrêtés, le Roi
envoya quérir les cours souveraines et tous les grands
du ro\j\ume-, on lut un écrit contre M. le prince, qui
a été su de tout le monde : c'est pourquoi je n'en par-
lerai pas. 11 fut envoyé au parlement, où il ne fut
pas enregistré en forme comme une déclaration : ce
qui fut trouvé en quelque façon favorable à M. le
prince, et ce qui déplut fort à la cour. Le jour qu'on
DE MADEMOISELLE DE MOMTFElfSIER. [l65o] 8t
en fit la lecture , il arriva une assez plaisante aven-
ture : les quatre secrétaires d'Etat le prirent l'un après
l'autre pour le lire , sans que pas un^ en pût venir à
bout, et ils s'excusèrent sur ce que l'écriture étoit
mauvaise : de sorte qu'il fallut le donner à M. de
Lionne, quil'avoit écrit. 11 dit qu'il Tavoit écrit si à la
bâte, qu'il ne s'étonnoit pas si on avoit peine à le lire.
L'abbé de La Rivière étoit présent , qui faisoit bonne
mine , et qui jugeoît bien qu'il se sentiroit de celte
affaire, puisque Monsieur n'avoit plus de confiance
en lui , ni la cour qui l'avoit toujours maintenu avec
agrément au poste ou il étoit ; et qu'il le falloit quitter.
En effet, six jours après, sur ce que Monsieur ne le
traitoit plus à son ordinaire , il demanda son congé ,
et s'en alla en sa maison de Petit-Bourg, à six lieues
de Paris. Un jour avant son départ , il m'envoya prier
de parler en sa faveur-, je lui mandai qu'il n'avoit pas
assez bien vécu avec moi pour m'obliger à le faire :
que je me contenterois de ne pas insulter à un mal-
heureux. Madame, qui nel'aimoit pas, n'en usa pas de
même : elle le poussa vivement.
On parla dans ce temps-là d^envoyer Monsieur en
Normandie, pour mettre sous l'obéissance du Roi les
villes que l'on craignbit qui ne tinssent pour M. de
LongueviUe, et pour assurer tout-à-fait cette pro-
vince. Cela fut changé : le Roi et la Reine y allèrent ;
Monsieur resta à Paris. J'eus une vraie douleur de
partir le premier jour de février, saison qui n'étoit
pas propre à faire voyage , et qui convenoit mieux à
la danse.
Avant que de partir, on arrêta madame de Bouillon,
qui étoit grosse ; on la garda dans son logis. Mon*
T. 4ï- 6
82 [l65o] MÉMOIRES
sieur son mari s'en étoit allé en ETmousin, et le ma-
réchal de Turcnne à Stenay. Madame de Carignan ,
qui étoit brouillée à la cour depuis six mois, et qui
depuis ce temps-là ne voyoit pas la Reine , fit un trait
de jugement à son ordinaire : elle se raccommoda
pour faire le voyage de Normandie , où on alloit pour
déposséder son beau-frère. Jugez avec quelle bien-
séance cela se pouvoit faire ! Quand elle n auroit pas
été mal à la cour, elle auroit dû s y brouiller pour se
dispenser de ce voyage. Dès que l'on fut à Rouen ,
Ton changea la garde du vieux Palais , et on y mit des
Suisses du régiment des Gardes ; et on envoya à
Dieppe pour arrêter madame de Longueville, où
tous les habitans résolurent d'un commun accord de
la -chasser. Elle se retira au château \ et comme elle
vit quelle ne pouvoit pas tenir long-temps , elle prit
résolution de passer en Hollande , où elle arriva heu-
reusement ; elle vit feu M. le prince d'Orange , et de
là elle alla à Stenay, qui est une place à M. le prince.
Mademoiselle de Longueville s'étoit brouillée avec
elle à Dieppe-, elle Tavoit quittée , et envoya deman-
der à la cour protection et sûreté : on lui permit de
se retirer à Golommiers, maison de monsieur son
père.
Nous fûmes quinze jours en Normandie, où je
m'ennuyai fort , et je fus bien aise de me retrouver
à Paris au carnaval. Â mon retour , je donnai à Saujon
le gouvernement de ma souveraineté de Dombes,
avec deux mille écus d'appointemens ou de pension ;
il étoit vacant par la mort de M. le marquis de Chatte.
La veille du mardi gras, la Reine dit, au sortir du
bal , qu'elle partiroit le samedi suivant pour aller à
DE MADEMOISELLE DE MOTTTPESSIRR. [l65o] 83
IKjon. Je m'ëtois si fort ennoyëe en Normandie , que
je résolus de ne pas faire ce vojzge , et pour ce sujet
défaire la malade^ Le jour du caréme-prenant, il me
fat impossible de m'empécher d'aller au bal au
Luxembourg , où Monsieur donnoit à souper à M. le
duc d'Anjou : je commençai devant eux à me plaindre
d'un mal de goiçe , à quoi j'ëtois fort sujette. Je dis
àSaujon, le jour des Cendres, d'aller voir M. le cardi-
nal Mazarin, chez qui il aUoit quelquefois, et de lui
dire que je serois bien aise de ne pas aller en Bour-
gogne , en cas qu'il lui parlât de moi. Je me mis ce
jour-là au lit, pour faire ajouter foi au mal dont je
m'ëtois plainte la veille. Saujon vint chez moi , et me
dit que M. le cardinal Mazarin lui avoit parle du
voyage dès qu'il l'avoit vu -, qu'il avoit exécute mes
ordres , et que M. le cardinal trouvoit que je pouvois
demeurer à Paris. J'en fus fort aise. Monsieur me vint
voir, auquel je dis que je ne pouvois aller en Bour-
gogne, et que j'étois malade ; il me gronda fort : je ne
laissai pas de persister dans ma résolution. Saujon en-
tra ensuite, à qui je contai ce que Monsieur m'avoit
dit ; il me conseilla d'obéir, et de suivre la cour. Ma-
dame de Choisy me vint voir ; je lui dis : « Je ne sor-
a tirai point de Paris. )) EUe me répondit : <( J'en suis
« ravie , vous faites parfaitement bien. » Saujon lui,
répliqua : « Ce n'est pas parler à Mademoiselle en sAnie
« que de lui conseiller de ne pas obéir à Monsieur. »
Comme elle eut entendu cela et que Saujon l'eut en-
tretenue, eUe revint à son avis. Pour moi, qui. ne
voulois pas le suivre , je grondai horriblement Sau-
jon : de manière que madame de Choisy fut éton-
née comment, après un pareil traitement, il ne me
6.
84 [l65o] MEMOIRES
fai^oit pas la rëvërence pour s en aller. Saujon vîttt
le lendemain matin me trouver, et me dit : « Je
ce viens de chez M. le cardinal, lequel m'a dit qu'il
a VOUS viendroit voir aujourd'hui; qu'il souhaitoit
« fort que vous fissiez le voyage. » Je me remis aa
lit avec beaucoup de diligence , et j'attendis M. le
cardinal. Il me pressa d'abord de suivre la Reine au
voyage , et me dit qu'elle àvoit grande amitié pour
moi , et fort envie de voir un établissement qui me îàt
propre *, qu'elle souhaitoit et lui aussi que le voyage
de Mondevergue fût heureux ; et mille autres beaux
discours. A quoi je lui répondis que je commençoîs
à m'apercevoir qu'elle me leurroit de toutes les ap»-
parences qui ne pouvoient réussir : que j'étois tout-ï-
fait rebutée de la Reine et de lui. Je continuai ma con-
versation de cette sorte , et aussi gracieusement. Nous
nous séparâmes , et je lui dis : « Quand je verrai des
« effets de vos paroles, j'y ajouterai foi. » Il me fit
mille protestations de services. Lorsqu'il sortit de
chez moi, il trouva madame de Choisy. « C'est donc
« vous qui avez empêché Mademoiselle de venir avec
(( nous ? y) Elle lui jura le contraire-, il lui dit : <t Je le
Il sais, Saujon m'a dit que vorus le lui dites hier. ^
Madame de Choisy me le dit ; je le crus , et me mis
dans tme furie fort grande contre Saujon. Je jugeois
qu'il s'étoit fait fête de me faire faire ce voyage par le
crédit qu'il avoit auprès de moi, et que, pour cacher
le peu qu'il en avoit, il avoit inventé cette menterie^
j^ lui fis la mine trois jours durant, et j'appris alors
par Comminges, qui étoit son parent et beaucoup
plus mon ami , à qui j'en fis mes plaintes, qu'ail se van«-
toit de me gouverner , et qu^ en &isoit le capable.
DE MADEMOISELLE DE MOSTFENSIER. [l65o] 8S
Tj ajoutai foi : j'en ayois beaucoup pour tout ce que
me disoit Comminges. Ce qui me Ûchoit ëtoit d avoir
eu tant de confiance , et si bonne opinion d'un homme
qai ne le mëritoit pas. Je me plaignis à ses amis, et
entre autres à M. de Yilermont, qui Texcusa fort et
dauba madame de Choisy ; il dit qu elle ëtoit më-
chante. Il disoit vrai, non pas en cette rencontre.
Elle conseilla à Saujon de s'ëckircir avec moi : ce qu*it
fit, et il se raccommoda par cette voie.
Le Roi entoya un de se^ ordinaires à Chantilly pour
demeurer auprès de madame la princesse ; il avoît su
qu elle ayoît des intrigues et qu'elle fai^it des ligues*^
Penda&t ce temps-là madame sa beUe- fille se sauva
avec Monsieur son fils à Montrond , et Du Vouldy , qui
ëtoit l'ordinaire du Roi commis k sa garde , ne s*en
aperçut points il aUa à sa chambre poor la voii^, et il
crut toujours parler à elle , quoiqu'il parlât à une de
s^ filles qui ëtoit sur un lit ^ et il prit un petit garçon
qu'elle avoit avec elle pour M. le duc d'Enghien : de
sorte qu'elle ëtoit à Montrond avant que la cour fût
avertie qu'elle s'ëtoit sauvëe.
Le siëge de Bellegarde dura assez long4emps, par
la rësistauce du gouverneur et de quantitë de per-
sonnes de condition qui ëtoient dans cette place , et
y firent des merveilles; et quoiqu'ils fussent tous gens,
presque ëgaux en qualitë et en service, qui pou voient
avec justice ne se point cëder le commandement les
uns aux autres, ils s'accordoient néanmoins parfaite-
ment bien dans le dessein qu'ils avoient de servir
M. le prince. La rësistance fut telle , qu'ils arborèrent
un drap<eau noir sur la muraille ; l'on sait assez ce que
cela veut dire , sans que je m'amuse à m'expliquer là-
86 [l65o] MÉMOIRES
dessus -, il sembleroit que je voudrois me piquer d'é-
loquence : à quoi je ne prétends pas ; je veux seule-
ment dire ce que je sais simplement, et le rendre le
plus intelligible qu'il m'est possible.
Après la prise de Bellegarde, la cour revint à Parid,
d'où je n'ëtois pas sortie, ni Monsieur aussi. Le Roi
avoit même laissé des compagnies de ses régimens des
Gardes françaises et suisses , qui faisoient garde de-<
vaut le Luxembourg de la même manière que pour la
personne du Roi. Quelques nouvelles vinrent de la
frontière , qui obligèrent Monsieur de les y envoyer^
Pendant l'absence de la cour , madame la princesse
la mère s'étoit approchée, et la cour la trouva à deux
lieues de Paris; elle avoit été quinze jours dans la
viUe cachée pour prendre son temps de présenter
requête au parlement (ce qu'elle avoit fait) pour la li-
berté de messieurs les princes ses enfans. Elle disoit
que ses enfans, nés princes du sang, étoient aussi nés
conseillers du parlement; qu'ils étoient ainsi de la
compagnie; qu'ils ne dévoient pas être laissés sans se-
cours, et que, selon la déclaration de 1648, on les
devoit mettre en liberté , ou leur faire leur procès par
leurs juges naturels. Le parlement prit la requête 5
elle demanda sûreté pour sa personne-: elle l'obtint;
et pour cet effet on l'envoya dans une maison dans la
cour du palais chez M. de La Grange, où toute là terrç
l'alla voir. Monsieur fut embarrassé de cette aventure ;
il la fit néanmoins partir un jour avant l'arrivée de la
cour pour aUer au Bourg-de-la-Reine : de quoi la cour
ne fut pas satisfaite ; elle prétendoit que Monsieur
auroit dû faire sortir madame la princesse dès le jour
qu'elle arriva. La Reine me fit fort bon accueil à son
DE MADEMOISELLE DE MONTPEHSIER. [l65o] 87
retour ; toutes les troupes de Bellegarde , soit les ré-
gimens de M. le prince, ses compagnies d'ordonnance
ou quelques autres troupes de personnes attachées à
lui, qui s^ëtoient jetées dans cette place lors de sa
prison , furent cassées. On ne s'étonnera pas s'il avoit
beaucoup de serviteurs parmi les. gens de guerre,
après avoir si souvent commandé les armées du Roi
avec tant de succès, et y avoir acquis tant d'estime et
de réputation. Ainsi Taffection qu'ils avoient tous pour
son service les porta à aller tous trouver à Stenay
madame de Longueville : ce qui composa un corps
fort considérable avec les troupes qui avoient suivi
M. de Turenne , lesquelles étoient composées de per-
sonnes attachées à lui , et qui avoient servi sous lui
en Allemagne. M. de Turenne commanda cette armée
pour le service de M. le prince.
Mondevergue arriva en ce temps-là d'Allemagne, et
n'apporta autre nouvelle, sinon que l'on m'y souhai-
toit fort. Les ministres ne s'étoient pas ouverts à lui
sur le sujet du mariage : il croyoit que cela venoit de
ce qu'il étoit auprès de M. le cardinal, et que par cette
raison on n'avoit voulu prendre aucune confiance en
lui. M. le cardinal Mazarin me tint là-dessus mille
beaux discours, et m'assura qu'il vouloit travailler for-
tement à faire réussir raflaire. Mondevergue me dit un
jour qu'il venoit de chez M. le cardinal -, qu'il lui avoit
dit : « Je veux proposer à Mademoiselle d'envoyer en
« Allemagne Saujon. » Je fus assez sotte pour trouver
cela à propos. Le soir chez la Reine, M. le cardinal me
confirma le même dessein^ je remis à lé proposer à
Monsieur, qui y consentit : de sorte que le voyage de
Saujon fut résolu : on lui donna les plus belles et les
88 [l65oj MÉMOIRES
plus amples instructions du monde *, il me les montra :
je les trouvai admirables, et je ne doutai point qu avec
cela et la capacité de Saujon , dont j'ëtois persuadée ,
Taffaire ne réussît. Son départ me donna grande joie.
Celui de la cour pour Compiègne arriva bientôt après.
Madame de Long^eville avoit traité avec les Espa-
gnols , qui lui donnèrent des troupes sous le comman-
dement du bacon de Clinchamp. Elles se joignirent
avec celles de M. de Turenne : de sorte que cette
armée se rendit considérable ; elle entra en France ,
assiégea Guise pendant que nous étions à Comjnègne,
et cette place fut secourue.
^aversion que le parlement de Bordeaux et beau*
coup de la noblesse de Guienne avoient contre M. le
duc d'Epernon fit naître des rumeurs dans ce pays-
là *, de manière que Ton en vint à l'extrémité : on y
fit la guerre tout de bon. Cela obligea madame d*E-
pernon à revenir à Paris ] elle arriva dans le temps que
j'avois ht petite vérole ; elle eut tant de bonté et d'a-
mitié pour moi, qu^elle me voulut voir en cet état.
La guerre de Guienne eut quelque relâche : le maré-
chal Du Plessis-Praslin, qui y avoit été de la part du
Roi, avoit en quelque manière pacifié les affaires.
Madame la princesse y alla avec M. le duc d'Enghien son
fils , messieurs les ducs de Bouillon et de La Roche-
foucauld , et force personnes de qualité qui étoient
dans les intérêts de M. le prince. Comme la nouvelle
vint à ta cour de leur arrivée à Bordeaux , le Roi manda
Monsieur cpii étoit à Paris, et tous les ihinistres, dont
la plus grande partie étoit à Paris pour lors. M. le chan-
celier étoit e]dlé, et M. de Chiteauneuf étoit garde
des sceaux. L'on résolut que là cour iroit à Bordeaux
DE MADEMOISELLE DE MOMTPENSIER. [l65o] 89
en diligence; Monsieur demeura pour commander à
tznsy et on laissa auprès de lui M. Le Tellier, secré-
taire d'Etat, pour les expéditions. M. de Châteauneuf
demeura aussi, et quelques autres ministres. M. le duc
de La Meilleraye avoit accepté le commandement de
Tannée, et y étoit arrivé peu de temps avant le Roi.
L'on rappela M. d'Epernon : il vint voir Leurs Majestés
à Ângouléme , et de là s'en alla à Loches. Le maréchal
de La Meilleraye- vint au devant de Leurs Majestés à
Coutras , lieu fort renommé pour la bataille que le Roi
mon grand-père y gagna, lorsqu'il étoit roi de Na-
varre^: ce lieu appartient à M. le prince (0. Le mare-
^ chai de La Meilleraye retourna à l'armée, et ne la trouva
pas si belle qu'il la croyoit ; il n'en dit point la yérité
à la Reine ; il lui dit qu eUe étoit la plus belle du
monde, quoiqu'elle fut fort foible*, il n'y avoit pas
d'artillerie , bien que cela fût absolument nécessaire
pour un siège.
M. de Comminges , capitaine des gardes de la Reine
en survivance de M. Guitaut son oncle, avoit été
quelque temps absent de la cour; il avoit fait un
voyage en Guienne pour les affaires du Roi , et à so^
gouvernement de Saumur qu'il avoit depuis peu.
Comme je l'estimois fort, et que j^avois bien de la con-
fiance en lui , je lui parlai du voyage de Saujon , et liii
contai comme cela s'étoit fait. Je lui dis qu'il étoit
déjà arrivé à Vienne -, il me dit : « Si Votre Altesse
« Royale me permet de lui dire mes sentimens là-des-
« sus, je lui dirai que je suis au désespoir que vous
« ayez consenti que Saujon fit ce voyage; et je ne com-
« prends pas comment il a été assez mal habile homme
(i) A cause du daché de FronMc.
90 [l65o] MÉMOIRES
<c pour accepter cette commission. » II ajouta : <( Vous
« êtes la plus grande princesse du monde, le plus
« considérable parti qu'il y ait présentement dans
« l'Europe et en France ; cependant il faut qu'il pa-
« roisse que l'on fait des démarches pour vous marier
<( avec l'Empereur, qui est un homme vieux, qui a des
« enfans, et lequel, en quelque état qu'il fût, devroit
« s'estimer trop heureux de vous venir demander à
<x genoux *, que néanmoins on connoisse dans le monde
« que c'est par votre participation que l'on agit , et
K que cela se fait par une personne que l'on sait être
w tout-à-fait à vous. Je vous avoue que cette affaire
« sera une tache à votre vie, et que je voudrois avoir
« dopné tout ce que je puis espérer , et m'étre trouvé
« à Paris lorsque l'on vous parla de ce voyage : j'au-
« rois dit à Votre Altesse Royale tout ce que je lui
« dis présentement; et si elle n'àvoit pas goûté ces
« vérités , j'aurois bien empêché Saujon de partir ,
« parce qu'il n'est pas capable de cette commission ;
« quoiqu'il ne manque pas d'esprit, il n'est pas propre
« pour les affaires de la nature de celle dont il est
<ç chargé , et il n'a aucun agrément pour la conversa-
(( tion. » Je fus fort persuadée de tout ce qu'il me dit,
et je compris fort bien qu'il avoit raison^ je fus fort
fâchée de ne l'avoir connu que lorsqu'il n'y avoit plus
de remède.
11 vint des députés du parlement de Paris pour faire
des propositions de paix avec les Bordelais : on ne les
voulut pas écouter, ni même leur permettre de de-
meurer à Libourne une nuit^ ils n'y firent que dîner.
Monsieur envoya Le Coudray-Montpensier pour le
même sujet, et il disoit que rien n'étoit plus nécessaiiT^
DE MADEMOISELLE DE MOMI^ENSIER . [l65o] Qf
qpe cette paix ; que les ennemis étoient forts sur la
frontière de Champagne. Comme j'avois conçu le
voyage de Saujon fort désavantageux pour moi, je u a-
vois pas aussi l'esprit en repos , et je ne souhaitqjs pas
que les autres en eussent plus que moi ; ainsi j'avois
peur que la paix ne se fît, et je souhaitois que cette
guerre durât jusqu'à ce que l'on sût l'événement de
la négociation de Saujon. Je ne désirois pas d'aller à
Paris avant ce temps-là -, si je ne souhaitois pas l'affaire
avec autant de passion que j'avois fait , aussi ne m'é-
toit-elle pas tout-à-fait indiS(érente. Le désir de voir
continuer la guerre se trouva conforme à celui de la
cour : je fis bien sur cela ma cour à la Reine. Le Cou-
dray alla à Bordeaux, où on lui fit des propositions de
paix qui ne furent pas bien reçues. La Reine, qui vou-
loit le renvoyer à Paris sans faire de réponse à Bor-
deaux, me demanda si j'avois quelque pouvoir sur
son esprit ; je lui dis que oui, et il étoît vrai. Elle m'or-
donna ensuite de lui persuader de dire à Monsieur
que l'on ne voilloit pas de paix à Bordeaux; que l'on
l'avoit fort mal reçu , et même que l'on l'avoit traité
fort incivilement. Je parlai à Coudray de la manière
que la Reine lavoit désiré : il me promit de faire ce
que je désirerois. J'écrivis à Monsieur conformément
à ce que je lui avois dit. M. le cardinal me pria d'é-
crire à madame de Fouquerolles , qui étoit lors de
mes amies, et de lui mander qu'elle montrât ma lettre
à M. le président de Mesmes , et à M. d'Avaux son
oncle -, qu'ils étoient tous deux de mes amis , et parti-
culièrement le dernier ; qu'ils avoiept confiance en
moi , et qu'ainsi on ajouteroit foi à ce que diroit Le
Coudray quand on verroit messieqrs de Mesmes per-
9^1 [itiSo] MÉMOIRES
suadës de la même chose. Le Goudray partit , chargé
de beaucoup de lettres et de peu de vérités ; dont j'ai
eu bien du scrupule depuis^
.La nouvelle de Faccouchement de Madame arriva^
elle eut un fils : ce qui me réjouit infiniment. Toute
la cour en témoigna sa joie \ je fis faire des feux de
joie, et je n oubliai rien pour donner des marques dé
la mienne , que je sentois dans le cœur tout de même
que je le faisois paroitre. J'écrivis à Leurs Altesses
Royales dans des transports capables d*amollir les ro*^
chers pour jamais. Monsieur me témoigna être per-
suadé de mes sentimens , par la lettre qu il m'écrivit
pour me donner part de cette heureuse naissance \
Madame ne douta pas aussi de ce qu.e je sentois pour
elle par TaOection que j'ai toujours eue pour ma mai-
son. Pendant que je suis sur le chapitre de Madame^
le séjour de Libourne ne fournissant rien d'ailleurs
qui mérite de charger mes Mémoires, je serai bien
aise de rapporter ici un récit auquel j'ai pris beaucoup,
de plaisir : c'est la manière dont Madame sortit de
Nancy (0 quand elle aUa trouver Monsieur en Flandre^
Le mariage de Madame n'étoit pas déclaré lorsque
Nancy fut assiégé par l'armée du Roi; elle fut bièa
embarrassée, et ne savoit que devenir. Le Roi ne vou-^
loit point absolument ce mariage ; de sorte qu'elle
craignoit de tomber entre les mains des Français , et
appréhendoit la persécution que M. le cardinal de
Richelieu auroit pu exciter contre elle : ce qui la fit
résoudre à se sauver à quelque prix que ce fût. Elle
croyoit ne pouvoir trop hasarder pour se maintenir
(i) £« manière dont Madame sortit de Nancy : Madame fit oc
voyage périlleux oa i633.
Dk MADEIIOISCLLS DB MONTPEIfSIBR. {l65o] <)3
làans une condition qui Jui ëtoit si avantageuse ; elle
prit ses mesures pour cela avec M. le prince François
de Lorraine son frère, qui ëtoit demeuré à Nancy
comme elle. U envoya demamier un passe-port pour
sortir de Nancy avec trois de ses gentilshommes, pour
aller à un autre lieu , du nom ducpiel je ne me sou-
viens pas.; on lui accorda le passe^port. Madame slia-
Ulla en homme ^ elle essaya une perruque blonde:
elle ne venok pas bien ; elle en prit une de même
que ses cheveux , et se barbouilla le visage avec de
la suie , mit rëpëe au côte , et s*en alla dire adieu à
madamede Remiremont , avec laquelle elle demenroit ,
et qui logeoit pour lors dans le même couvent où elle
avoit ë^ë mariée. Elle effiraya fort toutes les religieuses
qui ëtoient à Foraison , de voir un homme à cinq heures
du matin dans leur église ; elle se recommanda à Dieu,
et ensuite elle sortit. Monsieur son frère passa au tra-
vers de Tarmëe du Roi; on arrêta son carrosse, où
elle fétoît , au quartier de M. Du Châtelier-Barlot , qui
ëtoit maréchal de camp ; on ne voulut pas le laisser
pass^ qu'on n eut montré le passe-port. Madame dit
que cela Im donnoit de grandes inquiétudes, de peur
qu'il ne vint ; ilFeut sans doute reconnue : par bonheur
y ëtoit si matin qu'il n^oit pas levé. U envoya faire
Gompfiment à M. le prince François de ce qu'il nV
voit pas l'honneur de le voir : que la crainte de le £dre
attendre l'en empêchoit. Quand ils furent à trois lieues
de Nancy , Madame monta à cheval sur une pie qu'dle
a amenée ici avec elle , «t il y a peu d'années qu'elle
est morte ; elle av^t avec eUe un vieux gentilhomme
son domestique , et un à monsieur son frère. Us allè-
rent drok à TlHonville^ où ils arrivèrent heureusement;
^4 [l65o] MÉMOIRES
iJs attendirent qu'un gentilhomme qu'elle avoit en-
voyé au gouverneur fût de retour. Elle se coucha sur
l'herbe à la porte de la ville •, et elle étoit si lasse qu'elle
ne pouvoit plus se tenir à cheval. Ils avoient trouvé
en chemin des gens de guerre : ce qui les obligea de
se jeter dans un bois , où ils furent trois ou quatre
heures. Comme Madame attendoit son gentilhomme
qui ëtoit aile vers le gouverneur, la sentineUe rail-
loit , et disoit : « Voilà un jeune cadet qui n'est encore
« guère accoutumé à la fatigue, w Le comte de Wilthz
qui étoit gouverneur de ThionviUe , et qui avoit ordre
de l'Infant de laisser passer tous ceux qui viendroient
de la part de M. de Lorraine, se douta que c'étoit
Madame ; il envoya un officier à la porte la quérir ,
de peur que s'il y aUoit lui-même, cela ne la fît recon-
noître. Dès qu'eUe fut dans la ville, la femme du
gouverneur lui envoya des habits , et elle l'aUa voir
après.
Madame demanda au comte deux courriers, un pour
dépécher à Monsieur à Bruxelles , et l'autre k M. de
Lorraine , afin que ni l'un ni l'autre ne fût en peine
d'elle. Quand elle se fut un peu reposée, l'impatience
ne lui permit pas de demeurer long-temps à Thion-
viUe : elle s'en alla à Bruxelles -, Monsieur vint au
devant d'elle à quelques journées. L'on peut juger de
la joie qu'ils eurent de se voir : la Reine mère vint
aussi au devant d'elle avec l'Infante, qui eut pour Ma-
dame des bontés aussi grandes qu'elle avoit eues pour
la Reine et pour Monsieur. Elle les avoit logés dans
son palais; elle y logea aussi Madame, à laquelle elle
envoya des coffres pleins de toutes sortes de choses ,
depuis les plus nécessaires jusqu'aux plus jolies dont
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65o] gS
on puisse s'aviser. Cette princesse (0 avoit trouvé
moyen de joindre la magnificence à la vertu la plus
haute et la plus sévère ; c'ëtoit la plus grande princesse
qui eût jamais ëtë , et il ne s'en trouvera point dans
les histoires qui aient aussi dignement gouverne les
Etats , ni avec tant d'approbation ni tant d'amitië des
peuples qu'elle a fait les siens. Elle ëtoit très-chari-
table , et la meilleure du monde ; elle rëpondoit elle-
même à toutes les requêtes des pauvres comme elle
faisoit à celle des grands. Si je voulois dire toutes les
grandes qualités qu'elle possédoit , et dont j'ai ouï
parler quelquefois à Monsieur et à tous ses gens , il
faudroit un volume entier : cela même me détourne-
roit de la suite de mon discours. C'est pourquoi il
suffit de ce que j'ai dit pour témoigner la reconnois-
sance que j'ai des bontés et des honneurs que Mon-
sieur et Madame en ont reçus.
Revenons à Libourne, où l'on fut un mois, depuis
le départ de M. Du Coudray , à s'ennuyer assez. 11 y
faisoit une chaleur horrible. Pour en moins sentir
rincommodijté , la Reine demeuroit tout le jour sur
son lit 9 sans s'habillej^ que le soir : ainsi elle ne voyoit
personne. Jétois toujours dans sa chambre. Le plus
grand divertissement que j'eusse ëtoit d'écrire à Paris;
je n'aimois pas lors à lire : ce que j'aime beaucoup
présentement. Après ce temps-là , la cour alla à Bourg,
qui est sur la rivière de Dordogne , quasi vis-à-vis le
Bec d'Ambez. La situation en est fort agréable : ce
qui contribuoit à avoir moins d'ennui. Pour moi , je
(i) Cette princesse : Isabelle-Claire-Eugënie , fille de Philippe ii,
qui du temps de la Ligae aroic éié destinée à être reine de France. Les
cloges que lui donne Mademoiselle ne sont point exage're's.
[t65o] MÉMOIRRS
a fenétrt
96
regardois sans cesse à la fenêtre de ma chambre î
river des bateaux; et quand j'ëtoîs chez la Reine, je
travaillois tout le jour en tapisserie. Quoiqu'il fit le
plus beau temps du monde , la Reine ne voulut point
se promener : ce qui me donna beaucoup de mortifi-
cation de ne bouger d'une chambre.
M. le cardinal alla au sïégu de Bordeaux, qui fut un
siège imaginaire ; on prit un faubourg avec peu de r«f-
sistance, et cependant on en fit un bruit comme si
c'eût Été une occasion admirable. M. le cardinal étoit
auhautdu clocher de Saint-Yvony (ce faubourg s'ap-
pelle ainsi) à regarder ce qui se passolt. Je pense que
M, le maréchal de La Meilleraye s'entendoït avec ceux
de dedans . puisqu'après avoir pris une si grande
quantité de places qu'il en a prises si heureusement
et si vaillamment , U est bien k croire que Bordeaux
étant une mt^chante place qu'on atlaquoit du côtt^leplus
' foible, il l'auroit pu emporter en bien peu de temps.
Monsieur qui étoit fi Paris , et qui voyoit le mauvais
état des afTaires du Roi de tous côtés par les entre-
prises bizarresde M. le cardiual Mazarin, lequel pour
venger M. d'Epernon iaissoit la ^ontière sans troupes
et l'abandonnoit aux ennemis pour prendre Bordeaux,
renvoya M. Du Coudray avec messieurs de Lartège et
Bilault, conseillers du parlement de Paris, avec ordre
de la compagnie de travailler incessamment , avec les
dépntés qui viendroient de Bordeaux, h faire la paix.
Le Coudray avoit aussi ordre de Son Altesse Royale de
se joindre ii eux pour représenter à Leurs Majestés de
quelle importance étoit cette alFaire. On eut nouvelle
à la cour qu'ils venoient; et quand ilsfurent venus, la
Reine et M. le cardinal Mazarin en furent fort fâchés .
W DE MADEMOISELLE DE HONTPEItSIER. [l65o] m
I et me dirent que c'étoit le coadjateor et M. de Beau-
fort qui &isoîeiil luire cela à ^lonsieur; et la Reîae
ajouta qu'elle mouroil de peur qu'ils ne voulussent
faire sortir M. le prince. L^-dessuâ j'eutrai dans ses
sfintimens , j'avois ta m^mc frayeur : je souhaitois avec
passion que M. le prince passât sa vie en prison. Les
députés de Bordeauï , qui avoient envoyé des passe-
ports, arrivèrent en même temps que ceux de Paris;
ils ne conf(!rèrent point avec M. le cardinal Mazarin :
ils confiîrèrent avec M. Servien, le maréchal de Vil-
leroy et les secrétaires d'Etat. Les députés de Bor-
deaux étoient sept, savoir : nn président à mortier,
trois conseillers, un procureur syndic de la ville, et
denx autres bourgeois; on conféra plusieurs fois sans
rien conclure. J'étois logée à Bourg chez un de ces
conseillers , et c'étoit dans cette maison-U où ils s'as-
sembloient et oii ils étoient tout le jour : ce qui me fit
faire connoissance avec eux. Comme Monsieur se mé-
loit de cette affaire , les députés de Bordeaux m'ea
venoient aussi rendre compte fort soigneosement. La
peu d'occupation que j'avois me faisoit prendre soin
d'en envoyer quérir tons les jours quelques-uns,
pour savoir ce qui se passoit dans leurs conférences :
ce qui les accoutuma k m'en venir dire des nouvelles,
sans que j'eusse la peine dans la suite du temps de les
envoyer chercher. U se rencontra quelques difficulté»
dans leur traité ; ce qui les obligea de s'en retourner
à Bordeaux, où messieurs les conseillers de Paris et
Le Coudray allèrent aussi. Pendant cette première
conférence , il n'y avoit pas de Irtive; M. le maréchal
de La MeiUerayc avoit la goutte , et M. le cardinal ^Coit
au camp.
98 [l65o] MÉMOIRES
Cependant il arriva un courrier avec la nouvelle que
M. de Turenne ëtoit entré fort avant ep France , et
qu'il devoit être à Dammartih la nuit qu'il ëtoit parti
( ce lieu n'est qu'à huit lieues de Paris ) , et que l'ar-
chiduc ëtoit à Fimes j que l'on avoit été obligé sur
cette nouvelle d'ôter les prisonniers du bois de Vin-
cennes , et de les amener à Marcoussy , qui est un
vieux château très-fort appartenant à M. d'Entragues.
J'allai parler de cela à la Reine, qui me traita de ri-
dicule ; trois jours après elle le sut. On n'avoit osé le
lui dire d'abord. 11 fallut qu'elle en apprit la nouvelle
par M. le cardinal Mazarin : autrement elle ne l'auroit
pas cru. On savoit aussi comme l'archiduc avoit écrit
à Son Altesse Royale qu'il avoit plein pouvoir de faire
la paix , et que pour ce sujet il avoit grande envie
de le voir et de conférer avec lui : sur quoi Son Al-
tesse Royale lui fit réponse qu'elle le souhaitoit avec
passion, et qu'elle envoya le baron de Verderonne avec
don Gabriel de Tolède , qu'il lui avoit envoyé pour lui
rapporter de ses nouvelles. La Reine ne crut celle-là
non plus que les autres. Son Altesse Royale envoya
un courrier pour demander un plein pouvoir de trai-
ter ^ que l'on trouvât bon qu'il menât avec lui M. le
nonce du Pape et M. l'ambassadeur de Venise , que
l'archiduc avoit témoigné désirer de voir; et que
M. d'Avaux l'accompagnât. 11 jugeoit que Ion ne
pouvoit pas se passer de lui , par la grande connois-
sance qu'il avoit des aifaires : il avoit été plénipoten-
tiaire à Munster , et il n'étoit pas d'avis qu'on envoyât
M. Servien , qui étoit en horreur aux peuples , dans
Topinion que l'on avoit que c'étoit lui de qui on s'é-
toit servi pour empêcher la paix générale. La Reine
DB KàDEIIOISKLLE DE HOiTTVEIlSIEB. [l65o]
me fit llioiuieiir de m'enrojer H. de Lionne
secrétaire, poor m apprendre cette nonvelle;
me Int la lettre. Je me tronvai on peu mal ce joar-li.
L'après-dinëe la Reine me vint voir , et me témoigna
qu'elle ne croyoit pas qae les Espagnols vonlossent
la paix, et qu'ils se moqnoient; poarmoi, qui la soo-
Ji^tois avec passion, je le croyois. M. le cardinal
revint, et on envoya à Monsieur un pouvoir le plus
grand et le plus ample, à ce que l'on dit , qoi ait ja-
mais été donné à homme de sa condition': en ces
rencontres , on se fie quelquefois plus à un particulier
qu'à de grands princes. M. le cardinal Mazarin ne
parut point satisfait de ce que Monsieur avoit envoyé
Verderonne, et avoit fait réponse à l'archiduc avant
que d'en faire demander la permission au Roi. Iltron-
voit que c'étoit trop faire le maître, et cela n'est
pas tout-à'fait sans raison ; il y eut plus de gens pour
qae contre cette opinion. Je crois que M. le cardinal
Mazarin n'avoit pas trop envie que l'aiTaîre réussît,
et il n'avoit pas tort de ce côté-là. Pour moi , qui n'é-
tois pas faite pour lui cacher ce que je pensois, je lui
dis que je ne pouvois pas blâmer Monsieur de ce qu'il
avoit fait : que le rang qu'il tenoit dans l'Etat par sa
naissance, et celui que lui donnoit encore une ré-
gence , ne lui permettoient pas d'attendre une réponse
de la cour pour une aOâire qui paroissoit aussi belle
et aussi avantageuse que l'étoit celle d'une conférence
en l'état où étoient les affaires, les ennemis étant aux
portes de Paris, qui payoient partout, et qui par
cette raison seroient bénis des peuples, qui étoient
révoltés de tous côtés : en sorte qu'il étCfit à craindre
que s'ils venoient , on ne les y reçût sans que Mon-
\' 'i^\IOO [l65o] MÉMOIRES
# • 's; ,
' 'rsieur le put empêcher. Enfin je lui dis toutes les
raisons qui pouvoient prouver celles que Monsieur
avoit , le service qu'il rendoit au Roi et à son Etat 5
quand même cela ne rëussiroit pas , que le blâme
tomberait sur les Espagnols, et que lui, en son par-
ticulier, seroit justifié de ce que l'on Taccusoit d'avoir
empêché la paix à Munster ; que si elle se faisoit ,
rien n étoit plus avantageux dans un temps où tout
étoit en trouble, et que ce seroit le moyen de garder
M. le prince tant qu'on voudroit en prison; que son
parti étoit à bas. Je raisonnai de toute ma force : je ne
sais si je raisonnois bien. Les députés revinrent de
Bordeaux ; l'ennui que j'eus à Libourne m'avoit fait
changer la pensée que j'avois de reculer la paix de
tout mon possible , en un désir fort ardent de l'avancer
si je pouvois ; de sorte que tous les jours je parlois à
M. le cardinal Mazarin pour le portera l'accommo-
dement, et je lui représentois l'intérêt que j'àvois à y
contribuer : ce qu'il recevoit fort bien. Il rioit , et me
disoit: « Vous respirez par vos fenêtres un air borde-
<i lais qui pourroit à la longue vous faire devenir
« frondeuse. » Les affaires s'avancèrent : on fit une
trêve , pendant laquelle on eut dessein de se rendre
maître de la ville , parce qu'on y entroit librement.
M. Du Coudray, que j'avois un peu corrompu pen-
dant que j'étois à Libourne , se laissa achever de cor-
rompre par M. le cardinal Mazarin. Il me dit de Bor-
deaux : « Pendant qu'on entre librement en cette
« ville , si on se saisissoit d'une porte , on verroit beau
« jeu. » Je ne fis pas semblant de le remarquée; je
jiigeai cependant, au ton dont il me le disoit, que
l'on Favpijt proposé , et que La bonne foi n'étoit pas lu
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65oJ 10 1
chose à quoi Ton prît le plus garde en cette affaire.
Comme je suis fort sincère, cela me choqua au der-.
nier point.
M. Servien trouva quelque obstacle nouveau à la
paix : ce qui donna lieu à tous de crier ; on disoit
qu'il étoit ennemi de la paix. Sur quoi je pris la liberté
de dire à la Reine que Ton ne devoit pa& faire de dif-
ficulté de conclure la paix; que si elle se rompoit, on
recevroit un fort grand, affront de lever le siège de
Bordeaux, et quon seroit bien contraint d'en venir
là ; qu'il n'y avoit plus d'armée , que les maladies l'a-
voient fait périr faute de munitions; que du. côté de
Paris l'on donneroit l'arrêt de 1617, qui étoit celui
qui fut donné contre le maréchal d*Ancre, qui ex-
cluoii les étrangers du gouvernement, et qui étoit
l'épouvantail du cardinal Mazarin. Elle me répondit :
a Eh bien, quitte pour n'aller jamais à Paris. » Je lui
dis : « Il faudra renoncer à Paris et à toutes les villes
«c où il y a des parlemens qui donneront le même ar-
ec rét^ et si les affaires s'aigrissent, les présidiaux
(c feront les mauvais aussi , et l'on n'ira plus que dans
« les bourgs fermés.— Eh bien, dit la Reine, il s'y
« faudra résoudre ; » et me reprocha que j'étois fron-
deuse. Je lui répliquai : « Je vous dis la vérité , et
tt personne ne vous la dit ; et je vous avoue que ,
Ci pour une diflGiculté de rien, cela est bien étrange
« de vouloir passer ses jours de village en village ,
« . et par là exposer l'autorité du Roi , qui est déjà si
OL déchue. » Le soir j'en dis bien davantage à M. le
cardinal Mazarin.
Je ne sais si ce fut la peur que je lui fis, ou quel-
que espérance de négociation par M. de Bouillon :
I02 [l65o] MÉMOIRES •
ils accordèrent Tamnistie (0 telle que les Bordelais
vouloient. Les députes saluèrent Leurs Majestés*, et
s'en retournèrent. M. le cardinal me dit que le len-
demain il devoit voir M. de Bouillon k trois lieues
de Bourg ^ je lui dis : « Vous serez bien aises tous
(( deux , vous vous promettrez tout ce que vous ne
« tiendrez pas. » Il partit pour ce voyage le matin
comme il avoit dit. Je demeurai tout ce jour-là en-
fermée dans . ma chambré à lire les lettres que j'avois
reçues de Paris, et à y faire réponse. L'on me vint
dire que madame la princesse alloit arriver : cela me
surprit assez. Je m'en allai diligemment chez la Reine,
qui me dit lorsque j'entrai : « Hé bien , ma nièce ,
« n'êtes-vous pas bien étonnée de savoir madame la
« princesse si près? » Je lui dis : « Oui, madame, je
(c Tai su par hasard , et j'en suis bien aise -, sans cela
tt je ne l'aurois pas vue : j'avois fait dessein de ne
« point sortir. » Elle me dit : a Jevousl'aurois mandé. »
Je ne lui répondis rien : elle vit bien que ce procédé
ne me plaisoit pas. Elle envoya un gentilhomme à
madame la princesse lui faire des complimens, et
M. le maréchal de. La Meilleraye Talla quérir au bord
de l'eau. Comme M. le cardinal Mazarin vint chez la
Reine , il s'approcha , et dit à la Reine devant moi :
<( Monsieur n'est pas ici , il ne faut rien faire sans la
(( participation de Mademoiselle : du moins il ne se
(i plaindra pas qu'on agisse sans lui quand elle y sera. »
Ensuite il dit : « Il faut aviser si on recevra madame
« la princesse devant le monde , .ou en particulier ;
<( Mademoiselle, dites votre opinion. » Je répondis :
(0 ils accordèrent F amnistie: La pacification de Bordeaux fut signcc
à Bourg ic I*' octobre i65o.
DE MADEMOISELLE DE MO^TPE9SIER. [l65o] loi
« Si on me Fayoit demandée pour des affaires plus
« importantes, je la donnerois pour des bagatelles ; je
ce n'ai point en de part à celles-ci , je ne veux point
« avoir de part aux autres. » Ils résolurent de la voir
en particulier. La Reine entra dans sa chambre avec
le Roi , Monsieur frère du Roi , M. le cardinal , le ma-
réchal de Villeroy et moi. Je tirai à part M. le cardinal
Mazarin , et je lui dis : « Voici un mystère que je ne
n comprends pas; je vois bien pourtant, par les em*
« pressemens que Ton a pour madame Is^ princesse ,
u qu'il y a quelque négociation ; vous en serez
« mauvais marchand si vous agissez sans Monsieur :
«' il vous abandonnera, et vous ne sauriez vous pas-
« ser de lui; quoique vous vous flattiez de M. le
« prince , il ne vous protégera jamais contre Mon-
« sieur. » 11 me jura et protesta qu'il n'avoit rien fait;
que l'arrivée de madame la princesse étoit un pur ha-
sard. Je lui dis que je le souhaitois pour l'amour de
lui ; que j'étois assurée que Monsieur ne le trouveroit
pas bon, et que tout au moins il lui roanderoit de
prendre garde à ce qu'il faisoit , parce qu'à la (in il
s'accableroit de tant de mauvaises affaires que, quel-
ques bontés qu'il eût pour lui , il seroit contraint de
l'abandonner.
Comme nous étions en cette conversation , qui fut
assez longue , madame la princesse entra ; elle avoit
été saignée la veille : ce qui lui faisoit porter une
écharpe mise si ridiculement , aussi bien que le reste
de son habillement, que la Reine eut grande peine à
s'empêcher de rire , aussi bien que moi. M. le duc
d'Enghien étoit avec elle, le plus joli du monde, et
messieurs les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld.
lo4 [l65o] MEMOIRES
Après ayoir salué la Reine , elle lui parla de sa mala-
die et de son fils ; puis ils se jetèrent à genoux devant
Leurs Majestés pour leur demander la liberté de M. le
prince : ce qu'elle fit de mauvaise grâce. La Reine les
releva, et leur répondit peu favorablement-, sa visite
fut fort courte. Je lui allai faire mon compliment. Mes-
sieurs de Bouillon et deLa Rochefoucauld demeurèrent
après elle un moment; ils me vinrent voir ensuite.
J'écrivis à Monsieur une fort longue relation de tout
ce qui s'étoit passé , persuadée que M. le cardinal
Mazarin n auroit pas hâte de lui rendre compte de ce
qu'il avoit fait-, j'écrivis jusqu'à quatre heures du ma*
tin : ce qui fut cause que le lendemain madame la
princesse me trouva encore endormie lorsqu'elle me
vînt voir. Mes femmes furent assez habiles pour m'é-
veiller. Elle me parut telle qu'elle avoit accoutumé
d'être, et je ne trouvai pas que les affaires l'eussent
beaucoup faite (0 : ce qui me 6t croire qu'elle avoit
eu peu de part à tout ce qui avoit été fait en son nom.
Elle ne me parla que de bagatelles , et à peine me
répondit-elle quand je lui fis des complimens pour
monsieur son mari.
L'après-dînée , M. le cardinal , qui croyoit être le
plus pers.uasif de tous les hommes, m'entretint quatre
heures du zèle qu'il avoit pour le service de Monsieur,
de Tamitié que Monsieur avoit pour lui , de celle qu'il
avoit pour moi , et de l'envie que le mariage de l'Em-
pereur réussit: dont je ne me souciois plus; je ne
(i) Je ne trouvai pas que les affaires teussent beaucoup faite : On
remarque ici Pinjuste pr<^vention de Mademoiselle ; car la princesse de
Condé déploya , pendant son se jour h Bordeaux , un très^grand carac-
tère.
DE MADEMOISELLE DE MO^fTPENSIER. [l65o] Io5
prenois quasi pas la peine de lire les lettres que Sau-
jon m^ëcmoit. 11 me parla aussi des soins qu'il aToil
pris, et de Fenvie qu'il avoit eue de me marier au roi
d'Espagne ; il fit une récapitulation de ce qu'il m aToit
dit tant de fois quand il ne savoit plus que me dire \ il
s'enquit de mon bien et de mes affaires, dont j'ëtois
mal informée : le tout étoit entre les mains des gens
de Monsieur. Il crut me faire sa cour de me proposer
de parler à Monsieur , pour m'en faire donner la dis-
position; que j'avois de l'argent; qu'il Youloit être
mon intendant. 11 n'y eut bagatelles dont il ne m'en-
trednt, quoiqu'elles n'eussent nul rapport à l'affaire
dont il étoit question, à quoi je revenois toujours. Je
lui dis : ci II n'y a bassesse dont yous ne vous avisiea
« ce matin. Comme M. Lenet, qui est à M. le prince
« et qui vient de Bordeaux , étoit avec moi , il est
K venu un de vos pages le quérir pour diner, et lui
K dire que vous l'attendiez; nous nous sommes mo-
% qués de vous , lui et moi. Voyez , m'a-t-il dit., que
« son ministère est à craindre! avant-hier il me vouloit
« faire pendre, aujourd'hui il me veut donner à dt-
« ner. » Le cardinal Mazarin me répondit que ce n étoit
pas lui, et me donna une fort mauvaise excuse. Le
soir M. Lenet, que je connois assez, me vint dire
adieu ; je lui dis : « Je vous trouve bien ridicule tous
(( de négocier avec M. le cardinal Mazarin pour la
« liberté de M. le prince; si c'est sans la participa-
« tion de Monsieur , ce n'est rien faire. M. le prince
(( voudra-t-il être obligé à un tel homme, et s'engager
« à prendre sa protection contre toute la France qui
<i le hait fort ? Je ne le crois pas ; et quoique je n'aime
u point votre M. le prince, je ne laisserai pas que
Io6 [l65o] MÉMOIRES
« d'être bien aise que Monsieur s'unisse avec lui eJL le
« fasse sortir. » Lenet m assura fort qu'il n'avoit écouté
aucune des propositions de M. le cardinal , et qu i)
savoit bien que M. le prince ne sortiroit jamais que par
Monsieur. Nous étions tous deux assez mal informés
de ce qui se passoit à Paris dans ce temps-là : les amis
de Monsieur travailloient à les unir d'intérêt Monsieur
et lui.
Ce fut dans ce temps-là que M. de Memours, qui
s'étoit engagé dans le parti de M. le prince par l'en-
tremise de madame de Châtillon , voulut le sauver -,
l'entreprise manqua , pour n'avoir pas été bien con-
duite. Nous partîmes pour Bordeaux le même jour
que M. Lenet pour Montrond : il alloit faire exécuter
le traité , et cesser toutes les hostilités qui se commet-
taient par la garnison contre tout le Berri. Comme
nous étions dans le bateau, M. le cardinal Mazarin
me dit: « M. Lenet, qui nous voudroit brouiller, m'a
« bien dit des particularités ^ » et il me rapporta mot
pour mot la conversation que j'avois eue le soir avec
lui. Ce qui me surprit sans que je le témoignasse. Je
lui dis : « Il a donc bien fait des tentatives de tous
« côtés! Il m'a dit que vous lui aviez fait mille pro-
<( positions d'accommodement sans Monsieur, et il
«c m'a semblé ne lui pouvoir pas moins répondre que
« de la manière que j'ai fait. Cela est assez vraisem-
<( blable : il n'est guère habile homme de croire nous
<( brouiller. » II fut assez surpris de ce que je lui
avois parlé de lui si librement. Ce voyage se fit fort
agréablement: le temps étoit le plus beau du monde ,
et les avenues de Bordeaux fort agréables-, les navires
qui étoient venus pour le siège arrivèrent tous le jour
K MAOCSOisBixE HE iiœrmacsiEm. [i65o] lerj
que la poix fat signée. Us nous accompoigiièreiil. el
firent grand fen à notre arriTêe à Bordeaux ; les ca-
nons de la TÎUe y répondirent ; tonte la caTalerie ëtoit
en haie an bord de Fean: elle fit nne dëcîiarge. Le
corps de Tille rint haranguer le Roi ayant qn'il sortît
du bateau « il j aToit sur le quai une foule de peuple
incroyable , Ton témoigna grande joie de Toir le Roi ,
et Ton ne dit pas un mot à H. le cardinal Mazarin. L^on
craignoit que Ton ne criit au Mazarin : ce qui eut été
assez bizarre dcTant le Roi ; ces gens-là laToient pits
d'un air à en pouvoir tout craindre. Nous trouvâmes à
la porte de la ville des troupes d^infanterie en haie
avec des officiers: cela me surprit. Selon le traité^ le
bourgeois devoit quitter les armes , et les troupes du
Roi ne dévoient bouger de leurs quartiers. Je deman-
dai an cardinal Mazarin : « Qui sont ces gons-Ià ? d 11
me répondit : « Je n en sais rien. )> Je lui dis : « Ils
« sont bien mal vêtus, et ont la mine trop aguerrie
« pour des bourgeois, et les officiers saluent trop
a bien. » Je demandai : « Quelle troupe est-ce là ? »
Ils répondirent: « Le régiment de Navailles. » Je n'en
parlai plus.
Dès que j'eus mené Leurs Majestés à larchevéché
où elles logeoient, je m'en allai en mon logis. C'étoit
chez M. le président de Pontac , dont la femme est
ma parente et sœur de M. de Thon; son logis est fort
beau et fort magnifique. Quoique je n'eusse nulle cou-
noissance qu'elle dans la ville de Bordeaux , je ne lais-
sai pas de recevoir bien des visites dès le jour même
de mon arrivée. Je ne me trompai pas quand je jugeai
que les troupes ne feroient pas un fort bon etlet :
j'appris que le parlement, qui vit avant l'arrivée du
I08 [l65o] MÉMOIRES
Roi toutes les portes prises par des gens de guerre ,
contre ce que Ton avoit promis , s'assembla pour rë-r
soudre d'aller saluer le Roi, et. fit des plaintes aux
députes qui avoient nëgojc^îë à Bourg de Finfractioa
du traite , et même il iut propose de reprendre les
armes. Dans la crainte que la nuit suivante Ton ne fit
quelque entreprise^ il fut résolu que les députés cher-
cheroient M. Du Coudray , et qu'ensemble ils iroient
trouver ceux avec qui ils avoient traité. Comme* ils
croyoient M. Du Coudray mazarin, ils jugèrent à pro-
pos de me venir trouver ; ils me contèrent Tafiaire , et
me prièrent de Tenvoyer quérir : ce que je lis aussitôt.
Je lui dis de s'en aller trouver la Reine, et de lui dire
l'importance dont cela étpit, puisque, pour avoir
manqué à ce que l'on avoit promis, sûrement ou
prendroit les armes dans la ville ^ l'embarras où Ton
se trouveroit, et les mauvaises suites qui en arrive-
roient, avec le méchant effet que cela feroit dans les
pays étrangers. La Reine dit au Coudray : a Mademoi-
(c selle devient furieusement frondeuse -, » et lui té-
moigna n'être pas tout-à-fait contente de moi. Comme
j'étois assurée qu'elle ne m'en osoit rien dire, je ne
faisois pas semblant de le savoir. L'on promit au Cou-^
dray que l'armée commenceroit à passer l'eau dès le
lendemain, et que l'on ne feroit gardes aux portes
que jusqu'à ce qu'elle fût passée , de crainte que les
soldats et cavaliers n'entrassent dans la ville , et n'y
fissent du désordre. Ces messieurs, à qui il vint rendre
réponse à mon logis , furent fort contens , et le dirent
le lendemain à leur compagnie , et le firent savoir dès
le soir même dans la ville , pour apaiser les esprits quk
étoient fort alarmés.
DE MADEMOISELLE DE MOMTPE9SIER. [l65o] I09
Après qae le paiiemeat et tous les autres corps de
U ville eurent salue Leurs Majestés, nous allâmes sur
la rivière Yoir tous les vaisseaux. L'on tira mille volées
de canon : toute Tartillerie de dessus fit son devoir;
toute la ville de Bordeaux ëioit aux fenêtres du port.
M. le cardinal Mazarin me disoit : « Au moins les'Bor-
f( délais voient que si on avoit voulu leur faire du
M mal Ton le pouvoit, avec une si belle armée na-
« vale. » Pour moi, quoique je ne me connoisse pas
en armement naval , je ne trouvai pas celui-là beau,
et je ne jugeai cette promenade propre qu à donner
une nouvelle matière aux ennemis de M. le cardi-
nal Mazarin de se moquer de le voir triompher de
fii peu de chose. La ville de Bordeaux est dans la
fdus belle situation du monde : rien n'est si beau qne
la rivière de la Garonne et son port ; les rues sont
belles , et les maisons bien bâties -, il y a de fort hon-
nêtes gens et fort spirituels, et qui sont néanmoins plus
propres pour Texécution que pour le conseil : ils vont
fort vite, etuont pas grand jugement. Pendant les dix
joiirs que la cour y séjourna , personne n'alloit chez
la Reine , et quand elle passoit dans les rues on ne s^en
soucioit guère : je ne sais si elle avoit fort agréable
d entendre dire que ma cour étoit grosse , et que tout
le monde ne bougeoit de chez moi pendant qu'il en
ailoit si peu chez elle. Le courrier que j'envoyai à
Monsieur revint , et it m*écrivit sur le même ton que
j'avois parlé à M. le cardinal Mazarin. Son Altesse
Royale lui écrivit une lettre , ainsi que je lui avois pré-
dit-, il ne s'en vanta pas. Dès quil sut que j'avois reçu
un courrier , il fut dans la dernière inquiétude de sa-
voir ce que Ton m'avoit mandé : il m'envoya Le Cou-
1 1 0 [ 1 65o] MÉMOIRES •
dray me questionner, à qui je ne voulus rien dire.
Comme je revenois de la messe , je trouvai M. le cardi-
nal Mazarin chez moi , qui me fit excuse de ne m'étre
pas encore venu voir ; qu'il avoit eu tant d'affaires
qu'il lui avoit été impossible. Il s'attendoit que je lui
conterois en grande hâte tout ce que Monsieur m'a-
voit mandé : je ne lui en parlai point. Comme je vis
qu'il ne m'en disoit rien , je lui demandai : « N'avez-
<( vous pas reçu des nouvelles de Paris ? — Et vous ,
« n'en avez-vous point eu? me répondit-il. » Je lui
dis que non ; qu'il m'étoit venu un courrier que j'avois
envoyé ; que ce n étoit que pour des affaires domes-
tiques : qu'ainsi je n'avois des lettres que de mes gens,
qui ne me parloient de rien. Je pense qu'il s'en alla
assez mal satisfait de sa visite, et je connus qu'elle
avoit été à une autre fin.
Le parlement de Bordeaux avoit député deux prési-
dens et dix ou douze conseillers , pour aller visiter
Monsieur, frère du Roi^ et à cause de l'obligation
qu'ils avoient à Monsieur de la paix, ils avoientjugé
ne lui pouvoir donner des marques d'une plus grande
reconnoissance que de me rendre un honneur qui ne
m'étoit pas dû, et de me faire une visite pareille à
celle qu'ils avoient faite à Monsieur. Cela avoit fâché
M. le cardinal Mazarin : il avoit su qu'ils l'avoient ainsi
résolu, et en même temps de ne le point voir. On les
avoit voulu empêcher de voir Monsieur , et c avoit été
en vain -, il les avoit fait aussi prier de ne me point voir
pour satisfaire la Reine , parce qu'ils ne voyoient pas
M. le cardinal Mazarin : ils n'eurent nul égard à sa
prière , et vinrent chez moi au sortir, de chez Mon*-
sieur. Us me firent une harangue qui témoignoit la
^DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65o] III
reconnoissance qu'ils avoient envers Son Altesse
Royale, et d'une manière aussi fort obligeante pour
moi. M. le cardijial Mazarin, qui vit que la visite ëtoit
faite , ne laissa pas d'avoir en tête d'en avoir une ,
par l'éclat que cela feroit , qu'un parlement lui eût en-
voyé des députés. Il crut que cette députation , qui ne
s'étoit point faite à son arrivée , se devoit faire à son
départ. Le comte de Palluau me vint voit: c'est un
homm'e fort attaché à M. le cardinal Mazarin, qui a
beaucoup d'esprit, et qui est de fort agréable con-
versation , avec lequel je prenois beaucoup de plaisir.
Après avoir été quelque temps avec moi, et ip'avoir
trouvée avec des gens du parlement qui me voyoient
souvent (les Gascons se familiarisent aisément , et font
bientôt connoissance ) , il me dit: « Ne voulez-vous
« pas faire voir le crédit que vous avez parmi ces gens-
« là , et rendre un service à un de vos amis ? m Je lui
demandai quel service, et à quel ami^ il me répon-
dit: « A M. le cardinal Mazarin; faites-lui rendre unç
« visite. » Je lui répondis : « S'il m'en prie, je le ferai :
« sinon je ne m'en mêlerai pas; il croiroit que je me
« voudrois faire de fête, et cela seroit assez ridicule
<i de croire avoir du crédit auprès des gens que je ne
« connois que depuis peu de temps. » Sur quoi il me
dit : « Il seroit de meilleure grâce à vous de le faire
« sans qu'il vous en priât. » Je l'assurai que je n'en
ferois rien. J'allai chez la Reine ; Palluau y vint me
dire : « Il faut que vous parliez de ce que je vous ai
(( tantôt dit à M. le cardinal Mazarin. » Je l'assurai pour
la seconde fois que je n'en ferois rien : nous dispu-
tâmes long-temps là-dessus , et je lui témoignai que je
connois'sois bien que c'étoit de la part de M. le car-
112 [l65o] MÉMOIRES
dinal Mazarin que Toti me parloit , et qu'ainsi toutes
ces façons ëtôient inutiles. 11 me l'avoua, et me pria
de n'en point parler. Cependant, pour disposer les
affaires de manière que M. le cardinal les agréât , nous
convînmes que lorsque le parlement seroit chez la
Reine , si M. le cardinal ëtoit auprès de moi, je lui
dirois : « Demandez à Palluau ce que nous avons dit
« tantôt. » 11 s'y trouva , et je le lui dis ; il me répon-
dit : « M. de Palluau me l'a dit, et je vous en suis très-
ce obligé ^ je ne me soucie point de ces gens-là. Quand
« ils me viendroient voir, je leur ferois fermer la
« porte , si ce n'étoit pour le service du Roi qu'il est
« nécessaire que je les voie. » Il me fit mille rodo-
montades, et conclut par me prier de faire tout mon
possible pour qu'ils l'allassent voir. J'envoyai quérir
tous ceux que je connoissois , et avec M. Du Coudray
je les pressai fort^ ils me dirent tous que si je le leur
ordônnois de la part de Son Altesse Royale, ils le
feroient : qu'autrement cela ne se pouvoit. Je leur dis
que je croyois que cela seroit fort agréable à Son
Altesse Royale; que je ne leur pouvois pas dire qu'il
me l'avoit commandé ; que je n'a vois point d'ordre. Le
lendemain ceux à qui j'avois parlé firent cette propo-
sition à la compagnie ; et on la trouva si ridicule au
palais, qu'il eût mieux valu qu'on n'en eût point parlé.
Quant à moi , M. le cardinal prit si ma! ma démarche,
qu'il m'accusa de lui avoir fait cette pièce 5 de quoi je
ne me souciols guère.
Quoique je me divertisse bien à Bordeaux , j'avois
une telle envie d'aller à Paris, que j'étoîs fort aise de
rebuter M. le cardinal Mazarin , et l'obliger à partir le
plus promptement qu'il se pourroit : ce qui arriva ;
DE MADEMOISELLE DE MONTPEIISIBR. [l65oj Il3
et j'eus une grande joie de me voir en chemin. Nous
trouvâmes à Saintes M. Tarchevéque d'Embrun , qui
ëtoit envoyé de la part du clergé pour supplier Leurs
Majestés de permettre que Ton wït M. le prince de
Conti en liberté pour le traiter, parce qu'il étoit en
danger de sa vie. Cet envoyé ne fut point agréable :
et comme on en fut averti, on lui fit dire que. Ton
ne le vouloit pas voir ; et M. le cardinal Mazarin et la
Reine me dirent : u L'archevêque d'Embrun est de vos
a amis : il fautique vous le détourniez de nous parler
a de cette affaire. » La maison de La Feuilladé a tou-
jours été à Son Altesse Royale ; le père et trois enfans
sont morts k son service : ainsi j'avois beaucoup d'ha-
bitude avec. eux-, l'archevêque en son particulier a
toujours été de mes amis. Je l'envoyai quérir, et lui
proposai ce que l'on m'avoit ordonné. Je le trouvai
d'une fort bonne volonté pour ce que je lui disois ,
et plus disposé à suivre les ordres de la cour que ceux
de son corps ^ et je mje suis depuis aperçue que, pour
pdaire à la cour, il se chargea d'assez bonnes af*^
faires , suivant ce que je lui avois conseillé aupara-
vant. Je rendis compte de ma commission à M. le
cardinal Mazarin, puis à la Reine, qui furent très-
satisfaits; de sorte que M. l'archevêque d'Embrun
salua Leurs Majestés et le cardinal sans parler de
rien.
La Reine vit à Saintes une dévote séculière dans les
Carmélites, laquelle étoit impotente, qui lui avoit fait
dire par madame de Brienne qu'elle souhaitoit avec
passion de la voir ; .elle lui avoit fait dire la même
demande lorsqu'elle avoit passé ,^ et elle la pria pour
lors de lui envoyer quelque personne de créance à
T. 4i« ^
Il4 [l65o] MÉMOIRES
qui elle pût confier ce quelle avoit à dire. La Reine
y avoit envoyé le père Faure , cordelier , lequel est à
présent évêque de Glandèves (0, qui n avoit osé à
son retour à Libourne dire à la Reine tout ce qu'il
avoit su de la dévote, parce que cela étoit directe-
ment contre M. le cardinal Mazarin ; il étoit parti d'An-
gouléme pour l'aller trouver à La Rochelle où elle
demeuroit, et elle s'étoit fait porter exprès à Saintes
pour voir la Reine à son passage. M. de. Glandèves dit
à la Reine : n Madame Laine ( elle s'appeloit ainsi) ne
a m'a rien voulu dire , et ne veut parler qu'à Votre
« Majesté. » La Reine l'alla voir , et eut avec elle une
fort longue conversation qui m'ennuya beaucoup, et à
tel point que je m'en impatientai. Je m'approchai pour
l'interrompre, et j'entendis que la Reine lui disoit :
« Vous ne le connoissez pas : il n'a d'autres intérêts
« que ceux du Roi. » Je me doutai qu'elle parloit
contre M. le cardinal Mazarin.
Comme nous fumes dans le carrosse , la Reine dit
à madame de Brienne : « Quelle visite vous m'avez fait
« faire! » Je lui dis : « Je crois, madame, que vous
« n'offrirez point de chandelle à Saintes. — ^Tu as donc
« ouï ce qu'elle m'a dit? » Je lui répondis que j'en
avois ouï une partie ; sur quoi elle me réplicjua : « Elle
a ma tenu mille discours contre M. le cardinal -, c'est
<( une pauvre femme à qui on a fait dire tout cela ; »
et n'en dit pas davantage.
J'ai su depuis qu'elle lui avoit dit que M. le cardi-
nal portoit un tel malheur à la France et à elle, qu'il
seroit cause de leur ruine ; que si elle ne le chassoit
dans peu , on le chasseroit par force ; et qtie pour mar-
(i) Il fut depuis ëvéque d^ Amiens.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65o] Il5
que de la vérité de ce qa'elle lui disoit , elle Tasauroit
qu'elle seroit malade dans trois jours : ce- qui arriva ;
lorsqu'elle fut à Poitiers , elle eut la fièvre , et fut con-
trainte de se faire saigner. Ce mal lui continua jusqu'à
Amboise, où elle fut obligée de séjourner huit jours,
pendant lesquels son mal augmenta jusqu'à donner
delà crainte: ce qui fâcha fort M. le cardinal Ma-
zarin-, il avoit toutes les impatiences possibles d'être
à Paris, poijr persuader Son Altesse Royale de con-
sentir qu'on menât M. le prince au Havre \ quoique
l'on lui eut envoyé plusieurs courriers pour cela , il
n'avoit jamais voulu : ce qui donna à la cour de grands
soupçons de ce qui est arrivé depuis. M. le cardinal
Mazarin me proposa d'aller un jour à Paris pendant
le séjour de la Reine à Amboise : ce que j'aurois pu
faire aisément en deux jours en relais. J'en avois un
prétexte le plus beau du monde : madame de Guise
ma grand'mère étoit malade, etjen'osoism'embarquer
à ce voyage sans la permission de Son Altesse Royale.
Pendant ce temps -là la Reine se porta mieux, et l'on
partit. L'intention de M. le cardinal Mazarin avoit été
que j'eusse fait en sorte auprès de Son Altesse Royale
qu'il vint au devant de Leurs Majestés à Orléans : j'au-
rois {toujours été avec lui, et tâché de le persuader
à consentir à ce qu'on voiiloit lui proposer.
Sur les chemins, M. le cardinal Mazarin me faisoit
part des nouvelles qu'il reçevoit, qui ne lui étoient
pas agréables : on lui mandoit que les amis de M. le
prince n'abandonnoient pas Monsieur, et faisoient de
grands progrès auprès de lui ; que madame de Ghe-
vreuse, le coadjuteur, madam^e de Montbazon, et toute
cette cabale de Fronde et leurs dëpendans, étoient
8.
1 1 6 [ 1 65o] MÉMOIRES
dans les intérêts de M. le prince. La princesse palatine
avoit beaucoup servi à toute cette union -, elle com-
mença en ce temps-là à se rendre considérable , et à
faire parler d'elle dans les affaires : auparavant Ton
n'avoit parlé que de ses aventures pendant que la
reine de Pologne étoit ici -, quoique sa sœur et l'aînée,
elle ne la voyoit guère : ce qui %e remarquoit^ elles
logeoient dans Ja même maison. M. de Guise., tout
archevêque de Reims qu'il étoit, la redierchoit comme
s'il eût été en l'état où il est maintenant, d'une mà-
riière à la vérité tout extraordinaire-, il faisoit l'amour
comme dans les romans. Quand il sortit de France ,
elle en étoit aussi sortie : peu de temps après elle s'ha-
billa en homme, et s*en alla droit à Besançon pour
passer de là en Flandre : elle s'y fit appeler madame
de Guise ; lorsqu'elle parloit ou écrivoit , elle disoit :
« Mon mari. » Elle n'omettoit rien de tout ce qui dé-
claroit son mariage. Pendant qu'elle étoit à Besançon
et lui à Bruxelles, il devint amoureux de madame la
comtesse de Bossu, qu'il épousa; elle revint à Paris et
reprit son nom de madame la princesse Anne, comme
si de rien n'eût été : peu d'années après elle épousa
en cachette, et sans le consentement de la cour, M. le
prince Edouard, l'un des cadets de M. l'électeur pa-
latin. Cette princesse fit la paix avec la Reine: elle
revint à la cour ; et comme son mari étoit fort gueux
et jaloux , et elle d'humeur fort galante , elle l'obligea
de consentir qu'elle vît le grand monde , et lui per-
suada que c'étoit le moyen de subsister et d'avoir des
bienfaits de la cour -, alors elle suivit son inclination,
et força celle de son mari par la raison et la nécessité.
A la guerre de Paris, son mari prit emploi, et ce fut
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIËR. [l65o] 1 17
alors qu'elle fit grande amitié avec M. de Longueville
et le prince de Gonti.
La çonr x^e trouva pas Monsieur à Orléans comme
elle avoit espéré , ni même M. Le T.ellier^ qui y devoit
venir. L'on apprit seulement que J'oa avoit pendu en
effigie M. le cacdinal Mazarin à tous les carrefours de
Paris: ce qui ne lui étoit pas agréable. L'on trouva
M. Le Tellier à Pluviers , qui n'assura pas que Son Al-
tesse Royale viendroit à Fontainebleau , ni qu'elle eût
des sentimens favorables pour la cour. On y fut trois
ou quatre jours , sans que Son Altesse Royale y vînt ;
M. de Ghâteauneuf y arriva, et assura qu'il y viendroit :
comme il étoit de la cabale du coadjuteur, qui deve-
noitle favori de Monsieur, il se faisoit valoir de ce, que
Monsieur faisoit. Le Roi et M. le cardinal Mazarin
furent au devant de Monsieur ^ l'on peut juger, par les
empressemens que l'on avoit de sa venue , de ceux
qu'ils lui témoignèrent. Monsieur ne fut pas sitôt ar-
rivé qu'il leur marqua le déplaisir et le ressentiment
qu'il avoit eu lorsque l'on avoit transféré M: le prince
du bois de Vincennes. J'ai dit, à ce qu'il me semble,
que c'étoit à cause de Tapproche des ennemis que
Fon avoit transféré les princes : il est bien vrai que
l'on se servit de ce prétexte -, et cependant on les mena
à Marcoussis, sans que Monsieur le sût que lorsqu'ils
y étoient, contre la parole que la Reine lui en avoit
donnée. Lorsque l'on partit pour aller en Guienne, la
Reine dit à M. de Bar qui gardoit les princes , et en
présence de Monsieur , qu'il ne les remît en liberté ni
qu'il ne les transférât par les ordres de l'un ou de
l'autre séparés, mais seulement quand il en verroit un
signé de tous deux ensemble. Je crois avoir appris ceci
Il8 [l65o*] MÉMOIRES
en un voyage [que je fis à Blois dépuis que j'ai écrit
ce qui est ci-devant : comme je ne m'amuse à ces Mé-
moires que pour moi , et qu'ils ne seront peut-être
jamais vus de qui que ce soit, au moins durant ma vie,
je ne m'attacherai point à les corriger , persuadée
que je ne feroispas mieux, parce que je ne me crois
pas capable d'en connoitre les défauts. Revenons au
sujeL
On peut juger si Monsieur avoit lieu d'être satisfait :
il voyoit que l'on ne vouloit transférer M. le prince
au Havre que pour être en lieu où M. le cardinal
Mazarin en fût absolument le maître, pour s'en servir
dans un grand besoin ; et quand il seroit abandonné
de tout le monde, le lâcher comme une foudre pour
accabler tous ses ennemis, et dissiper tout ce qui lui
sèroit contraire : l'on pouvoit assez faire ce jugement.
M. le prince avoit été si heureux , qu'il sembloit que
rien né lui pût résister^ et comme ce n'étoit point le
compte de Monsieur que cela se fit sans sa participa-
tion , il y résistpit. Je l'allai voir à sa chambre à Fon-
tainebleau: il étoit fort en colère. 11 me déchargea son
cœur, et me dit que, quelques moyens que l'on em-
ployât pour avoir son consentement à ce changement,
il ne le donneroit jamais , et que c'étoit le vrai moyen
d'augmenter les troubles , par les raisons que j'ai dites
que l'on croyoit que M. le cardinal Mazarin avoit pour
cela *, que le parlement fronderoit plus que jamais, et
qu'il étoit résolu de ne se plus mêler de rien. 11 ne
vint point chez la Reine ce jour-là -, l'on fit force allées
et venues -, enfin il y vint le soir. Les affaires au lieu
de s'adoucir s'aigrirent ; il se sépara d'avec la Reine
àe cette manière. M. le cardinal Mazarin envoya vers
DE MADEMOISELLE DE MOINTPENSIER. [i65o] 1 19
la pointe du jour m'éveiller pour me prier de m'en
aller chez Monsieur, pour voir s'il n'y auroit point
moyen de le faire demeurer. Sa résolution ëtoit si
fortement prise , qu6 rien ne le put arrêter. La Reine
envoya M. le comte d'Harcourt quérir les princes à
Marcoussis, et les mener au Havre , et dit à Monsieur :
« Puisque vous ne voulez pas y consentir lorsque les
a affaires du Roi le requièrent, il suffit. » Monsieur
dit : a Le Roi est le maître : ce n'est pas mon avis. »
Ainsi il partit pour Paris assez mal content^ la cour le
suivit un jour après. Monsieur, ennuyé de ce qui se
passoit, s'allia tout-à-fait avec les amis de M. le prince *,
ce détail m'est tout-à-fait inconnu. Monsieur, qui sa-
voit l'aversion que j'avois pour M. le prince , se cacha
de moi ; et quand les affaires sont passées et que l'on
n'a point le dessein de les écrire , l'on s'en informe
peu 5 en ce temps-là je ne croyois pas être jamais en
lieu où cette pensée me pût venir. Tout ce qui vint
à ma connoissance est que Monsieur agit de concert
avec le parlement pour la liberté de M. le prince : à
quoi il réussit , comme je dirai ci-après.
Madame la princesse mourut à Châtillon après une
longue maladie , dans les sentimens les plus beaux et
les plus chrétiens qu'il est possible ^ elle ayoit vécu
dans ses dernières années avec beaucoup de dévotion,
et même cela lui. faispit abandonner les intérêts de
son fils, soit qu'elle fût fort résignée, ou qu'elle eût
moins de tendresse : M. le prince sait ce qui en étoil,
et pour moi je n'en jugerai pas. M. le cardinal Maza-
rin partit de Paris pour aller en Champagne -, il reprit
Rethel, que M. de Turenne avoit pris-, ensuite le
maréchal Du Plessis-Praslin, qui commandoit lar-
120 [l65oJ MÉMOIRES
mëe du Roi, donna une bataille à Sommepy (0 : il la
gagna, et fit beaucoup de prisonniers-, M. de Turenne,
qui commandoit l'armée de M. le prince , fut fort
heureux de se sauver. M. le cardinal Mazarin voulut
que Ton l'appelât la bataille de Rethel, parce qu'il
étoit dans la ville , et que l'on pût croire que c'étoit
lui qui l'avoit gagnëe , quoiqu'il en fût à deux lieues 9
et sur cette victoire du cardinal on fit des vers assez
plaisans : ce qui tourna sa bravoure en ridicule. Il m'a
semblé que je les de vois mettre ici. '
L'on doit au cardinal rémunération ':
Sans cet absent vainqueur l'on n'eût rien fait qui vaille.
Il a mené nos gens à l'expédition y
Et de loin gagné la bataille ,
' Ainsi qu'un bedeau fait la prédication; •
Lorsque la nouvelle de cette journée arriva , Son
Altesse Royale étoit au palais -, l'on fut bien aise de la
mander en ce lieu-là : on croyoit donner de la terreur
à tous les amis de M. le prince , lorsqu'ils sauroiènt
son armée défaite. Cela fit un effet tout contraire : la
peur que M. le cardinal Mazarin ne s'en prévalût les
fortifia dans le dessein de servir M. le prince , pour
se délivrer par lui d'un tel ennemi. Monsieur, au
retour de chez la Reine, me Tint dire cette nouvelle,
et ajouta : « Rien n'est moins avantageux à la cour que
<c le gain de cette bataille ^ elle profitera plus à M. le
« prince de cette manière, que si M. de Turenne l'a-
« voit gagnée. »
[i65i]M. le cardinal (^) revint, le dernier jour de
(i) Une bataille à Sommepy : Cette bataille fut livre'e le i5 dé-
cembre i65o. — ^ (a) M. le cardinal : D^autres Mémoires disent que Ma-
tarin fit son entrée à Paris le i" janvier i65i.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65l] IVtl
Tannée i65o , le plus fier et le plus triomphant du
monde \ je ne Tai jamais vu si gai. La Reine ëtoit en-
core malade de cette maladie qui avoit commencé à '
Poitiers , et ne se levoit point ; comme j'entrai dans
sa chambre , et que j'approchai de son lit, elle me dit :
a Ma nièce , avez-vous vu M. le cardinal ? » Je lui ré-
pondis que non ; le Roi, qui y étoit, Talla quérir : j'allai
au devant de lui. J'étois daas la chambre comme il
s'approcha de moi ^ il se mit quasi à genoux , tant il
me salua humblement;, je le relevai et l'embrassai ^ il
me fit mille civilités que je lui rendis. La joie se trou-
bla par les fréquentes assemblées du parlement , où
Monsieur nemanquoit pas d'aller, et où il parloit de
me marier: ce qui faisoit craindre à la cour qu'il ne
fût pour M. le prince , dont les serviteurs et les amis
commençoient à se rassembler. 11 s'en trouva beaucoup
à un bal chez la comtesse de Fiçsque la jeune , de qui
le mari étoit fort attaché aux intérêts de M. le prince.
L'amitié que l'un et l'autre avoient pour lui étoit
cause que la comtesse ne me voyoit pas si souvent
qu'elle a fait depuis : je vis à ce bal le comte de Ta-
vannes et plusieurs autres attachés à M. Iç prince , à
qui je fis de grandes civilités. Cet hiver-là , malgré les
inquiétudes et les brouilleries du Palais-Royal , l'on
dansa et l'on se réjouit assez. ^. de Mercœur faisoit
fort le galant de mademoiselle de Mancini, avec la-
quelle il étoit quasi accordé ^ l'affaire en étoit demeu-
rée là : M. le prince ne l'avoit pas voulu. Le parlement
fit des remontrances fort vives pour la liberté de M. le
prince : ce qui obligeoit la cour à y répondre. Mon-
sieur , qui la souhaitoit et qui la jugeoit même néces-
saire , en pressa la Reine 5 et ce fut sur cela que M. le
122 [l65l] MEMOIRES
cardinal Mazarin fit ce beau discours de Gromwell et
de Fairfax (0 , sur lequel Monsieur s'emporta contre
lui , et dit à la Reine qu'il ne mettroit jamais le pied
dans les conseils du Roi tant que ce personnage-là
y seroit. Le détail de cette conversation est imprimé
et su de tout le monde ^ ainsi je ne le mettrai pas ici.
J^étois sortie du Palais-Royal lorsque cela arriva. Le
lendemain, Goulas, secrétaire de Monsieur, qui s'en
alloit au Havre avec de Lyonne pour traiter avec M. le
prince sur sa liberté , me conta ce qui s'étoit pasisé
dans ce démêlé de Monsieur et de M. le cardinal Ma-
zarin. U étoit venu, sur ce qu'il se plaignoit que Mon-
sieur avoit mis les affaires en un état que l'on ne se
pouvoit plus défendre de faire sortir M. le prince , et
qu'il n'en sauroit nul gré, parce qu'il paroissoit que
sa liberté avoit été forcée. Gomme je sus ce désordre,
je m'en allai au plus vite chez Son Altesse Royale, qui
me conta toute l'affaire, et me dit qu'il n'iroit plus au
Palais-Royal tant que le Mazarin y seroit. Je ne fus
pas fâchée de cette résolution, quoique je n'aimasse
pas M. le prince : j'aimois néanmoins tant Monsieur ,
que j'étois ravie qu'il entreprît deux aussi grandes
affaires que celles de faire sortir M. le prince de pri-
son et M. le cardinal Mazarin dû ministère , puisqu'il
(l) Ce beau discours de C/hmwell et de Fairfax : Gaston se trou-
▼ant au Palais-Royal avec la Reine et son ministre , 4a conversation
tomba sur les afTaires présent^ , et devint très-vive. Mazarin , se lais-
sant emporter, compara le parlement de Paris au parlement d'Angle-
terre, lecoadjuteur h Cromwcll , et le duc de Beaufort à Fairfax. Gaston
lui répondit avec chaleur que la comparaison ëtoit odieuse. La dis-
pute s^aninia ; et la Reine ayant pris le parti de son ministre , Gaston
sortit précipitamment du Palais-Royal , dans la crainte dV'trc arrétiî.
Il signa bientôt uu traite avec les partisans du prince de Condc ( 3i jau-
vier i65i ).
. DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [[65l] 123
l'avoit fâche. La crainte que j'ayois en même temps
.qu'il ne se lassât des embarras de cette affaire, et qu'il
ne la poussât pas à bout , me donnoit la dernière in-
quiétude. Tous les amis de M, le prince vinrent dans
cette rencontre au Luxembourg : je leur fis mille com-
plimens/etdans ce moment je résolus de surmonter
la déraisonnable aversion que j'avois pour M. lé prince.
Guitaut (i), qui est à lui et en qui il a beaucoup de
confiance, qui l'a fort bien servi pendant sa prison,
me vint voir ; je lui fis mille protestations de bien vi-
vre avec M. le prince et avec toute sa maison , et du
regret que j'avois de ne l'avoir pas fait par le passé.
Il m'assura fort de leur respect et de leur amitié , et
de la douleur qu'ils avoient de la mwière dont je les
avôis traités.
Madame de FouqueroUes , qui est la plus intrigante
personne du monde et n'est pas la plus prudente , me
vint faire des propositions de la part de M. le cardinal
Mazarin. Je ne sais si elle auroit été avouée , ou si elle
sefaisoit de fête : elle disoit que si Monsieur vouloit se
raccommoder aVec M. le cardinal Mazarin, il lui don-
neroit la carte blanche pour faire tout ce que bon lui
sembleroit pour lui et pour sa famille , et qu'il pou-
voit faire pour, moi beaucoup plus que pour les au-
tres. Ce panneau étoit assez beau , mais je ne fus pas
assez ridicule pour y donner. L'après-dînée du même
jour , Servien me vint trouver de la part de la Reine ,
pour'me prier de faire tout mon possible pour adoucir
Monsieur envers le cardinal : elle me pr^oit de me
* - . •
(i) Guitaut : Guillaume de Pechpeyron. Ce nVtoit pas le ménie que
celui qui avoit arrêté les princes. On appeloit celui-ci le vieux Guitaut,
et l'autre le petit Guitaut.
124 [l65l] MEMOIRES
souvenir de Tamitié qu'elle avoit toujours eae pour moi^
qu elle étoit bien fâchëe de n'avoir pu m'en donner
des marquas , et qu'au moment qu'elle avoit dessein
de m'en dodner de bien sensibles , Monsieur se brouil-
loit avec elle pour l'en empêcher ; que c'étoit ce qui
l'affligeoit le plus -, que quand je ne songerôis pas à
elle par amitié , je devois y penser par mon intérêt par-
ticulier^ que cette brouillerie me seroit tout-à-fait
nuisible. Je dis à M. Servien que j'avois beaucoup de
déplaisir de tout ce qui s'étoit passé ; que j'étois très-
humble servante de la Reine ; que je ferois toujours
tout içon possible pour le lui témoigner -, qu'elle de-
voit considérer qu'il y avoit long-temps que M. le car-
dinal Mazarin vivoit fort mal avec Monsieur ^ qu'à sa
considération il en avoit beaucoup enduré , et qu'il
étoit bien mal aisé à un homme de la qualité de Mon-
sieur de souffrir de M. le cardinal Mazarin le mépris
qu'il en faisoit en toute rencontre.
Je m'en allai rendre compte à Monsieur de cette
conversation 5 les frondeurs de toutes professions
étoient en grand nombre au Luxembourg : ils conseil-
lèrent à Monsieur de m'envoyer chez la Reine, J'y allai,
elle me demanda : a Hé bien ! n'êtes-vous pas bien
<( étonnée de voir que votre père me veuille persécu-
« ter, et chasser M. le cardinal , lui qui Faimoit avec
«( des passions inouïes ? — Monsieur ne hait point M. le
« cardinal , lui répondis-je : il aime le Roi et l'Etat
« comme il le doit^ et persuadé qu'il est du mauvais
<( état des affaires par la connoissance qu'il en a , il
« croit qu*ll ne sert pas le Roi : c'^cst la raison qui
(( l'oblige à souhaiter son éloignement. » La Reine me
répliqua : a Que ne l'a-t-il dit plus tôt ? » Je repartis :
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65l] 1^5
« Le respect qu'il porte à Votre Majesté est cause qu'il
« en a souffert tant qu'il a pu , dans l'espérance qu'il
« avoit qu'il profiteroit des avis qu'il lui donnoit ; lors-
« qu'il a vu qu'il les méprisoit, et qu'il farsoit tout le
« contraire , il a crû être oblige de faire la déclara-
« tion publique qu'il a faite ce matin au parlement ,
« de peur que l'on ne l'accusât un jour d'avoir mal
« servi le Roi. » Je lui témoignai le déplaisir que j'en
avois , et la joie que ce me seroit si l'on poiivoit
trouver un tempérament pour tout pacifier; je lui fis
toutes les civilités et tous les complimèns possibles : à
quoi je me sent ois obligée. La cour fut toute partagée,
et l'on s'étonna fort que M. le duc d'Elbœuf se fût dé-
claré contre Monsieur, à qui il avoit beaucoup d'obli-
gation , et avec qui il avoit traité à la guerre de Paris,
pour l'aversion qu'il avoit pour M. le cardinal Mazarin
lorsqu'il étoit de ses amis : ainsi il faisoit connoître
que l'amitié ou. la haine de Monsieur lui en faisoit
prendre pour les gens. Il vint pour parler de la part
du Roi à Monsieur , qui lui dit : « Les paroles du Roi ,
« qui sont sacrées, nedoiventpoint être portées par
<( un homme fait comme vous : c'est pourquoi je n'en
« recevrai point -, » et le renvoya, avec quantité de pa-
reils discours dont je ne me souviens pas. Le prince de
Tarente , fils de M. le duc de La Trémouille , alla aussi
s'embarquer mal à propos à lever des troupes pour
servir Bordeaux contre M. le prince , lui qui avoit
l'honneur d'être son proche parent : l'on croyoit que
c'étoitM. le landgrave de Hesse , dont il avoit épousé
la fille , qui l'y avoit obligé. Cela fut trouvé fort étrange
de s'offrir à M. le cardinal Mazarin dans le temps que
l'on travailloit à la liberté de M. leprince : je lui en
126 [l65l] BfÉMOIRES
dis mon sentiment. C'est un honnête homme , qui est
mon parent et mon ami. J'avois bien du déplaisir qu'il
eût fait cette faute , qu'il a bien réparée depuis. Il est
vrai que M. le prince avoit manqué envers lui dans
une occasion où il s'agissoit des intérêts de M. de La
Trémouille et de M. de Rohan; il avoit été pour ce
dernier , sans aucune autre raison apparente que parce
qu'il étoit son confident lorsqu'il aimoit mademoiselle
Du Vigean.
J'étois toujours au Luxembourg avec des conseil-
lers, et n'entendois parlera Monsieur que de ce que
l'on faisoit au Palais. Je lui témoignai avoir envie d'y
aller : à quoi il consentit ; j'allai dans la lanterne du
côté du greffe. Ce jour on résolut de nouvelles remon-
trances au Roi pour l'éloignement de M. le cardinal
Mazarin : l'on en avoit fait un jour devant. Je vis en-
core ce jour-là la Reine , qui me fit conter ce qui se
faisoit au Palais ^ je lui fis la plus succincte relation
qu'il me fut possible ; je connoissois qu'elle ne lui étoit
pas agréable. Je la trouvai ce jour-là plus mélancoli-
que qu'elle n'avoit été tous les autres jours : aussi étoit-
ce celui que M. le cardinal Mazarin devoit partir (0.
J'avois fait dessein de me coucher de bonne heure ,
parce que je m'étois levée fort matin : ce que je ne fis
pas. Comme je me déshabillois , on me vint dire qu'il
y avoit grande rumeur dans la ville ^ la curiosité me
prit d'aller sur une terrasse qui est aux Tuileries où
je logeois : elle regarde de plusieurs côtés. Il faisoit
lors beau clair de lune ; je vis au bout de la rue, à une
barrière du côté de l'eau , des cavaliers qui gardpient
(i) Que M. le cardinal Mazarin devoit partir: Mazarin sortit de
Paris dans la nuit d^ 7 'au 8 février.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65l] 1^7
la barrière pour favoriser ]a sortie de M. le cardinal
Mazarin par la porte de la Conférence : les bateliers
se mirent cpntre les cavaliers ^ plusieurs valets et mes
violons allèrent chasser les cavaliers de la barrière:
il y eut quantité de coups de tirés. Comme je voyois
du feu et que j'entendois des coups, j'envoyai pour
faire retirer mes gens : ce qui fut impossible; je n'a-
vois pour lotfs.pas un honnête homme dans le logis:
ils me croyoient retirée. Le grand bruit alla jusqu'à
mon écurie; il vint du monde ^ et ce fut trop tard: il
étoit arrivé du désordre, dont j'eus beaucoup de dé-
plaisir. Ils prirent un prisomiier à cette belle occasion;
il se trouva que c'étoit M. de Roncherolles, gouver-
neur deBellegarde. Je marchandai si je deyois le laisser
aller ; après je songeai que Bellegarde n étoit pas un
lieu où M. le cardinal Mazarin se pût retirer ; j'envoyai
un gentilhomme le quérir, nommé La Guérinière, et
je lui fis force excuses de ce. qui lui étoit arrivé, et
en sa. présence j'envoyai quérir mes gens. Lorsqu'il
les eut vus, il jugea bien qu'ils n'étoient pas auteurs
de ce désordre , et que je n'étois pas en pouvoir de
l'empêcher. Je le fis accompagner pour sa sûreté par
mes gens jusque hors la ville ; il dit à La Guérinière :
« M. le cardinal devoit passer par ici, j'avois un
« homme avec moi : je l'ai envoyé avertir de prendre
a un autre chemin. » L'on avoit pris en même temps
d'Estrades , gouverneur de Dunkerque , en qui M. le
cardinal Mazarin avoit beaucoup de confiance : ce qui
me le fit garder jusqu'à ce que je susse de Monsieur
ce que j'en ferois. J'y envoyai Préfontaine pion secré-
taire l'en avertir , et en même temps que M. le car-
dinal Mazarin étoit sorti , et que mes valets de pied
128 [l65l] MÉMOIRES
lavoient vu passer en habit gris , et qu'il avoit pris le
chemin de la porte de Richelieu. Cet avis n étoit pas
une nouvelle pour Monsieur : il savoit bien que M. le
cardinal Mazarin devoit s'en aller , et il avoit promis
à la Reine que Ton n iroit pas après lui 5 il me manda
de laisser aller M, d'Estrades, que j'avois fait mener
dans le gros pavillon des Tuileries, afin que si l'on ve-
noitme le demander de la part du Roi^je pusse dire:
« 11 n'est plus ici. » Je mandai en même temps à La
Guérinière, à qui je Tavois donné en garde, de le
mener par le Pont-Rouge au Luxembourg. Je trouvai
que Monsieur avoit bien de la bonté de le laisser aller :
s'il l'eût retenu, il étoit maître de Dunkerque ; le lieu^
tenant de roi, nommé Saint-Quentin, étoit- son do-
mestiqué , homme d'esprit , et qui eût bien servi Son
Altesse Royale. J'obéis à ses commandemens : je ne
voulus point voir d'Estrades ; après l'avoir tenu plus
long-temps que Roncherolles , il me sembla qu'il se,
•devoit plaindre de moi, et que les personnes de ma
naissance ne doivent voir les captifs que pour leur
donner la liberté. J'envoyai Préfontaine pour la lui
donner, et lui faire des complimens de ce que je ne
l'avois pas vu,' parce que j'étois déshabillée.
L'on eut peur que le Roi ne partît de Paris : les
bourgeois prirent les armes, et firent garde aux portes.
Comme il y avoit quantité d'officiers des troupes de
M. le prince , et même de leurs cavaliers , ils faisoient
des gardes de cavalerie aux avenues du Palais-Royal,
battoient l'estrade toute la nuit, et arrêtoient les pas-
sans. Un soir que je revenois du Luxembourg, une
vedette m'arrêta -, je lui demandai qui il étoit , il mfe
répondit : « Je suis des chevau-légers de M. le prince,
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65l] 129
K et j'ai, ordre de M. Guitaut de ne laisser passer per-
te sonne. » Je lui dis : a Quoi ! vous ne me connoissez
<( pas? )) Il me dit qu'il me connoissoit bien, qu'il
croyoit que je ne trouverois pas mauvais qu'il obéît
exactement à ce qui lui avoit ëtë commandé *, et enfin
il me laissa passer. Tous les gens du Roi et de la Reine
mouroient de peur de s^en aller : de sorte que Ton
avoit tous les jours cent avis du dessein que Leurs
Majestés avoient de se sauver , et des déguisemens
qu'ils destinoient pour cela*; jamais je n'ai rien vu. dé
si plaisant. Monsieur envoyoit tous les soirs de Sou-
ches , qui étoit à lui , donner le bon soir à^la Reine ,
et avoit ordre de voir le Roi , afin de détromper les
gens qui disoient qu'ils s'en vouloient aller. Jugez
comme ce compliment étoit agréable à la Reine ! L'on
menoit de Souches chez le Roi , qui le voy oit dans son
lit; quelquefois il revenoit deux fois, et même tiroit
son rideau et l'éveilloit : la Reine s'en est bien sou-
venue, et à dire le vrai, ces circonstances ae s'oublient
guère. J'allois pendant ce temps-là tous les Jours au
Luxembourg. Le lendemain que M. le cardinal fut
parti , je trouvai le carrosse de Monsieur dans la cour :
cela me surprit, parce que l'on me dit que c'étoit pour
aller chez la Reine. Il y avoit beaucoup de gens qui
lui conseilloieut de faire cette visite ^ pour moi, je n'é-
tois pas de leur avis , et le priai de toute ma force de
n'y pas aller, et que le péril étoit bien plus grand après
le départ de M. le cardinal ; que quand on Farréteroit
on diroit : « Il ne s'en faut plus prendre à M, le car-
« dinal, il n'y est plus. » Qu'il devoit attendre que
M. le prince fût venu. Il écoutolt volontiers mon avis,
parce qu'il donnoit dans son sens -, il est fort soup-
T. 4i. 9
[iG5i] u^moihes
^onneux, aussi bien que moi : il me semble que l'on ne
sauroit JoISmer ceux qui le sont sur ]a liberté, qui est
$i chère. On lui dîsoil d'ailleurs que la Reine auroit
grand sujet de se plaindre, et qu'elle pou rroit l'ac-
cuser d'avoir de farauds desseins par ses craintes, puis-
qu'il avoit dit que , dès que le cardinal seroit sorti, il
îroit au Palais-Royal; que s'il n'y alloit point, il mon-
Ireroît que ce seroil seulement un prétexte. Comme
il disoit qu'il n'y vouioit pas aller que M. le prince
ne fût venu, les geus raisonnables Irouvtrent qu'il
avoit raison.
La nouvelle de la sortie de M. le prince (>) du
Havre rtîjouit tout le monde ; elle me réjouit double-
ment: jel'étois de sa sortie, et de connoître par elle
le pouvoir que j'avois sur moi d'avoir passé , dt>s que
je l'avois voulu, delaliaineàramitié. Avec cette nou-
velle , celle de l'arrivée du cardinal Mazarin au Davre
vint, et donna assez de matière de songer aux spë-
cutatifs , aussi bien qu'à ceux qui ne Tétoient pas : je
ne sais pas même si Monsieur n'en fut point inquiet.
Quoi qu'i! en soit, il ne laissa pas d'aller an Palais-
Royal. La Reine étoit sur son lit : il s'assit , et lui parla
des affaires; je pense qu'il lui fit quelques complîmens
lorsqu'il y entra. J'arrivai un peu après; nos visites
furent courtes : on est assez embarrassé avec les gens
à qui on sait avoir mis le poignard dans le cœur. Je
connoissois la Reine : je ne pouvoîs douter , après la
manière dont elle m'avoit parlé de M. le cardinal Ma-
zarin toutes les fois qu'elle avoit craint que Monsieur
lataria allii iDi-m^me <l<ilivrcr la
il un< •nli^ uiomphinti: le )6 Ju
SB MADEUOISELLK DK HOMTFBItSIER. [l6Sl] l3r
ne le poussât , des sentimons qu'elle avoit !t l'heure
qu'il l'avoit fait.
M. le prince arriva le lendemaiu ; Monsieur alla Bti
devant de lui jusqu'il SainL-Denis , el de toute la cour
il ne resta au Palais-Royal que des femmes et des mà-
zarins : i'on commença alors à appeler ses amis ainsi.
Tout le chemin depuis Saint-Denis jusqu'à Paris étoit
bordé de carrosses; jamais on n'a vu une joii*si grande
que celle que tout le peuple témoigna de voir M. le
princCi Je fus toute l'après-dinée chez la Reine; elle
enrageoit de voir toute la pi'esse qui ëtoit dans sa
chambre pour le voir arriver, et elle se plaignoit sans
cesse du chaud : la cause lui ëtoit plus fôcheuse à sup-
porter que le chaud même. Elle affecta de paroître
gaie, quoique personne ne le crût et ne se laissât
tromper à cette apparence. Messieurs les princes arri-
vèrent; M. le prince lui fit un compliment assez court,
M. le prince de Conti et M. de Longueviile ensuite;
puis ils se mirent à railler avec la Reine et tout ce qui
ëtoit là de gens, comme si M. le prince eut encore
cté au Havre , et M. le cardinal Mazarin à la cour. Les
rieurs étoient bien de notre côte, et non pas de celui
de cette pauvre Reine, qui tëmoigna en cette occasion
beaucoup de force et de vertu à supporter cette afflic-
tion , et à voir devant ses yeux les plus grands enne-
mis du cardinal Mazarin triomphans de sa perte. Mes-
sieurs les princes all(;rent, au sortir de chez la Reine,
souper au Luxembourg avec Sou Altesse Royale ; ils
vinrent dans la chambre de Madame où j'ëtois, où,
après l'avoir saluée, ils vinrent à moi et me firent mille
complimens; et M. lu prince me témoigna en parti-
culier avoir ëté bien aise lorsque Guitaul lavoit as-
1
l3a [l65lj MÉMOIRES
siirë du repentir qae j*avois d'avoir eu tant d'aversion
pour lui. Les complimens finis , nous nous avouâmes
Taversion que nous avions eue lun pour Fautre ; il
me confessa avoir été ravi lorsque j'avois eu la petite
vérole , avoir souhaité avec passion que j'en fusse
marquée , et qu'il m'en restât quelque difformité; que
rien ne s^pouvoit ajouter à la haine qu'il avoit pour
moi. Je lui avouai n'avoir jamais eu de joie pareille à
celle de sa prison ; que j'avois fort souhaité que cela
arrivât *, que je ne pouvois songer à lui que pour lui
souhaiter du mal. Cet éclaircissement dura assez long-
temps, réjouit fort la compagnie, et finit par beaucoup
d'assurances d'amitié de part et d'autre. Je lui de-
mandai pourquoi il n'avoit point envoyé savoir de
mes nouvelles pendant que j'avois la petite vérole : il
me dit que je m'étois offerte à M. le cardinal Mazarin
contre lui, dans un démêlé qu'il avoit eu avec lui
l'année de la guerre de Paris , au retour de Compiègne,
quand il vouloit que l'on tint la parole à M. de Lon-
gueville de lui donner le Pont-de-l'Arche , qui lui
avoit été promis. Gela fit un grand murmure à la cour ;
l'on le lui donna à la fin , et M. le cardinal Mazarin
faisoit toujours ainsi : il promettoit légèrement, et
quand il en falloit venirà Texécution, il faisoit des que-
relles pour s'en débarrasser ; et après , quand il étoit
bien pressé , il le donnoit d'une manière qu'on ne lui
étoit point obligé. J'avouai à M. le prince que j'avois
eu tort encore plus qu'il ne croyoit , parce que j'avois
prié Monsieur , quasi à genoux , de prendre la pro-
tection de M. le cardinal, et de le pousser à bout.
M. le prince de Conti s'approcha ensuite, et je l'as-
surai que pour lui je n'avois pas eu de joie de sa pri-
DB MADEMOISELLE DK MONTFËNSIER. [i65l] li'i
son , et que j'en avois été touchée : dont il me re-
mercia fort. M. le prince nous conta comme M. le
cardinal Mazarin étoit arrivé au Havre , et qu'il s'étoit
quasi mis à genoux lorsqu'il Tavoit salué ^ qu'il avoit
fait tout son possible pour l'assurer qu'il n'avoit point
de part à sa prison, et que c'avoient été Monsieur et
les frondeurs ; que pour sa sortie, Leurs Majestés l'a-
Toient accordée à ses très-humbles prières. Je ne sais
s'il le crut : au moins ne le témoigna*t-il pas par ses
discours. Us dînèrent ensemble ^ M. le prince dit que
M. le cardinal Mazarin n'étoit pas si en humeur de
rire que lui, et qu'il étoit fort embarrassé : après dîner
ils se séparèrent. La liberté de sortir avoit eu plus
de charmes pour M. le prince que la compagnie de
M. le cardinal Mazarin *, il dit qu'il sentit une mer-
veilleuse joie de se voir hors du Havre l'épée au côté :
il peut aimer à la porter, il s'en sert assez bien. Lors-
qu'il sortit , il se tourna vers M. le cardinal Mazarin,
et lui dit : tt Adieu , M. le cardinal Mazarin , » qui lui
baisa la botte.
Saujon revint d'Allemagne ^ je ne lui dis pas un
seul mot de son voyage -, je me repentois d'avoir con-
senti qu'il l'eût fait, et je ne me souciois plus du sujet
pour lequel il étoit allé le faire. La chose étoit abso-
lument manquée : l'Empereur étoit accordé à la priur
cesse de Mantoue. Je ne .songeai plus à cette affaire
qu'avec beaucoup de regret, pour l'avoir trop affec-
tionnée : et c'est, comme j'ai déjà dit, le vilain endroit
de ma vie; et je puis dire sans vanité que Dieu, qui
est juste, n'a pas voulu donner une femme telle. que
moi à un homme qui ne me méritoit pas.
Monsieur et M. le prince vécurent toujours.en très
l34 [l65l] MÉMOIRES
grande union , et avec la Reine bien , en apparence.
L'on parla peu de temps après da mariage de M. te
prince de Conti avec mademoiselle de Chevreuse:
c'ëtoit nne affaire qne Ton disoit avoir été résolue
pendant la prison de M. le prince;. Ce mariage fit grand
bruit, et Ton envoya des courriers à Rome pour la dis-
pense. M. le prince de Conti ne bougeoitde Thôtelde
Chevreuse ; M. le prince y alloit souvent. L'on envoya
^erir en même temps à Rome la dispense pour que
M. le duc d'Enghien pût tenir les bénéfices que quit-
toit M. le prince de Conti , et qui étoient fort considé-
rables.
Madame de Longueville revint de Stehay -, madame
4e Chevreuse alla au devant d'elle, et faisoit l'hon-
neur de son logis à ceux qui l'alloient voir. J'y allai dès
le soir qu'elle arriva -, nous nous fîmes des amitiés non
pareilles : nous parlâmes fort du passé aussi bien que
de ce que j'avois fait à monsieur son frère , avec moins
de vérité dans les protestations d'amitié : au moins de
mon côté je n'en avois pas beaucoup pour elle. Dès ce
jour-là nous fîmes mille parties de nous divertir et de
nous voir souvent, et toutes deux en dessein de n'en
lien faire : nous n'étions pas de pareille humeur. Ma-
dame la princesse revint de Montrond peu de temps
après; je l'allai voir, elle me parut ce jour-là plus
habile qu'à l'ordinaire : à dire le vrai, j'y restai peu 5
elle étoit si transportée de joie de voir beaucoup de
Inonde chez elle , que hors de son naturel elle se sur*
inontoit elle-même.
11 se passa Mne grande affaire à la cour la semaine
4e la Passion. Monsieur et M. le prince furent deux
îonfs 9sm voir la Reine ; l'on dta les sceaux à M. de
DE MADBMOISKLLK DK MONTPfilfSIER. [l65l] l3S
Ghâteauneuf , et onlea donna à M. de Mole, premier
président an parlement de Paris ; Ton rappela M. le
chancelier qui était exilé , et M. de Chavigny qui avoit
été arrêté au bois de Yincennes après les Barricades^
et qui,, depuis en être dehors, avoit été exilé en ses
Biaisona. Il y eut beaucoup de changemens et d m-r
triguea, desdUelles je ne dirai rien, non pas faute de
m'en souyenir, puisqu'il y a si peu de temps que cela
s'est passé : mois c'est qu il y avoit trop^ de gens que
j'aime qui ne trouveroient pas leur place aus^i avan-
tageuaeraent eu ce Keu qu'ils \e feront ailleurs *, et où
il me semblera que n^es. amis auront manqué , j'aime
fliieux n'en dire rien que de le^ blâmer. Monsieur fut
la dupe de toute cette affaire.
La disgrâce de M. de Châteauneuf „ qui étoit fort ami
de madame de Ghevreuse , fit craindre que le mariage
ne se rompit, dans l'opinion commune que quand le
malheur tombe sur une cabal^e, tout suit. L'on vit
bientôt l'effet de cette prédiction: il fut rompu sur les
articles ; jamais M. le prince de Conti ne témoigna être
si gai. Madame la princesse fut grièvement malade
d'une érésipèle qui lui rentra, et qui fit dire à beau-
coup de gens que si elle mouroit, je pourrois bien
épouser M. le prince. Cela vint jusqu'à moi, j'y rêvai;
çt le soir, que je me promenois dans ma chambre avec
Préfontaine, je raisonnai avec lui là-dessus*, je trouvai
que la chose étoit fort faisable , par la grande union
qui étoit entre Monsieur et lui ,^ et par l'aversion que
la Reine avoit pour Monsieur , qui rendoit te mariage
du Roi impossible. Ainsi je trouvai que les grandes
qualités de M. le prince , le mérite qu'il s'étoit acquis
par ses grapdes actions , lui donnoient tout ce qui lui
1.36 [l65l] MÉMOIRES
eût pu manquer : pour la naissance , nous sommes de
ipéme sang. Je songeois aussi que la cour ne consen-
tiroit point à Funion de nos deux maisons (je dis de
nos deux branches , puisque nous sommes de même
nom ) 9 parce que Monsieur , outre ce qu il étoit dans
TEtat , soutenu et poussé par M. le prince , seroit bien
redoutable. Les trois jours querextrémitéde madame
la princesse dura, ce fut le sujet de. mon entretien
avec Préfontaine ; je ù'en eusse point parle à d'autres.
Nous agitions toutes ces questions , et ce qui m'en
donnoit sujet, outré ce que j'en entendois dire , c'est
que M. le prince venoit me voir tous les jours. La gué-
rison de madame la princesse fit finir le chapitre , et
à l'instant l'on n'y pensa plus.
J'allai deux jours à Nemours avec Son Altesse
Royale ; j'y menai avec moi la plus agréable compa-
gnie et la plus belle , qui étoit quasi toujours avec moi.
C'étoit madame de Frontenac et mesdemoiselles de
La Loupe, toutes trois jolies et spirituelles : nous ne
faisions que danser , et nous promener à pied et à
cheval. J'allai plusieurs fois cette année au Bois-le- Vi-
Comte ^ Remecourt , fille d'honneur de Madame , y
venoit : elle étoit boutfonne , et son esprit étoit tout-
à-fait tourné à la raillerie ; elle aimoit le monde , et
cependant elle le quitta bientôt : peu après elle s'alla
rendre carmélite au grand couvent à Paris. Elle iie
suivit pas l'exemple de madame de Saujon: elle y est
demeurée la meilleure religieuse du monde.
Le parlement s'assembloit et décrétoit contre Bartet,
Brachet et l'abbé Fouquet, ambassadeurs ordinaires
de M. le cardinal Mazarin vers la Reine. Liron en étoit
aussi. M. de Mercœur déclara un jour en plein parle-»
D£ MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65l] iZ'J
ment son mariage avec mademoiselle de Mancini de
la plas sotte manière du monde, et telle que je ne
m'en suis pas souvenue , parce qu il n'étoit pas tourné
d'un ridicule plaisant. Tout ce que Ton peut dire de
son mariage, c'est qu'il n'ëtoitpas intéressé; ill'épousa
dans le fort des malheurs de M. le cardinal Mazarin.
M. le prince fit arrêter près de Chantilly un valet
de chambre de M. le cardinal Mazarin , qui venoit
d'auprès de lui, chargé de quantité de lettres pour la
cour. Il les fit mettre entre les mains duparlement; en-
suite il fut mené à la Conciergerie. Les lettres ne furent
point lues : l'on porta le respect dû aux personnes à
qui elles s'adressoient , et ce même resppct empêcha
que l'on ne poussât cette affaire plus avant. Après que
ce valet de chambre eut été quelque peu de temps
dans la Conciergerie, la Reine le fit sortir. M. le prince
eut un grand soupçon d'une conférence qui s'étoil
faite chez M. de Montrésor, où étoient le coadjuteur ,
M. Servien et Lionne ; l'on lui donna avis que l'on le
vouloit arrêter : de sorte qu'il s'en alla la nuit à Saint-
Maur, qui n'est qu'à trois lieues de Paris. Cela surprit
assez la cour : l'on négocia pour le faiçe revenir, et Mon-
sieur, qui étoit toujours fort bien avec lui, s'en entre-
mit. Il envoya un gentilhomme au parlement , que M. ]e
prince de Conti présenta à la compagnie , à laquelle
il donna une lettre de M. le prince, par laquelle il
donnoit avis au parlement qu'il s'étoit éloigné de Paris;
qu'il ne s'y croyoit pas en sûreté tant que MM. Ser-
vien , Le Tellier et Lionne seroient auprès de la Reine;
qu'ils étoient créatures de Mazarin. Le parlement dé-
puta vers le Roi , pour le supplier de rappeler M. le
prince auprès de lui , et pour cela ôter tous les em-
i38 [i65i] MéiioiHEs
péchemens à son retour. La Reine fut assez long-temps
sans s'y pouvoir résoudre \ elle jetoit feu et flamme ^
et disoit incessamment qu'elle n ëloigberoit point les.
trois personnes que Ton demandoit. Néanmoins ell€
le fit , et M. le prince revint à Paris , où il fut quelque
temps sans voir le Roi ni la Reine : ce qui ëtoutaoit
fort le luonde. I^e Roi s'alloit baigner tous tes jours ,
et revenoit par le Cours, où il rencontra un jour M. le
prince : la Reine trouva fort mauvais qu'il se présen-
tât en des lieux où étoit le Roi sans avoir été chez lui..
Monsieur l'y menst une fois.
Peu après Monsieur s'en alla à Limourspour quelque
léger mécontentement. Il y demeura peu ; M. le prince
s'employa pour le faire revenir. Je me souviens que la
Heine me commanda d'aller à Limours ^ elle me prêta
inéme son carrosse et ses petits chevaux isabelles
pour me servir de relais, afin que je ne perdisse pas,
un jour l'occasion d'aller au Cours. Lorsque je revins,
je trouvai le président Mole dans un carrosse de M. le
prince qui y alloit 5 et Monsieur revint ensuite.
La princesse palatine abandonna M. le prince sans
#ujet \ elle en prit le prétexte sur ce qu'il avoit manqué
d'aller au Palais un jour que l'onjugeoitun procès
qui la r^gardoit. Véritablement il y avoit huit jours
qu'il y alloit tous les matins à cinq heures. Ce qui
Tempécha de se trouver au jugement , c'est qu'il avoit
la fièvre et avoit été saigné deux fois : elle prit cela
pour une mauvaise excuse. Elle s'attacha tout-à-fait à
ja Reine et à M: le cardinal Mazarin. Bartet étoit rési-
dent du roi de Pologne son beau-frère , et fort bien
^ec elle. Madame de Choisy avoit grand commerce
gvcc eux : elle avoit toujours été servante de la reine
DE MADEMOISELLE DE MQNTFEIISIER. [l65l] iSq
de Pologne ; la palatine alloit souvent à son logis : son
humeur ëtoit propre à toutes sortes de divertissemens.
Madame de Choisy me vint trouver un jour , et me
dit qu'elle avoit une afikire considérable à me dire ]
j'entrai dans mon cabinet , çlle commença : « Je viens
« £ûre votre fortune. » Je lui dis : « Ce discours est
« assez bizarre à faire à une personne comme moi :
« il n'en est cependant pas ainsi* lorsque cela vient
« de madame de Choisy. )> Et je ris un peu à ce com-
mencement de discours sérieux,' Elle poursuivit :
« C'est que Bartet , qui m'honore à cause de ma reine
« de Pologne , et qui pour l'amour d'elle me voit sou-
te vent , me dit hier : Qu'est-ce que votre Mademoi-r
« selle se propose ? quel est son caractère? Je lui ré-
« pondis que vous étiez une fort honnête personne ,
« et plus habile qu'on ne pensoit 5 il s'écria : Je la
H veux faire reine de France. Je lui répondis : Si voui
« le faites , je vous promets le Bois-le-Vicomte. » Je
l'écoutois avec beaucoup d'attention , et je navois
garde de l'interrompre. « Vous savez , continua-t-elle,
« que ces sortes de gens sont les patrons de la cour ,
ic qu'ils font tout faire au cardinal -, et lui est le maître
« de l'esprit de la Reine : ainsi j'ai bonne opinion de
« l'affaire. » A cinq ou six jours de là elle me revint
voir, et me dit: « La princesse palatine, qui est in-
« comparablement plus habile et plus puissante que
« Bartet , se veut mêler de notre affaire 5 elle est
« gueuse : ainsi il faut que vous lui promettiez trois.
« cent mille écus si elle la fait réussir. » Je disois oui
à tout. <( Et moi, je veux que mon mari soit votre
« chancelier. Nous passerons bien le temps -, la pala-
« tine sera votre surintendante, avec vingt mille écus
l4o [ 1 65 1] MÉMOIRES
<i d'appoiiitemens ; elle vendra toutes les chargés de
« votre maison : ainsi je juge que votre affaire est in-
« faillible , par le grand intérêt qu'elle y aura. Nous
« aurons tous les jours la comédie au Louvre;. elle
a gouvernera le Roi. » On pouvoit juger quel charme
c'étoit pour moi de me proposer une telle dépendance,
comme le plus grand plaisir du. monde. « Le Roi,
tt dit-elle ensuite,, sera majeur dans quinze jours;
« huit jours après vous serez maries. » Quoique je ne
soi^ point de trop fausse; croyance, je n'en savois que
croire ; elle ajoutoit : a La palatine ira proposer cette
<( affaire à Monsieur , et leretour du cardinal en même
« temps; il accordera le dernier, par la joie qu'il aura
« de. l'autre. » Je lui répondis que j'en doutois; que
je connoissois l'engagement de Monsieur au contraire,
et le peu de considération et d'amitié qu'il avoit tou-
jours eu pour moi lorsqu'il s'étoit agi de quelque éta-
blissement. Elle me répondit ; « Il faudroit qu'il fut
« bien fou pour n'accorder pas le retour du cardinsd
« à cette condition; et quand il ne Taccorderoit pas ,
« la palatine, de qui l'intérêt est en votre aflfeire,
n persuadera au cardinal qu'elle lui est nécessaire,
n et il la croira. » Je lui répondis que je ne la croyois
point. Bartet proposa à madame de Choisy de me
venir voir un soir en cachette , et qu'il voyoit bien la
Reine de cette même façon : je ne le voulus pas abso-
lument.
M. le prince s'en alla à Chantilly quelques jours
avant la majorité du Roi , et de là à Saint-Maur : ma-
dame la princesse et madame de LongueviDe étoient,
il y avoit quelques mois, à Montrond. M. le prince ne
vint point à la cérémonie de la majorité du Roi : j'alr
DE MADEMOISELLE. DE MONTPENSIER. [l65l] 1 /^l
lai le voir passer à l%6tel de Schomberg , et ensuite
au Pdais dans la lanterne -, je menai .avec moi la Reine
d'Angleterre, quiétoit inconnue. La princesse palatine
y vint aussi -, elle me parla de Taffairede madame de
Choisy comme si elle eût dû être achevée dans deux
jours. Avant la majorité , on fut se promener sept ou
huit fois , et j'allois à cheval avec le Roi ; madame de
Frontenac m'y suivoit. Le Roi paroissoit prendre grand
plaisir à être avec nous , et tel que la Reine crut qu'il
étoit amoureux de madame de Frontenac', et là-dessus
rompit les parties qui étoient fipiites : ce qui faicha le
Roi au dernier point. Comme on ne lui en disoit pas
la raison , il offroit à la Reine cent pistoles pour les
pauvres toutes les fois qu'il iroit promener. 11 croyoit
que ce motif de charité surmonteroit sa paresse : ce
qu'il croyoit qui la faisoit agir. Quand il vit qu'elle re-»
fusoit cette offre , il dit : a Quand je serai le maître,
« j'irai où je voudrai ; et je le serai bientôt. » 11 s'en alla.
La Reine pleura fort, et lui aussi -, l'on les raccommodai
La Reine lui défendit de parler à madame de Fron-
tenac , et lui dit qu'elle étoit parente de M. de Cha»
vigny , qui étoit ami de M. le prince. Je crois que la
plus véritable raison de cette défense étoit dans la
crainte que le Roi ne s'accoutumât trop à moi, et
qu'avec le temps , soit par ce que lui diroit madame
de Frontenac , ou par habitude , il ne vînt à m'aimer ;
et que s'il m'aimoit, il ne connut que j'étois le meilleur
parti de toutes celles que Ton lui pouvoit donner, hors
l'infante d'Espagne. Madame de Choisy me vint conter
tout ce qui s'étoit passé entre le Roi et la Reine. Bartet
le lui avoit dit, afin que je ne parlasse plus de prome-
nade, de crainte de déplaire à la Reine. L'on ne laissa
1 4^ [ 1 65 1 ] MÉMoiàEA
p^ d aller encore une fois se proniener k cheval ^ et
le Roi n'approcha ni de madame de Frontenac ni de
moi, et baissoit toujours lés yeux lorsqu'il passoit de-
vant nous. Je vous avoue que j'en fus fort fâchée ; je
faisois plus de fondement sûr la manière avec laquelle
le Roi en agissoit avec moi et le plaisir qu'il prenoit
en ma compagnie, que sur la négociation de madame
de Ghoisy : et cette voie d'être reine m'étoit pItM
agréable que lautre.
L'on ôtapour la seconde fois les sceaux à M. le chan-
celier, et on les donna à M. le premier président; Ton
éloigna M. le chancelier. L'on fit aussi M. de La Vieu-
ville surintendant ; ]\Ionsieur le trouva mauvais, et
jfut quelques jours sans voir la Reine. 11 alloit tous les
jours chez le Roi : le Roi l'y mena -, il ne vouloit plus
aller au conseil. J'étois ravie quand Monsieur se mu-
tinoit avec la cour, dans l'espérance que cela le ren-
droit plus considérable ; ce ravissement duroit peu : il
étoit aussitôt adouci. Je n'étois point fâchée de ce que
M. de La Vieuville étoit surintendant, parce que c'é-
toit une marque de l'autorité de la palatine : ce qui
me faisoit croire qu elle en pouvoit donner d'autres,
M. de La Vieuville lui avoit donné beaucoup d'ar-
gent j de plus, le chevalier son fils étoit son galant : de
sorte que l'on peut dire que deux passions Tavoient
fait surintendant. Il ne se passa presque rien après la
majorité : le Roi demeura à Paris, d'où il partit pour
le voyage de Berri. Quoique j'eusse accoutumé de
suivre la Reine à tous les voyages qu'elle faisoit , dans
l'état où Monsieur étoit avec elle , ni l'un ni l'autre
ne me disant rien, je ne me disposai pas à partir. Le
sçir, la Reine n^e témoigna être fâchée que les aQaires
DÉ itlDBlltOISELLE DE MO^TPBNSIER. [l65l] 10
ne fussent pas de manière que je la pusse suivre :
ainsi je pris congé d'elle avec regret en]ce moment-là ^
par la grande habitude que j'#vois à la suiTrc. Un
quart-d'beure après , je n y songeai plus ; j'ëtois
étourdie de toutes les •nouveautés qui plaisent aux
Français , et surtout aux jeunes personnes, qui ne font
jamais de solides réflexions, et qui ne conçoivent des
espérances que sur des chimères. Voilà la véritable
situation où j'étois.
On alla droit à Bourges , et on assiégea la tour , qui
tint quelque temps ; comme elle fut prête à se rendre,
M. de Longueville, qui étoit resté à Montrônd de^
puis le départ de madame la princesse pour Bordeaux,
se sauva avec M. le prince de Conti, M. de Nemours,
et beaucoup d'autres personnes considérables de leur
parti. Lorsque la cour eut pris la tour de Bourges ,
elle la fit abattre , et s'en alla à Poitiers, pendant que
l'armée, commandée par M. le comte d'Harcourt,
composée des meilleures troupes du Roi , s'opposoit
à une poignée de nouvelles milices, à la tête des*
quelles étoit M. le prince. Us se battirent plusieurs
fois sans pertes considérables ^ ils prenoient et repre*
noient des ponts sur la Charente , et tout autre que
M. le prince auroit été défait à la première rencontre
par M. d'Harcourt, qui est le plus généreux et le plus
brave homme du monde : à dire le vrai , M. le prince
est aussi généreux que lui , et incomparablement plus
capitaine.
M. de Gaucour étoit demeuré auprès de Monsieur
pour y ménager les intérêts de M. le prince ; il sou-
haitoit fort d'engager Monsieur à se déclarer ouver-
tement. J'avois oublié de dire que le roi d'Angle*
t44 [i65i} mémoires
terre passa par la France pour s'en aller en Ecosse , et
que la Reine sa mèreFalla voir à ^eauvais; à son re^
tottr elle me dit : « Leifloi mon fils est incorrigible , il
<( vous aime plus que jamais: je Ten ai fort gronde; »
et souvent elle me parloit de lui. 11 àvoit mis sur
pied une armëe considérable, qui étoit entrée en
Angleterre : elle étoit deux fois plus forte que celle
de ses ennemis; cependant, par je ne sais quel mal-
heur qui raccompagne en tout jusqu'à cette heure ,
après avoir fait les plus belles actions qui se pussent
faire, il fut défait à plate couture, et contraint de se
sauver. La* nouvelle de ce désastre arriva à Paris à la
Reine sa mère , que tout le monde alla consoler ; et
ce qui augmentoit davantage sa douleur , c'est qu^eUe
ne savoit s'il étoit mort ou prisonnier. Cette inquié-
tude ne dura pas long-temps : elle apprit qu'il étoit à
Rouen, et qu'il venoità Paris; elle alla au devant de
lui. Il y avoit quelque temps que je n'osois sortir :
j'avois une fluxion au visage ; je crus qu'en cette oc-
casion je ne pouvois m'en dispenser : c'est pourquoi
j'allai le lendemain chez la reine d'Angleterre sans
être coiffée. Elle me dit : « Vous trouverez mon fils
« bien ridicule; pour se sauver, il a coupé ses che-
« veux, et a un habit fort extraordinaire. » Dans ce
moment il entra ; je le trouvai fort bien fait , et de
beaucoup meilleure mine qu'il n'avoit devant son
départ, quoiqu'il eût les cheveux courts et beaucoup
de barbe : ce qui change les gens. Je trouvai qu'il
parloit fort bon français. Il nous conta qu'après avoir
perdu la bataille, il repassa avec quarante ou cin-
quante cavaliers au travers de l'armée ennemie 'et de
la ville, au-delà de laquelle s'étoit donné le combat;
DE HADEMOISELLI^ DB MONTQI^lïSXER. [l65l] l45
qu'après cela il les avoit tous congédies, et étoit de^
meorë seul avec un milord ; qu'il avoit été long-temps
sur un arbre, ensuite dans la maison d'un paysan, où
il avoit coupé ses cheveux ^ qu'un gentilhomme qu il
avoit reconnu sur le chemin l'avoit mené chez lui,
où il avoit séjourné ^ et qu'il avoit été à Londres avec
le frère du gentilhomme, derrière lui en croupe^
qu'il y avoit couché une nuit , et avoit dormi dix
heures avec la dernière tranquillité^ qu'il s'étoit mis
dans un bateau à Londres pour aller jusqu'au port, où
il s'embarqua , et que le capitaine du vaisseau Favoit
reconnu : ainsi il arriva à Dieppe. Il me vint conduire
jusqu'à mon logis par cette galerie dont j'ai parlé au
commencement de ces Mémoires, qui va du Louvre
aux Tuileries -, et le long du chemin il ne nde p^rla que
delà misérable vie qu'il avoit menée en Ecosse; qu'il
n'y avoit pas une femme ; que les gens y étoient si
rustres, qu'ils croyoient que c'étoit ua péché d'en-
tendre des violons ; qu'il s'y étoit furieusement en-
nuyé; que la perte de la bataille lui avoit été moins
sensible , .sur l'espérance de venir en France , où il
trouvoit tant de charmes en des personnes poiir qui
il avoit beaucoup d'amitié. 11 me demanda si l'on ne
commenceroit pas bientôt à danser : il me parut, par
tout ce qu'il me disoit, un amant timide et craintif,
qui ne m'osoit dire tout ce qu'il sent oit pour moi, çt
qui aimoit mieux que je le crusse insensible à ses
malheurs que de m'en ennuyer par le récit. Aux au-
tres personnes il ne pari oit point de la joie qu'il avoit
d'être en France, ni de son- envie de danser. Il ne
me déplut pas ; et vous le pouvez voir par la favo-
rable explication que j'ai donnée à <:e qu'il me dit en
T. 4^' lO
l46 [l65l] MéMOIRES
assez mauvais français. A la seconde visite qu'il me
rendit, il me demanda en grâce de lui faire entendre
ma bande de violons, qui étoit fort bonne: je les
envoyai quérir, et nous dansâmes; et comme cette
fluxion dont j'ai parlé m'obligea à garder le logis toat
l'hiver, il yenoit tous les deux jours me voir, et nous
dansions. Tout ce qu'il j avoit de jeunes gens et de
jolies personnes à Paris y venoient 5 il n'y avoit de cour
à faire à personne qu'à moi : la Reine n'ëtoit pas à
Paris, et Madame avoit une santë si incertaine, que
cela l'empêcha d'aimer à voir le monde ni aucuns
plaisirs. Nos assemblées étoîent asset jolies pour les
nommer ainsi; elles cominençoient à cinq ou six
heures , et finissoient à neuf. La reine d'Angleterre y
vint souveiit.^Un soir elle me surprit, et vint souper
avec moi ; elle y amena le Roi son fils et M. le duc
d'Yorck. Quoique mon ordinaire fût aussi bon que le
sien , les maisons royales sont toutes faîtes les unes
comme les autres ; je fus fâchée de ne lui avoir pas
fait m^leure chère. Après souper , on joua à de pe-
tits jeux : ce qui fut cause que l'on prit résolution de
continuer, et de partager le temps entre la danse et
le jeu.
Le roi d'Angleterre faisoit toutes les mines que l'on
dit que tous les amans font. Il avoit de grandes défé-
rences pour moi , me regardoit sans cesse , et m'en-
tretenoit tant qu'il pouvoit : il me disoit des douceurs,
à ce que m'ont dit des gens qui nous écoutoient, et
parloit si bien français lorsqu'il me tenoit ces propos-
Jà, qu'il n'y a personne qui ne doive convenir que
l'Amour étoit Français plutôt que de toute autre na-
tion. Quand le Roi parloit ma laàgue, il oubKoit la
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65l] l47
sienne, et n'en perdoit 1 usage qaavec moi. Les autres
ne Tentendoient pas si bien.
Comme la princesse palatine fut prête à partir pour
Poitiers^ elle désira me voir ailleurs que chez moi. Je
fus long-temp^ à song^ comment cela se pourroit
faire : je n'avois que les fêtes et dimanches. J'allois à la
messe aux FeuîUans' par le jardin des Tuileries ; je
m'imaginai que je la rencontrerois par ce chemin-là
par hasard, que je Faccosterois, et que nous parlerions
ensemble : cela réussit. Nous eûmes une longue con-
versation; elle me fit de grandes promesses, et vouloit
m'en persuader la vérité par la force de son raisonne*
ment : à quoi j'avois grande peine d'ajouter foi ; elle
me parla fort du roi d'Angleterre, de qui son mari
est cousin-germain ; et par cette raison il auroit trouvé
beaucoup à redire s'il avoit eu connoissance qu'elle
m'eût fait des propositions contraires au dessein qu'il
avoit, et dont le succès lui seroit si avantageux. Ma-
dame de Choisy arriva là-dessus , laquelle dit : k II
« ne faut point absolument que Mademoiselle voie si
« souvent le roi d'Angleterre : cela fera un mauvais
c( efiet à la cour. » La princesse palatine dit que cela
seroit ridicule, et que je devois vivre avec lui à mon
ordinaire. En ce temps-là j'écrivois quelquefois à la
Reine , qui me faisoit réponse -, j'écrivis aussi à M. le
chevalier dé Guise, mon oncle, avec beaucoup de
zèle pour la cour : je croyois que l'on ouvroit les
lettres à la poste , comme j'avois vu que l'on avoit fiât
au voyage de Bordeaux, et qu'ainsi on verroit les
bonnes intentions que j'avois, et que l'on m'cnsw-
roit gré.
Madame de ChâtiUon étoit à Paris, laquelle avoit
lO.
l4B ' [l65l] MEMOIRES
eu toute sa vie peu de commerce avec moi, à cause
de rattachement qu'elle avoit à feu madame la pria-
cesse : eUe avoit Thonneur d'être sa parente. Elle dé-
sira de me voir , et dit à la marquise de Mouy, femme
du premier ëcuyer de Monsieur, et* qui mie voyoit
très-souvent (elle étoit aimable de sa personne et par
son esprit), de savoir de moi si je trouvois bon qu'elle
me fit sa cour avec assiduité* Gomme c'est une per-
sonne de grande qualité , fort belle et de bonne com^
pagnie, j'en fus fort aise -, je crois que je le désirois
. par le cas qu'elle faisoit de moi ; je pense aussi qu'elle
étoit bien aise d'être de quelque partie , parce que
l'on s'ennuie bien quand on n'est de rien. M. de Ne-
mours étoit de ses adorateurs le plus considérable; et
comme il étoit à Bordeaux , elle, n'en avoit point : de
sorte que je crois que cela l'ennuyoit fort, et qu'elle
étoit persuadée que le roi d'Angleterre lui échappe-
roit mal aisément quand elle voudroit lui plaire. Elle
ne jugeoit pas que les sentimens qu'il avoit pour moi
l'en dussent empêcher, puisqu'en cela il n'avoit d'autre
dessein que de se marier à un parti avantageux. Elle
venoit fort souvent à nos divertissemens , et faisoit
mille flatteries : elle est naturellement la plus flatteuse
personne du monde, et elle tâchoit fort à me per-
suader l'attachement qu'elle avoit pour moi.
Pendant que toutes ces choses se passoient, la
reine d'Angleterre me parla un jour du mariage de
son fils, et me dit que la manière dont son fils et elle
avoient toujours vécu avec moi ne leur permettoit pas
d'en parler à' Monsieur sans savoir si je l'avois agréa-
ble-, qu'en un temps où il auroit été plus heureux,
il eût fait la proposition à Monsieur sans me le de-
DE MADEMOISELLE DE MÔNTPEIfSIRR. [l65l] l49
mander, persuade qu il n y avoit rien en sa personne
qui me déplût; que maintenant qu'il y avoit tant à
dire à sa fortune si je voulois de iuî, il youloit tenic
cela de ma générosité, et non de Monsieur. Je lui ré-
pondis que Fétat auquel j'étois étoit si heureux , que
je ne songeois point à me marier ; que j'étois con-^
tente du rang qtie j avois et du bien que je possédoîs ^
que je n'avois'riiîn À désirer, et qu ainsi j'avois peine
à me marier ; que je recevois avec tout le respect que
je devois cette proposition ; que cependant je lui de^
mandois du temps pour y songer. Elle me dit qu'ell^^
me donnoit huit jours , et qu'elle me prioit de consi-
dérer que je seiN>is toujours, maîtresse de mon bien ,
quoique je fusse mariée-, que le Rolson fils vivroit avec
son train des deux cent mille^icus qu'il tîroit tant d'An-
gleterre que dje ce que le Roi lui donnoit *y que ja se-
rais reine , et la plus heureuse personne du monde par
la tendresse et l'amitié que.le Roi son fils auroi^pour
moi-, qu'il y avoit plusieurs princes; en Allemagne qui lui
promett oient de grands secours; qu'il avoit une grande
faction en Angleterre, et que lorsqu'on verrqit qu'il
auroit une alliance si considérable, cela^ lui serviroit
beaucoup; qu'avec cela et les secours qu'il espéroit,
il pourroit promptement se irétablir en ses Etats. JNolr«
conversation finit ainsi.^
Le roi d'Angleterre me diaoit souvent : « La Reine
« a grande impatience de vous voir. » Et.moi je ne
me hâtois point de lui faire réponse : je ne savois q(ie
lui répondre. Elle mé vint voir un jour, et me dit:,
« Ma nièce , j'ai su qu'il y avoit eu pour vous quelque-
ce espérance d'épouser le Roi , et qu'il y a eu une né-
a gociation en campagne pour cela *, je vous assure-
l5o [l65l] MÉMOIKES
« que mon fils et moi ne prétendons point la traver-
« ser , et que nous vous feisons justice , persuadés
« qu'il vous est plus avantageux d'être reine de
a France que d'Angleterre : c'est pourquoi nous ne
a vous pressons pas ; promettez-nous seulement que
f( si ce dessein ne réussissoit pas , vous feriez notre
« affaire.» Je lui dis que je ne savois ce. qu'elle vooloit
dire , que je n'en avois jamais ouï parler ; que pour
mStrque de cela , je consentois qu'elle parlât à Mon-
sieur. Je ne croyois pas trop m'engager y je savois que
Monsieur ne désiroit pas ce mariage : je ne sais si c'é-
toit parce que l'état où étoit le roi d'Angleterre ne de-
voitpasl'y faire consentir, ou l'aversion qu'il a tou-
jours eue de me voir établie. Milord Germain , qui est
ministre de la reine d'Angleterre et du Roi son fils, me
venoit voir souvent, et raisonnoit fort avec moi sur
cette affaire *, elle l'envoya peu de temps après me dire
qu'elle s'en alloit au Luxembourg pour parler à Son
Altesse Royale: à quoi je consentis, comme j'avois
déjà fait ; et cela me parut aussi fort civil de n y avQir
pas voulu aller sans m'en faire encore parler. J'y allai
aussi: la reine d'Angleterre parla à Monsieur, lequel
me dit 'ensuite ce qu'elle lui avoit dit, et ce qu'il lui
avoit répondu , savoir : que je n'étois pas à lui , que
j'étois au Roi et à l'Etat ; qu'il falloit le consentement
de Sa Majesté; et qu'il lui avoit fait une civilité sur
l'honneur que le Roi son fils et elle me faisoient. Je
lui témoignai être bien aise qu'il eût fait une réponse
qui ne concluoit rien , parce qu'en l'état où étoit l'An-
gleterre, je naurois pas été heureuse .d'eu être reine.
Gomme je fus de retour à mon logis, le roi d'Angle-
terre y vint; il croyoit l'afl&ire faite, parce qu'il étoit
DE lf4DElfOISCLLK DE M OlfTPEKSIEB . [l65l] l5l
persoad^ qu'il n'y avoît aucun obstacle du côté de la
cour, n me tënoigna la joie qu'il avoit de la favorable
réponse que Monsieur avoit faite à la Reine sa mère ;
ce qui lui donnoit lieu d'oser me parler de son^ des-
sein ; que jusqu'à cette beure il s'étoit contenté de
laisser parler la Reine sa m^e. Et sur cela il me tint
force beaux discours : qu'il auroit fdus de désir que
jamais de rentrer dans ses Etats , puisqu'il partageroit
sa bonne fortune avec moi : ce qui la lui rendroit plus
agréable. Je lui répondis que s'il n'y aUoit lui-même ,
il seroit difiicile qu'il parvint à les ravoir sitôt. 11 me
répliqua : « QucÀ ! dès que je vous aurai épousée ^
« vous voulez que je m'en aille ?» Je lui dis : a Oui,
« si cela est , je serai pins obligée que je ne suis de
a prendre vos intérêts; je vous verrois ici avec dou-
« leur dansant le triolet et vous divertir, lorsque vous
« devriez être en lieu où vous vous fissiez casser la
« tête, ou vous remettre la couronne dessus. » J'ajou-
tai qu'il seroit indigne de la porter s'il ne l'alloit quérir
à la pointe de son épée, et au péril de sa vie. Madame
d'Epemon ^ qui souhaitoit cette aiTaire avec passion y.
avoit beaucoup de joie de nous vqir entretenir. Je fus
un peu malade : il me venoit voir , et envoyoil sou-
vent savoir de mes nouvelles avec les derniers soins.
Quoique je n'eusse point de hâte de la conclusion de
cette affaire , je recommençai néanmoins les bals à
l'ordinaire. Madame la comtesse de Fiesque la mère
^moignoit grande amitié pour le roi d'Angleterre , et
di&oit qu'il falloitle faire catholique, et me prioit sans
cesse de lui en parler. Je le fis une fois; il me ré-
pondit qu'il feroit tout pour moi; que, pour me sa-
crifier sa conscience et son saAit, il fdloit que je m'enr
l5a [ï65l] MÉMOIRES
gageasse à Taffaire dont il m'avoit tant parlé, et qu'à
moins de cela il n'en feroitrien. Madame la duchesse
d'Aiguillon, nièce de feu M. le cardinal de Richelieu,
fort dévote, et toutefois fort de la cour, me pressoit
terriblement de lui promettre de l'épouser s'il se faisoit
catholique 5 que j'y étois obligée , et que je serois res-
ponsable devant Dieu du salut de son ame. Milord
Montaigû vint voir madame' la comtesse de Fiesque
pour chercher avec elle le biais, afin de m'engager en
cette affaire d'une manière que je ne pusse m'en dé-
fendre ; et comme je vis celaf^ je connus que la cour
Ja souhaitoit , afin de ruiner Monsieur de toutes fa-
çons , et lui donner une alliance qui ne pouvoit être
utile dans la conjoncture présente. J'en parlai à Cou-
las au Luxembourg ] il me dit qu'il m'en viendroit
entretenir à loisir un matin. Il y avoit eu comédie
chez moi; le roi d'Angleterre y étoit venu ce jour-là
sans que je lui en eusse parlé, de sorte qu'il s'en
plaignit. Je ne m'en souciai point : et cela fit qu'il fut
quelques jours sans venir chez moi, pendant lesquels
Germain me demanda audience. Je lui donnai heure
pour le lendemain au matin : il arriva comme Goulas
étoit dans mon cabinet; il ne voulut pas entrer, et
attendit. Goulas m'allégua le misérable état où je se-
rois si j'épousois le roi d'Angleterre -, et quoique
j'eusse de grands biens , je n'en avois néanmoins pas
assez pour subvenir à une guerre telle qu'il falloit qail
la fît ; et quand il auroit vendu tout mon bien , et qu'il
n'auroit pas reconquis son royaume, je mourroisfle
faim ; qu'il pouvoit mourir , et que si cela arrivoit ,
je serois la plus misérable reine du monde; que je
serois à charge à Monsieur, au lieu de le pouvoir
DE MADEMOISELLE DE MO^iTPENSIER. [l65l] l53
sernr ; que je de vois voir Famitié que Ton a voit pour
moi à la cour par cette proposition ; que les fréquentes
visites du roi d'Angleterre, les respects et lés défé-
rences qu'il me reudoit étoient dés galanteries à un
roi , et que cette déclaration ouverte qu'il en faisoit
pourroit un jour produire de mauvais effets pour moi
dans les pays étrangers , et empêcher tous les autres
princes de songer à moi : qu'ainsi je ne pouvois trop
tôt rompre ce commerce.
Quelques jours auparavant, la princesse palatine
étoit partie pour aller à Poitiers , sûr ce qu'on disoit
que le cardinal Mazarin y devoit bientôt arriver. Elle
me voulut voir chciz madame de Chèisy , où j'allai :
elle me tint les mêmes discours qu'elle avoit accou-
tumé , et me dit que je devois faire mon possible
afin c{ue le coadjuteur me rendit de bons offices au-
près de Monsieur. Comme c'étoit un homme avec le-
quel je n'avois nul commerce depuis quelques années,,
quoiqu'il eût été de mes amis autrefois, et parce
qu'au voyage de Bordeaux j'avois été un peu contre
lui avec la Reine, il nem'avoit pas vue; cependant
un conseiller de ses amis , nomfné Caumartin , m'avoit
dit qu'il avoït beaucoup de zèle pour moi. Comme ce
n'étoit qu'un compliment , et qu'il rendoit de grands
devoirs à Madame, avec qui je n'étois pas trop bien,
je trouvois que d'établir beaucoup de commerce
avec lui, cela me seroit difficile. Monsieur me dit un
jour : « Vous avez connu M. le coadjuteur : pourquoi
« ne vous plaît-il plus ? » Je lui dis que je n'en savois
rien -, il me répliqua qu'il nous falloit raccommoder.
Je lui dis que s'il faisoit des avances pour cela, j'en
serois bien aise; qu'il ne me sembloit pas que j'en
l54 [l65l] MÉMOIRES
dusse &ire. Je le trouvai chez Monsieur ; il vint à
moi , et il me dit : « Je vous supplie que j'aie l'hon-
« neur de vous parler, n Nous allâmes à une fenêtre ,
où nous eûmes un grand éclaircissement, duquel
nous sortîmes bons amis. La palatine eut grande joie
de savoir cela avant que de partir ; quoiqu'elle m'eut
dit adieu, elle demeura encore quinzejoursàParis,
pendant lesqueb madame de Cfaoisy vint me trouver
pour me dire : « La palatine a besoin d'argent , elle
« vent avmr deux cent mille écus. i» Je lui dis que
j'ordonnerois k mes gens de les trouver. Sur quoi elle
me répliqua : « La palatine ne veut pas que vos gens
« le sachent ; elle vous en fera trouver, et les sûretés
« à ceux ((cà vous les prêteront, parce que vous n'êtes
« pas en âge, afin qu'il n'y ait nuHe difficulté. » Je
n^en voulus rien faire, voyant bien qu'elle me vouloit
prendre pour dupe ; et comme ceci s'est passé avant
la conversation de Goulas , je l'ai interrompue pour
le mettre ici comme ime circonstance à n^être pas
oubliée.
Après que Goulas fat parti , Germain entra , et me
dit : « Je n'ai garde de croire que nos aflfaires ne
« soient pas faites : M. Goulas est un fort bon solli-
« . citeur. » Je lui dis que le roi d'Angleterre me fai-
soit beaucoup d'honneur, que les affaires n'étoient
pas en état de se conclure -, que je le "supidiois de ne
me pas venir voir si souvent , parce que tout le monde
y trouvoit à redire , et que cela me faisoit tort. 11 fut
surpris de ce que je lui disois, et me dit tout ce que
l'on pouvoit.dire pour modérer cet arrêt; et j'en de-
meurai là. Le roi d'Angleterre fut ensuite trois se-
maines sans me voir rje crob que cela le fâcha et lui
DE MADEMOISELLE DE MONTPEHSIER. [l65l] l55
donna de Tennui ; il n'avoit nul divertissement : Ton
vit bi^L qae le mien ne consistoit pas en llionneiur
de sa conversation et de sa vne. Mes assemblées con-
tinuèrent anssi. fréquentes et jdus belles que' quand
il y étoit , parce que |dusieurs gens qui n avoient pas
llionneur d'être ccmnus de lui n*y osoient venir.
Madame d'Epemon bouda un peu du discours que
j'avois fait à Germain sans lui en parler; et comme
elle ne savoit pas ce qui m'y avoit obligée , elle crut
que j'avois tort. Elle vint moins souvent me voir ; et
les jours que Ton dansa chez moi , le roi d'Ang^terre
aUachez elle, oùils jouoientdes bijoux, et vouloient
qu'on crut qu'ils se divertissoient fort Inen.sans mm:
ce que je ne croyois point, et surtout madame d^-
pemon. Je m'aperçus fort bien que je ne la voyois plus
si souvent: j'ai toujours eu tant de tendresse pour elle,
que ses moindres froideurs m'inquiétoient. Aussi nous
fumes bientôt raccommodées , et je lui dis que j'avois
su que M. de Fienne disoit par le monde que j'aimois
passionnément le roi d'Angleterre, et que je l'épouse-
rois par amour : cela me déplut au dernier point. Je
sus «ncore que milord Germain alloit tous les soirs
chez madame de Beringhen , et tenoit les mêmes dis-
cours en présence de tout le monde ; et il ajoutoit :
« Nous retrancherons son train , et nous vendrons
« ses terres. » Cette manière d'empire que Ton vou-
loit prendre sur moi ne me plut non plus que l'amdur :
de sorte que sur cela je pris ma r^lution. A la vérité
elle fut un peu brusque : c'est mon humeur.
L'on parla dans le même temps de marier made-
moiselle de Longueville à M. le duc d' Yorck. Il l'alloit
souvent visiter : cela étoit quasi (ait. Je témoigiiai an
l56 [1652] MÉMOIRES
roi et à la reine d'Angiélen-e que je ne crojroîs pas
que ce fût leur avantage ; que cinquante mille écus
(le rente n'ëtoient pas suffisans pour faire subsister
M. le duc d'Yorek avec unefe)nme et des enfans quand
ils en auroient. Ils crurent que je n'enavois pas en-
vie ; je ne sais si c^étoit cette raison ou bien celle dé
leurs intérêts, qui ëtoit assez grande, qui rompit
Taffaire. La première fois que je vis la reine d'Angle-
terre après la conversation de Germain , elle me fit
mille reproches 5 et comme le Roi son fils entra (il
avoit toujours accoutumé de se mettre sur un siège
devant moi), Ton lui apporta une grande chaise où H
se mit : je .crois qu'il crut me faire un grand dépit , eh
cela ne m'en fit nul.
[1662] 11 arriva une bien plus grande affaire : M. le
cardinal Mazarin entra en France. Au môme moment
que Monsieur le sut, il envoya quérir ses troupes qui
étoient dans l'armée du Roi, commandée pat M. le ma-
réchal d'Harcourt, qui consistoient en ses compagnies
de gendarmes, de chevau-légers, et celles de M. le duc
de Valoir mon firère , et les régimens de cavalerie et
d'infanterie de l'un et de l'autre, avec le régiment de
Languedoc ^ dont Monsieur est gouverneur. Le comte
de Mare, qui étoità Monsieur, amena son régiment
de cavalerie ^ le comte de Hollac , Allemand , homme
de grande qualité et de mérite à qiii Monsieur, à ma
prière , avoit fait donner un régiment de cavalerie de sa
nation , le .vint trouver *, et , à son imitation , M. Sester ,
neveu du maréchal de Rantzau, y vint aussi avec son
régiment. Monsieur envoya ces troupes se poster sur
tous les passages des rivières, pour empêcher le pas-
sage de M. le cardinal Mazarin.Xè parlement députa
DE MXDEMOISELLE DE ]IOXTPE2C»Em. [l65a] l57
des conseillers poar envoyer sur la route à la même
intention; MM. Da Coodray , Genier et Bitant y furent
pour cet elTet, et se tronrèrent à Pont-sur- Yonne
lorscpe M. le cardinal Maiarin y arriva avec Farmëe,
cfuiTescortoit. Comme il n y avoit à ce pont que cent
mousquetaires de Languedoc , commandés par un ca-
pitaine nommé Moraogé, qui résista fort long-temps
avec son peu de troupes contre un nombre considé-
rable , et fit en cette rencontre une très-belle action »
MM. Bitaut et Ou Goudray furent obligés de se sauver :
le premier fut fidt prispnnier, et iautre se défendit
en trè&-brave gentilhomme comme il est , et se sauva*
M. le cardinal Mazarin passa la rivière de Loire k Gien
sans aucune résistance : les habitansavoient refusé de
laisser entrer les troupes de Son Altesse Royale, qui
sj vouloieat jeter. Il passa partout sans nulle diffi-
culté , et arriva heureusement k la cour , où il reçut
tons les témoignages possibles de joie et de contente-
ment.
M. le coadjuteur me vint voir ensuite de Féclair-
cissement que nous avions eu ensemble ; il me parla
du dessein du roi d'Angleterre , et me dit qu'il avoit
voulu rengager à en parler à Monsieur ; qu'il ne Tavoit
pas voulu faire \ qu'il auroit toute la joie possible de
m.e voir reine de France , et qu'il me supplioit de
croire qu'il n'y auroit rien au*monde qu'il ne fit pour
cela. Sa conduite ne répondit pas à son discours. Je le
voyois peu.
Comme Monsieur se fut déclaré contre M. le car-
dinal Mazarin, madame de Choisy me vint voir un
matin. Je lui dis que je la suppliois d'écrire à la pala-
tine que je la remerciois des offres qu'elle m'avoit
t5S [l65d] MÉMOIRES
faites de me servir; que si elle- croy oit avoir qaelqae
engagement avec moi, je la priois de croire que je
n'en voulois plus avoir avec elle, et que les deux cent
mille ëcus que madame de Clioisy m'avoit demandés
pour elle seroient employés pour le service de Mon-
sieur pour faire la guerre à M. le cardinal Mazarin ,
et que par cette voie je serois plus tôt reine de France.
Madame de Choisy , qui va comme une girouette à
tous vents et de tous côtés , approuva fort mon dire^
et me répondit: a Je venois vous dire justement ce que
« vous m'avez dit. » Je la priai que Ton ne parlât ja-
mais de cette affaire, parce que si on la savoif dans
le monde , on croiroit que j'aurois été leur dupe *, et
que je serois obligée de m'en défendre , et de dire
que quand les gens ne donnent point leur argent à
ceux qui les veulent attraper , Ton n'est pas dupe. Elle
me répondit que cela demeureroit dans Toubli.
M. de Nemours arriva à Paris. Ilrevenoit de Guienne
d'auprès de M. le prince : il s'en alloit en Flandi*e
quérir ses troupes qui y étoient avec celles que le roi
d'Espagne lui donnoit. Lorsque M. le prince partit
pour Aller en Guienne, ses troupes faisoient un corps
séparé de l'armée du Roi , et étoient à Maries : de sorte
qu'elles purent sans peine passer en Flandre. 11 fui
quelques jours à Paris, et vint aut assemblées du
Luxembourg. Madame de Chitillon s'y trouva la pre-
mière fois qu'il y vint, ajustée au dernier point et belle
comme un ange : ce qui fut d'autant plus remarqué
que tout Thiver elle n'avoit point sorti et ne s'étoit
point habillée.
M. le comte de Fiesque arriva après , de la part de
M* le prince, avec un plein pouvoir de signer un
DE MADKMOISELLB OB MOSTPEHtlKB. [l65a] l5g
traké avec Monsieur. Ifadame fit tous «escïTorts pour
empêcher Monsieur de signer ; elle n ent pas asseï de
crédiL M. de Nemours me témoigna en être fort mé*
content , et qu'il le feroit savoir à M. le prince, de la
part dn<[uel il me fit mille protestations de services :
à quoi je répondis assez froidement* Le comte de
Fiesqne , en qui j'avob une grande confiance depuis
longtemps, me donna aussi de grandes assurances du
zèle que M. le prince avoit de me servir , et de sa joie
si je pouvtts être persuadée que nos intérêts étoient
communs , parens comme nous étions ; qu'il désiroit
que je fiisse reine de France \ qpe c'étoit le plus grand
avantage pour lui , et qu'il se croiroit heureux si j'a-
vois la bonté d'avoir {Jus de confiance en lui que par
le passé. Je reçus fort bien ce compliment , et témoi-
gnai au comte de Fiesque que j'aimerois mieux que
M. le prince se mêlât de mes intérêts que qui que ce
fut ; que je lui donnerois des marques de cette vérité
par ma conduite , et que je voulois être avec sincérité
de ses amies k Favenir. De sorte que M. le comte de
Fiesque , qui avoit une lettre de M. le prince à me
donner , me l'apporta le lendemain. «Tai jugé néces-
saire de la mettre id , aussi bien que quelques autres.
« Mademoiselle,
« Rapprends avec la plus grande joie du monde les
bontés que vous avez pour moi ; je souhaiterois avec
passion vous pouvoir donner des preuves de ma re^
connoissance. J'ai prié M. le comte de Fiesque de
vous témoigner l'envie que j'ai de mériter par nés
services la ccmtinuation de vos bonnes grâces. Je vous
supplie d'avrâr créance à ce qu'il vous dira de ma part,
l6o [lÔSa] MEMOIRES
et d*âtre persuadée que personne du monde n'est avec
plus de passion et de respect , mademoiselle ,
(( Louis DE Bourbon. »
Cette lettre ëtoit assez obligeante pour des compli-
mens que j'avois faits à ses amis , et marquoit bien
Fenyie qu'il avoit d'être des miens , comme il Ta té-
moigné depuis en toutes occasions : aussi de mon côté
n'en ai-je perdu aucune de prendre ses intérêts, et
de faite connoitre combien ils m'étoient chers. Quand
la nouvelle vint que M. de Nemours étoit entré en
France avec son armée, j'en fus bien aise. Comme il
s'approcha , Monsieur s'inquiéta fort pour faire passer
la rivière de Seine à ses troupes : ce que l'on fit à
Meulan. M. le duc de Sully, qui en est gouverneur,
servit parfaitement bien le parti -, il auroit été à sou-
haiter que Son Altesse Royale y eut été : cela eût pu
obliger M. de Longueville à l'y venir recevoir , parce
que c'étoit dans son gouvernement *, et cette entrevue
auroit pu l'engager à faire pour M. le prince ce qu'il
n'avoit point fait. M. le coadjuteur l'empêcha de faire
ce voyage -, il fut fait cardinal aux quatre-temps du
carême : ce qui donna une grande joie à Mpnsieur et
à ses amis. 11 m'en envoya donner part dès le matin,
et ensuite me vint voir revêtu des marques de cette
nouvelle dignité; de sorte que nous l'appelâmes à
Paris le cardinal de Retz. Cette dignité lui donna lieu
de manifester davantage la haine qu'il avoit contre
M. le prince *, il fit faire une assemblée de noblesse,
amenée par quelques-uns de ses amis dans le Vexin
pour empêcher M. de Nemours de passer, et pour le
charger. Cela fut fort inutile : ces gens-là ne parurent
DE MADEMOISELLE DE MOMTPENSIER. [l65a] 1^1
pas seulement, et Fon fit croire à Monsieur que ce
pairti ëtoit considërabie : ce qui caûsoit son inquié-
tude. M. de Nemours , après avoir passé la rivière ,
.vint ici voir Monsieur, et amena avec lui M. le baron
de Glinchamp, qui commandoit toutes les troupes
que le roi d'Espagne avoit données à M. le prince , et
quantité de ses officiers , qui étoient étrangers , et qui
vouloient voir Paris. Cependant Tarmée de Monsieur,
dont M. le duc de Beaufort étoit général , étoit allée
en toute diligence secourir Angers , où M. de Rohan
avoit tenu bon pour M. le prince , à ce qu'il disoit :
la suite le fera connoitre. 11. demandoit du secours en
grande, hâte; il étoit pressé par Farmée du Roi, cpm*
mandée par le maréchald'Hocquincourt. Lorsqu'il de*
manda du secours, il avoit marqué un jour jusqu'au-
quel il tiendroit; il se rendit cependant deux jours
devant, quoiqu'il sûtl'armée proche, et qu'elle devoit
arriver le jour qu'il Favoit demandée. Plusieurs croient
qu'il s'engagea dès ce momenl à M. le cardinal Ma-
larin , et qu'il ne vint à Paris que pour l'y servir. 11 le
servoit, et assurément il fuinoit les troupes par les
grandes marches qu'il leur faisoit faire : ce qui les fa-
tiguoit beaucoup assez inutilement.
M. de Clinchamp, après avoir rendu ses devoirs
à Son Altesse Royale , me vint voir. Je fus fort con-
tenue de lui: c'étoit un honnête homme, de beau-
coup. d'esprit et de mérite. En sa considération et
celles de tous ses officiers , Monsieur voulut que Fon
fit une grande assemblée chez moi le jour de la mi-
caréme : à quoi j'obéis volontiers. 11 y eut un ballet
assez joli: ce qu^il admira moins que la beauté des
dames de France, aussi bien quêtons les colonels.
T. 4ï- '* "
l6% [l65a] MÉMOIRES
Pour lui , quoiqu'il servît le roi d'Espagne , il étoit
Français de la frontière de Lorraine y il avoit ëtë dans
sa jeunesse nourri dans cette cour, et M. de Lorraine
Tavoit engage au service des Espagnols. 11 me vint
voir souvent , et témoignoit qu il n eût rien souhaite
avec plus de passion que de me voir maîtresse des
Pays-Bas. Je tournois ce discours en raillerie; je ne
le connoissois pas assez pour le pouvoir prendre autre-
ment , comme j'ai fait depuis. Avant qu'il partît d'ici,
M. de Nemours et lui me prièrent qu'ils pussent voir
encore une assemblée chez moi. Je leur donnai un
ballet *, il fut plus petit que l'autre. Us ne restèrent
que huit jours à Paris; il falloit qu'ils marchassent
pour se joindre aux troupes de Son Altesse Royale.
Angers pris , la cour revint du côté de Paris ; elle
s'arrêta quelque temps à Blois, d'où l'on envoya à
Orléans savoir si l'on y recevroit le Roi avec le car-
dinal Mazarin: ce qui n étoit pas sans difficulté. L'ar-
mée de M. d'Hocquincourt avoit tellement ruiné toutes
les terres de Son Altesse Royale , et généralement
tout le pays Blaisois, que* ceux d'Orléans craignoient
un pareil traitemeht, et avoient assez de raison de
craindre d'en être pillés ; tous les blés de la province
et tous les meubles de tout le pays, de la noblesse et
des autres, étoient entrés dans leur ville. Sur cette
première lettre du Roi , les habitans envoyèrent à Son
Altesse Royale savoir ce qu'ils feroient. Elle y envoya
M. le comte de Fiesque et M. de Gramont , qui est unde
ses gentilshommes *, ils apaisèrent tout le trouble que
la crainte et l'effroi y avoient fait naître. L'éloquence
avec laquelle le comte de Fiesque parla au peuple le
rangea sous l'obéissance de Son Altesse Royale, et
DE MADEMOISELLE DE MONTPEKSIER. [l65a] l63
umltousles esprits d'une telle manière que Imtendint,
qu ils croyoient lliomme de M. le- cardinal Mazarin
et non celui du Roi , . fat presque assommé lorsqu'il
passa par une place qui s appelle le Martroy : ils çrioient
nu mazarin! De sorte que, pour se sauver de cette
furie du peuple , il fallut que le comte de Fiesque Ten
allât retirer ; et on ne voulut jamais le lui rendre qu'il
n eût crié vive le Boi et non Mazarin I ce qtt^il fit.
Il monta sur les degrés qui' sont au milieu de la placé
pour obéir à leurs ordres. Cela fut assez plaisant de
voir ce pauvre M. Le Gras, qui est un ancien maître des
requêtes, avec sa robe de satin se soumettre aux lois
d'une populace émue pour sauver sa vie : il n'y a rien
de si ridicule.
M. le marquis de Sourdis , gouverneur de la pro*
▼ince et dis la ville , y étoit peu en crédit , et sa con-
duite envers Son Altesse Royale étoit telle v que Fou
étoit bien aise de la voir. Ainsi M. le comte de Fiesque
revint en diligence pour obliger Son Altesse Royale
d'aller à Orléans , sa présence y étant tout-à-fait né*
cessaire pour la conservation de cette grande ville :
poste si considérable en temps de guerre civile , et
un pays si renommé pour son commerce. La commu*
fiîeation de la Guienne étoit encore nécessaire au parti
et aux intérêts de M. le prince, qui recommandoit
que l'on eût soin de ménager Orléans^ de sorte que
tous ses amis pressoient fort Monsieur d'y aller : à
quoi il se résolut le samedi de Piques fleuries an soir,
U m'avôit dit quelques jours auparavant que les boàr*
gebis dIOrléans l'avoient envoyé prier , au cas qn*il
n'y pût aller, de m'y envoyer. Je répondis à cela
qu'il savoit bien que j'étois toujours prête à lui obéir.
II.
164 [r65a] mémoires
Comme Ton me dit le dimanche au matin qtie.Mdii^
sieur partoit pour Orlëanis le lendemain , et que cela
étoit résolu ; qu'ilavpit envoyé à messieurs les ducs de
Beaufort et de Nemours leur dire de lui envoyer une
escorte au delà d'Etampes , je dis à Prëfontaine : « Je
« gagerois que j*irai à Orléans. » Il me répliqua qu*il
ne comprenoit pas sur quoi j'avois celte pensée. Je
lui dis que Monsieur ^'étoit engagé à faire ce voyage
Icontre le sentiment du cardinal de Retz ; qu'il ne
pouvoit demeurer à Paris sans qu'il m'envoyât à sa
place, et que je nen serois point fâchée, parce que
c'étoit ce qui tenoit {dus au cœur à M. le prince ; et
qu'il étoit fort beau , lorsque Ton s'engageoit à être
ami des gens, de leur rendre un service si considé^
fable ; que cela le rendroit redoutable pour jamais ;
que rendre en même temps ce service au parti , c'étoit
obliger tout ce qui en étoit.
. Jtivois fait dessein d'aller coucher ce soir-là aux
Carmélites de Saint-Denis pour y passer la semaine
sainte , comme je faisois quasi toutes les grandes fêtes ;
je Tavois même dit à Monsieur, et j'avois pris congé
de lia. Je remis mon voyage au lendemain , à cause
de celui de M. de B^ufort , qui étoit venu depuis le
comte de Fiesque pour presser Monsieur d'aller à Or-
léans. Il me, vint voir et médit : « Si Monsieur n'y veut
« pas aller, il faut que ce soit vous. » Je m'en allai aux
Capucins die Saint-Honoré, où préchoit le père Georges,
grand frondeur. Monsieur y étoit ; je lui dis que j'avois
différé mon voyage sur ce que j'avois appris le sien.
J'allai ensuite au Luxembourg , où je le trouvai fort
inquiet \ il se plaignit à moi de la persécution que les
ami»de M. le prince lui faisoient d'aller à Orléans; que
DB IUI>Sli01âBU.K DB MORTPBKSIEli. [iGSs] l65
S il akandonnoit Paris, lont ëtoit perda , et quHl n inHt
point. ToBies les conversations que r<m avoit avec
lui , lorsqu'il n'ëtoit pas satisfait des gens qui le vou-
loient Êdre agir, finisaoient toujours par des soukait»
d'être en repos à Blois , et par le bonheur des gens
qui ne se mêlent de rien. A dire le vrai , cela ne ma
plaisoit point ^ je jugeois par lii qu'à la suite du temps
celte affaire iroît à rien, et qu'on se verroit réduis,
comme on a été, chacun chez soi :. ce qui. ne convient
guère aux gens de notre qualité , et convenoit encore
moins à avancer ma fortune ; de manîèreque ces sortes
de discojurs me faisoient toujours verser de&larmes, et
me causoient beaucoup de chagrin. Je demeurai àsses
tard chez Monsieur ; tout le monde me venoit dire i.
« Vous irez assurément à Orléans. » M. de Chavigny,-
qui étoit un homme de grand esprit et de grande ca-
pacité, qui avoit été élevé pkr le cardinal de Richelieu
aux ailàires., et qui étoit connu de lui pour tel que je
viens de dire , étoit fort de mes amis et fort de ceux
de M. le prince ; il me dit : <c Voici la pins belle actioa
« du monde à faire pour vous , et qui obligera sensî-.
% blement M^ le prince. » Monsieur entraîne cela , au-
quel j^e donnai le bon soir, el m'en allai à mon logi^.
Comme je soupois , le comte de Tavannes, lieuteiuint
général de l'armée de M. le prince, entra, et me dit
tout bas : n Nous sommes trop heureux , c'est vous qui
« venez à Orléans -, n'en <Utes mot : M. de Rohan vous le
« va venir dire de la part de Monsieur. » M. de Rohan
arriva , m'apporta cet ordre : ce que je reçus, comme
j'ai toujours fait les commandemens de Monsieur, avec
beaucoup de joie de lui obéir -, j'en sentois une dans
le c«eur qui me marquoit une fortune aussi extraor-
i6G [i65a] MÉMoiRt:s
dinaire que le fut rexëcution de cette affisiire. M. de
Rohan me dit qu'il y yiendroit avec moi -, je priai le
comte et la comtesse de Fiesque de m'y accompagner,
et madame de Frontenac : ce qu'ils firent avec beau-
coup de satisfaction. Je donnai ordre à mon équipage
et à tout ce qui m'étoit nécessaire-, je me couchai à
deux heures après minuit^ et le lendemain, qui étoit
le jour de la Notre-Dame de mars, j'allai à sept heures
du matin faire mes dévotions. Je crus , pour com-
mencer mon voyage, que je devois me mettre en état
que Dieu y pût donner la bénédiction que je désirois -,
puis je revins à mon logis y donner encore quelques
ordre39 et je m'en allai dîner au Luxembourg, où Mon-
sieur me dit qu'il avoit envoyé le marquis de Flamarin
dire à Orléans que j'y allois, et avoit écrit que Ton fit
tout ce que j'ordonneroîs comme si j'étoîs lui-même.
Son Altesse Royale dit à' messieurs de Croissy et de
Bermont, conseillers au parlement : « Il faut que vous
« alliez à Orléans avec ma fille. » Ils lui répondirent
qu'ils obéiroient à ses ordres. Le premier étoit tout-
à-fait attaché aux intérêts de M. le prince. Je ne le
connoissois pas par lui-même : j'en avois seulement ouï
parler beaucoup à ses amis, qui étoîent les miens ^
Fautre étoit fort de ma connoissance. Après avoir été
quelques heures au Luxembourg à m'entretenir avec
tout le monde , je connus les sentimens de tous sur
mon voyage.* Les amis du cardinal de Retz le trou-
voiient ridicule , ceux de M. le prince en étoient ravis :
comme je n'avois pas encore la dernière confiance
aux derniers , ce qu'en avoiént dit les autres me trou-
bloit un peu. M. de Chavigny me dit qu'il témoi-
gneroit à M. le prince l'obligation qu'il m'avoit \ qu'il
DS MADEMOISELLE DE MO^TPEXSIKR. [l()5*Jl] !<>;
ëtoit assuré qo^il prendroit k présent mes iatéréU
comme les siens propres, c'esl-à-dire «vec le dernier
empressement ; et que si pendant mou absence Ton
faisoit quelque traité , je verrois comme les amis de
M. le prince me serviroient.
Pour montrer comme tous les amis de M. le prince
étoicnt bien intentionnés pour moi, je dirai que ma*
dame de Châtillon , pendant que M. de Nemoui^ étoit
ici, me dit : « Vous savez bien Tobligation que j ai à
(( être attachée aux intérêts de M. le prince , et Tin-»
(i clination que j'ai pour vous , qui m'a toujours fait
(c souhaiter de vous voir bien, ensemble. Vous y voilà :
« je souhaite que vous y soyez encore mieux. M. de
« Nemours , qui a la dernière passion pour votre scr*
« vice, et moi aussi, comit^e vous saver, parlâmes
«( hier deux heures de vous faire reine de France.
« Ne doutez jpas que M. le prince n'y travaille de tout
« son cœur; et comme la paix ne se négociera jamais
« que pnr M. de Chavigny , Monsieur Ta promis k
« M. le prince. Nous lui en avons parlé : il trouve que
a rien n'est si à propos ni si utile pour la France,
« pour le bien public, pour votre famille et pour
« TOUS ; que cela est tout-à-fait avantageux h M. le
<c prince. C'est pourquoi, quand le comte de Fiesque
K partira (ce qui sera bientôt), faites-lui-en dire deux
« mots. » Je n'avois garde de lui dire que M. le
comte de Fiesque m'eqavoit parlé, ni que j'avois fait
réponse à M. le prince là-dessus. £lle appela M. de
Nemours, qui m'entretint fort Ipng-temps sur ce
chapitre, et me fit mille pi^otestations de services ^ et
continua depuis à m'en parler auasi bien que ma*
dame de GhAtillon et M. de Chavigfiy. Je n*eua qné
i68 [i65a] MÉMOIRES
faire de charger de rien le comte de Fiesque : il ne
partit point, il vint avec moi à Orléans. Madame de
Châlillon me vint dire adieu an Luxembourg, fort
dolente. Elle ayoit bien envie dé venir avec moi ; je
ne l'en pressai pas : je jugeai que cela feroit parler le
monde , à cause de M. de Nemours. Madame de Ne-
mours y vouloit fortement venir \ et pour cela je ne
savois comment m'en débarrasser, et je savois que
son mari auroit été au désespoir si elle y fût venue.
Quelques personnes de ses amis l'en détournèrent.
Après avoir dit tous mes adieux, je pris congé de
Son Alles3e Royale, qui me dit : « M. Tévêque d'Or-
« léans , qui est de la maison d'Elbène , vous instruira
^ ¥. de l'état de la ville -, prenez aussi avis des comtes
<( de Fiesque et de Gramont : ils y ont été assez long-
ue temps pour connoître ce qu'il y a à faire -, surtout
H empêchez , à quelque prix que ce soit , que l'armée
a ne passe la rivière de Loire : je n'ai que cela à vous
M ordonner. »
Je montai en carrosse avec madame de Frontenac,
madame la comtesse de Fiesque et sa fille. Son Altesse
Royale fut toujours à la fenêtre jusqu'à ce qu'elle
m'eût vu partir ^ \xn nombre infini de peuple qui étoit
dans la cour me souhaitoit des bénédictions par toutes
les rues qù je passai. Son Altesse Royale me donna
un lieutenant de ses gardes , nommé Pradine , deux
exempts , six gardes et six Suisses. Lorsque je partis
de Paris, je ne pus aller coucher qu'à Châtres , à cause
que j'étois partie tard -, le soir M. de Rohan me vint
voir, et me fit mille complimens sur la joie qu'il avoit
evie. d'être choisi pour m'accompagner. Je le reçus
fqrt; bien. Croissy m'en ftt aussi , et me dit : « Je sais
DB MADEMOISELLE DE MONTPENSISR. [lÔS^J 169
K que , faute d'avoir rhoimeur d'être connu de Vptre
« Altesse Royale , elle croira que je suis un hourru
« qui fait le capaije , et qui n'obéira pas aveugléipent
« à ses ordres ^ je la puis assurer que ma conduite
« prouvera Je contraire. » Il n^e dit vrai : je me suiai
fort louée de lui. Je partis de Châtres fort matin :
avant que de partir, M. de Rohan proposa à Pradine
de faire venir cinquante gardes à lui pour me suivre,
parce que j'avois peu de gens avec moi. Pradine lui
répondit que si j'en avois voulu davantjige, l'on m'en
auroit donné ; que je n'en avois pas demandé , et que
les gardes des particuliers ne se mélo.ient point avec
ceux de Monsieur. 11 me le vint dire aussitôt, je lui
dis qu'il avoit fort bien répondu , et que- je ne le vou-
lois pas : je le mandai à Monsieur, qui ne le trouva
pas bon. Comme je sortois de Châtres, M. de Beau-
fort arriva, qui m'accompagna toujours à cheval à la
portière de mon carrosse. Nous dînâmes à (Itampes,
et M. de Beaufort avec moi. A deux lieues de là je
trouvai l'escorte de cinq cents chevaux commandés
par M. de Yalon , maréchal de camp dans l'armée de
Monsieur ; l'escorte étoit composée de gendarmes e(
chevau-légers de Monsieur et de mon frère , et de
gens détachés. Français et étrangers^ ils étoient ei|
bataille , et me saluèrent \ puis les chevau-légers allè-
rent devant mon carrosse, les gendarmes après, les
gardes et le reste par escadrons devant, derrière et à
côté. Comme je fus dans les plaines de Beauce^ JQ
montai à cheval, parce qu'il faisoit fort beau temps
et que mon carrosse étoit endommagée ce qui donna
à ces troupes bien de la joie de me voir commencer
là à donner mes ordres. Je fis arrêter deux ou trois
170 [l65a] MÉMOIRES
courriers, dont Tunëtoit un homme d'Orléans, qui al-
loit trouver Son Altesse Royale pour lui dire que le
Roi leur avoit mandé que dette nuit-là il couehoit à
Cleiy, et que de là il passoit outre sans aller à Or-
léans, et qu'il j envoyoit le conseil. Je menai ce
courrier avec moi jusqu'à Toury, afin de le dépécher
là-dessus à Son Altesse Royale.
Arrivée à Toury, j'y trouvai messieurs de Nemours,
Glinchamp et quantité d'autres officiers , qui me té-
moignèrent avoir grande joie de me voir , et même
plus que si c'eût été Monsieur. Us me dirent qu'il
falloit tenir conseil de guerre devant moi. Je trouvai
cela assez nouveau pour moi; je me mis à rire. M. de
Nemours me* dit qu'il falloit bien que je m'accoutu-
masse à entendre parler d'affaires et de guerre, que
l'on ne feroit plus rien sans mes ordres ; nous nous
mîmes donc à parler pour voir ce qu'il y avoit à faire.
M. de Rohan me tira à part , et me dit : a Vous savez
« bien que l'intention de Monsieur est que l'armée
m ne passe point la rivière ; qu'il craint que l'on ne
« l'abandonne à Paris: ainsi parlez à ces messieurs. »
Et ensuite il me dit qu'il souhaitoit avec la dernière
passion que ce voyagé réussît au contentement de
Monsieur, afin que cela lobligeâtà porter mes inté-
rêts dans les affaires essentielles; et que comme il
étoit mieux informé des intentions de Monsieur que
moi, il riie diroit, selon l'occurrence, ce qu'il y
avoit à faire. Ce discours ne me plut point, sur ce que
M. de Rohan faisoit le capable ; je jugeai qu'il croyoit
que je ne l'étois guère , et peu propre à agir dans les
affaires. J^ ne lui en témoignai rien, je le laissai, et
tli*en retournai avec toute la compagnie. Je dis à
DE MADEMOISELLE DE MONTPEHSIER. [l65a] I7I
M. de Nemoars et à tous ces messieurs qui comman-
doient les troupes, que j'ëtois fort persuadée qu*ils
agiroient en tout de concert avec moi, et que je he
craignois point qu'ils voulussent passer la Loire pour
secourir Montrond , et abandonner Monsieur à Paris
sans aucunes troupes ; que les amis du cardinal de
Retz et lui-même ne souhaitoient que la division de
Monsieur et de M. le prince , qui ëtoit ce que je crai-
gnois le plus ; qu'ainsi je les priois, pour prévenir les
gens mal intentionnés, de medonner leur parole qu'ils
ne passeroient point la rivière sans ordre de Monsieur.
Us me la donnèrent, et voulurent signer : ce que je ne
crojoispas nécessaire. J'écrivis à Finstant à Monsieur
en leur présence ce qu'ils m'avoient dit ; et ensuite ils
me protestèrent de ne plus rien faire désormais sans
mes ordres , et qu'ils croyoient en cela se conformer
à Tintention de M. le prince. Ensuite on résolut que
notre armée marcheroit à Gergeau, et se logeroit
dans le faubourg de Saint-Denis, qui est au. bout du
pont de Dieu; que si la ville étoit dans un état que
l'on la pût prendre d'emblée dès que l'on l'altaque-
roit, il seroit très-nécessaire d'être maître d'un posle^
sur la rivière de Loire ; que l'on couperoit la cour, qui
n'entremit point à Orléans selon les apparences , et
qu'elle prendroit le chemin de Gien; que s'ils com-
battoient , nous étions les plus forts. Le maréchal de
La Ferté n'avoit point encore joint avec son armée,
ni Vaubecour avec un petit corps qu'il commandoit ;
que s'ils reconnoissoient leur foiblesse , et qu'ils s*en
retournassent sur leurs pas , le pays ou ils auroient
passé seroit tout ravagé ; qu'ils ne trouveroient au-
cune subsistance ni pour l'armée ni pour la cour ; que
17a [l65a} MÉMOIRES
cela perdroit leurs troupes ; que si La Ferté et Vau-%
becour vouloient les aller joindre , on les attaqueroit ^
que, par mille bonnes raisons aussi fortes que celles
ei , Gergeau ëtoit de la dernière utilité au parti *, que
s'il y avoit beaucoup de gens dedajis , on ne Tattaque*.
roit pas^ que Ton ne vouloit pas au commencementi
d'une campagne se mettre au hasard de perdre beau-
coup d'infanterie aussi belle qu'étoit la nôtre , et que
ce n'étoit pas le compte des guerres civiles que les.
sièges, et surtout en France, parce que qui est le
n^iître de la campagne est maître du pays 6ù Ion est.
Les petites villes ne sont bonnes que pour contribuer-
à la subsistance des armëes.
M. de Nemours dit qu'il marcheroit le lendemain
dès la pointe du jour, et qu'il se rendroit le soir à
Orléans pour me rendre compte de l'état où oa
trouveroit Gergeau , pour recevoir mes ordres encore,
làijdessus, avant que de rien exëcuier. Je dis à M. de.
Beaufort. d'en faire de même ^ il répondit : <c J'ai les.
« ordres de Monsieur dans. ma poche , et je sais ce que
<( j'ai à faire. » M. de Nemours le pressa de les mon-
trer, et lui dit qu'il lui sembloit qu'il me les devoit
communiquer. Ce procédé de M. de Beaufort me fâ-
choit-, je lui dis que je ne crpyois pas que Monsieur-
eût changé d'intention quatre heqres. après mon dé-
part, puisqu'il n'étoit parti que ce temps-là après moi^
que je ne croypis pas que Monsieur m'eût envoyée
pour donner des ordres dont je n'avois nulle connoisT.
sauce, et qu'ainsi il les pouvoit jeter dans le feu,
parce qu'ils étoient inutiles. 11 n'en pSirla plus, et dit
qu'il m'obéiroit. Je lui donnai l'ordre et à M. de Ne-^
mpursyqui s'en alloit coucher en sou quartier, de
DE MADEMOISELLE DB MONTPEIîSIER. [lÔSa} 173
faire ôiarcher les armées dès la petite pointe du jour ;
je m'occupai le soir à visiter les lettres du courrier
d'Orlëaos à Paris, afin de voir ce qui s'y passoit. Je
n y trouvai rien qui me pût servir ; j appris seulement
le peu de considération où étoit le marquis de Sourdis
leur gouverneur, qu'ils avoient arrêté deux jours de-
vant lorsqu'il faisoit la ronde; et quand il s'étoit
nommé, ils ne l'avoient pas laissé passer sans le de-
mander an corps<de-garde ; qu'une nuit ils avoient
barricadé sa porte , et que le matin il n'avoit pu sor-
tir. Je ne savois si je devois m'en réjouir ou fôcher,
parce que Monsieur, à qui j'avois demandé comment
il étoit pour lui, ne me l'avoit su dire.
Le lendemain je partis de fort grand matin ; cela
ne servit de rien. M. de Beaufort avoit oublié de
donner l'ordre pour l'escorte dès le soir; il ne s*en
souvint que le matin assez tard : de sorte que je
marchai trois ou quatre lieues au pas pour l'attendre.
Comme je fus à Artenay, le marquis de Flamarin s y
trouva , qui venoit au devant de moi , et me dit qu'il
avoit beaucoup d'affaires à me communiquer; sur quoi
il falloit voir ce que l'on avoit à faire. Je mis pied à
terre dans une hôtellerie pour l'entendre ; il me dit
que messieurs de la ville d'Orléans ne me vouloient
point recevoir, et qu'ils lui avoient dit que le Roi
d'un côté et moi de l'autre les rendoient bien embar-
rassés à qui ils ouvriroient leurs portes; que, pour
éviter cet embarras , ils avoient jugé à propos de me
supplier de m'en aller en quelque maison proche de
là et d y faire la malade , et qu'ils me promettoient de
n'y point laisser entrer le Roi , et que dès qu'il se-
ront passjé , j'y serois la bien venue ; qu'ils me sup-
1^4 [l652j MÉMOIRES
plioient de n'y point mener M. de Rohan; qu'ils étoient
fort en peine de ce que des conseillers du parlement
y alloient faire. Je dis à M. de Rohan : « Pour vous ,
« monsieur , vous êtes trop considérable pour vous y
« mener malgré eux *, pour messieurs de Bermont et de
K Croissy, Ton ne les connoit point ^ quand ils seront
« daas les carrosses de mes écuyers, Ton les pren-
« dra pour être de mes gens ; quant à moi , il n'y a
K rien à délibérer : je m'en vais droit à Orléans. S'ils
« me refusent la porte d'abord , je ne me rebuterai
« point : peut-être que la persévérance l'emportera ;
a si j'entre dans la ville, ma présence fortifiera. -les
« esprits de ceux qui sont bien intentionnés pour le
a service de Son Altesse Royale ; elle fera revenir
« ceux qui ne le sont pas. Quand on voit des per-
ce sonnes de ma qualité s'exposer, cela anime terrible-
« ment les peuples, et il est quasi impossible qu'ils
« ne se soumettent de gré ou de force à des gens
H qui ont un peu de résolution. Si la cabale des ma-
« zarins est la plus forte , je tiendrai tant que je pour-
ri rai^ si à la fin iPme faut sortir, je m'en irai à Tar-
ie mée , parce qu'il n'y a point de sûreté pour moi
« aiUeurs. A porter le tout au pis, je tomberai entre
« les mains de gens qui parlent même langue que
« moi , qui me connoissent , et qui me rendront dans
« ma- captivité tout le respect qui est dû à ma nais*
«i sance : et même j'ose dire que l'occasion don-
« nera de la vénération pour moi; assurément il ne
« me sera pas honteux de m'étre ainsi exposée là pour
« le -service de Monsieur. » Us furent tous étonnés dd
ma résolution ; ils ne parurent pas en avoir tant que
moi 'y ils craignôieht tout ce qui pouvoit arriver , et le
DE MADEMOISELLE DE MONTPEXSIER. [lG5a] 1^5
disoient pour m'arréter. Sans rien écouler , je montai
en carrosse^ je laissai mon escorte pour aller pins
vite} je ne menai avec moi que les compagnies de
Monsieur et de mon frère, parce que ce peu de
troupes pouvoit aller aussi vite que moi.
Je trouvai quantité de gens de la cour qui y alloient
avec des passeports de Monsieur : sans quoi je les
aurois fait arrêter ^ ils me dirent que c'étoit en vain que
je me hâtois tant *, que le Roi étoit dans Orléans ( cela
étoit faux), et que je n'aurois pas le succès de mon
entreprise que je prétendois. Cela ne m'effraya point,
parce que je suis assez résolue de mon naturel : ce
qui paroitra assez dans ces Mémoires aux actions les
plus considérables de ma vie. Je trouvai Pradine, que
j'avois envoyé le matin à Orléans pour faire savoir
aux habitans llieure que j'arriverois ; il mHipporta une
lettre assez soumise. Depuis qu'ils Tavoient écrite, ils
avoient changé d'avis , et Tavoient redemandée à Pr^
dine, qui ne la leur voulut pas rendre ; ils lui dirent
qu'ils me supplicient de ne point aller à Orléans,
parce qu'ils seroient obligés et avec douleur de me
refuser la porte. 11 les laissa assemblés, parce que
M. le garde des sceaux et le conseil du Roi étoient à
la porte qui demandoient à entrer. J'arrivai sur les
onze heures du matin à la porte Bannière , qui étoit
fermée et barricadée. Après que l'on eut fait dire que
c'étoit moi, ils n'ouvrirent point ^ j'y fus trois heures.
M étant ennuyée pendant ce temps-là dans mon car-
rosse, je montai dans une chambre de l'hôtellerie
proche la porte , qui se nomme le Port de Salut. Je le
fus de cette pauvre ville : ils étoient perdus sans moi.
Comme il faisoit très-beau , après m'étre divertie i
1^6 [l^S^] HÉHOIRGS
faire ouvrir les lettres du courrier de Bordeaux, qui
n'en avoil point de pl»îs»ntes, je m'en allai prome-
ner. M. le gouverneur m'envoya des confitures, et
ce qui me parut assez plaisant , c'est qu'il me fit con-
nollre qu'il n'avoit aucun cri^dit ; il ne me manda rien
lorsqu'il me IfS envoya. Le marquis d'Halluys ^toit à
la fenêtre de la guf^rite, qui me regardoil promener
sur le foss^. Cette promenade fut contre l'avis de tons
les messieurs qui éloîent avec moi, et que j'appelois
mes ministres; ils disoient que la joie qu'auroît le
menu peuple de me voir élonneroît Je gros bourgeois:
de sorte que l'envie d'aller fit qne je ne pris conseil
que de ma tête. Le rempart ctoit bordé du peuple,
qui crioit sans cesse: five le Roi, les princes! et
point Mazaiin! Je ne pus m'empécher de leur
crier ; « Allez à l'Iiôtel-de-ville me faire ouvrir la
« porte, >j quoique mes ministres m'eussent bien dit
que cela n'(!toit pas à propos, A force de martlier , je
metrouvai à l'endroit d'une porte; la garde prit les
armes, et se mit en baie sur le rempart. Jugez, quels
honneurs! Je criai au capitaine de m'ouvrir la porte,
lime fit signe qu'd n'avoit point les clefs; je luidisois :
n 11 faut la rompre ; et vous me devez plus d'obéis-
K sance qu'à messieurs de ville, puisque je suis la
,« fille de leur maître. » Je m'echaufilài jusqu'à le
menacer : à quoi il ne répondoit qu'en rtJvtïrences.
Tous ceux qui tutoient avec moi me disoient : « Vous
H vous moquez de menacer des gens de qui vous avez
H affaire. » Je leur dis : h U faut voir s'ils feront plus
« par menaces que pr amitit!. »
Le jour que je partis de Paris , le marquis de Vilene,
homme d'esprit et de savoir, qui passe pour un des
habileâ utrolognes de ce temps . me lira à pnrl dans
le dbinet de Madame, ot me dîl : •• Toul ce que vous
■ tfii Ire prendrez le mercredi 37 mars dopiiU midi jus-
- tjuam TCDdredi vous nfnssira, rt mémo dans ce
« temps-là TOUS {fie?, des airaircs exlraoïdinjiires.
Xavob <k:rit celle préiliclion snr mon îi^enda, ponr 1
obsen-er ce qui en arriveroil . quoiqtie j'^r ajoutasse ,
peu de foi; je m'en souvins . el je me innniai vers
mesdames de Fiesqae et de FronlPtuc sar je fossé,
pour leur dire : ■ Il n'arrivera dr leTlraordiiuire >«-
n jourd'hai . j ai la prëdiction dans ma poche ; je ferai
1 rompre des portes, ou escaladerai la ville. 1 Elles
se moquèrent de moi comme je faisois d'elles; car
lorsque je leur tenoîs tels propos, il n'y avoît aucune
apparence, A force d'aller je me Iroinnî cependant an
bord de l'eau, où tous les bateliers, qui sont en grand
nombre à Orléans , me vinrent offrir leur service. Je
l'acceptai volonlicrs; je leur lins de beau:( discours.
et tels qu'ils conviennent à ces sortes de ^ens pour les
animer à fairr ce que l'on désire d'eus. Comme je les
vis bien disposés , je leur demandai s'ils pouvoîent
me mener en batean jusqu'à la porte de laFaui,
parce qu'elle donnoit sur i'cau; ils me dirent qu'il
étoit bien plus aisé d'en rompre une qaî étoit sur le
quai plus proche du lieu où j'élois , et que si jo voii-
lois ils y alloîenl travailler. Je leur dis qu'ils se hâ-
tassent; je leur donnai de Targent, et pour le.i voir
travailler et les animer par ma présence , je montai
sur une butte de terre assez haute qui re^ardott cette
porte. Je songeai peu à prendre le bon chemin pour
y parvenir ; je ^rapai comme lui chat ; je me prenois
aux ronces et aux <-pines , et Je sautai toutes les haies
T. 4,. ■ ■ l.
l'jS [16^2] MÉMOIRES
^ans me faire aucun mal. Comme je fus au haut, tous
ceux qui ëtoient avec moi craignoientque je ne m'ex-
posasse trop : ils faisoient tout leur possible pour
m'obliger à m'en retourner ^ leurs prières m'importu-
noient: je leur imposai silence. Madame de Bréauté,
qui est la plus poltronne créature du monde , se mit à
crier contre moi etcontre tout ce qui me suivoit ; même
je ne sais si le transport où elle ëtoit ne la fit point
jurer : ce me fut un grand divertissement. Je n'avois
voulu d'abord envoyer personne des miens avec les
bateliers , afin de pouvoir désavouer que ce fût par
mon ordre, si l'entreprise ne réussissoit pas. Je n'y
eus qu'un chevau-léger de Son Altesse Royale qui re-
çut un coup de pierre , dont il fut légèrement blessé.
C'étoit un garçon qui étoit de la ville , et qui m'avoit
demandé la grâce de me suivre. J'avois laissé les
compagnies qui m'escortoient à un quart de lieue de
la ville, de pem* deTeffrayer à l'aspect de ces troupes;
et elles m'attendirent pour me suivre à Gergeau , si
je ne pouvois entrer. L'on me vint dire que l'affaire
avançoit: j'y envoyai un des exempts de Monsieur qui
étoit avec moi , nommé Visé , et un de mes écuyers qui
s'appeloit Vantelet. Us firent fort bien , et je descendis
du lieu où j'étois peu après pour aller voir de quelle
manière tout se passoit. Comme le quai en cet endroit
étoit revêtu , et qu'il y avoit un fond où la rivière en-
troit et battoit la muraille , quoique l'eau fût basse ,
l'on amena deux bateaux pour meservir de pont, dans
le dernier desquels on me mit une échelle, par la-
quelle je D^ontai. Elle étoit assez haute 5 je ne mar-
quai pas le nombre des échelons : je me souviens seu-
lement qu'il y en avoit un rompu, et qui m'incommoda
DE MADEMOISELLE DE MONTPE^SIER. [l(>5!l] 179
à manier. Rien ne me coûtoit alors pour l'exécution
d'une circonstance avantageuse à mon parti , et que
je pensois Fétre fort pour moi.
Lorsque je fus montée , je laissai mes gardes anx
bateaux, et leur ordonnai de s'en retourner où étoient
mes carrosses , pour montrera messieurs d'Orléans que
j'entroisdans leur ville avec toute sorte de confiance,
puisque je n avois point de gendarmes avec moi ; quoi-
que le nombre des gardes fût petit , cela ne laissoit
pas de me paroitre faire un meilleur eifet de ne les
pas mener. Ma présence animoit les bateliers, et ils
travailloient avec plus de vigueur à rompre la porte ;
le bourgeois en faisoit de même dans la ville : Gra*
mont les faisoit agir , et ceux de la garde de cette porte
étoient sur les armes, spectateurs de cette rupture,
sans Fempécher. L'hôtel-de-ville étoit toujours assem-
blé , et tous les officiers de nos troupes qui se trou-
vèrent alors dans Orléans y avoient excité une sédition
qui auroit sans doute fait résoudre à me venir ouvrir
la porte Bannière , s'ils ne m'eussent su entrée par la
porte Brûlée : cette illustre porte , et qui sera tant re-
nommée par mou entrée , s'appelle ainsi. Quand je la
vis rompue, et que l'on en eut ôté deux planches du
milieu (l'on n'auroit pu l'ouvrir autrement : il y avoit
deux barres de fer en travers d'une grosseur exces-
sive) , Gramont me fit signe d'avancer : comme il y
avoit beaucoup de boue , un valet de pied me prit ,
me porta , et mé fourra par ce trou, où je n'eus pas si-
tôt la tête passée que l'on battit le tambour. Je donnai
la main an capitaine, et je lui dis: « Vous serez bien
« aise de vous pouvoir vanter que vous m'avez fait
« entrer. » Les cris de vi^^e le Roi^ les princes! et
J2.
l8o [^652] MÉMOIRES
point de Mazarin! redoublèrent : deux hommes me
prirent, et me mirent sur une chaise de bois. Je ne
sais si j'étois assise dedans ou sur les bras , tant la joie
où j'étois m'avoit mise hors de moi-même ; tout Je
monde me baisoit les mains, et je me pâmois de rire
de me voir en un si plaisant état. Après avoir passe
quelques rues , portée en triomphe, je leur dis que je
savois marcher, et que je les priois de me mettre à
terre: ce qu'ils fanent; je m'arrêtai pour attendre les
dames , qui arrivèrent un moment après crottées aussi
bien que moi, et fort aises aussi. 11 marchoit devant
moi une compagnie de la ville , tambour battant , qui
me faisoit faire place ; je trouvai à moitié chemin de
la porte à mon logis M. le gouverneur, qui étoit assez
embarrassé (et Ton Test bien à moins) , avec messieurs
de ville, qui me saluèrent. Je leur parlai la première :
je leur dis que je croyois qu'ils étoient surpris de me
voir entrer de cette manière ; que , fort impatiente de
mon naturel , je m'étois ennuyée d'attendre à la porte
Bannière-, que j'avois trouvé la porte Brûlée ouverte,
quej'étois entrée- qu'ils en dévoient être bien aises,
afin que la cour, qui étoit à Clery, ne leur sut point
mauvais gré de m'avoir fait entrer 5 que cela les dis-
culpoit , et que pour l'avenir ils ne seroient plus garans
de rien, puisque l'on se prendroit à moi de tout; que
l'on savoit bien que lorsque des personnes de ma qua-
lité sont dans un lieu elles y sont les maîtresses , et avec
assez de justice. « J e la dois être, ajoutai-je, en celui-
« ci, puisqu'il esta-Monsieur.» Ils me firent leurs com-
plimens, assez effrayés; je leur répondis quej'étois
fort persuadée de ce qu'ils me disoient qu'ils m'alloient
ouvrir la porte ; que les raisons que je leuravois dites
DE MADEMOISELLE DE MO^TPËSSlER. [lÔSs] l8l
étoient cause que je ne les avoîs pas attendus. Je causai
avec eux tout le long du chemin , comme si de rien
n'eût été; je leur dis que je voulois aller à Thôtel-
de-viUe pour assistera la délibération qui sy devoit
faire sur l'entrée du conseil dans la ville. Ils m'avoient
mandé , par la lettre que Pradine m'avoit apportée ,
qu'ils m'attendoient pour cela *, ils me dirent qu'elle
étoit prise, et qu'ils l'avoient refusée. Je leur témoi*
gnai en être satisfaite , puisque c'étoit ce que je dési-
rois. J'envoyai un de mes exempts quérir mon équi-
page, et depuis ce moment je commandai dans la ville
comme s'ils m'en avoient suppliée. Arrivée à mon
logis, je reçus les harangues de tous les corps et les
honneurs qui m'étoient dus , comme en un autre temps.
Ces messieurs, qui étoient demeurés à l'hôtellerie ,
arrivèrent-, ils me témoignèrent des joies non pareilles
de ce que j'a^ois fait ; ils ne laissèrent pas de me faire
paroître parmi cette alégresse le regret de ne m'avoir
pas accompagnée en cette occasion. Je ne fus pas peu
fatiguée cette journée-là; je ne mangeai point de tout
le jour, quoique je me fusse levée dès cinq heures
du matin ; et au lieu de me reposer après cette arrivée,
il fallut dépêcher un courrier à Son Altesse Royale et
unàl'arraée: desortequej'écrivisjusqu'à trois heures.
Ma joie étoit telle que je ne sentois rien; et même,
après avoir fait mes dépêches, je m'amusai à rire avec
les comtesses et Préfontaine de toutes les aventures
qui nous étoient arrivées. M. le gouverneur me donna
à souper : mes gens étoient arrivés trop tard pour
m'en «apprêter ; et pour ne paj» me donner la peine
d'aller à son logis , il Je fît apporter au mien. Sa femme
me vint voir ; elle étoit fort laide , mais elle avoit bien
]8a [l65a] MEMOIRES
de Tesprit, et ëtoit fille du comte de Cramail. Je
m'informai si M. Tintendant étoit dans la ville, afin
de lui donner toute sûreté pour en sortir : comme on
me dit qu'il en étoit sorti le malin , j'appris par M. Té-
vêque que madame Le Tellier y étoit , et qu'elle s'é-
toit mise dans un couvent. M. Le Tellier étoit pour
lors retourné à la cour-, et comme c'étoit un homme
de mérite, et sa femme aussi, et que je les connois-
sois, je leur aurois fait de mon chef de grandes civilités ;
et je savois de plus qu'il étoit particulier serviteur de
Monsieur. M. l'évéque me demanda si je trouvois bon
qu'elle demeurât dans la ville : je lui dis que je le
trouvois bon. J'envoyai Préfontaine à l'instant lui faire
compliment de ma part ^ il me l'amena. Je crois qu'elle
fut fort satisfaite de moi. Je la vis souvent chez moi
et dans le couvent où elle demeuroit. Elle eut nou*-
velle que l'un de ses fils étoit malade 5* elle envoya
quérir Préfontaine pour savoir si je trouvois bon qu'elle
s'en allât, et pour me demander un passeport: ce que
je lui accordai. Elle vint prendre congé de moi ; je
mandai à l'armée que Ton l'escortât, et que l'on lui
fît toutes les honnêtetés possibles.
Le lendemain de mon arrivée, qui étoit le jeudi
saint, l'on me vint éveiller à sept heures pour m'en
aller promener dans les rues, et pour prévenir la
tentative que le garde des sceaux vouloit faire pour
entrer avec le conseil. Je m'habillai en grande hâte ,
et j'envoyai quérir le maire de la ville et le gouver-
neur pour m'accompagner. Comme les chaînes étoient
tendues dans les rues, je ne voulois pas que l'on les
baissât; je m'en allai à la messe à pied à Sainte-Cathe-
rine, qui est une église proche du pont : je montai
DE XÀDEMOISEIXK DE MOIO^ESSIER. [iGSsJ l83
sur les tourelles du bout qui r^jardeat sur le Poite*-
reau, qui est le faubourg de ce côtë4à^ puis je vis
M. de Chamfdâtreux qui se promeuoit devant les Au-
gustinsavec quantité de gens de la cour. Gomme j^a-
vois beaucoup d'officiers de nos troupes ayec moi, je
pris plaisir de les faire paroitre afin que Ton vit leurs
écharpes bleues, pour Ëdre connoitrepar là que j'ëtoi»
patronne dans Orléans. Toutlepeujde qui étoit sur le
pont crioit : f^is^ le Roi^ les princes ! et poiiU de Mor
zarin! Ceux du Portereau répondoient de même;
ainsi les cris ne cessoient point , et je crois qu ils furent
entendus du garde des sceaux, qui en étoit à un quart
de lieue. La garde du pont fit une salve , après laquelle
les cris redoublèrent, aussi Jbien que les gardes que
j'ocdonnai être augmentées, parce que je les trouvois
trop foibles : ainsi les mazarins connurent n avoir p^s
rien à espérer. Le Roi partit ce jour-là de Clery pouf
aller coucher à Sully. Je dînai chez .M. Tévêque,
homme de mérite; et j'eus grand sujet de me louer
de sa conduite pendant ce voyage. Comme j'étois
chez lui , le lieutenant général, qui étoit fort mazarin,
m apporta une lettre qu il avoit reçue du garde des
sceaux, parce qu il savoit quej'avois appris qu'il lavoit
reçue ; je la brûlai , et lui défendis d'y faire aucune
réponse. J'envoyai arrêter des chevaux dans une hô-
tellerie que le commissionnaire de l'armée ennemie
avoit achetés : j'agissois avec une autorité tout entière %
j'allai à l'hôtel-de-ville , où j'avois ordonné que l'on
s'assemblât. J'avois envoyé Flamarin dans le faubourg
entretenir M. de Nemours, qui s'y étoit rendu, selon
ce que nous avions résolu à Toury \ il y avoit été le
jour de devant, et M. de Beaufort aussi 5 et j'eus trop
l84 [1652J MÉMOIRES
d'affaires pour y aller. L'on y attendoit aussi M. de
Beaufori, et j'avois dit à Flamarin de me venir dire
quand il y seroit arrivé, afin que je leur allasse parler.
Gomme je fus à l'hôtel-de-ville (0, assise dans une
grande chaise, et que je vis un profond silence pour
m'écouter , j'avoue que je fus dans le dernier embar-
ras; je n'avois jamais parlé en public, et j'étois fort
ignorante -, la nécessité et les ordres de Monsieur me
donnèrent de l'assurance et les moyens de me bien
expliquer. Je commençai donc ainsi :
« Son Altesse Royale n'a pu quitter les grandes et
importantes affaires qu'elle a à Paris -, elle n'a pas cru
pouvoir vous envoyer une personne qui lui fût plus
chère que moi , et en qui il pût prendre plus de con-
fiîgiice, fondée sur l'honneur que j'ai d'être ce que je
lui suis, pour vous protéger contre les mauvais des-
seins du cardinal Mazarin , ou pour périr avec vous si
l'on ne s^en peut défendre. Son Altesse Royale est
très-persuadée du zèle que vous avez pour son service
et pour la conservation de ce pays. Elle m'a com-
mandé de vous faire connoître qu'en cette rencontre
vos propres intérêts lui sont aussi chers que les siens ,
et qu'ils se trouvent tellement unis qu'il seroit diffi-
cile de les séparer. Elle a appris avec beaucoup de
douleur les désordres que les troupes ont commis
dans Blois et aux environs, et elle souffre avec peine
que la vengeance du cardinal Mazarin contre elle
tombe sur tant de personnes innocentes qui en sont
(1) Comme je fus a i hotel-de-vUlc : Ou v«)il <{uc iMudcmoisellc s'ef-
força de joner à Orléans le rAle que la princesse de Coudé avoit joué \
Bordeaux en i65o.
DE MADEMOISELLE DE MO>TPE»lER. [l65a] l85
les victimes. Son Altesse Royale ne doute pas que si
cette armée entroit dans Orléans , elle ne traitât cette
ville avec beaucoup de rigueur, puisque c'est la
capitale de son apanage , et celle dont Son Altesse
Royale porte le nom ; et comme tout ce qui lui arri-
veroit lui seroit sensible, elle ma envoyé pour dé-
fendre riionneur, les biens et les vies de ses habita ns,
et exposer la mienne en toutes rencontres pour les
conserver. Et comme la seule voie pour y parvenir
est de n y point laisser entrer Tennemi commun , il
se trouvera peut-être quelques gens parmi vous qui
croiroient manquer à leur devoir , lorsque Ton refuse
l'entrée au Roi-, c'est le servir en cette rencontre que
de lui conserver la plus belle et la plus importante
ville de son royaume. Qui ne sait pas qu'en Tâge où
est le Roi , personne ne doit avoir plus de part en ses
conseils que Monsieur et M. le prince , puisque per-
sonne n'a plus d'intérêt à l'Etat et à sa conservation ?
Ainsi il ne faut que le bon sens pour connoitre qu^on
doit suivre leur parti , et que c'est celui du Roi,
quoique sa personne n'y soit pas : c'est ce qui cause
tous nos malheurs présens, de le voir entre les mains
d'un étranger qui ne songe qu'à ses intérêts , et qui
ne se soucie guère ni du Roi ni de TEtat. C'est pour-
quoi les ordres qui viennent de lui , où il met en tête
par abus le nom du Roi , ne doivent pcfint être sui-
vis, puisque les véritables sont ceux de Son Altesse
Royale, entre les mains de qui légitimement sa per-
sonne et son autorité doivent être. Vous êtes plus
obligés que tout le reste de la France à lui obéir, par
Thonneur que vous avez de lui appartenir. Son Altesse
Royale m'a ordonné de vous témoigner qu'elle est
l86 [l^S^] MÉMOIRES
satisfaite des bons sentîmcns que vous avez pour elle,
de vous en demander la continuation , de vous assu-
rer de sa protection et de sa bonne volonté , avec
espérance de recevoir aussi les effets de la Vôtre.
Son Altesse Royale m'a aussi commande de vous dire
qu'elle jugeoit que la proximité de son armée et de
celle de M. le prince, qui y est jointe, pourroit incom-
moder en quelque façon la ville ^ elle m'a ordonné de
l'en faire éloigner au plus tôt ^ et pour cela j'ai mandé
à messieurs les ducs de Nemours et de Beaufort de me
venir trouver pour conférer avec eux sur ce sujet.
Ces messieurs m'ont fait dire qu'ils seroient bien aises
que les oJQficiers qui sont dans la ville en sortissent:
c'est pourquoi je désirois qu'ils fissent publier un ban
dans la ville pour faire sortir les officiers des troupes
dans vingt-quatre heures, hors qu'ils fussent ma-
lades, ou que je leur donnasse permission de de-
meurer , afin de leur faire connoître que l'on vouloit
éloigner tout ce qui pouvoit leur être suspect •, que»
je les priois de ne rien faire dans la suite sans ma
participation^ que je ne ferois rien de mon côté sans
la leur, et que je voulois établir entre nous la der-
nière confiance. »
Us me remercièrent , et après je m'en allai. Lors-
que je sortis , je vis les fenêtres des prisons de l'hôtel-
de-ville toutes pleines de nos soldats , qui me deman-
doient leur liberté ; je demandai à ces messieurs qui
me conduisoient ce qu'ils avoient fait : ils me dirent
qu'il y avoit plusieurs accusations contre eux. Je leur
offris de les faire tous pendre dans les places pu-
bliques de la ville : ils le refusèrent, et me les ren-
DE MiDEMOISELLE DE MO^TTPEN'SIER. [l65!l] 187
dirent tous; je les envoyai dès le soir à rarmëe , et ils
leur firent rendre leurs armes et leurs chevaux : il
y avoit environ quarante ou cinquante cavaliers.
Comme je fus de retour à mon logis, je demandati
à ces messieurs s'ils ëtoient contens de moi. Avant
que d'aller à Thôtel-de-ville ^ ils m avoient dit qu il
seroit bon de concerter ce que je dirois. « Je sais sur
« quoi j ai à parler : si j'y songeois, je ne ferois rien
« qui vaille ; il faut que je dise tout ce qui me vien-
a dra dans la tête , et surtout mettez-vous derrière
Cl moi : si Ion me regarde , je ne saurai plus où j'en
(c suis. » Ils me dirent qu'il avoit bien paru que je neles
voyois pas , et que j'avois fort bien parlé. J'ëtois re-
venue à mon logis pour y attendre des nouvelles de mes-
sieurs de Beaufort et de Nemours; il n'en venoit point :
ce qui me donna beaucoup d'inquiëtude. Le soir très-
tard , M. de Beaufort me manda qu'il li'avoit pu venir,
parce qu'il avoit attaque Gergeau. Cela me mit fort en
colère ; il le fit de sa tête sans en parler à M. de Ne-
mours. Cette action fut fort imprudente, et fort peu
d'un capitaine : elle ëtoit faite mal à propos ; je n'en
dirai rien , sinon que nous voulions conserver un pont
que Ton rompit. Nous y perdîmes assez de gens , entre
autres M. le baron de Vitaux , homme de qualitë , de
mërite et de réputation parmi les gens de guerre. 11 y
reçut une blessure au riienton , dont il mourut quel-
ques jours après à Orléans. Je l'y avois fait porter pour
être mieux traité : tous les soins que l'on put prendre
ne servirent de rien. C'étoit un homme nourri dès sa
naissance dans les armées de l'Empereur en Allemagne;
parla l'on peut juger de son expérience dans la guerre,
ou il avoit reçu un honneur assez extraordinaire
l88 [1652J MÉMOIRES
digne de remarque, et que peu de gens ont eu, de faire
le coup de pistolet contre trois rois, savoir de Bohême,
de Pologne et de Suède 5 et même il perça le chapeau
de ce dernier. Les médecins dirent qu'il mourut de
chagrin. C'étoit un homme couvert de coups, qui
avoit servi le Roi fort long-temps , et même à la ba-
taille de Rocroy il contribua beaucoup à la victoire ,
autant que les officiers qui ont un chef aussi brave ,
aussi grand capitaine et aussi généreux que M. le
prince, pouvoient y servir -, ensuite il ne fut pas récom-
pensé comme il croyoit le mériter : ce qui l'obligea
de quitter, et de s'en aller chez lui en Bourgogne, où
Monsieur l'envoya quérir. Lorsque notre armée fut en
Beauce , comme j'ai dit , elle étoit fort en état d'agir -,
nos coureurs alloient jusqu'à Blois, et donnoient beau-
coup d'effroi. Monsieur désiroit et vouloit une entre-
prise considérable , et croyoit que M. de Beaufort dé-»
féreroit à ses avis : ce qu'il ne fit pas. Je crois aussi
qu'il avoit ordre de Monsieur de ne rien faire : le bon
homme Vitaux se fâchoit de ne point faire paroître
combien il étoit capable dans la guerre. L'on manqua
encore une autre fois Gergeau : de sorte que toutes ces
circonstances causèrent plus sa mort que sa blessure.
Il mourut fort chrétiennement, et avec beaucoup de
résolution. J'eus soin qu'on lui rendît tous les hon-
neurs funèbres qui furent possibles, et je le fis enterrer
à Saint-Pierre à Orléans. L'on lui a mis une épitaphe
que plusieurs ont cru que j'ai fait faire , parce qu'elle
est fort frondeuse 5 je ne l'ai cependant vue que long-
temps après.
Revenons à M. de Beaufort : la colère que j'avois
contre lui se passa contre Brelle, qu'il m'avoit envoyé 5
DE MADEMOISELLE DE MONTPFNSIER. [l65!i] 189
Ton lui dit de n'en rien dire à son maître , auquel je
mandai de me venir trouver le lendemain, et M. de
iSemours aussi. Comme j'eus reçu le matin de leurs
nouvelles , Ton mit en délibération si je prpposerois à
messieurs de ville de les faire entrer : je juj^eai que
cela n'étoit pas à propos, et que ce seroit leur donner
quelque soupçon de faire entrer nos généraux accom-
pagnés de tous les oflBciers , qu ils ne pouvoient se
dispenser de mener avec eux: : de sorte que cette dif-
ficulté fut vidée par la résolution que je fis d'aller au
faubourg parler à eux. 11 en naquit une de celte ré-
solution : ces messieurs doutoient que je dusse sortir
de la ville, de crainte que Ton ne me laissât pas ren-
trer 5 pour moi, je ne mis point cela en doute, et j 'étois
très-assurée que Ton me laisseroit rentrer, et qu'ainsi
je neferois aucune difficulté de sortir, et que dans le
peu d'intelligence qui étoit enti-e nos généraux ils ne
prend roient aucune résolution qu'en ma présence, et
que la marche de l'armée étoit si nécessaire, qu'il fal-
loit absolument que j'allasse la faire résoudi'C; et que
pour lèverions soupçons je meltroispied à terre à la
porte de la ville , que j'y laisserois mon carrosse et mes
gardes, et qu'il n'y auroit rien à craindre. J'envoyai
quérir messieurs de ville, auxquels je dis : « Comme
« je ne veux rien faire sans votre participation , j'ai
« voulu vous avertir que je vais dans le faubourg Saint-
« Vincent voir messieurs les ducs de Beaufort et de
« Nemours, pour faire partir l'armée dès demain ; et
u quoique j'eusse cru que vous auriez été bien^aises
(( de les voir, je n'ai pas voulu vous le proposer, dans
« Tappréhension que la quantité des officiers qui.
« les suivent ne donnât quelque soupçon au menu
igo [i65a] mémoires
« peuple. » Ils me remercièrent de ma bonté^ je partis
aussitôt , et j'exécutai à la porte ce que j'avois résolu :
messieurs les comtes de Fiesque et de Gramont demeu-
rèrent soqs la porte à entretenir monsieur le maire et
quelques échcvins. J'entrai dans une fort misérable
maison dégarnie de tout, où tous ces messieurs arri-
vèrent aussitôt après moi. M. de Beaufort me salua
assez froidement •, M. de Nemours me fit de grands
complimens sur ce qui s'étoit passé à mon entrée ^
comme fit tout ce qui étoit là d'officiers. Après avoir
parlé quelques momens de ma conquête , je leur dis
qu'il falJoit parler des affaires pour lesquelles on étoit
venu : de sorte que tous les gens qui n'assistoient pas
au conseil sortirent. 11 ne demeura que messieurs de
Nemours, Beaufort, de Clinchamp , lieutenant général
des étrangers, le comte de Tavannes, qui l'étoit de l'ar-
mée de M. le prince , et les maréchaux de camp des
deux armées : Coligny , Mare , Langue, Valon et Villars
Orondate; le comte de HoUac et Saumery ne l'étoient
pas. Comme ils commandoient , le premier le régi-
ment des étrangers , le second celui de cavalerie de
Son Altesse Royale, et l'autre celui d'infanterie, je
fus bien aise de les y faire entrer. Gouville y étoit aussi
maréchal de bataille de l'armée de M. le prince : mes-
sieurs de Rohan et Flamarin y assistèrent aussi ^ mes-
sieurs de Fiesque , Bréauté et de Frontenac étoient en
un coin, et messieurs de Croissy et Bcrmont. Cléram-
baut ne voulut pas être du (îonseil , quoique maréchal
de camp , à cause qu'il servoit en Guienne. Pradine,
Préfontaine et La Tour étoient aussi à l'autre coin de
.la chambre.
La grande question étoit de savoir de quel côté
DE MADEMOISELLE DE MO^TPENSlER. [iGSî] 191
iroit larmée. Valon opina le premier pour Montargis :
Çlinchamp fut de cet avis ^ celui de Tavannes fût d'aller
passer ]a rivière à Blois -, et M. de Nemours aussi, qui
se mit fort en colère contre ceux qui étoient d'avis
contraire ; il vouloit que Ton passât la rivière à quel-
que prix que ce fût, quoiqu'il m'eût promis le con-
traire. Je le lui dis : il se mit en une furie horrible
contre moi ; nous étions M. de Beauforfet moi sur un
coffre de bois, et Çlinchamp, qui ne se pouvoit tenir
debout long-temps à cause d'une vieille blessure,
ëtoit assis sur un châlit. Après que tout le monde eut
opiné, je demandai à ces messieurs les conseillers
leurs avis : ce qu'ils refusèrent d'abord , et ils dirent
que ce n étoit pas là leur métier -, à quoi je répliquai
que ce n'étoit pas non plus le mien : de sorte qu'ils
se laissèrent aller à nos persuasions , et furent du
grand avis qui fut le mien ^ j'opinai de même. L'on
jugera aisément que ce ne fut pas bien^ les demoi-
selles parlent pour l'ordinaire mal de la guerre: je
vous assure qu'en cela comme en toute autre circons-
tance le bon sens règle tout , et que quand on en a,
il n'y a dame qui ne commandât bien des armées. Je
conclus pour Montargis : c'étoit le meilleur pays où
les troupes subsisteroient bien -, que si on y arrivoit
assez tôt, l'on pourroit envoyer des gens à Montereau ^
qu'ainsi l'on seroit maître des rivières de Loire et
d'Yonne , et que l'on couperoit le chemin à la cour ,
que l'on empécheroit d'aller à Fontainebleau ; que
l'avis de Blois ine paroissoit mauvais en ce que l'on
iroit dans un pays où l'armée des ennemis avpit été
trois semaines, et avoit tout pillé-, et que de donner,
dix jours de marche aux enuemis quand on les pou-
igT. [1652] MÉMOIRES
voit couper , il me sembloit que ce ii'ëtoit pas prendre
le bon partie que tout le monde avoit ëté pour Mon-
targis, qu'il y falloit aller absolument.' M. de Nemours
se mit à jurer et à pester que Ton abandonnoit M. le
prince, et que s'il faisoit bien il se sëpareroit de
Monsieur. Je'lui.dis que je çroyois que .M. le. prince
le dësavoueroit de ce qu'il disoit , et qu'il ne devoit
point avoir Un tel emportement sur une affaire qui
n ëtoit point contre les intérêts de M. le prince , qui
m'étoient aussi chers qu'à lui. Je lui dis tout ce que
je pus pour le ramener : il me menaça* de s'en aller-,
je le priai de m'en avertir quand il le voudroit faire ,
parce que les ennemis ëtoient proches et forts -, qu'il
ëtoit bon de savoir bientôt s'il se voudroit sëparer des
troupes de Monsieur -, que je ne voulois pas qu'elles
passassent la rivière , et que je verrois à les mettre en
lieu de sûretë. 11 ëtoit si en colère qu'il ne savoit ce
qu'il disoit 5 il se mit encore à pester et à jurer que l'on
trompoit M. le prince , et qu'il savoit bien qui c' ëtoit.
M. de Beaufort lui demanda : « Qui est-ce? » Il lui ré-
pondit : (c C'est vous. » Sur quoi ils se frappèrent tous
deux. Comme j'avois la tête tournée, et que je parlois
à Clinchamp, je ne vis point qui frappa le premier ;
j'ai su de ceux qui y ëtoient que ce fut M. de Beau-
fort , et c'est ce qui a causé ce qui est arrivé depuis ;
ils mirent l'ëpëe à la main , et l'on se jeta dessus pour
les sëparer. Au moment tout le monde qui ëtoit de-
hors entra : ce fut une confusion et un bruit horrible,
dont M. de Clinchamp fut bien scandalisé. Parmi les
étrangers, on a plus de respect envers les gens à qui
^l'on en doit. M. de Nemours ne voulut jamais donner
son ëpée à personne qu'à moi, avec grande peine ; je
D^ MADEMOISELLE- DE MOXTPEXSIEB. [iGSs] 198
la donnai an lieutenant des {^rdes de Monsieur, qui
étoit avec moi , aussi bien que celle de M. de Beau-
fort , que je menai dans un jardin ; il se mit à genoux
devant moi, et me demanda pardon, avec tous les
déplaisirs possibles de m'avoir manqué de respect.
M. de Nemours n en fit pas de même : il fut une heure
dans une telle furie , que rien n étoit égal ; je le prê-
chois, et lui disois que cette action étoit la plus dés-
avantageuse du monde pour le parti , et que les en-
nemis s'en réjouiroient comme d'un grand avantage
qu'ils remportoient sur nous ^ qu'il montrât en cette
occasion le zèle qu iJ a voit pour le parti de M. le prince^
qu'il sacrifiât sa passion à ses intérêts. Il n entendoit
rien. D'un autre côté j'étois en grande inquiétude de
voir qu'il étoit une heure de nuit, et que j'avois à
rentrer dans une ville où le bourgeois pouvoit s'alar-
mer : il y avoit sujet de le craindre ; néanmoins je ne
voulus point partir que je ne les eusse raccommodés.
Coligny etTavannes pressèrent si fort M. de Nemours,
qu'ils obtinrent avec beaucoup de peine qu'il me fe- •
roit dès excuses* Je le priai d'embrasser M. de Peau-
fort -, il me le promit d'une fort méchante manière : il
falloif prendre de lui ce que l'on pouvoît. Je ih'en
allai quérir M. de Beaufort, et je di» ai l'un et à l'autre
tout ce que je croyois qu'ils se dévoient dire ^ je sà-
vois bien que M. de Nemours n'auroit pas dit à M. de
Beaufort ce qu'il devoit lui dire. M. de Beaufort té-
moigna la dernière tendresse à M. de Nemours, et
beaucoup de douleur .de s'être emporte contre son
beau-frère^ l'autre ne lui dit rien , et l'embrassa comme
il au roit fait un valet. La tendresse de M. de Beaufort
alla jusqu'à pleurer : de quoi la compagnie rit un peu,
T. 4i- • '3
Ig4 [1652] MÉMOIRES
et moi toute la première ; ce que je ne devois pas
' faire : je ne pus m'en empêcher. Cette dispute un peu
calmée, je m'en allai.; j'ordonnai à tous les officiers
de garder chacun leur général , et de ne leur pas obéir
jusqu'à ce qu'ils se fussent tout-à-fait raccommodés ,
et leur enjoignis de tenir la main à les remettre en
bonne intelligence.
' Je retournai en ma ville , où je trouvai quantité de
bourgeois qui étoient ravis de me revoir, sans que pas
un demandât pourquoi j'avois tant tardé , ni témoi-
gnât de défiance du séjour que j'avois fait dans le
faubourg; je le dis pourtant aux principaux, comme
pour leur en donner part. Dès que je fus en mon logis,
je dépéchai un courrier à Monsieur, pour lui donner
avis de tout ce qui s'étoit passé ; et le lendemain j'en-
voyai les ordres à l'armée de marcher , qui partit le
jour d'après dès la pointe du jour. J'écrivis à messieurs
de Nemours et de Beaufort pour les prier de bien vivre
ensemble -, ils m'envoyèrent un courrier pour m'as-
• surer qu'ils avoient satisfait à mes ordres, tant en cela
qu'à marcher-, et M. de Clinchamp me manda qu'ils
avoient dîné ensemble.
Le samedi de Pâques, l'on me vint dire le* matin
qu'il y avoit du Canon à Saint-Mesmin qui avoit re-
monté sur la rivière depuis Blois , et qu'ils attendoient
de quoi le mener et l'escorter à l'armée. A l'instant
j'envoyai quérir ces messieurs , et je leur dis : « Voici
« une occasion, il faut aller à Saint-Mesmin ; j'irai à
u cheval , et tous mes chevaux de carrosse serviront à
« amener ici le canon. Tout ce qui est à moi montera
« à cheval : il y aura cent bons hommes bien mon-
(( tés ; je prendrai deux cents mousquetaires de la
DE MADEMOISELLE DE MOTPEX51ER. [lt>5l] I<p
Cl Tille : aiosi TesoDrle sera assez forte « et nous aurons
m. leur canon. » Us se mirent tous à rire de tout IVn-
vie gue j'avois de faire quelque chose ; je ne trouvois
rien d^'impossible. Us me dirent que si j'avois des trou-
pes cela se pourroit faire « mais que n>n ayant points
cela ëtoit difficile : dont je fus très-fîchëe. Je reçus
le même jour la réponse de Son Altesse Royale à la
lettre que je lui ayois écrite « qui me donna une sen-
sible joie , par la tendresse dont elle me parut rem-
plie : ce qui m'oblige de la mettre ici.
« Ma fille,
a Vous pouvez penser la joie que j'ai eue de Faction
que vous venez de faire : vous m avez sauvé Orléans,
et assuré Paris; c'est une joie publique, et tout le
monde dit que votre action est digne de la petite-fille
de Henri-le-Grand. Je ne doutois pas de votre cœur,
mais en cette action j'ai vu que vous avez encore plus
de prudence que de cœur. Je vous dirai encore que
je suis ravi de ce que vous avez fait , autant pour Fa-
mour de vous que pour Famour de moi. Dorénavant
faites-moi écrire par la main de votre secrétaire les
choses importantes, pour les raisons que vous savez.
« Gaston. »
Cette raison est que j'écris si mal qu on a toutes les
peines du monde à lire mon écriture.
A mon arrivée à Orléans, je reçus force plaintes des
bourgeois et gentilshommes des environs, des dés-
ordres des gens de guerre , qui prenoient les bestiaux
et les chevaux des laboureurs, battoient et faisoient
toutes les violences imaginables, à ce que Fon disoit ;
brûloient les pieds des paysans pour avoir de Fargent;
i3.
196 [l65!ij MÉMOIRES
enfin tous les contes fabuleux que Ton fait aux bonnes
femmes des champs. Comme je suis fort sensible à la
misère des pauvres , cela m'attendrit ^ et aimant fort
la justice , je fis faire de grandes perquisitions pour
y donner ordre : les bestiaux et les chevaux que Ton
trouva dans les quartiers furent rendus , et les labou-
reurs retournèrent à leurs charrues vingt-quatre heures
après mon arrivée , comme en pleine paix *, Ton alla
aussi aux marches. Pour tous les autres désordres et
violences, ils furent trouvés faux, et je fis tout rendre :
de sorte que Ton me donna autant de bénédictions
dans, la campagne que dans la ville. On ne vendoit
plus le sel, et les autres droits du Roi ne s'y pay oient
plus 5 ceux qui avoient accoutumé de les recevoir s'é-
toient cachés , craignant autant pour leurs personnes
que pour l'argent qu'ils. avoient déjà reçu; et ce n'é-
toit pas sans raison , par l'exemple de ce qui avoit déjà
été fait dans les autres villes. On crut si bien que je
devois mettre la main sur cet argent , qu'on me vint
donner avis qu'il y avoit des sommes considérables ,
et que je les pouvois prendre : pour me le mieux per-
suader, l'on me dit que je le devois faire pour payer
nos troupes , et pour en lever de nouvelles 5 que ce
seroit rendre un grand service au parti ; que je le pou-
vois même garder pour moi. Je ne fus pas seulement
fâchée , mais j'eus même horreur de cette dernière
proposition. La première m^auroit pu toucher , sans
la crainte que j'avois que cela ne fit quelque préju-
dice aux particuliers qui en étoient chargés; ainsi je
n'écoutai rien là-dessus. Je fis venir tous les rece-
veurs qui étoient à la ville et aux environs , pour les
rassurer et pour leur dire qu'ils ne craignissent rien :
DB MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSsJ I97
que Taisent du Roi serait en sûretë ; qa'ils continuas-
sent leurs emplois. J'ai toujours cru (0 qu'il faut en
tout temps remire à César ce qui appartient à César :
cette règle a été faite aussi bien pour les souverains
que pour les sujets ; et ils sont obligés de laisuivre
également. Je les assurai tous de ma protection, sous
laquelle ils recommencèrent la levée de tous les droits
du Roi , dont ils me surent un très-bon gré \ et je
m'en sus aussi à moi-même de n'avoir manqué à au-
cun de mes devoirs. Il y avoit quelques gfficiers du
présidial , qui avoient des pareçs dans le service du
cardinal Mazarin , qur ne savoient s'ils dévoient sortir
ou demeurer ; je les envoyai quérir , et leur dis que ,
pourvu qu'ils ne se mêlassent de rien . je les laisserois
en repos chez eux : ce qu'ils firent. Ce sont d'hon*
nétes gens qui s'appellent Brachet *, leur onde, nommé
Belebat , étoit recevewr de la ville. #
Comme je revenois de complies des filles de Sainte-
Marie , l'on me dit que M. le président de Nesmond
et messieurs les conseillers du parlement de Paris,
députés vers le Roi pour lui remontrer la nécessité
•qu'il y avoit pour le bien de FEtat d'éloigner M. le
cardinal Mazarin, étoient à la porte d'Orléans qui at-
tendoient il y avoit une heure pour entrer. A l'instant
je donnai ordre qu'on y allât, et messieurs de Croissy
et de Bermont furent au devant d'eux. Aussitôt après
leur arrivée ils me virirent voir , et me firent part du
sujet de leur voyage, quoique je le susse. Je leur en
(i) J*ai toujours cru: La condaite de Mademoiselle dans cette circons-
tance est d^aattint plus louable que^ dans ces temps d^anarcliie, les chefs
des rebelles ne se faisoient aucun scrupule de s^emparcr des deniers du
Roi. Ou en verra un exemple remarquable dans les Mémoires de GeurrHlc.
I()ft [l65»] MÉMOIRES
donnai de tout ce qui s'étoit passé à Orléans depuis
que j'y étois, et de toutes les choses que j'avois dessein
de faire : ce qu'ils approuvèrent fort. Ils y séjournè-
rent le lendemain à cause de la fête -, et comme ils
ëtoien^en mon logis, on leur vint dire qu'il y avoit
un valet de pied de la part du Roi qui les demandpit
avec des lettres ; ils s'en allèrent ^ et aussitôt après les
avoir lues ils me les envoyèrent montrer par M. de
Bermont leur confrère , qui étoit avec moi. Ces lettres
portoient quelle Roi leur ordonnoit de l'aller attendre
à Gien, où il se rendroit dans peu de jours. Ces mes-
sieurs répondirent qu'en passant à Sully 'ils s'y ar-
rêteroient pour voir s'ils pourroient avoir l'honneur
d'être ouïs de Sa Majesté , sinon qu'ils passeroient à
Gien. Ils partirent le lendemain; ils me demandèrent
deux de mes gardes pour les escorter jusqu'à ce que
l'escorte que j'avois mandée qu'on leur envoyât de
l'armée les eût joints. Ces gardes rapportèrent une
nouvelle qui me donna grande joie, qui fut l'arrivée
de M. le prince à l'armée (O. Je ne le pouvois croire,
tant je le désirois; et dans la crainte que cela ne fût
point vrai, je ne voulus pas que l'on, le dît. Le len-»
demain à mon réveil j'en eus la certitude par Guitaut
qu'il m'envoya aussitôt après être arrivé à l'armée, par
lequel il m'écrivit et me fit faire toutes les civilités et
les assurances de services possibles, comme vous pou-
vez voir par sa lettre.
(i) L'arrivée de M, le prince a V armée : Le prince de Confie <?toil
paili presque seul d'Agfn le dimanche des Rameanx 24 wiars. Après
avoir couiu les plus grands dangers, il joignit le lundi i" avril, dans
la foréi d'^Or Jeans , Farmëe comnrandce par les ducs de Nemours et de
Bçaufort.
DE !IIADE!«OISF.LLE DE MO>TPE>SlER. [l65*2] IÇ^
(i Mademoiselle «
« Aussitôt que j^ai été arrivé ici , j*ai cru être obligé
de vous dépécher Guitaut , pour vous témoigner la
reconooissance que j'ai de toutes les bontés que vous
faites paroitre pour moi , et en même temps de me ré-
jouir avec vous de ITieureux succès de votre entrée à
Orléans. Cest un coup qui n'appartient qu'à vous , et
qui est de la dernière importance. Faites-moi la grâce
d'être persuadée que je serai toujours inséparablement
attaché aux intérêts de Monsieur, et que je vous té-
moignerai toujours que je suis avec tous les respects
et la passion imaginables, mademoiselle, votre très-
humble et très-obéissant serviteur ,
(( Louis DE Bourbon. >»
La joie que j'eus de son arrivée fut très-grande : car
j'espérois que sa bonne fortune accoutumée seroit
avantageuse au parti , et qu'elle ne« l'abandonneroit
pas dans les occasions à l'avenir, comme elle avoit
fait par le passé : ce qui parut bientôt après. Je me fis
conter par Guitaut toutes les aventures qui lui étoient
arrivées par le chemin ^ il se sauva miraculeusement
des troupes du Roi , car Sainte-Maure ne le manqua
que d'un quart-d'heure ; vs'il eût été pris, on ne lui au-
roit point fait de quartier ; c'auroit été un grand mal-
heur pour la France de perdre un prince qui la si
bien servie, et qui continue toujours en faisant la
guerre au cardinal Mazarin, pour tâcher de le chasser.
Il est vrai que les services qu'il lui reéd présentement
ne paroissent pas aux yeux tels que ceux des batailles
deRocroy, Fribourg, Nordlinguc et de Lens, et d'un
nombre infini de places qu'il a prises -, mais il faut que
200 [l652] MÉMOIRES
les intentions des grands (0 soient comme les mys-
tères de la Foi. Il n'appartient pas aux hommes d'y
pénétrer ; on les doit réyérer, et croire qu'elles ne sont
jamais que pour Je bien et le salùt de la patrie. L'on
doit juger ainsi de celles de M. le prince ^ puisque
c'est l'homme du monde le plus raisonnable. 11 fut
assez embarrassé à une hôtellerie de son déguisement,
car il fjaisoit le valet \ e]; comme on lui dit de brider
et seller un cheval , jamais il n'en put venir à bout.
Pendant sa prison , M. de Vendôme eut le gouver- -
nement de Bourgogne par commission y M. le comte
d'Harcourt celui de Normandie , le maréchal de L'Hô-
pital celui de Champagne, dont il est lieutenant de
roi. A leur sortie , M. le prince changea celui de Bour-
gogne en celui de Guienne avec M. d'Epernon , et le
prince de Conti reprit la Champagne jusqu'à ce que
M. le duc d'Enghien fût en âge de l'avoir : car c'est
le Berry qui est à M. le prince de Conti. L'on passa
en ce temps-là le contrat de mariage au Palais-Royal ,
en présence de Leurs Majestés, de M. le duc d'En-
ghien avec ma sœur dç Valois, troisième fille du se-
cond mariage de Monsieur. J'ai parlé de l'échange de
ces gouvernemens , parce que l'on n'auroit pas com-
• pris comment M. le prince n'étant pas bien à la cour,
l'on lui avoit laissé passer toute la France pour aller
à Bordeaux •, et comme il y avoit long-temps qu'il par-
loit de faire ce voyage pour s'y faire recevoir , cela ne
surprit point. U fit faire une litière pour faire son en-
(i) Il faut que les intentions des grands: Cette singulière doctrine
est un des traits les pius^ marquans du caractère de Mademoiselle. Ce
quVllc présente de révoltant est adouci par Textréme naïveté avec la-
quelle on la voit développée.
DB MAOQIOISELLE BB MOyT»EXSIER. [165^] »Ot
trée, la plus magnîfiqoe do monde. Comme il porioil
encore le deuil, elle élcHt noire, tonte chanmrée d'ar*
gent, et son carrosse? de même.
Ontre les avantages que Ton ponroit espérer dé la
venue de H. le prince, comme j ai déjà dit , elle ëtoit
d'une nécessite extrême , les ducs de Beaufort et de
Nemours n étant réconciliés qu'en apparence, et ne
Tétant point dans le cœur. Cela faisoit naître sans
cesse des démêlés entre eux qui causoient des divi*
sions et partialités parmi les officiers , et avoient mis
tels soupçons dans les régimens étrangers, qu'ils étoient
quasi tous prêts à quitter ^ et pour y remédier, M. de
Clinchamp et les autres officiers généraux avoient
résolu de m'envoyer prier de venir à Tarmée , pour
que toutes choses parussent se faire avec ma partie!*
pation , et que cela seul pourroit rétablir la confiance
des étrangers, qui en avoient beaucoup en moi. C(^
n^est pas que ces messieurs les généraux fissent rien
de leur tête depuis que je fus à Orléans ^ ils envoyoient
tous les jours me rendre compte de toutes choses :
sur quoi j'ordonnois ce qui me plaisoit. M. de Clin*
champ envoyoit aussi tous les jours , et il étoit plus
soigneux de me rendre toutes sortes de respects et
devoirs que les gens de Monsieur ^ et quand j'cnvoyois
des officiers en sauve-gardes pour conserver des mai-
sons ou villages , j'envoy ois plutôt de ceux de M. de
Clincham}U{ue des nôtres.
Dieu les délivra de Fembarras où ils étoient en leur
envoyant un général , le plus habile et le plus expé-
rimenté qui soit au monde. En arrivant, Ton Tarrêta à
la garde -, il trouvoit mauvab que Ton ne le laissât pas
passer, et ne vouloit pas dire qui il étoit. Un colonel
20?. (l652] MÉMOIRES
allemand , nommé d'Estouan, qui étoit de garde comme
il arriva, se douta que c'étoit M. le prince , mit pied
à terre et lui embrassa les genoux. A l'instant toute
Tarmée le sut , et ce fut la plus grande joie du monde.
Il jugea qu'il ëtoit nécessaire de tenir conseil, pour
délibérer ce qu'il y auroitàfaire, voyant bien que Ton
ne pouvoit pas demeurer plus long-temps au poste
où on étoit, tant à cause du lieu que pour l'utilité des
affaires. M. de Nemours, qui croy oit qu'il changeroit
tout ce qu'on avoit résolu, et qu'il suivroit son avis ,
lui conta tout ce qui s'étoit passé dans le faubourg
d'Orléans. M. le prince dit que les résolutions prises
dans un conseil où.j'avois bien voulu être dévoient
être suivies, quand elles ne seroient pas bonnes -, mais
que celles que Ton avoit prises étoient telles que le
roi de Suède n'eût pu mieux prendre son parti , et que
^pour lui il Fauroit fait quand je ne l'aurois pas or-
donné : dont M. de Nemours fut fort attrapé ; de sorte
qu'il fit marcher l'armée à l'instant , et alla droit à
Montargis. Lorsque l'armée y avoit été , M. de Beau-
fort y avoit laissé cent mousquetaires de Son Altesse
Royale ( car l'on appeloit les régimens de Monsieur
ainsi), et cinquante maîtres de celui de cavalerie : de
sorte que Ton croyoitque ces gens-là étoient maîtres
de Montargis -, et j'avois envoyé un ordre aux habi-
tans et au gouverneur d'y recevoir l'armée. M. le
prince , ayant appris cela , ne douta pas d'^ être reçu -,
mais les gens de Monsieur, qui Bont peu prévoyans ,
et qui ne songent pas toujours à ce qu'ils font, avoient
donné un ordre de Monsieur à M. Faurc, qui en étoit
gouverneur, pour faire retourner à l'armée les mous-
quetaires et les cavaliers.
DE MADEMOISELLE DE MO>TPENS]EH. [l65a] ao3
En partant, .les secrétaires de Monsieur avoient
donné au mien des blancs signés de Son Altesse
Royale j pour s'en servir quand je le jugerois à pro-
pos ; de sorte que quelquefois j'en envoyois dans le
commencemeiit. C'étoit donc un de ceux-là qu'un
garde avoit porté à Montargis •, il trouva ces troupes
sorties du matin seulement. Sur le bruit de l'arrivée
de l'armée , il y eut quelque effroi dans la ville -, et
Mondreville, gentilhomme de ce pays-là, qui est au
cardinal , se servit de cette frayeur pour obliger les
bourgeois à fermer les portes. M. le prince leur en-
voya dire qu'ils les ouvrissent, et regarda à sa montre ,
et leur manda que si dans une heure ils n'ouvroient
les portes, il feroit piller la ville et pendre lés habi-
tans ; ils obéirent. Nous disions qu'il avoit pris Mon-
targis avec sa montre. J'écrivis au secrétaire de Mon-
sieur de bonne manière, et j'avois quelque raison,
d'être un peu fâchée-, car, sachant quej'étois plus
proche qu'eux , ils me dévoient laisser faire, et je me-
naçai fort sur cela de tout quitter et de m'en aller.
Je renvoyai Guitaut , et avec lui un gentilhomme
pour aller faire mes complimens à M, le prince: M. le
comte de Fiesqûe et tous ces autres messieurs allèrent
le voir aussi. Pendant leur absence , cej messieurs du
parlement repassèrent, qui avoient vu le Roi à Sully,
à qui la remontrance avoit aussi peu profité que les
précédentes. La réponse étant enregistrée au parle-
ment , il seroit inutile de la mettre ici. M. de Nes-
mond me demanda où étoient ces messieurs les con-
seillers : je lui dis qu'ils étoient allés voir M. le prince -,
il me répondit : « Si vous le leur avez commandé , ils
a ne sauroient faillir ^ mais vous Icà auriez pu dispen-
aô4 [l65l] MÉMOIRES
« ser de ce voyage : il ne convient guères à des gens
« de notre mëtier d'aller ainsi parmi Jes armées , non
« plus que d'opiner au conseil de guerre : ce que je
c( ne crois pas qu'ils aient fait. )) Je lui dis qu'ils n'a-
voient garde.
Monsieur m'écrivoit très-soigneusement, tantôt de
sa main, et quelquefois de celles de ses secrétaires ,
car il n'aime pas à écrire. Goulas me manda que Mon-
sieur avoit jugé nécessaire de m'envoyer un plein
pouvoir pour commander dans tout son apanage
comme lui-même, et pour que les officiers de l'armée
m^obéissent. Je mandai que cela n'étoit pas néces-
saire , et que l'on m'obéissoit très-volontiers -, et j'eus
assez de vanité pour croire que cela choquoit l'auto-
rité de ma naissance, qu'on s'imaginât qu'un morceau
de parchemin m'en piit donner. Pourtant il ne laissa
pas à quelques jours de là d'envoyer cette patente à
Préfontaine , qui la garda dans sa cassette sans que
personne le sût, ne jugeant pas à propos de le dire.
Au retour de ces messieurs , qui étoient allés rendre
leurs devoirs à M. le prince, ils me dirent qu'il sou-
haitoit fort de me venir voir , mais qu'il seroit bien
aise de savoir si on le trouveroit bon à Orléans. Le
marquis de Sourdis avoit eu une conduite dans toute
cette afiaire qui donnoit assez de sujet de croire qu'il
étoit mazarin. Pourtant, comme l'on doit juger dès
gens selon leur intérêt, le sien n étoit pas de l'être,
tous ses établissemens dépendatis quasi de Monsieur.
Il a toujours été assez de mes amis -, je le pris un jour
à part pour lui demander sincèrement pour qui il
étoit : que sa conduite envers Monsieur étoit assez
mauvaise, mais que je voulois croire aussi que l'on lui
DE MADEMOISELLE DE MONTPEXSTKR. [idSl] HoS
avoit renda de mauVais offices ; et qirà lavenir il
se condoiroit tout autrement, et pa^ticuli^^e^lent
ayant aOàire à moi : que de cette sorte il réparéroit
le passé. 11 me fit mille protestations de services , et
m'assura qu'il en rendrait à Monsieur et à moi en
toutes choses, et que j aurois sujet d'être satisfaite de
lui. Je le crus sincèrement , et qu il seroit en toutes
occasions ce que je voudrais : ce qui me fit croire
qu'il aurait de la joie de voir M. le prince ; mais le
lui ayant propose , il me dit que je me gardasse bien
d'en parler, et que je gâterois tout si je le proposoisà
la ville : ce qui ne me rebuta point. J'envoyai quérir
messieurs de ville, à qui je donnai une lettre de Mon-
sieur, qui portoit qu'ayant su Farrivëe de M. le prince
à l'armée, et qu'il seroit peut-être nécessaire qu'il
vint à Orléans pour, me voir , qu'en ce cas-là ils eussent
à le recevoir selon sa qualité , et 'comme étant parfai-
tement uni à ses intérêts. Us me dirent qu'ils s'en al-
loient assembler la ville pour voir cette lettre , qu'ils
doutoient être venue de Paris. Ils avoient quelque
raison en cela , car elle n'avoit fait de chemin que de
la chambre de Préfontaine à la mienne. J'appris que
la peur que le marquis de Sourdis avoit de la venue
de M. le prince étoit qu'il craignoit qu'il ne le chas-
sât. Cette pensée me fîLcha; car si je Favois voulu
mettre dehors, je n'aurois eu que faire de M. le prince :
j'avois assez d'autorité ; et où il auVoit été question
de la montrer, je n'aurois pas voulu que M. le prince
y eût été , dans la crainte que l'on eût cru que la
mienne seule n'eût pas été assez forte sans soutien.
Le soir, messieurs de ville me vinrent dire qu'ils
ne pouvoient point recevoir M. le prince sans en-
aoG [lôSa] mémoires
voyer à Monsieur : ce que je trouvai fort mauvais ; et
je leur dis qu'il n'étoit pas -nécessaire d'envoyer à
Paris , que Monsieur m'avoit écrit que tout ce que je
ferois il le trouveroit bon , et trouveroit fort mauvais
s'ils ne faisoient les choses que je désirois. Sur cela,
je m'emportai un peu ; je les grondai fort, et je leur
dis qu'ils s'en repentiroient, et que j'enverrois dans
une heure" Préfontaine leur dire ce que je vbulois
qu'ils fissent. Je dis à ces messieurs qui étoient avec
moi qu'il falloit pousser cette affaire ; et que si
M. le prince , après avoir témoigné de désirer de me
voir, ne venoit point , parce que je n'aurois pas eu Je
crédit de le faire entrer dans Orléans , cela feroit voir
que je n'y aurois point de crédit , et commettroit
mon autorité et celle de Monsieur ; que je devois
tout faire à l'égard de M. le prince dans le commen-
cement d'un raccommodement. Je leur appris que
Préfontaine avoit un pouvoir dans 5a cassette : il
Talla quérir; et aprèsi le leur avoir montré, ils me
conseillèrent de le faire voir dans une assemblée gé-
nérale, que je proposai de faire le lendemain. J'en-
voyai Préfontaine dire à la ville que je voulois qu'on
s'assemblât , et aue je me trouverois à l'hôtel-de-ville.
Je mandai M.^de Sourdis, auquel je montrai mon
pouvoir, et je lui demandai* s'il n'y avoit rien qui
le choquât -, il me dit que non , et qu'il ne feroit ja-
mais difficulté de m'obéir. J'envoyai aussi quérir tous
les principaux qui dévoient être à cette assemblée
séparément , pour leur faire connoître mes intentions ;
j'en trouvai quantité de mazarins, que je menaçai , et
à qui je parlai en demoiselle de ma qualité. Il y en .
eut un assez hardi pour me dire que le nom de M. le
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65a] IO7
prince étoit assez odieux à la ville d'Orlëans , et que
son grand-père j avoit fait de si grands maux que
Ton ne le pardonneroit jamais au nom. Je lui dis :
(f Le mien ëtoit du même parti du temps dont vous
« me parlez , et il n'appartient pas à des bourgeois
« d'Orléans , ni à qui que ce soit en France , de par-
« 1er ainsi des princes du sang : on les doit respecter
« comme des gens qui peuvent être les maîtres des
« autres. »
Le lendemain j'allai à Thô tel-de-ville, où d'abord
je disque Tobéissance que Ton m'avoit rendue jusqu'à
présent m'avoit empêchée de faire voir le pouvoir
que Monsieur m'avtnt envoyé -, et qu'étant persuadée
que l'on en devoit plus à ma naissance qu'à toutes les
patentes , j'avois négligé de le montrer -, mais puis-
qu'il y avoit des gens qui n'étoient pas soumis, qu'il
étoit bon de le leur faire voir. Préfontaine le donna
au greffier de la ville-, et après que la lecture en fut
faite , je dis à l'assemblée : « Présentement que vous
« voyez le pouvoir que Monsieur me donne , je pense
« que vous ne ferez plus de difficulté d'obéir à mes
« ordres. Je suis venue ici pour vous dire que M. ^e
« prince étant arrivé à l'armée , désire de me ve-
« nir voir ^ je ne doute point que vous ne lui ren-
(( diez tous les respects qui sont dus à sa naissance ,
« et encore plus par l'union dans laquelle il est avec
« Monsieur, et à ma considération : c'est un prince
« à qui toute la France a tant d'obligations, qu'il
« n'y a pas une ville qui en son particulier; ne lui
« doive toute la reconnoissance possible. » Je m'éten-
dis davantage que je ne fais sur ce que Ton devoit à
la naissance et au mérite de M. le prince, et à l'obéis-
aoB [l652] MÉMOIRES
sance que Ton me devoit ; et cela avec tant de fierté
que Ton m'accuse d'en avoir en toutes mes actions.
D'abord je parloîs trop bas, l'on ne m'entendit point;
j'en fus assez étonnée , parce que je m'étois attendue
que l'on me diroit que l'on feroit tout ce que Je vou-
drois. Je ne me rebutai point, je recommençai ; et je
dis que je voyois bien que j'a vois parlé trop basL, puis-
que l'on ne répondoit rien. Comme je finissois ces
paroles, tout le monde cria : « Tout ce qu'il plaira à
« Mademoiselle , il faut le faire , et que M. le prince
« vienne. » Je sortis satisfaite , et j'allai dépécher un
courrier à M. le prince. Le soir, le marquis de Sourdis
me voulut parler -, je le grondai fort, et lui dis qu'il
n'avoit que faire de craindre M. le prince ; que si j'a-
vois voulu le chasser, je l'aurois fait , et que je n'at-
tendois personne quand je voulois faire des coups
d'autorité.
Comme j'avois montré mon pouvoir à la ville , il le
falloit faire enregistrer au présidial. D'abord que l'on
en parla à cette compagnie , quelques-uns en firent
difficulté , sur ce que M. le marquis de Sourdis étant
pourvu par le Roi , Monsieur pouvoit lui commander,
et non pas donner ce pouvoir à un autre , et qu'il n'y
avoit point d'exemple que jamais fils de France en eût
usé de cette manière dans son apanage. J'en conférai
avec les conseillers du parlement de Paris qui étoient
avec moi , à qui je dis qu'il me sembloit qu'en l'état
où j'étois à Orléans , rien ne me devoit être impos-
sible , et que quand il n'y auroit point d'exemple de
chose pareille , je serois bien aise d'en faire un pour
l'avenir -, qu'il y avoit de la gloire de l'être d'une chose
avantageuse comme celle-^là, et que c'en seroit un à
DK MADEJIOLSKLLE DK MOyTFK^iSlER. [l65lj %og
l'avenir pour toos les fils de France de pouvoir com-
mettre en des occasions où il n y avoit en que le Roi
qm refit fait. Comme la chose n étoit pas injuste , ils
furent de mon avis. J'envoyai quérir les gens du Roi
du pr»idial , entre les mains desquels on mit cette
patente pour donner leurs conclusions; jVnvojai pa-
reillement quérir le lieutenant général , homme fort
mazarin, et duquel j'étois fort mal satisfaite. Comme
cette affaire fut engagée, Saujon ,ca pitaine des gardes de
Monsieur, arriva, qui ne toit pas trop bien avec moi à
cause de certaines intrigues qu'il avoit eues avec ma-
demoiselle de FouqueroUes , dont je n'étois pas satis-
faite ; car je n'aime pas que Ton se vienne mêler dans
mon domestique^ si je ue l'ordonne. 11 venoit chez
moi , et je le souffrois; mais c'est être fort mal quand
on est réduit là. Après avoir eu part à quelque con-
fiance , il mit dans la tête du marquis de Sourdis qu'il
me feroit faire tout ce qu'il voudroit r, de sorte que
ledit marquis en étant persuadé , et du crédit qu'il
avoit auprès de Monsieur, s'imagina qu'il étoit fort à
propos de ne me plus voir, et de prendre prétexte sOr
ce pouvoir qui choquoit le sien, quoiqu'il l'eût ap-
prouvé , et de ne vouloir point que l'on l'enregistrât :
de sorte que tous ces messieurs me vinrent trouver
pour me dire qu'il ne falloit point se commettre, parce
que M. de Sourdis faisant une opposition à l'enregis-
trement , ou je me trouverois nécessitée h pousser une
affaire de laquelle l'événement étoit incertain , ou à
lui céder ; et pour me persuader que la chose n'étoit
rien , ils me dirent sans cesse ce que j'avois dit tant
de fois , qu^ la chose étoit si au-dessous de moi qu'il
la falloit traiter de cette manière. J'en convenoisj
T. 4i- *î
210 [iGSa] MÉMOIRES
mais je trouvois que, pour d'habiles gens, ils m'ayaient
embarquée mal à propos , puisque c ëtoit même contre
mes sentimens; mais qu'il me sembloit qu'étantau point
oùj etois, la chose étoit si peu importante qu il falloit
l'achever, et que même en des bagatçUes il étoit rude à
des personnes comme moi de se dédire. Je me mis en
colère, et jeparlai quatre heui-es là-dessus, tournant l'af-
faire detQus côtés, et leur faisant voir toujours le but, de
quelque manière que je la tournasse. Je ne sais si j'étois
bien fondée, mais je défendis si bien ma cause qu ils en
furent tous fort satisfaits, etme dirent que j'avois raison.
Us ne s'y rendirent pourtant pas: de sorte que ma colère
ne se diminuant point , elle me mena jusqu'aux pleurs ,
m'écriant que l'on croiroit que M. de Sourdis tiroit au
bâton avec moi, et qu'il l'emporteroit. Enfin, après force
lamentations impérieuses, ce qui mefaisoit enrager,
c^est que tous m'avoient engagée à cela, et puis l'un
après l'autre avoient changé ; les conseillers du parle-
ment avoient tenu ferme les derniers, car ils avoient été
jusqu'à me dire qu'ils croy oient qu'on n'auroit pas fait
cette difficulté de l'enregistrer au parlement de Paris ,
pour en faire l'exemple dont j'ai parlé. Ces messieurs
m'alléguoient que j'avois peu de crédit dans le prési-
dial *, qu'ils étoient tous fort mazarins , et que j'y
devois avoir égard. Je n'en avois à rien , étant fort
aheurtée à mon opinion : de sorte que tout le jour se
passa ainsi et tout le soir y et même , comme je ne
dormois point , jç ks envoyai réveiller les uns après
les autres pour venir parler à moi , afin de tâcher de
le$ engager séparément , et de les avoir tous pour moi
lorsque je les reverrois tous ensemble. Le matin ib
vinrent me dire que j'étois la maîtresse , que je fevoia
DE MADEMOISELLE DE M05TPE>SrER. [lÔSaJ 211
tout ce que je vondrois ; mais qu il falloit $e rendre à
la raison , et que ce seroit à cela que je me rendrois et
non à leurs très-humbles prières, et quil ctoit très-
important pour le service de Monsieur que j'en usasse
ainsi ^ enfin je me rendis , et j'envoyai Prëfontaine dire
à messieurs du présidial de me venir trouver au retour
de ma messe. Comme j'arrivai , et que je sus qti'ils
étoient dans mon logis , je me remis à pleurer -, je fis
fermer les fenêtres de ma chambre, j'essuyai mes lar-
mes et je les fis entrer , et leur dis que je savois qu^ls
avoient opiné sur l'aifaire que je leur avois proposée ;
que je les priois d'en demeurer là et de ne pas pïisset'
outre , et cela avec une mine riante , comme si c'eét
été la chose du monde qui m'eût le plus satisÉiit. Voilà
le tempérament que ces messieurs trouvèrent : à qilot
je consentis. Je laisseà juger si je ne me fusse pasmieu:^
trouvée de suivre mes premiers sentimens éti cefel
comme j'avois fait en autre chose. M. de Sourdîs We
revint voir , et nous nous raccommodâmes. Il avdlt
accoutumé de me donner tous les jours un paquet de
confitures, en ayant de très-bonnes, et pendant tidtrc
démêlé je n'en avois point eu ; de sorte que je dis à
M. l'évêque d'Orléans, qui riotis raccomitidda, quil
me restituât tout ce qui m'appartenoit : ce qu'il fit ,
car je ne perdis pas un de mes paquets. Aih^i j'eil etiS
beaucoup au raccommodement.
Le lendemain que j'eus été à Thétel-de-^ville pàùt
la venue de M. le prince, les mazarltts firent courir
un bruit que j'avois eu un consentement fordé. J'éH-
voyai quérir le corps de ville , dans lequel celui des
marchands est compris, auxquels je dis ce faux bruit,
et que c'étoit une chose si ridicule à dire qu'elle se
If
ll.a [1653] MÉMOIRES
détruisoit d'elle-même, puisqu étant dans leur ville
avec ma maison seulement , je n'étois pas en ëtat de
leur rien faire faire de force ; puis nous eûmes une
conversation sur les affaires publiques : ce qui ne man-
quoit point toutes les fois qu'il venoitchez moi,' car
cela tient les esprits alertes, et est très-bon en guerre
civile. Je vis aussi les capitaines de la ville qui font
un corps sépare à Orléans , auxquels je dis la même
chose ; de sorte que tous les entretiens de l'étape et
du Martroy ne furent le soir qu'à tourner les maza-
rins en ridicule , qu'à me louer et souhaiter la venue
dé M. le prince , lequel ne put venir dans le temps
qu'il reçut mon courrier, car il étoit occupé au com-
bat de Bleneau (0. La nouvelle de ce combat arriva
à Orléans le matin par un paysan , qui le dit au capi-
taine qui étoit de garde à la porte , lequel à l'instant
me l'amena. Il me dit que M. le prince avoit gagné un
combat . j'en eus grande joie ; le soir elle fut changée
en incertitude , car j'appris, par des gens qui avoient
passé à Gien par eau , que M. de Nemours étoit blessé
à mort 5 je ne savois qu'en croire , n'ayant point de
nouvelles de M. le prince. Je fus tout le jour sur le
pont pour voir arriver les bateaux qui venoient dé
Gien *, les gens qui étoient dedans disoient tous la
même chose. 11 m'envoya le lendemain à trois heures
un courrier , et m'écrivit la relation du combat , par
laquelle cette action étoit mieux écrite que je ne
pourrois faire moi-même : d'est pourquoi j'ai jugé à
propos de la mettre ici.
(i) Au eombat de Bleneau : C«tte afFaÎFe eut lieu le 8 avril. Turenne
répara lei fautes du maréchal d'Hocquincourt , et sauva la iamille
royale.
DE MADEMOISELLE DE MONTPEIf SIER . [iGS^] SfciS
tt Mademoiselle ,
« Je reçois tant de nouvelles marques de vos bon-
tés , que je n'ai point de paroles pour vous en remer-
cier : seulement vous assurerai-je qu'il n'y a rien au
monde que je ne fisse pour votre service 5 faites-moi
l'honneur d'en être persuadée , et de faire un fonde-
ment certain là-dessus. J'eus hier avis que l'armée
mazarine avoit passé la rivière, ets'étoit séparée en
plusieurs quartiers. Je résolus à l'heure même de
l'aller attaquer dans ses quartiers ; cela me réussit si
bien, que je tombai dans leurs premiers quartiers avant
qu'ils en eussent eu avis ; j'enlevai trois régimens de
dragons d'abord , et après je marchai au quartier-gé-
néral d'Hocquincourt, que j'enlevai aussi. 11 y eut un
peu de résistance , mais enfin tout fut mis en déroute :
nous les suivîmes trois heures, après lesquelles nous
allâmes à M. de Turenne -, mais nous le trouvâmes
posté si avantageusement, et nos gens si las de la
grande traite et si chargés du butin qu'ils avoient
fait , que nous ne crûmes pas le devoir attaquer dans
<Hn poste si avantageux : cela se passa en coups de ca-
non -, enfin il se retira. Toutes les troupes d'Hocquin-
court ont été en déroute , tout le bagage pris ; et le
butin va à deux ou trois mille chevaux , quantité de
prisonniers , et leurs munitions de guerre. M. de Ne-
mours y a fait des merveilles et a été blessé d'un coup
de pistolet au haut delà hanche, qui n'est pas dange*
reux-, M. de Beaufort y a eu un cheval de tué, et y a
fort bien fait-, M. de La Rochefoucauld très -bien;
Clinchamp, Tavannes, Valon de même , et tous les au-
tres maréchaux de camp ; Mare est blessé d'un coup
21 4 [l^SaJ MÉMOIRES
de canon. Hors cela , nous n'avons pas perdu trente
hommes. Je crois que vous serez bien aise de cette nou-
velle, et que vous ne douterez pas que je ne sois, made-
nxoiseJle, votre très-humble et très-obéissant serviteur,
« Louis DE Bourbon.
« A Cbâtillon-sur-Loing , ce 8 d'avril i652. »>
])^aJQie fut augmentée et mon inquiétude cessa ,
lorsque je sus que M. de Nemours n étoit pas blessé
^^ngereusement. Je fus bien fâchée de la blessure du
muvre comte de Mare , qui en mourut quelque temps
après. Il y eut le nommé La Tour , lieutenant colonel
d^p§ le l^nguedoc, qui fut tué, et le marquis de L^
C)iL^is.e j premier capitaine au régiment de cavalerie de
YîJoi3, tous deux fort braves et honnêtes gens. Aus-
si0t que? Ton sut à Paris cet heureux succès, cela fit^
\m fort bon effet pour le parti, et donna bien de Fin-
. quiétud,e aux personnes qui s'intéressoient pour M. de
Nempurs, quoique sa blessure ne fût pas mortelle.
Madame ^e Nemours partit aussitôt pour le venir
trouver ^ madame de Châtillon vint avec elle jusqu'à
Montargis. Elle disoit qu elle alloit pour conserver sa?
maison de Châtillon \ mais comme elle fut arrivée à
Montargis, elle jugea que de là elle cônserveroit bien
ses terres, et qu'il y avoit plus de sûreté pour elle à
se mettre dans les filles de Sainte-Marie,- d'où elle ne
sortoit que deux ou trois fois pour aller voir M. de
Nemours, quoique des officiers qui vinrent à Or-
léans en ce temps-là me dii-ent qu'elle alloit tous lies
soirs voirM. de Nemours toute seule avec une écharpe;
(pi'ellc croyoit être bien cachée, mais qu'il n'y avoit
pas un soldat dans larméé qui ne la connût»
DE MADEIM>1>K1XK DE MO>TPEX:i|KR. [ld5^] ^t3
Rien ne lot égal à la consternation de la cour. Le
jour de ce combat. Ton enroja tons les bagages a«^
delà dn pont , afin d'être pins en état de se sairrer à
Ut première alarme, et de.rompre le pont. Si M. le
prince eût bien connu le pays* quelque £aitîgnt% que
fussent les soldats, il eut poussé les affaires bien ayant,
et par conséquent la cour; rien ne lui eût été pliisaisë.
Et comme Bleneau nestqu^à trois lieues d'ici , et que
j y ai souvent passé en allant à Blois et à Orléans y je
me sois Eût montrer le lieu du combat; mais je ne le
Yoyois qu avec regret : de quoi les choses n allèrent pas
miens pour nous, car Ton n^auroitpas tant essuyé de
chagrins que Ton a fait depuis. Ce fut un des canaux
de communication du canal de Briare qui empêcha
que Ion n'allât après M. de Turenne \ car M« le* prince
n ayant personne du pays avec lui, et la nuit ne lui
{permettant pas de reconnoitreles lieux , il ne savoit aï
c etoit une rivière, et si elle étoit guéable : celalarréta*
Aussitôt après il fut obligé daller ;\ Paris, M. de
Chavigny lui ayant mandé que sa personne y étoil
nécessaire pour s'opposer à ce que M. le cardinal de
Retz pourroit faire contre lui en son absence auprès
de Son Altesse Royale. 11 mena avec lui M. de Beau*
fort, et M. de Nemours y alla dès qu'il put être trans-^
porté. Pour moi j'ëtois à Orléans, où je me divertissois
à faire prendre tous les courriers qui passoient ,
n'ayant plus autre chose à faire. Les uns étoient char-
gés de dépêches , les autres de poulets et de lettres
de famille assez ridicules; de sorte c|ue quand je
n'en faisois pas de profit pour le parti , j'avois celui de
m'en divertir. L'on prit des j,'ontilshomnies du Poitou,
par losefucls M. Le Tettier t'crivoit à dos iiUendans
2l6 [l65a] MÉMOIRES
que Fabbë de Guyon s'en aJloit en Guienne , Angon-
mois et Poitou , qui ëtoit charge de toutes les affaires'
du Roi. A Finstant je résolus de le faire arrêter, ju-
geant bien qu'il avoit beai^coup de choses qui regar-
doient les intérêts de M. le prince en ces provinces ,
et partant ceux de Monsieur, avec lequel il étoit font
uni. J'envoyai un exempt des gardes de Monsieur ,
qui étoit avec moi, avec ordre de l'arrêter lorsqu'il
passeroit. Le jour qu'il partit, il arriva des ëvêques à
Orléans, et les agens du clergé qui vt^noient de la
cour. Ils me vinrent voir ^ je leur demandai si l'abbé
Guyon étoit parti de Gien -, ils me dirent qu'il étoit
venu avec eux jusqu'à Sully, mais qu'il n'avoit osé
passer par Orléans, de peur que je ne le fisse arrêter -,
que même il ne passeroit point à Blois. Je mandai à
Texempt de venir au devant de lui à Saint-Laurent-
des-Eaux. Il y arriva si heureusement qu'il prit son
valet avec sa cassette, où étoient toutes ses dépêches.
Il sut qu'il ne faisoit que de partir : il courut après ,
et le prit près de Chambord , où il le mena. Le Ralle
ëtoit avec lui , et il l'arrêta aussi , sachant que c'étoit
un brave homme, et grand ingénieur, et qui pouvoit
nuire au parti. Il me le manda aussitôt, et m'envoya
la cassette, dans laquelle on trouva force commissions
pour lever des troupes 5 il y en avoit aussi pour lever
des deniers, et des ordres pour faire raser le château ,
de Taillebourg , qui est à M. le prince de Tarente ,
M. de La Trémouille le lui ayant donné en mariage.
11 y avoit un projet pour assiéger Brouage , assez mal
conçu, et encore plus difficile à exécuter. Le cardinal
Mazarin écrivoit à tous les officiers généraux de l'ar-
mée de Guienne, et aux gouverneurs des places des
DB XAOEMOISELLS DE 1I05TPEXVE1I . [l63^] II 7
prOTinces que j*ai nommées : le tout en créance snr
l'abbé de Guyon ; ce qui faisoit Toir que s^ prise étoît
assez utile. Je FenTOvai à Blois « et dépêchai un coui^
rier à Son Altesse Royale; j^écrivis aussi à M. le prince
pour lui donner part de la capture que j avois faite,
et lui témoigner la joie que j^aurois si cela lui pou*
voit être utile. Monsieur me manda de faire mener
Fabbé de Guyon à Montargis ; j'envoyai quérir pour
cela de Fescorte , et Le Ralle demeura à Orléans sur sa
parole, parce quli étoit malade.
En même temps j'appris que Gouille^ qui étoit ca-
pitaine dans le régiment de cavalerie de Condé<» avoit
été Eut prisonnier en escortant madame de Châtillon,
qui n avoit osé s'en retourner à Paris à cause des pé-
rils du chemin : elle avoit été avec Farmée jusqu'à
Etampes. Tenvoyai un trompette à M. de Turenne et
au maréchal d'Hocquincourt 5 je leur écrivis pour
changer Le Ralle contre Gouille. Ils me mandèrent
qu'ils Favoient renvoyé à la prière de madame de Châ-
tillon ; et le maréchal d'Hocquincourt , qui étoit ami
particulier du Ralle, me pria de le lui renvoyer, et
qu'il espéroit bien cette grâce de moi ; qu'en revanche ,
de quelque qualité que pussent être mes prisonniers,
il me les renverroit. Aussitôt que j'eus reçu sa lettre,
j'envoyai quérir Le Ralle , et lui dis que je le metiois
en liberté, mais que je serois bien aise qu il ne ser-
vît point contre nous: ce qu'il me promit, hors dans
son gouvernement de Rethel, où il voulut être libre.
Comme c'étoit une chose juste, je la lui accordai. Il
partit pour continuer son voyage vers le Poitou, où
-il avoit des aQaires particulières. Comme je n'en avois
plus à Orléans, l'impatience me prit d'aller à Paris;
j écrivis sans cosse à Monsieur et :i M. le priiicc
pour les presser de me donner con^é. EnTattcndant*
j\*us curiosité de savoir s'il n'y avoit personne ia Or-
léans qui eiit commerce avec la cour, et on chercki
les moyens de parvenir à le savoir. L'on trouva qae
pour cela il ialloit faire arrêter un messa<;cr à pied
<|ui va deux fois la semaine d'Orléans à Briare, pour
y porter les lettres que Ton envoie à Lyon , oii le
courrier ordinaire passe. IVabord cette proposition
me déplut , ne comprenant pas de quel air Ton po«-
\oit faire prendre et ouvrir les lettres de mille mar-
chands, dont cela pourroit interrompre le commerce-f
enfin comme Ton m'eut représenté Futilité que k
jKuti en pourroit recevoir, je mV résolus, ponrw
que Ton ne sut point ([ui favoit fait faire. Pour c^eb,
j'envoyai un valet de chambre de M. le prince, qn
pa.tsoit à Orléans avec (pu'hpies-uns de ses gardes»
faire cette e\|K'dilion, dont il revint heureusement;
car le soir il m'apporla toules les lettres. Il y en airoît
({uantité de marchands qui me tirent s^rande peine à
hnllcr, pour la pitié que j'avois de rembari-as qvc
ci'la leur frroit. Il y en avoit cpiantité de tous côtM
pour ia cour, et l'ulre autres une de Guienne en chiffre
(|ue j\ruvoyai a M. le princ(\ cpii ia fit déchitlrer, et
tpii me manda lui axoir été fort ulih*. 11 ny en avoit
|>oiiil il'(hli'*aMs. mais hiende I\iris. et d'un lieu où je
uauroi.N jamais cru (ju'un m' IVil a\iM* d"('rrire à M. le
urdinai Ma/.aiin. Noyant au-d('»UN quelle sadressoil
.1 lui, j eii.N lM':nit-oii|> d(' |nii', <'| l:\ tnunai datée «le
S.iiul-Siil|ii(i'. t/«tnil |\il)bé ({«' Xalavoir, frère ilr
\aLi\oir (|ni roniiii.uulc le ri-i'iiurnl de .M. le cardi-
nal M.i/..ui!i. Klli* r(>:r.i*:U)!t i'i> 4|ui ^\\\^
DE MADKMOISKLl.fc DE MONTPENSILR. [lÔSi] 3tiy
« Moi^SEIGNEUR ,
« Je h'aurois jamais cru qu'en ce lieu j'aurois
trouvd occasion de pouvoir servir Votre Eminence ^
mais madame de Saujon ayant su que j y <5tois a
désir(5 de me voir , et m\i fait dire qu'elle me parleroit
dans un confessional , afin que personne ne s'en aper-
çût. Cela a éié cause que j'ai paru au monde plus
homme de bien que je ne suis , ayant prolongé ma
retraite. Elle m'a donc dit que j'avertisse Votre Emi-
nence du désir qu'elle a de la servir, et que pour y
parvenir et lui donner moyen de faire revenir Mon-
sieur, il n'y a qu'à le leurrer du mariage du Roi avec
mademoiselle d'Orléans -, que c'étoit un panneau où
il donneroit toutes et quantes fois que l'on voudra -, et
' que pour Mademoiselle , il ne s'en soucioit point-, que
l'on pouvoit gagner Madame par une première femme
de chambre nommée Claude, et que l'on FauroiL
pour peu d'argent. Enfin , monseigneur , elle est ve-
nue de si bonne volonté h moi , que je ne doute pas
qu'elle ne continue : c'est pourquoi j'entretiendrai ce
commerce pour le service de Votre Eminence, et
pour lui témoigner que je suis , etc.
« l'abbé de Valavoir. »
Il pouvoit y avoir encore autre chose ^ mais voilà
la substance et le plus essentiel de cette dépêche. Je
l'envoyai à Monsieur, et une copie à M. le prince. Jo
crois bien ([ue cela ne plut pas à Son Altesse Royale,
laquelle me lit réponsi,' cjue les gens qui croyoient ce
qui étoit dans (!clte lettre le connoissoienl mal , et qu'il
n'avoit nul dessein ^ et ne me dit ps un moi de ma-
dame de Saujon.
220 [l()5l] MÉMOIRES
Monsieur nie inandoit toujours que je fisse un
maire et les échevins: ce qui nétoit plus nécessaire •
ceux qui y éloient ayant fait tout ce que j avois désire.
La forte passion que j avois d'obliger M. le prince oe
faisoit chercher les moyens de secourir Montrond^
mais comme ils me manquÎTcnt , cela me rendit en-
core mon séjour plus ennuyeux. J'eus aussi nouvelle
de Paris de la confc^rence que M. de Rohan devoit
avoir à Saint-Germain , où étoit la cour , avec mes^
sieurs de Chavigny et Goulas. Quoique M. le prince
mVcrivit avec soin tout ce qui se passoit , je ne laissai
pas néanmoins de presser Monsieur de me permettre
de laller trouver. II ne me répondit f>oint lÀ-dessus,et
me parloit toujours de ce maire et de ces échevins.
Comme je vis que mon retour ne tenoitqu'à cela, et
que je connus la chose absolument inutile, je dépê-
chai un trompette à M. de Turenne et au maréchal
d'Uocquincourt, qui étoient campés à Châtres, sur
le {;rand chemin de Paris a Etampes, pour leur de-
mander des passe-ports. Je les priai de me les envoyer
prompli'munt, parce que j'avois envie d'aller à Paris;
et l'omme ils me connoissoient fort impatiente, ils
fâeheroient fort s'ils retardoient mon voyaj^e. Je dé-
pêchai aussi en même trmps à Monsieur , et lui man-
dai ({u'ayant fait tout ce qui étoit nécessaire pour soa
service à Orléans, et nrcnnnyant de n'avoir pas
riionneur de le voir, j'avois envoyé demander des
passe-ports aux f^éncVaux des troup«'s du parti con-
traire; c|ue s'ils n*osoi(»nt m'en donner, je» les sup-
pliois d'en envoyer demander à la cour.
Je partis le 9. de mai d'Orléans, et j'allai àEtampes. Je
trouvai à An^<Tville l\»srorle<jue l'on m'avoit envoyée;
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65;i] 111
Ci comme il faisoit très-beau temps, je montai à cheTal
avec mesdames les comtesses ^de Fiesque et de Fron-
tenac , lesquelles m'avoient toujours accompagnée ; et
à cause de cela Monsieur leur avoit écrit, après mon
entrée à Orléans, des complimens sur leur bravoure
d'avoir monté à Téchelle en me suivant ; et au-dessus
de la lettre il y avoit mis : A mesdames les comtesses
maréchales de camp dans V armée de ma fille contre
le Mazarin. Depuis ce temps-là tous les officiers de
nos troupes les honoroient fort -, de sorte que Cha-
vagnac , qui étoit le maréchal de camp qui comman-
doit mon escorte , leur dit : « 11 est juste que Ton vous
« reçoive, étant ce que vous êtes. » En même temps il
fit faire halte à un escadron d'Allemands qui marchoit
devant moi , et il dit au colonel , qui se nommoit le
comte de Quinski , de saluer la comtesse de Frontenac,
qui étoit la maréchale de camp. Ils mirent tous Fépée
à la main et la saluèrent à Tallemande , et il fit tirer
tout un escadron pour lui faire honneur : entrant aussi
bien dans cette plaisanterie que s'il eût été Français.
Ce comte étoit personne de qualité, et neveu de feu
Walstein. A un quart de lieue d'Etampes , tous les gé-
néraux et quantité d'olficiers vinrent au devant de
moi; Ton tira le canon, et je trouvai le quartier des
étrangers , par lequel je passai en armes. En arrivant
à mon logis , je reçus réponse de M. de Turenne , qui
memandoit qu'il avoit envoyé à Saint-Germain où étoit
la cour pour les passe-ports que j'avois demandés , et
qu il me les enverroit le lendemain : ce qui me fit sé-
journer un jour à Etampes. J'y voulois voir toute Far-
mée en bataille -, mais les officiers en firent quelque
difficulté , disant que les ennemis pourroient par ce
22 a [ï^Stj] MÉMOIRES
moyen savoir au vrai le nombre qu'ils étoient : ce qiîi
arrêta tout court ma curiosité, aimant mieux me pri-
ver de cette satisfaction que de faire la moindre chose
qui pût nuire au parti.
Tout ce jour-là j'eus une grande cour de tous les olïi-
ciers de Farmée, qui s'étoient parés: de sorte qu'ils
étoientaussi braves extérieurement qu'intérieurement.
Le matin j'allai à la messe à pied ^une église quiétoit
si près de mon logis que ma garde en joignoit la porte,
avec un nombre infini de gens qui me suivirent-, le
tambour de la garde battit, et force trompettes et
timballes marchoient devant moi : cela étoit tout-à-fait
beau. L'après-dînée j'allai me promener à cheval à
une maison ([ui n est qu a un quart de lieue d'Etampes,
ayant à ma suite tous les ollicicrs de l'armée: la fan-
taisie me prit d'aller sur une hauteur, mais Ton m'en
empêcha. Si j'eusse suivi mon mouvement, j'eusse vu
charger un parti des ennemis qui ne le fut pas , parce
que La Valette qui le vit crut que c'étoit un corps-
de-garde avancé que l'on a voit mis à cause de moi ;
et ainsi force chevaux de notre armée furent pris au
fourrage. La raison que l'on eut pour m'empêcherdV
aller fiît que messieurs de Tavannes et de Valon , qui
ne m'avoient pas quittée d'un moment , • avoient mis
pied à terre dans la maison , et que par l'envie que
j'avois 'de galoper, j'étois allée à toute bride dans l'a-
venue de cette maison -, si j'y eusse été', ilsauroient evt
autant de douleur de n'avoir pas été à cette action
que j'en eus de ne l'avoir pas vue. Le soir à mon re-
tour, je trouvai un trompette que M. de ïurcnne et
k maréchal d'Hocquincourt m'envoyoient avec de^
passe^port», et ils me mandèrent qu'ils espéroient me
DE MADEMOISELLE DE MONTPBNSIRR. [l652] %1ti
Yoir le lendemain , et me venir recevoir hors de leurs
quartiers avec larmëe en bataille. Clinehamp,qui
ëloit un vieux routier en guerre, dit : « Assurément
u ils n attendront point Mademoiselle , ils savent
« qu elle n a point vu nos troupes ; ils croient que
tf nous serons dehors, et nous veulent attaquer : mais
(c il n importe , il faut demain faire voir Farmëe à Ma-
ie demoiselle. » Je leur dis : a Mais si cela engageoit à
<( un combat, j'en serois bien fâchée ^ je ne veux point
a la voir. )> Clinchamp dit : a Gela seroit du dernier
c( ridicule que Les ennemis eussent proposé de vous
« rendre un honneur, et que nous ne l'eussions pas
li fait; nous nous mettrons en lieu de combat s il est
«1 à propos , sinon de nous retirer.. » Us me demao»
dèrent Fheure que j'irois les voir : je leur dis que j y
serois à six heures; je me réveillai bien plus matin,
car ce fut la diane qui m'éveilla ; je me levai et m'ha-
billai en grande diligence, et m'en allai aux Capucins
pour entendre la messe. En entrant dans l'église ^
je trouvai le trompette qui étoit venu le soir, et que
l'on avoit envoyé toute la nuit pour demander des
passe-ports pour l'escorte qui me devoit accompagner
jusqu'à leur quartier. Ce trompette me dit : « Je n'ai
K trouvé personne ; notre armée marche vers Long*
c( jumeau. » Je ne doutai point qu'elle ne vint à nous,
et j'envoyai à l'instant avertir nos généraux, et je m'en
allai entendre la messe. J'avoue que je l'entendis avec
beaucoup de dévotion, et que je priai Dieu avec bien
de la ferveur de nous faire gagner la bataille , qoe je
souhaitai passionnément que l'on donnât *, car je ne
doutois pas que ma présence et l'amitié que toute
l'armée avoit pour moi ne leur donnassent beaucoup
2^4 [l652] MÉMOIRES
plus de courage -, et pour peu d'augmentation c'eût
été une <:h'o$e extraordinaire , car jamais il n j eut
de si bonnes troupes ni de si bons officiers que les
nôtres.
Après avoir entendu la messe , je montai à cheval
pour m'en aller où étoit l'armée. Je trouvai en chemin
messieurs deTavannes, Glinchamp etValon, qui ve-
noient au devant de moi 5 ils me dirent que les en-
nemis venoient à nous , et qu'il n'y avoit de temps que
celui qu'il falloit pour prendre résolution s'il falloit
combattre ou non ; qu'il seroit bon pour cela de nous
retirer à part. Nous nous éloignâmes du monde , et
j'appelai mesdames les comtesses , que l'on nommoit
mes maréchales de camp, pour assister au conseil de
guerre *, la comtesse de Fiesquecria de dix pas : « Je ne
<( suis pas d'avis que l'on se batte. » Valon me dit qu'il
avoitnin ordre exprès de ne point combattre 5 Ta vannes
dit qu'il en avoit un pareil de Rfe le prince 5 pour
Glinchamp, il dit : (c Là où est Mademoiselle, les ordres
« que l'on a , qui ne sont pas d'elle , ne subsistent plus*,
« l'on ne doit reconnoître que les siens , et nous de-
« vous tous être persuadés que Monsieur et M. le
« prince approuveront tout ce que fera Mademoiselle. »
Je leur dis : « Si je suivois mon inclination, l'on com--
tt battroit; mais pour cela il faut s'en rapporter à ceux
« qui savent ce que c'est : c'est votre métier et non
« pas le mien, c'esfe pourquoi je vous demande à tous
« vos avis. » Glinchamp dit que nos forces étoient
quasi égales à celles des ennemis; qu'ils n'avoientpas
mille chevaux plus que nous, et que ce n'étoit pas
une force si au-dessus de la nôtre qu'on ne pût es-
pérer une bonne issue du combat -, que j'étois la ma|-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65a] as5
tresse , qoe c'ëtoit à moi de décider , et que Taffaire
pressoit. Je leur dis que j appréhendois Fëvënement
d'un combat , et qu'il valoit mieux rentrer dans la ville;
je leur ordonnai pour cela de faire marcher toutes les
troupes : de sorte que le peu de temps qu'elles de-
meurèrent en bataille me les fit voir assez à la hâte y
ne voulant pas seulement qu elles s arrêtassent pour
me saluer. Tous les soldats me demandoientà se battre,
et me crioient bataille ! Je leur disois : a 11 n'est pas
« à propos de la donner. » Après avoir vu toute far-
mée rentrée dans la ville , je montai en carrosse pour
continuer mon voyage à Paris.
Comme j'arrivai à Châtres, où étoit postée larmée
mazarine , je trouvai à la garde un maréchal de camp
nommé le baron d'Apremont , qui me fit compliment
sur le déplaisir que messieurs les généraux avoient
eu de ne me pouvoir attendre , comme ils m avoient
mandé \ qu'ils étoient partis en diligence pour aller
attaquer Etampes. J'eus une vraie douleur d'en être
partie , car ils n auroient jamais fait cette entreprise si
j'y eusse été. Il m'offrit à dîner, et me dit que M. de
Turenne avoît donné ordre que l'on me l'apprêtât à
son logis en chair et poisson , car c'étoit un jour maigre;
je l'en remerciai , ne voulant pas m'amuser. Ledit sieur
d'Apremont me donna vingt maîtres et un cornette
qui les commandoit, du régiment de La Marconsse,
pour m'escorter -, et lui me vint conduire à un q«Ht
de Keue de Châtres , que je trouvai fort d^anari dm
troupes : la garde de cavalerie étoit fort foible , et
celle d'infanterie de même ^ et il n'étoit resté nulle»
troupes dans le quartier que le régiment de la Cou^•
ronne qui étoit arrivé , fort foible et fort fatigué d'une
a%6 [^65*2] Mj^iiioiREs
longue nîarche. Le lieutenant colonel nommé Laloin
m accompagna , aussi bien que M. d'Apremont -, il par-
loit bien davantage : ce qui me réjouit fort , car j avois
bien envie de trouver quelqu'un qui me répondît à
mes questions.-, M. d'Apremont ne le faisoit que par
monosyllabes, et Laloin n'étoit pas de même. Après
qu'ils m'eurent quittée , passant à Longjumeau , Ton y
fit repaître mes chevaux , et pendant ce temps j'en-
tretins mon ofticier , qui n'avoit jamais vu Paris et qui
souhaitoit fort de le voir. Il se fût volontiers donné à
moi^ mais je ne trouvai pas que lui ni sa troupe nous
fussent utiles, et négligeai fort le zèle qu'il me parut
avoir pour moi. 11 passa un courrier -, et Thabitude
que j'avois de faire arrêter tous ceux que je voyois
me fit dire qu'on l'arrêtât. Aussitôt il commanda quatre
ou cinq maîtres pour aller après. L'on me l'amena. Je
lui demandai où il alloit -, il me répondit : « A Taille-
« bourg en Saintonge , pour le faire raser. » Je lui
dis : (( Je lai empêché une fois de l'être, je suis bien
« fâchée de ne pouvoir faire la même chose -, passez
« votre chemin : si je vous avois trouvé plus avant ,
« vous n'auriez pas passé librement. » Comme nous
fûmes vers le fiourg^a-Reine , cet officier qui m'escor-
toit me demanda si j'avois dit en partant dTtampes
que nos partis qui étoient en campagne ne lui dissent
rien-, je lui dis que non, et sur cela il me demanda un
passe-port. J'envoyai quérir mon secrétaire, qui le fit
sur la portière de mon carrosse, et je le signai. Cela
ëtoit assez honorable pour moi , qu'à deux lieues de
son quartier et douze du nôtre il n'osât faire ce chç-
min sans passe-port.
Je trouvai M. le prince au Bourg-la-Reinc , qui ve-
DE BIADEMOISELLB DE MONTPENSIER. [iGStl] ^^J
noit aa devant de moi ; il ëtoit accompagne de M. de
Beaufort, du prince de Tarente , de M. de Rohan, et
de tout ce qu'il avoit de gens de qualité de Paris. Il
mit pied h terre, il me salua, et monta dans mon car-
rosse -, et après m'avoir fait mille complimens et pro-
testations de service , il me dit que Monsieur étoit en
colère contre moi de ce que j'ëlois revenue sans ordre;
quç nonobstant cela il Tauroit amené avec lui, sans
qu'il étoit au lit avec un peu de fièvre ; et après cela
il se mit à féliciter les comtesses de s'être trouvées en
tant de belles occasions. Je rencontrai mesdames les
duchesses d'Epsrnon et de Sully , qui venoient aussi
au devant de moi ; j'arrêtai pour les mettre dans mon
carrosse. M. le prince et elles me firent conter tout ce
qui s'étoil passé à mon entrée à Orléans, et à quoi je
m'occupois pendant le séjour que j'y avoisfait. Je leur
dis que les premières semaines je ne sortois point,
que je me promenois dans les places, que j'allois aux
couvens à la messe, et au salut dans les églises; que
je jouois aux quilles dans mon jardin; que j'entrete*
uois deux ou trois fois par jour M. le maire , les éclie-
vins et le prévôt de la police ; que j'écrivois à Paris
et à l'armée, et signois mille passe-ports ; que je me
moquois de moi-même de me voir occupée à des
choses à quoi j'étois si peu propre : et je trouvois
après que j'avois tort, m'en acquittant fort bien; et
que sur la fin je sortois de la ville, que je m'allois pro-
mener à cheval et faire collation à toutes les jolies
maisons près d'Orléans, et que M. le marquis de.
Sourdis m'en avoit donné une, et M. l'évêque; mais
que tous ces divertissemens ne m'avoient pas em-
pêché d'avoir envie de revenir, ni redoubler, par le
i5
228 [l652] MÉMOIRES
regret que j'avois de les perdre , la joie que je sentois
de les voir.
Comme j'arrivai à Paris, tout le peuple sortit hors
de la ville, et je trouvai le chemin une lieue durant
bordë de carrosses; tout le monde portoit sur le vi-
dage la joie que Ton avoit de mon retour, et du bon
succès de mon voyage. Je trouvai le palais d*Ojrléans
rempli de monde ; j'abordai Monsieur : il me parut la
mine assez riante *, j'allai le saluer dans son lit. M. le
prince demeura toujours en tiers , de peur que Mon-
sieur ne me dît quelques rudesses sur mon retour. Je
lui voulois rendre compte de mon voyage : il me dit
qu'il ëtoit malade , et qu'il ne pouvoit ouïr parler d'af-
faires-, «que ce seroit pour une autre fois. Je ne laissai
pas de lui conter ce que j'avois appris en passant dans
le quartier des ennemis -, qu ils étoient allés attaquer
Etampes : ce qui lui donna un peu d'inquiétude , et à
M. le prince aussi; mais je les assurai que j'avois laissé
les oflBiciers si alertes, que je ne pouvois croire qu'il
en fût mal arrivé. J'allai saluer Madame à sa chambre,
laquelle m'avoit attendue patiemment , n'ayant guère
de joie de me voir revenir triomphante d une occasion
où j'avois été si -jutile au parti 5 elle songeoit qu'elle
n'étoit bonne à rien. M. le prince m'y mena ; comme
elle n'avoit pas grande amitié pour lui , elle se récria
^e ses bottes sentoient le roussi : c^est une senteur
qu'elle hait fort, et qui la bannit quasi de tout com-
merce -, de sorte que M. le prince fut contraint de
sortir de sa chambre. Il alla dans le cabinet, ou il fut
en bonne compagnie ; car tout ce qu'il y avoit de
femmes à Paris m'y étoient Venues attendre. Madame
me reçut assez bien ; je fis ma visite courte , à mon
DE llAI>CMOIS£LLK DK N02(TPE5S1ER. [l65a] %2lf^
:e, et m'en allai en rendre une à tout ce qui
m'atlendoit dans son cabinet. M. le prince me dit :
« II £iut que tous alliez au Cours: tout le monde
« seroit bien aise de vous y toît ; et pour la rareté
« du fiit d'avoir vu en même jour une armée et le
« Cours. » Madame de liemours m j mena dans son
carrosse avec mesdames les duchesses d'Eperuon ,
de Sully et de Châtillon , et mesdames les comtesses.
Ty voulus £adre mettre M. le prince , mais il me dit
qu'il m'y suivroit dans son carrosse avec M. de Beau-
fort et force autres gens.
Je partis donc du Luxembourg , et dans les rues
Ton conroit après moi comme si l'on ne m'eût jamais
vue \ j'en étois hontense. Comme l'on se douta que
j'irois au Cours, il étoit si rempli de carrosses que j'eus
peine à y entrer ; tous mes amis me félxcitoient en
passant : enfin si l'applaudissement universel et les
témoignages de bonne volonté sont capables de satis*
faire, je la dus être ce jourtlà; aussi je la fus tout<à-
fait. En arrivant à mon logis , j'y trouvai M. le prince,
qui m'aida à descendre de carrosse ^ au même moment
mille gens arrivèrent,etentre autresM. deNemoursqui
n'avoit sorti que ce jour-ià. Je m'en allai l'entretenir,
disant à M. le prince et à madame d'Epernon de faire
l'honneur de mon logis , et d'entretenir la compagnie
pendant que je pailerois à M. de Nemours , lequel me
dit :)((Tout est bien changé depuis que je n'ai eul'hon-
a neur de vous voir ^ car alors si on eût songé à la paix,
« c'éUxit pour nous couper la gorge ^,et maintenant si
« l'on neda fait, nous sommes perdus. » Ce discours
m'étonna, et je lui soutins fort le contraire, parce que
je ne voyois point nos affaires en mauvais étal : j'avois
a3o [1652J MÉMOIRES
pris Orléans , M. le prince avoit battu les ennemis à
Bleneau , nos troupes étoient dans le meilleur état du
monde , et nous étions maîtres à Paris. Après lui avoir
allégué tout cela, il médit : <c Vous ne savez ce qui vous
K est bon ; car si Ton tait la paix présentement, vous
f( serez reine de France : et si on attend à la faire quand
« nous ne serons plus les maîtres , vous ne serez rien ,
a non plus que les autres. » Là-dessus je me radoucis
un peu , et il me dit que M. le prince étoit tout-àrfait
bien intentionné pour moi.
Après cette conversation j'allai avec la compagnie,
où M. le prince ne me laissa guère , me disant : « 11 est
« juste que j'aie l'honneur de vous entretenir, ayant as-
(( sez de chosesà vous dire.» 11 commença, (décrois que
a le comte de Fiesque vous aura dit beaucoup de choses
« de ma part touchant votre établissement : présente-
« ment les affaires y sont plus disposées que jamais, et
d je vous promets qu'il ne se passera aucun traité de
<( paix où vous ne soyez comprise.» Il me témoigna que
c'étoit la chose du monde qu'il sonhaitoit avec le plus
de passion que de me voir reine de France ; que son
intérêt s'y renconti'oit 5 que rien ne lui étoit plus avan-
tageux , voyant les bontés que j'avois pour lui ; et qiie
la confiance qu'il avoit en moi le persuadoit que je le
considérerois toujours comme l'homme du monde le
plus dépendant de moi ^ qu'il n'y avoit rien qu'il ne
fît pour voir réussir cette affaire ^ que je n'avois qu'à
commander, qu'il ra'obéiroit en tout comme un sei*-
viteur très-fidèle et très-zélé , et qu'il me supplioitde
a'en pas douter. Nous nous fîmes force protestations
d'amitié -, ce fut sincèrement de ma part , et je crois
de la sienne aussi.
DE MADEMOISELLK DE MO^TPENSIER. [i65a] 23 1
Madame de Châtillon, depuis son retour, s'ëtoit
fort plainte du peu de soin que M. le prince avoit eo
de ses terres , et m'avoil écrit qu elle vouloit être ma-
zarine pour s'en venger -, de sorte que je lui demandai
si son courroux continuoit , et si elle ne lui avoit point
pardonné. Elle me dit : « 11 fait beaucoup d'avances
ce pour se raccommoder avec moi y mais j ai peine à
« les recevoir. )> Pourtant il lui vint parler, et il me
semble qu'elle lui donnoit une assez longue audience
et favorable attention ; et depuis ils ont été assez bien
ensemble.
Le lendemain il arriva un courriel* de l'armée qui
apporta nouvelle que les ennemis avoient attaciué un
faubourg d'Etampes, et que nous y avions été fort
battus, et qu ils avoient pris force prisonniers. Par le
plus grand malheur du monde , nos généraux , après
avoir vu toutes nos troupes rentrer dans la ville avec
une grande confiance que l'on ne les viendroit point
attaquer, s'en étoient allés chacun en leur logis dîner
fort tranquillement. On attaqua le quartier des étran-
gers, qui furent surpris-, comme l'on alla avertir dans les
autres , chacun prit les armes pour les secourir ; mais
la foule et l'étonnement où ils furent furent cause
qu'ils ne savoient quasi ce qu'ils faisoient. 11 se ren*
contra encore un embarras qui retarda le secours que
l'on pouvoit donner : c'est que, pendant que les trou-
pes étoient sorties le matin , l'on avoit mené tous les
bagages dans la ville ^ et comme Etampés n'est quasi
qu'une rue , elle se trouva si pleine et si embarrassée
que l'on eut peine à passer. L'onpK>uvoit dire que de-
puis que les troupes étoient rentrées, l'on auroit bien
pu les renvoyer chacune en leurs quartiers 5 et l'on
a33 [l^^^] MÉMOIRES
pourroit de même croire que les ennemis ëtant si
proches , Ton se seroit tenu en ëtat de les recevoir
s'ils eussent voulu les attaquer ; mais Ton peut juger
admirablement bien des choses quand elles sont ar*-
rivées : il est souvent malaisé de les prévoir , et ce
n'est pas la première faute qui ait été faite en guerre.
Il y eut peu de gens de condition de tués , et .peu de
soldats ; Ton y perdit seulement le colonel Broue ,
sergent de bataille des troupes espagnoles, et le comte
de Furstemberg , capitaine de cavalerie du régiment
du duc Ulric de Wirtemberg , et un capitaine d'infan-
terie de TÂltesse , nommé Rubel.
J'avoue que cet accident me toucha fort : car j etois
très-sensible à tout ce qui arrivoit au parti , et lamitié
que tous nos officiers et toute l'armée m'avoient té-
moignée faisoitque je Tétois beaucoup poiur eux. L'of-
tficier qui vint , nommé Despouis , lieutenant-colonel
de l'Altesse, dit à M. le prince : « L'on doit bénir Dieu
fc de ce que Mademoiselle y avoit été ce jour-là, car
4i sans cela le désor/lre eût été plus grand . » Il le pensoit
ainsi, car pour moi je ne le crois pas. Les colonels pri-
sonniers furent quasi tous étrangers : il n'y eut de
Français que Montai , premier capitaine dans Condé
in&nterie ] le marquis de Vassé , mestre de camp du
régiment deBourgogne. Dèsque je sus cela, je résolus
<le changer l'abbé de<juyon , qui étoit mon prisonnier,
contre un colonel étranger; et pour cela je choisis le
baron de Barle , colonel d'infanterie , qui servoit de
sergent de bataille. Ainsi il dxit peu en, prison, et
M. l'abbé de Guyon fut fort aise d'en sortir : et lors-
qu^'il me vint remercier de sa liberté , je lui dis que
cela lui vaudroitunévéché-, cequi arriva, et peu de
DE MADEMOISELLE DE MO^TPJîNSiER. [l65a] a33
temps après on lui donna celui de Tulles. Il le mé-
ritoit Uen , car c'est un honnête hoonme. Je fus visitée
de tout Paris le premier jour après mon retour ; il y
avoit une si grande foule chez moi qu'on ne pouvoit
s y tourner. Le roi d'Angleterre me vint voir ; il n etoit
point dans nos intérêts , car il avoit envoyé monsieur
son frère le duc dTorck , volontaire dans Tarmée de
M. de Turenne. 11 ne me parla pas de ce qui s'étoit
passé à Etampes, sachant bien que cela ne me devoit
pas être agréable.
Lorsque la reine d'ÂngleteiTC sut que j'étois entrée
à Oriiéans , elle dit qu elle ne s'étonnoit pas que j'eusse
sauvé Orléans des mains de mes ennemis comme ayoit
autrefois fait la pucelle d'Orléans , et que j'avois com-
mencé comme elle à chasser les Anglais : en voulant
dire que j'avois chassé son fils de chez moi. Cela fut
fort remarqué , et toutes les lettres que je reçus deux
jours durant ne portoient autre chose. Je lui rendis
mes devoirs , et la trouvai fort attachée aux intérêts
de la cour : ce qui m'obligea à ne lui pas rendre des
visites si fréquentes , n'y ayant pas de plaisir à disputer
avec des personnes à qui Ton doit respect. EUe sut que
je m'étois plainte de quelques impertinens discours
que madame de Fienne avoit faits contre notre parti,
et m'en fit faire excuse : ce qui m'obligea d'y retour-
ner. Je trouvai madame de Choisy toujours fort em-
presiée pour moi ^ je l'étois peu pour elle , car ja sus
qu'aile avoit conté à beaucoup de personnes comm^
la palatine et elle m'avoient fait donner dans le pan-
neau , et que je ne leur avois pas tenu ce que je leur
avois piromis : c'étoit néanmoins tout le contraire, et
elles n'étoient emportées contre moi que parce que
a34 [1652] MEMOIRFS
je n'avois pas été leur dupe, et c'étoit ce qui lesfaisoit
enrager. Je ne pris pas plaisir à ses discours ; je l'en-
voyai quérir, et lui témoignai que je nétoispas con-
tente d'elle ; que je lui dëfendois de jamais parler de
moi de la manière que je savois qu'elle avoit fait, et
que je la priois de ne plus venir chez moi aussi sou-
vent qu'elle avoit accoutumé, et même ne point choisir
les heures de familiarité, ne voulant point avoir de
conversation avec elle , ni même que l'on le crût : ce
qu'elle fit pendant quelque temps, après lequel elle
tâcha , autant qu'il lui fut possible, à se raccommoder j
mais ce fut inutilement. Néanmoins l'on la souffroit,
parce qu'elle est de fort bonne compagnie.
Peu de jours après mon retour , l'on vint me dire
que M. le prince étoit à Saint-Cloud pour 7 mettre
du monde et se rendre maître de ce poste , comme
l'on avoit fait de celui du pont de Neuilly; mais il
ne se contenta pas de cela : il s'en alla à Saint-Denis,
c[u'il prit sans beaucoup de résistance, y ayant peu
de monde, et la ville étant de médiocre défense; il
y prit un capitaine suisse nommé Dumont, que je
connois, qui est fort honnête homme, et quelques au-
tres officiers de cette nation. Il y mit des Landes pour
y commander, qui étoit capitaine dans son régiment
d'infanterie. Cette place fut prise vers la pointe du
jour, et sur les quatre heures du soir l'on vint dire que
les ennemis la venoient attaquer. Monsieur et M. le
prince y envoyèrent M. de Beaufort pour la secourir :
ce qui fut inutile, étant arrivé trop tard. Nous ne fumés
pas victorieux en cette rencontre, et voici ce qui se
passa, que j'ai su depuis d'un homme de qualité qui
y étoit 5 car comme la chose ne se passa pas à l'avan-
DE MADEMOISELLE DE MO>TPENSfER. [l65a] ^35
lage de ceux qui y étoient,*il$ ne la racontèrent pas
comme elle s'ëtoît passée. An retour , M. de Beaufort
pensa être pris, ayant ëtë abandonne. Tout ce que
Ton peut dire à la justification des officiers, c'est que
c'ëtoient des troupes nouyellement levées, et des bour-
geois de Paris qui les commandoîent.
Le Roi et ta Reine eurent avis de la prise de Saint-
Denis par M. le comte de Grandpré, qui, étant en
parlîe près de cette ville , la vit prendre d'assaut par
M. le prince. Incontinent Leurs Majestés commandè-
rent messieurs de Miossens et de Saint-Mesgrin, lieu-
tenans généraux, avec quatre cents hommes du régi-
ment des Gardes, leurs gendarmes et chevau-légers,
trois escadrons , à la tête d'un desquels étoil M. le
comte de Grandpré , un autre mené par M. de Ren-
neville , et le dernier par le colonel cravate Raie.
Ces troupes arrivèrent devant cette place environ le
midi , et entrèrent dedans avec peu d'elFort. Le sieur
des Landes , capitaine d'infanterie au régiment de
Condé, quiy commandoit, se retira dans l'tfglise, qu'il
conserva trois jours à son maître avec beaucoup de
courage. Comme il l'alloit rendre, M. de Beaufort se
montra près du village de La Chapelle avec neuf es-
cadrons de cavalerie qui marchoient en fort bon ordre,
et une multitude de fantassins épars par toute la
plaine; il se mit au sortir dudit village en bataille
derrière une croix qui en est éloignée de cinq cents
pas. L'on monta à cheval dans Saint-Denis le plus vite
que Ton put; et comme les trois escadrons de l'armée
s'y trouvèrent plus tôt que la maison du Roi , l'on les
fit sortir par la porte de Pontoise , et couler le long
de la rivière. Messieurs de Grandpré et de Renncville
236 [l652] MÉMOIRES
les commandoient. Ils détachèrent M. le chevalier de
Joyeuse avec trente coureurs , qui se mêla fort brus-
quement avec les troupes de M. de Beaufort ^ il le^
mena ballant jusqu a leur gros ; il fut suivi de fort
près de ceux qu'ils avoient détachés, et menèrent les
troupes de Paris en désordre dans La Chapelle , où ils
avoient de Tinfanterie. Messieurs de Grandpré et de
Renneville marchèrent, laissèrent La Chapelle à main
gauche , et furent pour les couper entre Paris et ce
village, mais ik s'en alloient trop vite : Tonies joignit
pourtant au mpulin à vent qui .est au sortir de La Cha-
pelle pour alli&r à Paris. On les suivit jusqu'au corps-
de-garde du faubourg Saint-Denis ; Ton prit près de
quatre-vingts de leursprisonniers, qui apprirent qu'ils
Soient commandés par M. Clerambault, capitaine de
cavalerie du régiment de Condé , et M. Du Buisson ,
officier des gendarmes de M. le prince de Condé.
Comme l'on se retiroit , Ton tailla en pièces quelques
cinq cents bourgeois de Paris , qui se jetèrent sotte-
ment dans les troupes du Roi , qui leur firent très-
mauvais quartier^ et sans la nuit qui survint, ils au-
roient bien souffert davantage. Fontaine Chandré, lieu-
tenant aux gardes, fut tué à la prise de Saint-Denis,
après laquelle l'on renvoya les officiers suisses qui
avoient été pris. Us vinrent me voir, car les Suisses
m'aiment fort ; et il ne faut pas que j'oublie une chose
qu'ils ont faite ,pour moi , qui est très-honnéte. Quel-
que temps avant ces derniers troubles, leur paiement
manqua, et comme dit le vieux proverbe, point d'ar^
genty point de Suisses; ils laissèrent leurs armes a^
CQrpsHdergarde,.et s en allèrent. Tout le monde offi*it
de l'argeat au Roi \ ^pour moi ^qui p'en avois point , je
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65a] 287
portai un grand diamant qui me venoit de mademoi-
selle de Guise , qui Tavoit donné à ma mère en la ma-
riant-, et ce diamant a voit été donné à M. le duc de
Joyeuse mon aïeul par Henri m, dont il étoit favori.
Il vaut plus de deux cent mille livres : au moins me
Ta-t-on donné pour cela. Le Roi et la Reine reçurent
fort bien ma bonne volonté , et je le mis enti'e les
mains du cardinal Mazarin. Le Roi donna beaucoup
de diamans de la couronne pour gages aux Suisses,
pour ce qu'on leur devoit. Us apprirent que j'avois
donné le mien ; ils vinrent me trouver quatre ou cinq
de la part de tous les cantons , pour me dire qu'ayant
appris qu'il y avoit un diamant à moi parmi ceux que
le Roi leur avoit donnés , ils venoient me demander
comment il étoit fait, pour le rapporter; et qu'ils se
Soient à ma parole. Je trouvai cela fort obligeant, et
j'eus lieu de connoître par là que ma bonne foi étoit
connue dans les pays étrangers, et que ceux qui se
fioient le moins prenoient confiance en moi. Cela
me réjouit tout-à-fait; je les remerciai avec toute h
reconnoissancc possible, comme étant tout-à-fait tou-
chée de ce qu'ils me disoient. Le diamant n'étoit pmc
en leurs mains : le cardinal Mazarin l'avoit di
munitionnaire d'Italie ; lorsqu'il fut brouillé;
sieur, Son Altesse Royale eut grand soin de:
mander si on me Favoit rendu: cela avait
ou six jours devant. Quoique les
jamais que le Roi, et que dans toutes le!: JH^Be«<r ->
voit point qu'ils aient envoyé de êecam&xz:sxrx 7.
moins dans celles que j'ai lues. 2^ s:- est- ^:. —
suisses qui me dirent que si
de leur nation , à ma coj
^38 [lÔSs] MÉMOIRES
(loiincroient , et qu'ils auroientune grande joie de^m^
rendre service. Mais la guerre n'allant pas de manière
à continuer, nous n'en voulûmes points etje les re-
merciai avec beaucoup de témoignages d'affection.
11 est bon de dire deux mots du voyage que mes-
sieurs de Rohan , Chavigny et Goulas firent à Saint-
Germain. Après y être arrivés et avoir demandé leur
audience à la Reine, ils y allèrent. Sa Majesté les mena
dans son cabinet , et dit que l'on allât quérir le ca]>-
dinal Mazarin. Comme il entroit , ils voulurent sortir
en disant qu'ils n'avoient pas ordre de conférer avec
lui 5 ils firent force façons, après lesquelles ils demeu-
rèrent et même furent trois heures enfermés avec lui,
après que Leurs Majestés en furent sorties. L'on fut
d'accord de toutes choses : Monsieur et M. le prince
avoient tout ce qu'ils désiroient ; le cardinal jVk^rin
consentoit à s'éloigner dé la cour , pourvu qu'il allât
pour traiter la paix. Monsieur n'y voulut jamais con-
sentir, et l'on rompit là-dessus : dont M. le prince fut
fort fSché. Monsieur et M. le prince venoient tous les
jours en mon logis, et tout ce qu'il y avoit de per-
sonnes considérables dans le parti, tant hommes que
femmes ; de sorte que la cour éloit chez moi, et j'é-
tois comme la reine de Paris, Madame aimant aussi
peu à voir le monde qu'il aimoit à aller chez elle. Je
passois fort bien mon temps , j'étois honorée au der-
nier point, et en grande considération : je ne sais si
c'étoit par la mienne propre, ou parce que l'on croyoit
que j'avois beaucoup de part aux affaires ; c'étoit une
chose assez vraisemblable que j'y en avois. Mais une
très-véritable et trcs-malaisée à croire, c'est que je
n'y en avois point , Monsieur ne m'ayant jamais fait
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65a] ^39
rhonneur d'avoir confiance en moi. Cet aveu m'est
rade à faire , beaucoup plus pour Tamour de lui que
pour lamour de moi : car quiconque m'aura connue
jugera que je l'ai assez méritée -, et ceux qui liront ces
Mémoires , et ne me connoîtront que par là , juge-
ront aisément que je méritois cet honneur. Pour M. le
prince, il n'en faisoit pas de même, car il ne sa voit
rien dont il ne me fît part. Quand il me cachoit quel-
que chose , c'étoit de celles en quoi il croyoit man-
quer , et qu'il auroit bien voulu se cacher à lui-même.
Souvent me voulant conter ce qui se passoit , je lui
disois : « Je suis lasse d'entendre toujours parler de la
« même chose ; » et ces sortes d'affaires m'ennuyoient
assez, car je ne les aime pas, et personne du monde
n'aime moins l'intrigue que moi. Cela faisoit que
je négligeois les choses dont j'aurois pu avec bien-
séance me mêler.
Le maréchal de Turenne assiégea Etampes contre
son avis, à ce que l'on dit-, et il étoit assez aisé à croire :
car comme il est fort grand capitaine et qu'il sait
fort bien prendre son parti , celui d'assiéger Etampes
nen étoit pas un fort bon-, son armée n'étoit pas assez
forte pour faire ce siège dans les formes : aussi ne
l'attaqua-t-on que d'un côté, car il n'ouvrit la tran-
chée que de celui d'Orléans. La circonvallation d'E-
tampes étoit trop grande à faire , n'y ayant que huit
mille hommes à l'attaquer ^ la nôtre étoit de cinq mille
hommes tant cavalerie qu'infanterie. Les troupes fran-
çaises de Monsieur et de M. le prince étoient des gens
d'élite : il n'y avoit pas un homme de rebut , ni pas un
ollicier de manque, ipie ceux qui avoient été blessés
à l'attaque du faubourg ou au combat de Bleneau.
l4o [1652] MEMOIRES
L'on peut dire à )a louange de nos officiers qu'il n'y
en a jamais eu de plus brares. Ce siëge ne nous alarma
pas ; le nombre des troupes que nous avions , et de la
manière que je les ai dépeintes, le doivent assez faire
croire^ Ils ne manquèrent non plus de toutes les cho-
ses nécessaires que de courage ; Ton peut juger par là
s'ils en étoient bien pourvus. La poudre leur manqua
sur la fin; nous en avions tous les jours des nouvelles,
et ils mandoient qu'ils n'étoient embarrassés que dans
la crainte que nous ne le fussions à Paris pour eux.
Ce siège fit périr une partie de l'armée de M. de Tu-
renne , car nos gens faisoient des sorties épouvanta-
bles, et s'acquéroient assez d'honneur parmi les enne-
mis. Us perdoient tous les jours du monde: le che-
valier de La A^ieuviUe y fut blessé, et porté à Melun où
ëtoit la cour , et y mourut de sa blessure ; il fut fort
regretté, particulièrement des dames. Le cardinal Ma-
zarin mena le Roi au siège y et y envoya un trompette
dire que le Roi commandoit à son armée d'Etampes
de ne point tirer , et qu'il y venoit. 11 demanda à parler
à messieurs de Tavannes, de Clinchamp ou Yalon,
pour leur faire cette harangue ; mais ils étoient tous
trois malades, et ne lui purent parler : de sorte que
Fofficier de la garde à qui il en parla s'étant trouvé
étranger, et n'entendant point le français, il n'eut
point de réponse ; et on ne laissa pas de tirer où étoit
h cardinal Mazarin , car Ton avoit vu que le Roi n'y
étoit pas. Néanmoins les mazarins ont toujours dit que
l'on avoit tiré sur le Roi. L'on s'étonnera assez que
l'on avouoit nos troupes pour être celles du Roi , les
traitant tous les jours de rebelles -, et à dire le vrai ,
celles d'Espagne y étant jointes, c'étoit quelque chose
DE MADEMOISELLE OK MONTFEXSIEK. [l65a] ^\l
d'an peu extraordinaire , et en cette rencontre on ne
comprit pas la politique du cardinal Mazarin.
Madame de ChâtiUon discontinua ses plaintes contre
M. le prince ; il lui rendit risite avec autant d assî*
duité que M. de Nemours^ et Ton s^ëtonnoit fort de
Famitié qui ëtoit entre eux, parce que Ton les croyoil
rivaux-, mais la suite des choses a Inen £siit connoitre
que M. le prince n'ëtoit point amoureux. Comme il
avoit grande confiance en elle . il lui parloit de ses af^
faires , et donnoit rendez-vous chez elle à ceux à qui
il en avoit , et y tenoit ses conseils. Comme il ëtoit
occupe auprès de Son Altesse Royale à beaucoup
d autres choses tous les jours, il passoit quasi toutes
les nuits chez elle , et ne perdit cette coutume que
parce qu'on lavertit qu en revenant chez lui rë|çlë-
ment à une même heure, Ton lui pourroit faire un
mauvais parti , ayant affaire à des gens où il n y avoit
point de suretë : cela lui lit changer Theure de ses
visites. Ce qpi persuadoit à tout le monde qu*il y
avoit de Tamour , c'est que la terre de MarlcH» » que
feu madame la princesse lut avoit donnée sa vit
durant par son testament, M. le prince la lui donna
en propre ^ mais j'ai ouï dire à ses gens , qui croyoient
le bien savoir, qu'il ne lui avoit fait ce don que parce
quilcroyoit queMarlou tomberoik dans le partage du
prince de Conti , qai ne lui feroit peut-être pas cette
libëralitë. Pour moi , il me semble qu'il la lui auroit pu
faire sans qu'on eût rien dit, puisque cela est digne
d'un grand prince d'enchérir sur celles des autres \
mais cela arrive si peu aux Bourbons, que quand ils
font des libératitës, on les applique toujours à mal.
Pour moi, cela ne m'empêchera pas d'en faire quand
T. 4^* '^
24^ [ï^Sîi] MÉMOIRES
j'en trouverai les occasions, etquejelejugerai àpropos.
Depuis que Monsieur s'étoit déclaré , il avoit en-
voyé plusieurs fois à M. de Lorraine , qui lui faisoit
toujours espérer qu'il viendront ^ M. le prince y en-
voyoit aussi. Enfin M. le comte de Fiesque arriva, et
dit qu'il viendroit tout de bon : ce fut à la considéra-
tion des Espagnols, et point du tout à celle de Mon-
sieur ni de M. le prince. Un beau matin l'on vint dire:
K M. le duc de Lorraine est à Dammartin, » qui
n'est qu'à huit lieues de Paris , sans que l'on l'eût su
en chemin. Aussitôt Son Altesse Royale et M. le prince
montèrent à cheval pour l'aller voir : car l'on ne croyoit
pas que ce jour-là il dût venir coucher à Paris. J'en-
voyai un gentilhomme pour lui offrir ma maison de
Bois-le-Vicomte , qui est à moitié chemin de Dam-
martin à Paris. Monsieur et M. le prince le trouvèrent
au-delà du Mesnil, et dès qu'il les eut vus il résolut
de venir avec eux à Paris ; en même temps Monsieur
en envoya avertir Madame, qui me le manda. JTétois
au Cours ; je m'en allai au Luxembourg en toute dili-
gence -, il arriva tard. En entrant dans la chambre de
Madame , il vint à moi pour me saluer ; je me reculai,
ne trouvant pas à propos qu'il commençât par moi. Il
se mit à railler avec elle sur tout ce qui lui étoit ar-
rivé depuis qu'il ne l'avoit vue , ensuite avec moi :
puis il se tourna sur le sérieux, et me fit mille civilités.
Il me parla de la vénération que les Espagnols a voient
pour moi, à cause de l'affaire d'Orléans -, bref, cette con-
versation fut plus à malouange que sur nul autre cha-
pitre. Je le trouvai le plus agréable du monde , et l'on
ne s'en étonnera pas ^ car il est assez doux d'entendre
dire du bien de soi ^ mais tout de bon il l'étoit en tous
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSs] ^43
ses autres discours. Comme il ëtoit fort tard, je me
retirai ; il me vint conduire à mon carrosse, et après
que j'y fus montée , il vint à pied jusqu'à la moitié de
la rue de Tournon la main sur la portière , voulant
venir jusques en mon logis. Je fus fort embarrassée de
cette civilité ^ enfin il s'en alla. Le lendemain il me
vint visiter : comme c' ëtoit dans l'octave du Saint-
Sacrement , j'allois au salut comme il arriva ^ il y vint
avec moi , et ensuite au Cours : il trouva madame de
Frontenac fort à son gré. Monsieur nous envoya cher-
cher au Cours , et manda qu'il nous attendoit à mon
logis avec M, le prince. Nous y allâmes aussitôt^ M. le
prince me dit qu'il étoit assez embarrassé de M. de
Lorraine , parce qu'il ne faisoit faire que deux lieues
par jour à Ses troupes, et qu'il ne téraoignoit pas par là
d'avoir grande hâte de secourir Etampes -, qu'il a voit de
grandes conférences avec les amis du cardinal de Retz,
avec madame de Chevreuse et M. de Châteauneuf ,
et que cela ne lui plaisoit guère. D'un autre côté Ma-
dame ne désiroit rien tant que de voir Monsieur séparé
des intérêts de M. le prince. Ainsi toutes ces choses
lui causoîent assez d'inquiétude ; et quoiqu'il sut que
M. de Lorraine avoit promis aux Espagnols de secourir
Etampes, néanmoins il craignoit que sa longueur ne
l'en empêchât , étant assuré qu'il trouveroit assez de
prétextes de s'excuser envers les Espagnols. Il de-
meura à Paris six jours , pendant lesquels il venoit
avec moi au Cours , me divertissant fort , et évitant
les conférences avec Monsieur et M. le prince , de
peur de conclure quelque chose. Je me trouvai une
fois avec Monsieur et Madame, et lui ; l'un et l'autre le
pressoient fort sur des nouvelles qui étoient venues
16.
a4/{ [1652] MÉMOIRES
d'Etampes, mais il se défendit le mieux du monde
de rien faire, et pourtant il leur laissoit comprendre
qu'il ëtoit fort bien intentionné ; et quand il ne vouloit
plus répondre , il chantoit et se mettoit à danser, en
sorte que l'on ëtoit contraint de rire. Si Ton ne le
connoissoit pour un très-habile homme , à voir tout
cela, l'on l'eût pris pour un fou. Monsieur l'envoya
quérir une fois que le cardinal de Retz étoit dans son
cabinet et lui vouloit parier d affaire; il dit : a Avec
« des prêtres , il faut prier Dieu; que Ton me' donne
« un chapelet : ils ne se doivent mêler d'autre chose
« que de prier, et faire prier Dieu aux autres, v A
un moment do là , Madame et mesdames de Che-
vreuse et de Montbazon vinrent ; l'on voulut encore
lui parler ; il prit une guitare. « Dansons , mes-
« dames; cela vous convient bien mieux que de par-
fit 1er d'affaires. »
Comme l'on sut qu'ils manquoient de poudre à
Etampes , l'on songea à y envoyer le comte d'Escars ,
qui étoit premier capitaine du régiment de cavalerie
de Monsieur. 11 venoit de prison de Flandre, où il avoit
été pris l'année précédente , servant de marréchal de
camp dans l'armée du Roi. M. de Lorraine, de qui il
étoit prisonnier , le rendit à Monsieur. Il s'offrit à faire
passer ce convoi de poudre : ce qui réussit le plus heu-
reusement du monde ; il fit en cela une très-belle ac-
tion , très-périlleuse et très-avantageuse au parti : aussi
c'est un fort bon ofiicier et très-brave. Nos gens fai^
soient des sorties tous les jours les plus furieuses du
monde avec des faux : tous les officiers de cavalerie y
alloient. Le marquis de La Londe y fut tué : il étoit
capitaine lieutenant des gendarmes de Son Altesse
DE MADEMOISELLE DK MOMTPENSIER. [iGSs] !i^5
Royale ; Diolet, capitaine de soii résinent de cavaletie,
y fut tué aussi. A la mort du marquis de La Londë ,
Saintorin , capitaine d'infanterie dans le régiment de
Son Altesse Royale, vint à Paris pour demander le gui-
don de la compagnie. L'on le fit parler à M. de Lor-
raine pour lui rendre compte de 1 état de toutes choses ;
et comme il lui disoit qu en peu de temps on feroit le
chemin d'Etampes, marchant jour et liuit , il s écria :
u Quoi ! marche-t-onla nuit en ce pays-ci ? » Saintorin
étoit tout étonné de lui entendre fair^ des réponses
et des questions de cette force ; eniin 1 on le dépêcha
pour aller dire que très-assurément il marcheroit pour
les secourir ; et pour donner plus de croyance aux
étrangers , il envoya un de ses officiers avec lui.
Comme ses troupes furent arrivées à Villeneuve-
Saint-Georges , Monsieur et M. le prince les allèrent
voir dans Tespérance de lelir faire passer la Seine , le
pont étant fait pour cela. Ils me menèrent avec eux.
Comme nous arrivâmes à la garde du pont , Ton nous
dit : « Son Altesse n'y est pas. » L'on demanda de quel
côté elle étoit allée -, l'on nous le montra , et nous y
allâmes. Mous le rencontrâmes tout seul. U dit qu'il
venoit de pousser un parti des ennemis qui avoit paru ^
mais en etlét il venoit de négocieravecunhommédu
cardinal Mazarin. Après il se jeta à terre, disant: u Je
K me meurs; je m'allois faire saigner ; mais comme j'ai
a su que vous m'ameniez des dames, «je suis allé voir
K si je n'attraperois point quelque courrier qui fut
« chargé de lettres , a&n d'avoir de quoi les divertir ^
u car que feront-elles à l'armée ? » Madame la duchesse
de Sully étoit à cheval avec moi , les comtesses de
Fiesqoe et de Frontenac , et madame d'Olonne , qui
^/{6 [1652] MÉMOIRES
est Tainée de mesdemoiselles de La Loupe dont j ai
parlé , qui fut mariée l'hiver de devant à M. le comte
d'Olonne, de la maison de La Trémouille. L'on s'é-
tonna de la voir là , âon mari étant auprès du Roi cor-*
nette de seschevau-Iégers ^ mademoiselle de La Loupe
sa sœur y étoit aussi. Il y avoit d'autres dames ^ mais
comme elles étoient en carrosse , je ne les nomme pas»
Après que M. de Lorraine eut été quelque temps
couché sur le sable à faire mille contes , Monsieur le
résolut à monter à cheval , et ils allèrent dans un petit
bois : ils tinrent conseil , où M. de Lorraine leur pro-
mit positivement de faire passer la rivière à ses trou-
pes. Pendant qu'ils parloient d'affaires j'avois passé le
pont, et j'étois allée voir les troupes, qui étoient toutes
en bataille. Sa cavaleriç étoit fort belle , mais pour
son infanterie elle ne l'étoit pas trop 5 il y avoit des
Irlandais , qui pour l'ordinaire ne sont ni de bonnes
ni de belles troupes : tout ce qu'ils ont de recomman-
dable sont leurs musettes. Comme nous eûmes vu
tout , il fit passer la rivière à trois ou quatre régimens
de cavalerie , qui repassèrent dès que nous fûmes par-
ties. Il demeura cinq ou six jours en ce postc-là : tous
les marchands de Paris y alloient vendre leurs den-
rées , et il y avoit quasi une foire dans le camp ; les
dames de Paris y allèrent aussi tous les jours. M. de
Lorraine venoit de fois à autre à Paris caché , en sorte
que l'on ne le pouvoit trouver. Il vit madame de Châ-
tillon, qu'il trouva fort belle: aussi n'avoit-elle rien
oublié pour cela^ elle eût été bien aise de faire encore
cette conquête, du moins que l'on l'eût cru. Un jour,
après avoir été visité du roi d'Anjjleterre , il nous
manda qu'il étoit fort pressé , qu'il seroit obligé do
DE MADEMOISELLE DE MOMTPEfISIER. [l65a] ^47
donner bataille , et que Ton loi envoyât du secours.
Il troubla notre divertissement, car nous allions
danser quand cette nouvelle vint. M. le prince s'en
alla changer d'habit pour monter à cheval et aller au
devant de notre cavalerie ; car M. de Lorraine avoît
mandé à Etampes que dès que les ennemis auroient
levé le piquet, ils sortissent , et qu'il iroit les joindre :
de sorte que M. le prince trouva nos troupes vers Es-
sone ; elles y demeurèrent le reste de la nuit. M. de
Beaufort partit en même temps que M. le prince pour
mener à M. de Lorraine ce qu'il y avoit ici de troupes,
qui n'étoientpas bien considérables, n'étant que des
recrues. Dès qu'il fut arrivé , il lui dit qu'il étoit si
pressé qu'il ne pouvoit plus rester; que le siège d'E-
tampes' étant levé, qui étoit le seul sujet de son voyage,
il avoit traité avec M. de Turenne , et avoit un passe-
port pour s'en retourner avec ses troupes. Il fit es-
corter celles que M. de Beaufort lui avoit amenées
jusqu'aux portes de Paris, et lui marcha pour s'en
retourner. L'on me vint dire cette nouvelle à mon
réveil, qui me donna beaucoup d'étonnement et de
chagrin des embarras où cela nous pouvoit mettre ; car
pour mon intérêt particulier je n'en étois pas fâchée ,
puisque Madame pouvoit par lui faire valoir, dans un
accommodement , les intérêts de mes sœurs à mon
préjudice. Quand M. le prince sut cette nouvelle , il
laissa la cavalerie où elle étoit , et alla au devant de
l'infanterie ; il amena le tout camper à Juvisy , puis
s'en vint ici ; il amena beaucoup d'officiers avec lui.
L'on peut juger s'ils étoient fiers d'avoir fait lever le
siège à M. de Turenne. Je fus au Luxembourg ce jour-
là, où j avoue que j'eus un peu tort; car je gourmandai
^4^ {l65!l] MÉMOIRRS
Madame comme un chien , et je lui dis pis que pendre
de afon frère : ce que je ne devois pas faire , par le res-
pect d'elle et de M. de Lorraine ; mais le zèle du parti
m'emporta. Quoique Madame eut beaucoup de crédit
auprès de Monsieur, et que Ton l'y crût plus en con-
BÎdëiAtion que moi , cela ne parut guère en cette oc-
casion , car il sut que je l'avois maltraitée *, et je lui en
parlai avec la dernière libellé sans qu'il m'en dît un
mot. 11 me traita tout aussi bien qu'à l'ordinaire, c'est-
à dire en apparence : il me fit assez bonne chère ;
mais pour la confiance , j'ai dit ce qui en étoit , et il
me semble que d'agir civilement n'est pas assez pour
un père à une telle fiUe que mof.
Tout Paris étoit dans des déchaînemens horribles
contre Jes Lorrains : personne n'osoit se dire de cette
nation , de peur d'être noyé ; l'on n'en avoit pas moins
contre le roi et la reine d'Angleterre, que l'on croyoit
avoir fait la négociation entre la cour et le duc de Lor-
raine. Us étoient renfermés dans le Louvre sans oser
sortir, ni pas un de leurs gens, le peuple disant : « Us
a nous veulent rendre aussi misérables qu'eux, et font
(c tout leur possible pour ruiner la France commeilsont
tt ùil l'Angleterre. » L'on n'est point maitce des discours
des peuples : ainsi l'on ne les pouvpit pas empêcher
de dire tout ce qui leur venoit dans la tête ; mais le
roi et la reine d'Angleterre les évitèrent avec beau-
coup -de prudence , et plus que nous n'en aurions eu
à les faire taire ; car Monsieur , M. le prince et moi
nous nous étions un peu emportés contre Leurs Ma*
jestés Britanniques. Monsieur trouvoit fort à redire
que sa sœur , avec qui il avoit toujours parfaitement
bien vécu , lui témoignant de l'amitié , et en ayant
DE MADEMOISELLE DR MONTPENSIER. [l65t)] ^^g
reçu d'elle des marques en toutes occasions^ agit con-
tre lui. M. le prince n'avoit aussi manque en rien à son
égard , et même , si on Tose dire, il crovoit que ma*
dame sa mère Tavoit assistée dans des rencontres où
la courrabandonnoit; enfin il croyoit que tant sa con-
duite que celle de madame sa mère et de M. le prince
de Conti , qui , pendant la guerre de Pai*is en 1649 )
Tavoient assistée et lai avoient fait donner de l'argent
par messieurs de Paris, pou voit bienTobliger à être
neutre. Pour moi, je ne blâmoispas les plaintes de Mon*
sieur et de M. le prince : je criois contre eux de toute
ma force -, car je croyois devoir mettre en compte la-
raitié qu'il avoit eue pour moi. D un autre côté Ton
devoit excuser Leurs Majestés Britanniques , parce
que , tirant toute leur subsistance de la cour, ils en
dévoient avoir de la reconnoissance ; mais tout con-
sidéré, ils auroient bien fait d'être neutres. Je pris la
liberté de le dire à la reine d'Angleterre , et de lui té-
moigner qu il étoit fâcheux au Roi son fils et à elle
d'avoir été le prétexte d'une chose qui n'étoit pas ho-
norable , dont ils avoient été les dupes ; car c'étoit ma-
dame la princesse de Guémené qui avoit obligé M. le
prince de Lorraine de ne point aller secourir Etampes,
et de s en retourner comme il fit : mais comme elle
ne voulut point paroitre en cela, de crainte d'être
chassée de Paris où elle étoit bien aise de demeurer,
elle chercha sur qui l'on pouvoit mettre la chose. L'on
manda le roi d'Angleterre, qui alla à Melun , puis à
Villeneuve , et qui croyoit avoir fait des merveilles
en concluant un traité qui étoit fait avant qu'il arri-
vât; et assurément il s'en seroit pu passer. Enfin M. le
prince et feu madame la princesse ontdonnéà la reine
250 [l65!2] MEMOIRES
d'Angleterre cent mille livres (i) en plusieurs années :
ce qui fît dire que Je roi d'Angleterre avoit manqué à
lamour, à la parenté et à l'intérêt tout à la fois. L'on
jugera aisément par là que l'on entendoit Monsieur ,
M. le prince et moi.
Son Altesse Royale alla au moulin de Châtillon , qui
est par delà Mont-Rouge , voir passer cette armée vic-
torieuse qui venoit d'Etampes et s'en alloit à Saint-
Goud , où M. le prince l'amena , et s'en revint à Paris ^
car ce n'étoit pas à lui à coucher au quartier. L'armée
étant si proche , tous les officiers av oient beaucoup de
joie. Ils y venoient souvent 5 mais cette commodité ne
rendoit pas l'armée meilleure : l'on manquoit au ser-
vice, et les plaisirs et les débauches de Paris minoient
fort les troupes. M. de Glinchamp avoit soin de me
visiter, et de s'informer de moi des choses qui se pas-
soient. Il ne manquoit pas aussi pendant le siège d'E-
tampes de me mander des nouvelles. Comme il avoit
beaucoup de zèle pour moi , il y avoit pris une grande
confiance :' aussi il m'entretenoit de tout ce qu'il sa-
voit de plus particulier. Il me faisoit des complimens
de M. le comte de Fuensaldague , et me disoit que les
Espagnols avoient une si forte considération pour
moi et une estime si particulière , que si l'archiduc
étoit un assez honnête homme pour moi , ils lui don-
neroient la souveraineté des Pays-Bas comme l'avoient
l'archiduc Albert et l'infante Isabelle, et que c'étoit
la chose du monde que tout le pays souhaitoit le plus.
Je n'entrois dans ces discours qu'en raillant , et il
(i) Cçnt mille Hures : Ici , dans IVdition de 1729, se trouve une la-
cune de plusieurs pages, qui est remplie dans celle de fj^S cpic nous
sniTons.
DB MADEMOISELLE DE MOINTPENSIER. [lÔSs] 25 1
s'en fâchoit : de sorte que je fus contrainte de l'écou-
ter dans le dernier sérieux. U me disoit que c'étoit
une affaire à laquelle les Espagnols avoient toute la
disposition imaginable , et que dès qu'il auroit vu le
comte de Fuensaldague , il ne doutoit point que cette
affaire ne s'avançât , si j'y voulois consentir.
Pendant que nos officiers se réjouissoient J^ Paris
et dans les belles maisons de Saint-Cloud , madame de
Châtillon , messieurs de Nemours et de La Rochefou-
cauld, lesquels espéroient de grands avantages par
un traité , la première cent mille écus , l'autre un gou-
vernement , et le dernier pareille somme , ne son-
geoient qu'à en faire faire un à M. le prince à quelque
prix que ce fût-, et pour cela ils négocioient sans cesse
avec la coiîr : aussi l'on ne songeoit point à faire des
recrues ni des troupes nouvelles. Le cardinal Mazarin
amusoit toujours ces zélés , plus en vue de leurs inté-
rêts que de ceux du parti 5 et cependant il faisoH venir
des troupes de tous côtés. Quelque temps après l'ar-
rivée du maréchal de La Ferté, il envoya de ses
troupes pour faire un pont sur la Seine vers l'îJe de
Saint-Denis , afin de venir attaquer Saint-Cloud. M. le
prince en étant averti, y alla en grande diligence.
Ily avoit huit ou dix jours que je ne l'avois vu chez
moi et que je ne lui avois parlé-, il venoit néanmoins
tous les jours me chercher, mais à des heures qu'il
savoit bien que je n'y étois pas 5 M. de Nemours en
faisoit de même. Pour madame de Châtillon , depuis
mon retour d'Orléans je l'avois moins vue que je ne
faisois l'hiver : aussi avoit-elle beaucoup plus d'af-
faires. Quand je trouvois les uns et les autres au Luxem-
bourg, ils me fuyoient, et je les fuyois aussi; car
a52 [1652] MÉMOIRES
comme je désapprouvois fort leur conduite , ils crai-
gnoient que je ne leur en disse mes sentimens trop
librement; et M. le prince^ qui sentoit bien qu'il fai-
soit une faute de s'amuser à ces gens-là, craignoit que
je ne lui en parlasse : car il ne croyoit pas que les
choses en vinssent où elles ont été.
Api:ès avoir été voir ce qui se passoit à cette île de
Saint-Denis , et y avoir fait dresser une batterie , M. le
prince revint voir Monsieur pour lui dire qu'il jugeoit
à propos de décamper de Saint-Cloud et de s'en aller
prendre le poste de Charenton , ne pouvaht rester à
celui de Saint-Cloud si on l'y attaquoit. Monsieur le
jugea comme lui : de sorte qu'il s'en alla à Saint-
Cloud en grande diligence, et fit marcher l'armée ; et
cependant il alla encore faire un tour à cette île ,
jugeant bien qu'il avoit assez de temps pour rat-
traper l'armée. 11 y avoit deux jours que je n'avois
sorti , étant en dessein de faire quelques remèdes par
précaution. Je m'en allois me promener; on me dit
à la porte de la Conférence , où l'on faisoit garde ,
comme à toutes celles de Paris ( et cette garde avoit
commencé le lendemain que je fus arrivée d'Orléans,
et je croyois que c'étoit moi qui l'attirois partout où
j'allois ); on me dit donc à la porte de la Conférence
qu'il y avoit des troupes dans le Cours. Cela ne m'ef-
fraya pas : je ne laissai pas de passer mon chemin. Je
trouvai le baron de Lemèque de la maison de Cboi-
seul, qui étoit maréchal de camp, un fort galant
homme et bon officier ; et l'on peut dire que lui et le
comte d'Escars avoient soutenu le siège d'Etampes ,
et étoient les deux meilleurs officiers généraux qu'il
y eût, et les plus accrédités dans les troupes fran-
DE MADEMOISELLE DE MOKTPENSIER. [l65aj !l53
caises. Lemèque donc menoit Tavant-garde composée
du rëgiment d'infanterie de Valois et de toute la gen-
darmerie, et suivie des bagages. Je lui demandai où
il alloit. II me dit que c'ëtoit à Gharenton, mais qu il
avoit bien peur de ne pouvoir pas gagner ce poste
fort aisément , et qu'il se trouvoit employé à une mé-
chante commission d'avoir à conduire les bagages-,
dont je vis passer une grande partie , tant au Cours
que sur la terrasse de Renard , où je m'allai promener.
J'y trouvai madame de Ghàtillon qui se lamentoit , et
disoit qu'elle avoit peur qu'il n'arrivât quelque mal au
parti, et qu'eUe craignoit furieusement un combat.
Xétois en inquiétude de cette marche : les ennemis
étant plus forts que nous nous pouvoient aisément
tailler en pièces ; car c'est la chose du monde la plus
aisée que de défaire une armée en marche , et qui
montre toujours le flanc : de sorte que cela m animoit
fort contre les négociateurs, que je croyois nous avoir
mis en ce dangereux état. Ainsi en termes généraux
je fis un grarid chapitre tout haut devant beaucoup de
monde sur ce sujet. Les gens qui ne se méloient de
rien entroient dans mon sens; les autres commen-
çoient à croire, par la crainte de l'événement, que
leur parti n'étoit pas bon , et ne doutoient pas que je
ne parlasse à eux : de sorte qu'il y eut du monde em-
barrassé de me voir parler si librement et si véritaUe-
ment. Après je quittai la compagnie et m'en allai à mon
logis, et changeai le dessein que j'avois de prendre
médecine, jugeant que je pouvois être utile à quelque
chose.
Le lendemain toutes les troupes passèrent pendant
la nuit; et comme il n'y avoit que les Tuileries entre
254 [l65a] MÉMOIRES
mon logis et le fosse, on entendoit distinctement les
tambours et les trompettes, et Ton diseernoit aisément
les marches différentes. Je demeurai appuyée sur ma
fenêtre jusqu'à deux heures après minuit à les en-
tendre passer , avec assez de chagrin de penser tout
ce qui pouvoit arriver -, mais parmi cela j'avois je ne
sais quel instinct que je contribuerois à les tirer d'em-
barras, et même je dis le soir à Préfontaine : « Je ne
(( prendrai pas demain médecine , car j'ai dans la tête
« que je ferai quelque trait- imprévu aussi bien qu'à
« Orléans. » Il me répondit qu'il le souhaitoit, mais
qu'il craignoit fort que cela n'arrivât pas. Le pauvre
Flamarin que j'aimois fort , et avec qui j avois pris
grande habitude à mon voyage d'Orléans, me vint voir
et me dit : « Je ne suis point en inquiétude de ce qui
a arrivera demain, car je suis persuadé que les affaires
« ne sont point dans l'état où on les pense^ et pour
« moi je crois la paix faite, et qu'elle se déclarera
tt demain quand les armées seront en présence. » Je
lui dis en riant que le cardinal Mazarin feroit donc
comme à Casai : il jetteroit son chapeau pour empê-
cher le combat, et pour signal de paix. « Vous êtes une
a grande dupe , et nous aussi , de nous être amusés à
<( des négociations , au lieu de mettre nos troupes en
« bon état. Tout ce qui arrivera de ceci ne peut être que
(c très-désavantageux, et je n y ose penser, tant cela me
« donne de peine pour vous, qui croyez toujours tout
« ce qu'on vous dit. Ce seroit fort bien employé si
c( demain vous aviez quelque bras ou quelque jambe
(( cassée. » Je riois, et disois cela au plus loin de ma
pensée. Nous nous séparâmes ainsi , et il me dit :
tt Nous verrons qui sera trompé de nous deux. »
DE MA.DEMOISELLE DE MONTPENSIER. [lÔSîx] ^55
A six heures du matin, le 2 juillet iBSa , j'entendis
heurter à la porte de ma chambre. Je m'éveillai en
sursaut, et j'appelai mes femmes pour ouvrir ma
chambre. Le comte de Fiesque entra , qui me dit que
M. le prince l'avoit envoyé trouver Monsieur pour
lui dire qu il avoit été attaqué à la pointe du jour
entre Montmartre et La Chapelle^ qu'il avoit été re-
fusé à la porte Saint-Denis en allant lui rendre compte
de l'état où Ton étoit et prendre ses ordres ^ qu'il le
supplioit de monter à cheval , et qu'il continueroit sa
marche, ne pouvant attendre au lieu où il étoit ^ que
Monsieur avoit répondu qu'il se trouvoit mal, et que
M. le prince l'avoit aussi chargé de me venir trouver,
et de me prier de ne le point abandonner. Je me le-
vai aussitôt avec toute la diligence possible, et je m'en
allai au Luxembourg, où je trouvai Monsieur au haut
du degré ^ je lui dis : « Je croyois vous trouver au
« lit , le comte de Fiesque m'avoit dit que vous vous
a trouviez mal. » 11 me répondit : n Je ne suis pas
<( assez malade pour y être , mais je le suis assez pour
(( ne pas sortir. » Je le priai, autant qu'il me fut pos-
sible, de monter à cheval pour aller au secours de
M. le prince^ mais ce fut en vain : car toutes les rai-
sons dont je me servis pour cela ne firent aucun effet
sur son esprit 5 et voyant que je ne pouvois rien obte-
nir, je le priai de se coucher, trouvant qu'il devoit
faire le malade , et qu il y alloit autant de son intérêt
que de celui de M. le prince à en user comme il fai-
soit. Il n'en fit rien, et mes larmes n'eurent pas plus de
pouvoir sur lui que mes discours. Il étoit difficile de
n'en pas verser en l'état auquel on se trouvoit; quand
l'intérêt de M. le prince et celui de quantité d'amis
256 [iGSa] MÉMOIRES
que jy avois ne s'y seroit pas trouvé, j'avois grand
pitié de force ofliciers des troupes de Monsieur, hon-
nêtes et braves gens qui me venoient tour à tour dans
Fesprit. Madame de Nemours , que je voyois en un
état pitoyable où la jnettoit l'inquiétude qu'elle avoit
de monsieur wn mari et d^M. de Beaufort son frère ,
augmentoit encore mes peines. J'avois dans ma dou-
leur bien dudépit de voir des gens de Monsieur dans
une grande gaieté, dans l'espérance que M. le prince
périroit. Us disoient dans des occasions comme celles-
ci : (( Sauve qui peut ! )> Us étoient amis du cardinal
de Retz, et c'étoit ce qui les faisoit parler ainsi. Mon-
sieur alloit et venoit : je lui parlois en passant ; je le
pressai jusques à lui dire : a  moins que d'avoir un
a traité fait avec la cour en poche , je ne comprends
<c pas comment vous pouvez être si tranquille ; mais
« en auriez-vous bien un pour sacrifier M. le prince
<( au cardinal Mazarin ? » 11 ne répondit point ^ tout ce
que j'ai dit dura une heure , pendant laquelle tout ce
qu'on avoit d'amis pouvoit être tué, et M. le prince
tout comme un autre , sans que Ton s'en souciât : cela
me paroissoit une grande dureté. Â la fin messieurs
de Rohan et de Chavigny vinrent , qui étoient ceux
en qui M. le prince avoit pour lors plus de confiance.
La comtesse de.Fiesque vint me trouver ^ pour ma-
dame de Frontenac , elle étoit auprès de son mari ,
qui étoit malade à l'extrémité. Messieurs de Rohan et
de Chavigny, après avoir quelque temps entretenu
Son Altesse Royale , la firent résoudre à m'envoyer à
rhôtel-ile-ville de sa part pour demander les choses qui
étoient nécessaires. Pour cela il donna une lettre à
M. de Rohan pour messieurs de l'hôtel-de-ville , par
DE MADEMOISELLE DE MONTPEIISIER. [l65a] IkSj
laqaelle il se remettoit à moi à leur dire son intentioiié
Je partis du Luxembourg accompagnée de madame
de Nemours , et des comtesses de Fiesque mère et
fille; je trouvai le marquis de Jarzé dans la rue Dau*
phine, qui alloit prier Monsieur de la part de M. le
prince de faire passer par dedans la ville les troupes
qui ëtoient demeurées à Poissy , et qui attendoient à
la porte de Saint-Honorë qu'on leur ouvrit. Jarzë ëtoit
blessé d'un coup de mousquet au bras : de sorte quHl
Ta voit tout en sang, n ayant pas eu le loisiir de se
faire panser. Je lui dis quil étoit blessé galamment^
et qu'il portoit son bras d'une manière fort agréable.
11 me répondit qu'il se seroit bien passé de cette gai-
lanterie ; car comme son coup étoit proche du coude ,
il souSroit des douleurs horribles, quoiqu'il allât
comme un autre. Tous les bourgeois étoient attrou-
pés dans les rues, qui me demandoient en passant:
« Que feron&-nous? Vous n'avez qu'à commander,
(( nous sommes tout prêts à suivre vos ordres. » Us
paroissoient fort zélés pour le parti, et pour la conseil
vation de la persckine de M^ le prince. Comme j'ar-
rivai à l'hôtel-de-ville , le maréchal de L'Hôpital ^ gou*
vemeur de Paris , et le prévôt des marchands qui
étoit pour lors M. Le Fèvre, conseiÙer au parlement ^
vinrent au devant de moi au haut du degré , et me
firent excuse de n'être pas venus plus loin, n'ayant
pas été avertis. Je leur dis que je croyois bien que
ma venue en ce lieu les devoit avoir surpris en toutes
manières, mais que c'étoit Findisposition de Monsieur
qui en étoit la cause. Comme nous fûmes dans la
grande salle , je demandai : « Tout le mondé est-il
« ici ?» Ils me dirent qu'oui. Je leur dis : « Mon-
T. 4^' '7
a58 [l65!2] MÉMOIRES
tt sieur s étant trouvé mal, il na pu venir ici 5 il a
« chargé M. de Rohan de vous donner une lettre de
<c sa part. » Il la donna , et le greffier de la vîUe en
fit la lecture -, elle étoit fort obligeante pour moi , leur
témoignant la confiance qu il avoit en ma conduite par
l'expérience qu'il en avoit eu depuis peu. Après la
lecture faite , je leur dis que Monsieur m'avoit com-
mandé de leur dire qu'il désiroit qu'on fît prendre les
armes dans tous les quartiers de la ville : ils me dirent
que cela étoit fait -, que l'on envoyât à M. le prince
deux mille hommes détachés de toutes les colonelles
des quartiers : ils me dirent que l'on ne détachoit pas
les bourgeois comme les gens de guerre , mais que
l'on ne laisseroit pas d'envoyer les deux mille hommes
que Son Altesse Royale commandoit. Je leur dis que
dès qu'ils auroient donné l'ordre , je ne me mettois
point en peine de l'exécution , connoissant l'affection
que tous les bourgeois avoient pour nous, et qu'ils
seroient ravis de tirer M. le prince du péril où il étoit
exposé ; et que sa personne devoit être chère à tous
les bons Français , et que je croyois qu'il n'y en avoit
pas un qui n'exposât sa vie pour sauver la sienne. Je
leur demandai quatre cents hommes pour mettre
dans la place Royale : ce qu'ils accordèrent. Je gardai
la grande demande pour la fin , qui étoit de donner
passage à notre armée. Lànlessus ils se regardèrent
tous -, je leur dis : « Il me semble que vous n'avez
<( guère à délibérer. Monsieur a toujours témoigné
u tant de bonté à la ville de Paris, qu'il est bien juste
« qu'en cette rencontre , où il y va de son salut et de
ic celui de M. le prince, on lui en témoigne de la
H reconnoissance -, U faut aussi que vous soyez per-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSs] ^Sq
« suadës que si le malheur vouloit que les troupes
a ennemies battissent M. le prince, on neferoit pas
« plus de quartier à Paris qu'aux gens de guerre.
« cardinal Mazarin est persuadé que Ton ne T^ime
« pas, et à la vérité l'on lui en a donné assez de
« marques; c'est pourquoi, ayant la vengeance en
« main, l'on ne doit point douter qu'il ne se satis-
tt fasse. C'est à nous à l'éviter par nos soins 5 et nous
« ne saurions rendre un plus grand service au Roi
a que de lui conserver la plus grande et la plus belle
« ville de son royaume , qui en est la capitale , et qui
« a toujours eu le plus de fidélité pour son service. »
Le maréchal de L'Hôpital prit la parole, et dit :
a Vous savez bien, mademoiselle , que si vos troupes
« ne fussent point approchées de cette ville , celles
« du Roi n'y fussent pas venues , et qu'elles ne ve-
« noient que pour les en chasser. » Madame dé Ne-
mours trouva cela mauvais , et se mit à le quereller.
Je rompis le discours en disant : « 11 n'est point ques-
« tion à qui le cardinal Mazarin en veut , si c'est à ce
« qui est dedans ou dehors de Paris ^ l'on peut croire
<( que son intention n'est pas bonne , ni pour les uns
« ni pour les autres; mais songez, monsieur, que
<( pendant que Ton s'amuse à disputer sur des, choses
w inutiles , M. le prince est en péril dans vos fau-
« bourgs. Quelle douleur et quelle honte seroit-ce
« pour jamais à Paris s'il y périssoit faute de secours!
u Vous pouvez lui en donner : faites-le donc au plus
« tôt. )» Ils se levèrent sur cela , et s!en allèrent dé-
libérer dans une chambre au bout de la salle ; et moi
cependant je priai Dieu, appuyée sur une fenêtre
qui r^arde dans le Saint-Esprit. On disoit une messe ;
ï7-
2^6o [l65a] MÉMOIRES
J6 ne rentendis pas entièrement, allant et venant
^ur envoyer hâter ces messieurs et leur demander
une réponse ^ l'affaire pour laquelle ils ëtoient assem-
bles requérant diligence -, et que s'ils n'accordoient
pas ce que Ton demandoit , il faudroit voir à prendre
d'autres mesures ; et que j'avois tant de confiance ait
peuple de Paris , que je croyois qu'il ne nous aban-^
donneroit pas. Peu après que je leur eus fait dire cela ,
ils sortirent, et me donnèrent tous les ordres que je
demandois. J'envoyai en toute diligence dire à M. le
prince que j'avois obtenu l'entrée de la ville pour nos
troupes quand il voudroit , et que j'avois envoyé le
marquis de La Boulaye à la porte de Saint-Honoré ,
pour faire entrer celles qui venoient de Poissy.
En sortant de l'hô tel-do-ville , je trouvai les bour-
geois qui s'étoient amassés dans la Grève, qui di-
soient mille choses contre le maréchal de L'Hôpital.
Il y en eut un qui me dit , en le regardant de tout
près, car il me menoit : « Comment souffrez-vous ce
« masarin? Si vous n'en êtes pas contente, nous le
« noierons. » Il voulut le battre; je Fen empêchai,
et je criai : a J'en suis contente. » Néanmoins, pour
le mettre en sûreté , je le fis rentrer dans l'hôtel-de-
ville avant que mon carrosse marehftt. Je trouvai dans
la rue de la Tixeranderie le plus pitoyable et le jJus
affreux spectacle qui se puisse regarder : c'étoit
M. le duc de La Rochefoucauld qui avoit un coup de
mousquet qui entroit par un coin de l'ceil et sortoit
par l'autre : de sorte que les deux yeux étoient offen-
sés *, il semMoit qu'ils lui tombassent , tant il perdoit
de sang : tout son visage en étoit {^in , et il souffloit
sans cesse comme sHl eût eu crainte que celui qui Ivfl
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIKR. [l65s] a6^
entroh dans la bouche ne FétouffiSit. Son fils le tenoh
par une main et Gourville par Fanitre , car il ne voyoit
goutte ; il étôît à cheval , et avoit ttn pourpoint blanc
^lissi bien que ceux qui le menoient , qui ëtoient tout
couverts de sang comme lui ; ils fondoient en larmes ,
car à le voir en cet étal^ je n'eusse jamais cru qu'il
en eût pu échapper. Je m'arrêtai pour parler à lui,
mais il ne répondit pas : c'ëtoit tout ce qu'il pouvôit
faire que d'entendre un gentilhomme de M. de Ne-
mours, qui vint dire à madame sa femme W qu'il
Fenvoyôît avertir qu'il avoit été blessé légèrement à
la nifliù , et que ce ne seroît rien , et qu'il s'étoit dé«
tourné de peur de l'effrayer, parce qu'il étoit tout en
sang^ elle me quitta * aussitôt pour l'aller trouver.
Beaucoup de personnes dirent ^ sur les blessures d&
ces messieurs, que Dieu les avoit punis, et que leurs
négociations , qui étoient cause que l'on avoit tout
négligé, avoieni été^ celle de ce combat, où ils avoient
été étrillés. Quoique cette pensée me fut venue aussi
bien qu'à d'autres , je ne laissai pas d'avoir beaucoup
de pitié* de M. de La Rochefoucauld. Après l'avoir
quitté, je trouvai , ii l'entrée de la rue Sainte-Antoine ,
Guitaut à cheval , sans chapeau , tout déboutonné ,
qu'un homn^e aidoit , parce qu'il n'eut pu se soutenir
sans cela ; il étoit pâle comme la mort. Je lui criai :
t Mourras-tu? n 11 me fit signe de I9 tête que non : il
avoit pourtant un grand coup de mousquet dans le
corps; puis je vis Vallon, qui étoit en chaise, qui
s'approcha de mon carrosse ; il n'ayoit qu'une contu-
sion aux reins; comme il est fort gras, il fallut l'aller
panser promptement. Il me dit : « Hé bien , ma bonne
(1) Madame ia femme : ici fiait la lacune de Pedition de 1^39-
262 [iGSî] MÉMOIRES
M maîtresse , nous sommes tous perdus. » Je Tassurai
que non. Il me dit : «Vous me donnez la vie, dans
« l'espérance d'avoir retraite pour nos troupes. » Je
trouvai, à chaque pas que je fis dans la rue Saint-
Antoine , des blessés , les uns à la tête , les autres au
corps , aux bras , aux jambes , sur des chevaux , à
pied, et sur des échelles, des planches, des civières,
et des corps morts.
Comme je fus près de la porte , j'envoyai M. de
Rohan porter l'ordre de laisser aller et venir nos gen»
au capitaine qui étoit de garde , afin qu'il fît tout ce
que je lui manderois. Les ordres de l'hotel-de-ville
portoient que l'on fît tout ce que j ordonnerois. J'en-
trai dans la maison d'un maître des comptes, nommé
M. de La Croix , qui me la vint offrir : c'est la plus
proche de la Bastille , et les fenêtres donnent sur la
rue. Aussitôt que j'y fus , M. le prince m'y vint voir 5
il étoit dans un état pitoyable ; il avoit deux doigts de
poussière sur le visage , ses cheveux tout mêlés 5 son
collet et sa chemise étoient pleins de sang, quoiqu'il
n'eût pas été blessé ^ sa cuirasse étoit pleine de coups ,
et il tenoit son épée nue à sa main , ayant perdu le
fourreau ^ il la donna à mon écuyer. Il me dit : « Vous
« voyez un homme au désespoir, j'ai perdu tous mes
« amis : messieurs de Nemours , de La Rochefoucauld
« et Clinchamp sont blessés à mort. » Je l'assurai
qu'ils étoient en meilleur état qu'il ne les croyoit ; que
les chirurgiens ne les croyoient pas blessés dange-
reusement, et que tout présentement je venois de
savoir des nouvelles de Clinchamp , qui n'étoit qu'à
deux portes d'où j'étois; que Préfontaine l'avoit vu,
qu'il n'étoit en aucun danger. Cela le réjouit un peu ,
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [lÔSs] ^63
ilëtoit tout-à-fait afiligé ; Iprsqu'il entra, il se jeta sur
un siëge , il pleuroit , et me disoit : a Pardonnez à la
« douleur où je suis. » Après cela , que Ton dise qu'il
naime rien ; pour moi, je Tai toujours connu tendre
pour ses amis et pour ce qu il aimoit. Il se leva , et me
pria d'avoir soin de faire passer les bagages qui ëtoient
hors de la porte , et de ne point sortir d'où j'ëtois ,
afin que Ton se pût adresser à moi pour tout ce que
l'on auroit à faire , et qu'il avoit si hâte qu'il ne pou-
Yoit demeurer pl,us long-temps. Je le priai instamment
de vouloir rentrer dans la ville avec son armëe : il me
rëpondit qu'il n'avoit garde de le faire, et que je ne
me misse point en peine , et qu'il ne feroit plus qu'esr
carmoucher -, qu'ainsi il n'y avoit plus rien à craindre
pour mes amis, et qu'il me rëpondoit qu'il rameneroit
les troupes de Monsieur saines et sauves *, que pour
lui , il ne lui seroit pas reproche d'avoir fait retraite
en plein midi devant les mazarins. Après qu'il fut
parti, le marquis de LaRoche-Gaillard passa blesse à la
tête : il avoit perdu toute connoissance ^ il ëtoit ëtendu
sur une ëchelle comme un mort-, il me fit grande pi-
tië : c'ëtoit un homme beau et bien fait , et- en l'ëtat
où il ëtoit il ne laissoit pas d'être de bonne mine : ce
qui est de pis , c'est qu'il ëtoit de la religion. Tout ce
jour-là ne se passa qu'à voir des morts et des blesses,
et je m'aperçus à la fin de ce que disent les gens de
guerre , que la quantité que l'on en voit y accoutume
tellement , que l'on n'a pas tant de pitië pour les der-
niers que pour les premiers, et surtout pour les gens
que Ton ne connoit pas. 11 y avoit de pauvres Alle-
^lands qui ne savoient où donner de la tête , ni com-
B^ent se plaindre , ne pouvant parler notre langue ; je.
a64 [lÔSs] MÉMOIRES
les envoyai dans les hôpitaux ou chez les chirnr'*
giens j selon leurs grades.
Tous les colonels des quartiers envoyoient recevoir
mes ordres pour faire sortir de leurs soldats ; je crojois
encore être à Orléans , je commandois et Ton ra'obéis-
soit. Je fis filer les bagages , ainsi que M. le prince
m^avoit marque , et j'ordonnai que Ton les menât à la
place Royale ; je jugeois qn ils y seroient fort bien ,
qu'on les mettroit au milieu, et que Ton dételleroit
les chevaux pour les faire repaître sous les galeries.
M. le prince avoit oublié de me dire où je les enver-
rois ; ils étoient là en lieu d'aller partout où l'on vou-
droit commodément , parce que Ton ne savoît point
pour lors où l'on camperoit. Les quatre cents mous-
quetaires que l'on m'avoit donnés comme un corps de
réserve pour envoyer à M. le prince selon qu'il en
auroit besoin, je les envoyai sur le soir, la moitié sur
le boulevart de la porte Saint-Antoine , et l'autre sur
celui de l'Arsenal , où les gens du grand-maître firent
quelques difficultés de les recevoir; à la seconde fois
que j'y envoyai, ils y entrèrent. Il me semble que cela
fit un bon effet, et fit voir que les bourgeois nous dé-
fendoient et se défendoient eux-mêmes ; que les ma-
zarins jugerpient par là qu'ils étoient absolument pour
nous : pour le secours que l'on en auroit pu tirer, je
\e çomptois pour rien. Toutes ces circonstances fai-
soient paroître Paris déclaré pour nous, et étoient
avantageuses. Je me tourmentai horriblement ce jour-
là; je n'eus pas sujet de plaindre mes peines , puis-
qu'elles réussirent si bien.
L'embarras où j'avois vu nos affaires le matin m'avoit
laissé beaucoup d'inquiétude, quoique nous en fus-
DE IfADEMOISELLB DE MOUTPENSIER, [;65a] 365
sions dehors. La conduite que Monaieur avoit eue en-^
▼ers M. le prince, et qui faisoit tant contre lai-mémé,
me mettoit au désespoir : de sorte que j'avois Fespri t fun
rieusement troublé, et je ne comprends pas comment
je pus faire tout ce que je fis dans cette agitation. Ce
fut un des effets du miracle que Dieu fît ce jour-là
pour nous ; sans un coup du ciel , les affaires ne se
seroient pas passées comme elles firent.
M. le prince fut attaqué proche le faubourg Saint-
Denis : il envojra de la cavalerie pour amuser les en-
nemis, pendant quil marchoiten diligence au hu^
bourg Saint-Antoine , où il fut attaqué par toute Tar-
mée de M. de Turenne , qui arriva en même tempa
que lui. 11 se barricada dans la grande rue à la vue des
ennemis le mieux qu'il lui fut possible , et il envoya
des troupes garder les autres avenues. Il est bon de
dire (et cela est assez connu ) que ce faubourg est ou-
vert de tous côtés , et qu'il auroit fallu deux fois plus
de troupes que M. le prince n'en avoit pour garder
une seule avenue. Les ennemis étoient plus de douze
mille hommes : M. le prince n'en avoit que cinq ; il
leur résista cependant l'espace de sept ou huit heures,
où l'on combattit horriblement : il étoit partout. Lesi
ennemis ont dit qu'à moins d'être un démon, il no
pouvoit pas faire humainement tout ce qu'il avoit fait }
il étoit à toutes les attaques. Les ennemis forcèrent la
grande barricade qui tenoit le carrefour qui va dan^
Picpus et à Yincennes. Notre infanterie fit bien ; l^
cavalerie prit une telle épouvante qu'elle s'enfuit ^
et emmena tout ce qu'eUe trouva en son chemin jusk
ques à la butte devant l'abbaye Saint-Antoine. M. le
prince , enragé de cela, retourna l'épée à la main avec
a66 [iGSa] mémoires
cent mousquetaires, et ce qu'il trouva d'oflGiciers de
cavalerie ou d'infanterie sous sa main au nombre de
trente ou quarante, et quelques volontaires-, reprit la
barricade , et en chassa les ennemis. EUe ëtoit défen-
due par le régiment des Gardes , celui de la marine,
Picardie et Turenne, qui étoient sans doute leurs
meilleurs régimens et les plus forts qu'ils eussent. Il
s'y comporta d'une manière qui surpasse l'imagina-
tion , et par sa grande valeur et par sa prudence *, il
agit d'un si grand sang-froid en cette occasion , que
tout le monde l'admira. J'étois toujours à voir passer
les bagages, les morts et les blessés : il y eut un ca-
valier qui fut tué , et qui demeura sur son cheval ,
lequel suivoit le bagage av£c son pauvre maître 5 cela
faisoitpitié.MadamedeChâtillonvintau logis où j'étois,
dans le carrosse de madame de Nemours : elle venoit de
voir Monsieur son mari -, elle me dit : « Hélas ! vous êtes
<( bien bonne défaire tout ce que vous faites pour M. le
« prince \ il me semble que depuis quelques jours il n'é-
« toit pas trop bien avec vous , et que vous aviez sujet
« devons plaindre de lui. » Je lui répondis : « Si M. le
« prince a manqué envers moi, ce n'est qu'en des baga-
(( telles^ je ne lui manquerai jamais : c'est ici uçe ajQTaire
« trop importante pour songer à rien qu'à le secourir.
« Si j'étois en sa place , j'étranglerois les gens qui m'y
« ont mis mal pour leurs intérêts particuliers. » Elle ne
dit mot , et demeura auprès de moi 5 j'avois bien en-
vie qu'elle s'en allât. Le président Viole vint -, elle lui
dit que l'on disoit que Monsieur avoit traité avec la
cour, et qu'il savoit bien ce qui devoit arriver, et
que c'étoit la cause qui l'avoit empêché de sortir. Je
le dis au comt^ de Fiesque , e% reprochai à m$i-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSî] 1x67
dame de Châtillon que pour une habile femme eUe
donnoit aisément dans les panneaux de croire une
nouvelle aussi ridicule que celle-là , et que je croyois
que si Monsieur en savoit l'auteur , il le feroit jeter
par les fenêtres-, que je trouvois comme elle que
Monsieur avoit tort de n avoir pas monté à cheval ,
que je Tavois souhaité passionnément , que j'y avois
fait tout mon possible, mais qu'il ne falloit pas infé-
rer de là qu'il trompât M. le prince , et qu'il n'étoit pas
homme que l'on pût mener ainsi. Elle fut un peu em-
barrassée, et elle avoit sujet de l'être, et se devoit con-
tenter de ce qu'elle avoit fait, sans accuser les autres.
Cet embarras lui avoit fait oublier ses charmes , il n'y
en avoit pas un d'étalé ce jour-là ; comme eUe est fort
brune naturellement, cela paroissoit extrêmement
en plein jour. Elle s'avisa de faire écrire un billet à
M. le prince pour lui mander qu'il vînt absolument ,
et que tous ses amis et serviteurs le lui conseiUoient ,
et que c'étoit Mademoiselle et madame de Châtillon ,
le comte de Fiesque et le président Viole. Elle me le
montra, et me demanda sijel'approuvois-, je lui dis qu'il
étoitfort inutile de lui rien mander, qu'il savoit ce qu'il
avoit à faire , et que pour son billet il n'en feroit ni
plus ni moins. Elle me répondit : « 11 verra au moins
« par làl'inquiétudeoùronestpourlui. » Ce zèle me dé-
plut fort : je me souvenois que c'étoit elle qui lui avoit
attiré cette méchante affaire ; je ne doutai pas qu'il
ne le reçût mal. Le comte de Béthune , qui est homme
de mérite et de probité , me vint trouver ; je lui té-
moignai le déplaisir que j'avois de ce que Monsieur
n'avoit pas fait tout ce que je croyois qu'il devoit faire
envers M. le prince et pour lui-même ; il entra fort
ft68 [i65a] MÉMOIRES
dans mon sens , et me dit qu il s'en ^lloit trouver
Monsieur pour tâcher de le porter à raccommoder les
liffaires.
Le gouverneur de la Bastille , nommé de la Lon*
vière , fils de M. de Broussel, me manda que pourvu
qu'il eût un ordre de Monsieur par écrit ^ il ëtoit à
lai, et qu'il feroit tout ce qu'on lui commanderoit.
Je priai le comte de Bëthune de le dire à Monsieur ,
lequel le lui envoya par M. le prince de Guémené.
L'abbë d'ElHat , qui m'ëtoit venu voir comme beau-
coup d'autres , vit qu'il ëtoit tar4 , et que je n'a vois
pas dinë ; il jugea bien , par la hâte dont j'ëtois sortie
de mon logis , que je n avois pas mange , et que j'en
avois besoin, et que même je ne m'en aviserois point,
parce que j'avois bien d'autres affaires dans la tête.
jl m'en offrit •, son logis ëtoit tout proche : je l'accep-
tai ; il m'en fit apporter très-proprement et fort à pro-
pos. J'avois bien faim : madame de Châtillon dîna avec
moi ; elle faisoit des mines les plus ridicules du monr»
de , et dont l'on se seroit bien moque si l'on eût ëtë
en humeur de cela.
Le comte de Bëthune me manda sur les deux heu-
res que Monsieur viendroit où j'ëtois : j'envoyai à l'ins-
tant le comte de Fiesque le dire à M. le prince. Ce
comte fit mille voyages ce jour-là ; il alloit et venoit
sans cesse. M. de Rohan , qui avoit ëtë saigne le ma-
tin, pensa s'ëvanouir de toutes les fatigues qu'il eut ;
sa femme demeura tout le jour auprès de moi et de
lui. M. le prince vint , je le vis venir par la fenêtre ,
je m'en allai au devant de lui sur le degrë : il me pa-
rut tout autre qu'il n'ëtoit le matin , quoiqu'il n'eût
changé de rien ^ il avoit la mine riante et l'air gai ] il;
DE MADEMOISELLE DE M0MTPE9SIER« [lÔS^] 269
m'aborda , et me fit mille complimens et remercîmens
de ce qu'il trouvoit que je Favois assez servi. Je lui
dis : « J'ai uae grâce à vous demander : c'est de ne riea
« témoigner à Monsieur delà faute qu'il a faite envers
« vous. » 11 me répondit : «Je n'ai qu'à le remercier; sans
u lui je ne seroispas ici. » Je me mis à rire, et lui dis:
tt Trêve de railleries, je sais les sujets que vous avez
« de vous plaindre de lui : j'en suis au désespoir; pour
« l'amour de moi, n'en parlez point. » Il me le promit
sérieusement, persuadé que Monsieur avoit effec-
tivement de l'amitié pour lui , et que c'étoient les
amis du cardinal de Retz qui l'avoient empêché d^
faire ce qu'il avoit désiré , et qu'il savoit bien le res*
pect qu'il lui devoit; qu'il savoit bien aussi, il y
avoit long-temps , à quoi s'en tenir. Nous entrâmes
dans la salle où la comtesse de Fiesque étoit avec
madame de Ghâtilion et M. de Rohan. Il s'approcha
d'eux , et il fit les plus terribles yeux du monde à ma*
dame de Ghâtilion, et lui marqua par sa mine qu'il la
méprisoit fort : j'en fus fort aise , et elle en fut si sen-
siblement touchée qu'elle pensa s'évanouir ; il lui lal-
lut donner de l'eau , ensuite elle s'en alla. Monsieur
arriva \ il embrassa M. le prince avec une mine aussi
gaie que s'il ne lui eût manqué en rien. Il lui témoi-
gna la joie qu'il avoit de le voir hors d'un si grand
péril, et lui fit conter le combat-, il avoua qu'il n'a-
voit jamais été en une occasion si périlleuse. L'oo
plaignit les morts et les blessés. Le marquis de Lai-^
gués, de la religion, avoit été le matin dangereusement
blessé ; le comte de Bossu , flamand , colonel de cava-
lerie dans les troupes de Clinchamp, mourut le soir^.
Sester, neveu de M. le maréchal de Rantzau, qui
rt'jO [îÔSa] MÉMOIRES
commandoit un régiment d'Allemands dans Tarmée
de M. le prince , fut tué sur la^ place ; je demandai
le régiment pour le neveu de la maréchale de Rant-
ïau qui en étoit major, nommé Bandits , fils du feu
général Bandits qui servoit le roi de Suède : Mon-
sieur lui accorda le régiment, à ma prière. Il y eut
beaucoup d'autres officiers morts ou blessés-, il seroit
fort long de les nommer. Monsieur et M. le prince
résolurent que l'armée rentreroit sur le soir dans la
ville -, de là Monsieur s'en alla à l'hôtel-de-ville pour
remercier le corps de ville , et M. le prince s'en re-
tourna à son armée, M. de Beaufort se démena ex-
trêmement, et crut avoir tout fait.
Comme ils furent partis, je m'en allai à la Bastille ,
où je n'avois jamais été ; je me promenai long-temps
sur les tours , et je fis charger le canon , qui étoit tout
pointé du côté de la ville ] j'en fis mettre du côté de
l'eau et du côté du faubourg pour défendre le bastion.
Je regardai avec une lunette d'approche, je vis beau-
coup de monde sur la hauteur de Charonne , et même
des carrosses : ce qui me fit juger que c'étoit le Roi,
et j'ai appris depuis que je ne m'étois point trompée.
Je vis aussi toute l'armée ennemie dans le fond , vers
Bagnolet-, elle me parut très-forte en cavalerie. L'on
voyoit les généraux sans connoître les visages; on
les reconnoissoit par leur suite. Je vis le partage qu'ils
firent de leur cavalerie pour nous venir couper entre
le faubourg et le foss'é : les uns furent envoyés du
côté de Popincourt , et les autres par Neuilly , le long
de Teau ; et s'ils l'eussent fait plus tôt , nous étions
perdus. J'envoyai un page à toute bride en donner
avb à M. le prince -, il étoit alors au haut du clocher
DE MADEMOISELLE DE MONTPEKSIER. [iGSft] 27 1
tde Tabbaye Saint- Antoine -, et comme je lui confirmai
ce qu'il voyoit , il commanda que l'on marchât pour
entrer dans la ville. Je m'en revins dans la maison où
j'avois été tout le jour pour voir passer l'armée; je
savois bien que tous les officiers seroient ravis de me
voir. Je ne veux pas oublier de dire que le matin tous
les officiers et soldats étoient fort consternés ; ils ju-
geoient qu'il n'y avoit point de quartier. Dès qu'ils
surent que j'étois à la porte, ils firent des cris de joie
non pareils, et dirent : a Faisons merveille, nous
<( avons une retraite assurée ^ MademoiseUe est à la
<( porte , qui nous la fera ouvrir si nous sommes trop
t< pressés. » M. le prince me manda de leur envoyer
du vin : ce que je fis avec beaucoup de diligence 5 et
comme ils passoient devant les fenêtres où j'étois , ils
crioient : « Nous avons bu à votre santé , vous êtes
« notre libératrice. » 11 n'y a point d'honnêtes gens qui
ne m'eussent tenu le même discours s'ils y eussent
été. Comme le régiment de Sester passa, j'appelai
Bandits qui étoit à la tête , fort affligé de la perte de
son colonel qui étoit son ami, pour lui dire que
j'avois demandé à Monsieur le régiment pour lui , et
qu'il me l'avoit accordé. M» le prince vint me voir
lorsqu'il rentra dans la ville ; et comme j'avois envie
de lui reprocher tout ce qui s'étoit passé , je lui dis :
« Voilà de belles troupes , je ne les trouve point dé-
(( chues depuis que je les vis à Etampes ; et si elles
« ont soutenu un siège , essuyé deux combats , Dieu
a les garde des négociations. » Il devint rouge , et ne
répondit rien ; je continuai, et je lui dis : « Au moins,
fc mon cousin , vous me promettez qu'il n'y en aura
« plus. » Il me dit : a Non. » Je lui répliquai : « Je
372 [l65!2] MÉMOIRES
« ne puis m'empécher de vous dire que cette occasion
« vous doit faire distinguer vos vëritables amis d avec
« ceux qui ne le sont que pour leurs intérêts parti-
« culiers , et qui ont exposé votre personne dans Fes^
<c pérance d'avoir cinquante mille écus ^ pour moi ^
« je ne vous en parle que par amitié ^ et pour vous
« y faire penser*, d'autres n oseront vous le dire^ 1^
Les larmes lui vinrent aux yeux de colère ; je finis
cette conversation, et je lui dis : a Cest assez pousser
« Tafiaire, j'espère que vous vous corrigerez. » U s'en
alla , et je demeurai jusques à ce que toutes les troupes
fussent passées. Celles que messieurs les maréchaux
de Turenne et de La Ferté avoient envoyées pour
pousser les nôtres s'avancèrent près de la ville ; l'on
tira de la Bastille deux ou trois volées de canon ,
comme je l'avois ordonné lorsque j'en sortis. Cela fit
peur. Le canon avoit emporté un rang de cavalerie :
sans cela toute l'infanterie étrangère , la gendarmerie
et quelque cavalerie, qui étoient à l'arrière-garde,
auroient été défaites , parce que ces troupes avoient
été obligées d'attendre du canon que l'on étoit allé
retirer près de l'église de Sainte-Marguerite. Cela me
donna de l'inquiétude de ce qu'elles étoient si long-
temps à passer-, je renvoyai le comte de Holac , qui
m'étoit venu voir , les faire hâter ; et quand elles
furent toutes passées, j'allai me reposer quelque
temps à l'hôtel de Chavigny pour me rafraîchir : il
faisoit un chaud horrible ce jour-là. Nous parlâmes
fort de ce qui s'étoit fait , puis je m'en allai au Luxem-
bourg , où tout le monde me régaloit de ce qui s'étoit
passé. M. le prince me fit mille complimens , et dit à
Monsieur que j'avois assez bien fait pour qu'il me pût
DE MADEMOISELLE DE MODTPENSIER. [l65a] ^27 3
louer. Il me vint dire qu'il étoit satisfait de moi : ce ne
fut pas avec la tendresse qu il auroit dû me marquer.
J'attribuai cela au repentir 'qu'il devoit avoir que
j'eusse fait ce qu'il devoit faire : de sorte que son in-*
différence , qui m'est si rude à supporter, me consola
ce jour-là 5 je le croyois dans dessentimens oùj aurois
souhaité qu'il eût toujours été.
Quand je songeai le soir , et toutes les fois que j'y
songe encore, quej'avois sauvé cette armée , j'avoue
que ce m'étoit une grande satisfaction et en même
temps un grand étonnement de penser que j'avois
aussi fait rouler les canons du roi d'Espagne dans
Paris , et passer les drapeaux rouges avec les croix de
Saint-André. La joie que je sentis d'avoir rendu un
service si considérable au parti , et de m'étre com-
portée en cette occasion d'une manière si peu ordi-
naire , et qui n'est peut-être jamais arrivée à personne
de ma condition , m'empêcha d'y faire les réflexions
qui se pouvoient faire. Le marquis de Flamarin fut
tué , dont j'eus beaucoup de déplaisir ; il étoit mon
ami particulier depuis le voyage d'Orléans , où il
m'avoit suivie et très-bien servie. On lui avoit prédit
qu'il mourroit la corde au cou, et il l'avoit dit sou-
vent pendant le voyage-, il s'en moquoit, et le disoit
comme une ridiculité : il ne pouvoit se persuader qu'il
seroit pendu. Comme on alla chercher son corps ,
on le trouva la corde au cou en la même place ou
quelques années auparavant il avoit tué Canillac en
duel. Je ne dormis point toute la nuit , j'eus tous ces
pauvres morts dans la tête. Le lendemain, je demeu-
rai au logis , où il vint quantité de monde, et surtout
les oiliciers de l'armée y l'on ne parla que de la bra-
T. 41. 18
2^4 [l65a] MEMOIRES
voure de M. le prince et de toutes les belles actions
qu'il avoit faites -, ils en étoient tous en admiration. Il
me vint voir, et voulut avoir un éclaircissement avec
moi sur tout ce qui s'ëtoit passe avant le combat •, et
la conclusioa fut qu'il ne souhaitoit de l'avantage au
parti que pour être en ëtat de pouvoir contribuer à me
voir mariée aussi avantageusement qu'il souhaitoit, et
que c'étoit ce qu'il désiroit avec le plus de passion.
La bonne volonté que le peuple témoigna le jour
du combat fut tout extraordinaire. Ils alloient quérir
les morts pour les faire enterrer; ils donnoient à
boire aux sains et aux blessés comme ils passoient ,
et faisoient tout ce qui leur étoit possible, et criôient :
yis^e le Roij et point de Mazarin ! Nous sûmes que
M. de Saint-Mesgrin, lieutenant général et lieutenant
des chevau-légers du Roi , étoit mort -, Mancini , ne-
veu du cardinal Mazarin, blessé dangereusement; et
Fouilloux , enseigne des gardes de la Reine. C'étoit
une espèce de favori que le cardinal poussoit auprès
du Roi. Le marquis de Nantouillet, volontaire, y fut
tué aussi 5 Saint-Mesgrin le fut à la tête des chevau-
légers, en très-galant homme comme il étoit; il y avoit
long-temps qu'il servoit, et avoit beaucoup d'acquis.
Mancini n'avoit que seize ans : c'étoit un fort joli gar-
çon et de grande espérance ; il fit des merveilles à la
tête du régiment de la marine , dont il étoit mestre de
camp ; il fut fort regretté. Le combat avoit duré assez
long - temps le matin , et avoit été opiniâtre ; ils
croyoient à la cour que la victoire leur étoit certaine
par l'inégalité des troupes , qui est un coup certain
quand Dieu n'assiste pas le parti le plus foible de sa
protection , comme il le fit connoitre.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [lÔSs] ^'j5
La Reine j qui étoit demeurée à Saint-Denis , en-
voya un de ses carrosses pour y amener M. le prince,
qu'elle croyoit être prisonnier. J'appris d'un homme
qui ëtoit avec le Roi que comme Sa Majesîté entendit
tirer le canon de la Bastille , le cardinal dit : « Bon ,
« ils tirent sur les ennemis , » et jugeoit cela par l'in-
telligence qu'il avoit dans Paris ; il ne doutoit pas d'y
entrer par la porte du Temple, où M. de Guénégaud,
trésorier de l'épargne, devoit ce jour-là être de garde
en qualité de colonel de son quartier. Gomme le ca-
non tira encore plusieurs coups , quelqu'un dit : « J'ai
« peur que ce soit contre nous. » D'autres dirent :
a C'est peut-être Mademoiselle qui est allée à la Bas-
« tille , et l'on a tiré à son arrivée. » Le maréchal de
Villeroy dit : « Si c'est Mademoiselle , elle aura fait
<i tirer sur nous. » Us furent quelque temps sans en
être éclaircis.
Les généraux , qui avoient envoyé , comme j'ai déjà
dit , leur cavalerie pour nous couper , marchèrent
avec toute l'infanterie pour forcer les barricades.
Lorsqu'ils croyoient nous prendre de tous côtés, ils
ne trouvèrent plus personne; ils ne doutèrent point
que nos gens ne fussent rentrés triomphans à Paris.
On l'alla dire au Roi et au cardinal , qui le ramena à
Saint - Denis , où ils n'arrivèrent qu'à minuit , après
avoir eu cent fausses alarmes. Us firent souvent halte ,
et se mettoient en ordre de bataille *, ils croyoient
qu'on les vouloit attaquer : jamais gens n'ont eu tant
de peur sans sujet. Les troupes étoient si fatiguées,
qu'il n'y avoit ni officier ni soldat qui ne songeât à se
reposer.
L'on dit à la Reine que nous avions été battus , et
i8.
îi^6 {1652] MÉMOIRES
<ju'il n étôit rentré dans Paris que des morts et de^
blessés , et que cela n'étoit de rien au Roi de ce que
l'on avoit donné retraite aux troupes 5 que le peu de
gens et le mauvais état où ils étoient feroient con-
noître au peuple de Paris Timpuissance des princes ,
et par là qu'il se dégoûteroit d'eux. Le comte de
Quinsky , colonel allemand , fut pris prisonnier , et
quelques autres officiers. Nous en eûmes aussi quel-
ques-uns , et entre autres des capitaines du régiment
des Gardes : l'on prit treize des drapeaux , dont la
plupart étoient des gardes. Comme nos troupes reu-
troient dans Paris , l'on portoit ces drapeaux à la tête
du régiment de Son Altesse Royale : je leur envoyai
dire que cela n étoit pas bien d'en faire trophée , et
qu'ils étoient au Roi à qui nous devions respect, et
qu'ils les fissent porter auprès des leurs, afin qu'on
les crût être du régiment.
Il y avoit long-temps que l'on parloit de faire une
assemblée générale à l'hôtel-de-ville pour faire une
union entre elle , le parlement , Monsieur et M. le
prince , pour trouver un fonds pour payer les troupes
et pour en lever de nouvelles. Cette assemblée fut
donc convoquée , et elle se tint le 4 de juillet. Pour
se reconnoître , M. le prince avoit fait prendre à tous
ses soldats de la paille *, je ne sais comment cela fut
su parmi le peuple : ils crurent que , pour être zélés
pour le parti, il en falloit avoir 5 de sorte que, le ma-
tin du 4 ? cela courut tellement que même les reli-
gieux furent contraints d'en porter ; et ceux qui n'en
avoient point , on leur crioit aux mazarins ! et ils
étoient battus. Je m'en allai au Luxembourg dès que
j'eus dîné 5 je trouvai Monsieur fort en colère contre
DE BftADEMOISRLLE DE MONTPENSIER. [l65a] 1^77
M. le prince , qui le pressoit d'aller à l'hôtel-de-ville :
il ne le vouloit point. Je ne savois ce que c'étoit que
tout ce mystère : cela m'effraya fort ^ j'envoyai promp^
tement chercher M. le prince qui étoit dans la cham«
bre de Monsieur , et lui demandai ce que c'ëtoit que
la colère où ëtoit Monsieur; qu'il paroisspit que c'étoit
contre lui. 11 me dit : « Ce n'est rien , Monsieur craint
(( une sëditian à cause de la paille, d Je lui dis que je ne
comprenois pas ce que c'étoit ^ et qu'il me l'expliquât ;
ce qu'il fit en la manière dont j'ai parlé. Il me fit con^
noître que rien n'étoit si nécessaire^ en l'état où étoient
nos affaires , que l'assemblée que l'on tenoit en l'hôr
tel-de-ville -, que si Monsieur n'y alloit point , cela
feroit un très-mauvais effet -, de sorte que quand Mon-
3ieur m'en vint parler, je le pressai fort d'y aller. U
me paroissoit être bien contraire aux sentimens de
M. le prince ; tout d'un coup il s'y résolut , et y alla ,
un peu tarda la vérité. L'assemblée devoit commencer
à deux heures , et Son Altesse Royale n'y alla qu'à
qqatre : ce qui fot cause qu'il s'assembla quantité de
peuple autour de l'hôtel-de-ville , et force canaille.
L'on devoit reconnoître Monsieur en cette assemblée
pour lieutenant général de l'Etat , comme l'on avoit
fait au parlement , avec pouvoir de donner ordre à
tout en vertu de l'autorité du Roi qu'il avoit entre les
mains , tant que Sa Majesté seroit prisonnière eu
celles du cardinal Mazarin , déclaré ennemi de l'Etat,
perturbateur du repos public par arrêts de tous les
parlemens , banni pour jamais du royaume , et ces
arrêts depuis confirmés par plusieurs déclarations du
Roi-, que depuis Ton avoit mis sa tête à prix^ que
toutes ces circonstances le rcndoient indigne d'être
2^8 [l65îï] MÉMOIRES
dépositaire d'une personne aussi sacrée que celle du
Roi ; et que tout cela bien considéré, il n'y avoit que
Monsieur en France en droit de commander au nom
•
du Roi ; et que les peuples qui connoissoient le zèle
de Son Altesse Royale pour l'Etat et pour Sa Majesté,
son amour pour la patrie et pour le bien public ,
étoient persuadés que toutes les affaires prospére-
roient par son ministère. M. le prince , conformément
à la déclaration du parlement, devoit aussi être dé-
claré généralissime des armées du Roi : cet emploi
ne lui convenoit pas mal, et je crois que personne
ne doutoit qu'il ne s'en acquittât bien. Il me semble
que tout cela étoit assez considérable pour obliger
Monsieur à ne pas faire difficulté d'y aller, encore
que lui et M. le prince n'assistassent pas aux délibé-
rations de l'hôtel-de-ville , parce qu'ils n'étoient pas
de leur corps, après avoir déclaré en pleine assem-
blée, comme ils avoient fait en parlement, qu'ils
n'avoient d'intérêt que le service du Roi et le bien
public , qu'ils ne faisoient la guerre qu'à cette fin ,
et pour chasser le cardinal Mazarin hors du royaume,
et que , dès qu'il en seroit dehors , ils mettroient bas
les armes.
Pendant qu'ils étoient à Fhôtel-de-ville , et que je
ne savois que faire, je m'étois allée promener dans
les rues avec un bouquet de paille à mon éventail ,
noué d un ruban bleu qui étoit la couleur du parti.
Tout le peuple crioit fort ce jour-là : J^ive le Boi^ les
princes^ et point de Mazarin ! Je m'en retournai au
Luxembourg , où Monsieur arriva un moment après ,
et entra dans sa chambre pour changer de chemise ,
parce qu'il avoit eu grand chaud à l'hôtel-de-ville.
DE MADEMOISELLE DE MONTPEIfSIER. [l652] a^g
M. le prince demeura 'avec moi dans Tantichambre,
où ëtoient madame la duchesse de Sully , la comtesse
de Fiesque , et madame de Villars. Il s'amusa à lire
des lettres qu'un trompette de M. de Turenne lui
apporta. Je lui demandai ce que c'ëtoit^ il me dit:
« C'est pour des prisonniers : si cela pouvoit vous di-
«vertir, je vous montrerois les lettres.» Dans ce mo-
ment il vint un bourgeois essouffle , et qui ne pouvoit
quasi parler, tant la vitesse dont il ëtoit venu et la
frayeur qu'il avoit l'avoient saisi. 11 nous dit: «Le feu
« est à l'hôtel-de-ville, l'on y tire , l'on s'y tue, et c'est
(( la plus grande pitié du monde. » M. le prince entra
pour le dire à Monsieur , qui fut si surpris de cette nou-
velle , que cela lui fit oublier qu'il n ëtoit pas habillé \
il sortit , et vint tout en chemise devant toutes les da-
mes que j'ai nommëes. 11 dit à M. le prince : « Mon
« cousin, allez àrhôtel-de-villej vous donnerez ordre
« à tout.» llluirëpondit: ((Monsieur,iln'y a pointd'oc-
« casion où je n'aille pour votre service; cependant je
(( ne suis pas homme de sëdition, je ne m'y entends
<( point, et j'y suis fort poltron. Envoyez-y M. de Beau-
ce fort, il est connu et aime parmi le peuple : il y servira
« plus utilement que je ne pourrois faire.» L'on envoya
M. de Beaufort. Monsieur et M. le prince me parurent
fort ëtonuës de cet accident , et souhaitoient fort d'y
remëdier -, ils agissoiènt, et disoient tout ce qui ëtoit
nécessaire pour cela. J'entrai dans le cabinet de Mon-
sieur, et lui proposai et à M. le prince que s'ils vou-
loient j'irois tout pacifier 5 que ce seroit faire un coup
de partie si l'on se servoit de cette rencontre pour
mettre le maréchal de L'Hôpital dehors , et le prévôt
des marchands *, que le peuple en seroit fort content ,
aSo [l65a] MÉMOIRES
et que nous ne pouvions donner une plus grande mar«
que de lautorité que nous avions que de les tirer de
rembarras où ils étoient d'être entre les bras d'un peu-
ple irrité contre eux. Ils dirent que sijepouvois réus-
sir, ce seroit une affaire très-utile et très-avantageuse,
et que je m'y en allasse. M. le prince voulut venir
avec moi , je ne le voulus pas : tout qe qu'il y avoit de
gens de Son Altesse Royale et de M. le prince me sui-
virent *, madame de Sully , qui ëtoit avec moi , et ma-
dame de Yillars-Orondate, et les comtesses de Fies-
que et de Frontenac , avoient assez peur. Nous trou-
vâmes au sortir du Luxembourg un homme mort dans
la rue : cela ne servit pas à les rassurer ^ si nous avions
été jusque dans la Grève, comme c'ëtoit ma pensée,
Ton auroit couru quelques risques , et beaucoup plus
que dans de belles occasions : de sorte que nous nous
mimes à prier Dieu , dans la pensée que nous allions
nous exposer, et chacun songea tout de bon à sa con-
science. Comme je fus au bout de la rue de Gêvres
prête à tourner sur le pont Notre-Dame , nous vîmes
rapporter mort M. Ferrand , conseiller au parlement ,
fort de nos amis^ j'en eus beaucoup de regret. Ceux
qui venoient de là disoient que l'on avoit tiré même
sur le Saint-Sacrement : de sorte que Ton m'empêcha
d'y aller ^ tout ce qu'il y avoit de gens avec moi mi-
rent pied à terre, et entourèrent mon carrosse. J'avois
beau envoyer àThôtel-de-ville, il n en venoit point de
réponse : l'on y tua encore un autre conseiller nom^
mé Miron, fort honnête homme, et fort de nos amis.
Après avoir été long-temps sans savoir même ce qui se
passoit, j'avois résolu d'envoyer un trompette, et de le
faire sonner : il ne s'en trouva point. Je m'en allai à
DE MADEMOISELLE DE MOISTPEIfSIER. [l65!î] 281
ITiôtel de Nemours pour en demander un, où je n'en
trouyaipoint.M. de Nemours se portoit assez bien de sa
blessure : elle avoit été très-légère. Il m'arriva un acci-
dent sur lePetit-Pont qui m'auroitbien effrayée un autre
jour que j'aurois eu moins d'affaires dans la tête: mon
carrosse s'accrocha à la charrette que l'on mène toutes
les nuits pleine de morts del'Hôtel-Dieu ; je ne fis que
changer de portière, de crainte que quelques pieds
ou mains qui sortoient ne me donnassent par le nez. Je
m'en retournai au Luxembourg , où je rendis compte
de mon voyage •, j'eus peu de choses à dire. Monsieur
voulut que j'y retournasse encore : ce que je fis avec
les mêmes personnes dans mon carrosse, hors madame
de Villars qui étoit demeurée à l'hôtel de Nemours,
et la bonne femme comtesse de Fiesque , qui s'en alla
coucher. J'étois moins accompagnée que la première
fois: ceux qui savoient qu'il étoit minuit, et que j'é-
tois au Luxembourg , crurent qu'il n'y avoit plus rien
à faire. Je trouvai toutes les rues pleines de corps de
garde , et point de peuple ; tout le monde étoit retiré :
tous les corps de garde me donnoient une escouade
pour m'escorter . Jetrouvai madame Le Riche, une ven-
deuse de rubans, en chemise ; il avoit fait fort grand
chaud ce jour-là, et la nuit étoit la plus belle qui se
puisse voir ^ elle étoit avec le bedeau de Saint-Jacques
de la Boucherie , qu'elle appeloit son compère Pa-
quier : il étoit en caleçon. Cette mascarade me parut
assez plaisante *, ils se mirent à me faire mille contes
en leurs patois de francs badauds qui me firent rire ,
nonobstant l'embarras où Ton étoit. Comme je fus
dans la place de Grève , où mon carrosse étoit arrêté,
il vint un homme cpii mit la main sur la portière où
282 [l652] MÉMOIRES
j'élois , et demanda : « Le prince est-il là ? » Je lui ré-
pondis : « Non ; y> il s'en alla : il ëtoit sans manteau. Je
vis, à la lueur des flambeaux qui ëtoient devant mon
carrosse , qu'il avoit quelques armes sous son bras ,
que je ne pus pas bien discerner.
Après qu'il s'en fut allë , et que j'y eus fait réflexion,
je jugeai que c'ëtoit un homme qui vouloit tuer M. le
prince. Je fus bien fâchée de n'avoir pas eu cette pen-
sée d'abord , je l'aurois fait arrêter -, je ne sais même
si je le lui ai dit depuis. M. de Beaufort vint au de-
vant de moi, qui fit avancer mon carrosse, et qui me
mena dans l'hôtel-de-ville. Nous passâmes par dessus
des poutres qui étoient encore toutes fumantes du feu
qui y avoit été 5 je ne vis jamais un lieu si solitaire :
nous tournâmes tout autour sans trouver qui que ce
fut. Comme je fus dans la grande salle , je m'amusai à
regarder les échafauds , et la disposition de l'assem-
blée qui y avoit été. Il vint pendant ce temps-là un
nommé Le Fèvre , qui est maître d'hôtel de la ville , et
qui est aussi officier de Son Altesse Royale , qui me
dit que M. le prévôt des marchands étoit dans un ca-
binet, et qu'il seroit bien aise de me voir : je m'y en
allai. Je laissai les dames dans la salle , et je menai avec
moi messieurs les comtes de Fiesque et de Béthune ,
et Préfontaine. Je trouvai M. le prévôt des marchands
avec une perruque qui le déguisoit , avec un visage
aussi serein et aussi tranquille que s'il ne lui fût
rien arrivé. Je lui dis : « Son Altesse Royale m'a en-
ce voyée ici pour vous tirer d'affaire , j'ai accepté cette
« commission avec joie -, j'ai toujours eu de l'estime
« pour vous. Je n'entre point dans les sujets de plainte^
« sans doute vous avez cru bien faire : et si vous avez
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIEK. [1662] 283
(( manque , ce n'a pas été votre intention ; quelquefois
« on a des amis qui embarquent dans des affaires fâr
tt cheuses. » Il me répondit que je lui faisois beaucoup
d'honneur d'avoir cette pensëe de lui ; qu'il étoit très-
humble serviteur de Son Altesse Royale et le mien ,
et qu'il ne manqueroit jamais de reconnoissance des
obligations qu'il nous avoit 5 qu'il agissoit selon qu'il
croyoit devoir faire en honneur et en conscience; qu'il
voyoit bien qu'on le vouloit déposer , qu'il ëtoit tout
prêt à me donner sa démission, et qu'il s'estimeroit
fort heureux, dans un temps comme celui-ci, de n'ê-
tre point en charge. 11 demanda du papier et de l'en-
cre. Je lui dis: «Je rendrai compte à Son Altesse Royale
« de ce que vous me dites; si l'on veut votre démis-
<c sion, on vous l'enverra demander. Pour moi, je ne
tt m'en veux point charger, et je serois très-fâchée d'exi-
« ger rien d'un homme à qui je viens sauver la vie. »
M. de Beaufort lui demanda :« Que voulez-vous deve-
tt nir ? » 11 lui répondit qu'il seroit bien aise de retour-
ner à son logis , et qu'il s'y croiroit en sûreté : de sorte
que, pour plus grande précaution , M. de Beaufort alla
reconnoître une petite porte par où il vouloit passer
avec un de ses gens; puis il le vint quérir. Le bon-
homme me parut assez aise de s'en aller , et me fit
mille complimens de la bonté que j'avois eue pour
lui ; à dire le vrai, je le tirai d'un mauvais pas. Je de-
meurai là jusques à ce que M. de Beaufort fût de re-
tour ; puis je m'en allai dans la grande salle, où j'appris
de madame de Sully qu'il avoit passé entre la comtesse
de Fiesque et elle une balle de mousquet d'un coup
que l'on avoit tiré dans la place , qui leur avoit fait
grande peur. Je m'en allai au bout de la salle pour
^84 [l65a] MÉMOÎRES
entrer dans une chambre où Ton m'avait ditqu étoii
le maréchal de L'Hôpital , pour le sauver de même que
le prévôt des marchands; je le lui a vois mand^ , et il
m'avoit dit que je lui ferois beaucoup d'honneur.. Je
ne sais si ce fut qu'il se méfiât de M. de Beaufort , qu'il
eroyoit avoir causé tout ce désordre pour être gou-
verneur de Paris, ou s'il ne trouva pas que cela fût
de sa dignité de chercher sûreté entre les bras de ses
ennemis. Au lieu de m'attendre , il passa par des fe-
nêtres , et se sauva : de sorte qu'après avoir été long-
temps à la porte sans qu'on me répondit, je m'en-
nuyai. Le jour commençoitàêtre assez grand , le peu*
pie se rassembloit, et il y avoit à craindre que, dans
l'humeur où il étoit , il n'eût de la méfiance du long
séjour que je faisois à l'hôtel-de-ville. Comme j'en
sortis, tout ce qu'il y avoit de gens me disoit : « Dieu
« vous bénisse ! tout ce que vous faites est bien fait. »
Je n'allai point au Luxembourg ; il étoit quatre heures
du matin, je m'en allai coucher, et je dormis le len-
demain tout le jour. Sur le soir, M. le comte de Fies-
que me vint dire qu'il avoit rendu compte à Son Al-
tesse Royale de ce qui s'étoit passé , et qu'elle l'avoit
chargé avec le comte de Béthune d'aller chez M. le
prévôt des marchands pour lui demander la démission
qu'il m'avoit promise devant eux , et que Prcfontaine
qui en avoit été témoin y allât aussi. 11 ne fit nulle
difficulté de la donner, et le jour d'après on fit une
assemblée à l'hôtel-de-ville pour créer M. de Brous-
sel prévôt des marchands, qui vint ensuite au Luxem-
bourg , et prêta le serment entre les mains de Son Al-
tesse Royale comme Ton a accoutumé de faire entre
les mains du Roi; et M. le président de Thou fit 1q
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [lÔSa] 285
secrétaire d'Etat. J'ëtois dans la galerie du Luxem*
bourg lorsque cela se passa, et j'avoue que cela me
parut être une comédie. L'on a parlé diversement de
cette affaire, et l'on s'accordoit toujours à en donner
le blâme à Son Altesse Royale et à M. le prince 5 je
ne leur en ai jamais parlé, et je suis bien aise de l'i-
gnorer, parce que s'ils avoient tort je serois fâchée
de le savoir.
11 se passa quelques jours sans qu'il arrivât rien de
nouveau; cette affaire fut le coup de massue du parti :
elle ôta la confiance aux gens les mieux intentionnés,
intimida les plus hardis, ralentit le zèle de ceux qui
en avoient beaucoup, et fit les plus mauvais effets qui
pussent arriver. L'on parla de tenir un conseil plus
réglé que l'on n'avoit fait encore; il fallut pour cela
voir ceux qui y entreroient : et comme il y avoit
beaucoup de princes , il naquit des disputes qui sont
ordinaires en ce royaume, où rien n'est réglé, et où il
sera difficile, tant qu'il y aura des princes étrangers,
que les préséances le puissent être. Les maisons de
Lorraine et de Savoie ne la cédoient point. Depuis
l'affaire d'Orléans, l'on avoit toujours cru que M. de
Nemours en vouloit à M. de Beaufort: cependant, le
jour du combat du faubourg Saint-Antoine , ils s'é-
toient fait mille amitiés : ce qui donna bien de la joie
à la pauvre madame de Nemours, qui aimoit beau-
coup son mari , quoiqu'il ne l'aimât guère , et qui eut
toujours beaucoup de tendresse pour son frère, qui l'y
obligeoit bien par sa conduite et par une tendresse
réciproque. Il s'étout donc quelque dispute pour le
rang entre eux. M. de Beaufort prit l'affaire avec au-
tant de douceur que M. de Nemours la prit avec ai-
^86 [l652] MÉMOIRES
greur; cela donna beaucoup dmquiëtude à madame de
Nemours. Monsieur son marine sortoit point encore ,
à cause de la blessure qu'il avoit reçue à la porte Saint-
Antoine ; lorsqu'il sortit , son inquiétude redoubla , et
ce jour-là même Son Altesse Royale et M. le prince
lui demandèrent sa parole pour vingt-quatre heures
qu'il ne diroit rien à M. de Beaufort. J'étois à mon
logis toute seule : il n'y avoit avec moi que deux con-
seillers au parlement, Le Coudray et Bermont , et un
capitaine du régiment de cavalerie de mon frère , qui
avoit des béquilles^ il avoit été blessé à la dernière
occasion. Il vint un homme qui demanda à parler à
une de mes femmes ^ il lui dit : « Je vous prie de dire
« à Mademoiselle que M. de Beaufort aquereUe, et
a qu'il se promène dans le jardin des Tuileries. » Je
priai ces deux messieurs d'y aller : il ne se trouva au
logis pas un de mes gentilshommes , ni pages ni valets
de pied , et qui que ce soit , qu'un valet de chambre
que j'envoyai chez Bautru , où Son Altesse Royale
alloit souvent jouer, pour l'en avertir. Cette solitude
dans ma maison étoit assez extraordinaire -, il y avoit
à cette heure-là tous les jours cent officiers qui me
venoient faire leur cour. Mon valet de chambre me
rapporta qu'il n'avoit point trouvé Son Altesse Royale,
et qu'il avoit trouvé le comte de Bury qui lui avoit
dit : « Assurez Mademoiselle que je ne quitterai point
« M. de Beaufort. » Il vint un de ses pages à mon
logis: je l'envoyai quérir pour lui demander où étoit
son maître ; il me dit qu'il lui avoit commandé de le
venir attendre chez moi. Ces messieurs les conseillers
que j'avois envoyés aux Tuileries le cherchèrent, et
me vinrent rapporter qu'ils ne l'avoient point trouvé
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65a] 287
en querelle j qu'il y avoit quatre ou cinq gentils-
hommes avec lui : ce qui faisoit juger qu'il n'avoit
point de querelle. Madame de Chavigny entra lorsque
nous étions en cette inquiétude , qui me dit que ce
n'étoit point sans raison , parce que madame de Ne-
mours venoit d'écrire un billet à M. de Chavigny pour
l'avertir de prendre garde à son mari et à son frère.
Son Altesse Royale arriva là-dessus, à qui je dis tout
ce que j'avois appris *, il se moqua de mes avis , et me
dit : <c Vous croyez toujours que les gens ont que-
ci relie; et par la crainte que vous en avez , vous se-
<( riez toute propre à faire aviser les gens d'en avoir. »
Il s'en alla aux Tuileries chez Renard , qui étoit la
promenade ordinaire depuis que l'on n'alloit point au
Cours. J'y allai aussi ; et comme j'allois plus douce-
ment , je demeurai derrière à parler à Jarzé. Comme
je montois un degré qui mène à la terrasse du jardin
de Renard , un page de madame de Châtillon me tira
par ma robe , et me dit : a Madame vous mande que
« M. de Nemours est aux Petits-Pères, qui se va battre
« avec M. de Beaufort; elle vous prie d'en avertir
<( Monsieur. » Je pris ma course pour aller jusques au
banc où il étoit assis*, je lui dis : « Avois-je tort tantôt
« de vous avertir ? Madame de Châtillon me le con-
a firme. » 11 fut fort surpris, et commanda au comte de
Fiesque et à Fontrailles , qui se trouvèrent là , de s'y
en aller -, ils y arrivèrent trop tard. Un moment après ,
un laquais de l'hôtel de Vendôme vint dire: a M. de
« Nemours vient de mourir , M. de Beaufort l'a tué. »
Monsieur s'en alla aussitôt au Luxembourg , et M. le
prince chez madame de Nemours, où j'allai aussi; elle
étoit dans son lit sans connoissance, dans une afflic-
îiB8 [l65î2] MÉMOIRES
lion terrible , ses rideaux ouverts , tout le monde au-
tour d'elle. Rien n étoit plus pitoyable, aussi bien que
la manière dont elle apprit ce malheureux accident :
elle étoit dans sa chambre , dont une fenêtre donn€
sur la cour-, elle entendit crier : // est mort! Elle
s'ëvanouit. Parmi toute cette désolation , madame de
Béthune dit je ne sais quoi d'un ton lamentable qui
fit rire madame de Guise , qui étoit la plus sérieuse
femme du monde-, de sorte que M. le prince et moi,
qui la vîmes rire , nous éclatâmes : ce fut le plus grand
scandale du monde. Nous allâmes, madame de Guise,
M. le prince et moi, visiter M. de Reims, frère de
M. de Nemours , où nous eûmes encore assez envie
de rire : il étoit dans son lit tous les rideaux fermés ,
et parloit au travers. Il y eut une grande fatalité à
cette mort 5 Monsieur et M. le prince ne se mirent
point en peine de la prévenir, parce qu'ils avoient la
parole de M. de Nemours pour vingt-quatre heures.
M. de Beaufort fit tout ce qu'il put au monde pour
s'en dispenser, à tel point que M. de Nemours se
pensa fâcher contre lui. Comme M. de Beaufort ne put
plus refuser , il trouva des difiicultés pour l'exécu-
tion, parce qu'il avoit beaucoup de gentilshommes
avec lui dont il ne se pouvoit défaire , et qu'il falloit
remettre la partie à un autre jour. M. de Nemours,
voyant cela, s'en retourna à son logis, où il trouva par
malheur le nombre de gentilshommes dont il avoit af-
faire-, il revint trouver M. de Beaufort, et ils se batti-
rent dans le marché aux chevaux, derrière l'hôtel de
Vendôme. M. de Nemours avoit avec lui Villars, le
chevalier de La Chaise, Campan et Luserche. M. de
Beaufort avoit le comte de Bury, de Ris, Brillet et
UE MADEMOISELLE DE MOMPEN^IEB. [l65aj aSg
Héricourt. Le comte de Bury fat fort blessé ; de Ris et
Héricourt moururent dans les viugt-quatrehetircs; pour
les autres, s'il y en eut de blessés, ce futlëgèrement.
M. de Nemours avoit porté les épées et les pistolets,
et ils avoient «Jlé chargés chez lui. Comme ils forent
en présence, M. de Beauforlhii dit : n Ali ! mon frère,
« quelle honte! oublions le passé, soyons bons amis.»
M. de Nemours lui cria: « Ah! coquin, il faut que tu
« me tues ou que je te tue ! n II tira son pistolet qui
manqua, et vint à M. de Beaiifort l'épéeà la miùu:de
sorte qu'il fut obligé de se défendre; il tira, et le tua
tout roîdedc trois baik-s qui éluîeht dans le pistolet.
11 courut du monde qui étoit dans le jardin de l'hôtel 1
de Vendôme , et entre autres M. l'abbé de Saint-Spire,
qui étoit à M. de Reims; il lui cria : Jésus Maria! U |
dit (pi'il lui serra la main : les médecins et chirurgiens
dirent que c'éloit un mouvement convulsif, et qu'à
moins d'un miracle, il falloit mourir tout à l'inslant.
Il faut espérer que Dieu lui aura donné ce moment ^ ]
de vie pour se reconnoîlre, afin que l'on ne désespé-
rât pas de son salut, et que l'on osSt prier Dieu pour
lui. M. iarchevéque de Paris défendit que l'on fît des
prii'res publiques pour lui en sa paroisse, qui est celle
de Saint- André , où son corps fut jusques fi ce que l'on
le portât à Nemours. Cet archevêque disoit qu'il étoit
défendu dans l'Eglise de Paris de prier pour des per-
sonnes qui meurent de cette manière : cela d'onna
beaucoup de déplaisir à madame de Nemours. Bien
des gens ont voulu blâmer M. de Beaufort, et ont dit
qu'il auroit pu éviter cette fâcheuse rencontre; que
M, de Nemours étoii un homme foible de sa bles-
sure , qui n'avoit ps la force de tirer un coup de pis-
T. 4'- 'Q
^9% [iGSaJ MÉMOIRES
bre ; je m'en allai au devant d'elle , et je lui fis un
compliment sur la perte qu'elle avoit faite d'un bon
ami : ce que j'avois déjà fait par un billet dès le lende-
main. Nous nous allâmes asseoir dans un coin, où elle
fit de grandes lamentations ; comme nous étions sur
le mépris du monde, Son Altesse Royale et M. le
prince entrèrent, et s'approchèrent de nous ^ elle leva
son voile , et se mit à faire une mine douce et riante ;
je crus voir une autre personne sous cette coiffe: elle
étoit poudrée et avoit des pendans d'oreilles ; rien n'é-
toit plus ajusté. Dès que M. le prince alloit d'un autre
côté, elle rabaissoit sa coiffe , et faisoit mille soupirs.
Cette farce dura une heure, et réjouit bien les spec-
tateurs.
Le lendemain de la mort de M. de Nemours, il
arriva une affaire entre M. le prince et M. le comte
de Ricux, fds de M. le duc d'Elbœuf, qui surprit
assez. Ce fut pour quelque dispute de rang: je pense
que c'étoit avec* M. le prince de Tarente, fils aîné de
M. le duc de La Trémouille ; il a épousé une fille de
M. le landgrave de Hesse , et ce mariage a fait qu'il a
été long^temps en Allemagne , où il a été traité comme
les autres princes -, il n'a pas cru diminuer lorsqu'il
est venu en son pays, où la maison de La Trémouille
a toujours tenu les premiers rangs entre les plus con-
sidérables du royaume : ces messieurs-là souffrent
assez malaisément les princes étrangers, et surtout la
quantité de cadets de la branche d'Elbœuf. Le mérite
qu'avoient autrefois en France les Lorrains , du temps
du Balafre et de tous ces illustres messieurs de Guise ,
n'a j>as continué dans tout ce qui est resté du même
nom , les personnes se trouvant moins considérables :
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSîî] agi
de Savoie, où il eût été aussitôt las d'être qu'en celle
de France.
Si Dieu lui eût fait la grâce de lui donner le temps
de se confesser , ses amis ne l'eussent pas regretté ,
puisqu'il s'ennuyoit du monde , et que le monde se
seroit bientôt ennuyé de lui : aussi d'abord qu'il passa
en Flandre il fut aimé des troupes , qu'il aima au der-
nier point-, et lorsqu'il mourut, tous les officiers
étoient enragés contre lui. Au combat de Saint-An-
toine il en avoit fait des railleries, et avoit dit : « Rien
« n'égale mes troupes pour bien fuir , et il n'y eut
« jamais de si bons ofliciers pour une prompte re-
<( traite. » Cela les avoit mis au désespoir. Ce n'est
pas la faute des officiers quand les troupes fuient.
Au retour donc de ce combat de Saint-Antoine , nos
troupes allèrent camper dans les faubourgs de Saint-
Victor et de Saint-Marcel , où elles restèrent dix ou
douze jours , et après retournèrent à Saint-Cloud.
M. le prince témoigna beaucoup de regret de la
mort de M. de Nemours-, l'on voyoit assez, au travers
de son affliction , qu'il se trouvoit débarrassé d'un
homme dont il commençoit à être las. Il y en avoit
qui disoient qu'il étoit bien aise d'être défait d'un ri-
val : c'est de quoi il ne se soucioit guère. M. de Ne-
mours ne payoit que d'agrémens, et M. le prince
donnoit des terres. La première fois que madame de
Châtillon sortit après la mort de M. de Nemours, elle
alla aux filles de Sainte-Marie , rue Saint-Antoine , où
madame de Nemours s'étoit retirée , et où j'e l'avois
été voir-, et ensuite elle vint aux Tuileries. Elle avoit
un habit tout uni et une grande coiffe comme un
voile , qui lacachoit toute. Elle entra dans ma cham-
'9-
^9% [lG5aJ MLMOIRES
bre 'j je m en allai au devant d elle , et je lui fis un
compliment sur la perte qu'elle avoit faite d'un bon
ami : ce que j'avois déjà fait par un billet dès le lende-
main. Nous nous allâmes asseoir dans un coin , où elle
fit de grandes lamentations^ comme nous dtions sur
le mépris du monde, Son Altesse Royale et M. le
prince entrèrent, et s'approchèrent de nous-, elle leva
son voile , et se mit à faire une mine douce et riante ;
je crus voir une autre personne sous cette coiffe: elle
étoit poudrée et avoit des pendans d'oreilles; rien n'é-
toit plus ajusté. Dès que M. le prince alloit d'un autre
côté , elle rabaissoit sa coiife , et faisoit mille soupirs.
Cette farce dura une heure, et réjouit bien les spec-
tateurs.
Le lendemain de la mort de M. de Memours, il
arriva une affaire entre M. le prince et M. le comte
de Rieux, fds de M. le duc d'Elbœuf, qui surprit
assez. Ce fut pour quelque dispute de rang; je pense
que c'étoit avec M. le prince^ de Tarente, fils aîné de
M. le duc de La Trémouille-, il a épousé une fille de
M. le landgrave de Hesse, et ce mariage a fait qu'il a
été longtemps en Allemagne , où il a été traité comme
les autres princes ; il n'a pas cru diminuer lorsqu'il
est venu en son pays, où la maison de La Trémouille
a toujours tenu les premiers rangs entre les plus con-
sidérables du royaume : ces messieurs-là souOrent
assez malaisément les princes étrangers, et surtout la
quantité de cadets de la branche d'Elbœuf. Le mérite
quavoient autrefois en France les Lorrains, du temps
du Balafre et de tous ces illustres messieurs de Guise,
n'a pas conlinné dans tout ce cpii est resté du même
nom , les personn^'s se trouvant moins considérables :
DE MIDEMOISELLS DE MONTPENSIER. [lÔSa] 'JIÇ;^
cela leur a fait disputer plus aisément leurs préro-
gatives.
M. le prince prit Je parti du prince de Tarente,
qui lui est très-proche, contre le comte de Rieux , et
il s'échauffa un jour dans la dispute ; il crut que M. le
comte de Rieux Tavoit poussé : ce qui l'obligea à lui
donner un souftlet; le comte de Rieux lui donna en-
suite un coup. M. le prince, qui n avoit point d'épée,
sauta à celle du baron de Migcnne, qui se trouva là;
M. de Rohan qui y étoit se mit entre deux , et fit
sortir le comte de Rieux, que Son Altesse Royale en-
voya à la Bastille pour avoir osé manquer de respect.
Plusieurs ont dit que M. le prince avoit frappé le pre-
mier; s'il l'a fait, il prit quelques gestes du comte de
Rieux pour une insulte. Quoiqu'il soit bien emporté ,
il ne l'est pas à tel point qu'il eût pu faire une action
de cette nature. Je le vis Taprès-dînée , et il me dit:
« Vous voyez un homme qui a été battu pour la pre-
« mière fois. » Le comte de Rieux demeura à la Bas-
tille jusques à la venue de M. de Lorraine, qui le fit
sortir , et blâma fort ce qu'il avoit fait.
Nous fîmes un acte sans exemple pour M. de Ro-
han. Il avoit eu, comme j'ai dit, lorsqu'il se maria, le
brevet et les lettres de duc pour faire revivre le du-
ché de Rohan en sa personne -, il étoit question de la
vérification au parlement : il crut que le temps lui
étoit favorable pour cela, il ménagea les amis qu'il
avoit dans le parlement , fit sa brigue ; et quand il crut
l'affaire en état, il supplia Son Altesse Royale et M. le
prince d'y vouloir aller. Je pense qu'il avoit assez de
méfiance de beaucoup de gens, même de notre parti ;
de sorte que Son Altesse Royale et M. le prince ne
^94 [l65a] MÉMOIRES
m'envoyèrent solliciter pour lui que la veille qu'ils
voulurent aller au parlement. Il me fit la même prière ;
j'écrivis à tout ce que je connoissois de conseillers de
mes amis, et j'allai au Palais dans la lanterne voir
comment cela se passeroit : madame de Rohan , ma-
dame la comtesse de Fiesque et mademoiselle Chabot
y vinrent avec moi. J'entrai par le greffe, où je parlai
à beaucoup de conseillers, à qui je tâchai de prouver
par de vives raisons qu'ils me pouvoient promettre,
avant que d'entrer, d'être de l'avis qu^e je désirois,
puisque c'ëtoit une affaire de faveur , et où il n'alloit
point de leur conscience. Ils m'alléguoient toutes les
déclarations de 1648 : je leur rapportois des cas où
elles avoient été enfreintes ] ils me répliquoient que
ce nétoit point par eux. Comme neuf heures sonnè-
rent, j'eus peur que l'on ne se levât à la grand'-
chambre -, je mandai à M. le premier président que
Son Altesse Royale alloit venir, qu'il prioit la com-
pagnie de l'attendre. A l'instant j'envoyai dans les
chambres des çnquêtes pour leur dire d'y venir pren-
dre leurs places : ce qu'ils firent. Comme Son Altesse
Royale fut venue, l'on délibéra, et la proposition ne
passa que de deux voix , qui fut de deux conseillers
de mes amis qui le firent à ma prière ^ de sorte qu'il
prêta son serment en la forme accoutumée, et prit la
place de duc. Ce fut une grande marque du crédit
que nous avions dans la compagnie ; l'affaire fut fort
débattue , et l'on demeura long-temps aux opinions.
Cela étoit assez plaisant : les serviteurs particuliers de
Son Altesse Royale , les amis de M. le prince et les
miens , quand ils avoient opiné en faveur de M. de
Rohan, nous regardoient, et leur mine £aisoit assez
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [lÔSs] ^gS
connoitre à toute la compagnie vers qui ils dres-
soient leurs intentions.
L'on avoit proposé de faire de nouvelles troupes :
comme il y avoit quantité de princes et de grands
seigneurs dans notre parti qui vouloient avoir des
rëgimens d'infanterie, de cavalerie, et des compagnies
d'ordonnance , cela faisoit que , de peur de mécon-
tenter les uns et les autres, rien ne s'avancoit. M. le
prince dit que, pour lever cette difficulté, il falloit
que Son Altesse Royale et lui et M. le prince deConti
les missent tous sous des noms de leurs terres ou de
leurs gouvernemens. Il lui prit encore fantaisie de
dire : « 11 faut que l'on en fasse sous celui de Made-
c( moiselle -, elle a tant fait d'actions extraordinaires
« dans cette guerre , qu'il faut que nous en fassions
« une qui la soit tout-à-fait pour elle. » Le soir à son
logis , comme il étoit avec de ses amis particuliers et
domestiques, il se mit à parler de cette proposition :
c( Songeons à qui Mademoiselle donnera son régi-
« ment de cavalerie. » M. le prince , après avoir un
peu pensé , dit : « Ce sera au comte de Brancas : c'est
« un homme de qualité qui a l'honneur d'être son pa-
« rent-, il doit servir de lieutenant général , et il n'y
« a que sa brouillerie avec M. de Beaufort qui l'en
(( empêche. Ce sera son fait; et si l'on voit que Ma-
« demoiselle travaille à les raccommoder, cela sera
<i sûrement. » Le même jour que M. le prince en
parla, Brancas m'étoit venu voir pour me prier de
faire cette proposition à Son Altesse Royale, et d(î la
communiquer devant à M. le prince. Il me dit : « Ils
M seront trop heureux , dans l'embarras où ils sont de
« faire des troupes, d'en mettre sous votre nom -, vous
%Cfl5 [1652] MEMOIflES
« aurez un beau régiment qui les servira bien.» Comme
j'ouvrois la bouche pour en parler à M. le prince,
il devina ce que je lui voulois dire , et me dit tout ce
qu'il en avoit dit le soir. Nous parlâmes à Son Altesse
Royale; il en parla le premier, afin de l'y disposer, et
lui faire connoître comment cela seroit à propos. Je lui
en parlai ensuite : il le trouva très-bon, etM. deBrancas
l'en remercia. L'on fut huit jours à ne parler que de
mon régiment: il n'y avoit personne qui ne voulût y
avoir des compagnies, et il n'y en avoit que douze;
je ne pouvois en refuser : de sorte que Brancas et moi
comptions depuis le matin jusques au soir pour trou-
ver moyen de ne fâcher personne. Son Altesse Royale
me demanda une compagnie pour un capitaine de son
uniment d'infanterie nommé d'Alais -, M. le prince
m'en demanda une pour Du Bourg , qui avoit été en-
seigne colonel de Conti. J'en donnai aux chevaliers de
Béthune et de Sourdis ; les autres , je ne m'en souviens
pas. Comme cela fut résolu , le comte de Holac me
demanda une compagnie de gendarmes; je la lui ac-
cordai , et je le chargeai de proposer au comte d'Es-
cars celle de chevau-légers : ce qu'il fit , et il me l'a-
mena le lendemain pour m'en remercier. Comme il
fut question d'en parler à Son Altesse Royale , il se
f&cha, et dit que tous les officiers le quittoient pour
se donner à moi. On lui représenta que Holac ne quit-
teroit point son régiment, et que ce seroit un nouvel
attachement qu'il prendroit à son service; que pour
le comte d'Escars , qui servoit de maréchal de camp ,
il ne servoit plus dans son régiment, et qu'il lui avoit
promis de faire un autre régiment sous son nom pour
le lui donner , et qu'il aimeroit autant avoir ma comi-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iCStïj !^7
pagnie. A la fin il y consentit, et je donnai la sous-
lieutenance de mes gendarmes au comte de Lussan
de Languedoc, qui étoit capitaine de cayalerie dans
le régiment de Son Altesse Royale, qui se fâcha en-
core. Je donnai Tenseigne au marquis de La Noue, et
le guidon au frère de M. le marquis d'Humières, qui
étoit un petit garçon de quinze ans , et qui étoit en-
core îiFacadémie. Toutes ces dispositions faites , elles
demeurèrent sans être exécutées.
M. de Valois mon frère mourut : ce qui fut une
grande affliction pour Son Altesse Royale. Jamais je
ne fus plus surprise -, je me promenois chez Renard,
l'on vint me dire : « Monsieur votre frère est fort ma-
4i lade. » Je m'en allai au Luxembourg ^ Madame me
dit qu'il s'éloit trouvé un peu mal , et que ce n étoit
rien, qu'il dormoit. Lelendemainje vinsde fort bonne
heure, et j'allai droit dans $a chambre ^ on le tenoit
sur les bras : il n avoit que deux ans. Les médecins me
dirent qu'il étoit mieux , et qu'il en échapperoit : son
mal étoit un dévoiement qu'il avoit depuis six se-
ipaiucs. Je rencontrai le soir M. le prince à la prome-
nade : je lui dis que mon frère se mouroit^ cette nou-
velle le surprit fort. J'y envoyai le soir, on me manda
qu'il étoit mieux : le matin à mon réveil on me dit sa
mort. Je m'en allai en diligence au Luxembourg, où
je trouvai Monsieur fort pénétré de douleur , et Ma-
dame qui mangeoit un potage , qui me dit : k Je suis
« obligée de me conserver, je suis grosse, m Je m'en
allai dans la chambre de l'enfant, qui étoit dans son
berceau, beau comme un ange^ des prêtres prioient
Dieu autour de lui , ou pour mieux dire le louoient
de la grâce qu'il lui avoit faite. Cela m'attendrit fu-
298 [l65'2] MÉMOIRES
rieiisemcnt -, je pleurai jusques aux sanglots, et Ton
fut obligé de m'en ôter. L'on a grand tort de pleurer
les enfans qui meurent à cet âge, et c'est bien une
marque du peu de connoissance que nous avons du
vrai bien et de notre foiblesse naturelle : l'on s'en de-
vroit réjouir. Pour le monde , cet enfant ne donnoit
nulle espérance : à deux ans il ne parloit ni ne mar-
choit, et n'avoit point la connoissance que les autres
ont à cet âge ; il auroit eu une difformité extraordi-
naire s'il eût vécu , une jambe toute cambrée sans
être- boiteux : et les médecins disoient que cela venoit
de ce que Madame s'étoit tenue toute d'un côté pen-
dant sa grossesse. Je reçus beaucoup de complimens
sur cette mort : Ton en prit le plus grand deuil qu'il
fut possible. M. 1<? prince avoit un manteau qui traî-
noit à terre : s'il ne iht affligé dans son ame , il le con-
trefaisoit bien ^ il parut l'être en cette rencontre , et en
usa tout-à-fait obligeamment pour Monsieur. L'on mit
son corps en dépôt au Calvaire. Monsieur en donna
part à la cour^ et au lieu d'en recevoir des lettres de
complimens , celle qu'il en eut fut un refus de l'en-
terrer à Saint-Denis : on lui marquoit aussi que cette
mort étoit une visible punition de Dieu de l'injuste
guerre qu'il faisoit ; et quantité de pareils discours.
L'on attribua cette lettre à M. Servien, on disoit
qu'elle étoit de son style , et cela fut assez mal reçu :
les reproches ne peuvent être à propos dans le temps
d'une affliction , ni en nul autre. Ce qui fait que je ne
les blâme pas tout-h-fait, quoique cela soit assez blâ-
mable, c'est que je suis assez sujette à en faire ^ et
c'est un de mes défauts.
Comme j'aime fort à me promener, j'étois au dés-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l652] 299
espoir que ma promenade se bornât à aller tous les
jours chez Renard , et de n'oser aller plus loin. J'aime
fort à aller à cheval : je demandai permission à Son
Altesse Royale d'aller au bois de Boulogne , et que
j'enverrois chercher de l'escorte -, il me le permit. J'y
envoyai un page au galopa et, à dire le vrai, je le
suivois de près, et je «e jugeai pas qu'il y eût beau-
coup de péril : de sorte que je me promenai long-temps
dans le bois avant qu'elle fût venue , et elle ne me
servit que pour le retour , qu'elle m'accompagna jus-
ques au Cours : ce qui réjouit tous ceux qui se prome-
noient chez Renard ^ il y avoit beaucoup de trompettes
qui faisoient un beau concert. J'y allai encore une
autre fois ; et comme mon page n'y trouva point d'of-
ficiers généraux français , parce qu'ils étoicnt tous al-
lés à Ruel , il alla au quartier des étrangers , qui furent
bien aises de me rendre ce service. J'avoue que quand
je songeois que pour m'aller promener au bois de
Boulogne il me falloit une escorte des troupes du roi
d'Espagne, et qu'en tout ce qui étoit avec moi il n'y
avoit pas un Français que mes gens , j'étois étonnée ,
et je ne pus m'empêcher de faire paroître mon éton-
nement à l'officier appelé Barlot, qui parloit français.
11 me dit sur cela un bon mot : Qu'il ne falloit pas
s'étonner de voir des Espagnols dans le parc de
Madrid.
J'eus un petit démêlé avec M. le prince pour le
comte de Holac , sur ce que Tavannes avoit fait mettre
un officier de son régiment en arrêt; et comme Holac
le sut , il le trouva mauvais , et dit que les Allemands
ont toujours eu le privilège d'être les maîtres de leurs
gens. Le tort qu'eut Holac fut de ne s'en pas aller
3oO [1652] MÉMOIRES
plaindre à M. le prince , et qu'il envoya appeler Ta-
vannes par Lussan à l'hôtel de Condë. Lussan , qui
croyoit que Ton n'en sauroit rien , vint chez moi , où
Monsieur le trouva. Il le gronda fort , l'envoya à la
Bastille , et dit qu'il en feroit autant de Holac , que
j'envoyai avertir de ne se pas montrer , ni même d'être
à son logis , mais de venir dans la chambre de Prë-
fontaine : ce qu'il fit.
Je trouvai chez Renard M. le prince , qui me fit de
grandes plaintes de Holac avec beaucoup de colère et
d'emportement , disant qu'il le feroit mettre à la Bas-
tille. Je lui maintins qu'il n'en feroit rien, et qu'il
a voit trop de considération pour moi -, je voulus tour-
ner l'afiaire en raillerie. Comme je vis qu'il étoit tou-
jours en colère, je m'y mis aussi, et je lui reprochai
un peu les obligations quil m'avoit; que Holac n'a-
voit point manqué, que c'étoit un homme que je pro-
tégeois, un étranger que j'avois engagé au service de
Monsieur , et que tous les mauvais traitemens qu'on
lui feroit je m'en tiendrois offensée 5 que j'avois assez
bien servi le parti pour y être d'une manière à y pro-
téger qui il me plairoit. Nous nous séparâmes dans
ime grande aigreur. Je ne fus pas à mon logis , que
M. le prince courut après moi pour me dire : a 11 faut
tt accommoder Holac etTavannes-, envoyez-les quérir
c( tous deux, et puis quand cela sera fait, vous m'en-
« verrez Holac à qui je vous promets que je ferai bon
« accueil , comme si de rien n étoit. » Je me récriai :
* Vous êtes bien radouci -, quelle fantaisie vous a-t-il
c( pris ? Vous avez tort présentement , et tantôt vous
(1 disiez merveilles. » 11 se mita rire, et me dit : a Si
K l'on manque un moment à ce que l'on vous doit ,
DE MADEMOISELLE DE MOKTPENSIER. [l652] 3oi
«( croyez que vous êtes toujours la maîtresse, et que
« l'on en est bien fâché. » Après j'envoyai quérir
Holac, qui étoit enragé, et qui attribuoit cela à un
'mépris que Ton avoit pour lui -, et les Allemands sont
fort glorieux : de sorte que j'avois quasi autant de
peine avec lui qu'avec M. le prince -, pourtant il étoit
fort soumis à toutes mes volontés. Tavannes ne put
venir, à ce que me manda M. le prince , parce qu'il
étoit tout seul officier général au quartier : de sorte
que je fis l'accommodement le lendemain, et j'envoyai
ensuite Holac voir M. le prince, qui le reçut fort bien ;
et l'on fit sortir Lussan de la Bastille. Je fus fort fâchée
de cette rencontre : Tavannes est mon parent et de
mes amis , et j'étois obligée d'être contre lui. Cette
affaire fit as'sez de bruit, et l'on connut que je portois
avec quelque hauteur les intérêts des gens qui étoient
en ma protection. Ils furent encore quelque temps
sans se parler ; et même Holac , qui étoit maréchal de
camp , quand il étoit de jour et que Tavannes étoit
au quartier , envoyoit prendre Tordre par un autre.
Cette froideur pouvoit préjudicier au service, et ne
me sembla pas être bienséante entre deux personnes
que j'avois raccommodées; je les raccommodai une
seconde fois , et depuis ils furent bons amis comme
devant.
L'on jugea à propos de faire revenir l'armée de
Saint-Cloud près de Paris -, on la mit à la Salpêtrière ,
derrière le faubourg de Saint-Victor. Comme ils avoient
logé dans ce faubourg et dans celui de Saint-Marcel,
sans savoir s'il falloit aller aux mêmes logemens , il y
eut quantité de cavaliers allemands qui y allèrent : cela
Ûcha le bourgeois , l'on en battit quelques uns ; de
302 [iGSaJ MÉMOIRES
sorte que cela fit rumeur, et l'on en vint avertir Mon-
sieur, qui se promenoit chez Renard. M. le prince y alla
aussitôt, et trouva la rumeur apaisée. Holacqui étoità
Paris, et qui s'en alloit au quartier , trouva tout en dés-
ordre à la porte Saint-Marcel et battit des cavaliers , et
dit aux bourgeois : « Voulez-vous que je les tue? Or-
« donnez, l'on en fera telle justice qu'il vous plaira. »
De sorte qu'ils furent contens. Comme il s'en alloit ,
il trouva un bataillon du régiment de Languedoc qui
marchoit vers la ville ^ il le renvoya. Jugez quel mal-
heur c'eût été s'ils n'eussent trouvé personne! Tout
cela arriva parce que Vallon , qui étoit de jour lieu-
tenant général , et qui devoit marcher avec l'armée,
étoit demeuré derrière et venoit en carrosse : s'il eût
été au logement, cela ne fût point arrivé ] de sorte que
M. le prince le gronda fort , et lui commanda expres-
sément de s'en aller coucher au quartier , et qu'il iroit
le lendemain au matin. Le lendemain Vallon vint à
l'hôtel de Condé; M. le prince lui demanda : « Venez-
<( vous de l'armée ? » Il lui dit que non, et qu'il s'y
en alloit. M. le prince lui dit : <( Allez-y donc promp-
<( tement, je vous en prie-, je m'y en vais. » M. le
prince monta à cheval et s'y en alla. Comme il arriva , il
croyoit trouver les troupes en bataille , comme il avoit
commandé à M. de Vallon de les y faire mettre; il n'y
étoit point. Il commanda qu'on prîtles armes; et comme
Vallon fut venu , il lui dit qu'il falloit que tous lés corps
donnassent un soldat pour être passé par les armes ,
à cause de ce qui étoit arrivé, et que dorénavant tous
les commandans répondroient de leurs corps. M. le
prince avoit avec lui des échevins qu'il avoit envoyés
quérir, afin qu'ils vissent la justice qu'il en feroit faire.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65'2] 3o3
Valloa lui répondit qu'il ordonnât ce qu'il voudroit ,
et qu'il n iroit point chercher les gens pour les faire
pendre: qu'il n'étoit point bourreau. M. le prince se
fâcha tout de bon , et voulut le tuer : heureusement
pour tous deux, M. de Beaufort se mit devant Vallon,
et l'emmena. M. le prince n'en parla pointa Son Al-
tesse Royale , ni Son Altesse Royale à M. le prince.
Cette affaire pensa causer un grand ddsordre -, Vallon
alla dire aux officiers que M. le prince les vouloit
faire pendre. Après que M. le prince eut fait faire
justice , et qu'il fut parti , tout ce qu'il y avoit d'offi-
ciers d'infanterie s'en allèrent faire leur cour à M. de
Vallon, et tout le régiment de Languedoc et celui de
Valois jetèrent les armes, et s'en allèrent. Si les en-
nemis fussent venus attaquer l'armée en ce moment ,
ils eussent trouvé peu de gens pour les recevoir,
parce qu'U ne demeura que les régimens de M. le
prince pour l'infanterie : celle des étrangers éloit alors
fort déchue. J'allai au Luxembourg l'après-dînée-, je
parlai de ce qui s'étoit passé à M. le prince : il m'a-
voua que M. de Beaufort lui avoit fait un fort grand
plaisir de se mettre devant Vallon, parce que, avant
qu'il eût tiré son épée , sa colère étoit passée , et qu il
eût été fort fâché de tuer Vallon. Nous raisonnâmes
sur la faute qu'il avoit faite , et nous admirâmes la
bonté de Son Altesse Royale de n'en dire mot. M. le
prince disoit : « Si c'étoit à un autre que cela fût ar-
« rivé, je ferois tout mon possible pour que l'on re-
« médiat aux inconvéniens qui en pourroient ajriver;
« et parce que c'est à moi, je laisserai tout en dés-
ce ordre , puisque Son Altesse Royale le trouve bon
tt ainsi. Il me semble que les officiers doivent quelque
3o4 [l65!t] MÉMOIRES
K respect à leur général , et que c'est l'intérêt de Soii
w Altesse Royale que Tordre soit maintenu, et qu'il
« va en cela de son service : peut-être que je ne suis
« pas d'assez bonne maisoa pour que l'on m'obéisse ,
(( ou que Son Altesse Royale doute de ma capacité ,
« et trouve que Vallon en a davantage. » Vallon fort
sottement s'en alla chez lui , et tous les officiers de
Languedoc qu'il commandoit le suivirent , après avoir
jeté leurs armes : beaucoup de l'Altesse et de Valois
en firent de même. M. le prince n'en disoit rien à
Monsieur : c'étoit un désordre épouvantable. J'en-
voyai quérir les principaux officiers de FAltesse , je les
priai pour Tamour de moi de retourner au quartier ,
et d'aller le lendemain chez M. le prince; ils éloient
outrés : il falloit avoir autant d'autorité que j'en avois
sur eux, et eux autant de respect pour moi, pour les
y faire retourner 5 ils y furent, et firent le lendemain
leur cour à M. le prince qui les traita fort bien, à la
réserve de ceux de Languedoc , qui n'y allèrent point.
On laissa passer le premier feu à Vallon ; puis M. le
prince me dit : « Le service souffre de la mésintellî-
c( gence de Vallon et de moi; si Monsieur avoit fait
« ce qui est dû à la place que je tiens de général d'ar-
« mée , quand je ne seroispas ce que je suis , tous les
« officiers de Languedoc seroient châtiés, et Vallon à
« la Bastille. Ce n'est pas son humeur, on ne le chan-
« géra pas ; pour ne nuire à rien , il faut passer sur
« bien des circonstances. » Il me dit : « Je vous prie
u d'eavoyer chercher Vallon, et de nous raccommo-
« der; )) ce que je fis. 11 me vint trouver; je lui dis
ce qu'il falloit: il me répondit : « Vous m'êtes sus-
ce pecte ; entre vous autres princes , vous vous main-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l652] 3o5
<i tenez les uns les autres. » Quand je vis que je ne
gagnerois rien à lui parler avec toute la douceur et
Thonnéteté imaginables , je changeai de ton, et lui
parlai aux termes que je le devois ; je le menaçai de
le faire mettre à la Bastille ^ que Monsieur le devoit ,
que je lui ferois bien faire, qu'il m'en croîroit^ que je
Tavois assez bien servi pour l'obliger à m'accorder ce
que je lui demandois en une occasion si pressante que
celle de la perte de son armée -, que je ne leur avois
pas sauvé la vie pour se révolter ; que si le régiment
de Languedoc ne reprenoit les armes le lendemain,
et que les officiers n'allassent pas au camp, sa tête
'm'en répondroit ; qu'après l'avoir considéré il y avoit
long-temps, j 'avois pitié de l'état où je le voyois; qu'il
songeât à ne pas abuser de la bonté de Monsieur et de
la mienne. 11 s'en alla là-dessus. Le lendemain il vint
me demander pardon , et lîie dire qu'il feroit tout ce
que je voudrois. M. le prince vint à mon logis -, je les
raccommodai : je dis raccommodai, parce que M. le
prince l'embrassa , et le traita comme s'il eut été son
égaL Monsieur ne m'en parla point , ni à M. le prince^
Cette occasion, aussi bien que plusieurs autres, feront
connoitre qu'ils n'étoient pas malheureux de m'avoir,
puisque je leur redressois bien des affaires.
Je ne puis m'empêcher de dire que le soir et le
lendemain de l'affaire de la porte Saint-Antoîne, j'en-
voyai chez tous les blessés savoir de leurs nouvelles
de la part de Monsieur et de M. le prince , et faire
des complimens aux parens : ils ne s'en seroient ja-
mais avisés , et ces sortes de soins gagnent les cœurs ,
conservent l'affection qu'on a pour les grands, et leur
fait des amis et des serviteurs. Le même jour on eut
T. 4 1 . '^o
3o6 [1652] MÉMOIRES
nouvelle de Bordeaux que madame la princesse se
mouroit : elle avoit ]a fièvre continue . et étoit grosse
de huit mois. Monsieur lui en demanda des nouvelles 5
il lui dit qu'elle étoit dans un état que la première
qu'il en recevroit seroit celle de sa mort. M. de Cha-
vigny causoit avec madame de Frontenac, laquelle
commençoit à revenir au monde : son mari se portoit
mieux. Nous étions tous sur la terrasse de la porte du
Luxembourg^ je m'en allai à eux, et leur demandai
ce qu'ils drsoient. M. de Chavigny me dit : <( Nouspar-
tt Ions de la pauvre madame la princesse , et nous re-
« marions M. le prince. » Je rougis, et m'en allai. Ma-
dame de Frontenac me dit ensuite que M. de Chavi-
gny lui contoit que M. le prince en étoit déjà consolé,
dans l'espérance de m'épouser -, qu'ils en avoient parlé
ensemble tout le matin , et qu'ils avoient résolu de
faire le duc d'Enghien cardinal. Après cela , je me
fus promener chez Renard : M. le prince y étoit; nous
fîmes deux tours d'allées sans nous dire un seul mot;
je CTUS qu'il étoit persuadé que tout le monde le re-
gardoit, et j'avois la même pensée que lui. Pour moi,
j'avois dans l'esprit tout ce que madame de Frontenac
m'avoit dit -, ainsi nous étions tous deux fort embar-
rassés. Un jour ou deux après , comme je me prome-
nois chez Je même Renard , où j'attendois Son Altesse
Royale , je vis entrer son écuyer, qui me dit : « Son
« Altesse Royale ne viendra point ce soir ici -, il est
« chez M. de Chavigny, et vous mande de l'y venir
u trouver, et de n'amener avec vous que madame là
(( comtesse de Fiesque et madame de Frontenac. » La
première n'y étoit pas, je l'envoyai chercher; comme
on me vit partir promptement, on s'imagina qu'on
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l652] 807
Touloit m'envoyer en quelque lieu pour quelque
grand dessein , pour voir si j'y réussi rois aussi bien
que j'avois fait à Orléans : de sorte que tout le monde
me vouloît suivre ^ je m'en <léfis fort bien , et j'assurai
que si j'avois quelque voyage à faire , j'en avertlrois.
En chemin^ madame de Frontenac me dit : « Je crois
« que madame la princesse est morte, et que l'on vous
« veut parler de mariage , le résoudre et le faire promp-
« tement avant qu'on le sache à la cour , qui feroit
a tout son possible pour l'empêcher. » A cela je ne
disois rien, et ne savois que penser. Lorsque je des-
cendis de carrosse chez M. de Chavigny , je trouvai
M. de Clinchamp*, je lui demandai: « Qu'est-ce que
« l'on me veut? w II me répondit : « Vous le saurez là
« dedans.» L'on peutjuger si cela redoubla ma curio-
sité. Son Altesse Royale et M. le prince quittèrent le
jeu , vinrent à moi , et me dirent : « Devinez ce que
« l'on vous veut. » Je ne le pus comprendre, et ne
devinai jamais rien. M. le prince, qui tenoit une lettre
de M. de Lorraine, me la montra , et elle portoit : « Si
K vous voulez que j'aille vous trouver , obtenez mon
a pardon de Mademoiselle ; qu'elle me le commande,
K et madame de Frontenac aussi : sans cela je n'irai
(i jamais. » Saint-Etienne, qui avoit apporté la lettre ,
me tint le même discours : de sorte qu'on m'obligea
d'écrire une lettre à M. de Lorraine , par laquelle je
kii pardonnois tout le mal qu'il nous avoit fait , dans
l'espérance qu'il viendroit pour le réparer, et que
j'avois beaucoup d'impatience de le voir. Madame de
Frontenac lui écrivit aussi; et nos dépêches faites,
je m'en retournai fort satisfaite de ma curiosité.
Je demandai permission à Monsieur de m'aller pro-
20.
3o9 [l652J MÉMOIRES
mener le lendemain à Vincennes ; j'avois envie de voir
mes compagnies de gendarmes et de chevau-Iégers ,
qui étoient sur pied. Je ne voulus pas lever un régi-
ment de cavalerie , parce qu'il falloit pour cela cent
mille livres : je m'attachai plutôt à mes deux compar
gnies, parce qu'il ne falloit que vingt mille livres
pour. les lever; je ne voulus pas même que Ton sût
que j'en donnois l'argent. J'envoyai les comtes de Ho-
lac et d'Escars chez M. le prince pour lui dire qu'ils
vouloient lever ces deux compagnies à leurs dépens,
et qu'ils le supplioient d'en obtenir la permission de
Son Altesse Royale : ce qui ne fut pas bien difficile ,
parce qu'il ne lui en coûtoit rien. Ces deux compa-
gnies vinrent au devant de moi comme j'allois à Vin-
cennes , et passèrent la rivière : je n'avois pas voulu
qu'elles uie vinssent prendre à mon logis. L'armée
étoit pour lors à la Salpétrière : mes compagnies ne
me joignirent qu'au faubourg Saint-Antoine. J'avoue
que je les trouvai fort belles -, elles vinrent au devant
de moi en escadron , les officiers à leur tête , l'épée
nue à la main ( les Français ont pris cette mode des
Allemands ) ; puis elles se mirent devant et derrière
mon carrosse. Il n'y avoit point de cornette à mes
chevau-Iégers, parce que madame la marquise de
Bréauté me l'avoit demandée pour un de ses neveux ,
qui ne vint point. Un capitaine du régiment de cavale-
rie de Son Altesse Royale , nommé le chevalier de La
Motte, me la demanda avec beaucoup d'instance : je
la lui donnai. Le soir, à mon retour de Vincennes,
je permis que mes compagnies me suivissent jusques
à mon logis , et cela fut assez beau à voir : j'avoue
que je fus un peu enfantpour cela-, je sentis beaucoup
\ DE MADEMOISELLE DE MÔPTNSIKR. [lÔSi] 3oQ
^ de joie, el que le son des tronttes me réjouissoit
- . so.*-^^* • jamais troupes n'ont été éj bon ordre que mes
dâfelfe^^pagiïies. Le^c9frar1lolac fut fort fâché
d'être oblige a^^e quitter à la poirte Saint-Antoine ;
il y trouva Monsieur et ses valets de pied , qui lui
dirent que M. le prince étoit allë à Charenton , pour
voir où camperoit Fatmée le lendemain ; et comme
le comte de Holac étoit de jour , il me demanda là per-
mission d'aller joindre M. le prince , lequel séroit as-
surément fort fâché contre lui s'il avoit quitté le quar-
tier pour autre raison que pout me suivre. Je revins
depuis le bois de Vincennes jusques à la ville à cheval ,
et je me fis montrer par d'Escars et par Holac toutes les
attaques , et comme tout se passa le jour du Combat.
• Je ne fus pas plutôt arrivée aux Tuileries que Son
Altesse Royale m'envoya Saintorin pour me dire qu'il
vehoit d'avoir des nouvelles de M. de Lorraine, et
qu'il étoit à Brie-Comte-Robert; qu'il avoit trouvé lés
maréehaux-des-logis de Tarméë de La Ferté qui fai-
soient les l'c^emens , et qu'il s'y étoit mis avec ses
troupes. Cette nouvelle me réjouit fort. Le lendemaifi
on m'éveilla pour me donner une lettre de M. de
Lorraine : c'étoit la réponse à celle que je lui avoi$
écrite-, elle me fut rendue par un gentilhomme de
M. le prince , lequel me dit que M. de Lorraine seroit
le soir même à Paris. A deuxheuréfe de là, Monsieur
me manda que M. de Lorraine étoit arrivé, et que
j'allasse au Luxembourg sur les quatre heures. Comme
j'étois un peu embarrassée de tout ce que j'avois dit
de lui , non paè pour lui , il est fort honnête homme qui
entend raillerie : c'étoit pour Madame , qui avoit peur
qu^ilne me picotât; pour cette raison, je n'allai point
3io [1662] MÉMOIRES
au Luxembourg. L'on m'envoya quérir deux fois -, jt*
mandai qu'il faisoit trop chaud , et que j'avois P^^T^
que cela ne me fît laml Je sortir. Sur les sept Iji^értfres
je résolus de sortir ; j'espérOi»>i|«?jt«i^v<^.|l. de Lor-
raine parti, parce que je savois^^^ErM. le prince le
pressoit de s'en retourner en son quartier , et qu'il
n'y avoit pas de sûreté d'aller la nuit sans escorte. Il
monta sur le premier cheval qu'il trouva à la porte
du Luxembourg pour venir chez moi-, je le rencontrai
près de la porte Saint-Germain : il mit pied à terre
et se mit à genoux dans la rue, et ne voulut pas se
relever que je ne lui eusse pardonné. Je le relevai
et l'embrassai. M. le prince arriva là-dessus , qui le
pressoit de s'en aller ; je lui dis : <( Montez dans mon
« carrosse, je vous mènerai jusquesàla porte Saint-Ber-
« nard. » Notre armée étoit campée pour lors à Limée
et aux villages voisins ^ celle de M. de Lorraine étoit à
Cfaarenton : les ennemis étoient à Villeneuve-Saint-
Georges et lieux circonvoisins. Les armées s'étoienl
retranchées pour être hors d'insulte. Après que M. de
Lorraine y eut été deux jours, il y laissa M. le prince
tout seul, et s'en revint en cette ville. M. le chevalier
de Guise commandoit son armée 5 il aVoit pris cet
emploi dès le premier voyage que fit ici M. de Lor-
raine, et s'en étoit allé avec lui. Il y avoit des gens
qui Irouvoient à f edire qu'il eut quitté la France ; sa
maison y avoit de si grands établissemens , qu'il n*eut
pas su prendre un meilleur parti. A cela on disoit que
pour lui il n'avoit aucune charge à la cour; que les
premières années de la régence il avoit suivi Son Al-
tesse Royale aux campagnes de Flandre-, qu'ensuite il
avoit été à Malte servir la religion 5 qu'en l'âgé où il
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIËR. [l652] 3lX
étoit, iJ lui étoit bien rude de suivre toujours la per-
sonne du Roi sans avoir quelque emploi , et qu'il lui
eut été encore plus fâcheux d'en demander un pour
servir contre Son Altesse Royale, de qui il étoit
beau-frère. De sorte que, sur la rupture de Son Al-
tesse Royale avec la cour , il partit de Poitiers , et vint
en cette ville voir ce qu'il pouvoit faire. Il trouva que
Son Altesse Royale avoit donné le commandement de
son armée à M. de Beaufort -, ainsi il crut ne pouvoir
prendre un meilleur parti que celui de suivre son
souverain et Tainé de sa maison, qui lui donna le
commandement de son armée.
Sitôt que M. de Lorraine fut en cette ville, il vint
me voir-, j'étois au lit , parce que je me trouvois mal ;
il se mit à genoux devant mon lit, et me dit : k Jusques
« à cette heure j'ai raillé avec vous , et je ne vous ai
« point parlé sérieusement ; je sais ce que vous valez ,
« je veux être votre serviteur, et avoir en vous toute
« la confiance possible : c'est pourquoi je me veux
« justifier de tout ce qui s'est passé à mon dernier
« voyage , et vous dire comme le tout est. » Il m'avoua
qu'il étoit venu ici en intention de servir Son Altesse
Royale en tout ce qu'il pourroit , et qu'il n'avoit rien
promis aux Espagnols-, qu'à l'égard de M. le prince,
il n'avoit eu aucun dessein de secourir Etampes, parce
qu'aussitôt qu'il avoit été ici il s'étoit laissé empau-
merpar des amis du cardinal de Retz qui l'en avoient
dissuadé , et qu'il avoit aussi écouté des propositions
de la cour ; que tout cela ensemble l'avoit tellement
embarrassé , qu'il s'en étoit allé comme je l'avois vu.
La conclusion fut qu'il venoit de bonne foi , qu'il agi-
roit en tout ce qu'il pourroit pour le parti et poup
3 12 [iGSaj MÉMOIRES
celui de M. le prince, parce qu'il étoit de mes amis ,
et que tous deux feroient leur possible pour porter
les affaires à un accommodement avantageux, oii Ton
pût me procurer un établissement tel que je le mé-
ritois ; que Madame ëtoit sa sœur ; qu'il me supplioit
très-humblement de croire qu'il me considëroit plus
que ses filles , et que mes intérêts alloient devant les
leurs; qu'il étoit fort fâché que Madame et moi ne
fussions pas bien ensemble ; que , de crainte que l'on
pût croire qu'il se partialisât , il ne vouloit point se
mêler de nous raccommoder ; qu'enfin il étoit mon
serviteur. Je répondis à cela comme je le devois. Il
ajouta qu'il me feroit part de tout ce qui se passerait ;
qu'il me prioit de trouver bon qu'il me priât de parler
à M. le prince , parce que , comme il étoit fort prompt
et lui aussi , il craignoit d'avoir des démêlés , et que
j'étois toute propre aies empêcher.
Alors on eut des nouvelles que madame la prin-
cesse étoit hors de danger : de sorte que cela fit cesser
les bruits qui avoient couru de mon mariage avec
M. le prince. Je ne sais si cela lui en fit cesser la pensée.
Madame la princesse resta dans un grand abattement ,
que tout le monde disoit n'être pas bon à une femme
grosse dé neuf mois.
Monsieur alla à l'armée rendre une visite à M. le
prince et à M. de Lorraine, qui alloit et venoit. Pour
6ler l'embarras de donner l'ordre , Monsieur le donna
pour huit jours. Us désirèrent que j'allasse à l'armée :
ce que je fis volontiers ; ce ne fut pas sans embarras.
Madame de Châtillon voulut y venir avec moi, et ma-
dame la duchesse de Montbazon. Je m'en excusai sur
ce que j'avois promis toutes les places de mon carrosse.
DE MADEMOISELLE DE MONTPEMSIER. [l652] 3l3
Madame la duchesse de SuUy devoit venir avec moi ;
madame de Ghoisy, la comtesse de Fiesque , madame
de Frontenac y mademoiselle de Beaumont , madame
de Bonnelle , madame de Rare , gouvernante de mes
sœurs, parce que madame la comtesse de Fiesque la
mère , et madame de Brëauté sa fille , étoient affli-
gées de la mort de M. le comte de Tilliers, frère de
la première , qui étoit arrivée ce jour-là -, et M. de Lor-
raine et moi : c'ëtoient neuf; le carrosse eût été bien
rempli. Ces dames eurent quelque envie de s'en fâ-
cher ; elles virent bien que mon excuse étoit fondée
en raison : j'étois bien aise en mon ame de lavoir eue ;
les étrangers auroient trouvé fort à redire que j'eusse
mené ces dames, et auroient sans doute dit : « Quoi!
« Mademoiselle amène avec elle la maîtresse de M. le
« prince et celle de M. de Beaufort! » Ces messieurs
croyoient tout ce qu'on leur disoit -sans examen. Ma-
dame de Sully se trouva mal la nuit ; elle envoya s'ex-
cuser ; madame de Choisy en fit autant : de sorte que
nous n'étions que sept dans mon carrosse. J'allai
prendre M. de Lorraine à l'hôtel de Chavigny, où je
lui avois donné rendez-vous; il me fit attendre quel-
que temps , et s excusa sur ce qu'il vouloit entendre
la messe. Je portois le deuil de mon frère , j'étois ha-
billée de noir, et je nouai à ma manche un cordon
bleu, et toutes les dames qui étoientavec moi aussi,
et au milieu du bleu , qui étoit fort touffu , on y mit
un petit ruban jaune , à cause que c' étoit la couleur
des Lorrains. Je leur dis : « Il ne faut point faire de
« façon d'y mettre un ruban de couleur de feu parmi :
« on l'expliquera comme on le voudra. » Nous par-
tîmes de l'hôtel de Chavigny à onze heures et demie ;
3l4 [l655l] MÉMOIRES
nous trouvâmes au pont de Cliarenton M. le prince
avec les trois compagnies de M. de Lorraine , qui ve-
noient pour nous escorter. M. le prince n'avoit pas
voulu amener de nos troupes , et ces trois compagnies
étoient de cent hommes chacune, montées Tune sur
des chevaux bais , l'autre sur des noirs , et la troi-
sième sur des blancs : de sorte qu'on les appeloit les
compagnies baie , noire et blanche ; tous les cavaliers
avoient des cuirasses : cela étoit beau à voir. M. de
Beaufort et beaucoup d'officiers accompagnèrent M. le
prince -, il se mit dans mon carrosse ; il ëtoitfort ajusté,
contre son ordinaire : c'est Thomme du monde le plus
malpropre ; il avoit la barbe faite et les cheveux pou-
drés, un collet de buffle avec une écharpe bleue , un
mouchoir blanc à son cou. Sa propreté étonna la
compagnie : et il en fit des excuses comme d'un grand
crime , sur ce qu'on lui avoit dit que ces nouvelles
troupes étrangères qui étoient arrivées disoient qu'il
ne se distinguoit pas des autres , et qu'il étoit fait
comme un simple cavalier. M. de Lorraine et lui con-
vinrent d'envoyer dire aux ennemis qu'il falloit faire
trêve pendant que je serois à l'armée , parce qu'il se-
roit ridicule que l'on tirât en un lieu où je serois. Je
ne le voulois point -, ils dirent que Ton me devoit ce
respect ; je me rendis à cette raison : j'aime fort qu'on
me respecte. Nous arrivâmes à Gros-Bois , où nous
dînâmes ; M. le prince y fit grande chère, quoique
M. de Lorraine ne lui eût mandé que le matin que
j'irois à l'armée. Les dames qui étoient venues avec
moi y dînèrent aussi , avec M. le prince, M. de Lor-
raine, M. de Beaufort et le cheValier de Guise , qui
étoient venus au devant de moi à Charenton. Ils burent
DE MADEMOISELLE DE MONJPENSIER. [lÔSs] 3l5
à ma santé à genoux, firent sonner les trompettes,
et toutes les simagrées que Ton est accoutumé de faire
à l'armée en pareille occasion : même je crois qu'ils
firent tirer quelques petites pièces de canon qui étoient
dans le château. M. le prince reçut la réponse des ma-
réchaux de Turenne et de La Ferté , qui lui firent
mille civilités pour moi , et lui mandèrent que je pou-
vois commander: que j'étois maîtresse dans leur ar-
mée comme dans la nôtre.
Pendant le dîner, M. de Lorraine dit à M. le prince :
« Il y a long-temps que nous n'avons dîné en si bonne
« compagnie. » 11 lui répondit qu'il seroit assez dif-
ficile d'en trouver de meilleure. Je pris la parole, et
leur dis : « Il n'a pas tenu à moi qu'elle ne fût encore
« meilleure j je voulois amener mesdames de Mont-
« bazon et de Châtillon^ je n'ai pu, parce que je
« croyois que mesdames de Sully et de Choisy vien-
« droient : elles se sont envoyé excuser, comme je
« montois en carrosse. » M. le prince fit là-dessus une
terrible mine, et il me sembla qu'il avoit pris cela
plutôt pour une picoterie que pour une civilité 5 pour
M. de Beaufort, il prit cela en bonne part. M. de Clin-
champ , qui nous voyoit dîner , me dit au sortir de
table : « Je suis ravi que vous ne les ayez pas ame-
« nées : nos Allemands sont des gens qui n'entendent
ce pas le français , et ils auroient pris ces dames pour
« d'autres qu'elles ne sont. »
Aussitôt après le dîner je montai à cheval, et je
m'en allai voir l'armée. Je trouvai celle de M. de Clin-
champ fort grosse : les Espagnols avoient envoyé de
nouvelles troupes 5 le duc Ulric de Wirteraberg les
avoit amenées , et il étoit malade à Paris dans l'hôtel
3l6 [itiS^] MÉMOIRES
de Coudé, où M. le prince Tavoit logé. Il avoit deux
sergens de bataille , savoir : le comte d'Hennin , fds
aîné du duc de Bournonville , et le frère du comte de
Saint- Amour. Je les avois vus à Paris, où ils m'étoient
venus faire la révérence : ils me suivirent toujours.
Je parlois aux officiers que j'avois vas à Etampes ; ils
étoient très-étonnés que je les connusse , et que j'eusse
retenu leurs noms. Je pense que les princesses de la
maison d'Autriche parlent peu en pareille occasion ;
ils admiroient ma civilité , et je leur donnois lieu de
dire mille biens de moi. Je ne vis point l'infanterie
française. M. le prince me dit ; <c Vous connoissez
tt tous nos régimens-, bien qu'il y en ait une treri-
c< taine , encore est-il bon d'en laisser quelqu'un pour
« garder le quartier pendant que tout est dehors :
« c'est pourquoi je n'ai, point laissé sortir l'infanterie^
« pour la cavalerie , elle étoit dehors avec l'escorte
a de l'armée. » Je vis les escadrons où étoient mes
gendarmes ^ ils escadronnoient avec ceux dé Son Al-
tesse Royale et de Valois : cela n'est pas trop hono-
rable à dire , que trois compagnies ne fissent qu'un
escadron -, la vérité me force à le dire.
Après que les officiers m'eurent saluée , ils me vin-
rent dire le déplaisir qu'ils avoient eu de ne point
venir au devant de moi ; que M. le prince leur avoit
défendu, pour laisser l'honneur de m'escorter aux
troupes lorraines. Je passai plus avant, et même notre
garde avancée ^ j'allai jusques à celle des ennemis. Il
vint trois ou quatre cavaliers à nions ; je crus que c'é-
toit M. deTurennç : ce n'étoitqueMesolieu , premier
capitaine dp son régiment de cavalerie, qui embrassa
bien les jambes de M. le prince , avec les larmes aux
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l652] 817
yeux. Je conçus de cette action une bonne opinion
de lui , qui s'est confirmée depuis que je lai connu :
c'est un fort honnête homme. Le comte de Quinçay
le fils y étoit.aussi. Je leur parlai quelque temps ;
^rès je poussai mon cheval , parce que j'avois grande
envie d'aller jusque dans le camp des ennemis. M. le
prince courut au devant, sauta à la bride de mon
cheval , le fit tourner pour aller au quartier des Lor-
rains , et me dit que je mettrois M. de Turenne au
désespoir si je l'allois voir : ce que je ne pouvois
croire ; je ne jugeois pas que l'on pût s'embarrasser
de si peu. J'ai trouvé que M. le prince avoit eu raison
de me parler de lui de cette sorte. Comme je m'étois
avancée , il fallut faire assez de chemin pour gagner
le quartier des Lorrains : de sorte qu'il étoit; clair de
lune avant que j'eusse joint toutes les troupes 5 je les
trouvai fort belles et en fort bon état : je les avois
déjà vues à ViUeneuve-Saint-Georges , et elles n'é-
toient pas rangées si avantageusement. Selon ce que
j'en ai entendu dire^ elles étoientplus belles à voir qu'à
combattre; jusques alors elles n'avoient pas fait gran-
des merveilles. M. le prince me vintdire : « L'ordre que
« Monsieur a donné est fini aujourd'hui : donnez-le-
« nous ; et pour ne le point donner à l'un ou à l'autre le
« premier, quand vous parlerez à M. de Lorraine, j'a-
tt vancerai auprès de vous , et vous nous le donnerez à
<( tous deux en même temps. » Ainsi comme nous étions
M. de Lorraine et moi ensemble , M. le prince fit ce
qu'il m'avoit dit, me demanda l'ordre. Je fis quelque
façon de le donner 5 ils m'en prièrent tous les deux ;
je leur dis : Saint Louis et Paris, M. le prince dit:
« Vous me le donnâtes tout pareil le jour que vous ar-
3l8 [1652] MÉMOIRES
« rivâtes d'Orléans , que j'envoyai un parti à la campa-
« gne. )) Ces messieurs me le demandèrent pour le len^
demain *,je leur donnai SctinteAnneet Orléans. M. le
prince dit : « J'aurois devine entre tous les saints et
(c saintes du paradis celle que vous nous avez donnée ,
« et entre toutes les villes de France , Orléans 5 et si
a je fais jamais la guerre contre vous , et qu'il n'y ait
« que deux jours à donner l'ordre, je passerai par-
ce tout à coup sûr. »
Après avoir tout vu , je m'en revins à Paris , escortée
par les troupes lorraines. Je ne voulus pas que M. le
prince vînt à Charenton; je le laissai à l'armée, et
M. de Lorraine revint avec moi : il venoit souvent
souper avec moi , et après souper nous jouions à de
petits jeux. 11 y avoit ordinairement madame la du-
chesse d'Epernon. Madame de Choisy , qui n'y étoit
point venue souper depuis le démêlé dont j'ai parlé ,
fut bien aise d'être agréable à M. de Lorraine, et de
tâcher par là à se remettre dans le particulier avec
moi : mesdames de Fiesque et de Frontenac , et ma-
demoiselle de Mortemart, en étoient aussi. M. deLor-
raine nous faisoit des histoires admirables : c'est un
fort plaisant homme. Entre autres histoires , il nous
en fit une de M. de Brégy , qui avoit été envoyé de
la cour vers lui avant qu'il vînt la première fois ; il
disoit qu'il avoit dressé des articles d'accommodement
sur la restitution de ses Etats , de la forme et de la
manière que cela se feroit : à chaque article M. de
Lorraine disoit : «Qui me sera caution de l'exécution? »
M. de Brégy disoit : a Ce sera moi ; » et M. de Lorraine
ajoutoit : « Apostillezdonc les articles -, » ensorte quede
Brégy mettoit : Et le comtede Brégjr répond de Vexé-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSa] 3ig
cation. Ainsi il le lui fit mettre à tous les articles ,. sans
que M. de Brëgy s'aperçût qu il se moquoit de lui.
11 nous fit ce conte assez plaisamment. Comme M. de
Brégy prit congé de lui , il lui dit : a Ne revenez plus
« que les affaires ne soient faites ; et même quand vous
<c serez une fois parti d'ici , ne tournez point la tête du
« côte de deçà : » et il ordonna à deux officiers de ses
troupes de l'accompagner, et leur dit : « Si M. le comte
tt tourne la tête , donnez-lui un coup de pistolet : il
« m'a promis de ne point regarder derrière lui. »
M. le prince vint un matin dîner à Paris ^ il me vint
voir l'après-dînée : je me faisois peindre, il y avoit
beaucoup de monde chez moi. Il m'envoya prier de
lui aller parler à la porte. Comme nous étions en-
semble , le roi d'Angleterre entra chez moi : la Reine
sa mère s'étoit raccommodée pour lors avec Monsieur,
et j'ose bien dire que j'avois contribué à cet accom-
modement, parce que j'avois eu l'honneur de la voir
devant Monsieur. Elle avoit fait un voyage à Saint-
Germain avec le Roi son fils ; je les avois accompagnés
jusques à la porte de la ville. M. le prince fit des ex-
cuses au roi d'Angleterre de se montrer si malpropre,
et dit qu'il venoit de l'armée et s'y en retournoit : le
roi d'Angleterre lui dit qu'il se pouvoit bien .montrer
devant lui , puisqu'il se montroit bien devant moi. Je
suppliai le roi d'Angleterre de me permettre de dire
un mot à M. le prince , à qui j'avois affaire : de sorte
qu'il s'en alla avec toute la compagnie qui étoit dans
ma chambre. M. lé prince me dit : « M. l'abbé Fouquet
« a été ici , Monsieur l'a vu chez M. de Chavigny , et
« ensuite il a écrit une lettre que je vous enverrai ^ je
« n'ai pas le loisir de vous en dire davantage. » Ce jour-
3ao [1652] MÉMOIRES
là madame de Choisy me donnoit une comëdie et une
collation, où je priai le roi d'Angleterre de venir. Je
m'en allai au Luxembourg , où je trouvai encore M. le
prince, quoiqu'il fût fort tard : ce qui me surprit,
parce qu'il m'a voit dit qu'il devoit s'en aller. Je lui
demandai ce qui l'avoit retenu , et s'il ne viendroitpas
chez madame de Choisy, il me dit que non, qu'il
avoit un grand mal de tête , qu'il se mouroit , et que
cela l'empêchoit de retourner à l'armée. J'eus la cu-
riosité d'envoyer voir s'il étoit au logis, et je trouvai
qu'après être sorti du Luxembourg et arrivé chez lui ,
il s'étoit mis au lit. La fête chez madame de Choisy
étoit fort jolie , et tout ce qu'il y avoit d'hommes à
Paris y vint 5 pour des femmes, il n'y eut que celles
que j'ai nommées , et qui étoient d'ordinaire chez moi
les soirs.
Monsieur avoit vu M. l'abbé Fouquet au Luxem-
bourg une fois , à ce que l'on disoit , et M. le prince
prétendoit que c'étoit sans sa participation ; et Mon-
sieur , de son côté , disoit que M. le prince en avoit
fait de même. M. le prince m'envoya par Jarzé la lettre
de l'abbé Fouquet , comme il me l'avoit promis , et
m'écrivit un billet pour me prier de la faire copier,
parce qu'elle étoit de sa main. Je ne sais si Monsieur
avoit voulu avoir l'original : quoi qu'il en soit, je la
copiai moi-même. Elle fut prise par des .cavaliers du
régiment de Holac , qui étoient allés en parti : ils ap-
portèrent cette lettre à M. Ide qui la donna à M. le
prince , qui la fit voir à Son Altesse Royale , lequel
en fut un peu étonné 5 et c'est par là que l'on apprit
toutes les circonstances qui avoient été cachées jus-
qu'alors. En voici le contenu :
DE MADEMOISEIXB DE MONTPENSIRtl. [l652] 321
« Ce matin N**** avoit promis de venir 5 il a ap-
pris que M. de Turenne avoit envoyé deux mille che-
vaux au fourrage: il est allé après. J'ai été au Palais-
Royal , où il est venu un grand nombre de boui^eois ,
qui pour signal avoient mis du papier. à leurs cha-
peaux^ lorsqu'ils m'ont vu , ils «ont venus à moi avec
la dernière Joie , et m'ont demandé ce qu'ils avoient
à faire , et quels ordres il y avoit pour eux. Ils vou-
loient aller au palais d'Orléans, et exciter des séditions
par les rues. Je n'ai pas cru que l'aifaire se dût em«<
barquer^ j'ai cru qu'il étoit nécessaire que j'envoyasse
demander en diligence les hommes de commande-
ment que l'on vouloit mettre à leur tête* 11 n'y fallut
pas perdre un moment de temps. Le maréchal d'E-
lampes passa : ils l'obligèrent à prendre, du papier,
dont il a été assez embarrassé ; et sur ce que je lui ai
dit qu'il en verroit bien d'autres , il m'a répondu qu'il
ne falloît point faire de rodomontade , qu'il falloit
faire la paix. J'ai été une heure avec lui ; j'ai trouvé
seulement qu'il a un peu insisté sur les troupes, et di-
soit qu'il ne vouloit que sortir honorablement de ceUe
affaire. Je lui ai dit que quand même on les accordc-
roit, elles seroient cassées au premier jour. 11 m'a dit
que si l'on en réformoit d'autres, il consëntoit que
celles-là le fussent aussi. 11 m'a dit de plus qu'il n'é-
toit point d'avis que l'on mît, par un article séparé,
que M. de Beaufort sorliroit de Paris , et qu'il lui feroit
faire ce qu'il trouveroit juste, aussi bien que la récom-
pense que l'on propose de donner au fils de M. Bf'ous-
sel pour son gouvernement. Il m'a dit que pour le
parlement , il seroit bien aise que la réunioii se fit de
manière qu'elle ne blessât point l'autorité du Rot ;
T. 4i« ^I
32% [lÔSa] MÉMOIRES
qu'il seroit bien aise que le parlement ne fût pas mal
satisfait de lui ; çt , par dessus tout , M. de Ghavigny
m'a assure que quand M. le prince ne s'accommode'^
roit pas, Monsieur s'accommoderoit. J ai vu qu'il vou*
loit être médiateur entre la cour et M. le prince : il
youloit entrer dans le détail des articles. Nous aurons
contentement de celui de La Rochelle et de la cour
des aides , pourvu qu'il ne vienne point de faux jours
à travers qui détournent M. le duc d'Orléans. Tous les
amis de M. le prince approuvent les propositions de
la manière que la cour souhaite qu'elles se passent ^
j'espère une trêve dès demain. 11 y a une circonstance
que M. de Ghavigny me propose : c'est que M. le duc
d'Orléans auroit peine à consentir que M. le cardinal
fût nommé dans l'amnistie ; qu'il croyoit qu'il étoit
bon que l'on cassât tous les arrêts qui ont été donnés,
et que M. le cardinal fut justifié par une déclaration
particulière : et la raison de cela est qu'il falloit que
Monsieur reçût l'amnistie, et qu'il aimoit mieux sol-
liciter secrètement la justification , et que la réunion
étoit le premier article. Si cela étoit stipulé , il n'y
auroit rien de fait : ainsi , que M. le cardinal auroit sa
sûreté tout entière. M. de Ghavigny et M. de Rohan
sont allés au camp pour amener ici demain M. le
prince. Autant que je le puis conjecturer , les affaires
iront bien ^ peut-être demandera-t-on quelque argent
pour le rétablissement de Taillebourg. Pour Jarzé,
je n'ai point d'ordre de rien accorder : je me tiendrai
fei;me là-dessus. M. de Broussel s'est démis de la pré-
vôté des marchands , dont il s'est repenti deux heures
après , et sur ce repentir , M. le duc d'Orléans de-
manda à Ghavigny ce qu'il avoit à faire ; il lui répondit :'
DE MADEMOISELLE DE MONTPSNSIER. [lôSs] 3^3
<( Il ^*en est demis sans vous en parler : parlez-lui-eu
« sans le rétablir. » Si les affaires s'échauffent un peu,
c'est un homme que je vois bien que l'on pourra ac-
cabler. Le cardinal de Retz fut hier deux heures avec
M. de Lorraine , et lui fit espérer de grands avan-
tages s'il se vouloit lier avec lui , et dit , en même
temps qu'il a fait dire aux têtes de papier (c'est ainsi
que Ton nomme la nouvelle union), qu'il gouvernoit
tout à la cour , et qu'ils ne réussiront jamais s'ils ne
le demandoient pour leur chef , dont la plupart me
sont venus demander avis. Je leur ai dit qu'il étoit
bon d'avoir des gens de guerre à leur tête ; qu'il fal-
loit faire beaucoup de civilités au cardinal d.e Retz,
et même, s'il a des amis, lui demander secours ; que ,
pour suivre ses ordres , je ne croyois pas cela néces-
saire ; qu'il étoit bon que je me raccommodasse avec
lui en apparence, si je croyois qu'il voulût servir.
Demain à dix heures du matin j'aurai la dernière réso-
lution de toutes les affaires. M. le prince , si la paix
ne se conclut point, ne croit plus de sûreté pour lui
dans Paris -, il est nécessaire que l'on vous envoie des
placards imprimés. »
Je me souviens que la veille que cette sédition du
papier (0 arriva , M. de Lorraine étoit à mon logis,, et
(i) Cette sédition du papier: Ce mouvement, qui u^eut pas de
succès, fut excité par Prëvot, chanoine de Notre-Dame, conseiller au
parlement de Paris , ïële' royaliste. Comme les frondcnrs avoicnt pris
qoelqae temps auparavant, pour signe déraillement, un bouquet de
paille , il ût prendre aux royalistes un morceau de papier attaché au
chapeau. Ce parti se réunit dans lé jardin du Palais-Koyal le a5 sep-
tembre, et Prévôt le harangua; mais le maréchal d'Etampes , gouver-
neur de Paris , survint , et dissipa facilement le rassemblement.
IX,
iOLf[ [l65îl] MÉHfOIRES '
nous dit que la comtesse de Fiesque étoit au lit, et
qu il alloit force dames jouer chez elle. M. de Lor-
raine me proposa d'y aller ; nous y allâmes. J'y de-
meurai tout le soir-, j'envoyai quérir mon souper et
les comédiens. Au milieu de la comëdie on vint dire
à M. de Lorraine que Son Altesse Royale le demaii-
doit; il eut de la peine à y aller. On revint une se-
conde fois le demander : ce qui l'obligea de quitter
la comédie , qu on n'acheva point. Nous attendîmes
son retour. 11 nous dit : « ^è n'est rien , c'est votre
a père à qui on donne des terreurs paniques. M. de
« Chavigny est venu sans manchettes ni collet , effrayé
« au dernier point, pour lui donner avis que demain il
K se passera quelque affaire considérable et fort terri-
« blé , et que l'on a beaucoup à craindre. Pour moi, je
« m'en mets l'esprit en repos -, et s'il arrive quelque
a accident , je périrai en bonne compagnie. » Le len-
demain , à mon réveil, j'appris que l'assemblée dont la
lettre parle s'étoit faite au Palais-Royal , et que l'on
prenoit du papier. J'allai au palais d'Orléans, et je dis à
Son Altesse Royale : « Voici une occasion de ma force :
(( je voussupplie de me permettre d'aller au Palais-Royal
tt avec ce qu'il y a de gens ici ^ je prendrai les princi-
« pàux chefs, et si l'on rtie croit on en pendra quel-
le ques-uns-, et s'il y a des officiers des troupes, on les
<( mettra à la Bastille. » Son Altesse Royale ne voulut
point me permettre d'y aller. En même temps Gramont,
qui est à Son Altesse Royale , reçut une lettre d'un de
ses neveux , qui est capitaine dans le régiment de Pié-
mont , lequel lui mandoit : a Nous sommes comman-
« dés cent officiers sous M. de Pradelles, avec ordre de
a faire main basse sans exception; je souhaite que vous
DE MAOKMOISfiUiB OK MONTPlbiSISlËR. [iGSa] ^%S
« é?itieiK cette occa^on, ou que ce dessein manque,
a Je Vous en avertis afin que vous vous en défendiez*»
PradeUes vint avec madame de FouqueroUes sans
passe-port pour lui *, cette dame en avoit un de Son
Altesse Royale que madame de Saujon lui avoit fait
donner : elle favorisoit volontiers les gens malinten-
tionnés pour le partie Monsieur se mit fort en colère
contre madame de FouqueroUes , et lui dit qu'elle ré-
pondroit de Pradelles. On le fit chercher pour Farré*
ter, et on ne le trouva pas. Cette affaire alla à rien , et
les eunemis purent connoitre le peu de crédit qu'ils
avoient dans Paris ^ leurs placards firent horreur ^ ils
disoient que le Roi autorisoit ce nouveau parti pour
la destruction du notre , et qu'il donaeroit grâce à
tous ceux qui enseroient, et qui tnerpientqui que ce
fût sans exception de personne. M. le prince étoit
dans son lit^ malade d'une douleur de tête fort grande :
force gens crurent qu'il avoit une autre maladie. Cela
étoit faux , et on lui faisoit tort , aussi bien qu'à la
dame que l'on disoit la lui avoir donnée.
L'on établit un parlement à Pontoise , pour ne plus
reconnoître celui de Paris , à qui on avoit donné ordre
d'aller à Montargis: à quoi il n'a voit pas obéi. Depuis
oe temps4à celui de Pontoise se nOmmoit le parlement
de Paris, transféré en ce lieu par les ordres du Roi. il
étoitjustement composé de cequ'il falloit de juges pour
faire un arrêt. Je ne pense pas qu'il y en eût plus de
douze ( et pour marquer leur petit nombre, Benserad^^»
homme d'esprit, et qui s'est signalé dans ces temps par
ses beaux vers , dit un jour à la Reine , qui demandoit
d'où il venoit : « Je viens de la prairie , madame , où
« tout le parlement étoit dans un carrosse coupé. ^
326 [iGSs] MÉMOIRES
M. de Lorraine recevoit souvent des lettres de
la cour ; Bartet le vint trouver de la part de M. le car-
dinal : il me montroit toutes se3 lettres , et souvent y
faisoit réponse dans mon cabinet. Il vouloit même me
faire voir celles que la cour lui envoyoit 5 je n'osai les
voir, j'avois peur que cela ne fâchât Monsieur. Ma-
dame de Châtillon mouroit d'envie de donner dans la
vue à M. de Lorraine ; elle vint un soir chez moi ,
parëe , ajustée , la gorge découverte , et disoit : « Au
c( moins je ne suis pas bossue. Ma robe est-elle bien
« faite? Je ne vous le demande pas, monsieur, les
(( hommes ne se connoissent piàs à cela *, pour aux
« pierreries , vous vous y connoissez : je vous prie de
« me dire comme vous trouvez mes perles. » Il ne
prit quasi pas la peine de lui répondre ^ il me disoit :
c< Ne la retenez pas à souper , je vous en prie ; je vou-
« drois qu'elle s'en fût déjà allée. » A là fin elle s'en
alla. Dès qu'elle fut partie , M. de Lorraine nous dit :
« Voilà la plus sotte femme du monde , elJe me dé-
« plaît au dernier point. » II me conta qu'il * avoit
été la voir il n'y avoit qu'un jour ou deux , et qu'elle
avoit fait trouver chez elle un marchand avec quan-
tité de pierreries , dans l'intention , à ce qu'il croyoit,
qu'il lui feroit quelque présent. 11 l'attrapa bien ; il
dit au marchand qu'il n'avôit point d'argent. Elle lui
disoit : « On vous fera crédit , si vous avez envie de
« quelques pierreries. » Il nous fit cette histoire le
plus agréablement du monde et le plus ridiculetiient
pour elle.
Un soir que M. de Lorraine étoit chez moi , un
des amis du maréchal d'Hocquincourt me vint trou-
ver pour me dire qu'il étoit plus que jamais dans le
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [lÔSs] 3^7
dessein de traiter avec nous. Je lui dis : « Je ne com-
« prends pas pourquoi : c'est un homme établi qui
(c n'a que faire de nous, et je n'ai jamais été si surprise
« lorsque Monsieur m'a commande de lui écrire que ,
« pour toute réponse , il me mandât qu'il avoit bu
« à ma santé '^ je ne trouvai pas qu'il put répondre
« plus à propos que de ne répondre rien. » Ce gentil-
homme , nommé le marquis de Vignacourt , me dit
qu'iJ étoit las d'être inutile , et qu'à quelque prix que
ce fût il vouloit traiter avec moi sans traiter avec
M. le prince. J'en parlai à M. de Lorraine; il me dit :
« Voici la meilleure affaire du monde. Peronne est
(c sur le chemin de Flandres : on ira et on viendra
« aisément, et il n'y a rien que les Espagnols ne las-
« sent pour cela. » Je lui dis que je ne voulois point
traiter avec les Espagnols ; il me dit : « Voici un ex-
« pédient : vous traiterez avec moi , et moi avec les
« Espagnols; faisons cette affaire sans en parler à
« Son Altesse Royale ni à M. le prince : ils seront trop
K heureux, lorsqu'elle sera faite, de l'apprendre. »
M. de Lorraine dit à M. de Vignacourt : <( Croyez-vous
« que le maréchal d'Hocquincourt remette Ham et
« Peronne entre les mains de Mademoiselle, c'est-à-
« dire s'il souhaite qu'elle en soit maîtresse, pourvu
c( que l'on lui donne un corps à commander? » 11 n'en
fit aucune difficulté, et dit qu'il feroit tout ce qu'on
désireroit. A l'instant M. de Lorraine appela Clin-
champ , qui étoit dans ma chambre -, nous entrâmes
ensemble dans mon cabinet pour lui dire ce que nous
venions de dire. Nous résolûmes que l'on paieroît
les garnisons de Ham et de Peronne à M. d'Hocquin-
court ; qu'on lui donneroit encore trois régimens de
3^8 {i65!ij MÉMOiaEs
cavalerie , savoir : le sieu, celui d*ua de ses fils , et un
autre pour un gentilhomme de ses amis nommé Blain*
ville, qui serviroitde maréchal- de camp; son régi*
' ment d'infanterie , un de dragons , une compagnie de
gendarmes et de chevau-légers. Je devois mettre sur
pied un régiment d'infanterie et un de cavalerie sous
mon nom; je navois encore destiné personne pour
en être mestre de camp ; mes deux compagnies de
gendarmes et chevau-^légers eussent aussi servi dans
cette armée : c'auroit été la mienne. Monsieur avoit
la sienne , et M. le prince aussi ; de sorte que celle-là
on Teût appelée Tarmée de Mademoiselle. Je préten-
dois que les comtes d'Escars et de Holac eussent
quitté celle de Monsieur pour servir dans la mienne,
puisqu'il y avoit assez d'officiers généraux dans celle
de Monsieur. Les Espagnols auroient donné des
troupes sans donner des officiers généraux pour les
commander , et toutes les nécessités pour cela.
Notre plan fait avec M. de Lorraine et de Clin^
champ , lequel me répondit que le comte de Fuen*
saldague seroit ravi d'avoir cette occasion de me don-
ner des marques de la vénération qu'il avoit pour
moi, nous appelâmes M. de Vignacourt, lequel pro-
mitde partir le lendemain, et me demanda quelqu'un
à moi pour aller avec lui. 11 nous dit qu'il croyoit que
lorsque les troupes seroient sur pied , M. le maréchal
d'Hocquincourt seroit bien aise que Mademoiselle fit
un tour à Peronne , pour faire voir que c'étoit entre
ses mains qu'il remet la place, et que c'est elle qui le
met à la tête de son armée. Je lui dis : « Quand nous
tt en serons là , j'irai très-volontiers. » M. de Lorraine
et Clinchamp écrivirent au comte de Fuensaldague ;
DE MADEMOISELLS DE MONTPEnSIER. [lÔSa] 3^9
le geiuilhoinme que j*y voulus envoyer tomba ma-
lade et a'y put aller. Peu de temps après, M. de Lor-
raine partit avec Tarmëe. Je pense que cette marche
et le retour du Roi à Paris firent connoitre au maré-
chal d'Hocquincourt qu'il ëtoit tard de s'engager avec
nous -, de sorte que nous n'eûmes point de réponse.
Ainsi ce beau dessein n eut aucune suite.
Comme j'ëtois à Orléans , il se présenta une occa-
sion semblable à celle-ci , en ce que c'étoit un grand
dessein dont la fin fut aussi pstreille.
On me vint avertir qu il y avoit force gens à la
porte , et entre autres un gentilhomme nommé Des
Broies, qui venoit de la cour et qui s'en alloità Paris.
Je lui demandai des nouvelles de la cour : il me dit
qu'il n'en savoit point , et qu'il y étoit ailé pour faire
sortir un frère qu'il avoit prisonnier dans le château
d'Âmboise pour quelques affaires qui regardoient
Brisac; il avoit deux autres frères dans Brisac. Je lui
dis qu'il n'avoit qu'à s'en aller : il me supplia qu'il pût
demeurer ce soir à coucher dans la ville -, j'en fis beau*
coup de difiiculté. 11 me demanda permission de me
dire un mot en particulier ^ je Técoutai. 11 me dit : .
(c J'ai deux frères dans Brisac qui y ont quelque cré-
n dit , et je serai bien aise de vous entretenir là-des-
<( sus. » Je lui permis de demeurer, et le soir il me '
conta que dans l'incertitude où étoit Gharlevoi du
parti qu'il avoit à prendre, ses frères lui avoient pro-
posé de se mettre entre les mains de Son Altesse
Royale ^ qu'il lui en avoit fait la proposition \ que Son
Altesse Royale lui avoit ordonné d'en parler à M. de
Saujon, et qu'il lui avoit dit que Monsieur ne pou-
Yoit pas donner les fonds pour payer ce qui étoit dû
33o [1652J MÉMOIRES
à la garnison , et que l'afiaire en ëtoit demeurée là ^
que si les affaires ëtoient en même ëtat y et que la
cour n'eût rien fait avec Charlevoi , il ne doutoit pas
que, si j'y voulois entendre , U ne se donnât à moi
avec bien plus de joie qu'il n'auroit fait à Son Altesse
Royale. Je lui dis d'écrire à ses frères que je trouve-
rois du jour au lendemain de quoi payer la garnison et
récompenser Charlevoi, s'il vouloit sortir de la place ^
que je serois fort aise d'en être maîtresse.
Je trouvai la proposition la plus belle du monde
et la plus digne de moi-, cela m^auroit fait considérer
dans notre parti , et particulièrement à la cour , et
auroit servi dans un traité : j'y aurois mieux trouvé
mon compte ; outre que cela auroit contribué à mon
établissement, cela auroit obligé de plus le Roi à me
donner satisfaction sur beaucoup de démêlés que j'ai
avec lui, lorsque je lui aurois remis la place, pour
raison de la succession de feu M. le connétable
de Bourbon et mes prétentions sur Sedan , à cause du
testament de Robert de La Marck en faveur de M. de
Montpensier. Gomme je prétendois faire l'affaire sans
en rien dire à Monsieur qu'elle ne fût achevée , j'avois
peur que si je lui en eusse parlé, il ne s'en fût rendu
le maître. Je m'étois propesé que quand le sieur des
Brûles auroit réponse de ses frères 4 j'enverrois le
comte de Holac qui n'est pas loin de Brisac , lequel
demanderoit congé à Son Altesse Royale d'aller en
son pays , sous prétexte de quelque affaire pressée -,
que je lui donnerois le gouvernement de Brisac, et
que j'y mettrois une garnison de Suisses et d'Alle-
mands , et qu'après je verrois si j'y en mettrois d'au-
tres, et qu'il paroîtroit que le comte de Holac pen-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSft] 33 IL
dant son séjour en son pays auroit trouvé occasion
de s'en rendre maître et me Tauroit ensuite envoyé
offrir, et que je n'y aurois eu autre part. Voilà comme
j avoisprojeté l'affaire, qui manqua aussi bi^n que celle
de M. d'Hocquincourt, parce que Charlevoi avoit traité
avec la cour. Ainsi Son Altesse Royale , par son bon
ménage , avoit laissé échapper cette entreprise , que je
manquai de peu. L'argent ne me retiendra jamais dans
toutes mes actions : j'ai la volonté et le pouvoir de
le bien employer.
M. le prince fut quelque temps malade , et on ap-
prit que madame sa femme étoit accouchée d'un
fils. Je lui envoyai faire compliment : il me manda
qu'il n'y avoit pas sujet de se réjouir 5 que l'enfant ne
pouvoit vivre deux ou trois jours. Après on eut nou-
veUe que madame la princesse étoit à l'extrémité ;
cela réveilla fort les bruits passés de mon mariage
avec M. le prince. M. de Ghavigny eut grand démêlé
avec lui , et le même jour il tomba malade d'une ma-
ladie de laqueUe il mourut dix ou douze jours après.
Beaucoup ont cru que c'étoit de saisissement de ce
que M. le prince l'avoit gourmande ^ d'autres disoient
que c'étoit de déplaisir de ce que M. le prince n'avoit
plus de confiance en lui. Le jour qu'il agonisoit , la
comtesse de Fiesque donna une fête chez elle , fort
jolie ; il y eut un festin fort magnifique , la comédie
et les violons. Madame de Frontenac n'y vint point ,
parce-^e M. de Ghavigny étoit son proche parent.
Jamais fête ne fut plus ennuyeuse : M. le prince étoît
de mauvaise humeur, et M. de Lorraine aussi. Mon-
sieur n'y voulut pas demeurer ; madame de Ghâtillon
y vint étaler tous ses charmes , que M. le prince mé-
ii^ [l65ll] MKMOJRl!;5
prisa fort; il ne la regarda point, et même on disoit
que pendant sa maladie il lui ayoit fait refuser sa
porte toutes les fois qu'elle étoît venue pour le voir :
je n*en sais pas la vérité. Il étoit ce jour-là négligé au
dernier point : il avoit un justaucorps de velours , un
manteau par dessus; point poudré. Comme on lui
demanda où il vouloit manger, il répondit : a Je ne
tt prends que des bouillons ^ je suis encore malade ; »
se mit derrière moi durant la comédie , et il me di-
soit : c( Je servirai de capitaine des gardes à Mademoi-
« selle \ je ne veux pas me montrer pour n^ettre mon
u chapeau ; je suis vieux et malade, » Jamais on n'a
vu une plus jolie fête, et où Ton se soit plus ennuyé.
Pendant la maladie de M. le prince les ennemis
décampèrent, battirent aux champs, et partirent à la
vue de notre armée , sans que Ton se mît en devoir
de les charger : ce qui eût été fort à propos et assez
aisé , et assurément fort avantageux. Quand M. le
prince le sut, il fut dans la dernière colère ; il dit :
(( Il faudroit donner des brides àTavannes et à Vallon :
« ce sont des ânes. » On loua fort M. de Turenne de
cette retraite , et cette belle action ne surprit pas le
monde : c'est un fort grand capitaine , et celui de ce
temps-là qui est le plus vanté pour savoir bien prendre
son parti , et éviter de combattre quand il croit ne le
pouvoir faire avantageusemait. U fit marcher son
armée près de Melun , et prit Brie*Comte-Robert , où
nous avions une foible garnison. Dès lors on parla de
faire décamper notre armée , parce que la proximité
de Paris faisoit fort crier ; et quand celle des enne-
mis étoit en présence , on disoit que nous n'étions
aux portes de Paris que pour défendre la ville des
DE MADEMOISELLE DE MONTPEKSIER. [lÔSs] 333
mauvais desseins que les ennemis avoîent sur elle.
M. de Lorraine continuoit à ne bouger de chez
moi ; il avoît dans la tête de me marier avec Farchiduc,
et de faire en sorte que le roi d'Espagne lui donnât
les Pays-Bas. Il me disoit : a Vous serez la plus heu-
« reuse personne du monde •, il ne se mêlera de rien :
« il sera tout le jour avec les jësuites , ou à composer
« des vers et les mettre en musique-, et vous gouver-
n nerez. Je suis assuré que les Espagnols auront la
« dernière confiance en vous ; et la seule contrainte
u que vous aurez avec Farchiduc , c'est qu'il vous fera
(( voir des comédies en musique qui vous ennuieront,
<c parce que vous ne les aimez pas : sans cela elles
« sont assez divertissantes. C'est le meilleur homme
« du monde -, et sérieusement ne le voulez-vous pas
« bien? » Je lui répondis : « Je suis de ces gens qui
« veulent toujours leurs avantages , et la demeure de
« Flandre me plairoit assez. » Il me disoit : <( Il fera
« beau voir ce que nous ferons quand nous serons en
« Flandre. » Il y avoit deuï jours qu'il me disoit :
« Aujourd'hui je vous trouve bien éloignée de mon
« dessein. » Je lui répondis : <( C'est que se marier est
(c une si grande affaire, qu'on ne peut en entendre
« parler si souvent sans chagrin. » M. le prince n'a*
voit aucune part à ce dessein : il n'y avoit que M. de
Lorraine, madame de Frontenac et moi. Le jour du
départ de M. le prince et de M. de Lorraine arriva ;
ils vinrent tous deux le soir me dire adieu : ils té-
moignèrent être fort satisfaits des assurances que Son
Altesse Royale leur avoit données de ne point traiter
sans leur participation, et de ne les point abandon*
ner. Le dimanche au matin , jour de leur départ , M. le
334 [l65a] MÉMOIRES
prince dit à Prëfontaine, qui étoit allé prendre congé
de lui : « Allez-vous-en dire à Mademoiselle que je la
« supplie de ne point sortir ^ M. de Lorraine veut
« que nous allions recevoir ses commandemens. » Ils ^
y vinrent tous deux; je les entretins séparément , puis
tous deux ensemble. Us me dirent : « Son Altesse
a Royale vient de nous donner encore les dernières
(( assurances qu'il ne traitera point sans notre parti-
el cipation; qu'il ne souffrira point que les capitaines
« des quartiers aillent à Saint-Germain supplier le Roi
« d'y revenir, et qu'il fera son possible pour les 'en
« empêcher; de sorte que nous nous en allons contens.
a Tâchez à faire quelque action considérable le reste
(( de ce beau temps; puis quand nous aurons mis les
« tro.upes en quartier d'hiver, nous reviendrons aux
« bals et aux comédies, et prendre du plaisir, après
« toutes le» peines que nous aurons "^ues. »
Rien n'étoit si beau que de voir la grande allée des
Tuileries toute pleine de monde bien vêtu : tous les
habits étoient neufs, parce que ce jour-là on avoit
quitté le deuil de M. de Valois , et que c'étoit aussi
la saison d'avoir des habits neufs d'hiver. M. le prince
en avoit un fort joli , avec une petite oie de couleur
de feu , de For et de l'argent , et du noir sur du gris ,
et l'écharpe bleue à l'allemande , sous un justaucorps
qui n'étoit point boutonné. J'eus grand regret de les
voir partir : j'avoue que je pleurai lorsque je leur dis
adieu. M. de Lorraine me divertissoit fort ; ils me firent
entendre la messe à deux heures sonnées. Après leur
départ on se trouva si étonné de ne voir plus personne,
que cela donnoit de l'ennui ; et il fut bien augmenté
par le bruit qui courut que le Roi venoit , et que nous
DE MADEMOftELLE DE MONTPENSIeR. [iÔSs] 335
serions tous chassés. Je recevois tous les jours des
nouvelles de M. le prince et de M. de Lorraine , et
je leur en mandois de Paris. Monsieur me manda un
jour da'Uer me promener avec lui à cheval dans la
plaine de Grenelle \ je lui dis les mauvais bruits qui
couroient , et que Ton disoit que Ton me relégueroit
à Dombes : que cela ne me plaisoit guère ^ il m'assura
fort du contraire. Du côté de la cour on avoit .levé
tous les obstacles qui pouvoient empêcher le Roi d'être
agréablement reçu -, le cardinal Mazarin étoit retourné
en Allemagne. Les capitaines des quartiers furent man-
dés par le Roi , et donnèrent avis à Son Altesse Royale
qu'ils s'en alloient à Saint-Germain^ je m'en allai au
Luxembourg pour lui représenter ce qu'il avoit promis
à M. le prince et à M. de Lorraine. Je trouvai M. de
Rohan fort affairé -, il me dit : « 11 faut que Monsieur
a empêche cela. » Comme je lui en parlai , il me dit :
« Je n'ai rien promis à M. le prince ^ il est en état de
« traiter quand il voudra , et moi je suis ici tout seul
<( abandonné. » Cela ne me plut guère ^ je l'écrivis à
M. le prince.
Les capitaines des quartiers partirent pour Saint-
Germain. M. de Rohan me dit: n II faut que Monsieur
<i monte à cheval , et aille aux portes pour les empê-
<c cher d'entrer. » M. de Rohan envoya ses chevaux
l'attendre devant les Tuileries; il se démena fort, fit
grand bruit et peu de besogne. Le samedi au matin ,
comme je me coiffois, Sanguin, maître d'hôtel ordi-
naire du Roi , entra dans ma chambre , et me dit :
(( Voilà une lettre que le Roi m'a commandé de vous
te rendre. » EUe contenoit qu'il s'en alloità Paris;
qu'il n'avoit point d'autre logement à donner à Mon-
336 [l65îl] MÉMOIRES**
sieur son frère que les Tuileries ; qu'il me prioit d'en
déloger dès demain midi , et que, jusques à ce que
j'eusse trouvé un autre logis, je pouvois aller loger
dans la rue de Tournon chez Damville. Je dis à San-
guin que j'obéirois aux ordres du Roi , et que je m'en
atllois en rendre compte à Son Altesse Royale ^ qu'il
revînt l'après-dînée ; que je me donnerois l'honneur
de faire réponse à Sa Majesté.
Je m'en allai au Luxembourg, je trouvai Son Al-
tesse Royale fort étonnée ; je lui demandai ce que
j'avois à faire : il me dit d'obéir; J'envoyai chercher le
président Viole , etCroissy, conseiller au parlement,
k qui, à son départ, M. le prince m'avoit priée de
faire donner part de toutes les ail'aires, comme à ses
deux meilleurs amis, et en qui il avoit plus de con*-
fiance. Le président Viole me dit que le bruit couroit
que Son Altesse Royale étoit d'accord avec la cour,
et me montra les articles-, je lui dis : « Vous le con-
te noisscz, je ne réponds rien de lui. En quoi puis-je
« servir M. le prince ? C'est ce qu'il faut que nous
<( voyions. » Il fut d'avis que je pi'en allasse loger à
l'Arsenal, et que je ferois dépita la cour ; Croissy fut
du même avis. Je m'en allai le soir au Luxembourg ,
où je fis cette proposition à Monsieur ; il me dit qu'il
le trouvoit bon. Comme je revins chez moi, je trouvai
madame d'Epernon et madame de Châtillon qui m'at-
tendoient , et qui étoient fort affligées , aussi bien que
moi, de ce que je quittois les Tuileries, parce que
c'est le plus agréable logement du monde, et que
j'aimois fort, comme un lieu où j'avois demeuré toute
ma vie. Ces dames me demandèrent si j'irois chez
Damville; je leur dis que non, et que j'irois k l'Ar-
DK MADEMOISELLE DE MONTPEIiSIBR. [iÔSs] 33^
senal. Madame de Châtillon me dit : « Je ne sais pas
« qui vous a donne ce conseil : rien n'est plus mal à
« propos ni si inutile à M. le prince ; et si quelqu'un
(( de ses amis vous a donné ce conseil , je ne sais pas
« à quoi il a pense. » Je lui dis que c'étoient le pré-
sident Viole et Croissy. Elle me répliqua : « Quoi !
« feriez-vous des barricades en Fétat où sont les af-
« faires, et pourriez-vous tenir contre la cour ? Ne vous
(c mettez point cela dans la tête : songez seulement
« à votre retraite. Je vous avertis, comme votre ser-
« vante , que monsieur votre père a traité , qu'il est
u d'accord, et qu'il a dit qu'il ne répondoit point de
« vous, qu'il vous abandonnoitV »
Je la remerciai de son avis, que je trouvai de bonne
foi, et j'ordonnai à Préfontaine d'aller de grand matin
voir le président Viole et Croissy , et leur dire ce que
j'avois appris, et que sur cela il me paroissoitqueje
devois changer de résolution. Ils en convinrent. U y
eut quelques gens qui furent d'avis que j'allasse loger
^u palais Mazarin , parce que, pour m'en ôter, la cour
me donneroit quelque beau logement. Son Altesse
Royale ne fut point de cet avis, ni moi non plus. Je
voulus aller lo;;er en la maison de feu M. des Noyers,
secrétaire d'Etat , parce qu'elle étoit vide et commode,
qu'il y avoit une porte dans les Tuileries pour me
promener , et que mon écurie , où logeoient quasi
tous. mes gens, n'en étoit pas éloignée. Le fils de feu
M. des Noyers se trouva à la campagne avec toutes les
clefs-, je les envoyai quérir, et cependant je pris la
résolution d'aller coucher chez la comtesse de Fiesque
la jeune. Je fus voir le logis de M. d'Emery , que l'on
vouloit louer. Son Altesse Royale me vit dans cet em-
T. 4i* ^^
338 [l652] MÉMOIRES
barras de ne savoir où loger sans m'oflTrir une chambre
au Luxembourg ^ j'étois si peu accoutumée à recevoir
de lui des marques d'amitié , que je ne m'apercevois
pas qu il dût m'offrir un logement. Je m'en allai cou-
cher chez la comtesse de Fiesque , assez étourdie de
ce que je voyois. Le lendemain , comme je revenois
de la messe des Feuillans , où j'étois allée par les
Tuileries à pied , on me vint dire que Monsieur avoit
eu ordre de s'en aller. J'envoyai au Luxembourg, et
je lui écrivis un billet par un page , auquel il com-
manda de me dire que je ne savois ce quejedisois.
Madame de Châtillon entra comme je dinois, et que
mes violons jouoient-, elle me dit: « Avez-vous le
(( cœur d'entendre ces violons, pendant que Ton
« assure que nous serons tous chassés ? )> Je lui ré-
pondis : « Il faut attendre, et se résoudre. » Je ne
laissai pas ^de me faire coiffer , dans l'incertitude où
j'étois si je verrois la Reine. Après avoir vu madame
la princesse la venir voir à Bourg au sortir de Bor-
deaux , je trouvois qu'il n'y avoit pas de difficulté
pour. moi. Nous nous en allâmes chez madame de
Choisy, dont le logis a une fenêtre qui donne sur la
place du Louvre, pour voir passer le Roi. Il y avoit
un homme qui vendoit des lanternes pour mettre aux
fenêtres , comme l'on fait les jours de réjouissances, et
qui crioit : Lanternes à la rojale ! Je lui criai étourdi-
ment: « N'en avez-vous point à la Fronde?^) Madame
de Choisy me dit : a Vous me voulez faire assommer. »
Monsieur alla le matin au Palais assurer le parle-
ment qu'il n avoit point fait de traité , et qu'il ne se
sépareroit point des intérêts de la compagnie, et
qu'il périroit avec elle ; il parla à ces messieurs en ces
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l65a] 339
termes : la compagnie le remercia. Cëtoit le lundi
au matin. On nous vint dire que Son Altesse Royale
avoit ordre de s'en aller. Je m'en allai au plus vite
au Luxembourg. A mon entrée je trouvai M. de Rohan,
qui étoit accusé, et avec assez de raison, d'être bien
à la cour , et d'avoir abandonné les intérêts de M. le
prince , à qui il avoit assez d'obligation. Je lui en dis
mon sentiment assez vertement; puis j'entrai dans le
cabinet de Madame , où je trouvai Monsieur, à qui je
demandai s'il avoit ordre de s'en aller. Il me dit qu'il
n avoit point de compte à me rendre. Je lui répliquai :
c( Quoi ! vous abandonnez M. le prince et M. de Lor-
« raine! » Il me tint encore le même discours. Je le
suppliai de me dire si je serois chassée; il me dit qu'il
ne se mêloit point de ce qui me regardoit : que je
ra'étois si mal gouvernée avec la cour, qu'il déclaroit
qu'il ne se mêleroit point de mes intérêts, puisque je
n'avois pas cru ses conseils. Je pris la liberté de lui
dire : « Quand j'ai été à Orléans , ça été par votre
« ordre : je ne l'ai pas par écrit , parce que vous me
i( le commandâtes vous - même ; mais j'ai plusieurs
a lettres de Votre Altesse Royale plus obligeantes
n qu'il ne m'appartenoit , par où vous me témoi-
« gniez des sentimens de bonté et de tendresse qui
4( ne me faisoient pas croire pour lors que Votre Al-
« tesse Royale en dût user comme elle fait pré-
« sentement. » Là -dessus il me dit : a Ne croyez-
« vous pas, mademoiselle, que l'affaire de Saint-An-
« toine ne vous ait pas nui à la cour? Vous avez été
4t bien aise de faire l'héroïne, et que l'on vous ait dit
<( que vous l'étiez de notre parti , que vous l'aviez
« sauvé deux fois. Quoi qu'il vous arrive , vous vous
22
34o [1653] MÉMOIRBS
« en consolerez , quand vous vous souviendrez des
« louanges que l'on vous a données. » J'avoue que
j'ëtois dans un grand étonnement de le voir de cette
humeur. Je lui répondis : « Je ne crois pas vous avoir
« plus mal servi à la porte Saint-Antoine qu'à Orléans.
« Ces deux actions si reprochables, je les ai faites par
<i votre ordre-, si elles étoient à recommencer, je les
<( ferois encore , parce que mon devoir m'y oblige-
« roit. Je ne pouvois pas me dispenser de vous obéir
« et de vous servir. Si vous êtes malheureiix , il est
« juste que je partage votre disgrâce et votre mau-
« vaise fortune : quand je ne vous aurois pas servi ,
a je ne laisserois pas d'y participer. Ainsi, à mon sens,
« il vaut mieux avoir fait ce que j'ai fait , que de pâtir
« pour n'avoir rien fait. Je ne sais ce que c'est que
« d'être héroïne : je suis d'une naissance à ne jamais
« rien faire que de grand et d'élevé. On appellera
« cela comme on voudra ; pour moi , j'appelle cela
« suivre mon inclination et aller mon chemin ^ je suis
(( née à n'en pas prendre d'autres. »
Après que cette boutade de Son Altesse Royale fut
passée, il revint -, je le suppliai de me permettre de
loger au Luxembourg , ne jugeant pas à propos d'être
si près du Louvre , puisque je n'y allois plus. Il me
répondit : « Je n'ai point de logement. » Je lui ré-
pondis : c( Il n'y a personne ici qui ne me cède le sien ,
« et je pense que personne n'a plus de droit d'y loger
« que moi. » Il me repartit : <( Tous ceux qui y sont
« me sont nécessaires , et n'en délogeront point. —
« Puisque Son Altesse Royale ne le veut pas , lui dis-
t( je, je m'en vais loger à l'hôtel de Condé , où il n'y a
<c personne. » 11 me dit : w Je ne le veux pas. » Je lui
BB MADEMOISBLLS DB MOUTPBICSIBR. [l65a] ^4^
demandai où il vouloit que j'allasse. Il me répondit :
« Où vous voudrez ^ » et puis il s'en alla. Je m'en allai
aussi chez la comtesse de Fiesque, qui ëtoit au lit;
elle s'ëtoit blessée il n'y avoit que deux jours. Je lui
demandai si elle n avoit vu personne , et si elle n avoit
rien appris depuis que la cour étoit arrivée ; elle me
dit que les uns disoient que je serois chassée, les
autres que Ton me vouloit arrêter : ni l'un ni l'autre
de ces bruits ne me plurent. Sa vieille mère étoit jMré-
sente , qui me dit : « Je vois bien que sur cela vous
« voulez prendre quelque résolution; je suis vieille
« et malsaine , je ne veux point me brouiller à. la
<c cour. Adieu, je m'en vais à ma chambre , afin que
« si on me demande de vos nouvelles, je puisse dire
« en vérité que je n'en sais point. » Il resta avec nous
madame de Frontenac et Préfontaine y lequel me dit
qu'il ne voyoit pas quel sujet j'avois de m'inquiéter;
que pour m'arrêter, c'ëtoit une terreur panique ; que
cela ne seroit point sûrement ; et que pour me chas-
ser, le Roi étoit le maître, et qu'en quelque lieu que
je fusse , on me trouveroit bien pour me donner le*
ordres du Roi ; que d'être dans Paris cachée, je me-
nerois une vie assez incommode , et qu'il ne falloit
pas que des personnes de ma condition fissent des
mystères de rien et inutilement. Je lui répondis : « Je
« verrai ce que Monsieur fera , et je ne veux point
a coucher ici absolument. » La comtesse de Fiesque
me proposa d'aller coucher chez madame de Bonnelle,
qui est son intime amie ; je songeai que c'étoit une
joueuse, que son mari tient quelquefois table, que
c'étoit une maison où il alloit beaucoup de gens de la
«•ur : qu'ainsi on y seroit mal aisément caché. Ma-
34^ [l65a] MEMOIKES ^
dame de Frontenac me proposa la maison de madame
de Montmort , sa belle-sœur 5 que c'ëtoient des gens
retirés , qui ne voyoiént quasi personne , et que la
maison ëtoit fort grande : je trouvai cela fort à pro-
pos. Je m'en allai à ma chambre, je demandai mon
souper , et dis : « Que tout le monde sorte ! je veux
« écrire -, qu'il ne demeure que madame de Fronte-
c( nac , Préfontaine et Pajot, » qui ast une de mes fem-
mes de chambre. Comme la porte fut fermée, je sortis
par une autre, et nous montâmes tous quatre dans le
carrosse de Préfontaine. Nous allâmes droit chez ma-
dame de Montmort, qui n'y étoit pas^ elle] étoit allée
voir arriver le Roi avec madame de Beringhen. Nous
allâmes chez Choisy, qui étoit tout proche : Préfon-
taine descendit pour lui parler , et il n'y étoit pas. Le
président Viole, que j'avois envoyé chercher, arriva;
il se mit dans mon carrosse , et il étoit fort étonné
de tout ce qu'il voyoit , et de ne savoir ce que devien-
droit Monsieur. Je ne puis m'empêcher de décrire une
badinerie qui me fit assez rire, et dont je rirai bien
encore lorsque je verrai le président Viole. On avoit
fait une chanson qui disoit :
Messieurs de la noire cour ,
Rendez grâces à la guerre ;
Vous êtes dieux sur la terre ,
Et dansez au Luxembourg.
Petites gens de chicane ,
Tombera canne sur vous,
Et Ton verra madame Anne
Vous faire rouer de coups.
11 passa un petit garçon qui la chantoit. Tout d'un
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIÈR. [16S2] 34^
coup le président me dit : a Je vous assure que je ne
« puis m'empêcher dédire que je ne trouve pas cette
fc chanson de bon augure , et que je ne suis guère
(( aise de Tentendre. » Puis nous reprîmes notre con-
versation. Je lui promis de lui faire savoir le lende-
main de mes nouvelles , et je le chargeai de me man-
der ou de me venir dire ce qu'il appr endroit. Nous
retournâmes chez madame de Montmort; madame de
Frontenac entra la première: je demeurai dans le
carrosse. Un moment après on le fit entrer , et ma-
dame de Montmort me témoigna bien de la joie de la
confiance que j'avois en elle. Dès que j'y fus, je lui
demandai de quoi écrire ; elle me mena dans un fort
joli cabinet , où j'écrivis à M. le prince et à M. de Loi"-
raine ce qui se passoit , et le déplaisir que j'aurois s'il
falloit que je passasse inon hiver à la campagne. Je
regardois cela comme impossible, et je ne comprenois
pas que l'on y pût vivre : de sorte que je les priois de
faire des actions si extraordinaires qu'ils fussent en
état de faire la paix , afin que nous pussions passer
tout le carnaval à Paris avec bien de la joie. Je ne ren-
dis pas de bons offices à Son Altesse Royale auprès de
ces messieurs ; je leur mandai la vérité , qui ne lui
étoit pas avantageuse. Dans le moment que je leur
écrivois , j'étois dans le dessein de rester à Paris ca-
chée , et j'espérois qu'il arriveroit quelque moment
dans lequel je triompherois , et où je mettrois les af-
faires en un état de faire une paix avantageuse , parce
que j'étois fort lasse de la guerre. Préfontaine , à qui
je montrois mes lettres , me disoit : « Je suis au déses-
« poir que Votre Altesse Royale, qui a tant d'esprit,
« se repaisse d'idées si chimériques , et qu^elle n'ait
344 [l652] MÉMOIRES
K pas des pensées pins solides dans une conjoncture
a de laquelle dépend sa bonne ou sa mauvaise for-
« tune. )) Je lui dis : « Taisez-vous, vous ne savez
« ce que vous dites. » Je fermai mes lettres , et les
envoyai à un officier de M. le prince, qui devoit par-
tir le lendemain de grand matin. Madame de Montmort
me fit de grandes excuses de ce qu elle me donneroit
mal à souper ^ que tout le monde avoit soupe chez
elle^ que si on envoyoit à la ville, on s'apercevroit
qu'il y auroit quelqu'un d'extraordinaire. Je la priai
de n'y pas envoyer , et l'assurai que je serois fort con-
tente de ce que l'on me donneroit. J'allai souper d'une
très-bonne fricassée de viande froide , et de bonnes
confitures 5 je mangeai fort bien : cela me remit un
peu. Quelque belle résolution que je témoignasse
dans mes lettres, j'étois au désespoir de ce qui se
passoit, et je pense que M. le prince et M. de Lorraine
s'en aperçurent bien lorsqu'ils les lurent : je sais bien
que quand je les reins je pleurai fort. Le comte de
Holac n'avoit pas suivi M. le prince, à cause d'une
grande maladie qui lui survint dans le temps de son
départ -, je demandai à Monsieur ce qu'il lui plaisoit
qu'il fît. 11 me dit : « Qu'il se vienne loger proche de
« moi , et qu'il se tienne à Paris. »
Après avoir soupe chez madame de Montmort , je
me mis à chercher les lieux obscurs où je pourrois
demeurer, afin que le long séjour que je ferois en
chacun ne me put point faire découvrir. Préfontaine
me dit : « Vous ne songez pas, mademoiselle, que la
« vie sédentaire est fort contraire à votre santé, et
a que de ne bouger d'une chambre , où vous ne pren-
« drez point l'air, cela vous feroit mal. Voici une
•E MADEMOISELLE DE MONTPEiSSIEB. fltiSaj 34$
« saison dans laquelle vous êtes quasi toujours atta-
« quëe de votre mal de gorge ; si vous venez à tomber
« malade , il faudra bien vous découvrir : c'est pour-
ce quoi,, prenez vos mesures là-dessus^ vous n'êtes
« pas maîtresse de votre santé comme vous Têtes
<( de votre personne. » Je trouvai qu'il avoit raison ^
sur cela, madame de Frontenac me dit : « Si vous vou-
« lez aller à Pont-sur-Seine, madame de Bouthillier
« y est, qui aura la plus grande joie du monde de
« vous y recevoir: c'est un bon air, vpus y serez fort
« secrètement, et vous vous promènerez tant qu'il
« vous plaira. » Je trouvai sa proposition admirable :
je me résolus d'y aller. Je donnai charge à Préfontaine
de m'amencr tout ce qui é toit. nécessaire pour partir
le lendemain , et d'en faire avertir le comte de Holac ,
parce que de là il pouvoit facilement aller joindre
M. le prince. Je le chargeai de n'aller point aux Tui-
leries, et de ne rien dire à pas un de mes gens.
Le lendemain matin il me vint éveiller à huit heures
et demie, et me dit que Goulas venoit de lui écrire
un billet pour lui apprendre que Son Altesse Royale
étoit partie pour Limours; qu'elle luicommandoitde
l'aller trouver. Je l'envoyai^ il trouva Monsieur près
de Berny. 11 descendit du carrosse , et lui dit : « Je
« vous ai envoyé quérir afin que vous disiez à ma
« fille, de ma part, qu'elle s'en aille au Bois-le-
« Vicomte, et qu'elle ne s'amuse point aux espé-
« rances que M. de Beaufort, madame de Montbazon
« et madame de Bonnelle lui pourroient donner, de
« servir M. le prince par quelque action considérable -,
« il n'y a plus rien à faire. Vous savez que je suisplus
<( aime et plus considéré qu'elle : néanmoins on m\i
346 [iGSa] MÉMOIRES
« vu partir sans me rien dire -, c'est pourquoi elle ne
(c se doit attendre à rien: il faut qu'elle s'en aille. »
Prëfontaine lui dit : « L'intention de Mademoiselle
« est de suivre Vptre Altesse Royale , et de ne la
« point quitter, ou de demeurer auprès de Madame.
<( Quand la bienséance n'y seroit pas , Votre Altesse
« Royale considérera, s'il lui plaît, que Bois-le-Vi-
c( comte est une maison au milieu de la campagne ,
c( et que les armées sont tout autour, qui pillent ce
c( qui passe. Ainsi les pourvoyeurs de Mademoiselle
« seront tous les jours pillés, et il n'y a pas plaisir,
« dans la conjoncture présente, de dépendre à tout
« moment de ces messieurs les généraux. De plus,
« la bonté de Mademoiselle a fait qu'elle a permis
(t pendant cette guerre à quantité de gens de se re-
a tirer dans ce château , où il y a plusieurs malades ;
« de sorte qu'il faudroitun longtemps pour ôter Fin-
ce fection qui y est. » Monsieur lui répondit : « Je ne
(( veux point qu'elle vienne avec moi, ni qu'elle aille
« avec Madame; elle est prête d'accoucher : ma fille
« l'importuneroit. Pour Bois-le- Vicomte , si elle ne
« veut pas y aller, qu'elle aille en quelqu'une de ses
« autres maisons. » Préfontaine le pressa de me per-
mettre de l'aller trouver , et lui dit même : « Quelque
<( défense que Votre Altesse Royale lui en fasse, je
« crois qu'elle ne laissera pas d'y aller; elle ne sou-
« haite rien avec tant de passion que d'être auprès
« de Votre Altesse Royale. » 11 se mit en colère, et
lui dit : « Non , je ne la veux pas ; et si elle y vient ,
« je l'en chasserai. » Prëfontaine alla à M. de Rohan,
qui étoit à sa suite , pour le prier de demander cette
permission à Monsieur ; jams^is il ne voulut : ce qui
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [lÔSîJ 347
me fâcha fort lorsque Prëfontaine me le dit. Aussi il
m'étoit bien sensible de me voir abandonner dans
une disgrâce de celui qui en ëtoit la cause. Le refus
du logement au Luxembourg me revint alors dans
l'esprit, et je ne Tai pu oublier dépuis.*
Holac me vint trouver, en grande inquiétude de ce
que Monsieur ëtoit paiti sans me dire adieu : il fut
fort console de me trouver. Je lui donnai rendez-
vous à la halle de Saint-Antoine -, je le chargeai d'en-
voyer dans tous les logis garnis où il sauroit que tous
les officiers de M. le prince avoient accoutume de
loger, pour les amener, afin qu'ils sortissent de Paris
avec moi. J'avois une honte et une douleur incroyable
que Son Altesse Royale les eût laisses exposes, et il me
sembloit que les soins que j'en prenois excusoient en
quelque manière sa négligence. Je reçus ce jour-là
vingt billets d'écritures différentes, qui s'adressoient
à la comtesse de Fiesque , et qu'elle m'envoyoit pour
me donner avis que l'on me vouloit arrêter , et que
l'on enverroit des compagnies des gardes investir la
maison où Ton croyoit que j'étois , de peur que je ne
me sauvasse.
J'envoyai avertir le président Viole du dessein que
j'avois de partir, et de l'heure résolue pour cela; il
me manda qu'il ne pouvoit venir avec moi. Croissy
me vint voir , qui trouva la résolution que j'avois
prise fort bonne. J'avois envoyé Prëfontaine à la ville
pour apprendre des nouvelles. A son retour, il me
trouva fort alarmée de ces billets que la comtesse de
Fiesque m'avoit envoyés ; il trouva que tout cela n'a-
voit aucun fondement , et fit tout ce qu'il put pour
me faire changer mon voyage de Pont en celui de
348 [l65îi] MÉMOIRES
Bois-le- Vicomte. Il me disoit qu'il n'y avoit rien k
craindre pour ma liberté-, que de m'éloigner sans
ordre, c'éloit donner des marques de mes respects
qui seroient agréables à Leurs Majestés -, qu'il n'y
avoit que quatre lieues de Paris à Bois-le- Vicomte;
que les gens de la cour me viendroient voir 5 que
Ton se raccoutumeroit à moi ; que lorsque l'on en-
tendroit parler souvent de ma bonne conduite, il y
auroit cent occasions qui me pourroient faire aller et
venir à Paris ; qu'après y avoir fait quelques voyages
sans témoigner d'affectation d'y être , à la fin on trou-
veroit bon que j'y demeurasse. Il me représenta le
mieux qu'il put tout ce qu'il croyoit être obligé de
me dire, comme un bon et fidèle serviteur; et c'est
quelquefois ceux que l'on croit le moins. Je me fâchai
contre lui , et lui dis que s'il avoit envie de ne pas
s'éloigner de Paris , je lui permettois d'y demeurer,
et que je me passerois bien de lui. Il me dit qu'il se
tairoit , et me suivroit au bout du monde si j'y allois ,
et que je le lui voulusse permettre. Il s'en alla en-
suite à son logis.
Le lendemain je m'éveillai fort matin, avec unt
grande impatience d'être hors de Paris. Préfontaine
ne vint qu'à neuf heures; je le grondai horriblement.
Quand je lui eus dit tout ce que j'avois à lui dire, il me
dit : u Encore ne pouvez-vous ni ne devez pas sortir
c( de Paris sans un sou ; je viens de chercher de l'ar-
ec gent comme vous me l'aviez ordonné; j'ai donné
« tous les ordres nécessaires pour faire partir votre
a maison. Après cela, mademoiselle , je ne pense pas
(( méi'iter d'être grondé pour m'être rendu ici un
(( quart -d'heure plus tard que vous ne souhaitiez, n
I»I MiDSMOISELLE DE MONTPENSIER. [l652] 34}
Je me rendis à toutes ses raisons ^ je montai dans un
carrosse sans armes, que madame de Montmort me
prêta, avec deux chevaux et un qpcher à moi vêtu de
gris, et quelques uns de mes valets de pied habilles
de même, un laquais de Préfontarne et un de ma-
dame de Frontenac , laquelle se mit dans le carrosse
avec moi, une demoiselle à elle, deux de mes fem-
mes de chambre, et Préfontaine.
A la halle du faubourg Saint-Antoine , où étoit le
rendez-vous , je trouvai mes quatre autres chevaux ;
un gentilhomme à moi nommé Lj Guérinière, qui est
un de mes maîtres d'hôtel, et qui étoit pour lor* en
quartier 5 un écuyer fort étourdi, que je ne voulus pas
mener pour cette raison. Il y avoit encore un gentil-
homme de M. de Frontenac qui est un fort honnête
homme: j'avois voulu qu'il vîut avec moi. Nous ne
trouvâmes point le comte de Holac : cela me mit fort
en inquiétude. Préfontaine vit un cavalier avec un
justaucorps rouge; il s'imagina qu'il étoit au comte
de Holac : il l'appela en allemand , et lui demanda où
il étoit ; il lui répondit qu'il l'a voit vu le matin, et qu'il
lui avoit dit qu'il seroit là à neuf heures. On l'envoya
à la porte pour voir s'il ne venoit point ; il vint dire
que non. Nous nous en allâmes au petit pas. Gomme
nous fûmes à Picpus, Préfontaine, qui me voyoit en
inquiétude , s'en alla le chercher et monta à cheval.
Comme j'étois au pont de Charonne , il arriva fort fa-
tigué \ il n'avoit quasi pas la force de se soutenir. Il
monta en carrosse.
Dès que j'eus passé la rivière de Marne, je ne son-
geai plus à Paris ; je me sentis toute résolue à faire
tout ce que le destin voudroit de moi. Nous trouvâmes
35o [lÔSaJ MÉMOIRES
quantité de cavaliers de la garnison de Melun , qui ne
nous dirent mot. Nous fimes repaître nos chevaux à
Brie-Comte-Robert^ dtos une hôtellerie hors de la
ville : rhôte nous dit beaucoup de mal des troupes des
princes; nous renchérîmes là-dessus. Comme nous
allions manger de la viande qui étoitdans le carrosse,
on nous vint dire que Ton entendoit sonner une cloche :
ce qui nous alarma. Nous demandâmes ce que c'étoit :
Thôtesse nous dit que Ton sonnoit cette cloche quand il
arrivoit des carrosses ou des cavaliers; la peur nous prit:
nous nous en aUâmes, et achevâmes notre dîner dans
le carrosse. Nous arrivâmes à une heure de nuit à une
maisonde madame de Bouthillier qui s'appelle TEpine,
où nous étions en sûreté , parce qu'elle est fossoyée.
Madame de Frontenac dit au concierge : « C'est une
« dame de mes amies qui est avec moi ; qu'on lui accom-
« mode une chambre. » Nous soupâmes fort bien de
notredîner -, il en resta pour faire des grillades. Comme
madame de Bouthillier a des ménageries par toutes ses
maisons, nous fîmes des fricassées de poulets et de
pigeons -, il étoit trop tard pour en faire rôtir. Nous
devions partir de grand matin ; on en rôtit toute la nuit
pour le lendemain. Il y avoit des fromages admirables;
jamais je n'ai tant mangé. Je fis manger mes femmes
avec i^oi, le comte de Holac et mes gens. Ils étoient
si étonnés de se voir ainsi à table avec moi , que pour
peu que ceux qui nous servoient eussent été habiles ,
ils eussent aisément reconnu que c'étoit une farce.
Nous avions pris chacun un nom : nous nous appe-
lions mon frère, ma sœur, mon cousin et ma cousine.
Cette plaisanterie nous réjouit quelques jours.
J'envoyai de là La Guérinière trouver M. le prince
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [lÔSs] 35 1
et M. de Lorraine, pour leur donner avis de la manière
dont j'étois sortie de Paris , et comme Monsieur en
avoit usé pour moi; et que je m'en allois à Pont, où
j'attendrois de leurs nouvelles devant que de m'en aller
dans des provinces plus'ëloignëes. Je partis le lende-
main de bon matin , sans rencontrer personne qu'à
Provins. Comme j'étois descendue à une montagne, il
passa l'enseigne des gendarmes de la Reine qui nous
salua , comme on fait ordinairement des dames qui
ont l'air de qualité ; et après être passé il se retourna
et nous regarda, et ensuite fit quantité de révérences
bien basses. Je me tins droite, pour ne pas faire con-
noitre que je croyois que ce fût à moi. Nous allâmes
faire repaître nos chevaux à un village à deux lieues
de là. Lorsque j'arrivai , je mis pied à terre , et j'entrai
dans la cuisine du logis, où il y avoit un jacobin qui
étoit à table -, et comme il n'avoit point son manteau
noir et qu'il étoit vêtu de blanc, je ne savois de quel
ordre il étoit. Je le lui demandai; il me dit: «Vous êtes
m bien curieuse. » Je lui répondis que ma curiosité
étoit raisonnable ; sur quoi il me dit : a Je suis jaco-
<( bin. » Je lui demandai d'où il venoit ; il me dit :
« De Nancy.» Il voulut savoiraussid'où je venois^jelui
dis : « De Paris. » Je m'informai de lui quelle nouvelle
on disoit de Lorraine , et particulièrement de M. de
Lorraine, et si on l'aimoit bien ; il me dit que oui, et
que c'étoit un brave prince. Il me demanda ensuite si
les nouvelles qu'il avoit apprises à Troyes du retour
du Roi à Paris étoient véritables -, je lui dis que oui ,
et qu'il étoit arrivé depuis deux jours, et que M. le
duc d'Orléans et Mademoiselle s'en étoient allés. Il me
dit : « J'en suis fâché ; Monsieur est un bon homme,
35*% [l652] MÉMOIRES
et Mademoiselle une brave fille ; elle porteroit aussi
bien une pique qu'un masque : elle a du courage. Il
me demanda : w Ne la connoissez-vous point ? » Je lui
répondis que non. a Quoi l ne savez-vous pas qu'elle
a a sauté les murailles d'Orléans pour y entrer , et
« qu'elle a sauvé la vie à M. le prince à la porte Saint-
ce Antoine? »> Je lui dis que j'en avois entendu parler.
Il me demanda si je ne l'avois jamais vue -, je lui dis que
non. Il se mit à me dépeindre , et me dit : a C'est une
<( grande fille de belle taille, grande comme vous ,
« assez belle ^ elle a le visage assez long, le nez grand ;
« je ne sais pas si vous lui ressemblez autant de visage
« que de taille ^ si vous ôtiez votre masque, je le ver-
u rois. » Je lui dis que je ne le pouvois pas ôter; que
j'avois eu la petite vérole depuis peu , et que j'en étois
encore rouge. Je lui demandai s'il av oit autrefois parlé
à elle -, il me dit : a Mille fois 5 je la reconnoîtrois entre
(( cent personnes. Je lavoyoisauxFeuillans où elle en-
« tendoit la messe, et en notre maison de Saint-Honoré
« où elle venoit presque tous les premiers dimanches
« du mois avec la Keine^ et je connois son aumônier. »
Je lui demandai si elle étoitdévote : il me dit que non ;
qu'il lui prit une fois envie de letre , mais qu'elle s'en
ennuya , et que cela s'étoit passé ^ elle s'y étoit prise
trop violemment pour que cela pût durer. Je lui
demandai s'il connoissoit sa belle-mère ^ il me dit
que oui ^ qu'elle étoit de ces saintes qu'on ne fête
point. ((.C'est une femme, dit-il , qui est toujours dans
(( une chaise , qui ne fait pas un pas , et qui est une
a vraie cendreuse ^ pour Mademoiselle , elle a de Tes-
<i prit et va vite ^ il y a bien de la différence entre elles.
« Et vous, madame, qui me questionnez tant, qui
DE MADEMOISELLE DE MONTFENSIER. [l65a] 353'
%L êtes-vous ? » Je lui dis que j!éiois la veuved'un gen-
tilhomme de Sologne -, que ma maison avoit été pillée
par l'armée lorsqu'elle avoit passé en ce pays^là ; que
j'étois retirée pour lors à Orléans , d'où j'avois été assez
malheureuse de sortir le jour que MademoiseUe y ar-
riva j et ma belle-sœur qu'il voyoit avec moi. Il me dit :
c( Si vous venez jamais à Paris , venez nous voir dans
a notre couvent de Saint-Honoré. » Je lui dis que
j'étois de la religion. Il voulut me convertir-, je lui ré-
pondis que c'étoit une affaire trop sérieuse pour la
traiter à. la passade*, que j'espérois d'aller l'hiver à
Paris; qu'alors nous parlerions de controverse. Il me
dit son nom, et je l'ai oublié; puis nous nous séparâmes.
Comme il partoit , il se plaignit d'être las -, je lui de-
mandai si les jacobins n'alloient point à cheval ou
dans>des coches, Jl tne dit que oui , et que lorsqu'il
étoit parti 'de Troyes il avoit voulu se mettre dans le
'coche ; que le cocher avoit été trop cher, qu'il s'étoit
dépité-; que depuis il l'avoit trouvé par le chemin, qui
n'avoit personne ; qu'il l'avbit prié de s'y mettre pour
rien ; qu'il ne l'avoit pas voulu , et qu'il avoit du 'cœur ;
que l'habit qu'il portoit n'empéchoit pas que Ton ne
sentît le bien ou le mal.
Cette aventure me réjouit fort , et me fit bien au-
gurer de la suite de mon voyage. Nous arrivâmes de
nuit à Pont : madame de Bouthillier eut beaucoup de
joie de me voir ; j'étois la seule de ses amies qu'elle eût
vuedepuis la mort de M. deChavigny son fils , qu'elle?
aimoit tendrement ; elle n'avoit jamais eu que lui. Je
me trouvai en ce lieu-là en grand repos : c'est une
maison , comme j'ai déjà dit , où l'on fait grande chère
et Je plus proprement du monde. Personne ne m'y
T. 4^» ^^
354 [l65a] MÉMOIRES
connoîssoit, quune demoiselle de madame de Bou-
Ihillier et quelques anciens domestiques : le reste me
prit pour madame Duprë. Il y vint une dame des
bonnes amies de madame de Bouthillier , nommée
madame de Marsilly \ elle étoit si accoutumée à la
maison, que si on la lui eût reiusée , elle eût cru qu'il
y auroit eu du mystère *, ain^i on la reçut. Elle arriva
comme jMtois au jardin^ on me vint avertir-, je nen
revins point qu il ne fût nuit, et je montai à macham-
bre. Madame de Bouthillier dit à cette dame : « De-
« puis quelques jours je me suis trouvée mal ; je soupe
a et je me couche de bonne heure. >x Elle la fit sou-
per à six heures et coucher à sept ou huit , et puis
on renferma dans sa chambre. Après Fon mena ses
gens loger dans la basse-cour ; et comme ils s'y pro-
menoient, ils virent, par les fenêtres de la cuisine qui
regardent dans le fossé , que Ton apprétoit un autre
souper : ils le dirent le matin à leur maîtresse , la-*
quelle poussée de curiosité dit à madame de Bon-*
thillier : « Qu'est-ce qu'il y a eu ici cette nuit? L'on
(( m'a dit que l'on ne s'est point couché à la cuisine ,
d. et que l'on a apprêté à* manger : est-ce qu'il vous
(t dpit venir compagnie ? » Madame de Bouthillier dit
qu'elle n'en savoit rien , et la fit partir le plus tôt qu'il
lui fut possible.
J'allai à une foire à deux lieues de là, où personne
ne me connut*, on donna la collation à madame de
Frontenac qui étoit fort connue en ce pays-là , et on
ypuloit m'obliger à ôter mon masque pour manger \ je
m'en excusois, sur ce que j'avois eu la petite vérole
depuis peu. Quand M. le comte de Holac se porta
mieux , il partit pour aller trouver M. le pnnoe; je le
DE MADEMOISELLK D£ M01«TPENS1E11. [l65l] 355
priai , quand les troupes de Son Altesse Royale reviea-
droient , de garder son régiment : je ne doutois pas
qu'il ne demeurât avec ma compagnie de gendarmes f
qu'il commandoit. Je le chargeai aussi de dire au
comte d'Escars de demeurer , quelque ordre que je
lui pusse envoyer 9 aussi bien qu'au comte de Holac ^
de revenir , parce que peut-être m'obligeroit-on de
le leur ordonner : comme je serois forcée aie faire;
qu'ils m'obligeroient en cela de ne point exécuter
mes ordres, et de demeurer auprès de M. la prince;
que si je changeois d'avis, je trouverois bien le moyen
de le leur faire savoir.
On étoit en peine de savoir où j'étois à Paris aussi
bien qu'à Blois. J'avois écrit une lettre à Son Altesse
Royale à mon départ de Paris; je hii mandois que
puisque j'étois assez malheureuse pour qu'il ne me
voulût pas souffrir auprès de lui, je m'en allois en un
lieu de sûreté , chez une personne de condition de
mes amies , attendre ce que deviendroient les affaires /
et que je croyois qu'après m'avoir dénié sa protec-
tion , il ne trouveroit pas mauvais que j'en cherchasse
parmi mes proches et mes amis. J'étois bien aise de
mettre cela pour lui donner de l'inquiétude et du
soupçon ; je croyois bien que^, par ces mots de proches
et d'amis , il seroit persuadé que je youlois parler de
M. le prince et de M. de Lorraine. Madame la comtesse
de Fiesque , qui se doutoit bien que je n'irois pas à
Bois-le- Vicomte , ne bougea de Paris, et disoit à tout
le monde que j'étois allée en Flandre y et sur cda tne
dauboit comme il falloit, au lieu de m'excnser. On
tint beaucoup de discours sur ce prétendu voyage.
J'appris un accident qui étoit arrivé lorsque mon
s3.
356 [l652] MÉMOIRES
train s'en alla à Bois-le- Vicomte , (fxi me donna quel*-
ques jours de l'inquiétude-, quatre ou cinq soldats
vinrent attaquer le carrosse de Prëfontâine , qui sui-
voitles miens : il sembloit que cela le dût garantir de
toute aventure 5 néanmoins la sottise d'un de mes
gens fut cause qu'il fut pillé. Au premier coup que
Ton tira, tous mes gens prirent la fuite 5 il n'y eut
qu'un page et un valet de chambre qui tâchèrent à
le secourir, et ce fut inutilement. Dans ce carrosse
ëtoient toutes les caésettes de Prëfontâine , avec mes
papiers les plus importans : te qui in'inquiëtoit le
plus, c'étoit une certaine Viede madame deFouque-
roUes (0 que j'avois faite , un Royauihe de la Lune,
des vers de madame de Frontenac , et des papiers
de cette conséquence. Je voulois envoyer un courrier
exprès à messieurs de Turenne et de La Ferté pour
les avoir-, Préfontaine étoit en colère de ce que je ne
regrettois que cela. Deux jodrs après, nous eûmes
nouvelles que par les soins et les diligences des gens
de Prëfontâine on lui avoit rendu ses chevaux , qui se
trouvèrent encore à l'armée entre les mains des vo-
leurs -, ils avoient laissé tous mes papiers dans les cas-
settes, et s'étoient contentés de prendre de l'argent,
le linge et les habits de Prëfontâine , dont je ne me
souciois guère, dès que j'eus les papiers qui me te-
noient au cœur. Pour lui, qui aimoit mieux le sérieux ,
(1) Urie certaine f^ie de madame de Fouquerolles ; 11 est vraisem-
blable «jue cet ouvrage étoit le même que celui dont nous avons cité tin
fragment dans la note de la page 1 14, tome i^r. Mademoiselle, qui avoit
eu beaucoup & se plaindre de madame de FouqucroUes , sVtoit proba«
blement amusée Si la peindre dans des Mémoires oii elle la faisoit parler
elle-même.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSa] 357
il auroit fort plaint son argent , si Ton n eût recouvré
que ceux-là.
L'on vint avertir madame de Bouthillier qu'il avoit
couché un exempt à TEpine (c'est une petite maison
sur le chemin de Paris), lequel me cherchoit. Cette
nouvelle m'effraya ; j'avois encore dans la tête que
l'on me vouloit arrêter. Madame de Bouthillier, qui
s'en aperçut, me dit : « Voyez si vous voulez aller à
« Fougeon : c'est un petit château fossoyé, à une
« demi-lieue de Pt)nt; si on vous vient chercher, je
« dirai que je ne sais où vous êtes. Si vous voulez
« aller plus loin, j'ai deux fermes, où il y a deux
« chambres logeables dans chacune ^ si vou^ voulez
« passer l'eau , il y aura toujours un bateau pour aller
c( en Brie. » Préfontaine arriva là-dessus*, il ne s'ef-
frayoit pas aisément, il me dit : a Vous ne sauriez
« courir si vite qu'on ne vous attrape 5 si vous vous
c( retirez dans d'autres maisons de madame Bouthil-
(( lier, vous la brouillerez avec la cour; quand elle
(( dira qu'elle ne sait pas où vous êtes, ce seroit abu-
« ser de la bonté qu'elle a pour Votre Altesse Royale :
(( aiiisi je suis d'avis que vous attendiez patiemment
« pour voir ce que l'on vous dira. » Une heure après
je reçus des lettres par lesquelles on me mandoit que
Dominique me venoit chercher de la part de Son
Altesse Royale : cela me rassura fort. Un moment
après , je m'en allai me promener au devant de lui ;
c'étoit un garçon que j'avois vu à Orléans , et sur qui
j'avois autant de pouvoir que son maître. Il me donna
une lettre de Son Altesse Royale assez aigre, par la-
quelle il me mandoit que je devois m'en aller en quel-
cju'une de mes maisons. Je lui fis réponse, et je lui
358 [l659] MÉMOIRES
mandai que c'ëtoit mon intention , et que j'ëtois bien
heureuse qu'elle fut conforme à ses ordres.
La Guérinière revint; il m'apporta une lettre de
M. le prince, la plus obligeante du monde, paria-
quelle il m'offrit tout ce qui dëpendoit de lui, et au
surplus il remit le reste à La Guérinière. Il étoit d'avis
que je me retirasse dans un château qui ëtoit à ma-
dame de Guise , nomme Encerville , qui est sur la
frontière, à deux ou trois lieues de Stenay, et qu'il
m'y viendroit voir souvent avec M. de Lorraine ; que
ti j'avois besoin de troupes pour me garder, ils m'en
donneroient; que je ne devois faire aucune difficulté
d'aller en ce lieu-là plutôt qu'en une de mes maisons ,
parce qu'il n'y avôit aucune sûreté pour moi au milieu
de la France, après ce qui s' étoit passé; que ce châ-
teau appartenoit à ma grand^mère , et que personne
ne pouvoit trouver à redire que j'y allasse : je ne fus
pas de cet avis. La Guérinière me conta comment
M. le prince et M. de Lorraine Favoient reçu, avec la
plus grande joie du monde d'apprendre de mes nou-
velles; qu'il étoit arrivé le matin comme ils s'en al-
loient dîner chez la comtesse de Fuensaldague ; qu'ils
lui avoient dit : « Ne vous informez pas chez qui nous
a vous menons dîner : suivez-nous seulement. » Ils
burent fort à ma santé. Le comte de Fuensaldague
lui dit qu'il le prioit de m'assurer du profond respect
qu'il avoit pour moi, et qu'il ne m'osoit rien offrir;
qu'il me supplioit de croire que j'étois la maîtresse en
Flandre, et que le Roi son maître le désavoueroit
s'il en usoit autrement; qu'il s'en alloit au conseil avec
M. le prince et M. de Lorraine pour délibérer ce qu'il
y auroit à faire pour le dépécher. Comme ils en sor-
DE MADEMOISELLE DE MONTF£I«SIER. [l65aj 359
tirent, M. ]e prince lui dit : « Je n'écrirai pas par vous ,
c< j'enverrai Saint-Mars ( c'étoit son premier gentil*
et homme de la chambre ) à Mademoiselle. »
La Guërinière arriva, charmé de la manière dont il
avoit ouï parler de moi à tout le monde. Le lende--
main Saint-Mars arriva ; il dit à madame de Bouthilli^
que c'étoit un capitaine du régiment de mon père ,
afin que si on lui reprochoit qu'elle avoit reçu un des
gens de M. le prince, elle pût dire qu'elle n'en avoit
point vu; elle sut néanmoins ce qu'il étoit; il me
donna la lettre que voici :
<( J'ai reçu par La Guérinière la lettre que vous^
m'avez fait l'honneur de m'écrire ; je crois que vous
ne doutez point du sensible déplaisir que j'ai de ce
qai est arrivé à Paris : la plus grande peine que j'ai ,
c'est de voir l'état où vous êtes. S'il ne falloit que ma
vie pour vous en tirer, je vous l'offre de tout mon
cœur; cependant je vous offre mes places et mon ar-
mée ; M. de Lorraine en fait de même , et M. le comte
de Fuensaldague aussi. J'ai chargé Saint-Mars devons,
dire tous mes sentimens , et de recevoir vos ordres; ,
que j'exécuterai fidèlement , y allât-il de la perte de
ma vie. Je vous supplie de le croire , et que je suis
absolument à vous. Ce 26 octobre i652. »
.Et de l'autre côté de la lettre il y avoit de sa main :
(( 11 est ordonné aux sieurs comtes de Bouteville ,
de Meille et de Chamilly d'obéir aux ordres de Made-
moiselle comme aux miens propres.
« Louis DE Bourbon. »
Je fus fort contente de cette lettre , et fort surprise
3(}0 [1652] MÉMOIRES
de Tordre, qui y étoit joint; ensuite nous allâmes dî-
aer. Saint-Mar$ étoit le plus étonné du monde dé se
voir à table avec moi ; et à tout moment, au lieu de me
'parler de Paris, d'où il m'avoit dit qu'il venoit , il me
parloit de l'armée. Cela étoit assez plaisant : madame
de Bouthillier ne faisoit pas semblant de l'entendre.
Après dîner, je m'en allai l'entretenir-, il commença
par me faire mille assurances des services de M. le
prince et du comte de Fuensaldague , du déplaisir
qu'il avoit de ce que j'étois sortie, et de la conduite
que Son Altesse Royale avoit tenue à mon égard et au
sien. Ce chapitre étoit assez ample pour une longue
conversation: je lui en contai une que Son Altesse
Royale avoit faite , qui me sembloit bien digne d'elle ;
elle avoit demandé un passe-port pour s'en aUer à
Limours , comme si une personne de sa qualité ne
passoit paii partout , particulièrement après avoir pris
l'amnistie ! Ce passe-port étoit daté du samedi ; le lundi
suivant il alla faire tant de belles protestations d'a-
mitié au parlement de le protéger et assister. Saint-
Mars disoit qu'il ne comprenoit pas comme Son Altesse
Royale avoit quitté Paris , et que la cour ne l'en auroit
pu chasser.' Je lui dis ce que Son Altesse Royale
m'avoit mandé par Préfontaine , et ce que j'avois ap-
pris que l'on disoit dans le monde : qu'à l'approche
du Roi il avoit envoyé plusieurs personnes, et entre
autres Damvillè , demander au Roi , qui étoit déjà au
Cours, permission de demeurer dans sa maison, et
qu'on le lui avoit refusé,; que M. de Turenne avoit dit
au Roi et à la Reine : « 11 y va de votre autorité de le
« faire sortir de Paris; et s'il ne le veut de bon gré,
« il faut le lui faire faire de force , quand Votre Ma-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIEll. [lÔSa] 36l
« jesté devroit elle-même ajler au. palais d'Orléatis
« avec son régiment des Gardes. » Celte rigoureuse
réponse alarma tellement Son Altesse Royale, qu'elle
délogea avec beaucoup de diligence. Je lui dis : « Pén-
a dantque je suis sur ce chapitre des manquèmena de
« mes proches envers M. le prince, parlons de M. de
a Guise, tu II alla au devant du Roi à Saint-Germain, et
le lendemain que le parlement s'assembla au Louvre il
y alla prendre sa place , et fut présent à tout ce qui s'y
passa contre tout le monde. Ces circonstances sont
écrites en tant de lieux, qu'il n'est pas à propos de l^si^
mettre ici.
M. de Guise (O.étoit, prisonnier en Espagne, gardé
d'une manière qu'il n'en fut jamais sorti. M. le prince,
sans aucune habitude avec lui, par pure générosité, le
demanda aux Espagnols au lieu des sommes consi-
dérables qu'ils lui dévoient; le roi d'Espagne le lui
accorda; il revint à Paris, et deux jours après qu'il
y fut il en usa comme j'ai dit. Saint-Mars , qui savoit
mieux que personne les obligations qu'il avoit à M. le
prince, en étoit aussi plus étonné qu'un autre; puis
nous passâmes àtnon sujet. 11 me dit que M, le prince
étoit d'avis que je m'en allasse à Honûeur, port de
mer en Normandie qui est à moi , et que si je ne
trouvois pas la place en bon état , sous prétexte de m'y
loger et de faire ajuster la maison , je la feroîs fortifier ;
• que M. de Longueville, qui ne s'étoit point encore
déclaré , se déclareroit , si la cour trouvoit mauvais
que j'y fusse. Je lui dis : « Voilà un beau dessein ;
« Honfleur est en fort mauvais état , et quelque pré-
(i) ilf. de Guise : 11 s^igit du duc de Guise qui avoit ctc fait prisonnier
par les Espagnols , après s^étre mis a la tétc do la rc'voltcdes Napolitains.
363 [l652] MÉMOIRES
« texte que je prenne de m y loger, il y a bien de ia
tt différence entre une cloison dé sapin pour faire une
« alçove, et un bastion. Si la cour le trouvoit mauvais,
« et qu elle vint attaquer la place , je ne serois point
« en état de m'y défendre ; $i j'en fortifie la garnison ,
« c'est me déclarer: il n'y a que trois ou quatre jours
« de marche tout au plus de Paris à Honfleur. — Ce
«sera alors, dit-il, que M. de Longue ville vous se-
« courra. — Et avec quoi ? lui répliquai-je -, avec les
ft mortel-payes de ses châteaux, qui sont à quarante
«( lieues les uns des autres ? Pour la noblesse de Nof-
<c mendie, c'est un foible secours : trois jours passés ,
a. les Normands ne découchent point de chez eux, et
a M. de Longueville y a si peu d'amis qu'en pareille
tt occasion il viendroit tout seul; et je ne comprends
tt pas que M. le prince fasse quelque fondement sur ces
tt hommes-là. Lorsque nous avons été les maîtres de
tt tout dans Paris, que Son Altesse Royale étoit dedans,
tt et que nous étions en un état que jamais parti en
tt francen'a été si fort ni si heureux, et sur lequel on
tt ait eu lieu de fonder de plus certaines espérances
« d un bel avenir, il n'a pas voulu se déclarer; et lors-
tt que Monsieur est à Blois, M. le prince en Flandre
tt où en chemin , il prendroit son parti ? Il n'est pas si
tt fou. » Saint-Mars me dit que tout ce que je disois étoit
fort bien dit; que M. de Longueville pouvoit enfin agir
d'une manière extraordinaire; que sans lui je pourrois
demeurer à HonQeur; que Ton me pourroit donner du
secours par Ostende , et que tout au pis je me pourrois
sauver par mer; que l'on diroit dans le monde que la
tyrannie étoit bien établie en France, puisque l'on
obligeoit une personne de ma naissance à sortir du
DE BiADEMOISELLE DE MOr(TP£lfSIER« [l652] 363
royaume. Je répondis à cela : « Je crains Feau à un
« tel point , que si M. le prince le savoit , il ne me
« conseiUeroit jamais de m'y hasarder. » Après avoir
long-temps raisonné avec Saint-Mars, la conclusion
fut que je ne devois point m'embarquer à faire aucun
acte dliostilité contre la cour par toutes sortes de rai-
sons 9 à moins qu-*elle ne me poussât ii bout \ que Son
Altesse Royale m'avoit ordonné de m'en aller à iine
de mes maisons*, que je m'en irois à Saint-Fargean \
que j'en àvois observé la situation avec soin^ que j'a-
vois reconnu qu'elle étoit proche de tout, qu-'ellen'étoit
qu'à trois journées de Paris pour en avoir des nou-
velles , et à pareille distance de Blois ; et qu'en cela je
sauverois les apparences de ce côté-là. Je savois assez
dès ce temps-là à quoi m'en tenir, et qu'en quatre
jours tout au plus on aUoitetvenoit de Sàint-Fargeau
à Stenay , qui étoit un lieu où apparemment M. le
prince passeroit l'hiver; qu'ainsi j'étdis proche. du
monde , de mes amis et de ceux qui dévoient l'être ,
et cependant dans un grand désert ; et parce que
Saint-Fargeau étoit un lieu peu connu , que l'on croi-
roit que je serois dans une autre maison. Voilà de
quoi je le chargeai pour M. le prince, avec une lettre
par laquelle je le remercJois, et lui témoignois ma re-
connoissance de toutes les offres t[u'il me faisoit. Je
lui en donnai aussi une pour M. de Lorraine , à qui je
témoignois combien j'étois sensible aux marques d'af-
fection qu'il m'avoit données par La Guérinière et par
sa lettre.
J'oubliois de dire que comme Là Guérinière partit
d'auprès de M. le prince , le comte de Fuensddague
lui dit : « M. le prince et M. de Lorraine m'ont dit que
364 [l65î] MÉMOIRES
« je pouvois prendre la liberté de vous charger de
« dire à Mademoiselle que je lui offrois quelque place
« qu'il lui plût en Flandre, si elle est obligée d'y ve-
« nir; que j'en ôterois la garnison, et «qu'elle y en
« mettra une telle qu'il lui plaira ; qu'on aura soin de
(( tout ce qui lui est nécessaire pour sa subsistance ;
Cl que si elle ne veut point avoir de commerce avec
a les Espagnols , nous n'aurons pas l'honneur de la
« voir; si elle veut bien souflrir nos respects, que
« nous lui en rendrons avec la dernière joie; que
(c nouà avons pour sa personne aussi bien que pour
a 6a qualité toute la vénération possible. )> Je char-
geai Saint-Mars de le remercier de toutes ses offres ,
et de lui dire que je les recevois avec beaucoup de
reconnoissance ; que j'étois bien aise" de connoître la
bonne volorité que l'on avoit pour moi, mais qUe je
serois fâchée d'être obligée de l'éprouver.
Je demeurai encore un jour à Pont, puis j'en partis
pour Saint-Fargeau. A la couchée de Pont, qui est
une petite maison à madame dé Bouthillier, nommée
Micherie , il vint un de mes valets de pied que ma-
dame la comtesse de Fiesque m'envoya , pour me dire
qu'elle avoit fait partir quelques-uns de mes gens
pour Saint-Fargeau -, que toute ma maison ne partiroit
point de Paris qu'elle ne me sût partie de Pont, pour
n'aller point à fausses enseignes , comme je les avois
fait aller à Bois-le-Vicomte. Cela me fâcha fort, et
encore plus de ce que ma maison étoit à Paris ; j'avois
ordonné qu'elle n'y passât pas , et même j'avois mar-
qué les journées qu'elle feroit, et le chemin que je
voulois qu'elle tînt. 11 me semble que quand on est
hors de la cour, et de la manière dont j'en étois éloi-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l652] 365
gnëe , il étoit ridicule, que mon train passât et repassât
sans cesse par Paris. Ce ne fut pas seulement cela qui
me fâcha : ce valet de pied me dit qu'elle avoit de-
mandé des gardes du Roi pour 'escorter mon équi-
page, et qu'on lui en avoit promis douze. Cette peur
que l'on ne pillât mes mulets avec mes couvertures
me parut fort bizarre ; il me sembloit que mes livrées
les mettoient à couvert des voleurs et des gens de
guerre qu'ils pourroient rencontrer par les chemins :
cela me parut aller de la même force que le passe-port
que Monsieur avoit demandé ^ la différenQe étoit que
je ne l'avois pas demandé, et je crois que l'on jugea
bien à la cour que cela me feroit beaucoup de dépit,
et que madame la comtesse de Fiesque seroit désa-
vouée. Elle m'envoya une lettre du Roi, laquelle je
crus qu'elle avoit demandée-, je ne comprenois pas
autrement comment on se seroit avisé de m'écrire.
Par cette lettre, le Roi me mandoit qu'il avoit appris
la résolution que j'avois prise de choisir pour ma de-
meure ma maison de Saint-Fargeau : qu'il avoit été
bien aise de me témoigner que ce choix lui étoit fort
agréable, etm'assurer en même temps que j'y pour-
rois demeurer en toute sûreté. J'y fis réponse, et le
remerciai de l'honneur qu'il lui avoit plu de me faire
par les marques qu'il me donnoit de son souvenir ;
que j'étois bien aise que mon séjour à Saint-Fargeau
lui fût agréable ^ que pour la sûreté de ma personne ,
je n'en avois point douté ^ que je n'avois rien sur ma
conscience qui me pût faire cVaindre le contraire^
que ma conduite et mes intentions avoient toujours
été fidèles pour le service de Sa Majesté ; que je ne
^raignois rien, et que j'étoîs incapable de faire au*-
366 [idSa] MÉMOIRES
cune actioa indigne de la qualité où Dieu m'avoit fait
naître, et d'une bonne Franca^ise.
Je poursuivis mon chemin vers Saint-Fargeau*
Comme j'en fus à deux lieues, il vint un de mes va-
lets de chambre pour me dire qu'il y avoit à Ghâtillon,
qui n'est qu'à huit lieues de Saint-Fargean sur le che-
min de Paris, un exempt des gardes du Roi avec six
gardes ; qu'il les avoit vus lorsqu'il y avoit passé*, qu'il
disoit n'y séjourner que pour faire reposer leurs che-
vaux, qui étoient boiteux : ce qui nétoit pas vrai, h ce
que disoit l'hôte du logis. Cet exempt s^étoit enquis
de mes gens quand j'arriverois, et si je pouvois
prendre un autre chemin r cela m'alarma ^ il me dit
encore que tous les environs de Saint-Fargeau étoient
pleins de gens de guerre qui faisoient payer la taille.
Les gens effrayés se font toujours des fantômes pour
les copfibattre •, je dis : « Assurément c'est pour moi
« que ces troupes sont là , et non pour les tailles 5 la
« comtesse de Fiesque aura donné dans le panneau
« lorsqu'elle a demandé l'escorte : et les douze gardes
«< lorsqu'ils auront joint l'officier , et six gardes qui
« sont à Châtillon , ils seront ensemble dix-huit. » Cela
me mettoit en grande inquiétude : Préfontaine , qui a
l'esprit ferme et résolu , me rassura , et La Guérinière
de même. On dit que j'ai l'esprit assez ferme : j'avoue
qu'en cette rencontre j'étois si fort persuadée que
l'on me vduloit arrêter ^ et j'en avois une si grande
crainte , que j'eii étois hors de moi.
Nous arrivâmes à Saint-Fargeau à deux heures de
nuit *, il fallut mettre pied à terre : le pont étoit rom-
pu. J'entrai dans une vieille maison où il n'y avoit ni
porte ni fenêtres , et de l'herbe jusqu'aux genoux dans
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [iGSa} 867
la cour : cela me donna une grande aversion et une
grande horreur de la maison. L'on me mena dans
une vilaine chambre , au milieu de laquelle il y avoit
un poteau*, la peur et le chagrin me surprirent à tel
point, que je me mis à pleurer; je me trouvai bien
malheureuse d'être hors de la cour, et de n avoir pas
une plus belle demeure. Comme cela fut passe, j'ap*
pelai madame de Frontenac , Prëfontaine et La Guë--
rinière : ils avoient été tous deux s'informer s'il iv'y
avoit pas quelque lieu proche où je pusse aller pour me
guérir de la crainte où j'ëtois^ ils me dirent qu'il y avoit
un petit château fossoyé , à deux lieues de là , qui ap*
partenoità un nommé Davaux, qui est un contrôleur de
mesdomaines , où jepouvois aller jusqu'à ce quejefusse
éclaircie. Je chargeai le gentilhomme de Frontenac,
que j'avois avec moi, d'aller le lendemain à Châtillon
pour savoir ce que Texempt y faisoit avec ses gardes.
Après que j'eus soupe, je donnai le bonsoir ^^ et dis :
<( Je veux demain dormir tout le jour-, que l'on ne
(( m'éveille point. » Ensuite je montai à cheval, ma<^
dame de Frontenac et moi , et l'une de mes femmes
de chambre, Préfontaine et La Guérinière. Jugez avec
quel plaisir je fis cette traite! Je m'étois levée deux
heures devant le jour , j'avois fait vingt-deux lieues ,
et j'étois sur un cheval qui en avoit fait autant. Noos
arrivâmes à la maison de Davaux , qui se nomme
t)annery , sur les trois heures du matin ; je me cou*
chai en grande diligence. Le lendemain La Guérinière,
qui étoit aliéna Saint-Fargeau , revint, et me dit que
ma maison étoit bonne et forte , que l'on ne m'y poù-
voit point surprendre^ que s'il entroit des gens par une
porte , je pouvois me sauver par l'autre , et même que
368 .fl65îi] MÉMOIRES
Ton polirroit arrêter ceux qui me voudroient arrêter-
Cela me plut fort, et j'attendois des nouvelles de Châ-
tillon : le gentilhomme que j'y avois envoyé revint ,
lequel me conta que lorsqu'il arriva à Cbâtillon en
riiôtellerie où étoit logé l'exempt , il l'accosta et lui
demanda où ëtoit la cour , parce qu'il venoit d'Italie,
et qu'il étpit obligé d'aller à la cour pour quelque
affaire. L'exempt lui répondit qu'elle étoit à Paris ,
et lui demanda où il avoit couché : le gentilhomme
lui dit : (( A Saint-Fargeau. » L'exempt lui demanda $i
on n'y attendoit point Mademoiselle -, l'autre lui répon-
dit : « Elle y arriva hier au soir. » L'exempt parut
surpris, et dit : « Jecroyois qu'elle ne pouvoit passer
« que par ici. » Le gentilhomme lui demanda s'il se-
roit long -temps à Châtillon-, il lui répondit qu'il
attendoit quelque ordre de la cour , après quoi il
marcheroit. Mes gens me pressèrent ensuite d'aller à
Saint-Fargeau : je fus deux jours à m'y résoudre ^ je
ne m'ennuyois point en cette petite maison : j'y trou-
vois des livres, je me promenois, je me couchois de
bonne heure, et je me levois tard. Je reçus une nou-
velle qui me surprit fort : c'étoit la mort de mademoi-
selle de Chevreuse , arrivée en trois jours ; je la plai-
gnis extrêmement : c'étoit une belle et bonne fille (0,
qui n'avoit pas beaucoup d'esprit. Un matin , je m'en
allai à SaintEacgêâJi.5 on me mena dans un appar-
tement que je n'avois pas vu; je le trouvai plus com-
mode que celui où j'avois logé pour la première fois.
M. le duc de Bellfegarde l'avoit fait accommoder;
(0 CPctoit une belle et bonne fille: Ou a] vu, dans i^Jutrodiiction aux
Mémoires de Briennc, le rôle qu'elle joua dans la Fronde. Elle avoil moins
de bottté et plus d'esprit. qiiç ne lui en prèle Mademoiselle, *•
DE MADEMOISELLE DB MONTPENSIER. [iGSs] ^69
Monsieur lui en avoit donné I4 jouissance, et la per-
mission de demeurer dans cette maison pendant ma
minorité, en considération des pertes qu'il avoit faites
pour son service. Cet appartement étoit fait d'une
partie d'une belle galerie retranchée , qui est suc
répaisseur d'une muraille. Dès ce même jour-là je
voulus changer les cheminées et les portes , y faire
une alcôve , et m'informai s'il n'y avoit point d'archi-
tecte dans le pays. Je fis commencer à ajuster le de*
dans de l'appartement où j'étois, et pour cela il fallut
le quitter et m'en aller loger au grenier ; avec ce dés-
a<{rément , j'étois mal couchée. Madame la coiBtesse
de Fiesque fit si bien, que mon lit n'arriva quo dix
jours après que je fus à Saint -Fargeau. Mes gens
avoient été assez sots pour lui obéir; je les grondai
comme ils le méritoient du peu de soin qu ils av<»ent
eu de me venir trouver, et je les louai de leur bravoure
à secourir le carrosse de Préfontaine lorsqu'il avoit
été pillé. Par bonheur^ le bailli de Saint-Fargeau étoit
marié depuis peu: ainsi il avoit un lit neuf. Madaiâ^e
la duchesse de Sully et madame de Laval me vinurent
voir peu aprùs mon arrivée. Je fus dans la plus grande
honte du monde de n'avoir point de quoi les loger
dans ma maison : il falloit qu'elles allassent tous les
soirs coucher chez le bailti, où étoit le lit dans lequel
j'àvois couché avant l'arrivée de mon train. 11 vint en-
core d'autres dames , qui logèrent toutes dans laf ville ;
j'envoyai à Bois-le-Vicomté quérir des meubles que
j:'y avois, afin de n'avoir plus cette hcmte.
Comme j'étois dans la maison de d'Avaux, j'eus une
grande peur : je me réveillai , et j'entendis oovrir le
rideau de ntadaime de Frontenac, qui étoit coiuchée
T. 4i« ^4
370 [l652] BIÉMOIRBS
dans un lit proche du mien , et à Tinstant je Tentendis
refermer. Je lui dis : « Révez-vous, à l'heure qu'il est,
« d'ouvrir votre rideau ? » Elle me répondit : « C'est
(( le vent. » Nous étions logées dans une chambre
basse, où il n y avoit de fenêtres que d'un côté,
et ce jour-là il ne faisoit point de vent : la peur me
prit ; je lui dis : a Venez coucher avec moi. » Elle ne
s'en fit pas prier -, et comme elle passoit de son lit au
mien , j'entendis encore ouvrir le rideau. Jusqu'à ce
qu'il fût jour , ni elle ni moi ne parlâmes point. Comme
le jour fut venu , elle m'avoua qu'elle avoit vu ouvrir
son rideau ( il y a toujours de la lumière dans ma
chambre la nuit); que son premier mouvement avoit
été de se jeter dans mon lit; qu'elle avoit conservé
du jugement, crainte de me manquer de respect et
de me faire peur ; qu'elle avoit vu ouvrir et fermer
deux fois son rideau. Nous nous entretînmes sur ce que
cepouvoit être sans le trouver. Quelques jours après
j'appris qu'un garçon qui étoit à moi et mon frère de
lait , lequel s'en étoit allé avec le comte de Holac ,
avoit été tué dans ma compagnie de gendarmes : je ne
doutai pas que ce ne fût lui qui me venoit dire adieu;
je lui fis dire des messes.
Après que M. le prince eut reçu de mes nouvelles
de Pont, et qu'il eut su que je ne voulois point être
ailleurs qu'à Saint -Fargeau, il s'en alla prendre Châ-
teau-Portien , Rethel, et d'autres petits châteaux.
M. de Lorraine prit Bar-le-Duc avec son armée, et
quelques châteaux. Foges, l'un de ses généraux, fut
tué; ensuite ils assiégèrent Sainte -Menehould. La
cour avoit dessein que Son Altesse Royale Ùt revenir
ses troupes , qui tf toient avec M. le prince : pour cet
DE MADEMOISELLE DE MONTPEKSIER. [lÔSs] 871
effet. Monsieur envoya Gëdoin, enseigne de ses gen-
darmes, les quérir. Il arriva à Tannée de M. le prince
devant Sainte-Menehould comme les troupes de Son
Altesse Royale faisoient un logement, après lequel on
devoit donner l'assaut. M. le prince consentit que les
troupes partissent le lendemain : les officiers ne le
voulurent pas. Après avoir fait leur logement avec
toute la bravoure et le bonheur possible , ils dirent à
Gëdoin : « Nous voulons donner Tassant 5 » ce qu'ils
firent; et après que la place eut capitulé, au lieu
d'entrer dedans ils prirent congé de M. le prince,
avec tous les regrets imaginables de le quitter et toute
la reconnoissance possible des honneurs qu'ils en
avoient reçus. Il leur témoigna aussi avoir beaucoup
d'estime des ofliciers et des troupes , et un extrême
déplaisir de ce qu'ils le quittoient. Holac fit mettre
son régiment en bataille, et dit aux officiers et cava-
liers : « Vous êtes à Son Altesse Royale , vous avez
<( l'honneur de porter son nom : allez le trouver;
a pour moi, je demeurerai à la compagnie de M. le
(( prince. » Dans l'instant son régiment, au lieu de
marcher avec les autres , rentra dans le camp , et celui
de Bandits le suivit , lequel dit à Gédoin qu'il étoit
inutile à Son Altesse Royale , et qu'il pouvoit servir
M. le prince ; qu'il croyoit qu'il n'en seroit pas fâché.
Pour le comte d'Escars , qui n'avoit de troupes que
ma compagnie de chevau-légers, il demeura aussi
avec M. le prince.
La cour étoit à Paris , accablée de harangues de
tous côtés; elle n'avoit point assez d'oreilles pour
écouter tous les gens qui demandoient pardon. M. le
cardinal de Retz salua le Roi et la Reine , et se croyoit
372 [^^^^1 Ml^QXRBS
le mieux di) monde à la cour, lorsqu'un jour quHl
venoit la faire , YiUequier , capitaine des gardes du
corps, Tarréta (0, et l^mena, par la galerie do Louvre,
monter en carrosise a^ pavillon , et de là au bois de
Vincei^nes. Depuis que Ton eut pris ce dessein , on
fût quelques jours sans Fexëcuter , parce qu'il ne ve-
noit guère au Louvre. Quand on y entre et qu'on a
dessein d'arrêter les gens, il est difficile de s'échapper,
et rien n'est si véritable qu'un vers de Nîcomède, qui
est une tragédie de Corneille , qui fut mise au jour W
aussitôt après la liberté de M. le prince , en laquelle
il y a :
Qaieonque entre au palais porte sa tête aux rois.
Quand la Reine envoya quérir Villequier pour lui
donner l'ordre , il n'y avoit avec elle que le Roi et
M. LeTellier, î^ce que je lui ai ouï dire depuis. Ville-
quier lui dit : (c Madame , c'est un homme qui a tou-
« jours quantité' de braves avec lui 5 s'ils se mettent
« en défense , que ferai-je ? le prendrai-je mort ou
u vif? » Tout le monde se regarda. Il répliqua : « Que
u le Roi me donne un mot de sa main de ce que j'ai
« à faire. » Le Roi écrivit qu'il lui ordonnoit de prendre
le cardinal de Ret:^ de quelque manière que ce fât.
J'ai appris ceci de la Reine , lorsque je causois avec
elle de ce qui s'étoit passé. Elle me disoit souvent que
(r) Varréta: Le cardinal de Retz fat arrête' le 19 décembre i65a. —
(q) Qui fui mise au jour : Celte pièce fut repre'scntee pour la première
fois en iS5a. <t Les prii^ces , dit an des cditears de Corneille, étant sortis
M de prison dans le temps qfi^on réprésentoit Nicômède , qaelqqes tsrf
« donnèrent matière à des applications qui augmentèrent le ^accèf de
Il Gcue tragédie. » (Jotî»Y, avertissement des poèmes dramatigucs de
M. Corneille. )
DE MÀDEMÔÎSELLÊ DE MONTPEÎNSIE'R. [iGSll] 3^^
M. le prince avoit Famé bonne -, qu'on lui àvoit con-
seillé de s eu défaire , et qu elle avoit fait une grande
faute de ne s'en être pas défaite au bois de Yincennes ;
qu'elle ne se repentirt>it jamais de ne l'avoir pas fait ;
qu'elle étoit incapable d'avoir celte pensée , quelque
mal qu'il lui eût pu faire ^ fion plus qu'à M. le car-
dinal.
A l'arrivée de la cour à Paris , M. de Bealifort fut
exilé , aussi bien que madame àe Moutbazon et ma-
dame de Bonelle. Frontenac eut une lettre pour sa
femme ) elle étoit partie avec moi : la comtesse de
Fiesque eut le même ordre ; et parce qu'elle étoit ma-
lade on lui donna dés gardes, et elle. ne voyôit per-
sonne. .
Il, se passa à la cour une affaire moins importante
que celle dU cardinal de Retz , qui y fit beaucoup de
bruit : ce fut le mariage du marquis dé Richelieu avec
mademoiselle.de Beau vais, fille de la première femme
de chambre de la Reine. Ce garçon étoit bien fait ,
jeune, plein d'esprit et de courage, et nourri dans
l'élévation où sont d'ordinaire les gens de faveur. Son
frère aîné n'a point d'enfans et est fort malsain : ainsi
toute la dépouille de cette faveur le regardoit et le
regarde. encore, mais beaucoup moins à présent que
dans ce temps-là . parce que madame d'Âigâillôn ,
qui en possède une bonne partie et qui en est mai-
tresse , lui en ôtera tout ce qu'elle pourra. Ce mariage
surprit tout le monde -, quoique cette fille soit jolie
et aimable , elle n'est pas assez belle pour faire passer
par dessus mille considérations qu'il devoit avoir :
ainsi dès le lendemain madame d'Aiguillon l'enleva
et l'envoya en Italie , pour voir s'il ptersévëroit à l'ai-
374 [iGSl] MEMOIRES
mer. Au bout de quelque temps il revint, et Ta tou-
jours fort aimée. Elle disoit dans sa douleur : « Mes
<c neveux vont toujours de pis en pis \ j'espère que le
« troisième épousera la fille du bourreau. » Il est vrai
qu'elle avoit grand sujet de se plaindre , de ce que
l'un et l'autre n'avoient pas pris de bonùes et de
grandes alliances. Madame de Beauvais ne lui avoit
nulle obligation , et n'étoit point obligée de négliger
son bien à ses dépens , comme étoit madame de Pons ,
fille de madame Du Vigean , dont la mère est comme
la femme de charge de sa maison. Tout ce qui peut
se dire là-dessus , c'est que si le cardinal de Richelieu
pouvoit voir de l'autre monde l'état où est sa maison,
je crois que tous ceux qu'il a persécutés en seroient
assez vengés.
Madame accoucha d'une quatrième fille , que l'on
nomma mademoiselle de Chartres. Monsieur en fut
assez fâché : il espéroit toujours d'avoir un garçon.
Elle fut malade à l'extrémité 5 j'envoyai avec beaucoup
de soin en apprendre des nouvelles à Paris , faire des
complimens à Monsieur, et le prier d'avoir agréable
que je l'allasse voir ; il me manda qu'il n'étoit pas en-
core temps.
Pendant la maladie de Madame , la Reine l'alla voir
avec beaucoup de bonté. Madame la comtesse de
Fiesque lui fit demander si elle auroit agréable qu'elle
la vît ; la Reine répondit qu'elle la verroit comme
comtesse de Fiesque , et non pas comme ma gouver-
nante. EUe me renonça pour avoir cet honneur 5 et
quand la Reine lui parla de moi, elle me dauba de
toute sa force. Comme Madame se porta mieux , je
crus que Son Altesse Royale , qui étoit de meilleure
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [tÔSn} ijS
humeur, seroit bien aise de me Yoir. J'envoyai La Gué-
rinière ; et comme je vis qu'il ne yenoit point , et que
je ne pouvois pas croire que Son Altesse Royale re-
fusât de me yoir, je partis dans Fespërance de le
trouver en chemin : <;e qui arriva. Je le rencontrai au
pont de Gien / où j'avois mis pied à terre ; il me donna
une lettre de Monsieur, par laquelle il me mandoit
que je lui envoyasse deux lettres , lune pour le comte
de Holac et Tautre pour le comte d'Escars , par les-
quelles je leur ordonnasse de revenir avec mes com-
pagnies, et que jusques à ce que cela fût fait il ne
me pouvoit voir, parce que la cour le trouveroit mau-
vais , et diroit que c*ëtoit de concert avec lui qu ils y
sont demeures. Je poursuivis jmon chemin jusques à
SuUy, où je devois coucher; et, dès que j'y fus arr
rivëe , j'écrivis à Son Altesse Royale. Je lui mandai
que j'ëtois bien malheureuse qu'il ne me voulût pas
voir ; que je ne pouvois pas répondre de ce que fai-r
soient messieurs d'Escars et de Holac ; et pour marque
qi^ je voulois contribuer à leur retour, j'envoyois à
Son Altesse Royale les deux lettres qu'elle me deman-^
doit. Ces lettres n'étoient pas de ma main, et conte^
noient :
« Son Altesse Royale a désiré que je vous écrivisse
pour vous mander de revenir; je pense que son com-
mandement a assez de pouvoir sans que mes ordres y
soient nécessaires : tout ce que je puis faire , c'est
d'en user comme je fais, etc. d Je signai les deux
lettres de ma main. Voilà à peu près ce qu'elles con-
tenoient -, je ne me souviens pas du reste. Je pense
qu'il y avoit encore : « Si vous ne revenez, j'aurai su-
jet de me plaindre de vous. ». Je; dis à $6n Altesse
3^6 [ibSa] MÉMOIRES
Royale que si, après avoir ces deux lettres, la cour
n'ëtoit pas contente , ce serbit avoir une graiide ty-
rannie pour moi de vouloir que je dépendisse , pour
voir Monsieur , dje ce que fei;oient d'Escars et Holac.
Je dépéchai mon courrier, par lequel je demandoU
des carrosses de relais \ il revint le lendemain , et
Monsieur me manda qu'il m'avoit envoyé des relais.
J'allai au commencement de décembre dé Sully à
Hms en un jour : j'avois avec moi madame de Fron-
tenac et madame la comtesse de Fiesque. J'oubliois
de dire qu'elle arriva en litière un matin que Ton ne
songeoit pas à elle ^ je lui dis : « Ah! madame, com-
te meut étes-vous venue ici , vous qui me croyiez en
4( Flandre?» Elle me parla avec assez d'humilité;
cela me toueha le cœur, et je la traitai avec plus de
bonté qu'elle ne méritoit.
J'arrivai àBlois, que Monsieur avoit soupe. J'avoue
que je ne savois quelle mine il me feroit, et que j'en
étois un peu inquiète : j'augurois cependant que l'on
me feroit bon accueil , parce qu'au relais je troui^ai
des gardes , et que Saujon n'auroit pas fait cela s'il
eût cru que Monsieur l'eût trouvé mauvais. 11 vint à
la porte de sa chambre au devant de moi , et me dit :
« Je n'oserois sortir, parce que j'ai la bouche enflée, w
11 salua les dames , et d'abord demanda des nouvelles
de la maladie de Madame à madame la comtesse de
Fiesque. J'étois cependant auprès dn feu, ou je.con-
tois laventure d,u jacobin de Provins. Monsieur vint,
i{m me la fit conter et en rit 5 puis il me dit : « Allez
« sopper, bon soir ; ne revenez point , parce qu'il est
^ tard. »
Le lendemain il vint à ma chambre dès que je fus
DE MADEMOISFXLR DE MO^TPE^SlER. [iGSî] 877
ëveillëe : je mangeai avec lui, parce que je n'avois
point amené d'oflficiers. Il contoit mille affaires , et me
parloit sans cesse de M. le prince ; ses gens avoient
remarque qu'il ne Tavoit pas nomme depuis qu'il étoit
hors de Paris. Il me traita assez bien ce voyage-là ^ il
est vrai qu'il dura peu : je ne restai que deux jours à
Blois. Le comte de Bëthune y vint ; puis il me con^
duisit jusques à. Chambord, où nous sëjournâmes
deux jours ; il remercia madame de Frontenac d'être
demeurée avec moi , témoigna à madame la comtesse
de Fiesque qu'elle n'avoit pas bien fait de me quitter^
et dit à Préfontaine : ce Je suis fort content de vous ;
« lorsque l'on m'a dit que c'étoit vous qui conseilliez
« ma fille de s'en aller, je n'en ai rien cru* » A Cham--
bord, il dit à Préfontaine : « Je vous veux mener par-
« tout. )) Il lui montra sa maison avec plaisir^ cela
m'en fit un fort grand : j'aimois fort que l'on consi*
dérât les gens qui me servoient bien. Le soir il lui
dit : « Préfoutaine., je vous veux mener promener
a dans mon parc de grand matin. -» Dans la prome*
nade il lui dit : « J'aime bien ma fille ; j'ai cependant
« quelques considérations qui font que je serai bien
<c aise qu'elle ne demeure guère ici. » Préfontaine lui
dit : « Votre Altesse Royale voit qu'elle n'en a pas usé
« comme une personne qui y veut demeurer; elle
« est Tenue sans équipage. » U lui tint plusieurs dis-
cours pour lui témoigner qu'il n'avoit songé en sa vie
à rien avec tant de passion qu'à mon établissement ;
que j'étois si difficile , que je n'avois pas voulu dé
M. l'électeur de Bavière. Cela est vrai, et il me semble
que ce n'étoit pas un bon parti ; il avoit son père et sa
mère -, il n'avoit que quinze ans , et l'on vivoit dans
378 [l652] MEMOIRES
cette maison un peu plus solitairement que dans un
couvent. Toute sa conversatiQn ne tendit qu'à lui
faire connoitre la tendresse qu'il avoit pour moi , le
désir qu'il avoit eu , lorsqu'il ëtoit en pouvoir, de me
procurer un établissement -, que de mon cétë je n'avois
pas correspondu à ses bonnes intentions, et qu'en
l'état où il étoit je ne devois pas désirer de lui plus
qu'il ne pouvoit/ Préfontaine revint fort persuadé
qu'il disoit vrai : que c^éf oit un bomme de bonne
amitié.
Pendant ce voyage on parla de la laideur de ma
maison de Saint-Fargeau 5 que j'en devois chercher
quelqu'une qui fût plus belle , et plus proche de
Blois. L'on dit que Ghâteauneuf-surrLoire , qui étoit
aux enfans de M. d'Emery, étoit à vendre. Monsieur
me dit : « Si cela est, il faut que vous Tachetiez.. » Je
lui dis que je la verrois à mon retour. Je ne croyois
•être qu'une nuit à Orléans, où M. de Sourdis me
^onna à souper, et M. l'évéque à dîner. Madame la
comtesse de Fiesque se trouva mal ; ce qui m'obligea
à y demeurer ce jourJà. J'allai voir Châteauneuf , que
je trouvai une belle maison : ce n'est qu'un corps de
logis qui est fort grand, de beaux jardins et des par-
terres avec des fontaines, un grand rond d'eau, un
canal', et la rivière de Loire au bout du parc , qui en
fait un grand que Ton voit de la maison. J'eus beau-
coup de plaisir à cette promenade : il faisoit la plus
belle journée du monde. Madame de Sully et madame
la marquise de Laval, quim'étoient venues trouver à
Orléans, y vinrent avec moi. Madame de Sully avoit
beaucoup de passion que je fisse cette acquisition :
c'étoit proche de Sully. Nous primes de grands des-
DE MADEMOISELLE DE M0NTPEI9SIER. [l653] ijg
seins de bâtir des pavillons et d'ajuster les dedans ;
mais ce qui me dëplaisoit fort en ce lieu , c'est qu il
n'y avoit point du tout de couvert , excepté deux pe-
tits bois de charmes fort mal venus.
[i653] A mon retour, je trouvai M. de Beaufort à
Orléans ^ il ne m'avoit point trouvée à Ghambord -, il
étoit venu après moi à tout hasard. Il soupa avec nous,
et nous fîmes la meilleure chère du monde sans avoir
d'officiers : il y a à Orléans un très-bon traiteur. Je
repassai par Sully , où je fus encore un jour , et je
m'établis tout-à-fait à Saint-Fargeau -, je changeai de
chambre lorsque j'y arrivai. Il avoit fallu percer des
cheminées en celles où j'étois^ de sorte que j'en fis
une autre qui avoit une belle vue : ce qui n'est pas
extraordinaire, parce que c'est un grenier. Je travail-
lois depuis le matin jusques au soir à mon ouvrage, et
.je ne sortois de ma chambre que pour aller dîner en
bas, et à la messe. Cet hiver-là' étoit assez vilain pour
ne pouvoir s'aller promener. Dès qu'il faisoit un mo-
ment de beau temps , j'allois à cheval •, et quand il
geloit trop je me promenois à pied , et voyois mes
ouvriers. Je fis d'abord faire un mail , où il y avoit des
arbres entourés de tant de ronces que l'on n'eût pas
jugé possible d'y faire une allée. A force de couper
des broussailles et d'enlever de la terre et d'en porter,
Ton forma une belle allée. Je ne la jugeois pas assez
longue pour un mail ; je la fis alonger de cent pas en
terrasse : ce qui fit un fort bel effet. De cette terrasse
on voit le château , un faubourg , des bois , des vignes,
une prairie où passe une rivière, qui est l'hiver un
étang: ce paysage n'est pas désagréable. Saint-Far-
geau étoit un lieu si sauvage , que l'on n'y trouvoit
38o [t653] MEMOIRES
pas des herbes à mettre au pot lorsque j'y arrivai.
Pendant que je travaillois à mon ouvrage , je faisois
lire ^ et ce fut en ce temps que je commençai à aimer
la lecture , que j'ai toujours fort aimëe depuis. On
rangea mes cassettes et mes papiers : je me souvins
de la Vie de madame de Fôuquerolles , que Prëfon*
taine avoit ; il me Ja rendit, et je l'achevai -, et comme
j'avois fort envie de dire un mot de ce qui s'ëtoit pas-
se , je trouvai le moyen d'y en insérer des fragmens.
A la fin l'envie me prit de faire imprimer cet ouvrage
avec un manifeste pour me justifier des plaintes qu'elle
avoit faites de moi, et celui qu'elle avoit fait pour y
répondre. Une certaine Lettre du royaume de la Lune,
de madame de Frontenac, et une que j'avois fait«
aussi avec des vers de sa façon , parce que j'en fais
très-mal 5 et si Ton en veut croire beaucoup de gens,
tous les vers qui sont dans ce livre, quoique fort
jolis , ne sont pas d'elle : Ton dit que c^étoît un cer-
tain M. Du Ghâtelet qui les faisoit.
Je fis imprimer tous ces recueils ; j'envoyai quérir
un imprimeur à Auxerre , et je me divertissois à le
yoÎT imprimer. Il avoit une chambre dont il ne sor-
toit point : c'ëtoit un grand secret -, il n'y avoit que
madame de Frontenac, Prëfontaine, son commis et
moi qui le voyions.
M. le prince m'écrivoit tous les ordinaires , et me
mandoit ce quil savoît, et moi de même. 11 envoya
le 'maréchal des logis de mes gendarmes pour savoir
ce qu'il me plaisoit que Holac et d'Escars fissent, et
dans sa lettre il y avoit : a Je ne puis croire que ce
« soit tout de bon que vous vouliez qu'ils me quittent':
c( si vous le voulez, vous êtes la maltresse, et je voua
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 38 1
« obëirai sans en rien dire. » Dans la même lettre il
me marquoit que les amis du cardinal de Ret2 le fai-
sotent rechercher-, qu'il me prioitde lui donner mon
avis de ce qu il avoit à faire. Je dis à tout le monde, à
Saint-Fargeau , que Saint-Germain avoit quitté M. le
prince; après y avoir resté quatre ou cinq jours, il
dit qu'il s'en alloit chez lui. J'écrivis à M. le prince
que j'auTois été fâchée qu'il eut renvoyé d'Escars et
Holac; qu'il avoit dû juger, par la manière dont je
leur écrivois , que je ne désirois pas qu'ils m'obéissent;
qu^à l'égard du cardinal de Retz , il en useroit comme
il jugeroit à propos , et que* je lui conseilloîs de
prendre ses avantage où il les trou ver oit. Le garde
que Son Altesse Royale avoit envoyé porter mes
lettres à Holac et à d'Escars vint à Saint-Fargeau ; il
me conta qu'il avoit passé à Sedan, où étoit le cardi-
nal Mazarin , qui avoit lu mes lettres -, et que comme
il les avoit rendues à ces messieurs , ils ne les avoient
pas voulu lire; qu'ils les avoient portées à M. le
prince ; qu'il s'étoit entretenu avec eux , et qu'il
avoit répondu : « Assurez Monsieur et MadenH)iselle
« de mes très -humbles respects, et que*, quoi qu'ils
« fassent, je crois qu'ils ne me veulent point de
a mal. » D'Escars et Holac m'éerivoient de belles
lettres : ils itie supplioient de croire qu'ils né man-
queroient jamais au respect et à l'attachement qu'ils
avoient pour moi; qu'ils m'étoient inutiles; qu'ils
croyoient que je ne pouvois trouver mauvais qu'ils
continuassent à servir un prince de si grand mérite,
et qui m'étoit si proche ; que la bonne opinion que je
leur avois fait l'honneur de leur témoigner étoit
fondée sur la réputation qu'ils avoient acquise ; qu'ils
38a [i653] mémoires
la perdroient s'ils quittoient M. le prince , et qu'en
ce cas ils seroient privés de l'honneur de ma bien-
yeillance , qui ëtoit pour eux ce qu'il y avoit au monde
de plus cher. Ils firent la même réponse à Son Altesse
Royale, et demeurèrent.
Madame la duchesse de Vitry me vint voir , et quan-
tité d'autres dames des environs : il y avoi^ souvent
compagnie. Comme la comtesse de Fiesque se porta
mieux , elle m'envoya un certain valet qu'elle avoit ,
qui s'étoit érigé en gentilhomme , nommé d' Apre-
mont : je mets son nom , parce que ses actions me
feront parler de lui plus souvent qu'il ne mérite. Elle
m'écrivoit qu'elle espéroit être bientôt en état de me
venir trouver : je lui mandai qu'elle seroit la bien
venue. Elle écrivit à madame de Frontenac pour sa-
voir si je trouverois bon qu'elle amenât avec eUe une
certaine mademoiselle Doutrelais de Normandie , qui
demeuroit depuis quelques années avec elle : je dis à
madame de Frontenac que non , et qu'elle lui devoit
mander qu'elle n'étoit pas de condition à manger tou-
jours avec moi comme les autres damcjSi ni à aller
dans mon carrosse ; qu'elle seroit embarrassée , et
qu'elle embarrasseroit les autres. Je dis à madame
de Frontenac et à Préfontaine : « Nous serions biea
« heureuses si cette difficulté pouvoit empêcher ma-
a dame la comtesse de Fresque de venir ici -, elle est
« vieille et intrigante : ces sortes d'esprits sont dan-
<( gereux dans lés maisons. » Elle surmonta cette
difficulté , et vint. Le jour qu'elle arriva, je dis à ma-
dame de Frontenac : « Je vous conjure de ne faire
« aucune liaison avec la comtesse de Fiesque; de
<( n'entrer dans aucun de ses commerces, parce que
DS MADEMOISELLE DB MOfCTPENSIER. [l653] 383
a j'ai beaucoup d'estime et d'amitië pour vous , et je
ce sens fort bien que je perdrois Tune et l'autre. » Je
fis la même défense à Préfontaine , et jusque-là de
n'aller point dans sa chambre après la première visite ^
et je lui dis : « Les gens comme vous peuvent aisé-
« ment se dispenser de Êiire des visites ^ vous avez
« des affaires, et vous la verrez tous les jours dans
tt ma chambre. » Comme elle arriva , sa fille madame
de Pienne étoit avec elle -, elle dit à madame de Fron-
tenac : « Je n'irai point coucher dans ma chambre , je
« serois trop éloignée^ je coucherai avec vous. »
Madame de Frontenac couchoit dans ma chambre «
parce que lorsque nous étions arrivées elle y avôit
couché 9 j'y étois accoutumée, et j'en étois bien aise^
parce que je suis peureuse^ Elle nous conta mille nou-
velles, c'est une femme assez agréable en toutes ma-
nières : son procédé est noble et civil, elle faisoitle
mieux du monde les honneurs de ma maison ^ pour
madame de Frontenac, elle ne prenoit pas la peine
de parler à personne. Nous menions une vie assez
douce, et exempte d'ennui^ aussi suis-je la personne
du monde qui m'ennuie le moins : je m'occupe tou-
jours, et me divertis même à rêver. Je ne m'ennuie
que quand je suis avec des gens qui ne me plaisent
pas, ou que je suis contrainte.
. Quand la Vie de madame de Fouquerolles fut im-
primée, je trouvai que cette occupation m'avoit di-
vertie : j'avoislu des Mémoires de la reine Marguerite ^
tout cela, joint à la proposition que la comtesse de
Fiesque , madame de Frontenac et son maf i me firent
d'écrire des Mémoires , m'engagea à commencer ceux-
ci. Préfontaine me dit aussi que si cela me plaisoit ,
384 f i653] MÉnroiKEs
* j'en devois faire. J'écrivis en pea de temps tant le
commencement , jusques à Tafiaire de rhdteMs-^tiUe ;
et comme j'écris fort mal, je donnote à Prëfonfaine à
mesure que.j'ëcrivois , pour mettre au net. i
J'appris que Madame partoit de Paris ; je mandai à
Monsieur que je l'irois voir à Orléans. Monsieur me
manda que je n'y allasse pas •, qu'on croiroit ^ la cour
qu'on s'assembleroit en un lieu où il s'étoit passé des
affaires qui ne leur étoient pas agréables, et que
quand il feroit beau je viendrois voir Madame à Blois.
Je ne me le tins pas pour dit ; je partis de Saint-
Fargeau , et je m'en allai à Orléans. Monsieur et Ma-
dame me reçurent fort bien ; je n'y restai qu'un jour.
J'y trouvai des comédiens : c'étoit une très-bonne
troupe qui avoit été tout l'hiver de devant à Poitiers
avec la cour, et l'avoit suivie à Saumur : elle avoit eu
beaucoup d'approbation de toute la cour; je les fis
jouer un soir à mon logis, où Son Altesse Royale vint.
L'on ne parloit en ce temps*-Ià que du retour du car-
dinal Mazarin (<) à la cour, dont Son Altesse Royale
n'étoit pas trop contente.
Il vint à Orléans un certain père jésuite qui avoit
déjà été à Blois, nommé le père Jean-Antoine, pour
proposera Monsieur le mariage de M. le duc de Nèu-
bourg avec moi. 11 y avoit sept ou huit mois que ce
bon père étoit à Paris; il n avoit pas trouvé plus tôt
l'occasion de parler à Son Altesse Royale. Elle m'&p«<
pela un jour dans son cabinet en présence de Ma-
dame 5 et me fit cette proposition. Je lui répondis
(i) Du retour du cardinal Mazarin : Ce ministire fit à Paris une
entrée solennelle le 9 février »(553. Lonis tiv rftoîl allé an devant de lui*
juscpi'au Bourget.
DB BIADEMOI^LLE DE MOITTPEIÏSIER. [l653J 385
que je croyoîs qu'il se moquoît de moi-, ou qu'il avoît
oublié ce qu'il ëtoit depuis qu'il n'ëtoit plus à la cour,
de me vouloir marier à un petit souverain d'Allemagne.
Madame me dit qu'ils avoient eu des fdles d'Autriche
et de Lorraine. Je lui rdpondis que les autres se ma-
rioient comme elles vouloient; que pour moi, je rfé-
tois pas résolue de me marier de telle manière : nous
n'en dîmes pas davantage. Monsieur et Madame s'en
allèrent à Blois, et moi. à Saint-Fargeau. Je passai par
Sully, où je fus un jour. A mon arrivée, je ne son-
geai qu'à faire accommoder un théâtre en diligence ^
il y a à Saint-Fargeau une grande salle qui est un lieu
fort propre pour cela : j*éçoutois la comédie avec plus
de plaisir que je n'avois jamais fait. Le théâtre étoit
bien éclairé et bien décoré : la compagnie à la vérité
n'étoit pas grande *, il y avoit des dames assez bien
faites. Nous avions , les dames et mpi, des bonnets
fourrés avec des plumes ; j'avois pris cette invention
sur un que madame de Sully portoit à la chasse : l'on
avoit augmenté ou diminué, de sorte que cela étoit
fort joli. Madame de Bellegarde, qui ne demeure
qu'à dix ou douze lieuea»de Saint-Fargeau , y venoit
souvent. Après le plaisir de la comédie, que le- ca-
rême fît finir, le jeu du volant succéda : comme
j'aime les jeux d'exercice, jy jouois deux heures le
matin et autant l'après-dlnée. Mon mail s'acheva : j'y
jouai avec madame de Frontenac ^ qui me disputoit
sans cesse , quoiqu'elle me gagnât toujours ^ j'avois
plus d'adresse, mais la force l'emportoit.
Son Altesse Royale , au départ d'Orléans , me dit :
tt L'affaire de votre compte de tutèle n'est jpas encore
u terminée^ je la veux fin^r avec, vous: ordonnez-
T. 4^* ^5
386 [i653] MÉMOIRES
« le à vos gens. » J'en écrivis à Paris , puis à Blois.
Il se fit là-dessus quantité d'écritures qui commen-
çoient de part et d'autre à s'aigrir un peu : comme
j'eritendois parler de mes affaires plUs qu'à Paris , où
je ne voulois pas les écouter, je m'y donnai tout-à-
fait, et y pris plaisir.
Préfontaine me montroit toutes les lettres qu'il re-
cevoit tous les ordinaires, et même les réponses qu'il
faisoit^ souvent j'écrivois moi-même. Un jour je lui
dis : « Ce n'est pas assez d'avoir l'œil sur mes procès ,
« et de contribuer à l'augmentation de mon revenu :
« il faut aussi voir la dépense de ma maison. Je suis
a persuadée que l'on me vole -, et poilr éviter cela , je
« veux que l'on me rende compte , comme l'on fait à
(( un particulier : cela n'eât point au-dessous d'une
(( grande princesse*, moins on la vole, jplus elle 'est
« en état de faire du bien : et quand on ]e fait avec
<c discernemerit, l'on en sait gré. J'ai toujours ouï
« dire que l'infante Isabelle (0, souveraine des Pays-^
« Bas 9 voyoit toutes les affaires , jusques aux plus pe-
« tites , aussi bien qu'une grande duchesse de Tos-
a cane (^) de la maison de Lcft-raine, toutes deux aussi
« illustres par leur mérite , leur capacité et leur vertu
a que par leur naissance : je serai fort aise de les
« imiter. »• Préfontaine le fut fort de ma résolution,
et me dit que je ferois très-bien ; et pour ce sujet , il
chercha les moyens de découvrir -ce que je voulois
savoir. Nous trouvâmes que j'avois été fort mal ser-
•
(i) L* infante Isabelle : Voyez la Dote de la page gS de ce Yolame.
— (a) Une grande duchesse de Toscane: Chrîstine, fille de Charles m,
dac de Lorraine, et petite-fille de Catherine de. Mëdicis. Elle avoit
ipOQtë , le 3o avril i58g, Ferdinand de Médicis, grand dnc de Toscane.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 887
vie , et que je pouvois beaucoap retrancher de ma
dépense et paroître davantage. J'envoyai quérir mes
gens avec leurs comptes : ils m'en apportèrent de
feux 5 je leur montrai les véritables : ils furent con-
fondus et contraints de m'en demander pardon , et de
me prier de leur donner ce qu'ils m'avoient dérobé.
U y en eut un qui m'avoua que son confesseur lui
avoit refusé l'absohition jusqu'à ce qu'il eût restitué.
Je le leur donnai , à condition qu'à l'avenir ils auroient
une meilleure conduite. Madame de Frontenac m'a-
voit donné un contrôleur , le mien étoit ïhort •, il de-
voit faire merveille, il avoit fait comme les autres;
Après que j'eus écrit et reçu beaucoup de lettres
de Blois , Son Altesse Royale envoya M. Duché pour
me persuader de l'aller trouver la semaine sainte à
Orléans ; je m'en excusai. U fut deux jours à Saint-
Fargeau -, il m'importuna fort. La comtesse de Fiesque
et madame de Frontenac commencèrent à se lier en-
semble d'amitié , nonobstant ce que j'avois dit à la
dernière-, et comme mes affaires me donnoiënt beau-
coup de chagrin, et que je ne savois à qui m'en pren-
dre, je me mettois quelquefois en colère contré Pré-
fontaine , parce qu'il étoit parent de M. de Choisi ,
que je croyois l'auteur de tout l'embarras où j'étois.
Je mé trompoisTort , comme j'ai vu dé{)uis -, il ne Té-
toit point, et Préfontaine nele voyoit plus depuis que
je le lui avois défendu. Un jour que je l'avois grondé,
et qu'il me voyoit en méchante humeur , il s'en alla
coucher chez un gentilhomme nommé La Salle , qui
h'e»t qu'à deux ou trois lieues de Saint-Fargeau , le-*
quel en est présentement gouverneur. Pendant son
absence , ces bonnes dames , qui lui en vouloient sans
a5.
388 [i653] MÉMOiRfis
savoir pourquoi, engagèrent Latour ^ mon ëciiyer, à
me venir parler contre lui , afin qu'il ne revînt plus
auprès de moi. Comme je suis méfiante, et que je con-
noissois assez de sujet de Télre , je rembarrai La Tour
d'importance \ et pour lui faire connoître que je n'é-
tois pas d'humeur à congédier si légèrement des gens
qui me servent bien , j'envoyai un homme au galop le
quérir , quoiqu'il fut dix heures du soir et qu il plût.
U arriva à minuit, fort mouillé. Lorsqu'il entra , je lui
dis : « Le meilleur moyen du monde de raccommoder
(( les gens avec moi, c'est quand on les insulte. » .Je
lui contai tout ce que Latour m'avoit dit,. et en même
temps je lui dis aussi : « C'est un pauvre homme qui
« ne sait ce qu'il fait, à qui les comtesses de Fiesque
« la mère et la fille ont fait faire tout cela , jcomme le
(( chat qui tire les marronsdufeu; jesuispourtantbien
u aise que vous voyiez quel homme c'est : vous m'im-
(( portunez sans cesse pour lui faire du bien, et vous
u voyezlareconnoissance qu'il en a. » Pour la comtesse
de Fiesque la jeune, je ne comprenois pas quel inté»
>ét elle avoit à cela ^ aussi ne croyois-je pas trop qu'elle
y eût part : la suite de sa conduite m'a bien fait con-
noître le contraire. Pour madame de Frontenac, je ne
l'en accusois en façon du monde *, je ne la croyois pas
liée d'amitié au point où elle étoit avec la comtesse
de Fiesque^ Pour la vieille comtesse , il y avoit long-
temps que je voyois bien qu'elle n'aimoit pas Préfon-
taine , et la raison çn étoit qu'il ne l'alloit guère voir ,
et qu'il ne lui parloit qu'indiQéremment \ et elle eût
voulu qu'il lui eût rendu compte de tout ce que je lui
disois et de toutes mes affaires , dont elle auroit voulu
être maîtresse, et faire des micmacs de petits ménages :
, DB MADEMOISELLE DB MONTPfi^SlER. [i653J 389
elle ëtoit fortintéressëe. Puisqu'elle avoit connu qu'il
n'ëtoit pas homme à cela, elle Tavoit haï mbrtelle-
nlent : sa consolation étoit quelle en auroit haï tout
autre en sa place qui m'auroit servie de même. C'é-
toit moi qui ne voulois pas qu^il lui parlât de rien. La
Tour ne fit pas long séjour à Saint-Fargeau après cette
équipée ; il me demanda permission de s'en aller chez
lui : je la lui donnai avec beaucoup de joie.
Uii jour que j'entrai dans la chambre de madame la
comtesse de Fiesque la nière, je trouvai son écritoire
ouverte, et il y avoit une lettré qu'elle écrivoit à ma-
dame la duchesse d'Aiguillon, qui n'étoit pas fermée.
Elle lui témoignoit le déplaisir qu'elle avoit de ce que
M. le comte de Fiesque étoit dans les intérêts de M. le
prince -, qti'elle souhaitoit avec toutes les passions ima-
ginables qu'on l'en pût retirer , et que pour cela ilfal-
loit proposer à la cour quelque négociation pour M. le
•prince par le comte de Fiesque, et dire que te comte
de Fiesque étoit un bon homme plein d'honneur ,
qui étoit aussi aisé à tromper qu'un autre ^ tju'elte
avoit beaucoup de pouvoir sur son esprit yqvte s'il étoit
une fois ici , elle le feroit bien parler , et tireroit de
lui bien des circonstances, si ces commerces étoient
une fois établis*, et que sous prétexte de servir M. le
prince, pourvu que l'on le sût bien prendre, et lai
'parler toujours dlionneur et de probité , on le feroit
passer par dessus. Je ne fus pas surprise de voir ces
bonssentimens; je connoissbis la bassesse de son ame,
et le désir qu'elle avoit de s'intriguer aux dépens de
qui que ce pût être. Après le retour de Duché à Blois ,
l'on m'envoya un valet de pied qui m'apporta une
transaction que l'on me mandoit de signer , et que si
390 [l653] MEMOIRES
jevouloisje l'envoyasse consulter à Paris. Je répon-
dis qu il ne falloit point de conseil là-dessus, et qu'il
ne falloit que savoir lire pour connoître qu elle m*é-
toit très^désavantageuse. J'écrivis à Goulas pour sup*
plier Son Altesse Royale de vouloir prendre des ar-
bitres: il me manda qu'il prenoit messieurs de Bous et
de Cumont. Je lui fis réponse que, pour marque que je
voulois promptement sortir d'afFaïre avec Son Altesse
Royale, je n'en voulois point d'autres 5 que je les
croyois gens de probité. Il me manda ensuite qu'il
n'étoit pas de la dignité d'un fils de France de mettre
ses affaires en arbitrage , et que j'avois mal expliqué
sa lettre.
Tout ce que j'écrivois étoit pris de travers; et si
Ton me répondoit une fois à propos, et que je con-
vinsse de ce qu'ils proposaient , aussitôt ils s'en dé^
disoient.
Vineuil, qui venoit de Flandre, fut pris avec
toutes ses lettres. Il en avoit une entre autres sans
dessus , où l'on parloit de M. de Lorraine et du comte
de Fiesque. Dès qu'on le sut en Flandre, M. le prince
me manda : « Ne soyez point en inquiétude des let-
« très dont Vineuil étoit chargé 5 dans celle que je
« vous écrivois il n'y avpit rien. » L'on jugea à la cour
que cette lettre s'adressoit à moi. Soit pour faire plai-
sir à Son Altesse Royale, ou plutôt pour se moquer
de tous deux , l'on chargea l'archevêque d'Embrun ,
qui est un prélat toujours absent de spn diocèse et
fort affamé de mauvaises commissions , comme l'on
peut juger par celle-ci , d'aller à Blois porter la co-
pie de cette lettre , et d'offrir à Son Altesse Royale
sur cela de m'ôter la disposition de mon bien , et de
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 3gi
la lui remettre , sous prétexte que j'envoyois de l'ar-
gent à M. le prince. Son Altesse Royale refusa cette
offre , et c'ëloit trop de lavoir écoutée : hors le ca-
ractère, il devoit faire jeter par les fenêtres tout
homme assez mal avisé pour lui faire ime telle propo-
sition. L'on me l'écrivit pour m'intimider, et pour me
faire hâter d'aller à Orléans^ Je leur mandai que Ton
ne me pouvoit ôter mon bien à moins que d'être dé-
clarée ou folle ou criminelle ; que je n'éiois ni l'une
ni l'autre. Le pauvre archevêque d'Embrun (je le
nomme ainsi par la pitié que j'ai de sa conduite ) m'é-
crivit pour me dire qu'il avoit eu beaucoup de joie de
voir le bon naturel de Son Altesse Royale pour moi ,
par la manière dont il avoit reçu la proposition qu'il
ëtoit allé faire contre moi. Jamais homme ne s'étoit
vanté de pareille action : je ne lui fis aucune réponse.
J'avois plus de sujet de me plaindre qu'il eût pris
cette commission qu'un autre : il est de la maison de
La Feuillade , qui a toujours été attachée à Son Altesse
Royale; son père et trois de ses frères étoient morts à
son service , et lui il avoit toujours fait une profession
particulière d'être de mes amis, et je le traitoisfort bien.
Son Altesse Royale retourna à Blois. Nos affaires
allèrent toujours leur train, c'est-à-dire qu'elles ne
s'avaneoient point , quoique l'on s'écrivit beaucoup
de lettres. Son Altesse Royale me pressoit fort d'^er
à Blois, et disoit que la cour désiroit que je fusse au-
près d'elle 9 et qu'elle avoit beaucoup d'affaires à me
communiquer. Elle me manda d'y envoyer Fréfon-
taine \ je lui mandai que cela ne serviroit de rien \
que je ne me fiois à personne de mes affaires. Du côté
de Paris, tout le monde m'écrivoit que madame la
3g*i [lbi>ij MEMOIRES
princesse se mouroit, quelle ne pouvoit échapper,
et que l'on craignoit que si cela arrivoit , M. le prince
ne me vînt enlever à Saint-Fargeau. Monsieur avoit
promis que quand je serois une fois à Blois, l'on m'y
arréteroit prisonnière, et que je n'en partirois plus;
cela redoubla l'appréhebsion que j'avois d y aller. La
comtesse de Fiesque et madame de Frontenac me di-
soient sans cesse que je né devois point quitter Saint-
Fargeau ; que la liberté étoit belle. Préfonlaine fai-
soit tout ce qu'il poUvoit pour m'obliger d'aller .à
Blois; il me disoit sans cesse qu'il étoit de fort mau-
vaise grâce à moi de n'obéir pas à Son Altesse Royale ;
que pour la crainte de la prison , si le Roi voulôk
me faire arrêter , il le pouvoit à Saint-Fargeau comme
à Blois ; je me mettois en colère- contre lui, et c'étoit
tout ce qui en arrivoit. Quand il venoit quelqu'un de
Blois, je faisois la malade; je disois que j'avois la
fièvre, et jp n'aurois pas eu une plus-grande joie
que de l'avoir en effet. Au reste je me portois fort
bien ; je disois sans cesse : « Voyez que je suis jaune ! »
et j'avois le meilleur visage du monde. Le régiment
d'infanterie de Son Altesse Royale étoit pour lors en
garnison en Nivernois ; et comme l'on disoit que l'on
vtendroit m'arrêter à Saint-Fargeau, je leur disois :
« Vous me viendrez secourir , » sans faire réflexion
sur la suite; de sorte qu'ils envoyèrent tous les jours
à Tordre un officier pour savoir si je n'avois pas be-
soin d'eux. Je m'amusois à conter tout ce que nous
ferions si nous étions assiégés , les fortifications qu'il
faudroit faire , et mille sottises de cette nature, dont
Ton rit , quoique le sujet donne assez de chagrin.
Préfontaine ne donnoit point dans ces plaisante*
DE MADEMOISELI.B DE MONTPENSIER. [l653J 3gi
ries : il ëtoifPau désespoir de ce que je les faisois.
Le jësuite du due de Neubourg vint à Saint-Far-
geau , aUa descendre aux Âugustins , et f]# ^voir sa
venue à madame la comtesse de Fiesque , qui vint le
matin avec une*mine fine et gaie me dire : w Le père
« jésuite est ici , Son Altesse Royale lui a permis dy
« venir ; je vous assure que, quoique vous en riiez, le
« duc de Neubourg est un fort bon parti : c'est un
a prince de la m£[ison de Bavière qui n a que trente
c( ans , bien fait , de Tesprit , du mérite et de beaux
« Etats. Dusseldorff, sa ville capitale , est fort belle et
« bien située; son palais fort beau, et guère éloigné
« d'ici : c'est un prince qui peut bien être empereur.
« En l'état où vous êtes à la cour , peu de gens vous
« recherchent, et lui il vous veut avec tous les ém-
et pressemens imaginables; quand il n'y auroit que
c( cette circonstance , elle est assez obligeante : si
« vous ne l'acceptez pas, Son Altesse Royale croira
« que vous avez des engagemens avec M. le prince.
« Lorsque vous fûtes voir Madame à Orléans, il me
« dit : Je suis assuré que si madame la princesse meurt
« (ce qui arrivera: elle a une maladie de poumon
c( dont personne n'est jamais réchappé) , ma fille l'é-
« pousera, et je crois qu'ils se le sont proniis, et
a même qu'ils sont d'accord de rompre le mariage de
« ma fille de Valois, et de faire le duc d'Enghien car-
« dinal. » Je l'écoutai fort patiemment, et je lui de-
mandai : « Avez-vbus tout dit ?. » Elle me dit : « Non ;
« je veux vous dire que vous croyez bien que j'ai-
« merois cent fois, mieux que vous épousassiez M. le
« prince : vous ne bougeriez de France ; et d'ailleurs
« rattachement que mon fils y a me le feroit désirer,
394 [l653] MÉMOIRES
« et si vous avez sérieusement cela datts la tête, et
(( autant que tout le monde le croit, je vous conjure
« de ma^I^dire : vous pouvez par toutes sortes de rai-
« sons prendre confiance en moi, et je vous assure
<( qu'il n y a rien que je ne fasse auprès de Son Altesse
a Royale pour vous y servir. » Je pris l^ parole, et je
lui dis : (( Je ne trouve point le duc de Neubourg un
« parti sortable en façon du monde pour moi -, il n'y
c( a jamais eu de fille de France mariée à de petits
<( souverains : c'est pourquoi je n'en veux point ab-^
« solument. Pour M. le prince, je n'y songe point du
(( tout; je vous ferois tous les sermens imaginables
« qu'il ne m'a jamais parlé de Faffaire dont Monsieur
<( veut que nous soyons d'accord : les gens qui ont
« le sens commun ne prennent guère de mesures de
« cette nature sur la mort d'une personne qui est
c( aussi jeune que moi. Madame la princesse est de
« mon âge: si elle mouroit, qu'il fût r.entré dans les
« bonnes grâces du Roi , que Sa Majesté le voulût et
« Son Altesse Royale , et que pour le bien de la ipai-
« son royale on me le proposât, je crois que je
« l'épou^erois ; il n'y a rien en sa personne que de
(( grand , d'héroïque et de digne du nom qu'il porte,
« De croire que je me marie comme les demoiselles
« des romans, çt qu'il vienne un Amadis me quérir
« sur un palefroi , et qu'il pourfende tout ce qu'il
« trouvera en son chemin-, que, de mon côté, je
« monte sur un autre palefroi comme Orianne, je vous
« assure que je ne suis pas d'humeur à en user ainsi ,
tt et que je m'estime fort offensée des gens qui ont
« une telle pensée de moi. » La bonne femme s'en
alla entretenir son père, jésuite , qui lui donna une
DE MADEMOISELLE DE MOIVTPENSIER. [l653] 3q5
lettre que le duc de Neubourg m'avoit écrite, qui
étoit un peu de vieille date. Comme la bonne femme
me la voulut donner , je lui dis que je pensois qu elle
se moquoit de me donner une telle lettre ^ elle me
dit: « Lisez-la, puis je la lui rendrai, et lui dirai que
"R c'est moi qui lai ouverte. » De cette manière je la
voulus bien lire, et en voici la copie :
« Mademoiselle ,
« Puisque les rares vertus et perfections que le
ciel a jointes à la grandeur de la naissance de Votre
Altesse Royale ont fait éclater ses louanges partout ,
j'espère qu'elle me pardonnera si je me trouve au
nombre de ceux qui cherchent l'honneur de la servir.
Ce seroit le véritable bonheur qu'avec passion je sou-
haite, si dès cette heure il m'étoit permis de rendre
à Votre Altesse Royale les respects et les obéissances
que je désirerois de lui vouer. Comme l'injure des
temps et les conjonctures présentes ne me permettent
pas pour cette heure l'acconplissêment de ce désir,
je supplie très-humblement Votre Altesse Royale de
vouloir permettre au révérend père Jean-Antoine,
jésuite , de lui en donner les assurances de ma part ,
et de croire qu'entre tous ceux qui font profession de
la servir,, je ne céderai à qui que ce soit en fidélité et
en zèle. Pour en donner des preuves véritables , je ne
puis aspirer à une plus grande gloire que d'avoir la
permission de dire que je suis et serai toute ma vie
très-véritablement, mademoiselle, de Votre Altesse
Royale le très -humble, très-obéissant et très-fidèle
serviteur et cousin ,
« Philippe-Guillaume, comte palatin. )>
396 [l653] MÉMOIRES
Après que j'eus lu et copie cette missive, madame
la comtesse de Fiesque me dit : « N'a-t-il pas bien de
« resprit ? n'ëcrit-il pas galamment ? » Je lui répon-
dis que jeconnoissois peu les poulets, que j'ëtois la
personne du monde la moins propre à juger de cette
matière. Le lendemain matin elle envoya quérir Prë-
fontaine, lui parla fortement de cette affaire, et voulut
l'obliger à me la conseiller^ il lui répondit que quand
je lui demandois son avis il me le donnoit en homme
de bien et d'honneur; que quand je ne le lui deman-
dois pas, il ne s'ingéroit pas de m'en donner, et que
j'étois en âge de savoir ce que j'avois à faire , et qu'il
n'appartenoit pas à mes gens de me donner des avis
et de faire les capables. Elle lui dit : <( Je crois que
« Mademoiselle voudroit bien voir le père , et même
t( je crois qu'elle le doit-, comme j'ai pris médecine,
<c menez-le-lui. » Il trouva cela fort à propos, et dit
qu'il feroit ce qu'elle lui ordonnoit. Il me vint rendre
compte de cette négociation comme je m'en allois à
la messe : de sortequaif retour j'allai voir te comtesse
de Fiesque ; elle me tint le même discours qu'à Pré-
fontaine sur la visite, hors qu'elle ajouta : u Si nous
« pouvions trouver moyen que personne ne le vîtT y^
Je crus me moquer , et je lui dis : « Lorsque j'arrivai
« ici , je m'allai promener par toute la maison : Ton
(( peut aller dans les galetas et partout*, les portes en
« sont fort petites , il n'y passe jamais que des coû-
te vireurs de maisons ou telles autres gens : et si je ne
« me trpmpe, on peut rompre des portes murées et
« venir dans mon cabinet. » Elle trouva cette propo-
sition admirable; de sorte que l'après-dînée le révé-
rend père vint dans sa chambre. Préfontaine le mena
IbK MADEMOISELLE DE MONTFENSIER. [l653] igj
par les galetas, où il se pensa rompre le cou ; et comme
il eiït mis le personnage à la porte , il vint m'en aver-
tir et j'entrai dans mon cabinet, et Prëfontaine lui
ouvrit la porte, Javois caché madame de Frontenac
sous la table. Son entrée fut assez plaisante : un jé-
suite botte et en habit de campagne, et d'une grotesque
figure ! Il tenoit son manteau des deux mains , d'une
contenance à faire rire^ et comme il fut proche de
moi, il clignoit un œil pour me mieux regarder; je
mourois d'envie de rire. Préfontaine n'en pouvoit
plus : il sortit par respect; je lui avois cependant dit
d'écouter à la porte tout ce qui se diroit. Le révérend
père commença par les complimens de M. le duc de
Meubourg ; ensuite il me dit : ((Je crois que Son Al-
(( tesse Royale vous a dit les propositions que je lui
(( ai faites, qu'il a très-bien reçues, et m'a témoigné
(( qu'il seroit bien aise que j'eusse l'honneur de vous
(( voir , et de vous les faire moi-même. » Je lui ré-
pondis que M, le duc de Neubourg me fai^oit beau-
coup d'honneur , et que les pensées qu'il avoit pour
moi étoient une marque de son estime : que je lui en
serois toujours obligée ; qu'en Fétat où nous étions, il
n'y avoit- guère d'a{!|>arence de me marier ; que toute
ma famille étoit divisée ; que Son Altesse Royale étoit
mal à la cour; que M. le prince étoit hors de JFrance ,
et que je ne voulois pas me marier qu'ils ne fussent
tous à mes noces, afin qu'elles se pussent faire avec
l'éclat et la dignité qui me convenoit. 11 me tira un
portrait de M. de Neubourg de sa poche en petit , puis
un autre en image , et me dit : (( C'est le meilleur
a homme du monde , vous serez trop heureuse avec
(( lui ; sa femme, qui étoit sœur du roi de Pologne ,
398 [l653] MÉMOIRES
« mourut de joie de le voir à son retour d'un voyage. »
Je lui répondis : a Vous me faites peur , je craindrôis
«de le trop aimer et de mourir : c'est pourquoi je ne
K l'épouserai pas. » II fut une heure à me conter go-
guette 5 après il me dit : « Croiriez-vous être trop
« jeune pour vous marier ? » Je lui dis que non , et
que je Tétois assez pour ne me point hâter. Comme
il vit que tout ce qu'il me disoit ne me persuadoit
point, il prit congé de moi, et j'appelai Préfonlaine
ipour le remener; il fut encore un jour ou deux à
Saint-Fargeau à venir voir madame la comtesse de
Fiesque ; pour moi , je ne le vis plus. Je n'ai jamais
Compris d'où venoit à la comtesse cette grande amitié
pour le duc de Neubourg , si ce n'est qu'on lui avoit
promis de l'argent -, et comme elle l'aimoit fort, il étoit
capable de lui faire faire tout ce qui se pouvoit ima-
giner. Madame la duchesse de Sully me vint voir :
elle amena avec elle M. d'HerbauIt et M. de Fronte-
nac; lorsque Frontenac avoit passé à Saint-Fargeau,
il n'y avoit été que huit jours , pendant lesquels il
avoit eu la fièvre , et avoit vécu comme un convales-
cent qui revient des portes de la rifort. A ce voyage-
ci il venoit dans une fort grande l&nté : l'on ne savoit
point qu'il viendroît ; comme il arriva ,'• sa femme fut
fort surprise, et son étonnement parut à tout le
monde, et même il ne fut pas suivi de gaieté. Au lieu
d'aller entretenir son mari , elle s'en alla se cacher 5
elle pleuroit et crioit les hauts cris, parce qu'il avoit
dit qu'il vouloit qu'elle allât le soir avec lui. Je fus
fort étonnée de voir qu'elle déclarât si haut son aver-
rion, de laquelle je ne m'étois jamais aperçue. La
comtesse de Fiesque la mère lui vint faire des remon-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 899
trances, lui dit qu'elle étoit obligée en conscience
d'aller avec son mari : tout cela ne faisoit que re-
doubler ses larmes. Elle lui apporta des livres pour
lui faire voir la vérité de ce qu'elle disoit; cela fut
poussé si loin , que je vi$ l'heure que l'on alloit qué-
rir M. le curé avec l'eau bénite pour l'exorciser. Pour
moi , j'étois fort étonnée de voir cela ; j'avois toujours
eu grande aversion pour l'amour , même pour celui
qui alloit au légitime , tant cette passion me paroissoit
indigne d'une ame bien faite. Je m'y confirmai encore
davantage, et je compris bien que la raison ne suit
guère ce qui est fait par passion ; que la passion cesse
bientôt , et qu'elle n'est jamais dé longue durée ; que
Ton est fort malheureux le reste de ses jours quand
c'est pour une action de cette durée où elle engage
comme le mariage, et que Ton est bien heureux,
quand on veut se marier , que ce soit par raison -, même
quand l'aversion y seroit , je crois que l'on s'en aime
davantage après : j'en juge par ce que j'ai vu de ma-
dame de Frontenac , et tout mon raisonnement n'est
fondé que sur elle. Le pauvre M. de Frontenac ne
savoit point ce qui se passoit. Le soir, lorsque/je me
retirai , il s'en alla gaillard à sa chambre dans l'espé-
rance d'avoir sa femme ; il l'attendit quelque temps :
à la fin elle y alla. Le lendemain matin, comme je
m'éveillois , je fus tout étonnée que je la vis entrer
tout habillée dans ma chambré ; il étoit d'assez bonne
heure.
Frontenac, dont la maison n'est pas éloignée de
Blois, y avoit été rendre ses devoirs à Son Altesse
Royale ^ il voulut entrer en matière sur mes affaires ,
et sur ce que Monsieur lui avoit dit -, il ne devoit pas
4oO [l653] MEMOIRES
en être trop glorieux : Son Altesse Royale ne voyoit
personne à qui il n'en parlât. Je Fécoutai prôner;
il en parla aussi à Préfontaine. M. le marquis Du
Cbâtelet , qui est mestre de camp du régiment de
cavalerie de Son Altesse Royale , vint de Blois ; je lui
demandai si on ne lui avoit rien dit pour me dire;
il me répondit : « Je ne suis pas si sot que de me faire
« de fête, pour être chargé de dire à Votre Altesse
« Royale ce qui lui déplairoit. » Je le dis à Préfon-
taine. Je me promenois avec madame de Sully ; Pré-
fontaine étoit avec madame la comtesse de Fiesque,
à, qui il conta ce que le marquis Du Châtelct m'avoit
dit , et le loua et dit : « C'est en bien user pour Ma-
ie demoiselle et pour lui , de ne se pas vouloir mêler
a d'affaires dont il ne se croit pas capable. » Âprè^ la
promenade je m^en revins au logis : nous allâmes dan-
ser dans la grande salle ; comme nous dansions , je
vis Préfontaine qui se promenoit à l'autre bout avec
Frontenac, qui parloit d'action. Je m'aperçus que .cela
duroit; sa femme et madame de Sully le remarquè-
rent : elles me parurent en être inquiètes, et je Tétois
de mon côté. Je dis : u M'avons-nous pas assez dan-
k se?» Madame de Sully dit que oui: nous nous en
allâmes.. J'appelai Préfontaine ; je lui demandai :
tt Qu'est-ce que vous disoit Frontenac?» Il me répon-
dit : c( 11 me querelloit. Je n'ai jamais vu pn si imper-
(( tinent homme. » J'entrai dans mon cabinet ; madame
de Sully m'y suivit , et la comtesse de Fiesque ; ma-
dame de Sully dit : « J'étois dans la plus grande peine
« du monde de vous voir parler d'action avec Fron-
K tenac -, il est venu ici en si mauvaise humeur , que
« j'ayois peur qu'il ne vous querellât 5 hier il nous
DE BiADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 4^1
« pensa manger dans le carrosse. » La comtesse de
Fiesque dit : a Ce matin il a été voir ma beUe-mère ,
« il Ta querellée, w Préfontaine répliqua : « Il m'a vou-
« lu étrangler. » Puis se tournant vers la comtesse de
Fiesque : «C'est , madame, dit-il, pour ce que je vous
<( contob dans le jardin de M. Du Châtelet. Je disois
<( que je trou vois qu'il avoit bien fait, sans dire que
a M. de Frontenac eût tort : je n'ai jamais vu un homme
(( si ridicule. » Nous nous mimes tous quatre à plain-
dre la pauvre madame de Frontenac d'avoir un mari
si extravagant, et à trouver qu'elle avoit raison de
ne pas aller avec lui. Je la fis appeler , et lui contai
ce démêlé-, elle pleura fort; puis j'envoyai quérir
M. d'Herbault , oncle de Frontenac, qui fit force ex-
cuses à Préfontaine. Frontenac fut vingt-quatre heures
dans sa chambre , où personne ne le vit que sa femme
et son oncle qui le gardoient, jusqu'à ce que son ac-
cès fût passé. Quand il fut un peu revenu , il se plai-
gnit de ce que Préfontaine lui avoit rendu de mauvais
offices auprès de moi , et que lorsque d'Herbigny n'a-
voit plus été mon intendant , il m'avoit offert le ser-
vice de M. de Neuville son beau-père pour l'être en
sa place , et qu'il savoit bien qu'il m'avoit empêchée
de l'agréer. Jamais vision ne fut si fausse et si mal
fondée \ il dit à Préfontaine : a J'ai dessein de proposer
<( à Mademoiselle mon beau-père. » Préfontaine lui
répondit que je ne pouvois pas mieux faire ; que c'é-
toit un fort honnête homme ; que depuis que d'Her-
bigny n'étoit plus à moi , il m'avoit souvent entendu
dire que de quelque temps je ne remplirois pas sa
place. A l'instant qu'il eût quitté Préfontaine , il me
vint trouver et me dit : u L'attachement que ma femme
T. 4^- ^6
402 [l653J MÉMOIRES
« et moi avons eu au service de Votre Altesse Royale
« m'a fait croire que je devois vous offrir le service de
« M. de Neuville. » Je lui dis que je Testimois et que
j*en faisois cas , aussi bien que de madame de Fron*
tenac et de lui ^ et que j'avois des raisons pour ne
prendre personne en la place de d'Herbigny -, et que
madame de Frontenac savoit bien que j'avois pris cette
résolution , lorsque je Pavois congédié. Quand elle
sut que son mari m'avoit fait cette harangue, elle en
fut au désespoir , et encore plus lorsqu'il s'en ressou-
vint pour faire une plainte sans fondement contre
Préfontaine. Madame la comtesse d'Alet, dont j'ai ci-
devant parlé sous le nom de mademoiselle d'Estain ,
qui étoit souvent avec moi pendant que j'étois petite ,
et depuis que j'ai été grande aussi , vint à Saint-Far-
geau lorsque j'étois allée à Orléans voir ma belle-
mère ^ elle dit à une de mes femmes : u Je m'en vais
<( à Paris jusqu'au retour de Mademoiselle -, je viens
« en ce pays par ordre de la cour. » Ce discours me
donna assez de curiosité , dont je fus assez tôt éclair-
cie. Elle ne fit pas long séjour à Paris , et revint à
Saint-Fargeau ^ elle me conta comme la Reine avoit
demandé de mes nouvelles à un homme qui avoit été
à son père, et si je l'aimois encore-, qu'il lui avoit
répondu que je lui écrivois assez souvent ; et que
sur cela la Reine lui ayoit dit : « Je serois bien aise
<( qu'elle vînt ici -, » et que sur cette pensée-là de
pouvoir me servir , elle avoit entrepris ce voyage.
Qu'un ministre qu'elle ne me voulut jamais nommer,
qui me parut être M. Servien , de la manière dont elle
m'en parla , lui avoit dit : « Si Mademoiselle vouloit
(c écrire à M. le prince, et lui persuader, comme elle
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIEll. [l653] 4^3
« a beaucoup de pouvoir sur son esprit , de revenir
« à Paris , elle feroit un grand coup dont on lui seroit
« fort obligé à la cour -, et ce seroit le moyen d'y
« revenir. » Je lui répondis : « Si la Reine me fait
« l'honneur de m'écrire et de me le commander , et
<( de m'envoyer une lettre comme il lui plaît que soit
« la mienne, je la copierai et m'estimerai fort heu-
« reuse de lui obéir , et de servir en même temps
« M. le prince -, autrement je ne lui écris point, et je
« n'ai nuj commerce avec lui. » Elle me dit : « Je suis
« assurée que vous lui ferez plaisir: » A quoi je lui
dis : <( Les affaires de ce monde ne se mènent point
« ainsi ; les gens comme moi ne s'arrêtent pas aux
« paroles , à moins que de voir en vertu de quoi vous
« agissez. Je croirai aisément que l'on a voulu abuser
« de votre bonne foi , et de l'amitié que l'on sait que
« vous avez pour moi. » Elle étôit fort étonnée de ce
que je n'étois pas d'une légère croyance comme elle.
Elle resta trois ou quatre jours à Saint- Fargeau , pen-
dant lequel temps elle me dit qu'il lui étoit venu un
courrier à qui elle alla parler à la ville , pour savoir ce
que je lui dirois ^ auquel je pense qu'elle répondit ce
que je lui a vois dit. Je n'ai plus ouï parler de cette
négociation depuis. Madame de Bonelle , dont l'exil
n'avoit guère duré ( elle ne fut que trois mois en sa
maison), écrivit à madame la comtesse de Fiesque :
« Madame d'Alet a été ici -, on l'a voulu charger de
« parler à Mademoiselle : elle en a fort bien usé..))
Le comte de Fiesque , qui étoit mon correspondant
auprès de M. le prince, m'écrivoit fort souvent, les
premiers mois que je fus à Saint-Fargeau , que je n'y
étois point en sûreté , que M. le prince étoit d'avis
26.
4o4 [l653] MÉMOIRES
que j'allasse à Stenay ou à Bellegarde : ce que je ne
jugeai pas à propos. 11 m'ëcrivoit très-soigneuseraent ,
et c'étoit lui qui chiffroit toutes les lettres de M. le
prince. J'en reçus une , qui ëtoit la dernière avant
qu'il partît pour aller en Espagne , assez longue, et je
trouvois que Prëfontaine ëtoit fort long-temps à la
dëchiffrer ; à la fin il me l'apporta , et nous la lûmes
en présence de mesdames de Fiesque et de Frontenac.
Il y avoit à la fin que M, le prince me prioit de me
dëfier de Prëfontaine , parce qu'il ëtoit assure qu'il
n'ëtoit pas de ses amis , et qu'il ëtoit au cardinal Ma-
zarin. Je trouvai cela fort mauvais ^ je le témoignai à
la comtesse de Fiesque , que j'accusai d'abord d'avoir
fait cette pièce. Je dëpéchai à M. le prince en grande
diligence , et je lui mandai que Prëfontaine ëtoit un
garçon fidèle qui n'a voit d'attachement au monde qu'à
mon service ; qu'au surplus il avoit une grande véné-
ration pour lui. M. le prince me fit réponse qu'il ne
savoit pas où M. le comte de Fiesque avoit pris cela ,
et que dans le billet qu'il lui avoit donné à mettre en
chiffres , il n'y avoit pas un mot de Prëfontaine ; qu'il
Testimoit et qu'il le croyoit de ses amis , et qu'il me
prioit , si cela avoit fait quelque impression sur son
esprit , de l'en détromper. Je lui mandai que je ne
trouvois pas bon qu'il donnât à chiffrer à tout le
monde les lettres qu'il m'écrivoit, et que celle-là n'ëtoit
ni de la main du comte de Fiesque , ni de celle de
Caillet son secrétaire. Quelque perquisition que l'on
en pûtfaire, l'on ne sut trouver d'où elle venoit -, et
dans trois ou quatre lettres tout de suite , M. le prince
y parla obligeamment de Prëfontaine : ce qui, je crois,
ne donnoit pas trop de joie à la comtesse de Fiesque.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 4^5
Plus on me pressoit d aller à Blois , plus j'en étois
éloignée. Je trouvai une invention admirable : je fis
mettre tous mes chevaux au vert, afin de ne pouvoir
m'en servir; comme je donnai cette excuse , l'on
m'en envoya que je gardai deux mois. L'on me man<-
doit de Paris que si j'allois à Blois , l'on m'ôteroit
les comtesses ( c'est ainsi que l'on appeloit ces deux
dames ) et Préfontaine. Ce bruit me mettoit au dés-
espoir-, et Préfontaine, qui faisoit tout ce qui lui
étoit possible pour m'ôter ces craintes , et pour me les
faire surmonter par de bonnes raisons , me disoit les
mêmes que lorsque je craignois que l'on m'arrêtât
à Paris : « Si Son Altesse Royale veut éloigner ces
« dames d'auprès de vous et moi, elle le peut de
c( .Blois comme si vous y étiez; c'est pourquoi il faut
« que votre seule conduite vous mette au-dessus de
« toutes ces craintes. »
M. le maréchal d'Etampes vint à Saint-Fargeau ,
pour me presser d'aller à Blois. Gomme tout ce qui
est dans le monde prend fin , il fallut me résoudre
d'en donner une à ce voyage, et de l'exécuter ; je me
résolus : on le manda à Blois. Ce ne fut pas sans pleu-
rer horriblement , et à tel point que la nuit dont je par-
tis le matin , il me prit un mal de gorge fort grand :
mon médecin jugea cependant que je pouvois partir.
J'allai coucher à Sully ; dès que j'y fus arrivée, mon
mal de gorge augmenta , et il me prit une fièvre fort
violente : ce qui m'obligea à dépêcher à Blois, pour
m'excuser si je n'arrivois pas à point nommé le jour
que j'avois mandé. L'on me saigna du pied, et cette
saignée dissipa mon mal. Je partis dès le lendemain:
je ne faisois que pleurer dans le carrosse. Gomme
4o6 [l653] MÉMOIRES
j'arrivai à Blois (c'étoit le soir assez tard), je ne vou-
lus point aller à la chambre de Son Altesse Royale ^
je pris ma course au sortir du carrosse , et m'en allai
à la mienne. Gomme j'y fus , je m'assis -, et je disois à
tout le monde , et même à ceux qui m'avoient vue cour
rir, sans que j'y fisse réflexion j tant j'ëtois hors de moi :
« Je suis si foible que je ne me puis pas tenir debout. »
Monsieur désira de me voir ; l'on m'envoya la chaise
de Madame , dans laquelle l'on me porta jusqu'à la
porte de la chambre de Monsieur.
Le lendemain Monsieur me vint voir ; et comme je
demeurai au lit, Madame, qui ne fait pas beaucoup
de chemin, me vint voir; elle me fit mille amitiés, et
Monsieur aussi. 11 me témoigna que j'avois grand tort
d'avoir feit difficulté de le venir trouver , dans l'ap-
préhension qu'il ne me contraignit dans les affaires
que j'avois avec lui -, que jamais il ne s'étoit servi de
son autorité pour faire violence envers qui que ce soit;
qu'il ne commenceroit pas par moi. 11 me dit mer-
veille ; il témoigna les sentimens les plus tendres du
monde à Préfontaine pour moi , et les plus obligeans
pour lui : de sorte que j'étois fort contente. Je lui
voulus parler un jour de mes affaires; il s'enfuit, et
ne me voulut donner aucune attention. Je lui de-
mandai permission de faire signifier au duc de Ri-
chelieu que je voulois retirer Ghampigny ; il me le
permit, et me dit . « J'ai toujours bien cru que vous
<c le retireriez , et ce que j'en ai fait a été par force, w
Après avoir été quinze jours à Blois, je m'en allai
me promener en Touraine. Madame la comtesse de
Fiesque la mère s'en alla à une maison qu'elle avoit en
Berri , et madame de Rare , gouvernante de mes sœurs,
DE MADEMOISELLE DE MOISTPENSIER. [l65ii] 4o7
vint avec moi et madame de Valençay^ de. sorte que
cela , joint avec ce qui étoit avec moi d'ordinaire ,
embellissoit ma cour. J'allai de filois à Amboise, où
le marquis de Sourdis, qui en étoit gouverneur, me
traita magnifiquement , et me reçut au bruit du ca-
non: jamais je n'en ai ouï un si grand. Je disois que
c'ëtoit pour réparer le peu de crédit qu'il témoigna
avoir lorsque j'étois à Orléans. J'allai le lendemain à
Chenonceaux, où M. de Beaufort me traita aussi
magnifiquement qu'il avoit fait l'autre fois que j y
avois été. Les comédiens que j'avois eu tout l'hiver
à Saint-Fargeau se rencontrèrent à Tours ; de sorte
qu'à mon arrivée j'allai à la comédie. J'y séjournai dix
ou douze jours sans y avoir aucune affaire -, j'étois fort
bien logée dans l'archevêché , où M. l'archevêque n'é-
toit pas ^ j'étois fort visitée -, j'allois tous les jours à
la comédie, et me promener aux environs de cette
ville. J'allai à Gouzières visiter madame la duchesse
de Montbazon, qui venoit tous les jours à Tours me
voir : M. de Beaufort y venoit souvent aussi. J'allai à
Villandry me promener , où je fus fort bien reçue ^ je
tâchois de me procurer des divertissemens , et je n'a-
vois point d'autre étude. Je trouvai là le petit-fils de
Louison, qui étoit fort cru depuis le voyage de Bor-
deaux. 11 me parut qu'il étoit assez joli, et quec'étoit
dommage qu'il perdît son temps , c'est-à-dire celui
qui lui restoit de l'étude; il alloit aux jésuites, et
sûrement parmi les bourgeois de Tours il ne se fut
pa^ formé. Je le pris avec moi; je songeai que peut-
être si j'en demandois la permission à Monsieur , il
me la refuseroit; que s'il n'avoit pas agréable que cet
enfant fût avec moi, il me diroit fort librement de le
4o8 [l653j MEMOIRE^
renvoyer^ que si son bonheur vouloit qu'il ne dît
rien, on tâcheroit d'en faire un honnête homme. On
ne l'avoit nomme jusqu'alors que le mignon : il ëtoit
trop grand pour l'appeler ainsi. Je fus empêchée extra-
ordinairement à lui donner un nom : je n'avois que
de grandes terres et considérables , dont beaucoup de
princes du sang ont porté les noms ; je savois bien que
cela ne déplairoit pas à Son Allasse Royale , et de mon
côté je ne trouvai pas qu'il fût digne de les porter»
Après y avoir bien pensé, je me souvins que j'avois une
terre près de Saint-Fargeau, qui s'appeloit Charny : c'est
un beau nom ^ je le fis appeler le chevalier de Chamy.
Comme je n'avois entrepris ce voyage de Touraine
que pour me promener et passer à Champigny que
je voulois voir , je ne jugeai pas à propos d'aller tout
droit : je rôdai aux environs-, j'allai à Bourgueil, où
j'avois été autrefois un jour ou deux, et de là à Saumur
à Notre-Dame des Ardilliers \ l'on tira le canon du
château à mon arrivée : l'on ne me traita pas comme
une demoiselle exilée.
•J'allai à Fontevrault , où ma tante me reçut avec
beaucoup de joie ; elle me pressa fort de prier Mon-
sieur et Madame de lui donner une de mes sœurs.
Ensuite j'allai à Chavigny, qui est une fort belle mai-
son à quatre lieues de Richelieu, où j allai me pro-
mener , parce que madame la comtesse de Fiesque et
madame de Rare ne l'avoient jamais vue. Je passai tout
au travers de Champigny, où je dînai. Quand j'allai à
Châtellerault, j'entendis la messe à la Sainte Chapelle,
où je sentis je ne sais quoi de fort tendre pour les gens
qui y sont enterrés ; et il me sembloit qu'ils m'inspi-
roient ce que j'avois à faire, et de me fortifier dans le
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 4^9
dessein que j'avois de retirer leur maison des mains de
gens qui les avoient indignement-traités. Je séjournai
un jour à Châtellerault ; je ne voulus pas loger en la
maison qui s'appelle le Château, parce que Ton m'avoit
donné avis à Blois que Son Altesse Royale pourroit bien
me proposer d y venir demeurer, afin d'être plus proche
d'elle, et qu'ainsi elle pourroit mieux répondre de moi
à la cour. Je n'avois nulle envie de changer de de-
meure 5 je commençois à m' établir à Saint-Fargeau , j'a-
vois dessein d'y faire bâtir ^j'étois plus proche de Paris,
et pas plus éloignée de Blois-, et je suis de ces gens qui,
quand ils sont accoutumés en un lieu , n'en voudroient
jamais bouger: de sorte que je n'allai pas seulement
voir ma maison -, je disois : Tout y tombe , il n'y a pas
une poutre qui n'y soit en danger de tomber.
Le matin que j'en partis , Gourville, dont j'ai déjà
parlé , me fit éveiller , pour me dire que la paix de
Bordeaux (0 étoit faite , et que M. le prince de Conti
s'en aUoit en Languedoc en une de ses maisons , et
que madame de Longueville attendoit des nouvelles
de son mari ; que pour madame la princesse , elle s'en
iroit en Flandre ; que l'on lui donneroit un passe-port ,
et que M. le duc d'Enghien s'en iroit par mer^ que
toutes les troupes de M. le prince passeroient au mi-
lieu de la France , avec un commissaire qui les con-
duiroit, et feroit loger par ordre du Roi. Cette nou-
velle ne me réjouit point du tout: je savois bien
qu'elle toucheroit fort M. le prince. M. le prince
de Conti se sépara en cette occasion des intérêts de
M. le prince ; et il s'en est excusé depuis sur ce qu'il
disoit que Marsin et Lenet , en qui M. le prince avoit
(i) La paix de Bordeaux : Ce traite fut signe le 3i juillet i653.
4 1 0 [ 1 65 3] MÉMOIRES
une entière confiance , le traitoient de petit garçon ,
et que cela Tavoit oblige de faire ce qu'il avoit fait.
Je ne m'amuserai pas à décrire en détail ce que je n'ai
point vu. Dire ce qu'on entend dire, ce ne seroit pas
toujours la vérité : c'est pourquoi je supprime ce que
d'autres écriront. M. le prince de Conti sortit de Bor-
deaux avec autant de joie que s'il avoit fait la plus
belle action du monde. Pour madame de Longueville ,
elle étoit au dernier désespoir; elle étoit mal avec
M. de Longueville, guère mieux avec M. le prince,
et mal aussi avec M. le prince de Conti : de sorte
qu'elle ne savoit où donner de la tête. La cour et
M. de Longueville trouvèrent bon qu'elle se retirât
en une de ses terres qui est auprès de Saumur , qui
se nomme Montreuil. J'envoyai un gentilhomme lui
faire des complimens, et lui offrir tout ce que je
pourrois. Madame la princesse ne voulut point quit-
ter monsieur son fils, quoiqu'on lui eût dit qu'elle
mourroit en chemin. Elle s'embarqua, après avoir
communié comme une personne qui croit mourir.
Le même jour que je reçus la bonne nouvelle de la
paix de Bordeaux , la fille de madame de Rare se cassa
le bras lorsqu'elle sortit de Châtellerault, où par mal-
heur mon chirurgien n'étoit plus ^ et celui qui la pansa
d'abord lui remit si mal le bras, qu'il fallut le soir,
lorsque l'on arriva à Pressigny, qu'on le lui rompît do
nouveau. C'est une fort belle et agréable maison qui
est au marquis de Sillery, où je restai un jour. Quand
un lieu me plaît, j'y séjourne volontiers. J'allai de là
à Lille , où est la maison de Frontenac , qui est assez
jolie pour un homme comme lui: elle est proprement
meublée. 11 m'y fit faire fort bonne chère ; il me montra
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 4^ >
tous les desseins qu'il avoit d'embellir sa maison , et
d'y faire des jardins , des fontaines et des canaux. Il
faudroit être surintendant pour les exécuter ; et à
moins que de l'être , je ne comprends pas que l'on
les puisse concevoir. Je continuai mon chemin vers
Valençay; j'y arrivai aux flambeaux^ je crus entrer
dans une maison enchantée. 11 y a un corps de logis,
le plus beau et le plus magnifique du monde ^ le degré
y est très-beau , et l'on y arrive par une galerie à ar-
cades qui a du magnifique. Gela étoit parfaitement
éclairé 5 il y avoit beaucoup de monde avec madame
de Valençay , et quelques dames du pays , parmi les-
quelles étoient de belles filles : cela faisoit le plus
agréable effet du monde. L'appartement correspon-
doit bien à la beauté du degré par les embellissemens
et par les meubles. 11 plut tout le jour que j'y séjour-
nai , et il semble que ce temps-là étoit fait exprès ,
parce que les promenoirs n'étoient que commencés.
J'allai de là à Selles,, qui est une belle maison, et dont
j'ai déjà parlé. M. le comte de Béthune (0 et sa femme
me firent fort bien les honneurs de leur maison, avec
une chère fort magnifique , aussi bien qu'à Valençay.
Je trouvai du divertissement à Selles. M. le comte de
Béthune a quantité de très-beaux tableaux ^ comme
je ne m'y connois pas beaucoup , ce ne furent pas les
plus beaux qui m'occupèrent : les portraits des hommes
illustres de l'Europe, et particulièrement ceux de la
cour du Roi mon grand-père , du feu Roi mon oncle, et
de celui-ci, avec des écriteaux qui disent ce qu'ils ont
fait de plus reniarquable en leur vie, attirèrent prin-
cipalement mon attention. Il a la curiosité des ma-
(1) M. U comte de Béthune : Voy; la note de la page 38i da tome 4')*
4l3 [l653] MÉMOIRES
nuscrits : de sorte qu'il y en a un nombre infini de
volumes. Je pris grand plaisir à lire des lettres du
Roi mon grand-père, et toutes les histoires de ce
tetnps-là ; je ne me serois jamais ennuyée en ce Keu ,
où je demeurai un jour. •
Je m'en retournai à Blois, où Son Altesse Royale
ne demeura que deux jours 5 elle alla passer la fête
de la mi-aout à Orléans, où je l'accompagnai-, et
comme elle retourna à Blois , je m'en allai à Saint-
Fargeau. Son Altesse Royale sachant que j'avois pris
auprès de moi le chevalier de Charny , elle dit :
« Cette amitié ne durera guère ; ma fille le renverra
« bientôt à ses parens. » Elle me manda, comme
j'étois à Selles, de ne le point mener à Blois ni à Or-
léans -, je l'envoyai m'attendre sur le chemin de Saint-
Fargeau. Au retour de ce voyage de Touraine , Mon-
sieur s'enquit de tout ce que j avois fait , et me parla
de tous les parens et de la mère de Louison : il ne me
dit rien d'elle ni de son fils. Je m'acquittai aussi de la
commission que madame de Fontevrault m'avoit don-
née de presser Son Altesse Royale de lui donner une
de mes sœurs. 11 me répondit : « Parlez-en à Madame 5
« pour ma fille d'Orléans, vous croyez bien que Ion
« ne l'y mettra pas; ma fille de Valois, c'est mon
« divertissement, et c'est pourquoi je vous l'ai refu-
« sée. » Je l'avois demandée lorsque j'allai à Saint-
Fargeau pour être auprès de moi , où j'ose dire qu'elle
eût été heureuse 5 et j'eus beaucoup de regret lors-
que l'on me la refusa. Monsieur me dit : w 11 n'y a que
« ma fille d'Alencon ; Madame l'a mise à Charonne
u avec la mère Madeleine: elle ne l'en voudra jamais
w ôter. Faites ce que vous pourrez pour ly disposer;
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [i653] 4^^
« j'en serois fort ai3e. » J'en parlai à Madame; elle
me dit qu'elle en seroit fort aise , et que Monsieur
ëtoit de ces gens qui ne prennent point de résolu-
tion; qu'il y falloit mener la petite de Valois. Je
m'offris de l'y mener ; ell%me répondit que rien ne la
pressoit. Je pris la liberté d| lui dire que quand elles
seroient grandes, il seroit difficile de les y mettre, ou
de les marier ; qu'il ne se trouvoit pas tous les jours
des partis sortables ; que leur condition seroit bien
différente de la mienne , quoique nous fussions sœurs ;
que pour moi , j'étois dans un état où j attendois pa-
tiemment un établissement, et que même je ne savois
si je voudrois changer de condition; que pour elles,
si Monsieur venoit à mourir , leur état seroit bien
pitoyable ; que Madame seroit bien embarrassée d'a-
voir quatre filles sur les bras , et qu'il étoit bien aisé
de les tirer d'un couvent pour les marier , et fort dif-
ficile de les y mettre grandes. Après m'avoir bien
écoutée , elle me dit : « J'ai tant de sujet de me fier
(( à la Providence, que je ne doute pas qu'elle n'a-
« gisse sur mes filles comme sur moi; ainsi je ne m'en
<( mettrai en nulle inquiétude. » Je pensai lui dire
qu'elle avoit raison , et qu elle avoit agi d'une manière
si extraordinaire pour elle, que la maison de Bourbon
n'étoit pas si heureuse que celle de Lorraine.
A mon arrivée à Saint-Fargeau , j'eus une de ces
joies que l'on a à la campagne : je trouvai l'apparte-
ment que j'avois fait accommoder achevé ; je le fis
meubler, et y logeai. 11 y avoit une antichambre où
j'avois toujours mangé, une galerie devant ma cham-
bre où je fis mettre des portraits de mes plus proches,
du feu Roi mon grand-père, de la Reine ma grand'-
4l4 [l653] MÉMOIRES
mère , du roi et de la reine d'Espagne , du roi d'An-
gleterre et de la Reine sa femme -, du Roi, de la Reine ,
de Leurs Altesses Royales ma mère et ma belle-mère ,
du Roi et de Monsieur , du duc d'Yorck , de M. le
prince et de madame la prîpcesse , et de M. de Mont-
pensier, qui ëtoit à la p]|^ belle place, quoiqu'il ne
fût pas si grand seigneur : c'étoit le maître du logis ;
et j'ai éprouvé que s'il ne m'avoit pas laissé du bien ,
je n'en ayrois point. M. et madame de Guise y sont
avec leurs enfans: M. le prince de Joinville, le duc
de Joyeuse, le chevalier de Guise, mademoiselle
de Guise. Madame de Savoie m'envoya le sien , et
celui de son mari , de son fils et de ses trois filles ,
dont l'aînée a épousé le prince Maurice son oncle ,
l'autre le duc de Bavière, et madame la princesse
Marguerite. 11 y a encore des places, et j'ai assez de
cousins germains pour les remplir. Dans cette galerie
je fis mettre un jeu de billard : j'aime les jeux d'exer-
cice. Ma chambre est assez jolie, avec un cabinet au
bout et une garde-robe , et un petit cabinet où il n'y
a place que pour moi. Après avoir été logée huit
mois dans un grenier , je me trouvai logée comme
dans un palais enchanté. J'ajustai le cabinet avec
quantité de tableaux et miroirs , et je croyois avoir
fait le plus beau chef-d'œuvre du monde. Je mon-
trois mon appartement à tous ceux qui me venoient
voir , avec autant de complaisance pour mon œuvre
qu'auroit pu faire la Reine ma grand'mère lorsqu'elle
montroit le Luxembourg.
Au mois de septembre j'appris une nouvelle qui
me fâcha fort : ce fut la mort de mon oncle le cheva-
lier de Guise, que j'aimois extrêmement. Je lui écri-
DE MADEMOISELLE DE MONTPKNSIEK. [l653] 4^^
vois rinquiëtude où j'/étois des bruits que Ton faisoit
courir à Paris, qu'il étoit mal avec M. le prince-, dans
ce moment l'ordinaire de Paris arriva, et dans la
première lettre que j'ouvris j'appris cette malheu-
reuse nouvelle , dont je fus extrêmement touchée. Je
l'aimois beaucoup 5 il s'étoit fait très-honnête homme,
et plus il auroit vécu , plus il le seroit devenu dans
le train de vie qu'il menoit. Il fut regretté au der-
nier point de M. de Lorraine et de M. le prince ; il
étoit fort aimé et estimé en Flandre , et dans toutes
les troupes lorraines qu'il commandoit. M. le prince
entra en France, et ses coureurs vinrent jusque sur
la rivière d'Oise : il donna autant d'alarmes à Paris
que l'armée de Corbie. Les deux armées furent long-
temps postées l'une devant l'autre au Mont Saint-
Quentin ; tout le monde croyoit qu'il donneroit ba-
taille. M. le prince en mouroit d'envie, et s'étoit
posté si avantageusement qu'il eût contraint M. de
Turenne à se battre : ce qui n est pourtant pas aisé ^
comme il connoissoit M. le prince, il l'a toujours
redouté et évité. Le comte de Fuensaldague voulut
absolument que l'on se retirât , dont M. le prince eut
tout le déplaisir du monde : il me le témoigna par
une lettre qu'il m'écrivit.
La cour alla en Champagne ; le maréchal de La
Ferté prit Clermont et James. M. de Turenne dé-
campa du Mont Saint-Quentin aussi bien que M. le
prince, qui marcha à Rocroy, et M. de Turenne à
Sainte-Menehould (0. La fièvre quarte prit à M. le
(i) SaintcMenehould: Cette ville, défendue par Montai, se rendit
le 26 novembre i653 au maréchal Du Plessis-Praslin : Turenne et La
Ferté couvroient le siège. Le Roi étoit à Tarmée.
4l6 [l653] MÉMOIRES
prince pendant ce siège : ce qui Fempêcha de faire
toute la diligence qu'il eût désiré pour aller secourir
cette place \ sa fièvre étoit fort violente , et il étoit
dans un chagrin effroyable. Madame sa femme arriva
en Flandre en meilleure santé que Ton ne croyoit •
personne n auroit cru qu'elle eût pu réchapper. 11 lui
manda d'aller à Valenciennes. Ses troupes de Guienne
l'avoient joint un peu avant le siège de Rocroy , et
je pense même qu'elles n'y servirent pas , et qu'il les
avoit mises dans des quartiers pour les rafraîchir.
Elles en avoient bien besoin ^ elles s'étoient bien fati-
guées et diminuées par les chemins : aussi avoient-
elles fait une longue marche. M. le prince se fit ame-
ner M. le duc d'Enghien à Rocroy , et l'envoya aux
jésuites à Nàmur. M. de Lorraine , un matin pendant
le siège de Rocroy, fit battre aux champs à la pointe
du jour, et s'en alla -, son quartier demeura vide : cela
ne fit aucun tort au siège 5 personne ne s'y opposa.
Les troupes de M. de Turenne étoient occupées à
Sainte-Menehould , qui se défendit fort bien. Le gou-
verneur, qui se nomme Montai, et que M. le prince
a depuis mis dans Rocroy , est le plus brave homme
qui se puisse \ tout le vieux Condé infanterie y étoit ,
qui est un des meilleurs régimens du monde ^ les
officiers y firent merveille , entre autres Saler , qui y
perdit son frère. M. le prince croyoit toujours être
en état de secourir Sainte-Menehould; le malheur
voulut que le feu se prit au magasin des poudres :
ainsi ils furent contraints de se rendre, et M. de
Turenne se mit en marche pour aller secourir Rocroy :
il sut qu'il avoit capitulé, et qu'il n'étoitplus temps.
La fièvre dura long-temps à M. le prince , qui étoit
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 4^7
dans une mélancolie extraordinaire-, il m'écrivoit , et
faisoit de grandes lamentations sur son malheur et
sur l'état où il étoit; il me mandoit : (i Je me sens in-
« capable de tout, hors de vous servir; et s'il s'en pré-
ce sentoit occasion, je crois que cela me rendroit mes
« forces ordinaires. »
L'on parla en ce temps-là de marier mademoiselle
de Pienne , fille de la comtesse de Fiesque , avec le
marquis de Guerchy , qui n'étoit qu'à huit lieues de
Saint-Fargeau. Madame de Bouthillier me pria fort
d'aller aux vendanges à Pont : j'y allai sur la fin de
septembre. Madame la comtesse de Fiesque ne vint
point à ce voyage , à cause du mariage de mademoi-
selle de Pienne , à quoi elle travailloit. Je fus cinq
ou six jours à Pont , et je revins par Fontainebleau,
que madame de Frontenac n'avoit jamais vu ; j'y de-
meurai deux jours. Je ne voulus pas demeurer au châ-
teau ; je ne trouvoispas qu'il fût respectueux de loger
dans la maison du Roi pendant l'exil. Je trouvai à
Fontainebleau des chevaux anglais que j'avois fait
venir ; dont je fus fort aise : il y avoit Iong-temp$ que
j'avois envie d'en avoir un nombre. C'est un divertis-
sement de campagne que d'aimer les chevaux : les
voir, les faire promener , le§ monter et faire monter à
ceux qui viennent en visite. Ceux-là se trouvèrent
beaux et bons : sur quatre , il s'en trouva deux qui
ni'étoient propres. Je n'avois jamais aimé les chiens ;
je commençai à les aimer. La comtesse de Fiesque
avoit une grande et belle levrette noire qui fit des
chiens ^ elle m'en donna une qui fut fort belle , que
j'ai encore, et que j'aime beaucoup. L'on reçut nou-
velle à Fontainebleau que madame la comtesse de
T. 4'« ^7
4l8 [l653] MÉMOIRES
Fiesque avoit eu la fièvre. Mon médecin mandoii
qu elle avoit beaucoup mange la veille , et qu'elle étoit
allée à Champinelle voir M. deLanglée, gentilhomme
de mon voisinage ; et que cela pouvoit avoir causé
cette fièvre. Je ne voulus pas qu'on enparlât à madame
de Brëauté : cela l'auroit mise en grande inquiétude ;
je lui dis seulement à Ghâtillon : « Votre mère s'est
a un peu trouvée mal , et ce n'est rien. » Je montai à
cheval , et m'en allai au galop à Saint-Fargeau. Sitôt
que j'y fus arrivée, je montai droit à la chambre de la
comtesse de Fiesque, que je trouvai fort abattue 5 j'y
demeurai peu , parce qu'il y sentoit fort mauvais : et
cette raison m'empêcha d'y entrer le lendemain. Le
soir à dix heures, comme je jouois, l'on vint me dire :
« La comtesse se meurt ; elle a perdu connoissance. )> Sa
belle-fille, qui jouoit avec moi , quitta son jeu et y cou-
rut; j'y allai aussi; et comme je suis peureuse, j'hési-
tai quelque temps à entrer dans sa chambre. Je sur-
montai cette frayeur; je lui vis donner l'extréme-
onction : elle étoit dans un état pitoyable , dont je ne
me sentis guère attendrie. On lui donna l'émétique ;
elle revint, et fut en état que l'on lui pût donner le
viatique. Comme on le lui proposa , elle demanda :
« Suis-je assez malade pour cela ? » On lui dit qu'elle
avoit reçu l'extrême-onction la nuit, et qu'elle avoit
pensé mourir. Elle fut fort effrayée. J'allai quérir le
viatique à l'église, et l'accompagnai dans sa chambre.
Sa belle-fille et moi avions bien peur qu'elle ne nous
fît de longs sermons ; la peur de la mort l'en empêcha ;
elle étoit effrayée à un point qu'elle ne dit pas un mot.
Elle ne demanda pardon à personne , quoiqu'il soit
assez ordinaire , quand on meurt, de le demander aux
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 4^9
personnes avec qui on a vécu. Tout ce jour-là elle
demeura en repos. Le mardi qui étoit le jour de son
accès , dès qu'il lui prit , elle tomba dans le même
délire où elle avoit été le dimanche, et n'en revint
point, et mourut le mercredi à onze heures du matin.
J'avois beaucoup pleuré le jour qu elle reçut le via-
tique , et Ton me faisoit la guerre que c'étoit de la
voir en meilleur état : c'étoit la réflexion quejefaisois
sur l'état où l'on se trouve quand on est en péril, et
je pensois à moi.
Dès qu'elle fut morte , après avoir été voir madame
de Bréauté à sa chambre, je m'en allai à Ratilly , qui
est une maison qui n'est qu'à quatre lieues de Saint-
Fargeau , qui étoit à Menou , gouverneur de mon du-
ché de Saint-Fargeau. Comme elle est petite, j'y menai
peu de monde-, et même je n'y gardai point de car-
rosse. J'allois tous les matins à pied à la paroisse, qui
est à un quart de lieue de là ^ je chassai le lièvre avec
des lévriers de quelques gentilshommes des environs :
ce qui me donna envie d'avoir des chiens.. J'envoyai
dès lors quérir une meute en Angleterre. Je fus cinq
ou six jours dans ce désert pour donner le temps
d'ouvrir le corps et l'emporter, et aérer la chambre :
je crains la senteur des morts dans une maison , et j'ai
grande peine à y coucher cjuand il y en a. J'envoyai
à Blois donner part de cet accident à Son Altesse
Royale, et la supplier de trouver bon que je prisse
madame la marquise de Bréauté pour ma dame d'hon-
neur -, je n'étois plus en âge d'avoir une gouvernante.
J'étois fort assurée que madame de Bréauté n'accep -
teroit point l'offre que je lui faisois^ parce que c'est
une femme retirée qui fuit le monde , et qui avoit
4^0 [l653J MÉMOIRES
toutes les peines du monde à me suivre ^ et par ]à elle
montroit bien la complaisance qu'elle avoit pour sa
mère : sans cette certitude, je n'aurois pas demande à
Monsieur son agrément pour elle. Quoiqu'elle ne fût
pas vieille , son humeur l'ëtoit fort -, elle est assez cri-
tique , et auroit été toute propre à faire la gouver-
nante plutôt que la dame d'honneur , et moi fort peu
propre à le souffrir -, et comme j'étois sûre de mon
fait , je donnois cela au public : et il était de bonne
grâce qu'après que lamère étoit morte auprès de moi,
je témoignasse désirer de prendre sa fille. Son Altesse
Royale me répondit qu'elle étoit très-contente du choix
que j'avois fait ] que pour garder le décorum de la
maison royale, je manderois àDamville d'en deman-
der l'agrément à la Reine, qui le donna. Madame de
Bréauté refusa avec beaucoup de respect pour moi la
proposition : dont je fus bien aise.
J'allai à la Toussaint à Orléans , où étoient Leurs
Altesses Royales. Monsieur alla à la chasse le jour de
Saint Hubert , et m'y mena. Madame de Choisy étoit
alors à Orléans ^ comme j'étois fort déchaînée contre
son mari , elle ne se présenta pas devant moi , et je
témoignai que je ne serois pas bien aise de la voir.
Un jour , comme je sortois de table, elle entra dans
ma chambre , et me dit : « Ne faut-il pas être brave
« comme un César pour s'exposer ainsi à la furie d'une
« ennemie aussi qualifiée et aussi emportée que vous ?
« Je suis innocente-, je vous connois sigénéreuse, que
« j'ai cru que c'étoit le seul moyen de me raccommoder
«avec vous d'en user ainsi. » Je lui répondis qiie je
lui faisois bon quartier-, elle me salua, je me mis à
rire 5 nous entrâmes ensuite en conversation , et ncfus
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l653] 4^ <^
fûmes bonnes amies. Je la menai chez Madame , où
tout le monde la félicitoit de la voir avec moi.
Un mois après mon retour d'Orléans , où je m'é-
tois fort bien séparée de Son Altesse Royale (.elle ne
m'avoitparJé de nos affaires en aucune façon), on me
manda de Paris qu il en étoit parti un sergent qui me
portoit un exploit de sa part. Il arriva à Saint-Fargeau
un matin que je n^étois pas éveillée \ il se promenoit
dans la galerie. Préfontaine, qui le savoit arrivé, l'ac-
costa et lui dit : (( Que demandez-vous ?» Le pauvre ser-
gent lui répondit avec tremblement. Préfontaine lui
dit : «Il faut faire éveiller Mademoiselle.» Ufit appeler
une de mes femmes pour m'éveiller : ce qu'elle fit -, il
amena le sergent, qui me signifia l'exploit. Je le reçus
avec beaucoup de respect, et j'y répondis de même :
il est vrai que j'écrivis à Blois , où je me plaignois
un peu des gens de Monsieur de se porter à une telle
extrémité contre moi. Cela n'empêcha pas que je ne
fisse venir les comédiens à Saint-Fargeau, qui y
demeurèrent deux mois. Javois trouvé à mon retour
d'Orléans la compagnie de la province augmentée de
M. de Matha, de sa femme, et de mademoiselle de
Bourdeille sa sœur. Comme il avoit été dans les in-
térêts de M. le prince , il fut bien aise de s'éloigner
de la Guienne, où avoit été tout le désordre •, il vint
demeurer en une terre qu'il avoit en Nivernois,
nommée Saint-Amand , qui n'est qu'à trois lieues de
Saint-Fargeau. C'est un homme qui a de l'esprit,
fort plaisant en conversation, et qui joue ^ sa sœur
est aussi très-bonne fille ; ils ne bougeoient de Saint-
Fargeau. J'y avois aussi trouvé une de mes anciennes
connoissances , madame de Courtenai-Ghevillon : je
4^2 [l^54] MÉMOIRES
l'avois vue chez mademoiselle de Saisy ; comme elle
ëtoit proche parente de feu madame de Saint-
Georges, elle venoit souvent chez moi. C'est une
femme qui a de l'esprit; elle a ëté nourrie fiJle d'hon-
neur de madame la duchesse de Savoie , et même a
été sa favorite-, elle sait la cour, le monde, et est
d'agréable conversation. Dans le commencement elle
venoit peu à Saint-Fargeau , parce qu'elle ne se
portoit pas trop bien -, quand sa santé fut meilleure ,
elle y étoit un mois de suite , et j'étois fort aise de
la voir.
[i654] Ensuite de l'aventure du sergent , j'écrivis k
Blois \ on me répondit : tout cela ne conclut rien. Son
Altesse Royale m'envoya le comte de Bury , par le-
quel elle m'écrivoit qu'elle ne vouloit pas s'amuser
aux formalités de justice , et que si je ne lui donnois
de bonne volonté tout ce qu'elle me demandoit , elle
se mettroit en possession de tout mon bien , et ne me
donneroit que ce qu'il lui plairoit. Je fis à cela une
réponse qui ne décidoit rien. Je pense qu'il n'est pas
besoin de dire ici que , dans les temps que tels mes-
sagers arrivoient , je m'enfermois dans mon cabinet ,
pour ôter au public la joie d'entendre tout ce que le
ressentiment d'une personne fort maltraitée , et qui
ne le mérite pas, fait dire. Je pleurois, je m'affli-
geois, je pâtissois beaucoup de l'humeur dont je suis,
et je me souvenois assez de ce que j'avois fait pour
Son Altesse Royale, et de ce qu'elle avoit fait pour
moi. Préfontaine me dit : « 11 faut jeter les yeux sur
t( quelque personne de condition, qui puisse parler à
« Monsieur de vos intérêts 5 il me semble que M. le
(( comte de Béthune y seroit bien propre : c'est un
DS MADEMOISELLE DE MOINTPENSIER. [l654J 4^^
« homme de mérite, ami commun, et porté à procurer
« la paix. » Je lui écrivis, et j'ai toujours continué de-
puis , comme il se verra. Après l'envoi du comte de
Bury, Monàieur fut quelque temps sans m'écrire , et
j'apprenois qu'il s'aigrissoit fort contre moi. Préfon-
taine me dit : « Si vous proposiez à Son Altesse Royale
« que madame de Guise s'entremît de vous accommo-
« der, cela ne seroit-il pas bien avantageux pour vous ?
« Elle a l'honneur d'être votre grand'mère : apparem-
(i ment elle ménagera vos intérêts ^ cela seroit approuvé
« de tout le monde, et vous seriez louée de ce choix.»
Je lui dis : « Cela est tout comme vous le dites ^
« quoique madame de Guise n'ait*jamais eu d'amitié
« pour moi, cependant, en l'état où sont mes affaires,
« je ne saurois prendre un autre parti. » J'écrivis à
Monsieur que je voulois bien que madame de Guise
se mêlât de nos intérêts; que je serois au désespoir
d'être obligée à plaider contre lui; que si cela arri-
voit, ce ne seroit qu après qu'il me Tauroit comman-
dé -, que je lui obéirois avec beaucoup de regret 5 que
j'espérois qu'il auroit la bonté d'accepter le parti que
je lui proposois', et que, pour lui faire voir que ce
que je faisois étoit par un mouvement que j'avois eu
dans le moment que je lui écrivois sans en consulter
personne , j'envoyois en même temps une procura-
tion à madame de Guise. Monsieur me manda qu'il
ayoit cela fort agréable. L'a/faire parut bientôt être
en -accommodement; et s'il y eut des longueurs,
elles ne vinrent point de ma part. Cela réjouit tous
ceux qui nous avoient vus sur le point de plaider ;
en effet, ma requête étoit toute prête : il n'y avoit
qu'à la signifier.
4^4 [ï^54] MÉMOIRES
Cependant la meute que j'avois envoyé quérir en
An};leterre arriva avec des chevaux. Je me mis à
chasser trois fois la semaine -, j'y prenois un grand
divertissement. Le pays de Saint-Fargeau est fort
beau pour la chasse , et fort commode pour les chiens
anglais , qui pour l'ordinaire vont trop vite pour des
femmes 5 et comme le pays est couvert, cela faisoit
que je les suivois partout.
Depuis qtfe la comtesse de Fiesque fut morte, j'a-
vois souvent parlé à Prëfontaine des personnes que
je prendrois pour dames d'honneur : je n'eii voulus
prendre aucune qui en usât aussi mal avec moi qu'a-
voit fait la défunte, et je louois Dieu tous les jours
d'en être défaite ; je souhaitois tant de qualités en la
personne que je voulois choisir , que je trouvois que
toutes celles qui me venoient dans l'esprit ne le$
avoient point. Un jour il me vint en pensée de prendre
madame de Frontenac : elle étoit fort jeune; elle s'é-
toit attachée à moi pendant ma disgrâce ; je la trouvois
bonne femme , et qu'elle avoit de l'amitié et de la
complaisance pour moi -, je disois : Je l'aime et je
l'estime ; et pour être jeune, cela n'importe , j'y suis
accoutumée. En même temps, je songeois que son
mari n'étoit pas un grand seigneur-, à cela je disois:
Il est dans le monde comme mille gens qui le portent
fort haut. Tout bien considéré, je n'y trouvois à redire
qile la qualité. Je ne savois pas encore la liaison que
madame de Frontenac avoit avec la comtesse de
Fiesque : ainsi je croyois qu'elle s'attacheroit fort fi-
dèlement à mon service. Comme je suis un peu glo-
rieuse, la qualité de feu madame de Saint-Georges
et celle de la comtesse de Fiesque me paroissoient
DE MADEMOISELLE DE MOMTPENSIKR. [l654] 4^5
fort au-dessus de la sienne. Préfontaine entroit dans
mon sens , et me disoit : « Ce que vous dites est à
« considérer 5 vous aimez madame de Frontenac-, les
« personnes de votre qualité élèvent les gens qui leur
« plaisent , et on ne peut trouver à redire que vous
« fassiez du bien à madame de Frontenac. » Nous
parlions souvent de cela sans prendre de résolution -,
et même quand je fus déterminée à prendre pour ma
dame d'honneur la comtesse de Frontenac , je ne lui
en parlai point, parce que je ne voulois pas encore en
venir à l'exécution 5 je crus qu'il étoit bon de n'en
point parler, persuadée que je pouvois changer.
A mon voyage d'Orléans, Monsieur ne me parla
point de dame d'honneur : aussi il n'y avoit que trois
semaines que madame de Fiesque étoit morte. Ma-
dame de Choisy, qui est une femme qui entre en ma-
tière à tort et à travers , me demanda qui je prendrois
pour dame d'honneur; que je ne pouvois mieux faire
que de prendre madame de Frontenac : « Si vous ne le
a £aiites, son mari qui est un bourru ne vous la laissera
a pas ; il est résolu de l'emmener ce voyage -, elle ne
« l'aime point : témoin la prière que vous savez qu'elle
« vous a faite de dire à M. l'évêque d'Orléans de ne
« lui point donner de chambre dans sa maison , de
« peur d'aller avec lui; si vous l'aimez , voici une oc-
« casion de le lui témoigner. » Je ne lui voulus rien
dire, sinon que Frontenac n'avoit aucun dessein
d'emmener sa femme; qu'il étoit bien vrai que l'on
m'en donnoit l'alarme, afin de me faire expliquer. Je
partis d'Orléans sans le faire. Pour mon malheur, je
m'avisai un jour , au lieu de demeurer dans la résolu-
tion que j'avois prise de ne me point déclarer, d'avoir
426 [lti54J MÉMOIRES
envie de le lui dire. J'en parlai à Préi'ontaine , qui ne
m'en détourna pas, et qui ne connoissoit pas la dame
aussi bien que moi , et comme nous lavons connue
depuis à nos dépens ; de sorte que j'ordonnai à Pré-
fontaine de le lui dire de ma part. Vous pouvez juger
si ce discours plut à la comtesse de Frontenac ; elle
m'en remercia les larmes aux yeux , et avec des dé-
monstrations de joie et de reconnoissance non pa-
reilles. Je lui ordonnai de n'en parler à personne,
non pas même à la comtesse de Fiesque : je pense
que l'inquiétude lui prit qu'un si grand bonheur
qu'elle recevoit fût su de tout le monde. Madame de
Choisy, qui de concert avec elle m'en avoit parlé à
Orléans, m'écrivit que l'on disoit que la Reine me
vouloit donner une dame d'honneur qui auroit pour
le moins soixante-dix ans , et que l'on n'en savoit pa&
encore le nom : cela m'alarma au dernier point , et me
fit déterminer d'écrire à Monsieur pour avoir son
agrément. Je dis à madame de Frontenac qu'il en fal-
loit faire quelque civilité à la comtesse de Fiesque ,
lorsqu'elle me dit n'y avoir jamais prétendu. Madame
de Bouthillier , qui étoit pour lors à Saint-Fargeau ,
fut transportée de joie pour l'honneur que je faisois
à madame de Frontenac. J'écrivis à Son Altesse
Royale , et j'envoyai la lettre par M. le comte de Bé-
thunepour la lui présenter, et pour appuyer l'affaire :
ce qui ne fut pas fort dillicile. Cependant ( pauvre
sotte que j'étois ! ) je donnai dans ce panneau le plus
lourdement du monde -, j'ai su depuis que la comtesse
de Frontenac disoit : « Mademoiselle croit m'avoir
« choisie , et que je suis à elle de sa main*, si elle ne
{i l'eût fait, Son Altesse Royale Tauroit obligée à me
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l654J 4^7
« prendre^et je dépens de lui, et non d'elle.» Comme
la réponse de Blois fut arrivée, qui étoit la même que
pour madame de Bréauté, M. de La Grange m'envoya
l'agrément de la Reine , qu'elle eut bien de la peine
à donner. J'ai su qu'elle avoit dit : u Ma nièce prend
« une dame d'honneur qui n'est ni de qualité ni de
« mérite à l'être.» La Tour, qui revint dans ce temps-
là de chez lui , d'où il n'avoit bougé depuis l'équipée
qu'il avoit faite , me le dit, et cela ne me déplut point,
parce que je n'aime pas que l'on blâme ce que je fais,
encore moins ce que je sens que l'on peut blâmer
quand on le peut excuser: je voudrois que l'on prît
toujours ce parti-là. J'avois mandé à M. le prince le
dessein que j'avois de prendre madame de Frontenac,
par Beauvais qui avoit été à Saint-Fargeau , et que
je n'avois pas été trop aise de voir parce que c'étoit
une personne en qui je n'avois aucune confiance , et
que je n'étois pas bien aise qu'on sût à la cour quand
il venoit des gens de M. le prince. Comme il n'avoit
ordre que de me voir dans son passage et de savoir
de mes nouvelles, cela est si peu remarquable que
je ne l'aurois pas mis ici , si <ce n'est que lorsqu'il
passa par Paris il fut assez imprudent pour le dire.
On le sut à la cour , et cela fit un grand vacarme
contre moi. J'allai à Blois, et m'en revins.
Au mois de février i654 ? '^^ Espagnols firent arrê-
ter M. le duc de Lorraine. M. le prince étoit alors à
Namur ^ le comte de Fuensaldague le lui manda -, il
apprit cette nouvelle lorsqu'il entra dans Bruxelles.
Les Espagnols disoient qu'ils l'avoient fait arrêter
parce qu'il traitoit avec la France , et qu'au Mont Saint-
Quentin il n'avoit osé combattre parce qu'il avoit
4^8 [^^^4] MEMOIRES
promis eu cette occasion de se trouver contre FEs-
pagne, qui lui iraputoit encore pour crime d'être parti
des lignes de Rocroy sans dire adieu, pour donner
occasion de le secourir. M. le prince eut peur que Ton
ne l'accusât d'y avoir quelque part : ce que tout le
inonde ne manqua pas de faire. H m'envoya un gen-
tilhomme nommé Saler, qui est un brave et hon-
nête garçon que je connois il y a long-temps -, il arriva
un soir fort tard à Saint-Fargeau , et alla droit chez
Prëfontaine , qui le cacha dans un cabinet , où il ne
fut vu que de peu de gens. Dès qu'il fut arrive, on me
le vint dire. Je le fis venir comme tous mes gens
soupoient; il me dit que M. le prince savoit combien
M. de Lorraine étoit de mes amis -, qu'il seroit fâché
que je crusse qu'il eût part à sa prison -, qu'il me sup-
plioit de croire que s'il pouvoit contribuer à sa liberté,
il le feroit avec la plus grande joie du monde : c'est
de quoi Saler étoit chargé, et ce que portoit sa lettre ,
qu'il me rendit de la part de M. le prince.
Dans le temps qu'il étoit à Saint-Fargeau , j'en reçus
une d'un conseiller du parlement de Paris , nommé
Chenailles, lequel me mandoit que madame de Lon-
gueville l'avoit chargé de me supplier d'écrire à M. le
prince pour la raccommoder avec lui ; que je lui en-
voyasse ma lettre , qu'il la feroit tenir , et qu'il m'en
feroit voir la réponse; que j'avois assez de confiance
en lui pour en user ainsi ; que je savois le zèle qu'il
avoit pour le service de M. le prince et pour le mien.
J e ne compris point ce que cela vouloit dire. Il y avoit
encore dans cette lettre : aMadame de Longue ville, qui
<c n'a point de commerce avec nous , m'a chargé de cette
«commission. » Moi, qui savois que j'avois souvent
DE MADEMOISELLE DR MONTPENSIER. [l654] 4^9
de ses nouvelles , et qu'on ne m'a voit jamais rien dit
qui approchât de cela , je fus fort ëtonnée; je montrai
la lettre à Saler , aux comtesses et à Prëfontaine : nous
conclûmes que c'étoit un homme qui me vouloit tirer
les vers du nez , et que c'ëtoit peut-être madame de
Ghâtiiton, dont il ëtoit parent et ami, qui lui faisoit
faire cela. Je lui fis réponse, et lui mandai que j'avois
toute confiance en lui; que je ne doutois point de son
zèle pour mon service , ni de son affection pour celui
de M. le prince; que j'en avois aussi beaucoup; que
je ne pouvois le servir en rien; que je n'avois nul com-
merce avec lui , et que tout ce que l'on pouvoit faire
présentement , au moins les personnes comme moi ,
c'étoit de prier Dieu de lui faire la grâce de rentrer
dans les bonnes grâces du Roi; que pour madame de
Longueville , je ne savois point qu'elle fût mal avec
lui ; qu'une lettre ne raccommodoit guère les grands ,
et qu'elle étoit assez raisonnable pour comprendre
que j'avois de fortes raisons de lui en refuser une.
J'eus le plus grand scrupule du monde : Saler se
trouva à Saint-Fargeau le jour de la Notre-Dame de
mars ; il n'entendit point la messe , parce qu'on n'osoit
le montrer. M. le prince l'avoit chargé aussi de voir
Son Altesse Royale sur le même sujet de la prison de
M. de Lorraine , et me prioit de le lui présenter.
Comme je devois aller la semaine sainte à Orléans,
il séjourna huit jours à Saint-Fargeau ou aux envi-
rons. Un des jours que j'avois accoutumé d'aller à la
chasse, je fis venir mes chiens et mes chevaux devant
la porte du logis, afin de les lui faire voir par la fe-
nêtre : à dire le vrai, je revins de la chasse de meil-
leure heure que je n'avois accoutumé. Je lui deman-
43o r^6^4] MÉMOIRES
dai des nouvelles de madame la princesse ; il me dit
que le jour qu'il étoit parti de Namur, le médecin de
M. le prince en étoit revenu ; qu'il lui avoit dit qu'elle
paroissoit mieux -, qu'en effet elle étoit fort mal ; et
que pour lui, il croyoit qu'il étoit difficile qu'elle en
réchappât. M. le prince n'avoit point écrit , lorsque
Saler partit d'auprès de lui , à Son Altesse Royale -, je
pense qu'il s'en avisa depuis. 11 m'envoya une lettre
par l'ordinaire -, je dis à Saler qu'il falloit qu'il la ren-
dît; que j'arriverois le mercredi à Orléans, et qu'il y
arriveroit le jeudi au soir. Madame de Frontenac fut
obligée d'aller faire un tour à Paris, sur la nouvelle
de l'extrémité ^de son père, qu'elle trouva quasi mort :
il mourut peu de jours après son arrivée.
Avant que de partir pour Orléans , il m'arriva une
fort plaisante circonstance. J'étois dans mon cabinet
avec Saler : il n'y avoit que la comtesse de Fiesque :
j'avois fort mal à la tête ; il me prit un étourdissement ;
je pensai m'évanouir, et elle tout de même. Saler étoit
fort empêché -, il n'osoit appeler du secours : la pensée
, de cet embarras nous donna une telle envie de rire
à toutes deux, que cela nous guérit.. Lorsque j'arrivai
à Orléans , je reçus une lettre de madame de Fronte-
nac, par laquelle elle me mandoit que M. Le Tellier
lui venoit de dire que madame la princesse avoit la
petite vérole, et qu'elle se mouroit. Cela me donna
beaucoup d'inquiétude jusqu'à ce que je susse qu'elle
étoit hors de danger , par les visions que l'on avoit à
la cour et à celle de Son Altesse Royale. Saler arriva
à point nommé, comme je lui avois dit ; je lui dis que
je croyois que Son Altesse Royale seroit bien prépa-
rée à recevoir ses complimens , parce que je lui avois
DE MADEMOISELLE DE MONTPEIÏSIER . [l654] 4^1
parlé de la prison de M. de Lorraine, et que je lui
avois dit que je ne croyoispas que M. le prince y eût
aucune part , et qu'il m'avoit fort témoigne être de
mon sentiment. Le vendredi saint après la messe , je
dis à Son Altesse Royale que j'avois à lui parler ; il me
mena dans un coin •, je lui dis : « Votre Altesse Royale
« sera aussi surprise de ce que j'ai à lui dire , que je
« le fus hier au soir. Comme je ni'allois coucher, une
« de mes femmes médit: Voilà un gentilhomme à cette
c( porte qui demande à vous parler. Je lui répondis:
« Dites-lui qu'à l'heiure qu'il est je ne vois personne. Il
« lui répliqua que c'étoit pour une affaire pressée -, je
«( le fis entrer ; je pensai crier d'étonnement de voir un
« homme de M. le prince -, je lui dis : Que faites-vous
« ici ? Il me répondit : M. le prince m'envoie vers Son
« Altesse Royale sur la prison de M. de Lorraine, et
« il m'a dit que si vous étiez ici, je m'adressasse à
« vous. Je lui dis : Je parlerai à Son Altesse Royale. »
Monsieur fut fort effrayé , et me dit : « Je ne le veux
« point voir -, qu'il s'en aille le plus tôt qu'il pourra. »
Je le pressai extrêmement de le voir ; tout ce que je
pus dire ne dissipa point sa crainte^ il me chargea de
lui faire beaucoup de complimens pour M. le prince,
et de l'assurer qu'il recevoit bien les civilités qu'il lui
faisoit sur la prisoû de M. de Lorraine. Tout le jour
Son Altesse Royale m'entretint, et me fit mille ques-
tions sur ce que Saler m'avoit dit ^ cela le mit en la
meilleure humeur du monde : il étoit ravi que M. le
prince eû^ songé à lui ; il se méfie du cas que l'on fait
de lui. Je dis le soir à Saler comme je l'avois trouvé ;
nous i*ésolûmes de lui donner la lettre.
Daraville arriva à Orléans le samedi de Pâques ; je
432 [l6^4] MÉMOIRES
le trouvai chez Monsieur lorsque j'y allai-, il me fit
mille amitiës : c'est un fort bon garçon , qui est bien
intentionné pour moi. Après l'avoir entretenu, je dis
à Son Altesse Royale que je serois bien aise de lui dire
un mot-, elle entra dans un cabinet-, je lui dis:
« Comme Saler a vu que Votre Altesse Royale ne le
« vouloit pas voir , il m'a donne la lettre qu'il avoit à
« lui rendre de M. le prince. » Je la tirai de ma
poche; Monsieur la prit, et me demanda: «Est-il
tt parti? Dans combien de jours sera-t-il hors de
« France? » et se mit à me faire quantité de ques-
tions, et ne lisoit point la lettre. Je tirai de ma poche
des ciseaux, je les lui présentai, et je lui dis: « Je
« pense que vous oubliez à lire la lettre que je vous
« ai donnée. » 11 l'ouvrit et la lut. Je le suppliai de la
brûler , il ne le voulut pas ; je l'en pressai fort , et lui
dis : « Si vous la montrez , tout tombera sur moi ; en
« un lieu où je serai , on ne croira jamais que ce soit
<( un autre que moi qui vous donne des lettres de
« M. le prince ; il ne faut plus que cela pour m'ache-
(i ver à la cour. » 11 me promit fort de n'en point
parler.
Le lendemain Damville me dit que Son Altesse
Royale lui avoit conté tout ce qui s'éloit passé , et lui
avoit dit : « J'ai marchandé à ouvrir la lettre ; j'ai
« pensé l'envoyer toute fermée à la cour, dans le
« dessein de vous en faire le porteur. » Qu'il lui avoit
répondu qu'il ne se chargeroit jamais d'une commis-
sion qui fer oit pièce à deux personnes qu'il honore ,
comme Mademoiselle et M. le prince, a L'une est votre
c( fille , et l'autre votre cousin germain : brûlez votre
(( lettre , et qu'il n'en soit plus parlé. » Je dis à Dam-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l654] 4^^
ville qu'il étoit un bon garçon d'en avoir ainsi usé , et
lui fis comprendre que je ne pouvois me défendre de
rendre cette lettre à Son Altesse Royale -, que SaJer
avoit demandé à me parler sans se renommer de per-
sonne, et qu'il avoit bien fallu que je l'écoutasse.
Damville prit l'affaire à la tourner avantageusement
pour moi à la cour, s'il eu entendoit parler. J'eus
terriblement sur le cœur ce que Monsieur avoit dit;
autant en auroit-il été si Damville fût entré dans ses
sentimens , et qu'fl en eût donné avis à la cour : le
pauvre Saler eût été pris. Un jour ou deux après ,
nous fûmes à la chasse. Nous nons mimes à parler de
la cour ] Damville y étoit ; je dis à Son Altesse Royale :
« Je m'attends que dans un mois on saura que Saler
a a été ici , et qu'on me fera quelque peine , comme
« on a accoutumé; et vous y donnerez, comme si
« vous ne saviez pas de quelle manière l'affaire s'est
« passée. » Son Altesse Royale me dit ; « Je vous dirai
<c la vérité ; j'ai conté cela à Damville de façon que l'on
<c ne le pût trouver mauvais à la cour. » Je m'écriai :
« Quoi ! monsieur , vous lui avez parlé de cela ? Ah !
(c quel tort vous me faites ! je suis assurée que dans
« six semaines j'en aurai une affaire. » Je pris congé
de Son Altesse Royale; je m'en allai à Bellegarde,
c'est-à-dire à Choisy, que l'on appelle présentement
ainsi , où Ghenailles vint ; je lui demandai si madame,
de Longueville lui avoit dit de m'écrire ce qu'il m'a-
voit écrit. Il fut assez embarrassé , et cela me confirma
dans la pensée que j'avois eue de lui sur ce sujet. Je
séjournai deux jours à Montargis pour me promener
dans la forêt, que j avois trouvée belle lorsque je re-
vins de Fontainebleau lautomne.
T. 4i' ^^
434 T'6^4] MÉMOIRES
Je retournai à mon Saint-Fargeau , où je fis bâtir
tout de bon. Je fis venir de Paris un architecte nommé
Le Vau. Ce bâtiment a dure jusqu'à ce que j'en sois
partie , et je le laissai en état d'y loger. 11 n'y a plus
que la peinture. Assurément je n'ai pas perdu mon
temps à cela : ce bâtiment m'a donné beaucoup de
divertissement , et ceux qui le verront le trouveront
assez magnifique , et digne de moi. Je n'y ai pu faire
davantage; je n'ai fait que raccommoder une vieille
maison, qui avoit cependant du grand, quoiqu'elle
eût été bâtie par un particulier. C'étoit toutefois un
surintendant des finances sous Charles vii; en ce
temps-là ces messieurs n étoient pas si magnifiques
qu'ils le sont à présent. J'aurois souhaité qu'ils l'eus-
sent été autant que ceux qui sont maintenant en
charge, et que ma maison fût aussi belle que les leurs :
je n'aurois pas été obligée d'y faire la dépense que
j'y ai faite de deux cent mille livres, qui est beau-
coup pour moi , et peu pour ces messieurs. 11 est bon
de dire comme elle m'est venue, parce que de Jacques
de Cœur à moi il y a quelque distance. Comme il fut
disgracié, on décréta son bien-, Antoine de Cha-
bannes, grand-maître de France , l'acheta. Depuis,
sous le règne de Louis xi , où il fut disgracié , on vou-
lut lui imputer de s'être prévalu de sa faveur et de la
disgrâce de Jacques de Cœur , pour avoir son bien à
bonlnafché. Il l'acheta une seconde fois: il ne vouloit
pas qu'il lui fût reproché d'avoir pour rien le bien
d'un homme disgracié. Je suis bien informée de ce
que je dis , parce que j'en ai trouvé les contrats dans
le trésor de Saint-Fargeau : ce qui m'a bien réjouie.
J'aurois été en fort grand scrupule d'avoir du bien
DE MADEMOISELLE DE MONTϻENSIER. [l654] /\i5
d'autrui \ et même il me déplairoit fort s'il y eh âvoit
parmi le mien qui vînt de confiscation. Dieu merci,
je n'ai pas ce déplaisir : tout celui que je possède est
venu par de bonnes voies , et j'en àurois encore da-
vantage si Ton me rendoit celui que l'on a à moi. Ce
grand-maître de Chabannes eut de Marie de Nanteuil
un fils , nomme Jean de Chabannes , comte de Dam-
martin, qui épousa Suzanne de Bourbon, comtesse
de Roussillon; et Antoinette de Chabannes leur fille
épousa René d'Anjou, marquis de Mézières; leur fils
s'appela Nicolas d'Anjou, qui eut de Gabrielle de
Mareuil Renée d'Anjou, femme de François de Bour-
bon , dit de Montpensier , père et mère de mon grand-
père. Voilà à quoi le séjour de Saint-Fargeau m'a servi :
il m'a appris ma généalogie. J'eus la curiosité de savoir
les armes de Chabannes , et pourquoi elles étoient par
toute la maison-, et comme je les ai fait effacer et
abattre lorsque j'ai rebâti la maison , il m'a semblé
que puisque j'avois beaucoup de bien de ceux qui
les portoient, je devois les faire remettre. Ainsi j'ai
fait peindre exprès une chambre des alliances de
cette maison, qui est très-bonne et très-illustre ; et j'ai
beaucoup de joie d'en être descendue. Ces généalo-
gies m'ont fort divertie. Je fis venir une fois à Saint-
Fargeau le sieur d'Hozier pour me dresser des quar-
tiers que je voulois faire mettre dans la salle de Saint-
Fargeau -, et pendant le séjour qu'il y fit , après qu'il
m'eut fait connoître que j'étois de la plus illustre
maison du monde ( ce qui est assez agréable à savoir
à une personne de mon humeur), il me fit voir les
alliances de quantité de grandes maisons du royaume.
Il seroit assez nécessaire que les personnes relevées
28.
436 [l654] MÉMOIRES
en qualité au dessus des autres eussent ces connois-
sances pour y mettre la différence qu'il doit y avoir,
et qui n'y est pas par l'ignorance que l'on en a.
Le maréchal de Gramont , qui s'en ail oit en Berri,
passa par Blois et visita Son Altesse Royale , et lui fit
des plaintes du voyage de Saler , et de ce qu'il avoit
été à Saint-Fargeau. On me dépêcha un exprès de Blois \
Son Altesse Royale m'écrivit une lettre assez succincte.
Goulas me manda que le maréchal de Gramont avoit
proposé à Son Altesse Royale de m'envoyer à Fron-
tenac -, que c'étoit l'intention du Roi , laquelle ne
changeroit point, et, pour la mieux exprimer, il leur
dit (au moins ces termes étoient exprès dans la lettre
de Goulas) : « Quand des gens comme le Roi ont une
« fois mis les chevaux au carrosse et qu'ils sont en che-
« min , ils ne reculent plus. » Sur cela, Son Altesse
Royale m'ordonnoit de l'aller trouver. Je la suppliai
très-humblement de m'en dispenser, sur ce que je
m'étois fait saigner et purger pour me baigner -, et que
je m'en allois à Pont pour cet effet , l'eau de la rivière
de Seine étant meilleure qu'une autre. J'écrivis une
belle et longue lettre pour me défendre -, La Tour en
fut le porteur. Je lui défendis de voir Goulas , et j'ai
su depuis qu'il alla descendre chez lui , et qu'il y avoit
toujours mangé pendant son séjour à Blois. Le comte
de Béthune , qui étoit pour lors à Blois , me manda
que tout ce que le maréchal de Gramont avoit dit
n'étoit que raillerie , et que je ne m'en devois pas
mettre en peine. La Tour me rapporta que Son Altesse
Royale ne jugeoit pas à propos que j'allasse à Pont,
parce que la cour étoit à Fontainebleau , et que c'étoit
m'en approcher. Je renvoyai un valet de pied , par
DE MADEMOISELLE DE MOmTPEKSIER. [l654] 4^7
lequel j'écrivis les raisons pressantes de ma santé , et
je ne laissai pas de partir. U arriva comme je mon-
tois en carrosse , et m'apporta des ordres exprès pour
ne bouger de Saint-Fargeau. Je m'excusai d'être partie
sur ce que je m'étois trouvée mal , et de ne pas re-
tourner parce que j'étois trop avancée. Madame de
Bouthillier n'étoit point à Pont 5 j'y fus près de six se-
maines sans me pouvoir baigner. Il fit des pluies si
grandes que la rivière déborda ; et comme elle vint
dans les prés, cela la rendit si verte et si boueuse,
qu'il fallut du temps pour la purifier : ce que le grand
soleil fit quand le temps s'échauffa ; ensuite je me
baignai. Beaucoup de personnes me vinrent voir. Ma-
dame de Bouthillier maria une de ses fiUes ; elle me
donna une collation dans un bois , avec des lumières
et des violons. Ce fut- une jolie fête à voir , et encore
plus à mander, pour montrer qu'on ne s'ennuyoit
point hors de Paris. Je m'en approchai à dix lieues ^
j'allai à une maison nommée Boisseaux , qui est à taon
trésorier , où je fis mon conseil pour donner ordre à
mes affaires. Je m'en retournai à Pont, et je passai à
Montglat, où le maître et la maîtresse du logis me re-
çurent avec joie et magnificence. Il y a une patte d'oie
dans le parc qui est fort belle , et au bout de chaque
allée il y avoit un amphithéâtre tout plein de lumières :
ce qui faisoit le plus bel effet du monde dans le vert
des arbres. J'allai aussi au Marais ; on me reçut par*
faitement bien.
Le comte d'Escars, à qui j'avois mandé par Saler
de revenir , sur ce que Monsieur m'en avoit fait de
nouvelles instances , arriva comme j'étois à Pont.
Après qu'il m'eut fait les complimens de M. le prince,
438 [l654] MÉMOIRES
il me dit qu Apremont avoit été souvent en Flandre ,
et qu'il lui avoit écrit un billet pour le prier de ne
m'en point parler -, que cette précaution lui avoit fait
croire qu'il y avoit quelque affaire en tout cela qui
regardoit mon service , et qu'ainsi il m'en donnoit
avis. Cela me surprit fort; je n'en avois aucune con-
noissance; je lui dis que je n'en savois rien^ que la
précaution que d'Apremont prenoit ne valoit rien
pour madame de Fiesque , après la lettre que j'avois
reçue, depuis de M. le prince. Je contai à d'Escars
comme elle m'avoit donné une lettre en chiffre ;
qu'après que Préfontaine l'eût déchiffrée , je la lus
en présence des comtesses de Fiesque et de Fron-
tenac -, que M. le prince me mandoit qu'il étoit fort
étonné de la proposition que Beauvais lui avoit faite,
de ma part et de celle de madame de Longueville ,
de s'accommoder avec la cour ^ que jamais conjonc-
ture ne lui fut moins favorable-, qu'il avoit une
armée forte et considérable , et prête à mettre en
campagne; qu'il étoit sur le point de faire un traité
avec les Anglais, et que je jugeasse parla ce qui lui
étoit le plus avantageux ] qu'il se soumettroit tou-
jours à mes volontés en tout , et que je serois la
maîtresse de son accommodement ; que je savois
qu'il m'en avoit toujours écrit de cette sorte , et
qu'il m'en assuroit encore ; qu'il osoit me représenter
que pour aller à Paris six mois plus tôt ou plus tard ,
cela ne valoit pas la peine de tout abandonner; que
j'avois si bien commencé à soutenir avec force , vi-
gueur et résolution ma disgrâce , qu'il se promettoit
que j'irois jusqu'au bout.
En ce temps"- là je croyois que Monsieur ne s'ac-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l654] 4^9
commoderoit point ^ Son Altesse Royale en parloit
^insi , et assuroit qu'il ne le feroit point que M. le
prince ne s'accommodât au^si. Pour madame de Lon-
gueville , M. le prince me mandoit dans sa lettre :
a Quant à ma sœur , je lui apprendrai à se mêler de
« ce qu'elle n'a que faire. » Après cette lecture , je
pensai tomber de mon haut. Il dloit certain que je
i^i'avois point vu Beauvais. Je regardai la, comtesse
de Fiesque \ elle se mit à rire , et me dit : « Je vous
« dirai ce que c'est. Beauvais vint , il y a environ
a deux mois , à Saint- Fargeau \ et comme il ne vous
«^ plaît pas , et qu'il n'avoit rien à vous dire de la
(( part de M. le prince , lorsqu'il me fit ayertir qu'il
a ëtoit venu, je lui mandai qu'il me vînt attendre
« dans le petit bois , et que j'irois parler à lui. » 11
n'y a point de parc à Saint-Fargeau , et les prome-
nades ne sont point encore fermées de murailles :
de sorte qu'il est aisé d'y aller de dehors sans qu'on
le voie. La comtes3e ajouta que Beauvais Tétoit venu
voir -, qu'elle avoit causé avec lui , et lui avoit dit :
<( 11 faudroit que M. le prince fit sa paix , et que
c( ce fussent Mademoiselle et madame de Longue r
« ville qui s'en entremissent , qu'elles en eussent
a l'honneur , et que madame de Longueville agît
« aussi pour cela. 11 faut que Beauvais ait dit cela à
a M. le prince 5 il aura pris sérieusement ce que je
<i ne contois que comme une bagatelle. » Pendant ce
récit , elle se pâmoit de rire : pour moi , je n'en ris
point; je lui dis assez sèchement, sans me mettre
en colère, que je la priois dorénavant de ne plus
me nommer sur des atfaires de cette nature. Elle vit
bien que cela ne m'avoit pas plu. J'écrivis , dès le
44o [l654] MÉMOIRES
soir , à M. le prince pour lui dire que je m'éton-
nois qu'il eût pu croire que si j'avois eu une affaire
sérieuse et importante à lui mander, je l'eusse confiée
à Beauvais et à la comtesse de Fiesque -, qu'il savoit
bien que je lui avois mandé par Saler qu'il ne m'en-
voyât jamais Beauvais , que je ne me fiois point à
lui ; qu'il pouvoit envoyer Saler lorsqu'il auroit
quelque affaire d'importance à me mander. Pour la
comtesse , que c'étoit une créature que je connois-
sois pour une folle, en qui je ne prendr ois jamais
aucune confiance 5 que je la croyois imprudente et
peu affectionnée pour moi -, que je me réjouissois
de ce qu'il avoit donné dans leurs panneaux ; que
je souhaiterois fort qu'il fît une paix lorsqu'il y
trouveroit son avantage ; que je ne me mêlerois
point de lui donner des conseils, dans la crainte
que l'événement ne fût pas tel que je pourrois dé-
sirer-, que l'envie d'aller à Paris ne me feroit jamais
conseiller à mes amis d'agir contre leurs avantages ;
que je seroîsfort fâchée qu'on pût me reprocher que ,
par la considération de mes intérêts, je me vou-
lusse prévaloir du crédit que j'ai sur eux pour ha-
sarder les leurs.
A quelque temps de là M. le prince m'écrivit , et
me manda qu'il me demandoit mille pardons de
m'avoir écrit tant de faussetés ; que Beauvais. étoit
arrivé le soir , comme il s'alloit coucher ; qu'il l'a-
voit entretenu jusqu'à ce qu'il fût endormi. « Il me
« parla, ajoutôit-il, de ma sœur et de plusieurs autres
tt affaires; je rêvai toute la nuit, et songeai tout ce
K que je vous écrivis le lendemain matin : ce qui n'é-
« toit qu'un songe. Quoique je fusse persuadé alors
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l654] 44'
c( que c'étoit le discours de Beauvais, je l'ai entretenu
<( depuis , et il m'a détrompé, et j'ai cru être obligé
« de vous détromper aussi , pour que vous ne le
« croyiez pas capable de dire de votre part ce que vous
« ne lui auriez pas commandé. » Comme la comtesse
de Fiesque m'avoit avoué ce qu'elle avoit dit à Beau-
vais lorsqu'il la vint voir à Saint- Fargeau, je vis
bien qu'elle avoit écrit à M. le prince , et qu'impru-
dente comme elle est , elle ne lui avoit pas mandé
positivement ce qu'il mé falloit écrire ; et que lui , par
bonté, m'a voit trop écrit. Je lui mandai : a Au lieu de
« raccommoder les affaires , vous les gâtez ; vous en
<( dites trop. Je vous ai déjà écrit mes sentimens pour
c( la comtesse de Fiesque -, je n'en changerai jamais.
<c C'est une dame qui fait fort bien des assemblées ,
c( chez qui il y a plaisir d'en aller voir; qui pare un
« cercle , mais avec qui il n'y a pas plaisir de demeu-
« rer. Je vous assure que je ne l'aurois pas retenue
c( chez moi, ou du moins je ne l'aurois pas gardée si
« long-temps , sans la considération de son mari que
« j'aime et estime , parce qu'il a du mérite , et qu'il
« est mon parent , et attaché à votre service. »
Pendant ce temps-là , mademoiselle de Vertus , que
j'avois vue en passant à Montargis , me parla fort de
madame de Longueville, pour qui elle a beaucoup
d'attachement, et qu'elle servoit en tout ce qu'elle
pouvoit en ses affaires pour son raccommodement avec
son mari : car de Montreuil-Bellay elle avoit eu ordre
d'aller demeurer dans le château de Nevers , où
elle fut fort peu , prenant un meilleur parti , de se
mettre dans les filles de Sainte-Marie de Moulins
avec madame la duchesse de Montmorency sa tante ,
44^ [l6^4] MÉMOIRES
personne d'une extrême vertu et mérite. Elle fit
tout cela pour parvenir à se raccommoder avec mon-
sieur son mari , qui avoit désiré qu'elle n'eût plus
de commerce avec M. le prince. Mademoiselle de
Vertus m'écrivit donc : « Vous avez une belle ami-
ce tié pour madame de Longueville ! Au lieu de tâ-
« cher à la raccommoder avec son mari , et de lui
(c conseiller tout ce qui est nécessaire pour cela ,
« comme vous me fîtes l'honneur de me dire , lors-
« que je passai à Montargis, que c'étoit votre senti-
« ment, vous l'embarrassez dans de nouvelles affaires.
« Quand j'aurai l'honneur de vous voir , je vous en
<( dirai davantage, et je prendrai la liberté de vous
« gronder. » Je lui répondis que je ne savois ce qu'elle
me vouloit dire. J'avois écrit à madame de Longue-
ville une lettre fort aigre; je croyois qu elle se ser-
voit de mon nom pour faire les propositions qu'elle
n'osoit faire. Comme elle ne savoit ce que je vouJois
dire , elle m'écrivit avec beaucoup de douceur.
Quand je fus arrivée à Saint-Fargeau , mademoi-
selle de Vertus y vint 5 elle s'en alloit à Moulins voir
madame de Longueville. Elle me conta que M. le car-
dinal Mazarin avoit envoyé quérir La Croizette. C'est
un gentilhomme à M. de Longueville , qui est une
manière de favori, lequel avoit été mal avec madame
de Longueville pendant la prison de messieurs ses
frères et de monsieur son mari. Elle prétendoit quilles
avoit très-mal servis , et elle aussi ; depuis il a bien
réparé cela. Il se raccommoda avec elle par le n^oyen
de mademoiselle de Vertus qui est son amie intime ,
et il a agi pour faire consentir la cour que madame de
Longueville retournât avec son mari. Comme il ti:a-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l654] 44^
vailloit à cela , et qu'il répondoit qu'elle n'avoit point
de commerce avec M. le prince , M, le cardinal Ma-
zarin l'envoya un jour quérir , et lui montra une lettre
de M. le prince , et lui dit ; « Vous voyez comme ils
« n'ont point de commerce ! » Par cette lettre il la
gourmaudoit fort des propositions qu elle lui avoit
fait faire par Beauvais ; et il y avoit aussi dedans que
sur ce que je lui avois écrit sur les mêmes proposi-
tions , il m'avoit fait réponse avec beaucoup de res-
pect, et suppliée de ne lui en plus faire de cette na-
ture ; qu'il voyoit bien que c'étoit ce qui m'avoit obli-
gée de donner cet ordre à Beauvais. M. le cardinal
Mazarin dit à La Croizette : « Elle ne se contente pas
« d'avoir des commerces, elle veut que les autres
« en aient. » La Croizette ne sut que répondre à
cela : il connoissoit l'écriture de M. le prince. Je fus
fort étonnée de tout cela ; et quoi que mademoiselle
de Vertus me pût dire, je crois que madame de Lon-
gueville en eut quelque, connolssance. Je lui contai
tout ce qui s'étoit passé à mon égard. Madame de
Longueville m'écrivit une grande lettre sur tout cela,
quand mademoiselle de Vertus l'eut entretenue ; elle
me manda que , pour se mie^x justifier, elle me prioit
de considérer qu'elle connoissoit la comtesse de Fies-
que : qu'aiqsi elle ne pouvoit ni ne devoit par aucune
raison se fier à elle. Je lui fis une réponse encore
très-sèche.
Comme j'étois à Pont, la cour partit de Paris, après
être de retour de Fontainebleau , pour s'en aller à
Reims faire sacrer le Roi. Si j'avois été fort curieuse,
j'aurois pu y aller inconnue pour voir une aussi belle
cérémonie que celle-là. Madame de Bouthillier m'y
444 [ï654] MÉMOIRES
voulut mener ; quantité de gens m'en pressèrent. Il
m'a toujours semblé que les gens comme moi jouent
un mauvais personnage quand, au lieu où elles sont
nées , et où leur rang est aussi considérable que le
mien est à la cour, elles sont en masque : cela n'est
bon qu'au carnaval , quand on y va volontairement ;
et la curiosité n'est point permise lorsque, pour se
satisfaire, il faut agir d'une manière basse. J'avoue
que je suis fort éloignée des pensées qui le sont. La
cérémonie du sacre est fort belle, à ce que je crois j
mais quand on en a vu d'autres en sa vie , que l'on
sait comme la cour est faite et tous les gens qui là
composent, ou que l'on en a lu les circonstances dans
un livre , c'est tout de même que si on l'avoit vu 5 on
n'en a pas le chaud , ni la peine de se lever fort matin
pour voir cette cérémonie. Ce qui fut remarquable à
ce sacre , c'est que de tous ceux qui dévoient y être
personne n'y a été. M. l'archevêque de Reims (0, qui
étoit pour lors de la maison de Savoie de la branche
de Nemours , n'étoit pas prêtre : ce fut M. de Sois-
sons , un de ses sufFragans , qui fit la cérémonie ;
tous les autres prirent aussi la place l'un de l'autre ,
et personne ne joua son véritable rôle : chacun y
faisoit celui d'autrui. Pour les pairs , hors Monsieur ,
frère du Roi , tous les autres étoient si peu propres à
être dans les places où sont d'ordinaire des princes
du sang , que personne ne s'en est souvenu. On le
manda à Monsieur , et eh même temps on lui laissa
la liberté de n'y pas venir : ce qu'il fit avec joie. Il
(i) M. Varchevéquc de Reu/ts ; Henri de Savoie , frère du duc de
I^emours , lue' par le duc de Beaufort. Il épousa depuis mademoiselle de
LoDgueville. Le sacre de Louis xiv se fit le 7 juin i654*
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l654] 44^
n'étoit pas encore accommodé avec la cour : il y
auroit eu lieu de s'étonner s'il y eût été.
De Reims , la cour s'en alla à Sedan ; on fît le siège
de Stenay. M. Fabert , qui est à présent maréchal de
France et gouverneur de Sedan, fit ce siège. M. de
Turenne étoit sur la frontière de Picardie 5 les enne-
mis assiégèrent Arras : et comme cette place étoit
beaucoup plus forte que Stenay, il fut pris en peu de
temps , et la cour eut le loisir de revenir à Peronne.
Le maréchal de La Ferté joignit avec son corps M. de
Turenne ; on en fit un autre des troupes de la maison
du Roi, et on le donna à commander au maréchal
d'Hocquincourt. Ils se joignirent tous, et allèrent
attaquer les ligues d'Arras ; ils y eurent le succès du
monde le plus favorable et le plus surprenant. Rien
n'est si aisé à des gens retranchés que de se bien dé-
fendre. Les Espagnols ne firent aucune résistance -, ils
se retirèrent promptement. Du côté de M. le prince ,
on y combattit fort vigoureusement •, et bien qu'a-
bandonné de la plupart des troupes, il fit la plus
belle retraite qui se soit jamais faite. M. le duc Fran-
çois de Lorraine étoit avec l'archiduc ; les Espagnols
l'avoient envoyé quérir en Allemagne après la prise de
monsieur sonfrère, que l'on transféra en Espagne ; et lui
il demeura au service des Espagnols avec ses troupes.
Cette victoire (0 d'Arras donna une joie extraordinaire
à la cour : j'en appris la nouvelle par un gentilhomme
que j'avois envoyé à la Reine, pour lui faire compli-
ment sur la mort du roi des Romains son neveu. J'a-
(i) Cette victoire : Elle fut remportée le a5 août i654>Leroi d^Es-
pagne écrivit k Cond<î : « J^ai su cpie tout étoit perdu , et que tous ares
« tout conscrré. 9
446, [l654] MÉMOIRES
voue qu'en l'état où j'étois, toutes les prospérités de la
cour ne me donnoient aucune joie-, et comme il me
sembloit que les disgrâces qui arrivoient à M. le
prince l'éloignoient de s'accommoder , ce n'étoit pas
le moyen que j'en eusse. A dire le vrai , je n'ai point
souhaité que les Espagnols remportassent des avan-
tages sur les Français : je souhaitois fort ceux de M. le
prince , et je ne pouvois me persuader que cela fût
contre le service du Roi. Je passai cet été-là à Saint-
Fargeau à chasser, lesj ours qu'il ne faisoit pas soleil;
et les autres, je ne me promenois que le soir, après
qu'il étoit couché.
M. de Joyeuse fut blessé en une occasion , deux
jours avant l'attaque des lignes d'Arras, au bras, qu'il
eut cassé. 11 servoit dans sa charge de colonel géné-
ral de la cavalerie , qu'il avoit eue par la mort de M. le
duc d'Angoulême son beau-frère. On l'apporta à Paris,
où il fut long-temps malade , et mourut sur la fin de
septembre i654. J'en appris la nouvelle à Chambord.
Je demeurai tout le mois d'octobre à Blois-, il y avoit
des comédiens, dont Monsieur et Madame n'avoient
point le divertissement ; il n'y avoit que moi et mes
sœurs qui y allassent. Mes sœurs en étoient ravies,
parce qu'elles n'avoient aucun divertissement. Leurs
Altesses Royales vinrent passer la Toussaint à Orléans
à leur ordinaire , et chassèrent à laSaint-iHubert -, je les
y accompagnai, puis je m'en retournai à Saint-Fargeau.
Nos affaires alloient toujours du même train entre les
mains de madame de Guise, qui de temps à autre me
demandoit des procurations nouvelles. J'eus les comé-
diens à mon ordinaire. 11 ne se passa rien de nouveau
à Saint-Fargeau, que le mariage de mademoiselle de
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l654] 44?
Pienne avec le marquis de Guerchy : je lui donnai de
beaux pendans d'oreilles de diamans. Il s'en fit un à
la cour bien plus considérable , de mademoiselle de
Martinozzi , nièce du cardinal Mazarin , avec M. le
prince de Conti, au mois de février i654*, de quoi
M. le prince n'eut pas beaucoup de joie. Cette nou-
velle et la campagne d'Arras lui furent fort désagréa-
bles ; il m'en témoigna son ressentiment par ses
lettres. Après l'affaire d'Arras , il me mandoit qu'il
n'avoit pu m'écrire , et qu'un homme aussi inutile et
aussi malheureux que lui devoit souhaiter qu'on l'ou-
bliât -, que sa plus grande douleur étoit de ne pou-
voir me rendre tous les services qu'il auroit souhaité
et qu'il auroit voulu me rendre^ Il m'envoya un autre
chiffre : le sien étoit dans sa cassette , qui avoit été
prise 5 il m'avertit qu'il avoit brûlé toutes mes lettres,
et que je ne serois point brouillée à la cour par sa
négligence.
[i655] Le premier jour de janvier, il arriva à
Saint-Fargeau un accident qui me déplut. M. et ma-
dame de Matha s'en aUoient à Paris ; pour l'amour
d'eux j'avois fait jouer la comédie aussitôt après mon
dîner , parce qu'ils dévoient aller coucher à Bleneau,
à deux lieues de Saint-Fargeau. Comme la comédie
fut finie , ils prirent congé de moi ; je m'en allai dans
mon cabinet écrire un jour d'ordinaire. Un moment
après il vint un petit page effrayé , qui me dit :
« M. de La Boulenerie vient de se rompre le cou. »
C'étoit un vieux gentilhomme voisin de Matha et de
Saint-Fargeau. Je sortis de mon cabinet, je trouvai
M. de Matha qui rentroit dans ma chambre les larmes
aux yeux ^ il me conta qu'après que madame de Matha
44B [l655] MEMOIRES
étoit montée en carrosse, ils avoient trouvé qu'il
étoit trop nuit pour s'en aller; qu'ils étoient rentrés.
La Boulenerie menoit madame de Matha -, ils ren-
contrèrent le chevalier de Charny , qui la prit par
la main. Ce pauvre gentilhomme demeura derrière;
et comme on ne voyoit goutte , au lieu d'entrer sur le
pont-levis , il se jeta dans le fossé et se cassa le cou.
Cet accident donna beaucoup de peine et de chagrin
à tout le monde. La mort , de quelque manière qu'elle
arrive , donne beaucoup d'effroi , et particulièrement
quand elle vient assaillir des personnes d'une manière
si surprenante. Pour moi qui la crains beaucoup, je
suis fort tendre pour les gens qu'elle attaque. Le len-
demain j'allai à la chasse ; comme je rentrois dans
Saint-Fargeau , le même petit page me vint dire qu'un
de mes officiers , que j'avois vu lorsque j'étois partie
pour la chasse, venoit de mourir d'apoplexie. Je me
tournai vers Préfontaine qui étoit derrière moi, et je
lui dis : (c Je crains furieusement cette année , et j'ai
« beaucoup de peur qu'elle ne me soit pas favorable,
t( à voir la manière dont elle commence. » Il me dit :
« Ces appréhensions sont des vapeurs de rate , qu'un
<( sujet mélancolique émeut , et dont vous devez vous
« éloigner autant qu'il vous sera possible. »
Madame de Guise m'écrivit si je voulois qu'elle
prît pour nos arbitres et examinateurs de nos affaires
des maréchaux de France et des évêques. Je lui fis
réponse que je n'avois point de querelle avec Son
Altesse Royale ; qu'ainsi les maréchaux de France n'é-
toientpas nécessaires, non plus que les évéques pour
me donner l'absolution, puisque je n'avois point
manqué. Elle me demanda ensuite si je ne voulois
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655] 449
pas bien des conseillers da grand conseil , ou de ceux
de la cour des aides, ou des maîtres des comptes. Je
lui répondiis qu au grand conseil ils savoient les af-
faires bénéficiales parfaitement bien; que la cour des
aides avoit une connoissance particulière des tailles ,
que les comptes Ucj tutèies n'étoient point leur mé-
tier-, que c'étoit plutôt le fait des maîtres des comptes,
parce qu'il y a des calculs*, que néanmoins je ne
cro3rois pas qu'il fût nécessaire d'en prendre. Que «î
eUe Youloit prendre des conseillers du parlement,
elle pouvoit en prendre de celui de Rouen et de
Dijon 5 que je n'a vois du bien que dans ces ressorts;
que pour le bien que j'avois. dans le pays de la cou-
tume du droit écrit, il n'étoit pas juste que l'on prît
un conseiller du parlement de Dombes, parce que
ce parlement dépend de moi -, que la même coutume
s'observoit dans le Lyonnais; que Ton pouvoit en
prendre du présidial de Lyon. 11 me semble que tout
ce que je mandai sur ce sujet étoit juste : néanmoins
elle ne me répondit point sur cela.
La comtesse de Fiesque me paroissoit agir avec
moi comme une personne qui crôyoit que je me dé-
fiois d'elle , et elle n'avoit pas tort. Je voyois ses in-
trigues du côté de Flandre , où je Faurois mise au
pis. Je connoissois les sentimens que M. le prince
avoit pour moi , et que personne ne les changerôit ,
parce qu'ils étoient fondés sur la persuasion qu'il
avoit de m'avoir obligation de sa vie à la porte Saint-
Antoine; et cela ne s'oublie jamais. Ses intrigues s'é-
tendoient à Blois , et je m'apercevois qu'elle témoi-
gnoit plus d'affection pour les gens de Monsieur que
pour raoi« Quand j'en parlois à madame de Frontenac,
T. 4i« 29
45o [l655J MÉHOIRGS
et que je lui dëfendois d'avoir commerce avec elle,
elle me répondoit : « Je ne sais ce qu'elle fait ni ce
ce qu'elle écrit ^ je ne le lui demande point, et elle ne
(( m'en parle point. » Au voyage que je fis à Cham-
bord , je me promenois dans le parc avec Son Altesse
Royale k cheval ; il me dit : a Je ne f^ais si vous save?;
« qu'Apremont va et vient de Bruxelles à Saint-Far-
tt geau, comme Ton fait d'Orléans à Paris. » Je lui
dis que c'étoit sans ma participation , et que pour
marque de cela il m'étoit venu faire des complimens
de M. le prince; que j'avois feit reproche à la com-
tesse de Fiesque de ce qu'elle l'envoyoit ainsi sans
m? le dire ; qu'elle m'avoit répondu : a Je ne savois
H pas qu'il y fût allé ; il a été pour ses allaires par-
ti ticulières. » Je contai aussi à Sou Altesse Royale
ce qu'elle avoit mandé par Be;\uvais , et toute cette
histoire. Il témoigna être bien aise que je ne me
confiasse point en elle -, qu'il la connoissoit pour une
créature imprudente , et dont la conduite ne lui. plai-
soit pas; que je serois bien heureuse si j'en étois dé-
faite. Je le supplia^ de trouver le moyen de m'en
débarrasser : je lui dis qu'il le pouvoit, qu'il n'avoit
qu'à me le faire commander par la cour , sous pré-
texte que , de la qualité dont j'étois, je ne devois pas
avoir auprès de moi la femme d'un homme qui étoit
à Madrid ambassadeur de M. le prince , lequel étoit
en Flandre; que cela me disculperoit envers soa
mari , pour qui j'avois des égards , et que je n'en
avois aucunement pour elle. Il me répondit : « Il
(( faut voir. »
Le carême venu et la semaine sainte, qui étoit le
temps que j'avois.coutume d'aller à Orléans , je me mis
D£ MADEMOISEI.LE DE MONTPEIiSIER. [l655] ^Sl
eu chçww avec aussi peu de joie qu'à l'ordinaire :
ces voyages me causoieut toujours beaucoup de cha-r
grin. J'écrivis à madame de Guise pour la supplier
de hâter nos affaires , et que j'espérois bientôt d'avoir
l'honneur de la voir. Je ne trouvai point Son Altesse
Royale à Orléans ; j'appris qu'elle ayoit mal à un
doigt. Je m'en allai à Blois , dont le séjour me déplaît
fort , et où Faiv m'est absolument contraire : je n'y
suis jamais quinze jours que je n'y sente de très-
grandes douleurs de tête, et que je n'y aie de grands
rhumes , bien que je sois fort saine partout ailleurs.
Le mal que Sou Altesse Royalei avoit n'étoit qu'au
doigt; il étoit cependant incommode et douloureux.
Je le trouvai fort changé. Ma sœur avçit aussi mtd au
doigt. Son Altesse Royale me reçut avec beaucoup
d'amitié : il n'est pas chiche d'en donner des marques
extérieures.' J'y trouvai le comte de Béthune , qui me
dit qu'il se plaignoit des longueurs que j'apportois à
la conclusion de no^ affaires : je lui dis qu'il n'y pvoit
rien que je ne fissç pour les hâter, et que je le prioia
de le dire à Son Altesse Royale ; ce qu'il fit ; et Son
Altesse Royale le chargea d'écrire à madame de Guise
de sa part et de la mienue pour hâter les affaires
autant qu'il se pourroit.
Le mercredi de la semaine sainte j'arrivai à Blois.
Le samedi M. le comte de Béthune me dit : « Son AU
a tesse Royale veut vous parler aujourd'hui. » Le jour
se passa néanmoins sans qu'il se mit en devoir de cela.
Le soir il alla à confesse : ce qui m^ fit croire que je
ne le verrois plus de ce jour-là. Le comte de Béthune
m'assura pourtant qu'il viendroit à mon appartement.
Je l'attendis avec beaucoup de dévotion : je me per-
45 a ^ [i655] MÉMOIRES
suadois que celle où il ëtoit à cause de la bonne fête
i'obligeroit à me traiter plus favorablement qu'il n'a-
voit fait jusques à présent. Comme je m'éntretenois
avec Préfontaine', il me vint une pensée : « Si Monsieur
(t vouloit envoyer quérir quelques gens de messieurs
« du parlement (on ne travaille pointées fêtes), ils
(i viendroient avec joie , et, en sa présence et en la
c( mienne, on accommoderoit nos affaires enunmo-
« ment. Madame de Guise viendroit aussi. » Préfon-
taine, qui a un esprit de pacification, et qui souhaitoit
surtout de me voir bien avec Monsieur, trouva ce que
je lui disois admirable. Dans ce moment Monsieur
entra : il me mena dans la ruelle de mon lit, et me
dit qu'il souhaitoit fort de voir les affaires que nous
avions ensemble terminées, à cause de l'affection
qu'il avoit pour moi. Je lui répondis avec autant de
tendresse qu'il m'en faisoit paroître, et je lui fis la
proposition que je venois de dire à Préfontaine ; à
quoi j'ajoutai ce que je ne lui avois pas dit, qui étoit
que je trouvois messieurs de Nesmond, Le Boiie, et
Bignon avocat général , fort propres pour cela. Il me
répondit fort aigrement : « Cela est bon à vous, ma-
(( demoiselle , qui êtes fort habile , de faire décider
« nos affaires devant vous. Pour moi qui ne les sais
« point , et qui ne suis point préparé à ce que vous me
u dites , je ne le veux point. » Je lui dis : « Monsieur,
(i ne refusez point cela \ au moins nous aurons le
« plaisir , vous et moi , de voir si nos gens nous ont
(c trompés ; si leur intérêt particulier a prévalu sur les ,
« nôtres , et s'ils ont eu par leur longueur intention
« de nous brouiller, ils seroient bien attrapés. » U
. me répandit d'une même façon : « On ne me surprend
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655] 4^^
« pas ainsi. » Je lui dis, les larmes aux yeux : a Je
« suis bien malheureuse que tout ce que je vous pro-
« pose avec la plus sincère intention qu'il se puisse ,
« vous. le tourniez à mal, et que Ton vous ait mis
« dans une telle disposition pour moi. » Il me répon-
dit : « Il est tard, et demain une bonne fête : n'en par-
ce Ions plus. D Et il s^en alla.
M. de Bëthune, qui causoit dans un coin de la
chambre avec Préfontaine , étoit dans une grande in-
quiétude d'entendre hausser la voix de Monsieur; ils
l'aUèrent accompagner jusqu'en sa chambre, et au
retour ils vinrent; en la mienne. Le comte de Béthune
me dit qu'il lui avoit dit en chemin : a Ma fille m'a fait
« une proposition fort captieuse ; je vois bien qu'elle
« l'avoit concertée, et qu'elle me' veut surprendre; » et
il lui conta ce qui s'étoit passé. Le comte de Béthune
lui dit : « Vous prenez cette affaire d'une manière
ce étrange ; » et lui parla vertement , pour lui faire
comprendre l'injustice qu'il me faisoit, Ni ce dis-
cours , ni la bonne fête , ne lui firent point changer
de pensée : l'agrément que l'on a de demeurer avec
une personne de cette humeur n'est pas fort grand.
Je m'allois promener avec Son Altesse Royale pendant
le séjour que je fis à Blois; quand il étoit de bonne
humeur il me parloit de ce qui s'étoit passé pendant
notre guerre, et s'étonnoit de ce que je savois beau-
coup de circonstances qu'il croyoit que j'ignorasse.
Il me parloit de M. le prince avec beaucoup d'amitié,
et me témoigna être persuadé qu'il en avoit beaucoup
pour lui; il disoit : « Je suis la personne du monde
« en qui M. le prince a plus de créance ; et comme il
« n'est pas grand politique , et que je passe pour l'êlrc
456 [^^5] MÉMOIRES
« tranquillement des malheurs dont vous dites qaeîa
« France est menacée -, pour Vous , monsieur , de îa
c( qualité dont vous êtes, cela me paroît terrible ; et
« quand vous seriez dévot , il n'y a point de détache-
« ment du monde qui vous pût donner ces vues sans
« beaucoup de douleur ^'pour moi J'en suis transie. »
11 ne me tenoit jamais que des discours capables de
mettre au désespoir.
L'air de Blois me donna un rhume épouvantable,
qui me dura trois semaines. Je ne sortois, ne dor*
mois, ni ne mangeois^ je m'amusai à jouer, parce
que cela m'ennuyoit moins que d'entretenir les gens
que je voyois. La comtesse de Fiesque commença en
ce voyage à se déchsdner contre moi. Je ne l'ai su
que depuis pour le certain. Je ne laissois pas de voir
qu'elle alloit souvent chez madame de Rare, gou-
vernante de mes soeurs ^ et comme sa chambre étoit
dans la même galerie que la mienne, j'y allois aussi.
Je m'aperçns^qu'ily avoit toujours un laquais à la porte
qui alloit avertir quand j'arrivois^ et quand j'entrois
brusquement, elles étoient déconcertées, et Son Al-
tesse Royale tout le premier. Madame de Frontenac
ne venoit point à la messe avec moi , pour entretenir
Monsieur pendant ce temps-là. J'avois de grands
soupçons de tout cela. Je disois à Préfontaine : <c 11
« seroit à souhaiter pour moi que mes affaires avec
a Son Altesse Royale ne fussent jamais finies; je suis
a assurée que dès qu'elles le seront il se déchaînera
et contre moi , et qu'il ajoutera encore de nouvelles
tt persécutions à celles qu'il me cause et que je souffre
« à' son sujet. » Préfontaine ne pouvoit croire ce que
je disois*, il me répondoit: «Monsieur a un fonds de
DE MADEMOISRLLE DR MONTPEKSIER. [l655] /\5^
dre lui envoyoit. Otte médaille étoit dans la lettre
de M. le prince-, de sorte que le soir je la donnai à
Son Altesse Royale, et lui dis qu'elle ëtoit dans le
papier du paquet que Ton avoit ramassé. Je pense qu'il
se douta bien de la vérité , quoiqu'il n en fit pas le
semblant. Toutes les fois que j avois des nouvelles de
Flandre, je lui en disois, et il me rëpondoit : a Ce
<( sont des gens de Paris qui ont commerce en ce
« pays- là qui vous en mandent. » Je lui disois :
« Oui, monsieur; vous croyez bien que pour moi je
(( ny en voudrois pas avoir. ;> Il pestoit souvent contre
tout ce qui se&isoit à la cour. U avoit une grande peur
que le Roi n épousât mademoiselle de Mancini. U en
étmt fort amoureux , à ce que portcHent toutes les
nouvelles quivenoient de la cour. Comme je n'y étois
pas pour lors, je n'en ai rien vu. U disoit à tout mo*-,
ment qu'il n'y retourneroit jamais; que si onluiôtok
ses prétentions, et que l'on cmt le preadre par la
famine, il se camperoit à Ghambord avec tout son
train-, qu'il y avoit assez de gibier pour le nourrir long^
temps , et qu'il mangeroit jusqu'au dernier cerf avant
que d'aller à la cour. Comme je le connoissois , j'avois
peine à croire qu'il de meurâtlong-temps dans cette ré*
solution. Il contoit iin jour qu'il croyoit que la monar-
chie alloit finir ; qu'en l'état où étoit le royauœe il n(^
pouvoit subsister ; que dans toutes celles qui ^voient
fini, leur décadence avoit commencé par des mouve-
mens pareils à ceux qu'il voyoit. 11 se mit à faire une
longue dissertation de comparaisons pour prouver son
dire par les exemples passés. Après qu'il eut toul dit ,
je lui dis : « Si c'étoit un valet de pied qui est à cette
« portière, je ne m'étomierois pas 4e l'eflutendre parler
456 [i655] MÈMOuiEs
« tranquillement des malheurs dont vous dites que f»
« France est menacée \ pour vous , monsieur , de la
« qualité dont vous êtes, cela me paroit terrible ; et
« quand vous seriez dévot , il n'y a point de dëtache-
« ment du monde qui vous pût donner ces vues sans
« beaucoup de douleur ^'pour moi j'en suis transie. »
11 ne me tenoit jamais que des discours capables de
mettre au désespoir.
Lair de Blois me donna un rhume épouvantable,
qui me dura trois semaines. Je ne sorlois, ne dor*
mois, ni ne mangeois; je m'amusai à jouer, parce
que cela m'ennuyoit moins que d'entretenir les gens
que je voyois. La comtesse de Fiesque commença en
ce voyage à se déchsâner contre moi. Je ne Tai su
que depuis pour le certain. Je ne laissois pas de voir
qu'elle alloit souvent chez madame de Rare, gou-
vernante de mes sœurs ; et comme sa chambre étoit
dans la même galerie que la mienne, j y allois aosst.
Je m aperçns^qu ily avoit toujours un laquais k h porte
qui alloit avertir quand j'arrivois^ et quand j'entrois
brusquement, elles étoient déconcertées, et Son Al-
tesse Royale tout le premier, ftladame de Frontenac
ne venoit point à la messe avec moi , pour entretenir
Monsieur pendant ce temps-là. Javois de grands
soupçons de tout cela. Je disois à Préfontaine : « Il
« seroit à souhaiter pour moi que mes afTaires avec
« Son Altesse Royale ne fussent jamais finies; je suis
« assurée que dès qu elles le seront il se déchaînera
« contre moi , et qu'il ajoutera encore de nouvelles
« persécutions à celles qu'il me cause et que je souffre
« à son sujet. » Préfontainc ne pouvoit croire ce que
je disois *, il me répondoit : « Monsieur a un fonds de
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655j 4^7
« bonté non pareil, et je suis fort persuadé qu'il a beau-
tt coup d'amitié pour vous. » Je lui répondois : a Je le
« connois mieux que vous , et je vous verrai un jour
a détrompé de lui. Dieu veuille que ce ne soit point
tt à vos dépens et aux miens! » Toutes ces circons-
tances et mon rhume m'avoient mise dans une telle
mélancolie que je pleurois souvent, et cette envie
me prenoit dès que je voyois Monsieur. Un jour il
trouva que je pleurois chez madame de Rare ; je me
jetai sur le lit, il s'approcha de moi et me dit : « Je
<c demande à tout le monde ce que vous avez à'pleu-
tt rer sans cesse, et ce qui vous cause une si grande
tt mélancolie. On m'a dit que vous croyez mourir parce
tt qu'il y a sept ou huit jours que vous ne dormez
« point et que vous n'avez point d'appétit : on ne
« meurt pas si promptement et d'une si légère raa-
« ladie*, vous êtes folle d'avoir ainsi des terreurs pani-
« qnes. » Je ne lui répondois rien, et pleurois encore
davantage. Il me pressoit de lui répondre ; il me pressa
tant que je lui dis : « L'état où vous êtes et celui où
« vous me mettez ne doivent pas faire (aire des réfle-
« xions fort gaies, ni sur ma vie présente, ni sur l'avenir,
tt et surtout le peu d'amitié que vous avez pour moi. »
Il me dit quelques douceurs; et plus on en dit quand
on est persuadé du contraire, plus cela fâche.
Madame de Puisicux étoit à Blois dans les filles
Sainte-Marie. C'est une femme d'un esprit assez bi-
zarre , et qui a des boutades plaisantes et agréables.
Je la voyois souvent : elle étoit aimée de Goulas , et
j'apprenois toujours quelques nouvelles d'elle. Vi-
neuil revint de Flandre avec permission du Roi de
demeurer dans la maison de son frère , qui n'est qu'à
458 [i655] MÊMomEs
deux lieues de Blois. Je feignis un jour de me trouver
mal, et je dis que je voulois aller prefidre l'air à
Beauregard. Monsieur vint dans ma^chambre, et ne
me demanda point où j'allois -, je ne lui dis point aussi.
Par malheur , comme je dinois il vint un vent et un
orage qui rendirent le temps fort froid et fort vilain ,
et toutes les personnes qui étoîent dans ma chambre
disoient : « Vous vous enrhumerez de sortir par ce
« temps*là. » Je leur disois : « J'ai la tête étourdie ,
« il me feut de l'air. » Après le dîné je m'en allai à
Beauregard. Lorsque j'y arrivai , j'y trouvai Vineuil
dans la cour; je m'écriai : « Qui vous croyoit trouver
f( ici! » Je l'entretins long-temps dans le jardin: le
beau temps revint. J 'a vois envie de savoir des nou-
velles de M. le prince , et comme tout se passoit en
Flandre, Le soir je dis à Monsieur que j'avois vu Vi-
neuil. Il me répondit : « Je savoii^ bien que vous le
« Verriez, lorsque vous êtes partie.» Je lui dis : a Je ne
a vous en avois point demandé la permission , parce
K que cela vous eût peut-être embarrassé-, vous n'auriez
« osé me l'accorder, -et vous êtes bien aise que j'y
(( aie été.)i Pendant mon séjour à Blois il se passa mille
affaires désagréables pour moi, dont je né me souviens
que parle chagrin que cela me donna, et non en détail.
Je me souvins en ce voyagé d'une pensée que j'a-
vois eue quelques mois avant mon retour d'Orléans à
Paris, dont Prëfontaine avoit eu connoissance par
madame de Frontenac. 11 m'en détourna. Comme
j'allois quelquefois aux Carmélites voir mademoiselle
d'Epernon, en ce temps-là je redoublai mes visites;
J'en fis cinq ou six tout de suite. J'allai un jour voir
un appartement que feu madame la princesse y avoit
DE MADEMOISELLE DE MOlfTPElSSIER. fl655] 4^f)
fait faire, et où elJe navoit point logé. Je le trouvai
fort joli, et je m'informai de ce qui ëtoit dehors. Je
regardois^ et disois : Si on faisoit Ik un parloir, cela se-
roit bien commode. Je dispojM)is de la place du lit , de
la tiUe , et de tout, sans songer que ceux qui étoient
avec moi reconnoitroient que je ne disois pas cela
«ans dessein. Il se rencontra que toutes les fois que
jallois aux Carmélites, j'en revenois toujours fort
mëlancoliqùe^ madame de Frontenac y avoit remar-
qué tout ce que j'y avois dit , et en fit le récit à Pré-
fontaine. Il parloit avec moi un jour que j'y avoisété -,
il me demanda comment, étoit fait le logement dé
feu madame la princesse. Je le lui contai avec plai-
sir^ il me dit que j en pvenois beaucoup depuis quel-
que tempsi à y aller , et qu'il me trouvoit toute mé-
lancolique depuis ce temp&-là« Je nfle mis à pleurer,
et lui dis que le peu d'amitié que Monsieur meté-
moignoit ne me donnoit pas lieu d'espérer un grand
établissement *, que la considération où il étoit n'étoit
pas encore un fondement de grande espérance; que
je considérois qu'au premier jour il feroit un accom-
modement bizarre ; qu'il s'en iroit à Blois ; que de l'y
suivre , ce me seroit le dernier ennui , et que j'en au-
rois beaucoup à aller demeurer en quelqu'une de mes
maisons à la campagne. De sorte qu'il lii'étoit venu
dans l'esprit de me retirer aux Carmélites-, que ce
n'étoit pas pour me faire religieuse : que Dieu ne
m'avoit pas fait la grâce de m'en donner l'eilvie ; que
je voulois me retirer du monde pour quelques années;
que je casserois mon train; que jegarderois fort peu
de monde; que j'amasserois beaucoup d'argent ; qu'à
l'arrivée de la cour elle ne songeroît pas k m'exiler si
46o [l655j MÉMOIRES
e]le me trouvoit au couvent*, qu elle s'aiccoutumeroit
peu à peu à moi ^ qu'alors je pourrois quitter ma so-
litude , et retourner à la cour avec la dignité dans
laquelle je suis nëe-, que pendant ma retraite je ver-
rois à la grille deux fois la semaine le monde *, que les
autres jours je les emploierois à mes affaires et à voir
mes amis particuliers-, que j'irois aux offices, que je
travaillerois et lirois.Pour ce <lernier divertissement,
je ne l'avois pas encore goûté -, je faisois un projet
tout propre à ne mepas ennuyer-, quand je songeois aux
motifs de mon dessein et à la clôture , je redoublois
mes larmes. Je fus deux ou trois jours à penser à cela.
Prëfontaine , comme j'ai déjà dit , fit tout son pos-
sible pour m'en détourner. 11 voyoit bien que cette
vie me précipiteroit dans un tel chagrin que ma santé
en seroit en péril. S'il eût prévu, et moi aussi, tous
ceux que j'ai eus depuis, j'aurois bien pris celui-là,
et il eût été sûrement bien moindre. On ne prévoit
pas tout ce qui doit arriver^ et surtout les événemens
extraordinaires. Je lui ai reproché souvent depuis ce
qui est arrivé , et je lui disois : « Si j'étois dans les
« Carmélites , je serois bien heureuse. » 11 me répon-
doit : <( Je ne me repentirai jamais de vous en ayoir
« détournée -, j'ai cru le devoir faire pour la considé-
« ration de votre santé. » Madame de Frontenac m'en
dissuada aussi. Préfontaine ne se trouvoit pas a3sez
fort tout seul pour obtenir de moi par ses supplica-
tions de changer ma résolution : il s'unit à ce dessein
avec madame de Frontenac; il savoit que je l'aimois
fort en ce temps-là, parce que j'étois persuadée qu'elle
m'aimoit.
Madame de Guise dépécha un courrier , et écrivit à
DE MADEMOISELLE DE MONTPEWSIER. [l655] 4^1
Son Aitesse Royale et à moi*, elle nous supplioit de
lui donner pouvoir de prendre telles gens qu'il lui
plairoit pour examiner notre affaire , sans que nous
sussions leurs noms , et d'ordonner à nos gens de lui
remettre entre les mains nos papiers, et de signer
comme les procureurs tout ce qu'elle voudroit sans le
savoir. Il y avoit une circonstance dans ma lettre qui
n'ëtoit point dans celle de Monsieur ; elle me disoit
qu'elle me promettoit , après nos affaires terminées ,
de me rendre compte de ce qu'elle auroit fait, et
pourquoi elle l'auroit fait. La proposition de signer
sans voir me parut captieuse ; et comme j'étois déjà
persuadée du peu de bonne foi avec laquelle on en
usoit avec moi , cela me donna quelque chagrin. J'é-
tois néanmoins si fort assurée que s'il y avoit des juges
qui s'en mêlassent , ils ne trahiroient ni leur honneur
ni leur conscience pour faire leur cour aux gens de
Son Altesse Royale 5 que cela me rassuroit. J'envoyai
demander à voir la lettre que Son Altesse Royale
avoit écrite à madame de Guise et à M. de Choisy son
chancelier , pour en écrire une toute pareille à ma-
dame de Guise et à mon intendant. Au lieu de m'en-
voyer les lettres mêmes, on m'envoya les copies dans
une même maison d'une chambre à l'autre. Ce pro-
cédé me parut fort bizarre -, j'en dis mon sentiment
avec assez de chaleur : ce qui m'étoit ordinaire -, je suis
prompte et sensible plus que personne du monde. Je
ne laissai pas que de montrer mes lettres à Monsieur
avant que de les envoyer à Paris.
A cinq ou six jours de là, Nau me manda que ma-
dame de Guise avoit choisi messieurs de Gumont, de
Saveuse et Regnard , tous trois conseillers du parle-
4()12 [l65^] MÉMOIRES
meut de Paris. Le premier me plat fort, parce que
c'étoit un homme de beaucoup d'esprit et de mérite ,
fort éclairé dans sa profession , et serviteur particu-
lier de M. le prince. Ainsi , s'il y eût eu quelqu'un à
favoriser, c'auroit été plutôt moi que mon père. M. de
Savense a du mérite aussi , et ne pa^e pas pour être
si habile; il est d'église et dévot: cela me faisoit ap^^
préhender qu'il ne se laissât prévenir par des moines,
avec lesquels je n'ai point d'habitude « et ma belle-^
mère y en a beaucoup. Pour M. Regnard , je ne le
connoissois point: je le croyois capable -^ et quand il
ne l'auroit pas été , il étoit tout propre à suivre les
sentimens de M. de Cumont, qu'il connoissoitfort ; ils
ctoient de la même chambre. Je sus à ppint nommé
quand ils avoient conféré avec madame de Guise , et
ce qui avoit été résolu. Ce que j'apprenois ne m'.étoit
point désavantageux : l'on me faisoit justice ; l'onobli^
geoit Son Altesse Royale à payer toutes les dettes de
la maison , parce qu'il avoit joui de mon bien pendant
ma minorité *, et outre cela il étoit obligé à me donner
des sommes considérables , et néanmoins on le dé-
cbargeoit de beaucoup d'autres qu'il me devoit. On
me mandoit : a II y a encore bien des articles à juger ;
« madame de Guise a eu mal à la téta , elle a mis la
«séance à un autre jour. » Peu de jours après elle écri-
vit à Monsieur et à moi que toutes les affaires étoient
résolues, et qu'elle. viendpoit à Orléans lorsque nous
irions. Nouspartîmes pour ce voyage sur ia fin de mai;
elle arriva à Orléans le lendemain du jour que nous y
arrivâmes. J'allai au devant d'elle avec tous les res-
pects et toutes les amitiés imaginables : elle m'en fit
de même; je lui donnai à diner.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655] 4^3
Le lendemain , qui ëtoit le jour dç la Fête-Dieu ^
après vêpres , comme elle ëtoit chez Madame , Mon-
sieur lui manda qu'il ëtoit chez elle. Elle alla le trou-
ver. On m'envoya chercher; je témoignai qu'il ëtoit à
propos que Madame y vînt aussi : ce qu elle fit. 11 y
avoit Monsieur et Madame, messieurs de Bëthune et
de Beaufort, auxquels madame de Guise n avoit donné
aucune part de ce qui s'ëtoit passe, quoique Son Al<*
tesse Royale et moi. leur eussions tëmoignë que nous
en aurions ëtë bi^a aises ; M. Tëvéque d'Orlëans , le
marëchal d'Etampes et les deux notaires. Je demandai
pourquoi Goulas n y ëtoit pas ; que c'ëtoit un acteur
nécessaire à cette scène; qu'il avoit assez bien joue
son personnage pendant toute l'affaire. Je poussai
cela un peu trop loin et trop vigoureusement. Ma-
dame de Guise prit la transaction , et dit : a Voici ce
<( que Votre Altesse Royale et Mademoiselle m'ont
c( fait l'honneur de me confier , et je viens leur rendre
« compte s il leur plaît de l'avoir agrëable. » Je, dis :
H II n'est pas nëcessaire ; quand on a donné pouvoir
u à ses agens de signer sans voir, tout est fait; iLfaut
« que la ratification se fasse de même. » De sorte que
les notaires écrivirent que nous avions ouï la lecture ,
et que nous avions approuvé et ratifié la transaction.
Monsieur signa, et moi aussi. Gomme je signois, je lui
dis : ((Dieu veuille que cela me donne du repos, et
n l'honneur de vos bonnes grâces ! J'ai bien peur ce-
« pendant de n'avoir ni l'un ni l'autre. » 11 m'em-
brassa et me dit : (( Je vous demande mon repos, et
tt assurez-vous de mon amitié. » Je lui répliquai que je
ne manquerois jamais au respect que je lui devois, et
que je ne songeois plus à tout ce qui s'étoit passé, et
464 [l655] MËMOIKRS
qui m'a voit bien donne du chagrin^ qu'au reste je ne
pardonnerois jamais à ceux qui' m'avoient brouillée
avec lui si injustement ^ que je lui en demandois jus-
tice , et que s'il ne me la faisoit , je me la ferois moi-
même. Il devint rouge et dit : « Voici un étrange dis-
« cours ! » et s'en alla. J'achevai lé reste de mou dis-
cours sur cette matière devant toute l'assemblée. On
me dit que Monsieur étoit un peu scandalisé de ce
que j'avois dit, et qu'il falloit que je lui en fisse ex-
cuse : ce que je fis très-volontiers. Je ne voulois man-
quer en rien envers lui , et me so'ûmettre à tout ce
qu'il désireroit de moi. J e lui dis que l'amitié que j'avois
pour lui étoit capable de me faire emporter sur des
chapitres sur lesquels je voyois que la sienne avoit
été altérée pour moi 5 et que ma faute partoit de ce
principe , et que j'espérois qu'il nie la pardonneroit.
Nousjvoilà raccommodés.
J'avois envie de lire la transaction. J'envoyai le
lendemain Préfontaine la demander à madame de
Guise -, elle m'en envoya une copie , comme elle avoit
fait à Monsieur. J'étois chez Madame , je m'en allai
à mon logis pour l'enfermer dans ma cassette jus-
qu'au soir *, je ne voulois pas que Préfontaine la vît
devant moi. Le soir , comme je fus de retour à mon
logis, je la lus , et je trouvai qu'elle étoit conçue en
d'autres termes que ce qui avoit été résolu -, elle me
faisoit payer la moitié des dettes que Son Altesse
Royale devoit payer. Selon elle , il ne me devoit
que huit cent mille livres , et il avoit quarante mille
livres de rente à prendre sur mon bien , par les
coutumes des pays où étoient mes terres , afin que
pour n'avoir rien à lui payer je lui remisse les huit
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655] 4^5
cent mille livres. Je fus fort étonnëe qu*elle n'^eût
pas suivi l'avis des conseillers qu'elle avoit choisis
pour régler cette affaire , et tous les articles qui
avoient été discutes ; pour la coutume en consé-
quence de laquelle elle prétendoit que Monsieur de-
voit jouir de mon bien, elle lavoit jugée elle-même.
Je ne veux entrer ici dans le détail de cette transac-
tion que le moins qu'il me sera possible ; rien n'est
si fâcheux que les affaires des autres , et surtout
les affaires de chicane : il faudroit avoir avec soi un
coutumier , pour expliquer ce qui est dit ; et la lec*
tare n'en est pas agréable. La transaction portoit que
tout ce qu elle avoit fait étoit par l'avis de messieurs
de Cumont , Regnard et de Saveuse. Je dis à Pré-
fontaine : <( Personne n'est maître des premiers mou-
a vemens , et surtout à l'égard des gens que l'on
a accuse d'avoir manqué en une affaire de ï'impor-
tt tance dont étoit celle-ci : c'est pourquoi il faut
tt envoyer à Paris. » A l'instant j'écrivis à ces mes-
sieurs , et me plaignis de la manière dont ils m'a-
voient traitée , assurée qu'ils diroient sur cela , lors-
qu'ils recevroient mes plaintes, plus qu'ils ne feroient
si on attendoit plus long-temps. J'oubliois à dire
que , pour qu'il parût que Monsieur ne devoit que
huit cent mille livres , il avoit fallu cacher mille ar^
ticles où l'on avoit si lourdement manqué au calcul ,
qu'il y avoit une erreur si visible , qu'il ne falloit
que savoir lire pour la voir-, et je m'en étois aperçue.
J'écrivis à Nau ce qui m'avoit semblé de la trans-»
action, et l'intention avec laquelle j'écrivois à ces
messieurs , et lui ordonnois de prendre garde à leur
mine lorsqu'ils liroient mes lettres. Dès qu'ils eu»
T. 4*' 3o
466 [i655] MÉMOIRES
reiït lu mes lettres , ils s'écrièrent tous trois qu'ils
navoient point vu la transaction, et que madame
de Guise ne pouvoit diminuer les sommes qui m'ë-
toient dues , sans que j'en fusse d accord. M. de Cu-
mont dit à Nau : « J'ai fort pressé madame de Guise
« de me montrer la transaction, » et je lui dis quej'a-
vois peur quil n'y eût quelque erreur de calcid;
parce que s'il y en avoit , la transaction ne vaudroit
rien, et que dans cent ans d'ici les héritiers de Ma-
demoiselle pourroient inquiéter les. enfans de Mon*
sieur. 11 ajouta qu'il étoit tout prêt à s'en aller à
Orléans rendre compte à Monsieur et à Mademoiselle
de ce qu'il avoit fait \ et je crois que cela auroit été
assez utile. Les deux autres dirent que si on avoit be-
soin d'eux , ils se transporteroient volontiers à Orléans.
J'eus ces nouvelles le lendemain ^ dont je fus fort aise.
Je fus trois jours sans rien dire. Quand quelqu'un me
disoit : « Quoi ! aimerez-vous que Monsieur ait du bien
« à prendre parmi le vôtre ? » je répondois : « J'aurai
c( grand soin que mes fermiers le paient bien , et j'en
<( aurai aussi beaucoup de l'être bien de lui. »
Comme ce n'étoit pas mon intention que l'affaire
en demeurât là , quelqu'un me dit que Monsieur se
plaignoit de ce que je ne voulois pas faire une com-
pensation de ses jouissances avec mes huit cent mille
livres. J'envoyai Préfontaine chez madame de Guise
pour la snpplier de me faire voir l'arrêté de ces
messieurs les conseiljiers , eh vertu duquel elle avoit
fait dresser la transaction , ainsi qu'elle m'avoit .fait
l'honneur de me le promettre par la lettre par la-
quelle elle avoit mandé que l'on signât sans voir.
EUe dit à Préfontaine que l'on n'avoit pas accou-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [.l655] 4^^
tumë de rendre compte de telles affaires. Je Fallai
voir l'après-dînée ; M. de Beaufort y ëtoit , le comte
de Bëtbune , l'évêque d'Orlëaas , mademoiseUe de
Guise, Préfontaine et moi. Je lui fis la même prière
que Prëfontaine lai aroit faite de ma part ; elle me
répondit que Ton ne demandoit guère compte de
pareilles affaires. Je lui rëpondis que si elle ne me
Farok offert, je ne lui en parlerois pâs^ que comme
elle me l'avoit promis , je ne croyois pas que cela lui
dét dëplaire. Elle me dit que quand elle seroit à Paris,
elle yerroit si elle troureroit encore ces papier^.
Je lui dis ensuite : «Je suis bien aise, madaitte,
« de vous dire devant tous ces messieurs qu'il y a
a une erreur de calcul dans la transaction : ce qui
« la rendra nulle toutes et qtiantes fois qu'il me
« frfaîra } et comme je veux agir de bonne foi avec
« Monsieur , j'en avertis , afin que l'on y remëdie :
« et pour cela il me semble qu'il seroit à propos
(c de faire veiur les trois conseillers de qui vous
a avez pris avis. Apparemment cette faute n'a pQ6
(( été faite de leur connoissance : ils sont trop ha-
« biles gens , et verront bien- que ce seroit une faute
(( <{tii ne se pourroit couvrir. Cela vient absoljimeDt
ce de celui qui a fait le caktri : si ces messieurs
a ëtoieiit ici ^ ils rëgleroient en un moment tout ce
ic qu'ii y auroit à faire , et an moins ok termineroit
<t cette afl^ire pour jamais. J'ai toujours fort son-
a haitë que M)0osieur connut ce qu'il me doit et ce
(t qoe je lui remettrois. Ce n'est pas pour qu'il m en
<c ait obligation -^ coBnite il a ëtë tnal servi , et que
« j'ai un juste sujet de me plaindre de ses gen», il
a connoitroit que leurs intërêts particuliers les ont
3o.
468 [l655J MÉMOIRES
« toujours fait agir , et les ont obliges à me rendre
K auprès de lui tous les mauvais olliees qu'ils m'ont
« rendus 5 et ce seroit un vrai moyen d'ôter , à tous
« ceux qui m'en voudr oient rendre à l'avenir , la
c( facultë de le faire. )> Madame de Guise dit que le
calcul ëtoit fort bien fait-, qu'elle répondoit de celui
qu'elle en avoit chargé', et qu'elle ne vouloit point
que l'on regardât à une affaire qu'elle avoit faite.
Tout ce qui ëtoit là entra assez dans mon sens pour
la prier de faire ce qui ëtoit nëcessaire, afin de ter-
miner l'affaire sans retour. Jamais elle ne le voulut.
Mademoiselle de Guise , prenant la parole , dit :
« Mademoiselle , qui est votre petite-fille, vous de-
(( mande l'explication d'une affaire que vous avez
« rëglée avec tout l'examen et les consîdërations
« imaginables : rien n'est plus offensant. » On trouva
mademoiselle de Guise un peu emportée de dire cela;
madame de Guise parut fort fâchëe de ce que l'on
connoissoit les finesses qu'elle avoit pratiquées pour
m'ôter mon bien, elle qui me l'auroit dû conserver.
Je pense que sur cela je lui dis qu'il paroissoit bien
qu'elle considëroit la maison de Lorraine plus que celle
de Bourbon 5 qu'elle avoit raison de chercher à don-
ner du bien à mes sœurs , parce qu'elles en auroient
peu du côté de Monsieur , et que cela me faisoit voir
que j'ëtois une grande dame d'avoir de quoi me pas-
ser des autres , et que la fortune de ma famille s'ëta-
blissoit sur ce que l'on pouvoit attraper de moi-, que
j'ëtois assez au-dessus d'elles pour qu'elles pussent re-
cevoir des bienfaits de moi ; ainsi qu'il valoit mieux
les tenir de ma libéralité que de me les escroquer ;
que cela ëtoit mieux selon Dieu et selon le monde.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655] 4^
Nous fûmes trois heures enfermées sans rien con-
clure. Madame de Guise ne répondoit rien à tout
ce qu'on lui disoit , et mademoiselle de Guise avoit
une telle peur qu'elle ne se rendît à la raison ,
qu'elle parloit pour elle, et lui disoit ce qu'il falloit
qu'elle répondit. Sur la fin chacun s'aigrit , et la
conférence finit par des propos mal gracieux. Le
soir , on me vint dire que Monsieur vouloit absolu-
ment que je passasse un acte pour compenser les
jouissances avec mes huit cent mille livres : il es-
péroitque cela rectifieroit la transaction et l'erreur
de calcul, puisque je l'avois vue, et que je m'en
étois plainte -, que cet acte l'approuveroit. Je fis ré-
ponse que je passerons tout ce que Son Altesse
Royale voudroit , et que je mettrois dans l'acte que
je signerois: Sauf erreur de calcul; que je ne vou-
lois point être dupée *, que je donncrois à Madame
ce qu'il désireroit de moi de bonne volonté , et non
point par force. Monsieur résolut, sur ma réponse,
de partir : sa maison et celle de Madame partirent ;
il ne me vouloit point voir. Ce fut une grande ru-
meur. Enfin , on le fit résoudre à demeurer encore
un jour à Orléans. 11 ne voulut pas rester chez lui :
l'après-dîner il alla se promener \ pour moi , je m'en
allai chez Madame , où je fis porter mon dîner. Elle
n'avoit plus d'officiers , et étoit fort fâchée de voir
tout ce désordre : comme elle n'entend pas les af-
faires , elle ne sa voit que dire. Tout le monde étoit
fort étonné que madame de Guise voulût rompre
une telle affaire par opiniâtreté. On consulta tous
les docteurs de droit, qui sont en grand nombre à
Orléans , savoir : si je pouvois passer cet acte que
470 [l655j MËMOIEËS
mddame de Guise proposoit , saa$ y mettre sauf
erreur de calcul j ils dirent tous que non. Tout le
Ifnonde voyoit que j'avois raison , et personne n osoit
]e dire 9 de peur de blâmer madame de Quise. Je
ne ^ais si on en parla à Monsieur ^ le matin qu il
partit, il vpuloit bien me voir. J'allai dire adieu à
madame de Guise ; cela se passa assez froidement.
J'allai ch^z Monsieur ; il n'y avoit que le cpmte de
Béthune , ftj. de Beaufort, Beloy et moi. Je lui dis ;
# Monsieur, tout ce que je fais , c'est pour votie
a avantage. Si j'avois dessein de vous tromper, je
K ne vous aurois pas fait remarquer Terreur de
« calcul. Tout ce que j'ai k vous demander, c'est
n d'âtre persuadé que j'agis de bonne foi ^ que je
^ serai bien aise de faire du bien à vos enfans ,
<< quoique ypus ne m y ayez pas obligée ; cela sera
K d'autant plus glorieuic pour moi. » 11 me dit :
« Vous savez bien que je suis en un état que je ne
(( saurois rien faire pour vous , et qu'il ne me reste
a que la bonne volonté. >» Je lui répondis un peu
rudement • <( Je l'avoue , )> et lui dis : « Quand
i{ vous eu avieaç le pouvoir , vous n'en aviez pas la
(( bonne volonté ^ c'est pourquoi je ne vous en suis
^ pas obligée présentement, » Il me dit : « 11 faut
tt que vous vous ôtiez de la tête d'aimer à plaider ,
u et ne pas croire vos gens là -dessus. Us vous
c( font un procès pour un banc d'église. » Je lui dis :
K Je n'aime point les procès , et mes gens ne m'en
a font point faire mal à propos. Si les vôtres avoient
<^ eu autant soin de mes aiTaires , je n'en aurois avec
m peJTSonne. Us ont laissé usurper mon bien de tous
a côtés ', de sorte que pour le retirer , il faut bien
DE MADEMOISELLE DG MONTPEISSIER. [l655] 4? <
« plaider. D'ordinaire , on ne rend pas yolontiers
a ce que Ton a pris ; après cela vos gens vous font
(( accroire que c'est pour des bancs d'ëglise. Je suis
« bien aise de vous dire , monsieur , que la trans-
« action ne me défend pas de poursuivre l'affaire
« de Ghampigny , parce qu'elle ne le peut , et que
« je m'en vais la faire pousser fort vigoureusement ;
« ne le trouvez-vous pas bon ? » 11 me dit qu'oui ^
je le lui fis dire deux fois , et ensuite je dis à ces
messieurs qui étoient présens : « Vous entendez
« comme Monsieur le permet et y consent-, parce
« que si dans la suite de l'affaire il se rencontre
« quelque difficulté qui lui put préjudicier par la
« faute de ses gens , au moins cela ne tomberoit
« pas sur moi. » Monsieur me promit fort que non ,
et m'embrassa. Nous nous séparâmes en assez bonne
amitié , et à pouvoir croire que nos affaires ne l'obli-
geroient pas à faire tout ce qu'il a fait depuis. Ma-
dame me fit des amitiés non pareilles.
Je partis pour Saint-Fargeau en même temps que Son
Altesse Royale pour Blois. Gomme il faisoit fort chaud,
je m'en allai en quatre jours : le dernier il faisoit un
temps couvert et assez frais ; il n'y avoit que six à sept
lieues de La Bussière, où j'avois couché. A moitié che-
min je montai à cheval, et j'envoyai mon carrosse de-
vant. Gomme je galopois dans un chemin fort sec ,
où il avoit passé des bestiaux pendan^ ^'il étoit
mouillé , cela l'avoit rendu raboteux, et cela fit bron-
cher mon cneval. J'eus peur , je révois : cela me sur-
prit, et m'empêcha de lui tenir la bride ^ je me jetai
de l'autre côté-, je tombai sur le bras droit, où je
sentis une extrême douleur : je crus l'avoir cassé. On
47^ [l655] MÉMOIRES
me releva , et on me coucha sur le bord d'un fosse ;
je pensai m'évanouir de douleur. Par bonheur le car-
rosse de madame de Frontenac, qui ëtoit demeuré
derrière, passa; mon chirurgien ëtoit dedans; il re-
garda mon bras, et me dit qu'il n'y avoit rien de rompu
ni de demis; que par les grandes douleurs que je
sentois, il falloit craindre que l'os ne fût fêlé; que
l'on n'y pouvoit rien faire qu'à Saint-Fargeau. Je me
couchai dans le carrosse ; et quoiqu'il n'aUât qu'au
petit pas , je ne laissai pas de sentir des douleurs hor-
ribles ; je craignois fort que l'on ne me fît des inci-
sions, et d'être estropiée : tous les accidens fâcheuic
qui pouvoient arriver me vinrent dans l'esprit. Cela,
et le chagrin où j'étois déjà depuis mon voyage de
Blois , ne contribuèrent pas peu à me donner beau-
coup d'inquiétude. Dès que je fus arrivée à Saint-
Fargeaa , je me mis au lit pour me faire saigner : le
grand saisissement que j'avois eu fut cause qu'il ne
vint point de sang. Après m'être reposée , ma douleur
se passa un peu par les drogues que l'on mit sur mon
mal ; le bras et la main s'enflèrent considérablement ;
je fus quitte de la douleur en deux fois vingt-quatre
heures, et deux jours sans m'aider de mon bras. J'ap-
pris que Leurs Majestés alknt se promener à La Fère ,
où elles étoient, elles passèrent sur un pont où il n'y
avoit point de garde-fous ; que les chevaux s'étoient
jetés daift l'eau , et que si l'on n'eût été bien diligent
à couper les rênes. Leurs Majestés auroient couru
risque de se noyer. Cela arriva dans le même temps
et je crois le même jour que je me pensai casser le
bras. La maison royale étoit bien menacée d'accidens ,
dont, Dieu merci , elle se sauva heureusement. J'en*
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [r655] 4?^
lAyai en faire mes complimens à Leurs Majestés,
Le premier jour de juillet, il vint un sergent à
Saint-Fargeau , pour signifier à Prëfontaine de ne rien
expédier pour Dombes ni pour mes terres de Nor-
mandie , que de concert avec les gens de Son Altesse
Royale , lequel envoya à tous les fermiers dire que
Ton ne me payât pas qu'il n'eût été payé. Je laissai
faire tout cela le plus paisiblement du monde ^ je
pressois toujours madame de Guise de me montrer ce
qu'elle m'avoit promis : elle temporisoit. Un jour que
Nau étoit allé voir M. de Cumont , pendant qu'il étoit
allé parler à quelque partie , il trouva l'extrait de ce
que ces messieurs avoient arrêté avec madame de
Guise , et le copia en grande diligence : et cela lui
donna lieu de disputer avec elle plus fortement qu'il
n'avoit fait. Monsieur envoya à Paris à ces messieurs,
pour savoir leur sentiment-, ils lui jnandèrent tout
franc ce qu'ils avoient fait , et qqe la transaction avoit
été dressée sans leur participation. Gela déconcerta
toutes les mesures , et donna lieu à Goulas et à tous
les gens mal intentionnés pour moi de dresser de nou-
velles batteries : ce qui leur réussit , comme l'on verra.
J'étois dans mon château de Saint-Fargeau, où,
après avoir donné ordre à mes affaires ( ce que je fai-
sois deux fois la semaine ), je ne songeois qu'à me di-^
vertir. Madame la comtesse de Maure et mademoi-
selle de Vandy me vinrent voir comme elles revenoient
de Bourbon j ce me fut une visite très-agréable : elles
étoient des personnes d'esprit et de mérite , et que
j'estime fort. Mesdames de Monglat, Lavardin et de
Sévigné y vinrent exprès de Paris: la première y étoit
déjà venue deux fois ^ madame de Sully y vint pen-
474 [l655] MÉMOIRES
dant qu'elles y étoient, et M. et madame de Bëthunf,
qui s'en alloient aux eaux de l^ougues: tout cela fai-
soit une cour fort agréable. Monsieur de Matha y étoit
aussi : il commencoit d'être amoureux de madame de
Frontenac-, son mari, Saujon et d'autres s'y trouvè-
rent. Nous allions nous promener dans les plus jolies
maisons des environs de Saint - Fargeau , où l'on me
donnoit de fort belles coUalions *, j'en donnois aussi
dans de beaux endroits des bois avec mes violons :
on tâchoit de se divertir. Le comte de Béthune me té-
moigna que Monsieur étoit fort étonné de tout ce qu'il
voyoit , et qu'il avoit grande passion de finir son affaire
avec moi ; qu'il lui avoit dit : « Il y a des gens qui
« m'ont conseillé d'user de violence avec ma fille , de
« lamettre dans le château d'Amboise , et que là je lui
a ferois faire tout ce que je voudrois, et à ma mode ;
« pour moi , qui n'ai pas l'esprit violent, je n'en veux
« pas user ainsi. » Le comte de Béthune me dit qu'il
l'avoit fort loué de n'avoir pas écouté de si mauvais
conseils -, et dans la crainte qu'il eut que l'on ne lui
en donnât de pareils pendant qu'il seroit aux eaux,
il lui dit : « Puisque Votre Altesse Royale me fait pa-
« roître tant de désir de sortir d'affaire avec Made-
« moiselle à l'amiable, je m'en vais la trouver, et je
« suis assuré que je la trouverai|dans la même dispo-
a sition , et que je rapporterai à Votre Altesse Royale
<( toute sorte de satisfaction. Je la supplie aussi que
« pendant mon absence il ne se passe rien, et que
« Votre Altesse Royale [ne se laisse aller à aucuns
« mauvais conseils qu'on lui pourroit donner. » Son
Altesse Royale donna sa parole au comte de Béthune
que même il ne m'écriroit qu'après son retour. Le
DE MADEMOISELLE DE MONTPEMSIER. [l655] 4?^
comte de Bëthune lui écrivit de Saint-Fargeau, et lui
manda : a J'ai parlé à Mademoiselle de ce que Votre
c( Altesse Royale mavoit ordonné ; je l'ai trouvée dans
« toutes les dispositions possibles de lui plaire en tout,
u et de tâcher d'avoir ses bonnes grâces , et en dessein
u de favoriser mesdemoiselles ses sœurs; et comme
a le détail de tout ce qu elle m'a dit sur les affaires
« que vous avez ensemble se peut mieux dire qu'é-
« crire, j'en rendrai compte à Votre Altesse Royale.
<( Je la puis encore assurer qu'elle aura toute satisfac*
u tion de Mademoiselle. Jusqu'à ce que j'aie l'honneur
u de voir Votre Altesse Royale Je la supplie très-hum-
<( blement de se souvenir de la parole qu'elle m'a don-
ce née de ne se point laisser prévenir par des gens qui
<( ne veulent que la discorde dans sa famille , et qui
<( sont fort mal intentionnés pour l'un et pour Tautre. »
Comme le comte de Béthune eut écrit cette lettre ,
j'eus l'esprit en repos, après les paroles que Son Al-
tesse Royale lui avoit données , et celles que le comte
de Béthune lui donnoit de ma part. Pendant qu'il étoit
à Saint-Fargeau, je reçus des nouvelles de Paris que
j'avois gagné mon procès contre M. de Richelieu. U
étoit dit que je rentrerois dans la terre de Champi-
gny; que je lui rendrois Bois-le-Vicomte et La Verna-
lière \ que M. de Richelieu me paieroit les démolitions
de ma maison , et qu'il auroit son recours contre Mon-
3ieur , qui s'étoit engagé à la garantie en son propre
et privé nom; que dans quinze jours le duc de Ri-
chelieu opteroit s'il feroit rebâtir ma maison, ou s'il
me donneroit de l'argent pour cela; que le rapporteur,
qui étoit M. de La Madelaine , iroit sur les lieux , et
prendroit des experts pour estimer les bâtimens et
476 [l655] MÉMOIRES
les lieux dégrades^ qu il iroit aussi au Bois-le-Vicomte
pour les réparations qui y ëloient à faire , et qui me
regardoient^ que je ne rëpondrois point de celles
dont la cause venoit des mauvais fondemens et de la
mauvaise situation du lieu. Cet arrêt me donna une
joie infinie-, le recours de M. de Richelieu contre
Monsieur me déplut fort : je jugeois bien que ce se-
roit une semence de division nouvelle. Pour Chau-
nant, qui étoit un fief que madame de Guise avoit
vendu au cardinal de Richelieu pendant la minorité
de ma mère , et pendant qu on parloit de son mariage
avec Monsieur (il auroit été bien difficile dans cette
conjoncture de ne le pas donner), comme il fut in-
corporé au duché de Richelieu , qui est tout de pièces
et de morceaux, et qu'il y a uncôté de la basse-cour bâti
dans ce fief, M. de Richelieu me le devoit aussi payer,
eu égard à la commodité qu'il apporteroit au duché et
à l'incommodité que j'en recevrois, laquelle, à dire
le vrai , n'est pas grande : Chaunant étoit à une lieue
de Champigny,
On apprit en ce temps-là ce que l'on n avoit point
su , que Goulas avoit excédé son pouvoir , et avoit fait
Monsieur garant en son propre et privé nom : c'est ce
qui fit que les juges donnèrent à M. de Richelieu la
garantie contre Son Altesse Royale. On dit en ce
temps-là que son affaire avoit été mal défendue, et que
M. de Choisy ne l'avoit point sollicitée pour faire dé-
plaisir à Goulas : la vérité est que Goulas ne s'étoit
point vanté de ce qu'il avoit fait , et que s'il l'eût dit ,
on y auroit pu remédier : il tenoit cela caché. La rage
qu'il eut de cette affaire fit que pour CQUvrir sa faute
il la jeta sur Préfontaine et sur Nau, et dit à Monsieur
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655J 4??
que c'étoient eux qui avoient embarqué l'affaire , et
qui étoient cause que je Pavois remuée. Monsieur
étoit prévenu faussement que c'étoient eux qui me
mettoient dans la tête le compte de tutële ; madame
de Guise se joignit à Goulas, et ils lui firent prendre
la résolution de les ôter de mon service.
Le 9 de septembre l'on me vint éveiller pour me
dire que de Saint-Frique étoit arrivé de la part de Son
Altesse Royale. Je le fis entrer; il me donna une lettre
qui étoit assez aigre pour moi, par laquelle Son Altesse
Royale me commandoit d'ôter Nau de mon service ,
et de lui obéir. Dans l'instant je me levai et je m'en
allai dans la chambre de madame de Frontenac , où
étoient son mari et la comtesse de Fiesque ; j'envoyai
chercher Préfontaine -, je leur lus la lettre , et je pieu-
rois. Je leur dis : « Elle est bien différente de celle
a qu'il ïn'écrivit à Orléans ; il avoit besoin de moi
« en ce temps-là, et à cette heure je lui suis très-
ci inutile. » Je fus fort touchée de ce mauvais traite-
ment, et assurément il est inouï qu'à une personne
qui a vingt-cinq ans passés (0 on lui chasse ses do-
mestiques , et qu'il ne lui soit pas permis de se servir
de qui il lui plaît. Nau est un homme qui ne sait ce
que c'est que le monde ni la cour : il n'a jamais fré-
quenté que le palais^ aussi je ne l'avois pas pris pour
un homme d'intrigue : c'étoit seulement pour dé-
brouiller les procès qu'il avoit plu aux gens de Mon*
sieur de me laisser. On l'accusoit le plus faussement
du monde de m'avoir portée à pousser mes affaires
contre Son Altesse Royale et M. de Richelieu , ainsi
(i) Qui a vingt'cinq ans passés : Mademoiselle avoit alors vingt-huit
ans.
478 [l655] MÉMOIRES
que je Tai déjà dit : TafTaire fut commencée par For-»
dre de Monsieur, et toutes les semaines Nau me man-
doit ce qui avoit été résolu sur cela en mon conseil ;
je lui écrivois moi-même ce que je voulois que Ton
fît, et il arrivoit souvent que ce que je lui mandois
étoit tout opposé à son avis. Je lui disois dans mes
lettres : « Vous êtejS plus habile que moi; cependant
« ce sont mes affaires, c'est mon bien-, je veux que Ton
K agisse à ma mode. )» Il me semble après cela qu'il
est bien injuste de se prendre à meê domestiques de
ce qu'ils font pour le service de leurs maîtres , quand
les maîtres font tout eux-mêmes , et que Ton ne suit
que leurs ordres : c'est pourquoi le mauvais traite-
ment qu'il recevoit à cause de moi, je le pris comme
fait à moi-même.
Je voulus faire réponse à Son Altesse Royale , et
Saint-Frique me dit : « J'ai ordre de ne point recevoir
« de réponse sans que je ne l'aie vue, parce que
a Monsieur n'en veut point, si vous ne lui mandez pas
« que vous lui obéirez sans y rien ajouter. » Je hri
voulus envoyer une lettre pour Madame -, il crut qu'il
y en avoit une pour Monsieur: il la refusa. J'envoyai
àBlois un gentilhomme nommé L'Epinay*, Monsieur
ne le voulut pas voir. Je dis ce jour-là à Préfontaine :
« Je crains fort que cela ne vienne jusqu'à vous pour
« me réduire dans la dernière nécessité 5 SoK Altesse
« Royale et ses gens voudront que je n'aie plus per-
n sonne à me servir dans mes affaires. » Préfontaine, qui
est sage et qui me voyoit sensiblement toucftée dte la
perte de Nau , voulut me détourner de Tappréhension
où j'étois pour lui-, il voyoit bien que j'en serois fort
fâchée; il me disoit : u Mademoiselle, ne voyez-vous
DE MADEMOISELLE DIÇ MONTPEIfSIEK. [l655J 479
« pas que Monsieur me fait Thonneur de me parler
<( lorsque vous allez à Blois; comme il me traite bien?
« Il s'est toujours plaiut de M. Nau : il lui faut obéir;
(( dans peu les affaires changeront, vous serez bien
tt avec lui et vous obtiendrez son retour. » Je lui disois :
*i Je sais bien qu il ne se plaiut point de vous; il dira
<t cependant que vous êtes ami de Nau , et que c'est
« vous qui l'avez mis à mon service; que vous avez
« toujours agi de concert ensemble; que vous êtes
<t persuadé qu'il est habile , et que par cette raison l'on
<( prendra toujours ses conseils tant que vous serez à
(( moi. Ne savez-vous pas comme on en use quand on
tt veut faire des querelles d'Allemand aux gens ? Je con-
« nois Monsieur : il est pour moi d'une manière qu'il
« n'y a mauvais traitement que je n'en doive attendre. »
Je fus depuis le jeudi jusqu'au dimanche à pleurer.
Lorsque les lettres de Paris arrivèrent, j'ouvris un
paquet de M. Le Roi, frère de Préfontaine, à qui il
cnvoyoit une lettre qu'il avoit reçue de Monsieur.
Avant que de l'ouvrir, je lui dis : « Voici votre congé.»
Nous fumes quelque temps lui et moi sans la pouvoir
lire ; enfin je la lus, et je vis que Son Altesse Royale
mandoit à M. Le Roi que la considération qu'il avoit
pour lui et pour son frère faisoit qu'il ne vouloit pas
le traiter de même manière que Nau ; qu'il le prioit
de faire que son frère se retirât de mon service : il y
avoit ensuite des discours obligeans pour M. Le Roi, et
rien de rude et de désobligeant pour Préfontaine. Je
redoublai mes pleurs ; j'avois double sujet d'en verser,
et cela avec une telle véhémence que les comtesses de
Fiesque et de Frontenac vinrent dans mon cabinet :
elles savoient bien ce que c'v5toit , et n'en faisoient pas
48o [l655] MÉM0IRB6
semblant; elles se mirent à pleurer avec moi. Je dis à
Préfontaine : « C'en est trop; il ne faut point que vous
a me quittiez, ni Nau non plus; voilà le procédé le
<( plus étrange du monde. » 11 me vint en pensée d'é-
crire à la Reine, et même à M. le cardinal Mazarin,
pour leur demander leur protection -, et d'envoyer le
comte dTscars à la cour et de Frontenac à Blois, et
mander que dans la crainte que Ton ne continuât à
porter Monsieur à en user aussi violemment jusqu'à ma
personne , j'allois me mettre au Val-de-Grâce jusqu'à
ce que mes affaires avec lui fussent finies, puisqu'elles
étoientla cause de ma persécution. Ces dames trou-
vèrent mon dessein fort bon, et dirent que je ne pou-
vois mieux faire. Préfontaine ne fut point de cet avis,
et dit que les personnes de mon âge et de ma qualité
ne dévoient point en user comme tous les particuliers ;
que de se mettre dans un couvent, cela tire à de
grandes conséquences; que si j'y étois une fois, on
seroit peut-être bien aise de m'y laisser lorsque j'en
voudrois sortir; que cela fâcheroit davantage Monsieur;
qu'il n'y avoit point de parti à prendre pour moi que
celui de l'obéissance en tout, et de tâcher d'obtenir par
làdeSonAltesse Royale l'honneurde ses bonnes grâces.
Je trouvai qu'il avoit raison, et je fus de son avis.
Je dépéchai à l'instant au comte de Béthune , et lui
mandois ce qui étoit arrivé , pour le prier de me venir
trouver : ce qu'il fit deux jours après. 11 fut fort étonné
de ce que Monsieur avoit fait, après les paroles qu'il
lui avoit données; il me parut être fort scandalisé de
ce qu'on lui avoit manqué de parole. Préfontaine de-
meura dix jours à Saint-Fargeau après avoir reçu son
ordre, parce qu'il en avoit beaucoup à donner pour
D£ MADEMOISELLE DE MONTPEMSIER. [l655j 4^1
moi , et pour laisser tous mes papiers en état que je
m'en pusse servir. Puis il s'en alla à Tabbaye de Gram-
mont en Limousin, chez Tabbé, qui ëtoit de ses amis.
11 cherchoit le dësert le plus éloigné qu'il put, pour
montrer qu il ne se vouloit point mêler des affaires
du monde. On peut croire avec quel déplaisir il me
quitta, et celui que je ressentis de le voir partir :
tout ce qui étoit à Saint-Fargeau en fut fort fâché ,
hors les comtesses de Fiesque et de Frontenac , et
quelques-uns de mes gens qui étoient de leur cabale.
Le comte de Béthune demeura encore huit jours à
Saint-Fargeau, et sa femme aussi, pendant lesquels
je fus malade-, j'eus une fluxion horrible à la gorge,
avec la fièvre. Il eût été assez difficile que je n'eusse
pas eu quelque mal: je m'étois fâchée, etc'étoitla
saison de l'automne, où j'avois toujours mal à la gorge
depuis quelques années.
Quand le comte de Béthune fut parti, je ne parloir
plus qu'au comte d'Escars : j'étois persuadée , et avec
raison , que les dames qui étoient avec moi n'étoient
pas fâchées de tout ce qui m'étoit arrivé ; ainsi je
n'avois pas grand commerce avec elles.
Depuis la fin de septembre jusqu'à Noël que d'Escars
s'en alla à Paris, je fus sans parler qu'à lui, à moins
qu'il ne vînt du monde de dehors. Le matin dès quç
j'étois éveillée, et pendant que je m'habillois, on lisoit
jusqu'à la messe ^ après dîner je travaillois à mon
ouvrage : on lisoit encore jusqu'à ce qu'on ne vît plus
goutte ; j'allois me promener aux flambeaux dans la
galerie, puis je venois travailler jusqu'à souper, après
lequel je me promenois encore avec le comte d'Escars.
Je parlois au commis de Préfontaine, que j'avois
T. 4i' ^^
I
ifilk [l655] MÉMOIRES
Toulû qu'il me laissât , pont compter toutes les se-*
maines avec mes ouvriers, et pour écrire dans mes
terres et expédier ce qu'il falloit; de sorte que tous
les jours il me rendoit compte de ce qu'il faisoit.
Comme on ëcrivoit à Paris deux fois la semaine , ces
jours-là je ne travaillois point : j'allois m'enfermer
pour écrire. Nous avons souvent remarqué, d'Escars
et moi , que pendant que je dînois ou soupois , j'avois
quelquefois envie de pleurer -, les larmes me venoient
aux yeux : les comtesses me regardoient et me rioient
au nez. Comme M. le comte de Béthune fut arrivé
chez lui , Son Altesse Royale l^i manda d aller à Elois;
il y alla , et le trouva fort emporté contre moi : il étoit
en colère dès qu'on lui nommoit mon nom, et revenoit
toujours à dire : « Elle n'aime point ses sœurs ^ elle
« dit que ce sont des gueuses \ qu'après ma mort elle
« leur verra demander l'aumône sans leur en donner. »
H ajoutoit encore d autres discours que la colère lui
faisoit dire, qui ne signifioient rien, qui faisoient
cependant connoître son principe. Il se plaignoit aussi
d'une particularité qu'il prétendôit que j'avois dite ,
et que je trouvois fort plaisante : que Madame n'avoit
eu en mariage que des piques et des mousquets pour
armer deux régimens ^ ensuite il disoit : « Cela est
« vrai, et elle n'a pas bonne grâce de le dire et de se
« moquer, parce qu'en ce temps-là je faisois la guerre,
«i et cela m'étoit fort considérable alors. »
M. le comte de Béthune m'envoya une grande re-
lation de tout ce qu'il avoit dit. Les discours d'un
homme en colère ne sont pas , pour Tordinaire, fort
agréables à redire. Ils étoient si peu avantageux pour
lui et pour moi , qu'il vaut mieux les passer sous
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655} 4^3
silence. 11 témoigna au comte de Béthune trouver
mauvais que le commis de Préfontaine fût demeuré
près de moi. Dès que je le sus je le renvoyai , et
demeurai sans qui que ce soit qui me pût servir en
manière de secrétaire. Je recevois toutes les lettres
des officiers de mes terres et de mes fermiers , et
j'y faisois réponse ; je faisois faire les expéditions^
par le premier qui se trou voit ; je les dressois , et on
les copioit •,. j'écrivois à Paris à mes avocats pour
toutes mes affaires. Il n'a pas tenu aux gens de Son
Altesse Royale que je n'aie été bien habile ^ ils m'ont
mise en état de la devenir. Je connus bien en ce
temps-là que Préfontaine avoit eu raison de vouloir
que je susse «les affaires , et de me persécuter de
les voir lorsque je n'en avois point d'envie : parce
que , si je les eusse ignorées , elles auroient bien
plus dépéri qu'elles n'ont fait. On est bien heureux,
de quelque qualité que Ton soit , d'avoir des servi-
teurs fidèles -, outre qu'ils sont utiles dans le temps
que l'on les a , on s'aperçoit toujours qu'on les a
eus. Qui m'auroit dit, du temps que j'étois à la cour,
que je saurois combien vaut la brique , la chaux et le
sable , le plâtre , les voitures , les journées d'ouvriers ,
et tout le détail d'un bâtiment, et que tous les samedis
j'arréterois leur compte ; cela m'auroit bien surpris.
Néanmoins j'ai fait ce métier-là un an et plus, parce que
je n' avois personne à qui je m'en voulusse confier.
Lorsque Préfontaine vint à mon service, ce fut la
première année que Monsieur me donna la jouissance
de mon bien. Je fus si aise de l'avoir, que je dé-
pensois au-delà de plus de trois cent mille livres de
mon revenu. Je ne diminuai point pour cela ma
3i.
484 [l655] MÉMOIRES
dépense ordinaire les années suivantes, ni même
pendant mon exil : je l'augmentai ^ j'avois des chiens
et des chevaux plus qu'à l'ordinaire-, il venoit beau-
coup de compagnies me voir , je bâtissois , et cepen-
dant pour tout cela mon trésorier n'étoit point ou
peu en avance, lorsque Préfontaine a quitté mon
service. On peut attribuer cela à sa bonne conduite.
M. d'Erbigny , conseiller au parlement , n'a été que
deux ans mon intendant, et agissoit pea^ pour Nau,
il n'agissoit que par les ordres de Préfontaine , et
pour ces sortes d'affaires domestiques il s'en méloit
peu : il entendoit mieux celles du palais , dont Pré-
fontaine ne se mêloit guère ^ il .n'en avoit pas de
connoissance , et n'étoit pas d'humeur d'agir dans
des affaires dont il ne se croyoit pas tout-à-fait ca-
pable. Voilà donc où Préfontaine et Nau laissèrent
mes affaires quand ils s'en allèrent. J'étois prête de
conclure avec M. le duc de Mantoue l'acquisition du
duché de Nevers -, je lui en offris huit cent mille écus,
et je pense que je l'aurois eu pour ce prix. Madame
de Guise me pressoit d'acheter le comté d'Eu , que
j'aurois aussi acheté la même somme : il faut être en
bon état pour faire de telles acquisitions. Voici de
quoi je les prétendois payer : premièrement de beau-
coup de bois que j'ai -, de l'argent de l'affaire de
Champigny que M. de Richelieu me devoit donner :
et comme madame de Guise avoit soixante-dix ans ,
je regardois sa succession comme un bien assuré dans
peu d'années ; et quand on se veut régler, le revenu
de deux grandes terres paie tous les ans de grands
intérêts, et en rachette : ainsi je trouvois que cela
se pouvoit faire sans m'incommoder.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655] 4^5
Le départ de mes gens renversa tous mes des-
seins , et me réduisit à conserver ce qui me restoit le
mieui qu'il me fut possible et avec beaucoup de
peine , sans songer à en acquérir davantage. On si-
gnifia l'arrêt de Champigny à madame d'Aiguillon
aussitôt après qu'il fut donné-, et ce fut deux ou trois
jours après que Monsieur eut donné ordre à Nau de
se retirer de mon service. Son Altesse Royale envoya
à Paris lui en faire le commandement avec beaucoup
de rudesse. Madame d'Aiguillon répondit au sergent:
« Les gens*de Mademoiselle songent encore à cette
(( affaire , comme si on ne les avoit pas fait chasser
« pour cela. » Ce qui me parut bien imprudent à
elle , et un grand manque de respect envers une
personne comme moi. J'appris aussi qu'elle avoit dit
à quelques personnes de ses amis , qui lui avoient
été faire des complimens sur la perte de son procès :
(( Je ne m'en mets pas en peine : les gens de Ma-
<( demoiselle qui ont agi dans cette affaire en pâ-
<( tiront ; et comme elle jie les aura plus , elle sera
<( bien embarrassée dans la suite. J'ai assez d'amis
« auprès de Son Altesse Royale pour y maintenir
(( mes intérêts. Je pense que lui et Mademoiselle
« ne se raccommoderont jamais ensemble , que je
tt n'y trouve mon compte. » Ce discours est encore
moins prudent que le premier , et part d'un esprit
élevé dans une fortune insolente , et né dans une
grande bassesse. J'apprenois de tous ceux qui avoient
vu Son Altesse Royale , qu'il ne se plaignoit de Pré-
fontaine que parce qu'il n'avoit pas voulu se séparer
des intérêts de Nau ^ et Préfontaine me dit , devant
que de sortir de mon service , que pendant mon se-
486 [l655j MÉMOIRES
jour à Blois madame de Paisieux lui avoit dit, de la
part de Son Altesse Royale , qu'elle se plaignoit de
ce qu'il ëtoit des amis de Nau , et qu'il le maintenoit
auprès de moi ; que Son Altesse Royale dësiroit
qu'il s'en séparât , parce qu'il avoit de l'estime et de
l'amitié pour lui -, que c'étoit la seule circonstance
qu'il trouvoit à redire en lui. Préfontaine lui répon-
dit : a 11 est vrai que c'est moi qui ai donné M. Nau
« à Mademoiselle, parce que j'ai cru- qu'il ëtoit ca-
« pable de la bien servir ; et je le crois encore. Du
« moment que je verrai le contraire , je serai le pre-
n mier à dire à Mademoiselle qu'il faut qu'elle le
tt chasse. Je ne vois rien en lui contre son devoir :
« je le servirai comme mon ami. Tout le défaut
a qu'il a , c'est de déplaire à M. Goulas ; il est bien
(( malheureux que cela lui ait attiré la haine de Son
« Altesse Royale. Je ne sais pas ce qu'elle veut que
« je fasse sur son sujet ^ pour moi , je ne conseillerai
« jamais à Mademoiselle de chasser un homme qui
« la sert bien , pour faire ma cour auprès de Mon-
a sieur. Vous connoissez assez Mademoiselle pour
« ne prendre conseil de personne -, et si elle en de-
« mande , c'est pour avoir le plaisir de ne le pas sui-
« vre : et personne du monde ne lui peut faire faire
« ce qu'elle n'a pas dans la tête. Je m'étonne que
« Monsieur , qui la connoit telle qu'elle est , s'en
« prenne à quelqu'un de ce qu'elle fait. » Je grondai
Préfontaine de ne m'avoir pas dit cela plus tôt ; il me
dit : « Cela n'auroit servi qu'à vous faire déchaîner
« de nouveau contre Goulas , et tenir des discours
«c qui auroient aigri Monsieur, et qui n'auroient
« servi de rien. J'ai toujours cru qu'à faire mon de-
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655] 4^7
« voir , Monsieur connoîtroit tôt ou tard que j'ëtois
« un homme de bien qui va son chemin .et ne se
« mêle de rien. » Cette plainte de Son Altessç Royale
sur Préfontaine étoit assez extraordinaire lc qu'est-ce
qu'il pouvoit faire contre Nau, quand je l'aurois
voulu garder à mon service ? quand il m'en auroit
dit du mal , je ne l'aurois pas cru. Je ne suis point
comme les autres personnes de ma condition auprès
de qui les mauvais offices font effet contre les gens
de bien. Quand je suis prévenue de bonne opinion
pour quelqu'un par la connoissance que j'en ai , je
ne change point, s'il ne se comporte de manière à
me donner occasion de le faire.
Au mois de février de cette année , j'allai à Le-
signy , à six lieues de Paris. Cette maison étoit à
vendre, et j'avois envie d'en acheter une : j'allai la
voir à ce dessein , et je ne la trouvai pas à ma fan-
taisie. Il y vint du monde de Paris me voir •, j'eus
néanmoins plus de complimens que de visites. J'a-
vois fait tout le monde malade ^ tous ceux qui n'o-
soient me mander qu'ils craignoient de se brouiller
avec la cour feignirent d'être malades , ou qu'il leur
étoit arrivé quelque accident. J'envoyai faire un
compliment à Leurs Majestés , et j'avois chargé celui
que j'y avois envoyé de dire, sans qu'on lui de-
mandât , que je m'en retournois dans deux jours.
Tout le séjour que je fis à Lesigny ne fut que de
trois ou quatre jours. J'envoyai quérir messieurs
Guenaut et Brayer , médecins célèbres de la Faculté
de Paris , pour les consulter sur mes maux de gorge
et de tête. Ils s'étonnèrent, à voir mon visage, et
lorsqu'ils apprirent que je dormois et mangeois bien,
488 [l655] MÉMOIRES
que je pusse être malade. Ils me dirent que ces
maux me feroient vivre cent ans , et que c'ëtoit tout
le mal .qui m'en arriveroit ; qu ik me conseilloient
de prendre des eaux de Saint-Mion cinq ou six jours,
et ensuite de celles de Forges. Lorsque je fus de re-
tour de ce malheureux voyage de Blois, je me purgeai
pour me mettre en état de prendre des eaux. J'en en-
voyai quérir : je commençai par celles de Saint-Mion;
je les trouvai si acres , que je n'en bus qu'un verre.
Il arriva à Paris une aventure (0 assez nouvelle.
Bartet, secrétaire du cabinet du Roi, qui étoit tant
célèbre par ses voyages pendant que le cardinal Ma-
zarin étoit en Allemagne, dit un jour dans les Tuile-
ries, comme on parloit de M. de Caudale et de sa
bonne mine : « Je le voudrois voir sans canons et sans
« moustaches, je crois qu'il ne seroit pas mieux qu'un
<( autre. » M. de Caudale sut cela, et s'en tint offensé ;
des ennemis de Bartet furent bien aises de le pousser
par M. de Caudale ; ils ne l'osoient faire eux-mêmes ,
(]) Une aventure : Cette aventure arriva à la fin du mois de juin i655.
Madame de Se'vigne eu parle ainsi h Bussy dans une lettre du 19 juillet
de la m^me année : <( Je ne vous dis rien de Taffaire de Bartet. Je crois
(f qu^on vous Tanra mandée, et qu^elle vous aura fort diverti : pour moi,
n je Tai trouvée tout-à-fait bien imaginée. Il y a une dame qu'on accuse
« d'avoir c'të les premiers jours dcmandçr si cV'toit un affront que cela,
« parce qu'elle a voit ouï dire à l'inte'ressë que ce n'ctoit qu'nne baga-
tt telle. On dit que pre'sentement il commence à sentir son mal , et à
<i trouver qu'il eût été mieux qu'il n'eût pas été tondu. » M. de Mon-
merqué observe , d'après les Mémoires inédits de Conrart , que Bartet
faisoit la cour à la marquise de Gourville , maîtresse du dac de Caudale,
et que ce fut chez elle qu'il tint le propos qui lui attira un cbAtiment s>
rigoureux. Quoique Bartet eût beaucoup de crédit , l'affaire n'eut au-
cune suite, parce que le duc de Caudale étoit alors très en faveur prèç-
de Mazarin, et dcvoit même épouser une de ses nièces, mademoiselle
Martinozzi , qui devint depuis princesse de Conti.
DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER. [l655] 4^9
prévenus qu'il devoit faire un éclat. Un jour dans la
rue Saint-Thomas-du-Louvre quatre ou cinq hommes
à M. de Caudale, sans masques et fort connoissable^,
firent arrêter le carrosse de Bartet dans lequel il étoit,
lui coupèrent les cheveux d'un côté , une moustache,
et lui déchirèrent les canons de sa culotte, et lui di-
rent que c'étoit pour lui apprendre à parler d'une
personne de la qualité de M. de Caudale. Cette affaire
fit beaucoup de bruit : les uns l'approuvoient , les
autres la blâmoient ; ainsi , dans tout ce qui arrive
dans le monde, il y a des partisans pour et contre.
Bartet n'étoit pas aimé: on étoit bien aise qu'il lui fût
arrivé quelque insulte ; on s étolinoit aussi que M. de
Caudale eût fait un tel éclat pour si peu. Cela eut son
temps; il partit peu après pour Catalogne ; il passa par
Saint-Fargeau , et me conta qu'à tihaqùe^pas qu'il fai-
soit il rencontroit des gens qui lui disoicnt: « Pre-
<( nez garde à vous, Bartet vous attend. » On lui don-
na un pareil avis à Saint-Fargeau ^ il envoya un gen-
tilhomme connoîtrc ce qui se passoit, qui lui rapporta
qu'on y avoit vu des cavaliers qui avoient demandé
s'il y avoit passé : de sorte qu'à son départ de Saint-
Fargeau , messieurs de Matha, d'Escars, Saujon, et
force gentilshommes tant à moi que du pays, fallè-
rent accompagner , et ils ne rencontrèrent persoifne.
Je reviens à mes affaires ; j'en étois accablée , et du
chagrin qu'elles me cauôoient. Dès que je fus tout-à-
fait brouillée avec Son Altesse Royale ,. je l'écrivis à
M. le princQ , qui m'en témoigna beaucoup de déplai-
sir et de ressentiment contre les gens de Monsieur
qui agissoient contre moi , et m'offroit de se porter
contre eux à toutes les extrémités, sans nul égard
49^ [l655] MÉMOIRES
pour Son Altesse Royale, si je jugeois que cela me fût
utile; et qu il n en auroit jamais pour personne où il
iroit de mes intérêts, après les ol>ligations qu'il m avoit.
Je lui fis réponse que ce que Ton feroit à présent ne
me seroit point utile; que j'étois bien aise de con-:
noître sa bonne volonté ; qu'en Fétat oùj*étois, brouil-
lée avec la cour et avec mon père , il me sembloit
que si on me vouloit persécuter, on prendroit occa-
sion sur le commerce que j'avois avec lui ; que je le
prioisde ne me plus écrire; que si je le pouvois ser-
vir, je ne lui ferois pas cette prière ; qu'il sa voit bien
• que tant que j'avois pu j'avois tenu bon ; que mainte-
nant il falloit se rendre , et que si je pouvois avec hon-
neur et sans faire des bassesses prendre des mesures
avec le cardinal Mazarin, je le ferois pour me tirer des
persécutions de Son Altesse Royale; que je croyois qu'il
trouveroit cela à propos , et que je le souhaitois parce
que je voyois que la nécessité m'obligeoit à le faire.
Peu après, le comte de Béthune passa à Saint-
Fargeau , comme il revenoit de Blois : il s'en alloit à
Paris. Je lui dis : a Vous croyiez que l'exil de mes
« gens ne dureroit que deux mois ; il y en a trois de
« passés sans qu'il y ait espérance de retour. » 11 me
répondit : « 11 faut patienter , le temps amène tout. »
Je lui fis de grandes plaintes de la mauvaise conduite
de la comtesse de Fiesque et de madame de Fronte-
nac : cette dernière l'alla trouver les larmes aux yeux,
et lui témoigna le déplaisir qu'elle avoit que je ne la
traitasse plus comme à l'ordinaire. 11 se laissa si bien
duper par ce qu'elle lui dit , et moi aussi, qu'il nous
raccommoda; elle pleura encore beaucoup , et me fit
paroitre une grande tendresse pour ma personne;
DE MADEMOISELLE. DE MONtPENSIER. [l655] 49'
blâma la conduite de madame de Fiesque , et me dit
qu'elle renonçoit à tout commerce avec elle, hors
celui à quoi la bienséance Tobligeoit. Le comte de
Bëthune s'en alla à Paris , et m'écrivit que M. le car^
dinal lui avoit parlé de moi avec des témoignages
d'estime , et qu'il étoit bien fâché de ne me pouvoir
pas servir, de crainte que Son Altesse Royale ne
voulut engager la cour à me persécuter sur le com-
merce que j'avois avec M. le prince ; qu'il faJloit que
je le fisse cesser. Le comte de Béthune lui donna sa
parole qu'il finiroit , et m'en écrivit. Je lui fis réponse
d'une manière à montrer -à M. le cardinal que je ne
désavouois point mon commerce passé , et je promet-
tois positivement de n'en plus avoir à l'avenir, et
même je disois que je l'avois mandé à M. le prince.
On jugea à propos que Préfontaine allât à Paris.
Nau , pour témoigner à Son Altesse Royale qu'il n'a-
voit aucune pensée de revenir à mon service , voulut
acheter une charge de conseiller au parlement de
Metz. Je voulois que Préfontaine en eût une de maître
des comptes , parce qu'il n'avoit pas étudié , et qu'il
n'en pouvoit avoir une de conseiller au parlement de
Paris. Cette occasion se présentoit de leur faire du
bien : j'envoyai à Préfontaine un blanc signé pour
emprunter de l'argent pour avoir cette charge; mon
intention étoit de lui donner vingt mille écus pour
cela, et dix mille à Nau. Préfontaine me renvoya
mon blanc signé déchiré , et me ^supplia très-humble-
ment de n'en donner de ma vie de cette manière ,
parce que l'on en pouvoit abuser : aussi n'en donne-
rai-je jamais. 11 ne voulut point de mon argent, et me
manda qu'il ne m'avoit pas assez bien servie ni asses^